Evaluation de la politique de lutte contre le sida en Suisse

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Evaluation de la politique de lutte contre le sida en Suisse
Evaluation de la politique de lutte contre le sida en Suisse
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°86 - septembre 2000
VIH - POLITIQUE
Evaluation de la politique de lutte contre le
sida en Suisse
France Lert
Inserm U88
Long term
global
evaluation of
a national
AIDS
prevention
strategy: the
case of
Switzerland
Dubois-Arber
F., Jeannin A.,
Spencer B.
AIDS, 1999,
13, 2571-2582
La présentation de l'approche globale en matière d'évaluation de
la politique de lutte contre le sida menée en Suisse depuis plus
de 12 ans est l'occasion d'une comparaison instructive avec la
situation française.
Dans un article de AIDS, les reponsables de l'évaluation de la
politique de lutte contre le sida en Suisse présentent l'approche
globale adoptée voilà plus de 12 ans et menée avec constance,
objectivité et indépendance par rapport aux autorités politiques.
Ici, pas de rapport d'éminents professeurs, pas de mission
d'experts éclairés, pas de discours roboratif sur l'évaluation mais
un programme structuré en réponse à une demande claire de
l'Office fédéral de la santé publique pour accompagner la
stratégie mise en place en 1985 dans un pays qui avait alors le
taux de cas de sida le plus élevé d'Europe. Il fallait couvrir
l'ensemble de la stratégie, explorer des caractéristiques des
groupes les plus exposés, apporter des réponses rapides et
pertinentes pour ajuster les mesures si nécessaire, être capable
d'identifier la survenue de conflits ou de difficultés liés au
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développement de la prévention, introduire à mesure des
éléments nouveaux, divulguer les résultats obtenus de façon
appropriée à tous les acteurs de la société.
Classiquement, l'évaluation s'est attachée d'une part à mesurer et
analyser la mise en œuvre effective de la politique préconisée au
niveau national et dans les différents cantons (évaluation des
processus), d'autre part à apprécier ses résultats en termes de
connaissances, de comportements, d'attitudes de solidarité,
d'impact épidémiologique et identifier d'éventuels effets pervers
(évaluation des résultats).
Le matériel d'évaluation consiste en une série de données issues
de statistiques de routine (surveillance épidémiologique), de
statistiques d'activité (vente de préservatifs, nombre de seringues
distribuées, nombre d'affiches distribuées, nombre d'articles dans
les médias, etc.), des indicateurs de comportements issus
d'enquêtes en population, enfin des études qualitatives ou
quantitatives sur des sujets ou des populations particuliers : ont
ainsi été réalisées des études qualitatives sur les prostitués, une
évaluation du développement des programmes de prévention
auprès de sous-populations migrantes, une étude de la sexualité
des personnes vivant avec le VIH, une étude des programmes à
bas seuil pour les usagers de drogue.
Dans les enquêtes répétées (par exemple en population générale
ou chez les homosexuels masculins), il existe un noyau commun
de questions avec des thèmes ou des modules complémentaires
correspondant à la survenue de nouvelles questions pour la
prévention (ex : les accidents de préservatifs). Ce programme de
travail piloté par l'IUMSP est réalisé directement par lui ou par
des équipes de recherche. Compte tenu de la pluralité des
interventions sur le sida, de leur combinaison alétatoire, de la
diversité des indicateurs, de la difficulté à apprécier la validité
de certaines données, surtout de la complexité des processus
d'adaptation d'une société - dans sa diversité - à un phénomène à
la fois intime et politique, le principe est de croiser les données
pour formuler un jugement (triangulation).
Ainsi, à six reprises, d'abord sur un an, puis sur une période de 2
et désormais de 3 ans, une évaluation a été établie, publiée,
diffusée et a nourri l'actualisation des politiques. La Suisse est
ainsi le seul pays pour lequel on dispose d'un ensemble raisonné
de données sur une période de 10 ans, montrant par exemple la
stabilité des comportements sexuels des adultes (par ex : le
pourcentage d'adultes ayant un nouveau partenaire dans les 6
mois, une légère augmentation de l'âge des premiers rapports
avec l'apparation récente d'une nouvelle tendance à la baisse),
l'amélioration de la prévention (utilisation syst_matique du
préservatif avec des partenaires occasionnels), une stabilisation
du marché des préservatifs, etc.
Malheureusement, les auteurs ne présentent pas la façon dont les
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rapports successifs ont été repris dans la presse, discutés ou
contestés voire détournés et si, d'une façon générale, le débat
public sur les enjeux du sida s'est réellement enrichi de ces
apports. L'évaluation participant en quelque sorte elle-même du
processus politique.
Quelle similarité et quelles différences avec la France ? Partout,
le sida a interpellé de façon violente la société mais l'affaire du
sang contaminé a donné au débat français une tonalité
particulièrement dramatique, conduisant à disqualifier la
politique publique sans forcément regarder de façon critique les
résultats obtenus. En France, nous disposons aussi de séries de
données sur les gays grâce à l'initiative de Michael Pollak dès
1985, en population générale (depuis 1988 en Ile-de-France et
1992 au niveau national), chez les usagers de drogue avec les
données de R. Ingold depuis 1988 ainsi que de multiples
données de toute nature issues des recherches en épidémiologie
et en sciences sociales (sociologie, anthropologie, psychologie,
économie) menées sous l'égide de l'ANRS.
Ces études ne couvrent peut-être pas tout le champ de façon
aussi exhaustive que chez nos voisins mais sur certains points
elles fournissent les éléments d'une compréhension plus fine.
Même si un effort a été fait à plusieurs reprises par l'ANRS pour
présenter des synthèse de données quantitatives (1), elle n'a
jamais reçu la mission et les moyens de réaliser cette mise en
perspective par rapport aux orientations, il est vrai pas toujours
très explicites et précises, de la politique publique de lutte contre
le sida.
La différence principale est bien là. Malgré la rhétorique de
l'évaluation comme impératif d'une société moderne et
démocratique (2) serinée par toutes les administrations
nationales, territoriales ou privées (Ensemble contre le sida /
Sidaction n'est pas en reste par exemple) dans leurs appels
d'offre, et dont elles ne font rien ou pas grand chose, il n'a pas
été décidé de confier cette synthèse sur le long terme à un
organisme indépendant de santé publique. Un peu tardivement,
après plusieurs ratés, le Conseil National du Sida recommandait
en 1996 (3) une évaluation indépendante. Rapport envoyé aux
oubliettes, comme celui de Caroline Weill en 1992, ou d'Yves
Charfe la même année sur la prévention auprès des
homosexuels. On n'a disposé de façon officielle que de la
mission en forme de règlement de comptes confiée au Pr
Montagnier (4) après le changement gouvernemental de 1993 et
qui aboutit à la suppression de l'AFLS. Aujourd'hui, une
évaluation de la politique de prévention des 5 dernières années
est confiée au Commissariat Général au Plan ; ses résultats
seront publiés courant 2001. Ne sera-t-il pas un peu tard, près de
15 ans après les premières campagnes, pour soumettre au débat
public un bilan complet de l'action publique et associative ?
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1 - " Evaluer la prévention du sida en France. Un inventaire des données
disponibles "
ANRS-AFLS, novembre 1990 et septembre 1992
Lydié, N. et l'Action Coordonnée 18-1 " Comportement et prévention "
(1999)
" Evaluer la prévention de l'infection par le VIH en France. Synthèse des
données quantitatives (1994-1999) "
Editions ANRS, Collection Sciences Sociales et Sida, Paris, novembre
1999.
2 - P. Viveret. L'évaluation des politiques publiques. Rapport au premier
ministre. La documentation française, Paris, 1989.
3 - " De la nécessité d'évaluer l'action publique en matière de VIH-sida "
Conseil National du Sida, 1996.
4 - Rapport Montagnier, voir Transcriptase, n° spécial, mars-avril 1994.
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