Contribution spéciale Ana Guţu

Transcription

Contribution spéciale Ana Guţu
Contribution spéciale Ana Guțu
Contribution spéciale
Ana Guţu
___
93
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
94
Contribution spéciale Ana Guțu
TROIS LÉGENDES DE LA LIBERTÉ DE CRÉATION EN AMÉRIQUE
LATINE: DOÑA MARINA, FRIDA KAHLO, EVA PERÓN
Ana GUȚU
Université Libre Internationale de Moldavie
L’Amérique Latine est pour moi un espace de véritable attraction spirituelle. L’histoire de la constitution de cet espace est tellement intéressante,
tellement riche et mythique, qu’elle représente un autre cas de figure
par rapport { l’Europe, qui se veut de manière définitive la source de
toutes les civilisations modernes. La conquête du Nouveau Monde fut
sans doute un évènement qui sépara la Terre en deux hémi-sphères : ils
se distinguent aujourd’hui par leur fondement existentiel et surtout par
leurs cultures. Il est difficile de dire à quel point les Amériques ont
reproduit le patrimoine des valeurs européennes, mais nous pouvons
certainement ressentir à quel point les civilisations métissées du Nouveau
Monde ont enrichi le patrimoine universel par leurs contributions inédites
à tout ce que signifient expériences pittoresques, coloris culturel, ancienneté de l’humanité.
Doña Marina – la Princesse aztèque polyglotte. La colonisation du
Nouveau Monde s’est faite surtout et grâce aux traducteurs. Les colonisateurs espagnols des Amériques ont émis 29 lois entre 1529 et 1680,
selon lesquelles ont peut juger de l’importance que les colonisateurs
accordaient aux traducteurs. La ligne directrice de ces lois était la
fidélité des traducteurs envers la couronne espagnole. Les conquérants
attendaient de la part des traducteurs un soutien important dans
l’œuvre de propagation du christianisme et l’implantation des nouvelles
structures du pouvoir. À cette époque on recourait plus à la traduction
orale qu’{ la traduction écrite. La tâche principale des interprètes
aborigènes étaient de dissuader leurs compatriotes d’opposer résistance
aux conquistadors espagnols. L’histoire la plus fameuse de présence
féminine inédite dans le processus de conquête de l’Amérique Latine est
le cas de Doña Marina (1501-1550), l’interprète d’Hernan Cortès (14851547). Marina était surnommée Malintzin où « la Malinche ». Elle est née
dans une famille noble, son père meurt quand elle était encore petite. Sa
mère l’avait vendue à des marchands mayas après s’être remariée et
avoir donné naissance à un fils. Probablement elle a été plusieurs fois
revendue avant d’avoir été offerte { Cortès. Avec dix-neuf autres jeunes
femmes elle a été baptisée et les jeunes femmes ont été distribuées aux
capitaines de Cortès. Marina parlait aztèque, maya et a appris très vite le
castillan. Elle avait seulement quatorze ans { l’époque, mais était
brillamment parée de beauté et d’intelligence (Délisle 297).
Marina fut non seulement l’interprète de Cortès, mais aussi sa conseillère
et sa maîtresse. Elle lui a donné un enfant. Mais Cortès n’a pas trop
95
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
ménagé sa relation avec la princesse aztèque. Il l’a plusieurs fois donnée
et redonnée { ses camarades, pour l’abandonner définitivement au profit
de son mariage avec une femme de son rang social dès sa rentrée en
Espagne (Díaz del Castillo, 1983).
Marina sut dénoncer les espions, déjouer les conspirations, mais surtout
elle savait convaincre très habilement les Indiens de ne pas opposer de
résistance (Délisle 159).
Les auteurs des chroniques apparues du vivant de Marina ainsi que les
historiens des siècles suivants ont été unanimes à voir en elle « une des
figures dominantes de la conquête du Mexique » (Madariaga 117). Dans
les chroniques du temps de Bernal Díaz del Castillo son nom apparaît
souvent accompagné du titre honorifique Doña et elle est décrite comme
une véritable providence pour la cause des conquistadors. Bernardino
de Sahagun (1500-1590), auteur de l’Histoire générale des choses de la
Nouvelle Espagne, connu comme le Codex de Florence, chronique non
contemporaine des temps relatés, n’approuve pas toujours la conduite
de Marina, mais il ne va pas jusqu’{ la dénigrer comme l’ont fait les
Mexicains après l’Indépendance de leur pays (Delisle 296).
Vers 1550 apparaît une histoire illustrée sous le titre de Lienzo de
Tlaxcala d’inspiration espagnole. Dans les illustrations Marina est représentée pratiquement dans toutes les scènes les plus importantes, étant
vue par le peintre comme la figure la plus importante dans l’illustration,
peinte plus grande que Cortès lui-même (Brandon 84-85).
Il existe, donc, deux perceptions distinctes sur le sort mythique et
légendaire de Doña Marina. Selon la première Marina fut jugée très
sévèrement par ses compatriotes pour sa collaboration avec les conquistadors. Une légende mexicaine dit que le fantôme de Marina erre
encore sur le site de l’ancienne capitale aztèque, Tenochtitlan (le Mexico
d’aujourd’hui), car la femme ne peut pas trouver son repos après avoir
trahi son peuple. Après l’indépendance du Mexique, on a dit de Marina
qu’elle était « la mère d’une race bâtarde de mestizos (métis) et une
traîtresse » (Mirandé et Enriquez, cité d’après Delisle 297).
La deuxième approche a été lancée par des études plus récentes sur
Doña Marina, des études d’obédience féministes, qui ont réhabilité la
femme fatale des conquistadors. Selon les auteurs Doña Marina en tant
que femme et esclave a eu plutôt un rôle de facilitatrice des échanges
interculturels et non pas de traîtresse (Alarcon, 1981). Plus que cela,
Marina a joué un rôle plus déterminant dans la conquête du Mexique
que les soldats de Tlaxcala et les tribus alliées (Gargatagli 142-143).
Marina a contribué de manière inestimable à la circulation des valeurs
culturelles, surtout parce qu’elle a abandonné sa culture pour adopter
celle des Européens.
Frida Kahlo – la vie de la douleur en couleurs. Une autre figure
proéminente de l’Amérique Latine, particulièrement du Mexique, est,
sans doute, Frida Kahlo (1907-1954), peintre mexicaine, militante
96
Contribution spéciale Ana Guțu
communiste, une femme exceptionnelle { en juger d’après son destin
turbulent, qui a inscrit une page glorieuse dans l’histoire de la création
picturale mexicaine. Sa mère était indienne et son père était un juif
hongrois d’origine allemande. La jeune Frida fréquente l’École Nationale
Préparatoire en 1922. La métisse est jeune, belle, et, pareillement à ses
collègues de l’époque, s’intéresse { la politique. Le Mexique de cette
époque était { la recherche de son identité, c’était un sujet très { la mode
après la révolution de 1917. À l’âge de 18 ans un accident terrible se
produit avec le bus qui ramenait de l’école les élèves. Frida est gravement
blessée : des fractures sérieuses ont affecté ses bras, ses jambes et surtout
sa colonne vertébrale. Frida avait déjà subi dans son enfance une
poliomyélite sévère qui lui avait déformé la jambe droite. La douleur ne
la quittera plus, les médecins lui ont dit qu’elle n’aurait jamais d’enfants.
C’est son père qui est resté près de sa fille, qui a pris soin d’elle, qui l’a
accompagnée durant sa longue période de convalescence.
En fait, toute sa vie n’a été qu’une éternelle période de convalescence,
car Frida Kahlo a subi 36 interventions chirurgicales. Rien qu’{ penser {
cette torture lente on peut s’imaginer la facilité de quelqu’un d’autre { se
désister, à renoncer, à accepter la fatalité et la mort comme délivrance
absolue, solution à toutes les douleurs. Mais le destin de Frida est
exceptionnel surtout grâce à cette ténacité et à cette soif de vivre qui,
multipliées par son talent et son désir de création, ont fait d’elle une
véritable héroïne de sa propre vie. Son père était photographe et c’est
lui qui a donné { Frida ses premières leçons de peinture. Il l’a initiée {
l’art du portrait, il a eu beaucoup de patience avec sa fille, tandis que la
mère est restée pour Frida un peu distante ; sa propre fille la trouvait
cruelle, même si Frida la voyait aussi charmante.
La peinture est devenue pour Frida, d’une certaine manière, sa raison
d’être. La peinture l’a aidée { survivre aux multiples interventions chirurgicales, aux douleurs interminables. Elle avait fait installer dans sa chambre
un miroir au plafond. Ce miroir lui a permis de se peindre elle-même,
voilà pourquoi Frida a peint plusieurs autoportraits.
Frida Kahlo devient membre du Parti Communiste mexicain. Elle plaidait
pour l’émancipation des femmes, pour les droits sociaux, tout en exhibant
ses vues libertines, allant jusqu’{ afficher ouvertement sa bisexualité.
En 1929 elle se marie avec Diego Rivera, un peintre mexicain dont
Frida est tombée amoureuse – ça a été le coup de foudre. Rivera était
aussi membre du Parti Communiste mexicain, mais il fut expulsé du
parti en 1929 quand il afficha ouvertement sa position antistalinienne.
La vie du couple n’a pas été du tout facile. On les avait surnommés
« l’éléphant et la colombe », car Frida était mince et petite, tandis que
Diego était de grande taille et un peu gros par rapport à sa femme.
Frida n’a jamais eu d’enfants à cause de sa condition physique, de ses
multiples opérations chirurgicales, même si elle s’est obstinément opposée
à ce verdict, ayant subi plusieurs avortements spontanés. Elle a connu
97
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
des liaisons extraconjugales, dont la plus fameuse a été celle avec Lev
Trotski, dissident communiste russe. D’une certaine manière ces liaisons
ont été une réaction au même comportement de son mari, que Frida
avait du mal à pardonner, surtout après avoir appris le fait que Diego
l’avait trompée avec sa propre sœur Christine. Frida divorce de Diego en
1939, quoique cette séparation, tellement souhaitée paraît-il, lui ait causé
des tourments psychologiques intenses. Mais les deux étaient liés d’une
relation inextricable, car ils se sont remariés plus tard et ont vécu
ensemble jusqu’{ la mort de Frida en 1954 ; Diego est mort en 1957 et il
a légué les droits sur sa création picturale et celle de Frida { l’état
mexicain.
Les expériences amoureuses que Frida Kahlo a connues dans sa vie
sont aussi l’émanation de sa personnalité forte, débordante d’énergie et
d’enthousiasme, qui alimentèrent sa création picturale. Diego avait
enseigné à Frida certaines techniques de la peinture, il lui avait conseillé
de se vêtir en costume populaire indien (tihuana) ce qui avait apporté à
Frida sa « marque ».
Frida a exposé ses peintures aux États-Unis, à Mexico, à Paris. Elle fut
déçue par les surréalistes français après son exposition en 1938, elle fut
déçue par l’Europe qui entrait en guerre, et cela peut-être aussi à cause
du fait que son exposition fut un véritable fiasco financier. Au milieu des
années 40 Frida reçoit plusieurs prix nationaux et internationaux pour
ses peintures. Sa santé s’aggrave, elle subit une opération { la colonne
vertébrale qui fut un échec. Sa vie d’ores et déj{ s’identifie { la douleur
constante. Elle survit grâce aux analgésiques (www.fridakahlofans.com).
Les écrits sur Frida Kahlo sont de double nature – soit ce sont des
histoires sur le côté sentimental de sa vie, mettant en avant la dimension
intrigue, soit ce sont des critiques artistiques décrivant ses peintures,
essayant de faire ressortir le mobile de la création picturale de Frida
ainsi que le décodage de ses toiles.
Apparemment, la toile qui dévoile le plus la personnalité complexe de
Frida Kahlo c’est « Les Deux Fridas », peinte en 1939. La toile représente
une Frida vêtue d’un costume populaire indien et une autre Frida vêtue
d’une robe style victorien. Les deux ont leurs cœurs extériorisés, reliés
par des fils, des veines semble-t-il. La Frida européenne tient entre ses
mains des ciseaux qui vont couper les veines, la Frida indienne tient un
petit portrait de Diego. C’est l’année de la rupture entre Frida et Diego,
la toile est un véritable miroir de l’esprit de Frida, déchiré et dédoublé
en même temps. Frida exprime une ambivalence constante dans toute sa
création picturale, ambivalence qui fit croire aux surréalistes que Frida
était une des leurs : « ambivalence entre la joie et la douleur, l’illusion et
l’horreur, la destruction et la vitalité, la réalité brutale et le “miracle”,
l’amour et la colère, la vie et la mort » (Rico 80).
Frida y incarne l’essence de son esprit dédoublé. Toute sa vie fut un
dédoublement. Dédoublement de son identité – née d’une mère indienne
98
Contribution spéciale Ana Guțu
et d’un père européen –, dédoublement de sa personnalité – un corps
physique infirme et détruit par l’accident et les opérations chirurgicales,
cloué au lit, et un esprit créateur, transgressant les frontières de l’imaginaire,
capable de (re)donner la vie { son corps infirme et d’enthousiasmer les
autres par l’art du pinceau, mais aussi par le physique inédit. Dédoublement dans l’amour – Frida aima éperdument toute sa vie Diego, mais
elle le rejeta implacablement vers la fin de sa vie, livrée à la douleur
permanente et aux relations intimes avec des femmes. Ambivalence et
liberté sont les deux concepts qui pourraient définir la création inédite
de Frida.
« Frida dans le tourment de ses jours fut libre. Il n’y a pas de manière
de s’approcher de son art, de son intimité, tant de fois soumis { la
licitation publique, sans le mot liberté. » (Gabrielli, 2007, http://homines.com
/arte_xx/frida_es_libertad/index.htm).
Ses 55 toiles et son journal illustré sont un héritage pas trop volumineux. L’exubérance de la création picturale de Frida, les couleurs
vives et même fauves, font d’elle une artiste de son époque et de son
pays. Certains cherchent en elle le symbolisme de la révolution socialiste.
Mais en fait, il y a une philosophie à part, surtout une philosophie féminine
extrêmement puissante, faisant transparaitre la convoitise d’un destin
masculin, allant jusqu’{ l’incarnation fantasmagorique d’une sexualité
convulsive qui défie la réalité et qui, finalement, revient inévitablement
dans la prison douloureuse d’un corps déchiré.
« Le corps tout entier signifie ce que veut l’esprit » – ces propos
appartiennent à Auguste Rodin et ils sont une synthèse éloquente de ce
qu’a signifié Frida Kahlo et la liberté de sa vie et de sa création. Sans
doute, cette femme extraordinaire est devenue une figure légendaire de
la civilisation latino-américaine, dont l’émergence ne cesse de nous
surprendre depuis un siècle.
Eva Perón – la sainte patronne des humbles. Maria Eva Duarte de
Perón est née en 1919 ou 1922, selon les sources, à Junin ou Los Toldos,
province de Buenos Aires, Argentine. Son père avait deux familles, une
légale et l’autre illégale, tradition répandue avant les années 40 du siècle
passé dans les milieux aisés. Eva faisait partie de la famille illégale, à
côté de ses trois frères et sœurs. Cela l’a marquée pour toute sa vie et l’a
poussée à détruire en 1945 ses documents de naissance pour rayer
l’inscription honteuse d’« enfant illégitime ». Plus que cela, elle a contribué
à la promotion des lois antidiscriminatoires, qui égalisaient en droit les
enfants des femmes nés de différentes liaisons conjugales. Le combat fut
dur, l’opposition politique, l’armée et l’église se sont opposées avec
véhémence contre les lois antidiscriminatoires, mais la victoire fut du
côté des péronistes.
L’enfance d’Eva n’a point été facile, son père est mort en 1926 et sa
mère est restée seule avec quatre enfants sans aucun soutien financier
pour subvenir aux besoins matériels. Eva fréquentait l’école, elle n’avait
99
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
pas trop d’aptitudes pour les mathématiques ou les autres disciplines,
mais elle faisait preuve d’un talent exceptionnel quand il s’agissait des
fêtes scolaires. Elle était la première à réciter des poèmes, à jouer dans
des pièces de théâtre, elle avait une intuition artistique particulière.
Après avoir déménagé à Junin, la famille quitte cette ville pour aller
s’installer { Buenos Aires. Eva avait seulement 15 ans, l’Argentine
connaissait à cette époque un phénomène de migration interne, une
existence pénible, pleines de privations, commença pour la famille
d’Eva. Elle acceptait de petits rôles secondaires dans les théâtres de
Buenos Aires, son frère travaillait dans une fabrique et devint l’appui
matériel principal de toute la famille. En 1936 Eva fut acceptée par la
Compagnie Argentine des Comédies pour aller en tournée de quatre
mois dans tout le pays. Cette même année les premières photos d’Eva
apparurent dans les journaux. Peu à peu elle se fraya un chemin en tant
qu’actrice de second plan, elle fut également modèle, mais sa renommée
lui vint après son lancement dans le théâtre radiophonique. En 1938, à
19 ans, Eva se vit la protagoniste des spectacles radiophoniques de la
Compagnie du Théâtre de l’Éther. Parallèlement elle décroche des rôles
dans des films de l’époque, et c’est en 1942 qu’elle réalise le bond
définitif pour s’assurer un soutien financier autosuffisant. Elle fut
acceptée par la Radio el Mundo, où elle devint la modératrice d’une série
d’émissions dramatisées, consacrées aux femmes fameuses. Faisant la
navette entre le théâtre radiophonique et les films, Eva put quitter enfin
les pensions modestes où elle vivait avec sa famille et s’acheta son
propre appartement à Buenos Aires.
En 1943 Eva entra dans l’activité syndicaliste et fut élue { la tête du
syndicat des acteurs des théâtres radiophoniques. La situation politique
en Argentine était très compliquée. Après 13 ans d’une gouvernance de
coalition corrompue, de nouveaux leaders politiques, surtout des
militaires et des syndicalistes, viennent aux pouvoir. Parmi eux le jeune
général Juan Perón, qu’Eva rencontra en 1944 lors d’une remise de prix
aux jeunes actrices ayant récolté le plus de fonds au profit des familles
pauvres (Narvaez 200). Perón était veuf depuis 1938. Ils commencèrent
{ vivre ensemble dans l’appartement d’Eva. En 1945 Eva fut élue { la
tète de son syndicat l’Association Radio Argentine.
Cette même année il y eu un coup d’état et Perón fut arrêté et
incarcéré. Les syndicats s’étaient organisés, y compris avec l’appui
d’Eva, et un mouvement syndicaliste et social fit pression sur les antipéronistes qui ont libéré Juan Perón. Ils se sont mariés en octobre 1945.
L’année suivante débuta par la campagne électorale présidentielle dans
laquelle Eva Perón soutint son mari avec un grand enthousiasme.
L’apparition d’Eva dans la campagne électorale de son mari fut une
première absolue dans la vie politique d’Argentine. À l’époque c’était de
mauvais ton pour une femme d’opiner sur la politique. Les femmes
n’avaient pas le droit de vote. Eva remplaça son mari dans des rassem100
Contribution spéciale Ana Guțu
blements politiques et tint des discours politiques devant les foules. Son
rôle fut capital dans l’exigence des droits égaux pour les hommes et les
femmes.
En 1946 Eva inspira un texte de loi très bref, contenant seulement
trois articles, qui donnait le droit aux femmes de voter. L’opposition
conservatrice était contre ce projet de loi, mais aussi certains politiciens
du camp des péronistes. Ils accusaient Eva d’ingérence et de pression
politique. Une année après, le projet de loi fut adopté au parlement. Eva
désirait augmenter son influence politique et en 1949 elle fonda le Parti
Féministe Péroniste. En 1951 des élections générales eurent lieu. Le
Parti Féministe Péroniste obtint 109 mandats au Sénat, au Parlement et
dans les gouvernements locaux. Eva avait voté { l’hôpital, malade,
épuisée par le cancer qui emportait sa vie.
En 1947 Eva entreprit une tournée en Europe, elle voulait étudier
l’expérience européenne dans le domaine des droits sociaux et du syndicalisme. Elle visita l’Espagne, La France, l’Italie et le Vatican, le Portugal
et la Suisse. Dès son retour, elle crée la Fondation Maria Eva Duarte de
Perón, qu’elle dirigea avec succès. La Fondation soutint les femmes
solitaires, les personnes socialement défavorisées, mais aussi offrit des
assistances financières à Israël et aux États-Unis (Garcia Lupo, 2002).
Golda Meir, ministre du travail d’Israël, la seule femme { l’époque qui
avait une position politique de cette importance, avait visité l’Argentine
et elle remercia Eva pour ce geste de grande solidarité au début de la
création de l’état hébreu. La préoccupation d’Eva pour les personnes
âgées l’ont fait rédiger le renommé Décalogues des personnes âgées, qui a
été inclus dans la Constitution de l’Argentine en 1948. Lors des élections
de 1951 Eva Perón se vit appuyée par les syndicats et les travailleurs à
la vice-présidence du pays. Ce projet ne se réalisa jamais, car chez les
péronistes il y avait une grande dispute entre les partisans de cette idée
et ses opposants. Eva retira sa candidature, même si elle devint plus
populaire que son mari. Elle se désista à cause de sa maladie qui tombait
fort bien pour ses opposants (http://fridakahlofans.com).
En 1951 Eva publia son livre La raison d’être de ma vie (La razon de mi
vida), qui devint un livre scolaire de lecture après sa mort. Eva prononça
son dernier discours le 17 octobre 1951. Ce discours est considéré
comme le testament politique d’Eva. Plus tard, { l’hôpital, elle a dicté son
deuxième et dernier livre Mon Message (Mi mensaje), dans lequel elle
s’indigne « contre les privilèges et … les oligarques nationaux, qui vendent
le bonheur de leur peuple pour de l’argent… »
Eva Peron meurt le 26 juillet à 20 heures 25 minutes, et depuis lors,
durant des années, { cette heure la radio nationale a annoncé que c’était
l’heure { laquelle Evita Perón passa { l’immortalité.
Ses funérailles se sont transformées en manifestation nationale. Deux
millions de personnes vinrent conduire Evita dans son dernier chemin.
Une queue de 4 kilomètres se forma jusqu’au cercueil d’Evita. Après les
101
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
adieux, le général Juan Perón avait engagé le médecin Pedro Ara pour
momifier le corps. Le général ne savait pas que son désir de garder Eva
près de son peuple, exposé dans un mausolée, serait suivi d’abominables
évènements, qui ne laisseront pas Evita se reposer après une vie brève
et fulgurante au service des gens simples d’Argentine. Le docteur Ara
finit son travail une année après la mort d’Evita. Le mausolée n’était pas
prêt, la momie d’Evita était gardée dans une chapelle de la CGT.
Le 22 novembre 1955, après un coup d’état, le cadavre d’Evita fut
enlevé de l’immeuble de la CGT où il était exposé. La momie d’Evita
connut un itinéraire macabre et pervers. Le dictateur militaire Aramburu
avait chargé un de ses subalternes, le colonel Mori Coornig de voler le
cadavre et de l’enterrer en secret ailleurs, sous un autre nom, afin que
personne ne sache où était enterrée Eva Perón. Mais son subalterne
n’obéit pas. Il garda le cadavre d’Eva dans une camionnette plusieurs
mois, après quoi il le conserva dans son bureau derrière des rideaux, il
développa une obsession sexuelle pour le cadavre d’Evita. Les autres
cachettes qu’il utilisa l’ont rendu fou, car partout où il tâchait de cacher
le cadavre, le lendemain il trouvait des fleurs et des bougies. En 1957
Aramburu ordonna à un autre colonel, Cavanillas, de transporter le
cadavre { l’extérieur du pays et de l’enterrer sous un autre nom, ce qui
fut fait. Le périple du cadavre d’Evita devint un secret d’État. Eva fut
enterrée à Milan sous le nom de Maria Maggi de Magistris. Deux autres
momies en cierge furent fabriquées et enterrées en Belgique et en Allemagne de l’Ouest. En 1970 l’organisation des jeunes péronistes Montoneros
séquestra le général Aramburu et entre autre exigea de lui de restituer
le cadavre d’Evita, il fut exécuté par les jeunes péronistes en 1971.
Le général Cabanillas qui fut chargé de l’opération de la sépulture
secrète en Italie s’occupa de l’exhumation sur l’ordre du nouveau dictateur
militaire d’Argentine Lanusse. On raconte qu’au moment de l’ouverture
du cercueil les ouvriers ont crié de peur et de stupéfaction : le cadavre
s’était conservé impeccablement, il ressemblait plutôt { une poupée,
tellement l’œuvre du docteur Ara fut exceptionnelle (Perón 20).
Le docteur Ara fut convoqué d’Espagne pour témoigner de l’intégrité
du cadavre. Il signa un certificat selon lequel la momie était telle qu’il
l’avait laissée dans les locaux de la CGT en 1955. Cette signature mit fin
aux rumeurs qui circulaient à propos des mutilations auxquelles aurait
été soumis le cadavre d’Evita. Les militaires qui avaient transporté le
cadavre d’Evita de Milan { Madrid et ensuite en Argentine, auraient
violé la momie. Les traces de ces mutilations ont été photographiées par
Juan Perón, mais il ne publia jamais ces photos. Mais il existe des
témoignages de sa sœur Erminia Duarte qui { la vue du cadavre d’Evita
avait dit : « Pardon pour ces blessures infinies et pour les autres, je suis
sûre que pour chaque coup reçu ton âme tremblante disait : pardonneles, Seigneur, car ils ne savent pas ce qu’ils font… » (ibidem 22).
102
Contribution spéciale Ana Guțu
Juan Perón meurt en 1974, sa femme Isabelle ordonna la construction
d’un mausolée pour les personnalités de l’Argentine, le cadavre d’Evita
étant placé dans le caveau présidentiel. Mais, en 1976, le cadavre fut
redonné à la famille Duarte et Eva fut enfin enterrée au cimetière
Recoleta de Buenos Aires.
Comme dans le cas de la Doña Marina, Frida Kahlo, il existe des
interprétations différentes { propos de l’œuvre politique d’Eva Perón.
Les interprétants en faveur de la droite politique la voient comme un
produit hypocrite de la dictature de Perón, de la machine d’État, qui a
exploité son talent d’actrice en faveur du régime (Ghioldi, 1953). Plus
encore, il y a des auteurs qui continuent de publier de nos jours des
livres ou des articles { propos du manque d’intégrité politique des
époux Perón, les Brésiliens Leandro Narloch et Duda Teixeira ont accusé
dans leur livre Guía políticamente incorrecta de América Latina les époux
Perón de s’être approprié les biens des Juifs volés par les nazis dans les
camps de concentration (Robin Yapp, 2011).
Mais dans l’esprit populaire Eva est restée une figure mythique, car
elle sera gardée { jamais dans la mémoire populaire comme l’avocate
des humbles. Sur son lit d’hôpital Eva Perón, accablée par le cancer,
continuait de recevoir des gens simples qui venaient lui raconter leurs
problèmes, qui lui demandaient aide. Ayant vécu 33 ans seulement, Eva
réussit à transformer radicalement le visage de la politique en Argentine.
Elle incarna les aspirations des gens simples, grâce aussi à ses origines
modestes, à sa persévérance pour réussir.
Le discours politique d’Eva n’a pas échappé au dédoublement de ses
principes : d’un côté Eva plaidait pour un féminisme militant, pour
l’émancipation politique de la femme, d’un autre côté les discours
politiques d’Eva constituaient un véritable éloge de Juan Perón, son
mari, le président du pays. Elle exaltait la grandeur de Perón et la
petitesse de sa femme. Pourtant, la popularité d’Evita était plus grande
que celle de son mari. Evita était issue du peuple, tandis que son mari
s’identifiait { la classe aisée des militaires et des nobles d’Argentine.
Eva Perón connut le culte de la personnalité de son vivant. Des rues et
des édifices en Argentine portaient son nom, son premier livre fut
déclaré livre scolaire, le Congrès de la Nation l’avait nommée « Chéfesse
Spirituelle de la Nation » (Jefa Espiritual de la Nación). Des portraits, des
cartes postales, des sculptures avaient envahi le pays, fait qui ne plaisait
guère { l’église catholique, car Evita était associée à la Vierge Marie.
Jamais aucune femme politique n’avait rien fait de pareil dans l’histoire
de l’Argentine au milieu des dictatures qui se succédaient au XXe siècle.
Les trois femmes légendaires de l’Amérique Latine ont inscrit des
pages inédites dans l’avancée de la liberté de la création féminine, même
si les domaines de leurs activités ont été différents. Pour toutes les trois
la liberté fut une condition obligatoire de leurs activités de création.
Toutes les trois ont fait preuve d’une forte volonté et d’une vitalité sans
103
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
précédant, propres plutôt aux hommes. Toutes les trois ont influencé
irrévocablement l’histoire de leur nation ou de leurs pays. Toutes les
trois ont suscité des appréciations et des interprétations différentes de
leurs actions et de leurs créations. Toutes les trois ont été déchirées de
leur vivant par des sentiments contradictoires. Toutes les trois sont
entourées de légendes et de mysticisme. Toutes les trois méritent les
éloges les plus fervents de la postérité.
__________
Références bibliographiques
Alarcon, N. “Chicana’s Feminist Literature: A Re-vision through Malintzin:
Putting flesh back on the Object”. The Bridge Called my Back: Writings by Radical
Women of Color. New York: Kitchen Table, 1981.
Brandon, W. The American Heritage: Book of Indians. New York: American
Heritage/Bonanza Books, 1988.
Diaz del Castillo, B. Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne.
Paris : G. Maison, 1983.
Gabrielli, R. Frida es la libertad, 2007. http://homines.com/arte_xx/frida_es_
libertad/index.htm, consulté le 19.02.2012.
Garcia Lupo, R. Eva : filantropia de choque, 2002. http://edant.clarin.com/
suplementos/zona/2002/03/10/z-00601.htm, consulté le 20.02.2012.
Gargatagli, A. La traducción de America. Barcelone : Premier Congrès International
sur la Traduction, 1992.
Ghioldi, A. El mito de Eva Perón. Buenos Aires: Editorial La Vanguardia, 1953.
http://pdf.rincondelvago.com/eva-peron.html, consulté le 20.02.2012.
http://fridakahlofans.com , consulté le 19.02.2012.
*** Les traducteurs dans l’histoire. Sous la direction de Jean Delisle et Judith
Woodsworth. Les Presses de l’Université d’Otawa, 2007. 393 p.
Madariaga, S. Hernan Cortès Conquerror of Mexico. Londres: Hodder and
Stoughton LTD, 1942.
Narvaez, P. Nini, libertad et los celos de Evita, 2000.
http://edant.clarin.com/suplementos/zona/2000/12/31/z-00815.htm,
consulté le 20.01.2012.
Peron, Eva. Biografia. http://pdf.rincondelvago.com/eva-peron.html, consulté
le 20.02.2012.
Rico, A. Frida Kahlo – fantasía de un cuerpo herido. Mexico : Plaza y Valdes, 2004.
http://books.google.es/books?id=aaHqCiOUcTMC&lpg=PP1&pg=PA114#v=one
page&q&f=false, consulté le 19.02.2012.
Yapp, R. Peron ‘kept Nazi treasure taken from Jews’. 01.09.2011.
http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/southamerica/argentina/8735
411/Eva-Peron-kept-Nazi-treasure-taken-fromJews.html#.TmDiXVVSEbY.email, consulté le 20.02.2012.
104
Contribution spéciale Ana Guțu
LA RÉCEPTION ANTINOMIQUE FÉMININE –
LE CAS DES BELLES LETTRES
Ana GUȚU
Université Libre Internationale de Moldavie
L’antinomie est la manière de perception dynamique du monde. Le
monde est en perpétuel développement et changement. Le mobile du
progrès c’est l’unité et l’opposition des phénomènes contraires. Les
contradictions entre les idées, les opinions, les doctrines ont fait avancer
l’humanité sur la voie du progrès. Il existe des différences dans la compréhension très subjective du naturel, du sentimental, de l’historique, du
beau, du bien, du mal etc.
Selon Kant les antinomies de la raison pure sont des affirmations contradictoires auxquelles aboutit la raison lorsque, dans la Cosmologie
rationnelle, elle prétend déterminer la nature du monde. Voici une des
quatre antinomies : Thèse : « le monde a un commencement dans le temps
et est limité dans l’espace. » Antithèse : « le monde n’a ni commencement
dans le temps, ni limite dans l’espace, mais il est infini aussi bien dans le
temps que dans l’espace » (http://www.annasvenbro.net). L’antinomie
c’est la formulation contradictoire ou paradoxe qui n’admet pas de
solution. L’antinomie associe deux sentiments, deux phénomènes inconciliables.
L’antinomie se trouve { la base des phénomènes lexicaux, qui, { leur
tour, servent de carcasse linguistique au fondement philosophique et
existentielle des contradictions.
En philosophie l’antithèse est le deuxième élément d’une démarche
dialectique faisant suite au premier – appelé thèse. Le passage de la thèse
{ l’antithèse, ce renversement du pour au contre qui est le procédé
constant de l’intellectualisme laisse subsister sans changement le point
de départ de l’analyse (Merleau-Ponty 49). Pour Hegel le monde ne progresse pas par simple transformation, d’un donné immuable, il y a
véritablement création de nouveau, croissance. L’existence d’un donné
(thèse) appelle l’affirmation de son contraire (l’antithèse) et de la lutte
entre thèse et antithèse sort la synthèse (Vedel 203).
Dans la rhétorique « L’antithèse c’est la figure par laquelle on rapproche
en les opposant deux mots, deux expressions, deux idées contraires, pour
leur donner plus de relief » (ATILF-TLF//temp//ft-38-2.htm). « Elle naît
de l’opposition de sens entre deux mots, deux syntagmes, deux propositions ;
son effet est d’autant plus fort qu’elle s’appuie sur une plus grande symétrie
d’éléments davantage antonymiques ; c’est pourquoi les couples d’antonymes
(souvent abstraits) lui conviennent particulièrement » (Mounin 31).
Les observations les plus intéressantes à propos de la nature de l'antithèse
appartiennent aux théoriciens du style, dont l'essence des travaux pourrait
105
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
être résumée de la manière suivante :
1) l'antithèse, par différence avec l'opposition, contient l'élément de
l'intensité soulignant la différenciation des traits distinctifs ;
2) l'antithèse caractérise forcément les traits distinctifs mis en
évidence ;
3) l'antithèse suppose une diversité de tonalités.
Le matériel de construction des antithèses ce sont les antonymes.
La caractéristique des antonymes qu'on trouve dans la littérature scientifique peut avoir deux dimensions : paradigmatique et syntagmatique.
Les antonymes ne peuvent pas être conçus comme des schémas statiques
dans l'existence des paradigmes potentiels du système linguistique abstrait.
Ils peuvent être privés de la dynamique syntagmatique que leur offre le
contexte. Une des particularités fonctionnelles principales des antonymes
dans le contexte c’est qu'ils reflètent l’unité dialectique entre les notions
contraires, le passage d’une notion dans une notion opposée, l'interpénétration, la fusion de deux notions qui s'attirent et se repoussent en
même temps, tout cela s'exprimant en dimension ontologique, par le
biais de l'analyse des transformations qualitatives, ayant lieu dans la
réalité objective (Sârbu 21).
Une autre particularité fonctionnelle des antonymes gît dans leur propre
sémantique qui est suffisamment indépendante des conditions contextuelles. Mais dans le cadre d’une structure unitaire ces oppositions se
soumettent à la concrétisation, en obtenant des nuances sémantiques
supplémentaires, propres seulement à cette construction.
La recherche des oppositions des lexèmes confirme le postulat que les
oppositions créées dans le texte littéraire, d'après leur richesse et diversité,
dépassent ce que la norme de la langue nous propose. En vertu du fait
que c’est l’approche subjective envers les objets et les phénomènes de la
réalité qui prévaut dans la réception d’un texte littéraire, le rapport de
contraste entraîne des unités lexicales de sémantique diverse. Ce facteur
contribue { l’apparition d’une quantité illimitée d'oppositions originales,
inattendues, individuelles.
Il faut traiter de merveilleuse la tendance de la pensée humaine vers la
transformation stylistique par le biais de l'esthétisation de l'usus, tendance
permettant la sensibilisation du caractère inépuisable des oppositions
sous forme d'antithèses. Ce n'est pas par hasard qu'on a nommé l'antithèse
« figure de la pensée ». Cela est partiellement explicable par le fait que
dans l'antiquité l'antithèse était répandue dans le style oratoire. C'est
aux savants de l'antiquité qu'on doit la découverte de l'antithèse et la
description de sa sémantique et partiellement de ses formes.
Ainsi l'antithèse est-elle définie comme une figure de style basée sur
des antonymes qui a une multitude de configurations syntaxiques et
beaucoup de fonctions stylistiques.
L’antithèse c'est { la fois une structure simple et complexe sous forme
d’entité informationnelle ou sentence binaire qui sert { des buts stylistiques
106
Contribution spéciale Ana Guțu
concrets dans le texte littéraire, « ... figure, par laquelle dans la même
période on oppose deux pensées, deux expressions, deux mots tout à fait
contraires pour en faire mieux ressortir le contraste » (Manoli 27).
Assez souvent le fonctionnement stylistique des antonymes n'est pas
nommé antithèse, on évite de le faire. Les sphères de l'applicabilité de
l'antithèse comme actualisateur de l'antonymie linguistique en général
et figure stylistique en particulier ne sont pas toujours déterminées.
Nous croyons pouvoir affirmer qu'il faut délimiter la notion de fonction
primaire et fonction secondaire de l'antithèse.
À l'intérieur de la fonction primaire, qui est celle descriptive, nous
pourrions distinguer la description-caractère, la description-paysage,
la description-sentiments, la description-action, la description-portrait
etc. La notion de fonction secondaire comprend, en plus, le trait distinctif
important de l'antithèse ({ titre de leitmotiv) dans telle ou telle œuvre
littéraire en liaison directe avec le style de l'auteur, le genre littéraire, le
courant littéraire auquel appartient l'œuvre. Le plus souvent, les écrivains
tâchent de décrire objectivement tel ou tel phénomène, objet de la
réalité, mais ils utilisent l'interprétation individuelle des possibilités
systémiques de la langue. Les fonctions secondaires d’appréciation, de
jugement, symbolique-contrastive, de fixation chronologique, socioantagoniste, et probablement beaucoup d'autres, sont des fonctions
satellites de la fonction textuelle primaire (principale) de l'antithèse qui
est la description,
Une autre fonction primaire de l'antithèse, selon nous, c'est la fonction
de structuration et organisation du texte littéraire. Par différence avec la
descriptive qui peut être polyvalente, une hyperfonction, la fonction
primaire de structuration du texte littéraire est monovalente, c’est-àdire élémentaire. Cela n'exclut pas les types de structuration générique
(avec la mise en évidence des éléments contrastants supra-textuels à
caractère symbolique, de leitmotiv) et segmentaire (valable sur un segment
de texte déterminé). L'antithèse, du point de vue de cette fonction primaire,
est interprétée comme l’opposition d'éléments textuels différents et leur
interaction fonctionnelle, déterminée par un seul but communicatif – la
mise en relief d’un trait distinctif par le biais de l’opposition. Pour la
caractéristique des fonctions textuelles secondaires nous avons tâché de
faire abstraction des notions d’« opposition », « contraste », « contradiction »,
car elles sont contenues explicitement dans la définition de l'antithèse
comme figure de style. Cela signifie que dans le cas où s'il s'agit de la
fonction secondaire de persuasion stylistique, alors la persuasion se fait
par le biais du contraste, de la mise en évidence – par la même voie etc.
La fonction textuelle caractérologique-descriptive de l’antithèse
dans le roman de George Sand Le meunier d'Angibault.
Ce roman appartient à la série de romans dits « champêtres ». La critique
littéraire tâche de placer le roman dans un contexte économique : on y
107
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
suit le motif du pouvoir destructif de l'argent pour l'homme, motif qui
imprègne la structure du roman, son intrigue, d’un parallélisme immanent
des oppositions entre les personnages : Marcelle – Henri, Rosé – Louis,
Bricolin – Paul. La critique littéraire traite ce roman de « socialiste »
(Didier 7), car l'idéal de la vie pour G. Sand c'est la vie champêtre, le
travail à la campagne, le simple bonheur humain. Le roman est privé de
sujet piquant, d'antagonismes flagrants et culminants, de pensée philosophique, mais, partant du genre du roman, on peut mentionner que la
plupart des constructions antithétiques sont appelées à décrire les
personnages du roman, la nature, les mœurs, les actes des personnages.
Il faut ajouter que le contraste se réalise principalement dans trois
directions : l'opposition entre les modes de vie patriarcal et matriarcal
(dans les familles), d'ailleurs l'auteur elle-même penche vers le premier ;
l'opposition entre l'image du feu et de l'eau (avec des éléments mystiques) ;
l'eau, c'est la nature-même de la Vallée Noire avec ses marécages, le feu,
c'est le pouvoir destructif, l'incendie provoqué par la fille folle de
Bricolin ainsi que la scène de la torture de Bricolin-le grand, à laquelle
l'auteur revient en permanence ; la troisième direction c'est l'opposition
à l'intérieur de l'idéal comme tel de l'auteur concernant la vie rustique :
d'un côté, la vie pauvre, indolente, ravagée par l'alcool, des paysans (le
père Cadoche), d'un autre côté, c'est le mode de vie rustique, sain,
accompli, travailleur. Citons deux exemples : Chez la plupart des paysans
de la Vallée Noire la misère la plus réelle, la plus complète se dissimule
discrètement et noblement sous ces habitudes consciencieuses d'orde et de
propreté. La pauvreté rustique y est attendrissante et affectueuse. On
vivrait de bon cœur avec ces indigènes. Ils n'inspirent pas le dégoût, mais
l'intérêt et une sorte de respect. Il faudrait si peu de superflu du riche pour
faire cesser l'amertume de leur vie (Sand 291).
La quatrième direction de réalisation du contraste dans les antithèses
du roman c'est l'opposition de l'aristocratie rustique avec les paysanstravailleurs. Dans cette opposition se fait sentir la sympathie de G. Sand
pour les paysans simples et son désir d'approfondir le contraste sur le
compte de la socialisation des personnages selon le principe de classe,
par exemple : Tandis que le paysan est toujours maigre, bien proportionné
et d'un teint basané qui a sa beauté, le bourgeois de campagne est
toujours dés l'âge de quarante ans affligé d'un sros ventre, d'une
démarche pesante et d'un coloris vineux qui vulgarisent et enlaidissent les
plus belles organisations (ibidem : 98) ; La terre est bonne pour quiconque
y réside, en vit et y fait des économies, c’est la vie des campagnards comme
moi. Mais pour vous autres gens des villes, c’est un revenu misérable
(ibidem : 101).
Et bien sûr la collection d'antithèses n'est pas privée de la présence
des antithèses portraits de type caractérologique : C'était un contraste
frappant que ces deux sœurs, l'une si horriblement dévastée par la
souffrance, si repoussante dans son abandon d'elle-même, l'autre si bien
108
Contribution spéciale Ana Guțu
parée, brillante de fraîcheur et de beauté et cependant il y avait de la
ressemblance dans leurs traits (ibidem : 307) ; On pouvait présager l’époque
où cet homme si dispos, si matinal, si prévoyant et si impitoyable en
affaires, perdrait la santé, la mémoire, le jugement et jusqu’{ la dureté de
son âme, pour devenir un ivrogne épuisé, un bavard très lourd et un
maître facile à tromper (ibidem : 96).
Le leitmotiv du contraste de base du roman, c'est l'opposition entre
l'amour et l'argent, contraste, d'ailleurs, pas moins éternel que celui entre
le bien et le mal. Dans le final du roman ce contraste se neutralise (relativement). G. Sand, en tant que représentante véritable du romantisme,
trouve un dénouement acceptable de convivialité de ces deux phénomènes
(l'amour et l'argent), mais, soulignons : une neutralisation relative a lieu,
stylistique-compositionnelle, et non pas absolue, au plan philosophique.
La constatation la plus inattendue à la suite de l'analyse du matériel
factuel c'est la prépondérance des antithèses aux éléments normathémiques (construites à partir des antonymes traditionnels : Ça éclaire un
coin, ça obscurcit l’autre (ibidem : 344) ; On le rencontre partout et nulle
part (ibidem : 53) sur les antithèses pragmathémiques (construites à
partir des antonymes originaux, individuels), malgré le fait que selon le
style lyrique-romantique du roman et la sensibilité de l’auteure, on se
serait attendu à un résultat contraire. Dans ce cas, il s'agit de la liberté
du choix de l'auteur des moyens dont il a besoin pour exprimer ses
pensées. Encore au XVIII-ième siècle Monfleur du Marsais remarquait :
« Ce choix est un effet de la finesse de l'esprit et suppose une grande
connaissance de la langue » (60). Grâce à cela le nombre des antithèses
non-parallèles (irrégulières) est deux fois plus grand que celui des
antithèses parallèles.
La fonction textuelle de l’antithèse de description sentimentale
dans la prose de Colette et Pierrette Fleutiaux.
Il est bien étrange que dans le roman idyllique de G. Sand nous ayons
attesté moins d'antithèses traitant des sentiments des personnages que
dans la prose susmentionnée. L'antithèse du roman de G. Sand est une
antithèse-portrait, imagée, paysagiste, tandis que dans la prose des
dernières décennies nous remarquons une vive tendance à la psychologisation du contenu, vers la découverte de l'ontogénèse sentimentale
de l'homme. Les écrivaines tentent de pénétrer la profondeur des émotions
et sentiments vécus. Alors, dans ces œuvres l'antithèse acquiert encore
une fonction textuelle supplémentaire, celle de description sentimentale.
On peut observer d'après le schéma génétique-stylistique que les antithèses
sont construites { partir d’éléments antonymiques plutôt traditionnels :
le coefficient des antithèses parallèles est grand, les éléments pragmathémiques et normathémiques des constructions antithétiques sont
approximativement en proportion de 1/1. Cela en dit long sur le fait que
109
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
les sentiments, si différents qu'il soient, avec la multitude des nuances et
états de transition, exigent d'être transmis au lecteur avec beaucoup de
précision. À cette fin l'auteur doit choisir des moyens qui conservent la
proportion aussi bien dans le plan de l'expression que dans le plan du
contenu, c’est justement cela que font Colette et Pierrette Fleutiaux, par
exemple : Nous étions séparés et ensemble (Fleutiaux 240) ; Et je marche
au-devant de moi, avec une sorte de gaieté funèbre (Colette 57) ; Pouvezvous aimer une si vieille jeune femme ? (ibidem : 202).
L’analyse du matériel factuel nous indique la haute fréquence des
antithèses binaires (oxymoron, séries transitoires, biconstructions parallèles et non-parallèles). L'antithèse des sentiments est une construction,
permettant plus que les autres d’opposer non seulement deux, trois,
mais plusieurs phénomènes, états d'âme, images psychologiques sans y
remarquer l'élément « de transition », neutre de la construction : Il y a
des jours où la solitude pour un être est un vin grisant qui vous soûle de
liberté, d'autres jours où c'est un tonique amer et d'autres jours où c'est un
poison qui vous jette la tête aux murs (ibidem : 231) ; La solitude, la
liberté... mon travail plaisant et pénible de mime et de danseuse... les
muscles heureux et las (ibidem : 69).
Colette est par excellence l’auteure qui crée des antithèses de sentiments,
des impressions. Les constructions antithétiques de Colette sont le plus
souvent très concentrées, précises, { titre d’oxymoron, { comparer, par
exemple, avec celles de Fleutiaux. Colette entrevoit des contrastes
parfois insolites, dans des phénomènes ou des choses familières : J’ai
reçu la douche que j’attendais, et je cours me sécher, m’embouer,
m’épanouir { la flamme... (ibidem : 166) ; Ni plus noir, ni plus clair que
l’ombre (ibidem : 240) ; Où mon camarade élit pour victime tantôt une
jeune femme timide, tantôt une vieille femme agressive (ibidem : 31).
Fleutiaux s’adonne { l’exubérance et { la prolifération pour ce qui est
de la longueur des constructions antithétiques. Elles sont, semble-t-il,
exhaustives, ayant une structure complexe, contenant des éléments
lexicaux pragmathémiques et normathémiques. J'aurais voulu être belle
d'une façon neutre, sans l'être de façon distinguée comme les bourgeoises
de notre soirée, ni de façon extra-vagante comme les Noires et les
Portoricaines, ni de façon sale comme les hippies, ni de façon voyante
comme les Juives, ni de façon anarchique comme la plupart des autres
Américaines (223) ; La première dégageait une impression de force et
même de brutalité, de violence à peine contenue. La seconde était toute
tendresse et douceur (ibidem : 231).
Dans le premier exemple l’auteur énumère quelques variantes de la
notion « être belle », en effet, quelle finesse de désir « être belle d'une
façon neutre » ! Cela devrait exclure tant de variantes de la beauté
féminine ! Ce sont là des exemples des antithèses parallèles mixtes aux
éléments pragmathémiques. D'ailleurs, sans contexte ou préparation
psychologique, on peut se rendre compte que ce n'est pas Sand, c'est la
110
Contribution spéciale Ana Guțu
nouvelle française des années 70. Or, le désir n'est pas moins contradictoire que la perception, par exemple : II n'y avait qu'un magma incohérent de couleurs. Tantôt il me semblait qu'elles s'incendiaient toutes
avec violence et je devenais feu, puis brusquement les couleurs se gelaient,
le glacier se levait vers le ciel d'une longue poussée irrésistible. J'avais à la
fois de la peur et de l'exaltation. Puis soudain il me semblait au contraire
que les couleurs se fondaient, s'organisaient de façon harmonieuse, je
sentais dans mon cœur une paix, une douceur, une tendresse qui me
promettait enfin le repos total (ibidem : 233).
Il faut noter la présence intense des antithèses dans le roman de P.
Fleutiaux La toile. Le titre même ainsi que le contenu laissent une
empreinte sur la spécificité de ces antithèses : étant donné la suprasaturation d'éléments antithétiques désignant les couleurs, la couleur
devient la notion de base et l'élément constitutif principal des constructions
antithétiques centrales du roman. Cela malgré l'opinion qu'il n'y aurait
pas d'opposition antonymique entre les dénominations du microsystème
des couleurs (Duchacek 55).
L'écrivain parvient à convaincre le lecteur à quel point une même toile
est capable d'influencer le psychisme de l'homme en suscitant des
sentiments et des impressions différents selon l'état d'âme du personnage
(souvent allant jusqu'à la folie...).
L'exemple cité est une antithèse complexe, non-parallèle, mixte, se
divisant en blocs/séries et en généralisateurs binaires (composantes qui
généralisent la charge sémantique des syntagmes qui suivent). Le schéma
de cette construction sera le suivant :
Le schéma lexicométrique du fonctionnement des antithèses dans les
œuvres analysées de Sand, Colette, Fleutiaux aurait la présentation
suivante :
111
La liberté de la création au féminin. In honorem Ana Guțu.
Auteur
Sand
Colette
Fleutiaux
No. ex.
antithèses
132
84
Complexes
25
4
Simples Normat. Pragmat.
107
80
82
43
50
41
En guise de conclusion en marge de notre étude nous pourrions déplacer
la balance en faveur du style de George Sand quant à la générosité de la
création des effets littéraires { l’aide des antithèses, figures de pensée
inédites, mettant en valeur la loi philosophique de la dialectique basée
sur l’attraction et l’unité des contraires.
__________
Références bibliographiques
Colette. La vagabonde. Moscou : Radouga, 1983.
Didier, B. Le meunier d'Angibault – roman socialiste? Le meunier d'Angibault.
Paris : Librairie Générale Française, 1985.
Duchacek, O. « Sur quelques problèmes de l'antonymie ». In : Cahiers de
lexicologie (1966).
Fleutiaux, P. L'histoire du tableau. Moscou : Radouga, 1982.
Kant, I. « Critique de la raison pure » Paris, 2001. In : <http://www.
annasvenbro.net/> consulté le 07.02.2012.
Manoli, I. Z. Description lexicographique des termes de stylistique et poétique (en
russe). Chişinău : Ştiinta, 1989.
Marsais, Du M. Des tropes ou des différents sens dans lesquels ont peut prendre les
memes mots. Paris : Chez David, 1757.
Merleau-Ponty, M. Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard, 1945.
Mounin, G. Dictionnaire de la lingustique. Paris : Quadrige/PUF, 2004.
Sand, G. Le meunier d'Angibault. Paris : Le Livre de Poche, 1985.
Sârbu, R. Antonimia lexical{ în limba română. Timişoara: Fada, 1977.
Vedel, G. Manuel élémentaire de droit constitutionnel. Paris : Sirey, 1949.
112