du Nasdaq à Montréal

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du Nasdaq à Montréal
Richard Groome, instigateur
du Nasdaq à Montréal
ISABELLE MARCEAU • PHOTOS : SONIA JAM
Richard Groome se félicite encore de sa nouvelle recrue : Nasdaq
Canada, qui devrait sous peu installer son siège social à Montréal.
Le président de Groome Capital, société de courtage de plein exercice spécialisée dans les compagnies de croissance de la nouvelle
économie, a pris l’initiative d’établir les ponts entre le gouvernement québécois et les dirigeants de la Bourse américaine.
a Bourse Nasdaq à Montréal
va ouvrir des portes!» s’enthousiasme Richard Groome.
«C’est déjà le plus gros marché pour
les compagnies en croissance; il va augmenter substantiellement la visibilité
et la liquidité des titres canadiens et
québécois de nouvelles technologies à
travers le monde», précise ce Montréalais de naissance et de cœur.
Maillon d’une grande chaîne internationale de Bourses électroniques,
Nasdaq a le formidable avantage de
fournir une porte d’entrée sur la plus
riche réserve de capitaux et le plus vaste
marché à saveur technologique : les
États-Unis. Les yeux vont se tourner
«L
vers les compagnies canadiennes, et certains courtiers américains risquent
même de venir s’installer au Québec.
Nasdaq n’en est pas à son premier
essai à Montréal. En 1995, à l’époque
où Richard Groome travaillait pour le
courtier Marleau, Lemire, tous les terminaux du Nasdaq étaient déjà branchés.
«Nous avions tout l’équipement de
Nasdaq installé chez Marleau, Lemire,
assure-t-il. Mais les organismes de réglementation ne l’entendaient pas de cette
façon et ils nous ont intimé de nous
départir des terminaux américains. Nous
n’avons pas eu le choix d’obtempérer».
Depuis ce premier échec pour l’implantation du Nasdaq dans la métroSEPTEMBRE 2000
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pole québécoise, Richard Groome a
patienté, même si le projet semblait particulièrement difficile à réaliser en raison de la complexité de la réglementation canadienne.
Toutefois l’automne dernier, au lendemain de la restructuration des
Bourses canadiennes, alors que le
ministre des Finances du Québec,
Bernard Landry, menaçait de torpiller
l’entente entre les Bourses par une loi
spéciale, Richard Groome y a vu l’ouverture. Adepte confiant des nouvelles
technologies, il a donc organisé une rencontre à Washington avec M. John Wall,
le président de Nasdaq International,
et les représentants du gouvernement
du Québec. C’était le bon moment :
tout s’est déroulé de façon très simple
cette fois-ci, la restructuration des
Bourses et le contexte politique ayant
donné de l’assise au projet.
Richard Groome tient cependant à
minimiser son rôle dans la venue du
Nasdaq à Montréal. «Je n’ai été que le
catalyseur dans cette affaire, c’était d’avoir
été au bon endroit, au bon moment»,
insiste-t-il. Selon M. Groome, l’idée
d’équilibrer les pouvoirs au pays a agi en
faveur de l’événement : la Bourse
Nasdaq à Montréal devrait compléter le
CDNX et donner un peu de concurrence au TSE… en rognant sur le monopole de la Bourse de Toronto.
Et la Bourse de Montréal? Elle
pourrait perdre quelques-unes des
129 sociétés à petite capitalisation inscrites à sa cote. «La concurrence, c’est
important et stimulant. Pendant trop
longtemps, les Bourses n’étaient pas
concurrentielles», déclare M. Groome,
lui-même membre des trois Bourses
canadiennes. Pour lui, le fait que toutes
les décisions soient prises à Toronto ne
facilite pas toujours les choses : les compagnies qui ont de gros succès doivent
se déplacer chaque semaine dans la Ville
reine pour avoir des financements.
Un accueil enthousiaste…
au Québec
Mais, bien plus que ça, «C’était le choix
de Nasdaq de venir à Montréal,
affirme-t-il encore. D’après ce que j’ai
entendu, le gouvernement du Québec
était plus réceptif au fait d’avoir une
Bourse électronique comme Nasdaq
que le gouvernement ontarien. Il a fallu
changer des lois et, pour un gouvernement, ce n’est pas facile.» Pour implanter rapidement Nasdaq au Québec, le
gouvernement a dû court-circuiter la
Commission des valeurs mobilières du
Québec (CVMQ) en s’appropriant le
pouvoir de reconnaître les règles de
fonctionnement et d’encadrement de
Nasdaq, qui devient un organisme d’autoréglementation. La CVMQ , par
exemple, ne tiendra pas d’audiences
publiques comme elle aurait dû le faire
en principe et supervisera les opérations
de cette Bourse électronique seulement
quand son implantation aura été complétée. Elle a cependant réussi à exiger
que toutes les compagnies cotées ou
ayant des activités dans la province
publient leurs résultats financiers au
moins en français. Un bémol : cette
règle s’appliquera uniquement aux
sociétés canadiennes souhaitant s’inscrire au Nasdaq Canada; les firmes
américaines qui seront cotées à Montréal ne seront pas soumises aux mêmes
règles. «La langue internationale des
finances est l’anglais», avait déclaré au
printemps dernier Scott Peterson,
porte-parole de Nasdaq, dont l’intention est que les terminaux de Nasdaq
au Québec soient seulement en anglais.
L’accueil chaleureux du Québec a
donc facilité les choses, ce qui n’a pas été
pour plaire à tout le monde. Si, à
Toronto, la présidente de la Bourse,
Barbara Stymiest, a encouragé publiquement l’augmentation des marchés des
capitaux au Canada, d’autres ont été surpris, voire fâchés : «Certains ont peur de
la venue de Nasdaq à Montréal; ils
pensent que ça va enlever le business de
leurs poches, de leur firme», relate
M. Groome. En fait, Bay Street appréhende surtout que la filiale de Nasdaq
à Montréal attire des entreprises montantes à la recherche de capitaux, au détriment de la Bourse de Toronto. La réputation de la Bourse de Toronto souffrait
déjà de ses fréquentes pannes informatiques des derniers mois : «L’annonce de
l’implantation de Nasdaq à Montréal n’a
fait qu’ajouter à l’impression que les diri-
OBJECTIF CONSEILLER
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geants de la Bourse de Toronto se sont
endormis aux commandes», pouvait-on
lire dans le Toronto Star au lendemain de
la nouvelle… D’autant plus que Nasdaq,
à la portée de presque tous les claviers
d’ordinateurs, permet l’accès à un marché suffisamment fréquenté pour faire
des transactions fiables et rapides au plus
faible coût. «Le old boys club de Toronto
a été très surpris», dit Richard Groome.
Ainsi, les financiers torontois ne
s’attendaient pas, premièrement, à voir
Nasdaq arriver au Canada, ni à ce qu’il
choisisse Montréal ensuite. Ils pensaient
que, si Nasdaq devait faire une entente,
ce serait plutôt avec le TSE… mais ils ne
semblaient pas non plus vraiment motivés pour agir en faveur de sa venue.
Favoriser les entreprises
Outre le partage d’influence des Bourses,
l’implantation de Nasdaq au Québec a
également été favorisée par le développement d’un environnement propice aux
nouvelles technologies. Comme le mentionne M. Groome, si la Bourse de
Toronto a été créée à cause de la situation politique du Québec, les politiciens
ont depuis lors réagi en créant des
mesures incitatives pour attirer les compagnies et les emplois de la nouvelle éco-
nomie. De son point de vue, Groome
Capital n’a vu aucun obstacle surgir à
l’horizon. Au contraire, le gouvernement
québécois a toujours beaucoup fait pour
encourager le financement des entreprises, avec notamment le FSTQ et la
Caisse de dépôt et placement. Grâce à
un gros fonds de capital-risque (le
FSTQ est un acteur d’importance en
comparaison du working-venture de
Toronto), Montréal peut maintenant
prendre de l’avance par rapport à sa
rivale ontarienne. En effet, le Québec a
besoin de gens avec de nouvelles idées,
qui créent de l’emploi et mettent en
place des sièges sociaux à Montréal pour
attirer et accumuler la richesse… et
peut-être réussir à déplafonner les
salaires montréalais.
Seule ombre au tableau, selon
Richard Groome : le poids de la fiscalité au Québec.
«J’ai parlé de cela plusieurs fois au
gouvernement. Nous sommes les plus
taxés; c’est épouvantable. Si le ministre
des Finances peut réduire les impôts à
un niveau concurrentiel – même plus
bas qu’en Ontario – l’économie va rouler comme jamais. Un très bon exemple :
l’Alberta et ses récentes réductions d’impôt. L’idée est simple : plus on taxe les
gens, plus on étouffe les entrepreneurs
et la création d’entreprise. Sans parler
des individus qui dépensent moins»,
fait-il remarquer.
Une économie d’avenir
Malgré cela, Richard Groome se dit
«excessivement optimiste» pour l’économie à Montréal, avec les hautes technologies, la Cité du multimédia, etc.
L’aide du gouvernement commence
donc à porter ses fruits : le magazine
Wired classait récemment Montréal parmi
les premières villes au monde pour la
nouvelle économie et sa faculté à investir dans le capital-risque. Même s’il reste
encore du chemin à faire, l’engouement
pour ce type d’investissements reste présent et fait levier sur l’économie
québécoise.
La venue de Nasdaq tombe à point
nommé pour Groome Capital qui, justement, se spécialise dans la nouvelle économie. «On essaie d’aider les compagnies canadiennes… car les banques
canadiennes ne prêtent pas facilement
aux entrepreneurs qui doivent hypothéquer tout ce qu’ils possèdent.» Sa mission? Devenir le portail des compagnies
de croissance au Canada. Son président,
passionné d’Internet, a fait de la nouvelle
économie son credo quotidien : pour lui,
il ne s’agit nullement d’un effet de mode,
d’un soufflé qui retomberait subitement.
Investir dans la nouvelle économie, c’est
comme dans n’importe quel autre investissement : il est important de se baser
sur des fondements solides, et les investisseurs ont une grande éducation à faire
au sujet des compagnies de croissance.
«La nouvelle économie, c’est comme
acheter une maison : il faut faire attention et effectuer une vérification complète. Puis il faut vraiment étudier qui a
construit la maison, avec le profil et le
passé de l’entrepreneur qui l’a fait, pour
savoir si les fondations sont bonnes», ditil. Avec le développement d’Internet, les
investisseurs individuels ont l’occasion et
le temps d’avoir accès à de l’information
qu’ils n’auraient jamais eue auparavant.
Même si le courtier dit d’acheter ou bien
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de vendre, il est possible de faire sa
propre recherche sur des sites comme
celui de Sedar ou même de Groome
Capital, qui offre une recherche gratuite
à tous.
Ainsi les investisseurs, raffinés et
informés, peuvent prendre eux-mêmes
une décision éclairée.
Au mois de novembre 1998, Richard
Groome a mis sa pensée en pratique en
décidant avec sa femme Pénélope – qui
s’occupe des finances de Groome
Capital – de mettre sa société sur Internet et de l’orienter dans ce créneau d’avenir. «C’était risqué dans le temps. Effectivement, il y a beaucoup de gens qui se
sont rués sur Internet comme des fous
furieux. Ils se sont dits : tout le monde
va faire de l’argent… et ils ont mal fait
leur travail. Je suis courtier depuis 18 ans
et je fais, avant tout, un travail de courtier. Internet vient ensuite.»
L’arrivée de Nasdaq Canada à Montréal va donc avoir une implication très
positive pour sa firme, qui poursuit dans
sa spécialisation. L’initiative de Richard
Groome devrait bientôt se concrétiser :
la Bourse électronique verra officiellement le jour l’année prochaine. Cependant, les sociétés émettrices pourront
s’inscrire à partir de janvier prochain, et
des terminaux permettront aux investisseurs d’accéder au marché américain dès
cet automne.
Une arrivée chaudement attendue
parmi les premiers frimas.
Pour plus de renseignements :
Le site de Nasdaq :
http://www.nasdaq.com/
Les nouvelles du Nasdaq :
http://www.nasdaqnews.com/
Le site du ministère des Finances
du Québec :
http://www.finances.gouv.qc.ca/
Le site de Groome Capital :
http://www.groomecapital.com/