Sociologie des comportements politiques Séance n°2 Le vote et la

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Sociologie des comportements politiques Séance n°2 Le vote et la
Sociologie des comportements politiques
Séance n°2
Le vote et la non-participation électorale
L'ABSTENTION : DÉFICIT DÉMOCRATIQUE OU VITALITÉ
POLITIQUE ?
Anne Muxel
Le Seuil | Pouvoirs
2007/1 - n° 120
pages 43 à 55
ISSN 0152-0768
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Muxel Anne , « L'abstention : déficit démocratique ou vitalité politique ? » ,
Pouvoirs, 2007/1 n° 120, p. 43-55. DOI : 10.3917/pouv.120.0043
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L’ A B S T E N T I O N :
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L
ES JOURS D’ÉLECTIONS, LE NIVEAU DE L’ABSTENTION
est fébrilement attendu et constitue un préalable à tout commentaire.
Comme un baromètre, il est un indicateur du climat de l’opinion,
du lien entre les citoyens et leur représentation politique, et plus largement de l’état de santé du système démocratique. Son augmentation
régulière au fil des élections depuis une vingtaine d’années en France
comme dans nombre de pays européens interpelle analystes, commentateurs et acteurs de la vie politique. Sur la scène électorale française, si
l’on compare le début des années 2000 aux années 1970, elle progresse
quels que soient les scrutins : + 12,6 points pour la présidentielle,
+ 7,8 points pour les municipales, + 16,9 points pour les législatives,
+ 18,9 points pour les européennes1. Et même l’élection présidentielle,
élection reine de la Ve République, qui est traditionnellement la plus
mobilisatrice, a été délaissée par plus du quart du corps électoral en
2002 : 27,8 % des inscrits se sont abstenus au premier tour ; sept ans
plus tôt, en 1995, ils n’étaient que 20,6 % dans ce cas, et, en 1988, seulement 18,6 %. Dix points d’augmentation en dix ans.
La France n’est pas le seul pays concerné par le phénomène. À
des degrés divers, la désaffection électorale touche nombre de démocraties occidentales. Mark N. Franklin, examinant l’évolution de la
participation électorale dans vingt-deux d’entre elles sur une longue
période – de 1945 à nos jours –, constate qu’elle a chuté en moyenne de
1. Pierre Bréchon, La France aux urnes. 60 ans d’histoire électorale, La Documentation
française, 2004.
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L’ampleur et la généralité du phénomène soulèvent une question,
d’autant plus que les facteurs censés faire reculer l’abstention, tels que
l’augmentation du niveau d’instruction ou encore la montée des classes
moyennes, se diffusent dans l’ensemble des démocraties occidentales.
Les écarts de participation entre diplômés et non-diplômés tendraient
à se réduire. Cette évolution remet en partie en cause les modèles
sociologiques classiques d’interprétation de l’abstention, au sein desquels les rôles joués par le diplôme, le statut socio-économique et les
conditions d’insertion sociale des individus étaient déterminants. Ainsi
les femmes, les non-diplômés, les populations urbaines, les jeunes
aussi se comptaient en plus grand nombre dans les rangs des abstentionnistes. Ce modèle est toujours vrai pour une part, mais il ne permet ni d’expliquer la diffusion du phénomène ni, non plus, de cerner
toutes les significations de ce comportement. 45 % des Français reconnaissent s’être déjà abstenus3. Il faut chercher d’autres modèles explicatifs qui ressemblent de plus en plus aux pièces d’un puzzle complexe.
C’est ainsi qu’a été relancé l’intérêt pour les modèles dits du « choix
rationnel » ou pour les facteurs politiques et institutionnels, privilégiant l’importance des données contextuelles ou encore cherchant à
mettre en lumière un nouveau type de comportement électoral.
LES
ABSTENTIONNISTES, UN GROUPE HÉTÉROGÈNE
L’abstention progresse quel que soit le niveau d’implication politique
des électeurs. Ainsi peut-elle faire l’objet d’une même réponse de la part
des plus éloignés de la sphère politique comme des plus impliqués. Le
lit d’un abstentionnisme d’indifférence se creuse. Parmi les électeurs
déclarant s’intéresser peu ou pas du tout à la politique, le choix abstentionniste progresse de 10 points de 1995 à 2002 (35 % contre 25 %).
Mais, dans le même temps, le retrait électoral gagne aussi du terrain
parmi des électeurs qui témoignent pourtant d’une proximité envers
2. Mark N. Franklin, Voter Turnout and the Dynamics of Electoral Competition in
Established Democracies Since 1945, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
3. Baromètre CIDEM 2006.
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5,5 points2. La participation aux élections européennes dans l’ensemble
des pays de l’Union enregistre en moyenne une chute de près de
14 points en l’espace de vingt-cinq ans, alors même que les prérogatives
et les pouvoirs du Parlement européen ne cessent de se développer.
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un parti politique : plus d’un abstentionniste sur trois reconnaît se sentir
proche d’un parti politique (36 % contre 25 % seulement en 1995)4.
L’analyse de l’abstention ne peut s’en tenir à des explications simples
ou à des causalités univoques. Et bien que certaines logiques sociales,
politiques ou institutionnelles aient été mises au jour, elles ne peuvent
suffire à elles seules à expliquer ce type de comportement. Les abstentionnistes ne constituent pas un bloc homogène ni d’un point de
vue sociologique ni d’un point de vue politique. L’abstention doit être
interprétée à partir de multiples dimensions d’analyse, prenant en
compte des paramètres contextuels et individuels, relevant à la fois de
la sphère collective et sociale et de la sphère personnelle et privée.
À en croire les théories économiques et consuméristes du vote, au
vu des bénéfices escomptés, l’électeur aurait toutes les bonnes raisons
de s’abstenir plutôt que de voter. Et l’on aurait moins à s’interroger
sur les défaillances de la participation électorale que sur les motivations
de l’acte de voter. Certains résultats d’enquête donneraient raison à ce
constat. À la veille du 1er tour de l’élection présidentielle de 2002, 80 %
des Français pensent que le résultat de l’élection ne permettra que peu
ou pas du tout d’améliorer les choses en France5. Cette grille d’interprétation n’est donc pas sans pertinence et trouverait même certaines
justifications aptes à contrer les prévisions les plus pessimistes sur
l’ampleur actuelle de la crise de la représentation politique. Mais elle
ne peut satisfaire la norme démocratique à partir de laquelle s’établit
notre modèle de citoyenneté, où prévalent les notions de responsabilité
et d’engagement. Le fait même que l’inscription sur les listes électorales
ait résulté jusqu’à une date récente en France (1997) d’une démarche
volontaire est révélateur de cette conception entraînant une réelle implication de l’individu citoyen. Dans ce modèle hérité des Lumières et du
« contrat social », voter est un droit, mais aussi un devoir engageant la
conscience de l’individu nécessairement lié à l’intérêt général et à la destinée de la communauté. Cette injonction pèse encore lourdement sur
le comportement des électeurs (on compte tout de même davantage de
votants que d’abstentionnistes), mais aussi sur la conscience des abstentionnistes qui ont toujours une certaine réticence à avouer et à assumer
leur choix, ce qui rend la prévision de l’abstention dans les sondages
4. Pour une analyse plus détaillée de ces différents types d’abstentionnisme lors de l’élection présidentielle de 2002, on peut se reporter à Anne Muxel, « La poussée des abstentions :
protestation, malaise, sanction », in Pascal Perrineau et Colette Ysmal (dir.), Le Vote de tous
les refus. Les élections présidentielle et législatives de 2002, Presses de Sciences Po, 2003.
5. Donnée du Panel électoral français, CEVIPOF, 2002.
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pré-électoraux très incertaine. En effet, 92 % des Français interrogés
considèrent que « voter est un devoir qu’il faut accomplir parce que
c’est important6 ».
Dans ce modèle, contrairement à celui des pays où le vote est obligatoire, le vote doit rester un acte libre, engageant la responsabilité d’un
citoyen éclairé. En conséquence, s’abstenir est donc aussi un droit.
Et un droit dont les électeurs font un usage de plus en plus fréquent,
quel que soit leur âge, leur position sociale ou leur camp politique. La
réponse électorale de l’abstention ne peut être seulement considérée de
façon négative, ou comme le signe d’un déficit démocratique. Parce
qu’elle donne la possibilité d’un écart à la norme civique, parce qu’elle
pèse de fait sur le jeu politique, parce qu’elle oblige les candidats
comme les forces politiques à considérer la part d’indifférence comme
la part de mécontentement qu’elle exprime, elle est au fondement même
du pacte démocratique. Même dans les pays où le vote est obligatoire,
on observe une augmentation du nombre des abstentionnistes ainsi que
des votes blancs et nuls. On retrouve donc bien, là aussi, même s’il
s’agit de comportements moins répandus que dans les pays où le nonvote est autorisé, ce besoin d’un écart par rapport à la norme civique.
La diffusion du phénomène contribue à redéfinir les modalités de la
participation politique. Il faut donc chercher à en comprendre le sens
et la place dans l’évolution d’ensemble des systèmes démocratiques.
L’abstention ne peut être interprétée seulement comme un symptôme,
comme un manque, comme un déficit. Elle participe pleinement aux
transformations des formes contemporaines de politisation et d’expression démocratique et au mouvement de recomposition des attributs de la
citoyenneté moderne. Car comment interpréter autrement l’augmentation constante des retraits de la décision électorale observés alors même
que l’acte de voter est au cœur de la représentation politique, et que les
électeurs s’y montrent viscéralement attachés? Comment comprendre ce
désistement, et tout particulièrement dans les jeunes générations, alors
même que les citoyens sont plus éduqués, plus informés et globalement
plus compétents pour appréhender les enjeux comme les ressorts d’une
élection ? Ce désengagement signe-t-il seulement un repli et une apathie
politiques d’électeurs se détournant de la scène collective et désertant
leurs droits civiques, ou bien n’est-il pas plutôt significatif d’un nouveau
type de comportement et de modèle de citoyenneté ?
6. Baromètre du CIDEM 2006.
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FORME
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Si les électeurs restent dans leur ensemble attachés aux institutions
politiques et aux rouages de la démocratie représentative ils sont
néanmoins critiques à leur endroit, moins confiants et plus sceptiques
quant à leur efficacité, et développent des formes de participation plus
protestataires. Pour 79 % des Français, il est « extrêmement » et « très
important » que les gens votent régulièrement aux élections pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie, mais, pour 62 % d’entre
eux, il est aussi « extrêmement » et « très important » que les gens manifestent pour défendre leurs revendications. Les jeunes générations sont
encore plus fréquemment acquises à cette dernière nécessité que leurs
aînés : 68 % des 18-24 ans contre 48 % des 65 ans et plus reconnaissent
l’importance de la manifestation7.
La « démocratie d’élection » s’est quelque peu érodée et si l’on est
passé, selon les mots de Pierre Rosanvallon, «d’une démocratie politique
“polarisée” à des formes de “démocratie civile” plus disséminées »,
d’autres formes de l’activité politique se sont quant à elles raffermies
telles que la « démocratie d’expression », la « démocratie d’implication »
ou encore la « démocratie d’intervention ». Le vote ne les contient plus,
comme par le passé, à lui tout seul8. Le devoir de voter n’est pas remis
en cause, mais il obéit à un impératif moral et social moins fort qu’avant.
Dans un climat de relative désinstitutionnalisation de la politique et
de plus grande individualisation des choix et des convictions personnelles, le droit de ne pas voter acquiert aussi une certaine légitimité. Et
l’abstention ne peut être interprétée seulement comme une indifférence
et une panne de civisme. Par ailleurs, l’idée d’une participation directe
des citoyens a aussi gagné en légitimité. Les actions protestataires,
les manifestations de rue, la signature de pétitions, les mouvements
antimondialisation ont beaucoup augmenté non seulement en nombre
mais aussi en poids et en influence sur les décisions politiques. Cette
démocratie participative s’est peu à peu affranchie des bannières syndicales ou partisanes. À l’heure de l’individuation des pratiques sociales,
7. Se reporter à l’ouvrage collectif de Gérard Grunberg, Nonna Mayer et Paul M.
Sniderman (dir.), La Démocratie à l’épreuve. Une nouvelle approche de l’opinion des Français,
Presses de Sciences Po, 2002.
8. Pierre Rosanvallon, « Le mythe du citoyen passif », Le Monde, 20-21 juin 2004.
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L’ A B S T E N T I O N C O M M E N O U V E L L E
D’EXPRESSION POLITIQUE
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en participant à ce type d’actions, certains même peuvent se sentir
davantage citoyens et plus engagés qu’au travers de l’usage classique
de la médiation politique des partis et de la délégation de mandat
octroyé par leur vote. La participation politique se fait aujourd’hui à
partir de plusieurs scènes d’expression citoyennes et de plusieurs répertoires d’action : le vote, l’abstention et la manifestation. C’est à partir
d’un usage combiné de la démocratie représentative et de la démocratie
participative que de plus en plus de citoyens se font entendre. Et
l’abstention joue de plus en plus un rôle décisif.
Les raisons de s’abstenir sont multiples et se combinent souvent entre
elles. Elles relèvent de logiques à la fois collectives et individuelles. Il
faudrait ainsi pouvoir départager les facteurs institutionnels – mode de
scrutin, type d’élection ou encore calendrier électoral – et les facteurs
structurels renvoyant aux caractéristiques sociologiques des individus
– niveau d’études, type d’intégration sociale, critères socio-démographiques – pour se faire une idée claire de ce qui a pu fixer le niveau de
l’abstention à une élection donnée. Il faudrait aussi pouvoir mettre au
jour les facteurs à proprement parler politiques, directement liés aux
circonstances et au contexte de telle ou telle élection – compétition entre
les candidats, rôle des campagnes, positionnement des partis, nature des
enjeux de l’élection –, pour apprécier toute la portée qu’ils peuvent avoir
sur la décision de rester en dehors du choix électoral.
Le plus souvent, ce sont les effets entrecroisés et cumulés de toutes
ces circonstances qui participent à la dynamique de l’abstention, et il
reste très difficile de les démêler.
DEUX
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Néanmoins, dès lors que l’on privilégie la compréhension des logiques
individuelles, on peut tenter de différencier des profils d’abstentionnistes selon leurs caractéristiques sociologiques et leur rapport à la
politique. Ainsi peut-on distinguer ceux qui, en se mettant hors de
la décision électorale, sont aussi « hors jeu » politiquement de ceux qui,
bien que ne participant pas à l’élection, inscrivent leur décision « dans
le jeu » politique9. Les premiers se comptent en plus grand nombre
dans les couches populaires, disposant d’un faible niveau d’instruction,
parmi des catégories en difficulté d’insertion sociale, ainsi que dans
9. Anne Muxel, art. cit.
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les populations urbaines. Les seconds sont plutôt jeunes, diplômés
et mieux insérés socialement. Les « hors jeu » ne s’intéressent pas à la
politique, ne se sentent proches d’aucun parti, et restent loin de toute
forme de participation et d’implication politiques, tandis que les
seconds sont politisés, en ce sens qu’ils se déclarent intéressés par la
politique et se situent sur l’échiquier partisan. Le non-vote des premiers signe un détachement et un désinvestissement de la scène politique, celui des seconds cherche à peser et à exprimer une sanction à
l’adresse des candidats et des partis en lice.
Les abstentionnistes « hors du jeu » politique ont trop de problèmes
individuels pour investir la scène collective et peuvent se sentir incompétents. Mais surtout, ils sont davantage porteurs que les autres d’un
refus et d’une contestation de la société telle qu’elle est. L’ordre constitue l’une de leurs valeurs de référence forte en même temps qu’un
certain anti-étatisme. Plutôt fermés aux autres, aux étrangers, mais
aussi à leur voisinage, ces abstentionnistes adhèrent nettement moins
que la moyenne de la population à l’action collective, et ce même s’ils
se déclarent en plus grand nombre que les autres favorables à un changement complet de société. Globalement, les « hors jeu » sont des
contestataires qui peuvent être sensibles au populisme d’extrême
droite. Ce type d’abstentionnisme s’inscrit dans une logique de refus
du système social comme du système politique tandis que l’abstentionnisme « dans le jeu » participe moins d’une contestation diffuse que
d’une insatisfaction face à l’offre électorale proposée. Le retrait de ces
derniers est un symptôme visible de la crise de la représentation politique, dont on peut penser que bien qu’elle persiste depuis une bonne
vingtaine d’années, elle est circonstancielle et périodique. Le comportement des « hors jeu » relève quant à lui de ressorts plus structurels
liés à des phénomènes d’exclusion à l’œuvre dans la stratification
sociale. Ces deux types d’abstentionnisme ne contribuent pas de la
même façon à la dynamique du phénomène.
Lors de l’élection présidentielle de 2002, les abstentionnistes « dans
le jeu » ont représenté les deux tiers de l’ensemble des abstentionnistes,
ce qui est un changement dans le paysage de l’abstention. En 1995, la
répartition entre les « hors jeu » et les « dans le jeu » apparaît plus équilibrée. On dénombrait à l’époque 8 % d’abstentionnistes relevant de la
première catégorie et 12,5 % de la seconde10. En 2002, alors que la part
10. Enquête post-électorale du CEVIPOF, réalisée par la SOFRES au lendemain de l’élection
présidentielle de 1995.
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des abstentionnistes « hors jeu » reste relativement stable (8,5 %, soit
une augmentation de 0,5 point par rapport à 1995), les abstentionnistes
« dans le jeu » progressent de façon significative (18,7 %, soit une augmentation de 6,2 points)11. Cette poussée différentielle des usages de
l’abstention signe bien une volonté de sanction politique, la généralisation d’un malaise par rapport aux programmes et aux candidats. Et
c’est la part de l’abstention « dans le jeu » qui participe au mouvement
général d’affaiblissement de la participation électorale.
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La diffusion de l’abstention dans le jeu politique a pour corollaire
l’instauration d’un usage différent de l’acte de vote privilégiant un
comportement intermittent. Alors que les abstentionnistes « hors jeu »
font preuve d’un retrait plus systématique et constant, les abstentionnistes « dans le jeu », parce qu’ils expriment, avant toute autre chose,
une sanction liée à la conjoncture de la compétition électorale et aux
programmes des candidats, font un usage alterné du vote et du nonvote. Cette alternance revêt, pour un nombre de plus en plus significatif d’électeurs, un sens politique.
Le dispositif du panel électoral mis en place par le CEVIPOF, le CIDSP
et le CECOP permet de mener une observation tout au long de la
séquence électorale du printemps 2002, et tout particulièrement d’en
saisir la dynamique dans les trajectoires des électeurs12. Il permet de
mettre au jour un certain nombre de phénomènes ou d’enchaînements
habituellement difficiles à observer. Ainsi les passages et les formes
d’articulation entre l’abstention et le vote peuvent être observés de
façon fine. La reconstitution des itinéraires électoraux montre une
différenciation non seulement dans le rapport au vote, mais aussi dans
l’orientation politique privilégiée par les deux groupes. La reconstitu11. Panel électoral français, CEVIPOF / CIDSP / CECOP, 2002. Il s’agit d’une enquête électorale en trois vagues, d’avril à juin 2002. La première a été effectuée du 8 au 20 avril en face à
face auprès de 4 107 individus représentatifs des électeurs inscrits, suivant la méthode des quotas. La deuxième, du 15 au 31 mai a été réalisée par téléphone (CATI), auprès de 4 017 individus, et la troisième, du 20 au 28 juin, par téléphone aussi, auprès de 2 013 individus. L’un des
objectifs de cette enquête était la constitution d’un panel permettant de suivre le comportement électoral des mêmes individus tout au long des trois vagues. L’échantillon panélisé est
constitué de 1 417 personnes ayant répondu aux trois vagues d’enquête.
12. Panel électoral français, CEVIPOF / CIDSP / CECOP, 2002.
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INTERMITTENT
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tion des votes au second tour de l’élection présidentielle de 1995 fait
apparaître une certaine constance dans le retrait électoral des abstentionnistes « hors jeu » du 21 avril 2002 : la moitié d’entre eux s’était déjà
abstenue ou déclare avoir voté blanc ou nul sept ans auparavant (49 %)
alors que cette répétition ne concerne plus qu’un quart des abstentionnistes « dans le jeu » (26 %). On peut donc supposer que la pratique
intermittente du vote soit davantage le fait des abstentionnistes « dans
le jeu »13. Le remords de ces derniers après le résultat du 21 avril est
aussi révélateur du caractère conjoncturel et politique de leur usage
intermittent du vote et du non-vote. Alors que 85 % des votants et
78 % des abstentionnistes « hors jeu » déclarent qu’ils referaient le
même choix, les abstentionnistes « dans le jeu » ne sont plus qu’une
petite moitié dans le même cas (49 %), et 40 % d’entre eux déclarent
qu’ils voteraient pour Lionel Jospin (contre 30 % des « hors jeu »).
Leur appréciation à l’égard de la multiplication des candidatures,
nettement plus négative, participe de ce même remords : 65 % d’entre
eux pensent que c’était une mauvaise chose (contre 55 % des « hors
jeu »). Enfin, ils se montrent beaucoup plus mécontents de l’élimination de Lionel Jospin après le premier tour (53 % contre 44 %)14.
En France, l’abstention systématique est relativement faible et
stable. Elle est passée de 11 % en 1995 à 13 % en 200215. Si l’on ajoute
environ les 5 % de personnes non inscrites sur les listes électorales, ce
sont à peine deux Français sur dix qui restent totalement à l’écart de
la décision électorale16. C’est donc la part des abstentionnistes intermittents qui s’est accrue au fil du temps pour créer un déficit de
votants. Entre 1995 et 2002, on observe une baisse assez nette de la
participation régulière : dénombrés sur l’ensemble de la séquence
électorale de la présidentielle et des législatives en 2002, seuls 47 %
des inscrits ont voté systématiquement aux quatre tours de scrutins ;
en 1995, lors de la présidentielle et des élections municipales, ils
étaient 55 % dans le même cas. Un électeur sur cinq a participé a tous
les scrutins sauf un en 2002 (19 %), 13 % ont voté deux fois et 7,2 %
13. Anne Muxel, art. cit.
14. Ibid.
15. Alain Desesquelles, INSEE Première, n° 997, décembre 2004.
16. Depuis l’instauration, en 1997, de l’inscription automatique des jeunes en âge de voter
sur les listes électorales, le nombre des non-inscrits sur les listes électorales a chuté environ de
moitié. Jusqu’à cette date l’on comptait un volant assez constant de 10 % de non-inscrits.
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UNE
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La perplexité devant les choix à faire pèse de plus en plus sur l’ensemble des décisions électorales et apparaît cruciale dans l’explication
de l’importance prise par l’abstention. Le nombre d’électeurs déclarant
avoir fait leur choix dans les jours précédant l’élection, voire le jour
même du scrutin ne cesse d’augmenter. Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2002, quatre Français sur dix déclarent n’avoir
choisi leur candidat que dans la période récente : 21,4 % se sont décidés
au cours même de la campagne et 20,6 % ont hésité jusqu’au dernier
moment19. La perplexité qui caractérise le choix électoral se retrouve
aussi en ce qui concerne le choix de l’abstention. Et le passage du vote
au non-vote est de plus en plus poreux et fluctuant.
Si l’on reprend la séquence électorale du printemps 2002, la reconstitution des trajectoires des intentions de vote déclarées à la veille du
premier tour du scrutin met en évidence une attrition du soutien de la
gauche au profit de la réponse abstentionniste, tout particulièrement
parmi les jeunes électeurs. 37 % des 18-25 ans qui déclaraient avant le
premier tour une intention de vote pour un candidat de la gauche plurielle se sont en bout de course abstenus le 21 avril (26 % des 25-30 ans
et 27 % de l’ensemble des enquêtés dans la même disposition). Il
17. François Clanché, « La participation électorale au printemps 2002. De plus en plus de
votants intermittents », INSEE Première, n° 877, janvier 2003.
18. Enquête post-élections européennes 2004, Eurobaromètres, Commission européenne,
juillet 2004.
19. Panel électoral français, op. cit.
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une seule fois17. Le retrait systématique aux quatre tours de scrutin du
printemps 2002 n’a concerné que 13 % du corps électoral.
Ce comportement intermittent se retrouve dans bien d’autres pays
en Europe. Une enquête post-électorale conduite dans les vingt-cinq
pays de l’Union juste après les élections européennes de juin 2004 fait
apparaître des éléments similaires18. Si quatre Européens sur dix (40 %)
se présentent comme des électeurs réguliers, ayant voté à la fois au dernier scrutin législatif dans leur pays et au scrutin européen, on
en dénombre toutefois trois sur dix (30 %) qui se sont abstenus pour
les européennes alors qu’ils avaient voté aux dernières législatives.
Seuls un peu plus de deux Européens sur dix (23 %) se sont abstenus
lors des deux scrutins.
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semble que l’hésitation ait en fin de parcours joué en défaveur de
Lionel Jospin comme de la gauche plurielle. Nombre de ces jeunes qui
leur étaient pourtant acquis ont choisi au dernier moment de s’abstenir. Cette rétractation par rapport à leur position originelle, à laquelle
s’ajoute celle exprimée par leurs aînés, a incontestablement pesé sur les
résultats du 21 avril.
Leur hésitation est caractéristique des ressorts de l’abstentionnisme
« dans le jeu » politique décrit précédemment, particulièrement présent
au sein des jeunes générations. En bien des points ils sont proches des
jeunes qui ont voté, mais un défaut de conviction face aux enjeux de
l’élection semble l’avoir emporté.
Comparés à ceux qui ont participé au scrutin, les jeunes abstentionnistes s’intéressent moins à la politique (30 % contre 56 % des jeunes
votants) et se montrent encore plus distants à l’égard du jeu partisan
(11 % seulement se disent proches d’un parti politique contre 26 % des
jeunes votants). Ils accusent davantage que les votants des signes de
malaise face à une société dont ils jugent plus sévèrement les dysfonctionnements : 42 % d’entre eux ont le sentiment de vivre moins bien
qu’avant (33 % des jeunes votants) et 48 % estiment que la démocratie
en France fonctionne mal (40 % des jeunes votants). Mais sur nombre
d’appréciations concernant la situation politique ils se montrent plus
proches des jeunes votants que de leurs aînés abstentionnistes. Ainsi le
niveau de leur défiance politique joue-t-il à part égale, mais aussi leur
perception de la dispersion des candidatures au premier tour de l’élection, pourtant responsable de l’élimination de Jospin : 49 % des jeunes
votants et 47 % des jeunes abstentionnistes estiment que la présence
de seize candidats était plutôt une bonne chose (38 % seulement de
l’ensemble des votants et 36 % de l’ensemble des abstentionnistes). Ce
résultat laisse supposer que leur hésitation se portait davantage sur les
contenus et les enjeux programmatiques que sur l’offre pourtant diversifiée de candidats. Ce sont les réponses politiques et partisanes face aux
enjeux de l’élection, plus que les candidats eux-mêmes, qui ont suscité
un défaut de conviction.
Le poids de cet abstentionnisme de perplexité se retrouve aussi à
l’échelle européenne. Nombre d’abstentionnistes lors du dernier scrutin européen de 2004 auraient pu être comptabilisés parmi les votants.
Ainsi la part des abstentionnistes s’étant décidés au dernier moment,
quelques semaines ou quelques jours avant l’élection, voire le jour
même, est prépondérante, et concerne plus d’un électeur sur deux
(53 % des abstentionnistes dans l’ensemble des 25 pays de l’Union
53
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L’ A B S T E N T I O N
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54
M U X E L
européenne), la part des abstentionnistes systématiques restant faible,
un cinquième seulement (21 %)20.
L’analyse des trajets électoraux fait apparaître que plus des deux tiers
des électeurs (67 %) ayant voté aux dernières législatives dans leur
pays et s’étant abstenus lors du scrutin européen ont pris la décision de
rester en dehors du jeu électoral dans les semaines et les jours qui ont
précédé l’élection, voire le jour même pour près du tiers d’entre eux
(28 %). Ces chiffres permettent de penser que si les enjeux s’imposent
avec plus de clarté et si le jeu politique européen arrive à s’articuler
davantage avec le jeu politique national, alors nombre de ces abstentionnistes se remettront à participer au scrutin. Cela apparaît d’autant
plus probable que cet abstentionnisme de perplexité (last minute non
voting) n’apparaît pas lié au degré de politisation des individus, et se
présente même comme une réponse fréquente parmi ceux qui peuvent
déclarer une proximité partisane : 51 % des abstentionnistes se déclarant
très proches d’un parti politique se sont décidés dans les semaines ou les
jours qui ont précédé l’élection, ou le jour même, soit une proportion
similaire à celle que l’on enregistre parmi ceux qui ne se sentent proches
d’aucun parti politique (49 %).
VERS
UN NOUVEAU MODÈLE DE CITOYENNETÉ
Qu’elle aboutisse au vote ou à l’abstention, la décision électorale apparaît donc soumise à des aléas de plus en plus difficiles à prévoir et
à contrôler. Dans la dynamique des générations, un nouveau modèle
de comportement électoral semble s’imposer, régi par une volatilité
importante (si 60 % des votants âgés de 55 ans et plus reconnaissent
être fidèles à leurs votes précédents, ils ne sont plus que 35 % parmi
les 18-24 ans et 48 % parmi les 25-34 ans dans ce cas), et par une profonde perplexité (si 15 % des 55 ans et plus reconnaissent s’être décidés
quelques jours avant l’élection ou le jour même, on en compte le
double dans ce cas parmi les 18-24 ans, soit 31 %). Dans la dynamique
des générations, ce sont d’autres usages qui sont en train de façonner
les contours de la décision électorale, et plus largement de l’expression
démocratique. Mais le phénomène peut-être le plus significatif, se
généralisant à tous les âges et dans toutes les couches de la société, tient
à la volatilité de la décision des abstentionnistes. Lors du scrutin euro20. Enquête post-élections européennes 2004, Eurobaromètres, Commission européenne,
juillet 2004.
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A N N E
L’ A B S T E N T I O N
péen de 2004, 38 % de ceux qui sont restés en retrait de l’élection ont
fait ce choix au dernier moment.
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55
R É S U M É
L’abstention progresse quel que soit le type d’élection, en France comme dans
nombre de pays européens. La diffusion du phénomène contribue à redéfinir les modalités de la participation politique et les attributs de la citoyenneté moderne. Si le retrait systématique de la décision électorale apparaît
relativement stable, on observe en revanche une augmentation significative
d’un rapport intermittent au vote, et donc à l’abstention. L’alternance entre
vote et non-vote est de plus en plus la règle, et ce dernier est de plus en plus
souvent instrumentalisé à des fins de sanction politique.
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Cette plus grande réversibilité de l’acte électoral participe d’un vrai
changement venant affecter l’imposition normative du devoir de voter.
Elle participe à la redéfinition de la place du vote comme de celle de
l’abstention dans la palette des outils démocratiques. Seule la généralisation de l’abstention « hors jeu » marquerait une vraie crise de la
démocratie et pourrait mettre sérieusement en danger la légitimité du
système représentatif. Mais l’abstention « dans le jeu » qui est intermittente et politique peut être au contraire l’expression d’une certaine
vitalité démocratique.
LA PARTICIPATION ÉLECTORALE : UN DÉFICIT INÉGALÉ
Anne Muxel
De Boeck Université | Revue internationale de politique comparée
2009/4 - Vol. 16
pages 569 à 581
ISSN 1370-0731
Article disponible en ligne à l'adresse:
http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2009-4-page-569.htm
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Muxel Anne , « La participation électorale : un déficit inégalé » ,
Revue internationale de politique comparée, 2009/4 Vol. 16, p. 569-581. DOI : 10.3917/ripc.164.0569
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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 16, n° 4, 2009
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LA PARTICIPATION ÉLECTORALE : UN DÉFICIT INÉGALÉ
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Seuls quatre Européens sur dix ont participé aux élections européennes de 2009.
Par rapport à 2004, l’abstention a encore progressé d’un peu plus de deux points.
Une nouvelle fois, les abstentionnistes forment le premier parti européen. L’abstention ne peut être analysée ni comme un phénomène linéaire ni comme un comportement homogène. Des facteurs à la fois sociologiques, institutionnels, et politiques
entrent en ligne de compte. Par ailleurs elle s’inscrit dans un mouvement de transformation du rapport au vote. Mais son ampleur signe avant toute autre chose l’européanisation d’un enjeu crucial pour la réalisation de l’Europe politique :
l’information et l’éducation à la citoyenneté européenne.
On s’y attendait, mais la confirmation du record d’abstention lors de ces
septièmes élections européennes depuis leur coup d’envoi en 1979 mérite
que l’on s’interroge sur l’ampleur de cette défection. Seuls quatre Européens sur dix ont participé au scrutin. Les six autres ont boudé les urnes et
ont fait entendre une voix blanche, silencieuse. Par rapport à 2004, cette
Europe muette a progressé d’un peu plus de deux points. En trente ans, soit
l’espace d’une génération, le poids des abstentionnistes n’a cessé de se renforcer, s’imposant comme la première force politique dans la plupart des
pays de l’Union où le vote n’est pas obligatoire. Une nouvelle fois, les abstentionnistes forment le premier parti européen. Et du côté des votants, peu
nombreux sont ceux qui ont répondu à l’enjeu réel du scrutin, à savoir, le
renouvellement de leurs représentants au Parlement Européen, acceptant de
reléguer au second plan toute préoccupation d’ordre national. L’Europe
n’arrive pas à rencontrer ses électeurs. En panne d’expression démocratique
de la part de ses citoyens, elle dispose pourtant d’une représentation parlementaire qui ne cesse de gagner en compétence et en pouvoir 1. Comment
interpréter ce nouveau déficit de participation ? Et surtout comment expliquer et comprendre ce hiatus démocratique ? Alors que la réalité de la construction européenne est de plus en plus présente dans la vie quotidienne des
400 millions d’Européens et qu’une grande majorité d’entre eux y sont
1. BERTONCINI Y., CHOPIN T., Élections européennes : l’heure des choix, Notes de la Fondation
Robert Schuman, 2009.
DOI: 10.3917/ripc.164.0569
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Anne MUXEL
570
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Les responsables sont bien identifiés. L’Europe elle-même est la première désignée, trop lointaine, à la fois désincarnée et stigmatisée de tous
les maux qui pèsent sur les réalités nationales. Ses institutions politiques
apparaissent peu lisibles et restent dans l’ensemble peu et mal connues.
L’absence de véritable leadership européen empêche la reconnaissance
d’une appartenance à une entité politique commune. Les formations politiques nationales n’intègrent pas suffisamment ni en termes programmatiques ni en moyens humains la réalité politique européenne. De même que
les medias, à qui l’on reproche leur manque de pédagogie et leur discrétion
sur les sujets européens. Le lien politique à l’Europe est difficile à établir en
l’absence d’un répertoire symbolique et culturel qui n’est ni suffisamment
énoncé ni suffisamment revendiqué, mais aussi dans une situation de relatif
flottement quant aux frontières mêmes du territoire que l’Europe politique
doit embrasser. Le déficit de connaissance reste important et l’éducation à
la citoyenneté européenne est encore à faire. Enfin, l’absence de vraies campagnes comme de vrais enjeux programmatiques de la part des organisations partisanes accentue encore le retrait de la décision électorale. Toutes
ces raisons sont régulièrement invoquées pour expliquer le fossé qui peut
séparer les Européens de leur représentation politique 2.
Avec le temps, l’Europe politique est une réalité qui semble même
s’éloigner des préoccupations des citoyens. Pour prendre l’exemple de la
France, à un mois des élections européennes de 2009, seuls 22 % des Français reconnaissent avoir parlé de ce sujet avec leurs proches au cours de la
semaine écoulée (Baromètre Ifop/Paris-Match, mai 2009). En 2004, à la
même distance du scrutin, cette proportion, déjà faible à l’époque, s’établissait à 27 %. Au vu de ces chiffres, et dans un contexte de si faible intérêt, le
niveau de participation atteint aux élections peut même paraître relativement satisfaisant ! L’interprétation des conséquences démocratiques de
cette abstention départage des avis divergents, entre ceux qui mettent en
avant l’existence d’autres procédés de gouvernance pouvant y suppléer 3 et
2. MAGNETTE P., De l’étranger au citoyen : construire la citoyenneté européenne, Bruxelles, De
Boeck Université, 1997 ; BRECHON P., « L’Europe face au déficit démocratique », Revue politique et
parlementaire, juillet-août 1999 ; DUCHESNE S., FROGNIER A.-P., « Sur les dynamiques sociologiques et politiques de l’identification à l’Europe », Revue française de science politique, volume 52, n°4,
2002 ; CLANET C., Construire une citoyenneté européenne, Toulouse, Presses Universitaires du
Mirail, 2007 ; DELMOTTE F., « La légitimité de l’Union Européenne, une affaire de bons sentiments ?
Réflexions sur l’appartenance à la communauté politique », Revue Internationale de Politique Comparée, volume 15, n°4, 2008, p. 541-554.
3. MAJONE G., « Europe’s Democratic Deficit : A Question of Standards », European Law Journal,
volume 4, n°1, 1998 ; MORAVCSIK A., « In defense of the ‘Democratic Deficit’ : Reassessing the
Legitimacy of the European Union », Journal of Common Market Studies, volume 40, n°4, 2002.
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attachés, la désignation de leurs représentants dans l’hémicycle de Strasbourg
est délaissée. La représentation politique européenne n’est pas considérée
comme un enjeu suffisamment saillant pour susciter un bulletin de vote.
La participation électorale : un déficit inégalé
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On peut en tout cas convenir qu’il faut mobiliser plusieurs registres
d’analyse pour expliquer les raisons de la faiblesse de la participation électorale. Les ressorts sociologiques et les ressorts politiques classiquement
observés dans les études consacrées à l’abstention doivent être démêlés.
Mais s’y ajoutent aussi des composantes relevant des contextes politiques
et institutionnels eux-mêmes et dépendant des situations spécifiques aux
différents pays engagés dans ce scrutin 5. Le paysage de la participation qui
en découle est nécessairement kaléidoscopique. Pour le saisir et comparer
les résultats enregistrés dans les vingt-sept pays qui composent la nouvelle
Union Européenne, il faut non seulement différencier les profils socio-politiques des votants comme ceux des abstentionnistes, mais aussi tenir compte
des spécificités des contextes institutionnels et politiques nationaux. Si les
élections européennes sont, de toutes les élections, celles qui enregistrent
toujours la plus faible participation, elles sont néanmoins les seules à permettre de tenter de démêler la part des déterminations individuelles de
l’électeur et la part des facteurs institutionnels et politiques dans un cadre
comparatif homogène à l’échelle européenne. En cela, elles permettent de
dresser un état des lieux des attitudes et des réponses des Européens face à
l’enjeu spécifique de la composition de leur représentation au Parlement.
Par delà, elles fournissent aussi une indication de l’état de la démocratie
représentative, à un moment donné, dans chacun des pays concernés 6.
Le kaléidoscope européen de la participation
En trente ans, la participation aux élections européennes n’a cessé de reculer. Mobilisant plus de six électeurs sur dix en 1979 (61,9 %), lorsque
l’Union comptait neuf pays, elle n’en compte plus que quatre sur dix en
2009 (43,1 %) dans l’Europe à vingt-sept, enregistrant un recul de 18,8 points.
Par rapport à 2004, la participation a encore baissé de 2,5 points. Plus
l’Union Européenne s’élargit, plus elle concerne un grand nombre d’habitants, moins elle compte proportionnellement d’électeurs. Cette érosion
concerne aussi bien les pays historiquement fondateurs de l’UE (Tableau 1)
4. FOLLESDAL A., HIX S., « Why there is a Democratic Deficit in the EU : a Response to Majone
and Moravcsik », Journal of Common Market, volume 44, n°3, 2006.
5. GREFFET F., « Abstention », in DÉLOYE Y., (dir.), Dictionnaire des élections européennes,
Paris, Economica, 2005.
6. DELOYE Y., (dir.), Dictionnaire des élections européennes, Paris, Economica, 2005 ; DELOYE Y.,
« En guise de conclusion : ce que résister veut dire ou les paradoxes d’une construction européenne face
aux contingences historiques et aux logiques politiques nationales », Revue Internationale de Politique
Comparée, Volume 15, n°4, 2008, p. 679-685 ; REYNIE D., L’opinion européenne en 2009, Paris, Éditions Lignes de repères, 2009.
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ceux qui considèrent que la construction européenne souffre d’un déficit
démocratique problématique sur le long terme 4.
572
Anne MUXEL
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Tendanciellement, la réponse abstentionniste marque donc des points et
l’Europe cherche ses électeurs. Mais le paysage de la participation en 2009
fait apparaître des différences significatives entre les pays. Par rapport aux
élections de 2004, la participation a progressé dans onze pays sur vingt-sept,
dont cinq des pays nouveaux membres.
En dehors des pays où le vote est obligatoire, la participation a progressé en
Suède (+6 points), en Pologne (+4,5 points), au Danemark (+11,7 points), en
Autriche (+3,6 points), en Slovaquie (+2,6 points), en Estonie (+17,1 points),
en Lettonie (+12,3 points).
En revanche, le déficit de votants continue de se creuser en Lituanie (-27,5
points), en Italie (-6,6 points), aux Pays-Bas (-2,5 points), en France (-2,2
points), au Royaume-Uni (-4,0 points), en Hongrie (-2,3 points). On notera
qu’à Chypre et en Grèce, où le vote est pourtant obligatoire, la participation
recule respectivement de -13,1 points et de -10,6 points. Dans sept pays,
l’abstention s’est stabilisée à son niveau de 2004 (Allemagne, Espagne, Portugal, Finlande, Irlande, République Tchèque, Slovénie).
Dans les 12 pays d’Europe centrale et orientale entrés plus récemment, ce
sont à peine quatre électeurs sur dix (38,4 %) qui se sont rendus aux urnes,
soit une hausse de seulement 5 points par rapport aux pays plus anciens. Toutefois, dans certains d’entre eux, la mobilisation apparaît à son niveau le plus
bas : en Slovaquie, elle n’atteint que 19,6 %, en Lituanie, 21 %, en Pologne,
24,6 % ou encore en Roumanie 27,7 %.
Dans les deux pays nouveaux entrants, la Bulgarie et la Roumanie, la
situation est contrastée. Par rapport aux élections européennes de 2007 qui
avaient été organisées suite à leur adhésion, la participation enregistre une
hausse significative dans le premier (+9,7 points) et une baisse dans le second
(-2 points).
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que les pays entrés plus récemment (Tableau 2). Si l’on retient les neufs
pays qui formaient l’UE en 1979, la participation recule en moyenne sur la
période de 6,9 points, et dans nombre d’entre eux souvent de façon importante. Ainsi elle recule de 22,4 points en Allemagne, de 20,1 points en France,
de 21,3 points aux Pays-Bas, ou encore de 20,5 points en Italie. Elle régresse
aussi en Espagne (-22,5 points) et au Portugal (35,6 points) par rapport aux
élections de 1987, après leur adhésion à l’UE. Dans les pays entrés plus
récemment, si les niveaux de participation sont dans l’ensemble relativement faibles, ils se maintiennent néanmoins par rapport à 2004 (-0,1 points
en moyenne) (tableaux 1 et 2).
La participation électorale : un déficit inégalé
573
Tableau 1 : Évolution du taux de participation aux élections européennes
dans les pays de l’ex-Union à Quinze (en %)
Allemagne
65,7 56,8
*
62,3
60
45,2
Autriche
Belgique **
91,4 92,2
90,7 90,7
Danemark
47,8 52,4
46,2 52,9
Espagne
*
43,3
+0,3
67,7 49,4 42,4 46,0
+3,6
91
63
Finlande
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60,7 56,7
48,7 52,7
Royaume Uni
32,3 32,6
36,4 36,4
90,8 90,4
-0,4
50,5 47,8 59,5 +11,7
68,5 54,7 59,1
France
43
45,1
46
+0,9
57,6 30,1 39,4 38,6
-0,8
46,8 42,8 40,6
-2,2
24
38,5 34,7
-3,8
Grèce **
80,5
80
73,2
70,2 63,2 52,6
-10,6
Italie ***
85,6 82,4
81
73,6
69,7 71,7 65,1
-6,6
Irlande
63,6 47,6
68,3
44
50,2 58,6 57,6
-1
Luxembourg ** 88,9 88,8
87,4 88,5
Pays-Bas
47,2 35,6
30
39,3 36,8
-2,5
72,4 51,2 35,5
40
38,6 36,8
+1,8
38,8 37,8 45,5
+7,7
49,5 45,4 45,7
+0.3
57,8 50,6
Portugal
Suède
Moyenne
87,2 91,3
41,6
61,9 58,1
58,4 56,6
* Élections Européennes suivant l’accession à l’Union
** Vote obligatoire ; pays exclu du calcul de la moyenne
*** Italie : le vote est une obligation civique, mais pas d’amendes
Source : Parlement Européen
91
-0,3
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UE 15
Écart
1979 1984 1987 1989 1994 1995 1996 1999 2004 2009 2009 /
2004
*
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Élections européennes
de 2004 ou 2007*
Élections européennes
de 2009
Écarts
2004/2009
Malte
82,4
78,8
-3,6
Chypre
71,2
59,4
-11,8
Lituanie
48,4
21
-27,4
Lettonie
41,4
53,7
+12,3
Hongrie
38,5
36,2
-2,3
Rép. Tchèque
28,3
28,2
-0,1
Slovénie
28,3
28,4
+0,1
Estonie
26,8
43,9
+17,1
Pologne
20,9
24,6
+3,7
Slovaquie
17
19,6
+2,6
Bulgarie*
29,2
38,9
+9,7
Roumanie*
29,4
27,7
-1,7
Moyenne
38,4
38,4
-
* En Roumanie et en Bulgarie les dernières élections européennes ont eu lieu en 2007
Sources : Parlement européen.
L’importance de l’abstention dans les pays d’Europe centrale et orientale
doit être interprétée par rapport à la place encore très récente de ce type de
scrutin dans leur histoire politique, mais aussi en tenant compte des crises
de régime que traversent certains d’entre eux 7. L’adhésion à l’UE de ces pays
est nouvelle et suscite une approbation tacite. Mais on remarquera néanmoins
qu’excepté la Lituanie où la participation recule de façon marquée 8, le scrutin
de 2009 n’enregistre pas de retrait supplémentaire, voire même connaît un
surcroît de mobilisation significatif dans certains pays.
Toutes ces différences montrent que l’abstention ne peut être analysée ni
comme un phénomène linéaire ni non plus comme un comportement homogène. La participation à ces élections dépend d’une multitude de facteurs tant
au niveau politique qu’institutionnel ou encore individuel, dont les effets provoquent des variations significatives selon les pays et selon les contextes
7. DELBROUCK B., « Europe de l’Est : vote de crise ou crise de vote », Eurosduvillage.eu, 2009.
8. Mais parce que l’élection présidentielle avait coïncidé avec les élections européennes en 2004 et
donc suscité un niveau de participation alors nettement plus élevé,
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Tableau 2 : Évolution du taux de participation aux élections européennes
dans les pays d’Europe centrale et orientale nouveaux entrants (en %)
La participation électorale : un déficit inégalé
575
nationaux. Il faut chercher à comprendre si les différentiels de participation
observés entre les pays relèvent de considérations plutôt nationales ou plutôt européennes. En cela, est-ce la logique des élections de second ordre qui
prévaut et qui permet d’expliquer une partie du comportement abstentionniste ou bien faut-il mobiliser des considérations relevant d’enjeux non plus
nationaux mais européens ? Autrement dit l’analyse de la participation conduit-elle à privilégier la thèse de l’européanisation de ces élections ou au
contraire celle de leur nationalisation ? 9
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Ce septième scrutin européen résulte de vingt-sept élections spécifiques,
régies par vingt-sept législations nationales différentes, ayant organisé les
modalités du vote, décidé du nombre de circonscriptions, des conditions
d’éligibilité, des modalités de candidature et des modes de dépouillement.
Les travaux comparatifs menés sur les élections européennes ont bien identifié l’incidence de certains facteurs institutionnels sur la mobilisation des
électeurs 10. Il en est ainsi de l’effet du vote obligatoire, de l’effet du jour où
se déroule le scrutin ou encore de l’incidence du mode de scrutin et du nombre de circonscriptions, enfin le rôle mobilisateur de l’organisation d’autres
scrutins le même jour. Cependant, ces différents facteurs institutionnels
n’ont pas tous le même impact. Leurs effets ne sont ni systématiques ni univoques. Déjà les élections de 2004 avaient conduit à nuancer leur rôle et leur
importance. L’analyse de leur influence pour interpréter les différences de
participation lors des élections de 2009 invite à faire de même.
Incontestablement le vote obligatoire assure un bon niveau de participation dans les quatre pays où il est en vigueur. En Belgique et au Luxembourg
il favorise des taux de participation très élevés, les plus élevés de l’UE (respectivement 90,4 % et 91 %). Il suscite une mobilisation relativement soutenue en Grèce (52,6 %) et à Chypre (59,4 %). Mais il ne permet pas
d’éviter un recul de la participation significatif par rapport à 2004 dans ces
deux derniers pays : -10,6 points en Grèce et -11,8 points à Chypre.
Le jour du vote n’a pas d’incidence notable sur le niveau de la participation. Les trois pays où les élections ont été organisées un jour de semaine,
9. KAHN S., « Le Parlement Européen est-il un ODHNI (objet démocratique et historique non
identifié) ?, Histoire Politique, n°8, 2009 ; LACROIX J., Une citoyenneté européenne est-elle
possible ?, La vie des idées.fr, 2009.
10. FRANKLIN M., « How Structural Factors Cause Turnout Variations at European Parliament
Elections », European Union Politics, volume 2, n°3, 2001, p. 309-328 ; FRANKLIN M., VAN DER
EIJK C., OPPENHUIS E., « The Institutional Context : Turnout », in VAN DER EIJK C., MARK F.,
(eds), Choosing Europe ? The European Electorate and National Politics in the Face of the Union, Ann
Arbor, The University of the Michigan Press, 1996, p. 306-322.
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Le poids des facteurs institutionnels et des données de contexte
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En revanche, l’existence le même jour d’un autre scrutin renforce considérablement le niveau de la participation aux élections européennes.
Neuf pays ont été concernés (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Irlande,
Royaume-Uni, Lettonie, Danemark, Italie, Malte) et dans tous à l’exception
notoire du Royaume-Uni 11, le niveau de participation est supérieur à la
moyenne. Par rapport à 2004, la participation a progressé au Danemark
(+11,7 %) où un référendum sur l’ordre de succession au trône était organisé alors qu’en 2004 il n’y avait pas eu d’autre élection et en Lettonie
(+12,3 %) où se déroulaient cette fois ci des élections locales.
L’effet du nombre de circonscriptions reste difficile à apprécier. Dans
six pays le vote était organisé sur la base de plusieurs circonscriptions 12. À
part la Belgique où le vote est de toute façon obligatoire, et l’Irlande qui se
prononçait aussi le même jour pour des élections locales, tous les autres
pays connaissent des niveaux de participation se situant sous la moyenne
européenne. Mais dans la plupart des pays (21), le scrutin est national, et la
participation électorale y est inégale.
La facilitation des procédures de vote renforce sans nul doute la participation des citoyens. Un exemple particulièrement révélateur en a été donné
par l’Estonie qui a mis en application le vote électronique par Internet. Cette
mesure a suscité un surcroit de participation de +16,5 points par rapport à
2004. L’Estonie, avec la Lettonie où se déroulait le même jour un autre
scrutin, sont les seuls pays d’Europe centrale et orientale dont les taux de
participation se situent dans la moyenne de ceux qui ont été enregistrés dans
l’ensemble de l’UE.
11. Mais il s’agissait d’élections partielles et d’un contexte où prévaut le faible intérêt des Britanniques
pour les questions européennes. Voir « Les élections européennes de juin 2009 au Royaume-Uni: des
élections pas tout à fait de second ordre ? » de David Hanley
12. France (8), Italie (5), Irlande (4), Royaume-Uni (12), Pologne (13) et Belgique (4).
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le jeudi aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, et vendredi en Irlande, enregistrent des faibles taux de participation, tous en recul par rapport à 2004. Les
quatre pays où l’on a voté le samedi, Chypre, Lettonie, Malte et Slovaquie,
enregistrent des taux de participation très contrastés, l’un des plus élevés à
Malte, le plus faible, en Slovaquie. En Italie et en République Tchèque, les
élections se sont déroulées sur deux jours, et cela n’a pas renforcé la mobilisation électorale. Celle-ci a régressé en Italie par rapport à 2004 (-6,6 %)
et est restée stable, mais faible, en République Tchèque. Dans les dix-neuf
pays où l’on a voté le dimanche 7 juin, les taux de participation sont variables. Ils sont au plus bas en Slovaquie (19,6 %), en Lituanie (21) ou encore
en Pologne (24,6). Mais des pays comme le Portugal et la France enregistrent une participation inférieure à la moyenne européenne (respectivement
36,8 % et 40,6 %).
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Enfin, la place des élections européennes dans le calendrier électoral
propre à chaque pays doit être évoquée. Depuis l’article fondateur de Reif
et Schmitt 13 consacré à l’analyse des élections européennes de 1979 définies comme des élections de second ordre, privilégiant la dimension nationale et renforçant l’expression d’une sanction à l’égard des gouvernements
en place, les effets de la temporalité propre aux élections de second ordre
ont pu être observés. Ainsi l’abstention serait d’autant plus marquée lorsque
les élections européennes ont lieu au début du cycle législatif. Le milieu ou
la fin de cycle entre deux scrutins nationaux décisifs, favoriserait au contraire la participation. Mais les relations qui ont été mises en évidence ne
sont ni mécaniques ni systématiques. Et cela se confirme en 2009. Les cas
de la France, en milieu de cycle législatif, ou encore de l’Allemagne, en fin
de cycle, infirment cette logique puisque l’abstention a atteint dans les deux
pays des niveaux record. À l’inverse, en Slovaquie, où venait de se dérouler
l’élection présidentielle en mars-avril, on assiste pourtant à un léger surcroît
de participation.
Les facteurs institutionnels ne permettent pas de comprendre à eux seuls
les raisons de l’abstention et les différentiels observés entre les différents
pays. Il faut prendre en compte d’autres facteurs explicatifs, notamment les
dispositions des électeurs eux-mêmes face à ce type de scrutin. L’appréciation de l’ampleur comme des conséquences de la faiblesse de la participation enregistrée aux élections européennes depuis quelques années doit tenir
compte des mutations du comportement électoral. Depuis une vingtaine
d’années, l’émergence d’un électeur de plus en plus critique et autonome,
ayant élargi sa palette d’outils d’expression démocratique et faisant un usage
alterné du vote et de l’abstention pour se faire entendre, s’est confirmée Les
abstentionnistes aux élections européennes comptent en leur sein une large
majorité d’électeurs « dans le jeu politique », s’étant retirés provisoirement
de la décision électorale, faute de se sentir mobilisés et suffisamment concernés par l’enjeu même de ce scrutin 14.
Un lien difficile à établir avec la réalité politique européenne.
La clé de la participation électorale dépend de la capacité de l’ensemble des
acteurs politiques, institutionnels et partisans, à mobiliser les électorats sur
13. REIF K., SCHMITT H., « Nine Second Order Elections : A Conceptual Framework for the Analysis of European Elections Results », European Journal of Political Research, volume 8, n°3-4, 1980.
14. MUXEL A., « Les jeunes et les élections européennes : un paradoxe démocratique ? », dans
DELWIT P., POIRIER P., Parlement puissant, électeurs absents ? Les élections européennes de juin
2004, Éditions de l’université de Bruxelles, Bruxelles, 2005 ; MUXEL A., « Les abstentionnistes : le
premier parti européen », dans PERRINEAU P., (dir.), Le vote européen 2004-2005. De l’élargissement
au référendum français, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
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La participation électorale : un déficit inégalé
Anne MUXEL
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des enjeux sociaux et politiques définis au niveau européen 15. Ils doivent
susciter l’intérêt des électeurs et leur donner la possibilité d’exprimer une
volonté politique directement perceptible et suivie d’effets concrets. Mais
la réalité présente n’est pas celle-là. Les Européens ne manifestent qu’un
intérêt modéré pour les élections européennes. Seule une petite moitié
d’entre eux, dans l’ensemble des pays de l’UE, ont témoigné d’un intérêt pour
ce scrutin (46 %, dont 11 % seulement se sont déclarés très intéressés) 16. Le
désintérêt pour le scrutin apparaît encore plus marqué parmi les femmes,
parmi les jeunes, et parmi les électeurs ayant un faible niveau de diplôme.
Des différences apparaissent néanmoins selon les pays. Dans les rangs des
pays où les citoyens se déclarent les plus intéressés se placent le Luxembourg (68 %), Malte (59 %), les Pays-Bas (57 %), la Belgique (54 %), l’Italie
(52 %). Tous ces pays enregistrent d’ailleurs des niveaux de participation plus
élevés que la moyenne européenne. Mais ce n’est pas le cas de la Lituanie
(54 %) ni non plus de la France.
Même si une majorité de Français (54 %) se déclarent intéressés par les
élections européennes, le niveau de leur participation se situe pourtant dans
la fourchette basse par rapport à l’ensemble de l’UE. Leur intérêt relatif n’a
suscité ni politisation ni mobilisation. À un mois de l’élection, seuls 22 %
des Français avaient parlé de ce sujet avec leurs proches au cours de la
semaine écoulée selon le baromètre Ifop/Paris-Match. En 2004, à la même
distance du scrutin, cette proportion, déjà faible à l’époque, s’établissait
encore à 27 %. Avec le temps, en France en tout cas, l’Europe dépolitise
plus qu’elle ne politise. Dans les rangs des pays où les citoyens sont les plus
faiblement intéressés par le scrutin 2009, on trouve la Slovaquie (28 %), la
Suède (35 %), la Lettonie (37 %), la République Tchèque (38 %), ou encore
la Hongrie (36 %). Néanmoins, malgré le faible intérêt de leurs ressortissants pour le scrutin, l’Espagne (34 %) et l’Estonie (34 %) enregistrent des
niveaux de participation supérieurs à la moyenne.
Les différences de mobilisation électorale entre les pays peuvent être
liées au degré d’identification de leurs citoyens à l’Europe 17. Même si les
relations ne sont ni linéaires ni systématiques, et si les indicateurs de mesure
restent difficiles à établir, un lien entre les facteurs d’identité européenne et
la participation a pu être mis en évidence. En 2009, 53 % des Européens
considèrent que c’est une bonne chose pour leur pays de faire partie de
15. PERRINEAU P., (dir.), Le vote européen 2004-2005. De l’élargissement au référendum français,
Presses de Sciences Po, Paris, 2005.
16. Sondage TNS Opinion pour la Fondation pour l’Innovation Politique auprès de 15.130 européens
âgés de 18 ans et plus (mars/avril 2009).
17. FROGNIER A.-P., « Identité et participation électorale : pour une approche européenne des élections européennes », dans GRUNBERG G., PERRINEAU P., YSMAL C., (dir.), Le vote des Quinze.
Les élections européennes du 13 juin 1999, Presses de Sciences Po, Paris, 2000.
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l’Europe 18. Les pays dans lesquels les citoyens sont les plus nombreux à
partager cette opinion devraient donc avoir un taux de participation aux
élections européennes supérieur à la moyenne. C’est bien le cas du Luxembourg, de la Belgique, de l’Irlande, du Danemark, de l’Allemagne, de
l’Espagne, de la Suède, de l’Estonie et de Malte. Mais cette relation ne se
vérifie pas pour la Slovaquie, les Pays-Bas, la Slovénie, la Roumanie, la
Pologne et la Lituanie, qui enregistrent des taux de participation inférieurs
à la moyenne, malgré des dispositions favorables de leurs ressortissants
envers l’appartenance de leur pays à l’UE. De même, la République Tchèque, la Grande-Bretagne, la Hongrie, le Portugal, la Bulgarie, l’Autriche, la
Finlande, la France, comptent en leur sein une majorité de citoyens considérant peu favorablement l’appartenance de leur pays à l’UE et enregistrent
un taux de participation inférieur à la moyenne. Mais l’Italie, Chypre, la
Grèce, ou encore la Lettonie échappent néanmoins à ce schéma en présentant des taux de participation supérieurs à la moyenne de l’UE.
Le silence des urnes fait entendre plusieurs voix
Le silence polyphonique de l’abstention a été la tonalité dominante du concert électoral du scrutin 2009. S’y exprime des motivations diversifiées non
seulement selon les contextes nationaux, mais aussi selon les individus.
Comment apprécier leurs parts relatives ? L’abstentionnisme aux élections
européennes se différencie-t-il de l’abstentionnisme lors des scrutins nationaux ?
Dans la logique des élections intermédiaires, à la façon d’un vote sanction, on peut compter sur une part plus ou moins significative d’abstention
sanction des gouvernements nationaux en place. Le silence de la décision
électorale exprime une protestation. C’est la part d’un abstentionnisme « dans
le jeu politique » qui s’impose de plus en plus dans la palette des formes
d’expression démocratiques et qui traduit un lien plus problématique entre
les citoyens et leur représentation politique.
Dans la logique des élections européennes, l’abstention peut s’interpréter comme une désapprobation de l’UE et marquer un scepticisme envers la
construction européenne. Comme dans le cas précédent elle est porteuse
d’un message politique. Le lien entre la défiance à l’égard de l’Europe et le
vote aux scrutins européens est bien identifié. Le Royaume-Uni doit compter avec une abstention de ce type.
Autre réponse, celle des abstentionnistes qui approuvent la construction
européenne, en attendent même beaucoup, mais qui ne perçoivent pas
18. Eurobaromètre 70.
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La participation électorale : un déficit inégalé
580
Anne MUXEL
l’enjeu des élections européennes comme saillant et mobilisateur. Elle est le
fait d’électeurs moins assidus et sans doute moins politisés. On la retrouve
sans doute présente de façon significative dans les pays d’Europe de l’Est,
nouveaux entrants.
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Interrogés quelques semaines avant le scrutin sur leurs raisons de s’abstenir, les Européens font entendre plusieurs voix. Si l’on reprend la distinction entre l’abstention « volontaire » et l’abstention « circonstanciée » 19,
c’est la primauté de la première sur la seconde qui s’impose pour expliquer
les raisons de s’abstenir des Européens lors du scrutin 2009. En effet, les
raisons circonstanciées, mettant en avant un empêchement d’ordre pratique
ou personnel, sont minoritaires (25 %). L’abstentionnisme systématique
apparaît lui aussi comme relativement marginal, seules 21 % des personnes
interrogées reconnaissant ne jamais voter. En revanche, l’abstention « volontaire eurospécifique » apparaît prépondérante, mettant en avant plusieurs
ordres de motivations. En premier lieu, leur manque d’information. Ainsi
62 % des Européens déclarent s’abstenir parce qu’ils ne se considèrent pas
assez informés pour aller voter. Leur méconnaissance du rôle du Parlement
Européen est aussi assez largement mentionnée (60 %).
Le retrait de la décision électorale par défaut de connaissance s’avère
donc très important et définit sans aucun doute la raison première de leur
abstention. L’abstentionnisme de nature politique est présent, mais de façon
moindre. S’y exprime une distance plus ou moins critique à l’égard de la
représentation politique au niveau européen. 59 % considèrent que le Parlement Européen ne s’occupe pas assez des problèmes qui les concernent,
55 % ne se sentent pas assez bien représentés par les députés européens,
51 % ne sont pas intéressés par les élections européennes. La part de l’abstention signifiant un refus d’Europe explicitement déclaré est faible (18 %).
L’abstentionnisme politique exprime davantage une insatisfaction ou un
manque d’intérêt diffus qu’un euroscepticisme affirmé. Ce dernier trouve
davantage à s’incarner au travers du vote que de l’abstention. Mais on
retiendra que dans le cadre de ce scrutin 2009, comme en 2004, le sentiment
d’incompétence prime sur la volonté de sanction politique 20.
19. BLONDEL J., SINOTT R., SVENSSON P., « Representation and Voter Participation », European
Journal for Political Research, volume 32, n°2, 1997, p. 243-272.
20. Enquête pré-électorale TNS Sofres 2009.
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Enfin, l’abstentionnisme du à une indifférence et à une méconnaissance
des rouages politiques et institutionnels européens touche un grand nombre
de pays de l’UE et rassemble des catégories de population bien identifiées
(les jeunes, mais aussi les femmes, les personnes faiblement diplômées).
La participation électorale : un déficit inégalé
581
Conclusion
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L’abstention est une difficulté réelle. Le « déficit démocratique », entendu
comme un « déficit de votants » pour désigner les députés au Parlement
Européen existe bel et bien, et continue même à se creuser. Reste à l’interpréter. Est-il une entrave à la construction européenne et à la légitimité des
pouvoirs politiques et institutionnels qui l’organisent, l’orientent et la gouvernent ? Le parlementarisme est-il la seule voie de gouvernance démocratique ? La réponse n’est pas tranchée et suscite des controverses tant dans le
champ académique que dans le champ institutionnel et politique. Le renforcement des pouvoirs du Parlement n’a pas renforcé la mobilisation électorale. C’est un élément de réponse qui doit être pris en considération.
Néanmoins, le mouvement d’augmentation de l’abstention est général quels
que soient les scrutins et s’inscrit dans une profonde évolution du comportement électoral marqué par une généralisation de l’intermittence du vote et
l’expression circonstanciée d’un abstentionnisme de nature politique.
Les élections européennes n’intéressent guère mais la construction européenne bénéficie d’un soutien majoritaire dans la plupart des pays de l’UE.
On observe donc un décalage entre les attentes de l’opinion à l’égard de
l’Europe qui reste un espoir, et qui est dans la majorité des pays appréciée
comme un atout pour faire face à la crise économique et financière, et la
façon dont les électeurs abordent en général ce scrutin.
Comparée à celle qui s’exprime lors des scrutins nationaux, l’abstention
aux européennes s’explique d’abord en raison d’un déficit cognitif. L’abstention n’y porte que peu la marque d’une contestation politique du projet
européen. Si celle-ci existe elle se fait entendre davantage au travers du vote
que de l’abstention.
Si dans certains contextes nationaux, l’abstention aux élections européennes peut exprimer une sanction politique, celle-ci se fait plus en direction des gouvernements nationaux qu’à l’adresse des pouvoirs européens.
Le silence des urnes fait donc surtout entendre au pire une méconnaissance
et un sentiment d’incompétence des citoyens, au mieux une approbation du
processus de construction européenne et de sa légitimation politique. L’importance de l’abstention signe l’européanisation d’un enjeu crucial pour
l’affirmation et la concrétisation d’une Europe politique : l’information et
l’éducation à la citoyenneté européenne.
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L’Europe est-elle dans une impasse ? Le niveau de cette abstention est-elle
une contre-indication rédhibitoire à la poursuite de ce projet politique ?