149 LA GESTION DU CONTENTIEUX FISCAL PAR L
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149 LA GESTION DU CONTENTIEUX FISCAL PAR L
LA GESTION DU CONTENTIEUX FISCAL PAR L’ADMINISTRATION MAROCAINE Zouhair IDER Direction Générale des Impôts MAROC Le contentieux est la manifestation d’approches opposant les intérêts de parties différentes à l’occasion de l’application de la règle de droit propre à chaque système juridique. En matière fiscale, le contentieux est un facteur de justice et d’équité fiscales à travers son double aspect de veille pour la stricte application de la loi et de révélateur des imperfections et insuffisances de cette loi. En réglementant les différentes procédures qui déterminent le déroulement et la solution des litiges, le législateur fiscal marocain a agi, dans une démarche progressive, d’un côté en assurant au contribuable des droits et des garanties dans ses rapports avec l’administration et, d’un autre côté, en renforçant les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Aussi et parallèlement à l’évolution des textes législatifs, ayant abouti à l’élaboration en 2007 du Code Général des Impôts (CGI), avec comme partie essentielle le livre des procédures, l’administration fiscale a également connu de grandes mutations tenant principalement à humaniser son action et à améliorer ses relations avec les contribuables. Cette intervention comportera trois parties. Une première partie sera consacrée au domaine du contentieux fiscal. La seconde 149 La gestion du contentieux fiscal au Maroc partie traitera des différentes phases du contentieux fiscal et la troisième partie sera consacrée à la gestion du contentieux fiscal. I- DOMAINE DU CONTENTIEUX FISCAL Le contentieux fiscal comporte deux branches distinctes. Le contentieux de l’assiette et le contentieux du recouvrement. A- Contentieux d’assiette Dans le contentieux de l’assiette, le contribuable conteste la conformité au droit de l’impôt mis à sa charge. C’est ainsi que doit se comprendre le texte de l’article 235 du CGI selon lequel les réclamations du contribuable tendent à obtenir soit la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’un droit résultant d’une disposition législative ou réglementaire. Au regard de la légalité interne, le contribuable soutient que l’impôt mis à sa charge par un acte d’imposition ou acquitté spontanément est illégal dans son principe ou dans son montant. Il en demande pour ce motif la décharge, la réduction ou la restitution. Au regard de la légalité externe, la critique formulée par le contribuable vise à dénoncer l’illégalité de l’un des actes pris au cours de la procédure ayant conduit à l’établissement de l’impôt telle la procédure de contrôle ou celle menée devant les différentes commissions de recours. Le contribuable conteste alors l’impôt à travers la procédure d’imposition suivie pour l’établir. Par ailleurs, qu’elles portent sur la légalité interne d’une imposition ou sur la validité des actes dont elles procèdent, les contestations fiscales sont tranchées selon des règles contentieuses strictement identiques, notamment en matière de délais. B- Contentieux de recouvrement Avant 2004, les services de la DGI ne connaissaient du contentieux de recouvrement qu’en ce qui concerne les droits d’enregistrement. Avec la prise en charge du recouvrement d’autres impôts et taxes à partir de 2004, la DGI est amenée à gérer progressivement cette partie du contentieux, concurremment avec les services de la Trésorerie Générale du Royaume (TGR). 150 La gestion du contentieux fiscal au Maroc Comme conséquence de cette unification organique de l’administration chargée à la fois de l’assiette et du recouvrement des impôts et taxes, l’intégration du contentieux de recouvrement dans le contentieux fiscal se trouve consolidée. Il gardera toutefois son particularisme. Par ailleurs et quant à son objet, la contestation porte sur des considérations qui ne remettent pas en cause le fondement légal de l’impôt. Elles touchent le plus souvent à la question de la prescription de l’action en recouvrement de l’administration ou à l’irrégularité des actes de poursuites accomplis pour le recouvrement forcé (commandement, saisies, Avis à tiers détenteurs…). Toutefois, dans la plupart des cas, les deux aspects du contentieux fiscal s’imbriquent étroitement à travers les demandes en sursis de paiement ou d’exécution, ce qui donne un contenu réel, voire stratégique à la réforme en cours, qui rattache le recouvrement des impôts à la DGI. II- LES DIFFERENTES PHASES DU CONTENTIEUX Le contentieux fiscal comporte une phase administrative obligatoire déclenchée par une réclamation préalable devant l’administration, suivie d’une phase judiciaire éventuelle. A- La phase administrative du contentieux fiscal. La différenciation des deux branches du contentieux fiscal par référence à leur domaine nous conduit à examiner successivement les règles concernant la réclamation dans le cadre de chacune d’elles. 1) La réclamation dans le contentieux de l’assiette La règle de la réclamation préalable est une règle de base du contentieux de l’assiette. La réclamation est formulée devant le Directeur des impôts ou la personne déléguée par lui à cet effet. Cette règle est impérative. Ainsi, le recours porté directement devant le juge sans respect de cette formalité est irrecevable. 151 La gestion du contentieux fiscal au Maroc a- Forme et contenu de la réclamation En principe, la réclamation est formulée par écrit. Toutefois, cette formalité n’est pas nécessaire pour la contestation d’erreurs matérielles, ou de cotes faisant double emploi ou faux emploi. A peine d’irrecevabilité, la réclamation doit mentionner l’imposition contestée et contenir l’exposé sommaire des moyens du contribuable et ses conclusions. Elle peut avoir pour objet : - soit la réparation d’une simple erreur, souvent commise par le contribuable lui-même ; - soit le bénéfice de certaines mesures fiscales prévues par la loi en faveur du contribuable lorsque leur application n’est pas automatique ; - soit se rapporter à une situation litigieuse, auquel cas le contribuable doit exposer les moyens de fait et de droit pour lesquels il conteste l’imposition. b - Délai de la réclamation contentieuse Le délai de la réclamation est de 6 mois à compter de la date de mise en recouvrement du titre de recette ou du versement de l’impôt contesté lorsqu’il n’a pas fait l’objet d’une émission préalable. c – Conséquences de la réclamation En vertu de l’article 117 du code de recouvrement, la réclamation contentieuse n’a pas d’effet suspensif sur le recouvrement de l’imposition contestée. Le contribuable qui conteste une imposition mise à sa charge reste tenu de l’acquitter, même s’il formule dans les délais légaux une réclamation régulière. Il peut, toutefois, demander le sursis de paiement de cette imposition, l’octroi de ce sursis étant en principe conditionné par la constitution de garanties de paiement, proposées au comptable public ou réclamées par lui. L’administration dispose d’un délai de 6 mois pour statuer sur la réclamation du contribuable. Après instruction de la réclamation, l’administration doit se prononcer sur la validité de l’imposition contestée. 152 La gestion du contentieux fiscal au Maroc En cas de rejet partiel ou total des prétentions du contribuable, l’administration doit motiver sa décision pour permettre à ce dernier de se pourvoir devant le tribunal administratif. Si aucune décision expresse n’est notifiée au contribuable dans le délai de 6 mois, le silence de l’administration équivaut au rejet de sa réclamation. 2) La réclamation préalable dans le contentieux de recouvrement Tendant à contester un acte du comptable public qui poursuit le recouvrement de l’impôt, la réclamation est portée par le redevable lui-même ou le débiteur solidaire de l’imposition devant le Directeur régional des impôts ou le Trésorier Régional. Le délai de réclamation est plus bref dans le contentieux de recouvrement que dans celui de l’assiette. La demande doit être adressée dans le délai de 60 jours à partir de la notification de l’acte contesté. En matière de recouvrement, la réclamation peut avoir comme objet : - l’opposition aux actes de poursuites exécutés dans le cadre de la procédure de recouvrement forcé. - les litiges se rapportant aux garanties de recouvrement constituées par le contribuable ou exigées par le comptable. - le sursis de paiement ou d’exécution, - la contestation de la dette fiscale dans son existence même par l’effet de paiements antérieurs, de la prescription ou de la compensation. Après instruction, l’administration doit se prononcer dans un délai de 60 jours à partir du dépôt de la demande. Si aucune décision n’a été prise dans ce délai ou si la décision rendue ne lui donne pas satisfaction, le redevable doit, à peine de forclusion, porter l’affaire devant le tribunal administratif. Il dispose pour cela de 30 jours à partir de la notification de la décision de l’administration. 153 La gestion du contentieux fiscal au Maroc B - La phase juridictionnelle du contentieux 1) Domaine de la procédure juridictionnelle Le recours devant le tribunal administratif peut porter soit sur les décisions définitives des commissions d’arbitrage, soit sur les décisions prises par l’administration suite à réclamation. a- Recours juridictionnel commissions d’arbitrage suite aux décisions des L’administration fiscale, dans le but de protéger les deniers publics, s’est vue reconnaître des pouvoirs importants lui permettant de procéder à la rectification des bases d’imposition, déclarées par le contribuable. Dans un but d’équilibre, et dans un sens de protection du contribuable contre les abus de l’administration, celui-ci s’est vu reconnaître par le législateur le droit de contester les nouvelles bases d’imposition arrêtées par l’administration, devant des commissions de taxation. Les redressements qui résultent de l’exercice du droit de contrôle ou de vérification par l’administration sont généralement contestés devant la commission locale de taxation puis, devant la commission nationale de recours fiscal. Ces commissions constituent, dans le cadre de la réforme du système fiscal marocain, l’une des garanties réelles accordées au contribuable. On distingue la commission locale de taxation devant laquelle le litige va être porté dans le cadre de la procédure contradictoire, après la deuxième notification. Et la commission nationale de recours fiscal qui va intervenir en appel après la décision de la commission locale de taxation. Chaque commission locale de taxation comprend : * Un magistrat, président ; (président du tribunal de première instance) * Un représentant du gouverneur de la préfecture ; 154 La gestion du contentieux fiscal au Maroc * Le chef du service local des impôts ou son représentant (secrétaire rapporteur notificateur) ; * Un représentant des contribuables. La commission nationale de recours fiscal, totalement indépendante du ministère des finances, est placée sous l’autorité directe du premier ministre et siège en permanence à Rabat. Elle comprend : * Cinq magistrats désignés par le premier ministre ; * Vingt cinq fonctionnaires, désignés par le premier ministre sur proposition du ministre des finances qui seront détachés auprès de la commission ; * Cent personnes du monde des affaires désignées par le premier ministre pour une période de 3 ans en qualité de représentant des contribuables ; L’examen des dossiers se fait par des sous commissions. Les impositions émises suite aux décisions de ces commissions peuvent être contestées par le contribuable devant le tribunal administratif compétent dans le délai de 60 jours suivant la date de mise en recouvrement du titre de recette correspondant. L’administration dispose également du même droit de recours lorsqu’elle conteste la décision prise par ces commissions. Toutefois, si la décision de l’une ou de l’autre des deux commissions ne donne pas lieu à l’émission d’un titre de recette, le recours judiciaire peut être exercé dans les soixante (60) jours suivant la date de la notification de la décision desdites commissions. b- Procédure judiciaire suite à réclamation Le contribuable qui n’accepte pas la décision rendue par l’administration suite à sa réclamation, peut saisir le tribunal compétent dans le délai de 30 jours à compter de la date de la notification de la décision précitée. 155 La gestion du contentieux fiscal au Maroc A défaut de réponse de l’administration dans le délai de 6 mois suivant la date de la réclamation, le contribuable peut saisir le tribunal compétent dans les 30 jours à compter de l’expiration du délai de réponse précité. 2) Compétence juridictionnelle Les tribunaux administratifs sont compétents pour connaître des litiges nés de l’application de la législation et de la réglementation en matière fiscale ainsi que des actions contentieuses relatives au recouvrement des créances publiques. Cette compétence est une compétence de pleine juridiction. Elle revient en second degré aux cours d’appel administratives et, en cassation, à la chambre administrative de la Cour suprême. La saisine du tribunal peut être faite à l’initiative du contribuable ou de l’administration. III - LA GESTION DU CONTENTIEUX FISCAL DANS L’ADMINISTRATION MAROCAINE L’évolution du contentieux fiscal durant les dernières années a été caractérisée par : - la prédominance du contentieux de masse généré par les impôts de constatation (Patente, Taxe Urbaine et Taxe d’édilité); - l’accroissement du nombre de recours devant les commissions d’arbitrage et les tribunaux, consécutif au renforcement des garanties accordées aux contribuables et à l’institution des tribunaux administratifs ; - l’évolution de la population fiscale due à la prise en charge de nouveaux assujettis ; - l’importance du volume des recours gracieux qui représente une part non négligeable dans le flux des réclamations reçues. Pour faire face aux flux des réclamations reçues par les différentes entités de la Direction Générale, la démarche adoptée a été guidée par le souci de créer les conditions de prévention et d’améliorer le traitement du contentieux. 156 La gestion du contentieux fiscal au Maroc A- La prévention du contentieux Parmi les actions entreprises en vue de la prévention du contentieux, il y a lieu de citer particulièrement : - la coordination entre les services qui seront associés avant les émissions des impôts pour rectifier certains comportements générateurs de contentieux et participer ensemble aux accords transactionnels à la fin des contrôles pour éviter les réclamations répétitives ou abusives ; - le rapprochement des mêmes services avec ceux de la législation pour engager éventuellement, les études nécessaires pour l’introduction des mesures correctives de certaines lacunes au niveau des dispositions relatives à la détermination de l’assiette, au contrôle de l’impôt ou aux procédures relevées au cours de l’examen d’un contentieux ; - l’amélioration des conditions d’accueil des réclamants au moyen d’une meilleure orientation et la dispense des informations adéquates susceptibles de convaincre le contribuable à accepter l’impôt ; B - Le traitement des affaires Les mesures prises pour le traitement des réclamations se sont traduites concrètement en actions au niveau organisationnel et fonctionnel. 1) Sur le plan organisationnel L’objectif d’assurer une meilleure efficience aux diverses cellules et entités en charge du contentieux a été à la base des actions entreprises sur le plan organisationnel. Au niveau central, les entités chargées du contentieux administratif et des affaires judiciaires ont été fusionnées en une seule entité chargée des affaires juridiques dans le but de réaliser une meilleure intégration des services et veiller à l’application de la loi et au respect de la justice et de la légalité. Au niveau local, la décentralisation de l’instruction des réclamations a été consolidée par le renforcement et la multiplication des entités en charge de la gestion des affaires juridiques, ce qui 157 La gestion du contentieux fiscal au Maroc permet de traiter plus de 90 % du contentieux au niveau local. Ainsi, les seuils de compétence des responsables régionaux pour instruire et liquider le contentieux ont été révisés à la hausse. 2) Sur le plan fonctionnel La recherche d’une meilleure efficacité incite à dépasser la méthode de gestion traditionnelle pour adopter une gestion active du contentieux. Cela implique que les entités et services concernés participent avec les opérations fiscales à la recherche du règlement amiable des litiges et du recouvrement des impôts au plus vite, aux fins de diminuer le stock; ce qui constitue un double avantage en termes d’amélioration des recettes fiscales et de diminution du coût inhérent à la gestion du contentieux. La réflexion menée à travers l’étude sur les expériences d’administrations fiscales modernes et sur le terrain montre que la démarche susceptible d’assurer le traitement accéléré des réclamations consiste à confier aux services d’assiette, la gestion du contentieux. La Direction Générale a privilégié cette option qu’elle a appliquée d’une manière progressive depuis 2005. ********** A l’instar des autres volets du système fiscal marocain, le contentieux a connu une grande évolution qui s’est traduite par les principaux acquis suivants : - l’harmonisation progressive des règles de procédure, sur le plan des délais et des formalités, puis à leur unification dans le cadre du livre des procédures fiscales du CGI; - l’adoption d’une gestion préventive du contentieux à travers une gestion par portefeuille, cumulant le double volet d’assiette et de contentieux et la prise en charge progressive du recouvrement par la DGI ; - le passage d’une gestion réactive à une gestion proactive sans cesse consolidée depuis quelques années, ainsi que la mise en place d’une gestion globale du dossier fiscal par type de contribuable (grandes entreprises, PMI-PME et particuliers) dans une vision de management fiscal fondée sur l’unicité de l’interlocuteur, et de la politique de proximité, a permis d’obtenir des résultats satisfaisants corroborés notamment par le règlement d’un contentieux qui perdurait 158 La gestion du contentieux fiscal au Maroc anormalement dans le temps et par la diminution constatée au plan des statistiques des dossiers contentieux constitués. A cet égard, il est intéressant de noter que les réclamations portant sur les impôts de constatation (fiscalité locale) représentent en moyenne 48,38% des dossiers constitués alors que les réclamations relatives à l’impôt sur les revenus des personnes physiques se situent à 24,08% des dossiers constitués. Le reste 27,54% concerne les autres natures d’impôts : IS, TVA, droits d’enregistrement et autres. - la multiplication et le renforcement des liens avec la justice administrative pour un partage de points de vue sur le contentieux fiscal et les aménagements éventuels à introduire sur le plan législatif, dans un double souci : 9 celui du respect strict de la législation fiscale motivé par la sauvegarde des droits des contribuables ; 9 et celui de la défense des intérêts du trésor public. 159