EPPL3 2009 - Espace Langues

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EPPL3 2009 - Espace Langues
C. Tardieu
EPPL3 2009
Vous disposez d’un dossier constitué des documents suivants :
- Documents A1 et A6 : extraits d’un manuel de terminale publié en 1992 (A3 et A4,
ainsi que A5 et A6 sont à mettre en regard l’un de l’autre)
En vous appuyant sur l’analyse des documents constituant ce dossier, vous vous interrogerez
sur le traitement pédagogique de supports littéraires et la prise en compte de leur spécificité.
Intro :
Dossier requérant une analyse simple (non comparative) manuel terminale (niveau B2 attendu
aujourd’hui), diachronie de près de 12 ans avec TO en vigueur aujourd’hui. Régi par TO de
1987 + apport livrets d’évaluation 2nde. Avant réforme BAC 95.
Le dossier s’articule autour de supports littéraires en relation avec le personnage le plus
emblématique de la littérature anglaise, William Shakespeare. Il s’agit en fait du choix d’un
sonnet d’amour (le 18/154) et d’un célèbre extrait de A Midsummer Night’s dream, (date de la
comédie).
La consigne nous invite à nous interroger sur le traitement pédagogique de supports littéraires
et la prise en compte de leur spécificité. Quels sont donc ces supports, quelle est leur valeur
potentielle en termes de genre, de formes et de contenu, de contextes possibles. Comment
cette spécificité est-elle prise en compte par les concepteurs ? Quel apport à la culture
d’élèves de terminale, quel apport à leur aptitude à communiquer en L2 sur des documents de
nature littéraire ?
Dans quelle mesure les concepteurs du manuel permettent-ils aux élèves de terminale de
s’approprier certaines des plus riches ressources du patrimoine littéraire anglais ?
Pour répondre à cette interrogation, nous étudierons d’abord la qualité des supports choisis,
puis nous comparerons leur potentiel aux choix opérés par les concepteurs du manuel en
termes de savoirs, enfin nous mesurerons la pertinence de la démarche en termes de
développement de savoir-faire.
IIIIII-
Spécificité supports et leur potentiel
Pertinence démarche en termes de savoirs
Pertinence démarche en termes de savoir-faire
I- Spécificité supports et leur potentiel
3 supports culturellement authentiques, appartenant à la culture cultivée, fleurons du
patrimoine anglais. Deux supports littéraires + un tableau de Füssli.
- le sonnet 18 de Shakespeare (expliquer sonnet : cf encart)
- extrait de l’acte V, scène 1, célèbre tirade de Theseus où l’on retrouve des vers
célèbres comme : « The lunatic, the lover, and the poet/Are of imagination all
compact ».
Deux supports liés par le thème de l’été, de la St Jean, du solstice de la beauté et de l’amour,
en même temps une métaphore de la créativité artistique qui rend tout cela immortel. En un
sens, Shakespeare est présenté ici à l’opposé de Platon qui relègue l’imagination au 4è rang
des facultés de l’âme (République, VII, 533a-534a). Selon lui, l’art n’est qu’une imitation au
troisième degré des modèles ; et, de la République idéale, il se voit obligé de bannir un poète
tel qu’Homère (République, X, 600c-601c). Pour les métaphysiciens, l’imagination est
« maîtresse d’erreur ». Ce n’est qu’avec Bachelard que non seulement l’imagination est
réhabilitée mais encore magnifiée : Selon Bachelard, « bien loin d’être faculté de « former »
des images, l’imagination est puissance dynamique qui « déforme » les copies pragmatiques
fournies par la perception. » (Ibid. : 26) Il poursuit dans Poétique de la rêverie (1961 in
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Gallien, 1993 : 79) : « L’imagination est la faculté de déformer les images fournies par la
perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les
images. Elle est dans le psychisme humain l’expérience même de l’ouverture, l’expérience
même de la nouveauté ». La pièce de Shakespeare est une illustration de ce pouvoir déformant
de l’imagination poétique et de sa capacité à créer et recréer le monde, et le sonnet illustre
quant à lui le fait que l’imagination permet de s’affranchir de la loi du temps (df les 4 derniers
vers du sonnet)
Le tableau de Füssli (peintre et écrivain d’art britannique, né à Zurich en 1741, mort à Putney
Hill en 1825.) présente un intérêt en soi. Tableau le plus connu : le cauchemar :
Supports assez difficiles (aujourd’hui référencés à B2)
Intérêt pour élève de terminale à condition que l’appareil pédagogique puisse
Lui donner accès
aux genres :
- la spécificité du sonnet anglais (forme et différences avec sonnet français, éléments de
versification)
- le théâtre de Shakespeare (tragédies≠comédies) Théâtre élisabethain
au contexte historique, géographique, littéraire, éventuellement situer Shakespeare par
rapport à des auteurs français (en France, 16è-Ronsard, du Bellay 17ème, Molière,
Racine, Corneille)
au contexte philosophique : début de la modernité, de la perte de sens (Webster, le
théâtre élisabéthain, en France, Pascal)
à l’auteur
aux thèmes emboîtés de l’été, de l’amour, de l’imagination et de la création artistique
lui faire comprendre
- l’explicite : Etudier les deux textes (commentaire) donner des outils transférables pour
l’analyse.
- l’implicite : faire comprendre l’emboîtement des métaphores
- interprétation : faire écouter, faire dire, faire jouer, faire mémoriser, etc.
Tâche ardue.
Comment les concepteurs s’y sont-ils pris ?
II- Pertinence démarche en termes d’accès donné au sens explicite et implicite
3 documents iconographiques ‘didactiques’ + une bande dessinée de type rébus sont
fournis :
Une grande photo-montage d’un personnage contemporain faisant voler un cerf-volant
mais auquel on a substitué le visage de Shakespeare apparaît sur la page de couverture de
l’unité, intitulé « Shakespeare in the park », en illustration d’un vers de l’extrait de A
Misdummer Night’s dream : « The poet’eye in a fine frenzy rolling,/Does glance from
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heaven to earth, from earth to heaven. » Métaphore du cerf-volant pour illustrer ce va-etvient entre le ciel et la terre.
- Une photographie bucolique pour le sonnet,
- dessin dans le style d’Arcimboldo représentant le portrait de Shakespeare dans le
feuillage d’un arbre.
On a le sentiment que ces documents sans doute créés ou sélectionnés dans une banque
d’images par les concepteurs du manuel (absence de source) sont là pour donner accès aux
documents authentiques, et ce, d’une manière humoristique ou tout au moins distrayante.
Le visage de Shakespeare est connu des élèves et apparaît sur le document A1 et A5
comme s’il fallait amener les élèves aux textes par le sas des images.
On note également la présence d’une bande dessinée de type rébus où figure de nouveau
le personnage de Shakespeare représenté en train d’imaginer et d’écrire le sonnet. Le
rébus peut se comprendre si l’on dispose du texte. Par exemple sur l’image 1la bulle
représente « compare thee to a summer’s day » ; l’image 2 « Thou art more lovely and
more temperate ».
On peut donc en conclure que les images didactiques n’apportent rien sur le plan culturel
ou littéraire, mais sont censées faciliter l’accès au texte, au sens du texte, au sens
métaphorique du texte (l’image du cerf-volant) et ont une fonction essentiellement
illustrative.
Ces images et rébus donnent accès au sens explicite et implicite d’éléments précis des
deux supports.
L’encart sur le sonnet en A2 : encart informatif sur la forme du sonnet anglais, encart
assez complet qui peut permettre à l’élève de disposer des clés pour l’analyse ; de
connaître un élément-clé de l’œuvre de Shakespeare : les 154 sonnets.
Le résumé préliminaire de la pièce en A5 qui permet d’en saisir l’essentiel.
Un certain accès au sens est donné mais de manière limité : absence de contextualisation
littéraire, historique, philosophique, biographique. Absence d’éléments de contrastes.
La pertinence de la démarche en termes d’accès au sens explicite et implicite est très relative.
III Pertinence démarche en termes d’appropriation dans communication
Dans quelle mesure les élèves sont-ils amenés à comprendre réellement les enjeux littéraires
des deux documents, voire l’enjeu artistique du tableau de Füssli ?
Une démarche en 8 phases indiquées par des lettres de A à H : les deux études de texte ne sont
pas conçues en parallèle et sur le même plan mais de manière intégrée à un projet unique.
A ce titre le sujet de l’essai proposé en H est cohérent. Il s’agit d’une production libre en 250
mots (comme au baccalauréat en vogue à l’époque) qui requiert de l’élève le réinvestissement
de l’étude des deux supports. Se pose alors la question de la gradation dans la difficulté, de la
progression.
Compréhension
-lexique : en A2 classement de mots en deux champs sémantiques (étiquettes données)
- A3 : exercice d’appariement (présentation discutable)
- A6 F même type qu’en A2. Donc pas de progression dans l’autonomie élève.
On retrouve cette approche du lexique donné plutôt que cherché en G question 1.
Pas de souci de progression
-Questions avec qq surprises : par exemple en A2, A question 3 on entre de plain-pied dans la
métaphore. Il n’est pas sûr qu’à ce stade l’élève aura les moyens linguistiques et les savoirs
pour l’exprimer. Idem en A2, B question 1 : exercice où il est très difficile d’anticiper.
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En A4, D les questions portent essentiellement sur l’explicite, requièrent un niveau de
réflexion moindre que la question 3 de A en 2. Encore une fois pas de progression logique.
D’autre part ces questions de compréhension ne font aucun état de la spécificité du sonnet.
Aucun usage n’est fait de l’encart de A2.
Une coquille en A6 F question 2.
En fait, l’analyse du sonnet est proposée intégralement sous la forme d’un long commentaire
d’environ 300 mots se présentant également comme un exercice lacunaire (18 mots ou
fragments de mots). Ce qui n’est pas pertinent pour l’appropriation par les élèves.
On est surpris aussi par l’enchaînement des questions en A6, F : on passe du classement
lexical à une question d’interprétation du doc iconographique en A5 en relation avec le texte
de A Midsummer’s Night Dream dont n’a été étudié que le lexique à ce stade. Même si on
comprend que le travail lexical sur imagination et réalité peut servir pour interpréter le
message du doc icono, on s’attendrait à ce que la démarche du commentaire d’image soit
respectée (dénotation, connotation, interprétation).
Aucune analyse spécifique du tableau de Füssli.
On n’est pas certain que la démarche de compréhension soit pertinente ici.
Production
-Production orale en A2, A question 2 : bizarre de faire produire des expressions complexes
avant l’écoute. Problème de la prononciation des mots transparents. Par ex : « blending the
sublime and the ridiculous ».
-Production orale ou écrite en A6, G 3 et 4. Sur quels éléments l’élève pourra-t-il construire
son discours. Par ex en 3 : Là encore on lui demande d’entrer dans l’interprétation d’emblée
en oblitérant les phases premières « try to imagine what its main themes may be, say how this
extract fits in with these main themes ». Démarche à l’envers.
-H : Production écrite en deux parties redondantes l’une par rapport à l’autre. Aucun guidage
pour l’élève. (Pourtant une épreuve de production semi-guidée figurait au Bac à cette époque).
Paradoxe si l’on considère le caractère très guidé de certains exercices (A4, E).
Carences par rapport aux potentialités : absence totale de référence au genre théâtral
(sauf le terme « Comedy » qui apparaît), de recherche sur ce genre, sur l’écriture en
vers.
Absence de référence au jeu théâtral, à l’oralité, à la musicalité, à la communication nonverbale, etc.
La démarche des concepteurs est paradoxale. D’un côté ils s’inscrivent dans une approche
déductive en proposant les réponses d’emblée, de l’autre ils sollicitent l’interprétation, voire
l’extrapolation sans aucun garde-fou.
La pertinence de la démarche en termes de chance d’appropriation et de prise en compte de la
spécificité du support poétique et théâtral n’est pas défendable.
Conclusion : Les concepteurs de cet appareil pédagogique ne semblent pas tenir compte de la
spécificité des supports et ne pas permettre à l’élève de terminale d’y avoir accès. Que serait
une démarche plus soucieuse de réussir ? Peut-être un appareil pédagogique plus rigoureux
incluant une phase de contextualisation dense et riche, une phase d’appropriation des supports
par des outils d’analyse transférables, enfin, une phase de réflexion sur le pouvoir de
l’imagination et de la création artistique qui pourrait s’appuyer sur le tableau de Füssli, mais
aussi sur le visionnage de la pièce dans la mise en scène de Kenneth Brannagh, par exemple,
ou le visionnage du film Shakespeare in Love qui traite de cette question, ou encore, la mise
en scène de fragments de pièces par les élèves, autre manière d’interpréter les beaux textes.

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