La difficile vie des chrétiens au pays des mirages: rencontre avec

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La difficile vie des chrétiens au pays des mirages: rencontre avec
La difficile vie des chrétiens au pays des mirages: rencontre avec Roberto Simona, de
l'AED, de retour du Qatar
(Interview Jacques Berset, agence Apic)
Le Qatar, pays du Golfe arabo-persique dont la superficie équivaut au quart de celle de la Suisse,
compte quelque 2,1 millions d'habitants, dont seulement 20 % de nationaux. L'Apic a rencontré
Roberto Simona, responsable pour la Suisse romande et italienne et spécialiste des minorités
chrétiennes dans les pays musulmans est de retour de la Péninsule arabique.
La population autochtone du Qatar est composée principalement de musulmans sunnites
d'obédience wahhabite, à l'instar de l'Arabie Saoudite. Les habitants majoritaires de cet émirat
riche en gaz naturel sont essentiellement des expatriés établis dans le pays, notamment des
Philippins, des Indiens, des Libanais, des Européens ou des Américains.
Parmi les travailleurs immigrés qui travaillent dans cette péninsule désertique adossée à l'Arabie
Saoudite vivent plusieurs centaines de milliers de chrétiens, dont une grande majorité de
catholiques, principalement originaires des Philippines. Les catholiques sont suivis de loin par les
protestants (14 %) et par d'autres communautés plus petites (anglicans, coptes orthodoxes, grecsorthodoxes, catholiques syro-malabars et syro-malankars, malankars orthodoxes, etc.). L'émir
Hamad bin Khalifa Al Thani a accordé des terrains pour la construction de cinq églises à Doha, la
capitale. L'église Notre-Dame du Rosaire, la première église catholique sur une terre musulmane
wahhabite, a ouvert ses portes le 14 mars 2008. Mais cette église n’a pas le droit d'avoir un
clocher surmonté d'une croix, ni d'avoir des cloches.
Apic: Les catholiques sont de plus en plus nombreux au Qatar!
Roberto Simona: En effet, 80'000 catholiques se pressent aux 30 messes du vendredi à l’église
Notre-Dame du Rosaire, à Doha ! Ce sont surtout des immigrés indiens, sri lankais, philippins et
en provenance de différents pays africains. Selon les estimations de l’ambassade des Philippines,
les citoyens philippins sont près de 200'000 au Qatar. Le Père Jason nous a dit qu'au moins 10 %
des immigrés dans l'émirat sont des catholiques pratiquants.
Les journées de ce prêtre sont interminables et épuisantes. Elles commencent à 6h00 du matin
avec la messe pour se terminer à 23h00, après qu'il ait rencontré le plus de compatriotes possible.
Il les écoute et tente de résoudre les problèmes typiques des immigrés dans cette région du
monde: manque d’argent, solitude, stress, dépression, abus de toutes sortes, le plus souvent
contre le personnel domestique.
Apic: Dans ce pays à l'islam wahhabite, les chrétiens peuvent-ils se réunir librement ?
Roberto Simona: Ils peuvent se réunir dans un complexe fortement sécurisé et contrôlé par le
gouvernement. C’est un territoire de 40'000 m2, à la périphérie de Doha, qui a été accordé à
l’Eglise. C'est le seul lieu de culte et de rendez-vous pour des dizaines de milliers de chrétiens qui
travaillent au Qatar.
Apic: Le Qatar est immensément riche, mais tout le monde n'en profite pas…
Roberto Simona: Ce pays, devenu immensément riche grâce à ses ressources en gaz, a fait en
20 ans un bond dans la modernité et le capitalisme. Un choc pour les Qataris, des Bédouins
nomades, qui ont vu basculer leurs traditions et habitudes. Aujourd’hui, leurs seules valeurs sûres
restent la famille et l’islam, leur identité étant en partie balayée par l’argent et la soif de réussite de
la nouvelle génération. Le Qatar représente plus de 210 milliards d’investissement dans le monde
et compte parmi les plus importants exportateurs de gaz naturel. Ce n’est pas un hasard si le
Mondial de football aura lieu en 2022 dans ce pays!
200'000 Qataris bénéficient de richesses pharaoniques grâce au travail de 1,8 million d’expatriés:
des spécialistes hautement qualifiés - surtout occidentaux - et des dizaines de milliers d’employés
asiatiques et africains actifs dans la construction, l’hôtellerie et les services, pour y effectuer les
travaux les plus humbles. Amnesty International a d'ailleurs dénoncé l'exploitation des travailleurs
migrants sur les chantiers de construction pour le Mondial, parlant même dans certains cas de
"travail forcé". Toute la richesse que l'on voit à la télévision n’est qu’un mirage pour ceux qui sont
pauvres, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.
Apic: Comment vivent les chrétiens sur place ?
Roberto Simona: J'ai rencontré des dizaines de ces personnes, parmi les milliers qui fréquentent
quotidiennement le complexe des églises. On a l’impression de se trouver dans un grand centre
commercial. Des gens vont à l’église, d’autres se précipitent dans des salles pour se retrouver en
groupes: tamouls, malayalams, maronites… Des enfants suivent des cours de catéchèse, des
groupes font des processions sur la place centrale.
On vient sur ce campus pour rencontrer des prêtres, pour se distraire, car la vie est dure et
monotone, faite d’allers et retours entre lieux de travail et d’habitation. Une ville dans le désert
n’offre pas beaucoup de distractions, surtout pour ceux qui n’ont pas les moyens de fréquenter les
hôtels de luxe, les restaurants ou les "malls" de Doha. La ville est un lieu de travail, mais l’homme
est avant tout un être qui a besoin de relations sociales, m'a confié Mgr Camillo Ballin, vicaire
apostolique d’Arabie du Nord. L’ennui, la crainte d’une expulsion, le sentiment d’insécurité, font du
complexe des églises le seul lieu où retrouver une sérénité quotidiennement mise à l’épreuve.
RS/JB
Chrétiens au Qatar, une vie à l'ombre de la richesse
Anan (*) vit au Qatar depuis dix ans. C’est un de ces milliers de "faux célibataires", souligne un
frère capucin. Sa femme vit aux Philippines avec leurs cinq enfants. Les 200 dollars qu’il reçoit - il
est engagé dans une entreprise de nettoyage – représentent une somme qu’il ne pourrait jamais
gagner dans son pays. Mais la dureté des conditions de vie lui fait parfois douter du sens de ce
sacrifice. Souvent il ne dort plus la nuit, par peur que son patron ne l’expulse à tout moment. Mieux
vaut se taire et accepter tout ce que le patron exige de lui. Cela fait plus de cinq ans qu’il ne voit sa
famille que sur skype.
Seuls les expatriés qualifiés ont droit au regroupement familial. Nombreux sont ceux qui ne
tiennent pas le coup et se réfugient dans la drogue, la prostitution ou l’alcool, avec tous les risques
que cela comporte dans un pays où l’islam est religion d’Etat, commente Roberto Simona.
D’origine libanaise, Samir est né au Qatar. Il a 25 ans et est informaticien. Mais il ne pourra jamais
acquérir la nationalité qatarienne, d’autant moins qu’il est chrétien. A l’âge de 60 ans, tous les
expatriés doivent quitter le pays, à moins d’être assez fortunés pour ouvrir une entreprise sous le
patronage d’un Qatari. Samir veut croire que les choses vont changer dans les pays du Golfe.
Rachid est un entrepreneur pakistanais converti au christianisme. Il est allé en Inde pour recevoir
le baptême. Dans la Péninsule arabique, l’Eglise ne convertit pas les musulmans, la loi l’interdit.
Rachid a décidé de vendre son entreprise, il pense devenir religieux, en Inde. La ferveur de cette
foule chrétienne qui se réunit pour prier dans le complexe des églises l’a conduit à se convertir. "Il
n’y a eu aucune forme de prosélytisme ou d’approche directe de la part des prêtres ou de
quiconque", me confie Rachid. Tout simplement la foi de ces innombrables fidèles et la
compassion qu’il a ressentie pour eux. (apic/rs/be)
(*) Prénoms fictifs