2 TABLE DES MATIÈRES Introduction 3 1. Le cadre historique 5 1.1

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2 TABLE DES MATIÈRES Introduction 3 1. Le cadre historique 5 1.1
TABLE DES MATIÈRES
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Introduction
1. Le cadre historique
1.1. De la colonisation à l’indépendance
1.2. La banlieue et l’exclusion sociale
1.3. Le concept de littérature
1.4. La littérature « beur » ou la littérature « de banlieue »
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2. L’analyse thématique du corpus
2.1. La misère dans les banlieues
2.2. Le regard de l’autre
2.3. Le père
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16
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3. L’évolution de la réception de la littérature beur
3.1. La réception au cours du temps
3.2. Une nouvelle tendance
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37
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Conclusion
53
Bibliographie
55
Pièces annexes
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2
Introduction
La littérature dite « beur », apparue dans les années 1980, est aujourd’hui encore un sujet qui
intéresse chercheurs et lecteurs.1 Ces écrits produits par des écrivain(e)s français(es) issu(e)s
de la seconde génération de l’immigration maghrébine en France, sont le sujet de nombreux
articles et discussions. Sa dénomination a occasionné beaucoup de débats ainsi que la place de
ces ouvrages dans la littérature « française », puisque l’adjectif « beur » les distinguerait en
effet de la littérature écrite par des auteurs « franco-français » (Guinoune, A-M. et A.
Hargreaves, 2008 : 1). Cette distinction entre la littérature beur et française met mal à l’aise
les auteurs de la première catégorie, qui « (…) peinent à trouver une véritable reconnaissance
en France, dont ils sont pour la plupart natifs et citoyens. » (Guinoune, A-M. et A.
Hargreaves, 2008 : 1). En effet, dans de nombreux articles et interviews concernant la
littérature beur, les auteurs expriment le vœu de « (…) bien être reconnus pour ce qu'ils font
et non plus pour ce qu'ils sont. » (Harzoune, 2003).
Quels sont les facteurs qui font que la littérature beur est jugée comme ‘mineure’ par
rapport à la littérature française ? Dans son article « La littérature issue de l’immigration
maghrébine en France : une littérature ‘mineure’ ? », Alec. G. Hargreaves constate que les
défauts que l’on reproche le plus souvent aux auteurs issus de l’immigration peuvent se
résumer de la manière suivante : « trop d’autobiographie et un manque de travail proprement
textuel. » (Hargreaves, 1995). Ainsi, les romans beur se dérouleraient toujours dans la
banlieue, ils traiteraient tous des mêmes thèmes « caractéristiques » tels que la délinquance et
la misère dans la banlieue, et ils maltraiteraient la langue française. Des exemples de tels
romans beur des années 1980 avec ces caractéristiques sont Le thé au harem d’Archi Ahmed,
(Charef, M. : 1983) lequel est considéré comme le premier texte beur, et Boumkoeur de
Rachid Djaïdani (1991). Tandis que ces deux livres-ci étaient de grands succès commerciaux,
Boumkoeur s’est vendu à 100.000 exemplaires2, les critiques littéraires ne prêtent pas
beaucoup d’attention à ce genre d’ouvrages et ils les considèrent souvent comme des simples
imitations des textes beur déjà parus :
Ainsi, tous ces récits individuels deviennent une histoire commune, une seule
histoire, celle du Beur : origines, famille, naissance, école, bidonville, banlieue,
1
Un volume spécial y est consacré encore récemment sous le titre « Expressions maghrébines », Guinoune, AM. & A. Hargreaves (eds), (2008), « Au-delà de la littérature « beur » ? – Nouveaux écrits, nouvelles approches
critiques », vol. 7, n° 1, été 2008, Paris, CICLIM, dans lequel différents auteurs soulignent « la valeur de la
littérature ‘beur’. »
2
Gombeaud, A. (2007), La banlieue au coeur du roman,
http://www.archives.lesechos.fr/archives/2007/labanlieueaucoeurduroman.htm
3
désœuvrement, délinquance, errance, enfermement et, enfin, quête. (…) la structure
du parcours de chaque protagoniste principal résonne d'un roman à l'autre comme une
copie presque conforme.
(Sebkhi, 1999)
Pourtant, au cours des années d’autres romans beur ont paru, où on ne retrouve pas ces thèmes
caractéristiques et non plus le langage de banlieue qui gêne grand nombre de critiques. Ainsi,
le roman Cancer de Mehdi Belhaj Kacem (1994) ne se déroule pas en banlieue, et le style est
autre, c’est-à-dire que l’écrivain se sert d’un discours presque hallucinatoire. Pourrait-on alors
parler d’une certaine évolution de la littérature beur ? C’est à cette question que nous
tenterons de répondre dans ce travail. Pour l’étude de la littérature beur, nous avons choisi
d’analyser cinq romans qui ont paru en différentes années, dont Thé au harem d’Archi Ahmed
de 1983, Le Gone du Chaâba de 1986 (Begag, A. : 1986), Boumkoeur de 1999 et Putain
d’étoile de 2003 (Saïd, M. : 2003). Ces quatre romans présentent, au niveau de la thématique
et pour la plupart aussi au niveau du style, les caractéristiques du roman beur des années 1980
ou ‘traditionnel’, dont nous venons de parler ci-dessus. Nous avons également intégré dans le
corpus Vivre me tue de Paul Smaïl (Smaïl, P. : 1997) qui est également considéré comme un
roman ‘typiquement’ beur, mais dont l’auteur n’est pas d’origine maghrébine. Le public n’a
appris que quelques mois après sa parution que l’auteur était Jack-Alain Léger, un auteur
français qui a déjà publié une dizaine de romans. Ensuite, nous analyserons deux romans qui
diffèrent au niveau des caractéristiques du style et de la thématique des romans beurs cités cidessus, notamment Cancer de Mehdi Belhaj Kacem (1994) et Mon père est un petit bicot de
Sonia Moumen, publié en 2005.
Avant de commencer l’analyse des romans, nous présenterons dans un cadre
historique le contexte historique de la génération beur, soit la colonisation, la banlieue et
l’exclusion sociale. Notre travail étant avant tout littéraire, il faudra en définir les contours
avant de nous pencher sur l’analyse thématique qui se déroulera en trois temps. D’abord nous
étudierons la misère dans la banlieue, puis nous nous attacherons au regard de l’autre et au
rôle du père. Après cet examen des thèmes principaux, nous analyserons la réception de la
littérature beur qui se déroulera en deux temps : l’évolution de la réception des romans depuis
la parution du premier roman beur en 1983 jusqu’en 2009, suivie par les nouvelles tendances
de la littérature beur.
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1.
Le cadre historique
1.1. De la colonisation à l’indépendance
Afin de bien comprendre le contexte dans lequel les livres sont écrits, il faut d’abord présenter
la situation telle qu’elle était en Afrique du Nord pendant l’époque coloniale, et les problèmes
d’intégration qui s’ensuivirent en France.
Au 19e siècle, la France se lance, comme d’autres nations européennes, à la conquête
de l’Asie et de l’Afrique. Une des prises se situait en Afrique du Nord, où les Français
s’installent de 1830 à 1870 au Maroc, en Tunisie et en Algérie, en un mot au Maghreb. Le
terme qui désigne cette colonisation du 19e siècle est « impérialisme », c’est-à-dire : « le
système de domination économique et politique qui accompagne l’expansion outre-mer des
puissances industrielles occidentales aux XIXe et XXe siècles. » (Chrétien, 2005 : 55). Cette
expansion coloniale s’accompagnait souvent de violence et « d’évangélisation » (Chrétien,
2005 : 55), ce qui signifie que la religion chrétienne était imposée aux indigènes, ainsi que les
traditions et les mœurs occidentales. La vie des colonisés changeait alors profondément et
contre leur gré. Cela résultait en des pays déchirés par la colonisation, où les indigènes étaient
d’un jour à l’autre soumis au colonisateur qui se posait en ‘sauveur’ du pays colonisé, car
d’après lui : « (…) ces enfants irresponsables doivent une profonde reconnaissance à
l’homme blanc civilisé qui leur est venu en aide. » (Schipper-de Leeuw, 1973 : 26).
C’est surtout à cause de la Seconde Guerre mondiale que la position de la France dans
ses colonies commence à s’ébranler et qu’il y a une mise en question du maintien de la
domination française dans un empire colonial. La décolonisation commence en Indochine en
1954. Au Maghreb, les pays obtiennent l’indépendance l’un après l’autre ; Pierre Mendes
France accorde en 1956 l’indépendance au Maroc et à la Tunisie.3 Contrairement à ces deux
pays où la colonisation et la décolonisation se sont passées d’une manière relativement
pacifique, une guerre sanglante a été nécessaire afin d’obtenir l’indépendance en Algérie. La
Guerre d’Algérie (1954-1962) était la révolte des Algériens contre l’envahisseur, une période
extrêmement violente, qui a résulté en des milliers de morts des deux côtés. Le nationalisme
qui a poussé les Algériens à cette révolution ressortait d’une : « (…) cristallisation des
sentiments dus à la présence étrangère dans des ensembles qui ont été regroupés
artificiellement par l’occupant, par exemple (…) les Français ou les Anglais en Afrique
3
Pacquelin, Stéphane. Décolonisation et émergence du Tiers Monde,
http://erra.club.fr/PAQUELIN/Decolonisation-emergence-Tiers-Monde.html, consulté le 24 mai 2009.
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noire. » (Ferro, 1994 : 313). La guerre fut gagnée par les Algériens, et le pays devient
indépendant le 18 mars 1962 avec les accords d’Évian. Cependant, le mot « gagné » ne paraît
pas adéquat au contexte, à cause des morts, d’une partie importante du pays qui était détruite
et d’un grand nombre de gens qui étaient laissés pour compte. Une grande partie des hommes
ont été tués, et des milliers d’autres ont quitté l’Algérie pour ensuite s’installer en France,
parmi lesquels il y avait beaucoup de pieds-noirs, des Français qui s’étaient installés ou
étaient nés en Afrique du Nord pendant la colonisation. Mais ici, c’est surtout l’immigration
maghrébine qui nous intéresse.
Le groupe d’Algériens qui quittait leur pays après la Guerre d’Algérie n’était pas le
premier à émigrer en France, car déjà avant et pendant la Première Guerre mondiale,
beaucoup de Maghrébins s’étaient installés en France. En effet, comme le documentaire ‘Les
dossiers de l’histoire – Un siècle d’immigration en France’ (Mehdi : 1997) nous l’explique, la
France ne faisait pas seulement appel à ses citoyens de la Métropole, mais cherchait aussi des
hommes de leurs colonies ou des colonisés qui étaient prêts à lutter pour la ‘Mère patrie’.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, un nouveau flux migratoire maghrébin est visible,
lorsqu’on recrute encore une fois les colonisés pour l’armée française.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la population maghrébine en France n’a fait
qu’augmenter, puisqu’il y avait un besoin énorme de main d’œuvre. Pourtant, ce n’était pas
seulement la situation en France qui a entraîné le flux migratoire maghrébin. Dans leur propre
pays, la conjoncture n’était pas bonne, car il y avait beaucoup de pauvreté et de violence.
Beaucoup d’Algériens sont partis aussi pour la France à cause du Massacre de Sétif,
répression sanglante d’une émeute nationaliste, qui s’est déroulée le 8 mai 1945, le jour où
l’Allemagne nazie a capitulé. Même pendant la Guerre d’Algérie, la guerre d’indépendance,
l’immigration algérienne en France ne cesse pas. Si la France était le pays dont l’Algérie
voulait se séparer, les Algériens sentaient bien que là-bas il y avait plus de possibilités pour
eux que dans leur propre pays. Les immigrés maghrébins s’installaient pour la plus grande
partie d’abord dans les bidonvilles, puis dans les banlieues, principalement autour de Paris et
de Lyon, et le choc culturel était énorme pour eux. Le facteur majeur était la différence de
religion, l’islam versus le christianisme. De plus, les immigrés venant du Maghreb n’étaient
pas des gens qui avaient fait des études ; en général, ils étaient analphabètes. Il est donc
compréhensible que l’intégration dans une autre culture a été difficile et compliquée pour eux.
Cette partie de l’histoire permet de mieux comprendre le vécu des immigrés en
France. Un passé lourd les lie au pays où ils ont choisi/dû émigrer, ce qui a beaucoup
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d’influence sur la construction identitaire. Nous observerons ici la situation dans les
banlieues.
1.2. La banlieue et l’exclusion sociale
Les Maghrébins arrivés en France pendant la période de la colonisation ou juste après la
guerre, ont fui la pauvreté et la guerre dans l’espoir de trouver en France la prospérité et la
liberté. Comme la France leur avait explicitement demandé de venir, les immigrés
maghrébins s’attendaient à un accueil chaleureux. Cependant, les relations entre les Français
et les Maghrébins s’avéraient plutôt tendues, et les immigrés obtenaient souvent des emplois
mal payés dans les usines, qui se situaient près de la banlieue où ils passaient le reste de leur
temps. Cette inégalité des possibilités entre Français et immigrés était, entre autres, due au fait
que :
During the 1960s immigration from the South was seen as a flow of temporary
workers with no families, camping in the margins of the host society, which was
thought to have no need to worry about them because they were ‘not here for good’.
(Begag, 2007 : 11)
En d’autres mots, les Français ne considéraient pas les Maghrébins comme des habitants
permanents de la France, mais ils croyaient qu’ils retourneraient dans leur pays après
quelques temps, dès que le calme y serait rétabli et que le besoin en France serait moindre. En
outre, les événements d’Algérie ainsi que la période de colonisation avaient beaucoup
influencé l’image qu’avaient les Français des immigrés et inversement. D’un côté, les
Maghrébins regardaient les Français comme leurs oppresseurs, mais ils croyaient en même
temps qu’ils pouvaient mener une vie plus agréable en France, et que les Français les
accueilleraient sans de trop grands problèmes. De l’autre côté, les Français ne connaissaient le
Maghreb que par la diffusion des : « (…) images, textes, expositions, et films dans tout le pays
qui avaient pour but de développer la « fibre impériale des Français. » (Blanchard, 2005 :
50). Les informations ne montraient évidemment pas les violences et les inégalités entre
colonisateur et colonisé, mais c’étaient des images qui devaient provoquer un sentiment
d’engagement national des Français pour leurs colonies. Par conséquent, ceux qui n’étaient
jamais allés en Afrique du Nord ne connaissaient pas la vraie situation dans ces pays. De ce
fait, les Français n’essayaient pas d’intégrer les immigrés maghrébins à la société française, ce
qui renforçait le besoin des familles immigrées à rester fidèles à leur culture d’origine. Ces
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derniers ne s’assimilaient alors qu’à peine dans la culture du pays d’accueil, ils continuaient à
parler l’arabe et à perpétuer les modes de vie de leur culture d’origine.
Cette séparation entre les deux populations et les connaissances superficielles de la
culture qu’avaient les uns des autres, mais aussi les différences très visibles entre les deux
modes de vie clivaient encore plus les deux communautés. Les familles immigrées vivaient
dans les banlieues, et les Français dans le centre des villes. Comme les immigrés continuaient
à fonctionner selon les règles de leur propre culture, et que les Français ne mêlaient pas les
Maghrébins à leur société, la banlieue était devenue synonyme de l’ « exclusion sociale ». On
n’y connaissait pas la vie des Français du centre ville, comme le dit Azouz Begag, qui a passé
son enfance en bidonville et en banlieue :
At that time we had never heard of what others called the ‘ascenseur social’ and the
social mobility that is symbolized. The junior high schools in our outlaying part of
the education system had so-called transitional classes that enabled youngsters to
leave school as quickly as possible for low-skill jobs.
(Begag, 2007 : 53)
Les jeunes habitants des banlieues n’avaient donc jamais entendu dire qu’il existait des
concepts tels qu’un « ascenseur social » et des possibilités de continuer à étudier pour trouver
plus tard un bon travail. Ils finissaient l’école le plus vite possible, pour ensuite faire des
travaux ne nécessitant pas de formation particulière. A cause de cette marginalisation, les
jeunes « banlieusards » se sentaient souvent exclus et discriminés, ce qui menait à la
criminalité et finalement à des émeutes. Le fait que les jeunes « beurs » ou « immigrés de
deuxième génération » pâtissent des discriminations, par exemple lors de leur recherche
d’emploi, entretient des frustrations et des difficultés d’intégration.
En 2005, des émeutes ont éclaté à Clichy-sous-Bois, par suite du décès de deux jeunes
beurs électrocutés dans l’enceinte d’un poste du réseau électrique alors qu’ils étaient
poursuivis par la police. Ils étaient soupçonné de vol, mais aucun lien n’avait pu être établi
entre les adolescents en question et l’affaire. Il s’ensuivit des agitations et des destructions
sous forme d’incendies criminels et de jets de pierres contre les forces de l’ordre pendant trois
semaines. Depuis lors, les relations entre les immigrés maghrébins et les Français se sont
détériorées. Pourtant, avant de passer à l’analyse de ces relations entre les Français et les
jeunes habitants des banlieues dans le roman beur, il faut d’abord examiner le concept de
littérature qui facilitera le suivi de notre analyse.
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1.3. Le concept de littérature
Pour définir le concept de la littérature, on ne peut pas éviter l’ouvrage de Jean-Paul Sartre,
publié en 1947 « Qu’est-ce que la littérature ? » où l’auteur se pose trois questions
essentielles : ‘Qu’est-ce qu’écrire ?’, ‘Pourquoi écrire ?’ et ‘Pour qui écrit-on ?’.
La première distinction que Sartre apporte dans sa réponse à la première question est
celle entre la prose et la poésie : « L’empire des signes, c’est la prose ; la poésie est du côté
de la peinture, de la sculpture, de la musique. » (Sartre, 1948 : 17). En d’autres mots, la prose
veut révéler, tandis que la poésie se contente de présenter les choses et de laisser le spectateur
y voir ce qu’il veut. Elle ne vise alors pas à « (…) discerner le vrai, ni à l’exposer. » (Sartre,
1948 : 17). Il ressort de cela qu’un écrivain peut s’engager de manière plus claire dans son
œuvre qu’un peintre, un musicien ou un poète. Un écrivain ‘engagé’ se demande quel aspect
du monde il veut dévoiler, et quel changement il souhaiterait apporter au monde par cette
dénonciation, puisque pour lui la parole est action :
Il sait que dévoiler c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de
changer. Il a abandonné le rêve impossible de faire une peinture impartiale de la
Société et de la condition humaine.
(Sartre, 1948 : 30)
La première réponse est donc que la littérature est un moyen de communication et il s’agit
maintenant de savoir le pourquoi.
Dans sa réponse à la deuxième question, « Pourquoi écrire ? », Sartre insiste sur le fait
que l’écrivain n’écrit pas pour lui-même, mais pour un lecteur. Ainsi il estime que :
L’opération d’écrire implique celle de lire comme son corrélatif dialectique et ces
deux actes connexes nécessitent deux agents distincts. C’est l’effort conjugué de
l’auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et imaginaire qu’est l’ouvrage
de l’esprit.
(Sartre, 1948 : 55)
En effet, un texte a besoin d’être lu afin qu’il puisse devenir de la littérature, ce qui implique
également que d’une certaine façon, le lecteur ‘crée’ le texte : « Le lecteur a conscience de
dévoiler et de créer à la fois. » (Sartre, 1948 : 55). Inversement on peut dire aussi que c’est la
littérature qui crée le lecteur, car grâce à elle, il apprend les idéaux et les réalités sociales,
formateurs de sa personnalité. C’est ce qu’estime également Antoine Compagnon, professeur
titulaire de la chaire de ‘Littérature française moderne et contemporaine’ au Collège de
France :
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Source d’inspiration, la littérature aide au développement de notre personnalité ou à
notre « éducation sentimentale », comme les lectures dévotes le faisaient pour nos
ancêtres. Elle permet d’accéder à une expérience sensible et à une connaissance
morale (…).
(Compagnon, 2007 : 62)
Cela signifie que la littérature a une valeur éducative, qu’elle est un moyen de préserver et de
transmettre l’expérience des autres : « Elle nous rend sensibles au fait que les autres sont très
divers et que leurs valeurs s’écartent des nôtres. » (Compagnon, 2007 : 63). Elle nous
apprend alors à relativiser, ainsi qu’elle « (…) empêche l’individu de s’enfermer dans sa
solitude, dans sa classe, dans son lieu, dans son époque, dans sa culture. » (Jourde, 2009).
Outre l’effort conjugué de l’auteur et du lecteur, Sartre insiste sur la relation qui se développe
entre les deux, et plus particulièrement sur la « liberté » qui est à la base de cette relation.
L’action d’écrire est ainsi un appel à la liberté du lecteur : « L’écrivain en appelle à la liberté
du lecteur pour qu’elle collabore à la production de son ouvrage. » (Sartre, 1948 : 59). En
même temps, le lecteur présuppose que l’écrivain a écrit en usant de la liberté dont tout être
humain jouit, la lecture est alors un exercice de générosité : « La lecture est un pacte de
générosité entre l’auteur et le lecteur ; chacun fait confiance à l’autre, chacun compte sur
l’autre, exige de l’autre autant qu’il exige de lui-même. » (Sartre, 1948 : 70). Cela
signifie également que dès le moment où le lecteur a choisi (librement) de lire une certaine
œuvre, il en devient responsable et doit faire de son mieux pour comprendre et vivre avec
l’œuvre. Par là, Sartre a répondu à la question « Pourquoi écrire » en estimant que : « Ecrire,
c’est donc à la fois dévoiler le monde et le proposer comme une tâche à la générosité du
lecteur. » (Sartre, 1948 : 76). Ayant apporté la définition de l’écriture et la raison pour
laquelle on écrit, il lui reste la dernière question à répondre : « Pour qui écrit-on ? ».
Au premier abord, Sartre pose que l’auteur écrit pour tout homme : « On écrit pour le
lecteur universel. » (Sartre, 1948 : 87). Cependant, il introduit une restriction, en estimant que
cela est en fait une description de l’idéal, soit un rêve abstrait : « Qu’il le veuille ou non (…),
l’écrivain parle à ses contemporains, à ses compatriotes, à ses frères de race ou de classe. »
(Sartre, 1948 : 88). C’est que la signification de l’ouvrage échappe au lecteur au moment où
lui et l’auteur n’ont pas les souvenirs communs et les perceptions communes. Le contexte
dans lequel l’ouvrage a été écrit est alors essentiel pour sa compréhension, puisque :
(…) les gens d’une même époque et d’une même collectivité, qui ont vécu les mêmes
événements, qui se posent ou qui éludent les mêmes questions, ont un même goût
dans la bouche, ils ont les uns avec les autres une même complicité et il y a entre eux
les mêmes cadavres.
(Sartre, 1948 : 89)
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Ainsi, Sartre donne l’exemple de l’auteur français qui veut raconter l’occupation allemande à
un public américain et à un public français. Dans le premier cas, il faudra beaucoup
d’analyses et de précautions pour présenter le sujet au lecteur, l’auteur doit chercher
dans l’histoire des États-Unis des images et des symboles qui permettent au lecteur américain
de comprendre l’histoire française. Par contre, dans le cas où l’auteur s’adresse aux Français,
des courtes descriptions contenant beaucoup d’allusions suffisent, le lecteur français
comprendra directement puisqu’il y a « le contact historique » (Sartre, 1948 : 90) entre
l’auteur et le lecteur. Grâce à ce partage de l’histoire, le lecteur peut vivre l’œuvre littéraire, et
elle provoque chez lui un sentiment d’empathie :
(…) le texte littéraire me parle de moi et des autres ; il provoque ma compassion ;
lorsque je lis, je m’identifie aux autres et je suis affecté par leur destin ; leurs
bonheurs et leurs peines sont momentanément les miens.
(Compagnon, 2007 : 65)
Pourtant, contrairement à ce qu’implique cette notion de ‘nécessité du contact historique’, un
lecteur né en 1990 peut bien arriver à comprendre une œuvre littéraire datant du début du 19e
siècle. C’est que, en intégrant sa propre histoire ou plutôt celle de son pays, le lecteur arrivera
à connaître le contexte dans lequel le livre a été écrit, et ainsi à le vivre. Le lecteur n’est ni
ignorant, ni omniscient, puisque : « Suspendu entre l’ignorance totale et la touteconnaissance, il possède un bagage défini qui varie d’un moment à l’autre et qui suffit à
révéler son ‘historicité’. » (Sartre, 1948 : 90). A son tour, l’auteur profite de la base de
connaissances du lecteur pour tenter de lui apprendre ce qu’il ne sait pas, ce qui est la valeur
éducative de l’œuvre littéraire dont nous venons de parler ci-dessus.
Grâce à ce paragraphe, il est plus facile de comprendre l’écart qui existe ou peut
exister entre la littérature française et la littérature beur.
1.4. La littérature « beur » ou la littérature « de banlieue »
Avant de pouvoir donner la définition du concept de « littérature beur », il faut d’abord
s’arrêter sur le mot « beur » simplement. Le terme est un mot du verlan qui a été créé en
inversant l’ordre des syllabes du mot « arabe » : [a-ra-beu] donne [beu-ra-a], puis « beur » par
contraction. Il a fait son apparition dans la presse et à la radio au début des années 1980,
comme « désignation spécifique aux jeunes des cités des banlieues parisiennes. » (Laronde,
1993 : 51). Contrairement à son sens originel qui n’avait rien de péjoratif, il y a une réduction
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de la définition vers un sens négatif de 1987 à 1988 lorsque « Un ‘jeune d’origine
maghrébine’ redevient un ‘immigré de la 2e génération’. » (Laronde, 1993 : 54). A la suite de
ce changement de sens, le mot « beur » signifie « immigré » avant de signifier « Maghrébin »,
ce qui implique :
(…) que le terme renvoie à l’espace social du prolétariat des banlieues françaises (…)
avant de renvoyer à l’espace géographique et culturel du Maghreb. (…) De plus, la
formule ‘immigré de la 2e génération’ perpétue de façon potentiellement permanente
le statut d’immigré pour les Beurs.
(Laronde, 1993 : 54)
Cela a pour conséquence que le mot « beur » pose l’identité d’ « immigré de la 2e
génération » à tous les jeunes Français qui ont des parents d’origine maghrébine. Comme le
constatent Françoise Gaspard et Claude Servan-Schreiber, cette notion de « seconde
génération » nie une évidence puisque :
(…) ces jeunes ne sont pas des immigrés pour la simple raison que la plupart d’entre
eux n’ont pas émigré. En les désignant à travers l’émigration de leurs parents, on les
identifie à ces derniers, à une histoire qui constitue leur héritage mais qui n’est pas le
seul élément constitutif de leur identité.
(Gaspard et Servan-Schreiber, 1984 : 48)
Le terme « beur » devient alors une stigmatisation des jeunes d’origine maghrébine vivant
dans la banlieue, ce qui a également pour conséquence l’emploi du terme « littérature de
banlieue » à côté de littérature beur pour désigner les textes écrits par ces jeunes.
Dès leur apparition au début des années 1980, les romans écrits par des jeunes
d’origine maghrébine sont définis comme des romans « beur » à cause du nom des auteurs
indiquant leur origine maghrébine. Pourtant, peu de temps après la parution de cette
désignation, le terme « littérature de banlieue » est également utilisée. Cette définition est
attribuée aux romans écrits par des auteurs ayant un nom ‘maghrébin’, racontant l’histoire
d’un jeune beur qui vit dans la misère de banlieue et est confronté quotidiennement à sa
double identité nationale. Le terme « littérature beur » désigne alors tous les ouvrages produits
par des écrivains d’origine maghrébine qui font partie de la génération beur, tandis que la
définition « littérature de banlieue » renvoie explicitement à ces textes beur écrits par des
auteurs ‘blacks’, ‘blancs’ et ‘beurs’ traitant des thèmes comme la misère dans les banlieues,
la délinquance, la famille (d’origine nord-africaine), le désœuvrement et l’enfermement.
Cependant, les désignations sont souvent confondues par les critiques. Ils utilisent la
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définition « littérature beur » aussi bien pour renvoyer aux romans écrits par des auteurs beur
qu’à ceux traitant des thèmes caractéristiques du roman de banlieue.
La désignation de littérature beur / de banlieue est considérée comme une
marginalisation par beaucoup d’écrivains de ces textes :
Bien des auteurs qualifiés de « beurs » ne tarderont pas à exprimer leur hésitation voir
leur hostilité envers cette désignation, dans laquelle ils voient une forme de
ghettoïsation sinon de dénigrement impliquant leur exclusion de la littérature
française proprement dite.
(Guinoune et Hargreaves, 2008 : 2)
Cette « ghettoïsation » peut également être exprimée par l’expression de « littérature de
banlieue », qui désignera désormais non seulement les textes traitant de la banlieue française,
mais surtout les romans qui ne font pas partie de la « littérature française ». Ainsi, Azouz
Begag et Abdellatif Chaouite ont constaté que : « [l]es ‘beurs’ sont bons pour occuper les
banlieues ou les ZUP4 de la littérature. » (Begag et Chaouite, 1990 : 105). Les mots « beur »
et « banlieue » impliquent en effet qu’il ne s’agit ni de la littérature française écrite par des
auteurs « franco-français » (Guinoune et Hargreaves, 2008 : 1) sans ascendance immigrée
apparente, ni de la littérature maghrébine qui consiste en des romans écrits par des auteurs
maghrébins tels que Tahar Ben Jelloun venus en France à l’âge adulte après avoir passé leurs
années formatives en Afrique du Nord. De ce fait, il est difficile de classer cette littérature,
comme le constate Hargreaves :
Où faut-il classer ce corpus : dans la littérature maghrébine d’expression française,
dans la littérature française tout court, ou dans une zone à part – celle d’une littérature
mineure – où les auteurs d’origine immigrée seraient les maîtres chez eux ?
(Hargreaves, 1995)
Ce refus d’accepter comme légitime dans la littérature française les éléments ‘maghrébins’ est
entre autres la conséquence du langage utilisé dans le roman beur. Ainsi, l’emploi du langage
familier, du verlan et du ‘pidgin français’ (un mélange de français et d’arabe) fait que de
nombreux critiques reprochent à la littérature beur d’: « (…) ignorer tout du style, de mépriser
la langue, de ne pas avoir de souci esthétique et d’adopter des constructions banales. »
(Hargreaves, 1995). De même, Mohamed Razane estime que c’est ce langage particulier qui
fait que la littérature beur n’est pas considérée comme de la littérature française :
4
Zone à urbaniser en priorité. Les ZUP désignent la construction de logements en masse en banlieue pour
combler la pénurie des années ’60.
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Since its origins, it has stood in opposition to literary conventions and codes (…).
Indeed, as a result of its antagonism vis-à-vis the France canon and literary
establishment, the legitimacy of Beur literature and its authors has often been
questioned.
(Razane, 2008 : 69)
Un autre défaut que l’on reproche souvent aux romans beur est le « trop d’autobiographie »
(Hargreaves, 1995). En effet, l’origine maghrébine des auteurs a pour conséquence que le
vécu des protagonistes est considéré comme étant leurs propres expériences, le lectorat
qualifie d’« autobiographique » le roman beur. Cette constatation dérange souvent les auteurs,
puisqu’elle implique que leurs romans ne sont considérés que comme un appel à la
compassion, tandis qu’ils « essayent de communiquer à la culture française le vécu de
l’autre. » (Hargreaves, 1995). Cela n’implique pas automatiquement que tous les textes beur
sont autobiographiques, ce qui rend alors la critique injuste. Le livre Vivre me tue, paru en
1997 en est la preuve, puisque comme nous l’avons déjà indiqué dans l’introduction, ce livre
est écrit par Jack-Alain Léger, un auteur français. Bien que tous les romans beur ne soient pas
autobiographiques, ils présentent quand même une analogie, à travers une volonté éducative.
Par là, les auteurs veulent se donner une place dans la société française : « (…) one of the
main driving forces behind their work is to stake a place for themselves within French
society. » (Thomas, 2008 : 37). Cela peut provoquer la compassion du lecteur, mais il faut
bien noter que cela n’est pas le principal objectif de cette littérature.
Il ressort de ce qui précède que les critiques définissent comme littérature beur
l’ensemble de récits (autobiographiques) écrits par des auteurs d’origine ‘maghrébine’,
racontant l’histoire d’un(e) jeune beur qui vit dans la misère des banlieues et ce en se servant
d’un registre familier. C’est comme le constate également Geiser :
Dans la classification de la littérature dite « beur » s’ajoutent souvent aux critères
purement biographiques des caractéristiques de forme et de fond. Pour une large
partie du public et bon nombre de critiques, le qualificatif « beur » exprime une
posture contestataire ou révoltée face à une situation sociale défavorisée, un langage
marqué par l’appartenance à un groupe social, et des sujets issus de la réalité de la vie
en banlieue.
(Geiser, 2008 : 121-122)
Les critiques font un amalgame de tous les auteurs du roman beur, en estimant qu’ils se
servent tous d’un registre familier et qu’ils ne savent écrire que sur des sujets issus de la
réalité en banlieue. Ils donnent une image négative de la littérature beur, qui ne se
composerait que de textes ‘non-littéraires’. C’est ce que constate également Hargreaves :
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Chose remarquable, lorsqu’ils tombent sur des talents indéniables appartenant à ce
corpus, les critiques préfèrent souvent les détacher de celui-ci, plutôt que de lui
reconnaître la moindre qualité. C’est ainsi que de nombreux critiques feront l’éloge
d’Une fille sans histoire sans qu’un seul d’entre eux n’évoque la littérature “beur”.
(Hargreaves, 1995)
Nous nous différencions des critiques littéraires, en utilisant dans ce travail une définition qui
ne fait pas la distinction entre les « bons » et les « mauvais » textes et qui ne se base pas non
plus sur la forme et le fond des ouvrages. En d’autres mots, nous considérons comme « roman
beur » tout texte écrit par des auteurs nés de parents immigrés maghrébins et nés en France ou
arrivés jeunes en France.
Dans la section suivante, nous soumettrons les ouvrages beurs ‘traditionnels’ à une
analyse thématique, où nous insisterons sur trois thèmes caractéristiques de ces romans.
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2. L’analyse thématique du corpus
2.1. La misère dans les banlieues
Un des thèmes principaux du roman beur ‘traditionnel’ est « la misère de banlieue ». Chacun
des romans du corpus présente des descriptions détaillées de l’endroit où vit le protagoniste.
L’accent y est toujours mis sur la saleté, l’enfermement et le béton gris omniprésent, comme
dans Le thé au harem d’Archi Ahmed :
La Cité des Fleurs, que ça s’appelle !!! Du béton, des bagnoles en long, en large, en
travers, de l’urine et des crottes de chiens. Des bâtiments hauts, longs, sans cœur ni
âme. Sans joie, ni rires, que des plaintes, que du malheur. Une cité immense entre
Colombes, Asnières, Gennevilliers et l’autoroute de Pontoise et les usines et les flics.
Le terrain de jeux, minuscule, ils l’ont grillagé !
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 24)
En général, des expressions appartenant au monde carcéral, comme « grillage », sont utilisées
pour exprimer le sentiment d’enfermement du protagoniste dans la banlieue. Cela se voit
également dans Boumkoeur, où cette perception d’ « emprisonnement » est déjà exprimée
dans la toute première phrase du livre : « Une galère de plus comme tant d’autres jours dans
ce quartier où les tours sont tellement hautes que le ciel semble avoir disparu. » (Boumkoeur,
9). En commençant le livre de cette manière, le lecteur est directement ‘plongé’ dans le milieu
du protagoniste, et dans sa misère. Les hautes tours grises au dessus desquelles le soleil ne
semble jamais briller, symbolisent en même temps l’enfermement du protagoniste dans son
milieu et le fossé qui existe entre la civilisation française et la population qui habite la
banlieue, les « banlieusards ». Ces H.L.M. les séparent en effet du monde des Français, la
banlieue devient synonyme de l « ’exclusion sociale ». Outre la notion de « hautes tours
grises », des termes comme « bloc » et « murs de béton » sont souvent utilisés pour décrire
ces bâtiments qui enferment ses habitants du monde de l’extérieur. Aussi dans Le thé au
harem d’Archi Ahmed, ce sentiment d’exclusion sociale est bien décrit, lorsque le
protagoniste Madjid s’achemine vers le bistro arabe « chez Hamid » dans la cité où il habite.
Déjà la description de la façon dont il s’y rend, révèle l’enfermement et l’exclusion : « Il
marche comme un canard qui cherche la sortie de sa cage. » (Le thé au harem d’Archi
Ahmed, 39). Cette phrase évoque chez le lecteur l’image d’un garçon qui ne trouvera jamais la
sortie de sa cité, ce qu’il devra finalement accepter pour ne pas s’épuiser. Cette métaphore
renvoie avec justesse la sensation d’exclusion sociale et d’enfermement qu’ont Madjid et ses
camarades, qui pour l’oublier se rendent dans le café ‘arabe’ du quartier où ils peuvent se
retrouver entre eux :
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C’est l’endroit où les immigrés du quartier – les ouvriers célibataires, comme on les
appelle – et même les autres viennent noyer dans la Kronenbourg le mal du pays.
Madjid serre quelques mains, et vient s’accouder au zinc. Les dominos claquent sur la
table, avec les appels d’annonces les chiffres mal prononcés en français.
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 39)
Bien que les jeunes comme Madjid ne viennent pas au café pour parler du mal de pays, ce
sont plutôt les habitants plus âgés qui en souffrent, le protagoniste se sent quand même à
l’aise dans cet endroit où les banlieusards « arabes » se rassemblent. En d’autres mots, il se
sent bien parmi eux, éloigné du monde des Français. L’exclusion sociale dans ce passage est
symbolisée par les ouvriers qui viennent noyer leur solitude dans la bière, une façon pour eux
d’oublier pour un temps la misère et l’enfermement.
Tout comme Le thé au harem d’Archi Ahmed et Boumkoeur, la plupart des autres
récits du corpus présentent la banlieue comme un endroit misérable, à l’écart du monde des
Français. Toutefois, il y a un roman où elle est présentée comme une partie de la société
française, notamment dans Le gone du Chaâba. Contrairement au sentiment général qui
associe banlieue à l’exclusion, le protagoniste de ce livre, Azouz, le vit autrement. Après
avoir vécu les premières années de son enfance dans un bidonville, ce qui signifie être sans
électricité, sans eau courante et sans télévision, il va habiter avec sa famille en banlieue. Ceci
est pour lui plus une ouverture à la société française qu’une exclusion, étant donné qu’en
banlieue il va vivre dans une vraie maison en béton, sans trous dans la toiture, et avec la
télévision dont il peut être fier : « Du couloir de l’entrée, nous contemplons le rêve pour
lequel nous avons tant voulu fuir le Chaâba : une cuisine, un salon, et deux minuscules
alcôves sans fenêtres. » (Le gone du Chaâba, 143). Il n’éprouve pas l’exclusion sociale et la
pauvreté de la même façon que ces parents, puisqu’il considère ce déménagement comme une
amélioration par rapport à sa vie au bidonville. Contrairement à leur fils, les parents d’Azouz
ne considèrent pas du tout cette évolution de manière positive. Faisant partie de la première
génération d’immigrés en France, ils ont du mal à s’intégrer dans la société française et
préfèrent continuer à vivre selon leur culture d’origine. Le bidonville était l’endroit où ils
pouvaient mener une telle vie, puisque c’était loin du centre ville (français) et il n’y avait que
des familles arabes, ce qui facilite la perpétuation des traditions et l’emploi de la langue
maternelle. Il est important de noter que les protagonistes des autres romans du corpus ont
passé toute leur vie dans la banlieue où ils sont nés, de sorte qu’ils ne peuvent pas faire la
comparaison avec un autre endroit ‘encore plus misérable’ comme Azouz le fait si bien. Les
nouvelles générations font la comparaison entre la banlieue, leur milieu, et la ville française,
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laquelle contraste fortement avec les tours grises. Cela a pour conséquence que les
« banlieusards » s’identifient à leur cité, un sentiment qui est encore renforcé par la distinction
qu’ils font entre les différentes cités.
Cette distinction ‘à l’intérieur de la banlieue’ joue également un grand rôle dans les
romans beur ‘traditionnels’, parce que dans ces textes, il ne s’agit pas seulement d’une
division entre le monde de l’intérieur (la banlieue) et de l’extérieur (la civilisation française),
mais aussi d’une séparation entre les différentes cités qui constituent la banlieue :
À l’intérieur de l’anneau constitué par les banlieues qui enserrent la capitale, la
géographie de l’immigration laisse apparaître des « poches » à pourcentage élevé
d’immigrés qui ne communiquent pas nécessairement entre elles. (…) Ces poches
sont le lieu géographique du roman beur.
(Laronde, 1993 : 96-97)
Les fossés entre la banlieue et le monde français, ainsi que celui entre les différentes cités,
provoquent chez les « banlieusards » une sensation d’attachement à leur milieu. Il s’agit en
effet de leur « identité territoriale », autrement dit : « Le ‘sentiment identitaire’ qui se
manifeste au niveau de l’individu, par référence à un espace particulier auquel il se sent
particulièrement attaché. » (Guermond, 2006). Cette perception peut être renforcée par des
contrastes entre des territoires voisins, ce qui est également le cas dans nos romans :
Le degré d’adhésion d’un individu à un territoire peut être amplifié par des contrastes
marqués avec les populations voisines, tels que la langue ou la religion, ou même
éventuellement par des contrastes économiques.
(Guermond, 2006)
Parmi les banlieusards, il existe un fort sentiment d’attachement à leur milieu à cause des
grands contrastes entre la banlieue et le monde français. Comme ils se sentent exclus de ce
monde, les jeunes de la cité s’attachent encore plus à leur propre cité, pour montrer aux autres
qu’ils ont bien le droit à leur propre terrain. Les jeunes créent des « bandes de cité » et
s’opposent à tous ceux qui ne sont pas originaires de leur cité, pour montrer leur différence.
Les rencontres, ou les conflits, entre les différentes bandes ou entre une bande et la police
(française) s’accompagnent souvent de violence, comme par exemple dans Putain d’étoile où
le petit frère du protagoniste fait partie d’un gang :
Il traînait avec une bande dont il n’a pas tardé à devenir le guide spirituel. Ses faits
d’armes étaient homologués par des palmes académiques qui lui procuraient certains
égards. (…) Les flics espéraient bien lui rouler le museau dans la farine. Ça tarderait
pas.
(Putain d’étoile, 10)
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Un autre exemple d’une bande de cité violente s’observe dans Le thé au harem d’Archi
Ahmed, où les amis de Madjid mettent le feu à une voiture dans une cité voisine.
Contrairement à l’exemple précédent où la bande devient violente en réaction à la
confrontation avec la police, les camarades de Madjid brûlent la voiture surtout par ennui :
« C’est comme un feu d’artifice, ça change un peu de la monotonie du béton ! » (Le Thé au
harem d’Archi Ahmed, 44). Aussi dans Vivre me tue, l’ennui provoque l’agressivité chez le
protagoniste Paul : « À Nanterre, je crevais d’ennui. (…) Et Dieu sait si je cognais ! Dieu sait
si j’étais agressif à l’époque ! » (Vivre me tue, 136-137). Il en ressort que les jeunes
banlieusards ont un comportement violent à cause de l’ennui et du rejet des Français, ils
deviennent agressifs pour exprimer leur sentiment d’injustice. Ils leur manque en effet le
respect de la part des Français ainsi qu’un environnement avec des équipements publics qui
préviennent l’ennui. Selon le philosophe Lorgneaux, cette réaction « violente » à ce sentiment
d’injustice est tout à fait naturelle, puisque : « En règle générale, une personne a un
comportement violent lorsqu’elle est privée de quelque chose, lorsqu’elle doit renoncer à la
réalisation d’un de ses désirs. » (Lorgneaux, 2009). Pour ce qui est des protagonistes, c’est en
fait l’acceptation de leur présence dans la société française dont ils sont privés, qui leur donne
le sentiment d’être exclu et enfermé.
Outre la violence, le sentiment de ne pas appartenir à et l’ennui qui règnent dans la
banlieue ont également pour conséquence l’usage de la drogue et de l’alcool chez les (jeunes)
habitants de banlieue. Comme l’estime Dominic Thomas, directeur du Département d’Études
Françaises et Francophones à l’Université de Californie, la toxicomanie et l’alcoolisme sont
des manifestations de misère qui sont caractéristiques de la littérature beur des années 1980 :
« (…) the kind of « misérabilisme » that has defined so much Beur and banlieue writing. »
(Thomas, 2008 : 42). Dans la grande partie des livres du corpus, les proches du protagoniste
sont alcooliques ou toxicomanes, comme par exemple le petit frère du protagoniste de Putain
d’étoile : « Il rentrait, à toute heure, ivre ou complètement défoncé. Vautré dans le canapé, il
s’allumait un cône (…). » (Putain d’étoile, 9-10). Dans Boumkoeur, le petit frère de Yaz
meurt d’une overdose :
Moi, j’ai saturé le délire de fumette. J’assume d’être sain et sauf dans mon corps et
mon esprit. Ce n’est plus le cas de mon petit frère Hamel qui a fait le pas vers des
vacances trop coûteuses … La came. L’année dernière, à l’âge de dix-neuf ans, il
faisait son ultime voyage.
(Boumkoeur, 34)
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De même que le frère ou le meilleur camarade du protagoniste, c’est parfois aussi le père qui
est alcoolique. Ainsi, dans Boumkoeur, le père de Yaz a besoin d’alcool pour pouvoir
continuer à effectuer son travail très lourd et surtout monotone :
Le Daron était manœuvre, un ouvrier non qualifié. A chaque année qui passait, c’est
son état de santé qui trinquait. Son dos ne supportait plus les charges. (…) Le Daron
était l’esclave qui souffrait en silence. (…) Il piochait le sol, faisant de profondes
tranchées et, pour garder le rythme, l’alcool le guidait.
(Boumkoeur, 76)
Le père de Yaz correspond alors au profil du « travailleur immigré » que rencontre Madjid, le
protagoniste de Thé au harem d’Archi Ahmed, au café du quartier.
Il est intéressant de signaler que ce sont surtout les proches des protagonistes qui sont
alcooliques ou toxicomanes, et non pas les personnages principaux eux-mêmes. Nous
constatons en effet que dans la plupart des cas, ces derniers ne s’identifient pas du tout avec
les jeunes banlieusards « typiques » qui utilisent la drogue et qui sont violents. Dans d’autres
cas, ils sont raisonnables et ont arrêté de se droguer, de boire et d’être violent. Parmi les
romans de notre corpus, il n’y a qu’un livre dans lequel le protagoniste lui-même décrit en
détail ses expériences avec la drogue, notamment dans Putain d’étoile :
Si je n’avais pas assez dormi, alors j’allais fureter dans le placard de la salle de bain.
Géno m’avait laissé suffisamment de camelote pour tenir le siège de Stalingrad. Avec
une demi-douzaine de comprimés d’amphétamine, on peut rester éveillé trois nuits de
suite et bosser la quatrième, sans être complètement ‘out’.
(Putain d’étoile, 75)
Plus loin dans le même livre, il décrit en détail le « trip » qu’il fait après avoir fumé du
« kif » :
Alors je suis resté là impassible, à guetter la lumière fascinante jusqu’à l’heure de
l’affolement des tambours. Celle de l’incantation lancinante des sages, des
prédictions des fous, des prémonitions des devins.
(Putain d’étoile, 191)
Cependant, contrairement à ce qu’indiquent ces extraits, le protagoniste de ce livre n’est pas
du tout un banlieusard ‘typique’. Il raconte par chapitre la vie d’un copain et de son petit frère,
tous deux marginaux, ainsi il accentue la différence entre les banlieusards « typiques » et luimême. Cela se manifeste également au moment où il avoue directement après son « trip » que
la drogue n’est pas faite pour lui : « (…) c’est pas pour moi ton herbe. Ça me rend fou. Je vois
trop de choses. Le cinéma tourne tout seul, tu comprends? » (Putain d’étoile, 192). Dans ce
passage, le protagoniste avoue implicitement qu’il préfère avoir la situation en mains, et de ne
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pas se laisser aller comme son petit frère et son camarade l’ont fait. Son but est de quitter la
banlieue, ce qu’il réussira à faire.
Dans les autres romans, les protagonistes désirent également s’éloigner un jour de la
banlieue, comme Yaz après que son meilleur copain ait été mis en prison : « Un jour prochain
moi aussi je dégagerai de cette cité. Du courage il me faudra pour affronter le monde
extérieur. » (Boumkoeur, 125). Il se rend compte de la nécessité de quitter la misère de
banlieue, mais aussi du fait qu’il sera très difficile d’affronter le monde extérieur. C’est qu’il a
passé toute sa vie dans la banlieue, loin de la civilisation française, ce qui lui rend difficile de
s’adapter au monde des « autres ». Madjid, le protagoniste de Thé au harem d’Archi Ahmed,
se rend également compte de cette difficulté à quitter son milieu en estimant que :
On ne se remet pas du béton. Il est partout présent, pesant, dans les gestes, dans la
voix, dans le langage, jusqu’au fond des yeux, jusqu’au bout des ongles. (…) A
jamais. Même au Pérou, il suivra celui qui est né dedans.
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 63)
En d’autres mots, celui qui est né dans la banlieue sera pour toujours un banlieusard, quoi
qu’il fasse. Il ressort de l’analyse du premier thème qu’en insistant sur le sentiment
d’exclusion et d’injustice qui provoque la colère chez les jeunes banlieusards, les auteurs
veulent faire connaître au lecteur français la vraie situation en banlieue, expliquer le
comportement violent de ces jeunes qui est causé par le manque de respect de la part des
Français. Cela force le lecteur à regarder une certaine réalité en face. En insistant sur la
volonté des protagonistes à quitter la banlieue, ces auteurs montrent que les banlieusards ne
sont pas tous pareils, et que nombreux sont ceux qui veulent vraiment faire partie de la société
française. Pourtant, les auteurs soulignent en même temps qu’il n’est pas du tout facile pour
ces jeunes de quitter leur banlieue, puisqu’il seront toujours confrontés au « regard de
l’autre », ils sont stigmatisés. Dans la partie suivante, nous analyserons ce deuxième thème
propre à la littérature beur ‘traditionnelle’.
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2.2. Le regard de l’autre
Les personnages des romans du corpus vivent entre deux mondes, entre la banlieue et la
société française. Nés en France, de parents maghrébins, ils ont une double identité nationale,
composée d’un pôle arabe et d’un pôle français : le premier par leur famille, et l’entourage
social immédiat, le second par la société française à travers l’école et le lieu de travail. On
peut présenter cette double appartenance par le schéma suivant :
La double identité nationale des protagonistes
Pôle arabe
- la famille
- les habitants de banlieue
Pôle français
- l’école française
- le lieu de travail
Le regard de l’autre forme une des bases de l’identité (nationale) d’un individu, puisqu’être
reconnu par les membres d’un groupe fait que l’on se sent « l’un d’entre eux ». Les
protagonistes des romans du corpus sont nés en France et vont à l’école, pourtant ils se voient
souvent exclus du monde des Français par la langue qu’ils parlent (la langue de banlieue, le
‘verlan’) et leur physique (ils n’ont pas la peau blanche comme les ‘Français de souche’). A
l’école, ils font l’expérience de leur altérité et ils sont souvent embêtés par les camarades de
classe français, comme c’est le cas dans Vivre me tue où le protagoniste Paul se fait rosser :
J’étais en troisième à Jacques-Decour et, à chaque interclasse, à chaque interclasse, je
me faisais tabasser. (…) Ils me crachaient dessus. C’est là qu’ils m’ont coincé à
quatre, un jour, et que Tariq a essayé de me noyer en me plongeant le nez dans la
cuvette débordante. Je me suis débattu. Le pion qui m’a entendu hurler à la mort est
intervenu juste à temps, je suffoquais. (…) Il m’a d’ailleurs conseillé de la fermer
pour ne pas m’attirer plus d’ennuis : - Tu les a un peu cherchés, non ? Je me suis
remis à vomir. Plus que de la terreur, c’était maintenant de ce sentiment atroce
d’injustice.
(Vivre me tue, 26-28)
Comme réaction à ce sentiment d’injustice, les jeunes banlieusards s’opposent aux camarades
de classe français et aux professeurs, pour qui ils n’ont plus de respect. Cela se voit également
dans Le thé au harem d’Archi Ahmed, où le protagoniste Madjid et son camarade Pat ne
s’intéressent plus à l’école : « Ils ne durèrent pas longtemps au collège, Pat et Madjid (…). Ils
ne craignaient ni profs, ni pions, seul l’ennui les angoissait. » (Le thé au harem d’Archi
Ahmed, 54). Aussi dans Boumkoeur, le protagoniste Yaz avoue ne pas s’être comporté
correctement à l’école : « A l’époque, je me bagarrais avec mes professeurs, je leur manquais
de respect (…). » (Boumkoeur, 122). Le résultat de ce comportement est que les protagonistes
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(et leurs camarades) abandonnent précocement l’école, sans diplôme. Pourtant, dans deux
romans, Vivre me tue et Le Gone du Chaâba, le protagoniste finit l’école avec de bons
résultats car il la considère comme un moyen pour appartenir à la société française.
Dans ce dernier livre, Azouz a beaucoup de respect pour les professeurs : « Le maître
a toujours raison. » (Le gone du Chaâba, 56), et il fait de son mieux pour obtenir de bons
résultats. Même pendant les cours de Mme Valard, son professeur de français en sixième qui a
du plaisir à annoncer que le seul Arabe de la classe n’obtient pas de bons résultats, Azouz fait
toujours de son mieux et il n’est pas grossier avec elle. Cette expérience apprend à l’enfant
que tous les professeurs ne sont pas des personnes « justes », ce qui l’encourage encore plus à
prouver ses connaissances parce qu’il est un garçon « arabe ». La première année au lycée,
Azouz recueille les fruits de tous ses efforts, puisqu’il obtient la meilleure note de la classe
pour sa rédaction qu’il a dû écrire pour M. Loubon. Azouz apprend la bonne nouvelle par son
copain parisien, et en l’entendant il est fou de joie :
Par Allah ! Allah Akbar ! Je me sentais fier de mes doigts. J’étais enfin intelligent. La
meilleure note de la classe, à moi, Azouz Begag, le seul Arabe de la classe ! Devant
tous les Français ! J’étais ivre de fierté.
(Le gone du Chaâba, 194)
Dans Vivre me tue, le protagoniste a également fini l’école avec de bons résultats ; il est
titulaire d’un DEA de littérature comparée. Pourtant, dans ce livre l’auteur insiste plutôt sur le
fait qu’un diplôme n’est pas une garantie pour Paul pour trouver un bon travail. En effet, il est
toujours discriminé lors des entretiens d’embauche à cause de son nom maghrébin ; les chefs
d’entreprises ne demandent même pas à Paul s’il a obtenu des diplômes, ils ne
l’embaucheraient pas de toute façon.
Des cinq romans analysés, Le gone du Chaâba et Vivre me tue sont les seuls à
rapporter le succès du protagoniste à l’école. Dans les autres livres, les personnages
principaux quittent l’école sans diplôme ou l’écrivain ne l’évoque même pas.
En dehors de l’école, les jeunes de la cité participent également à la société française
par leur travail qu’ils effectuent dans la ville. La plupart des protagonistes ont un travail, aussi
des à-côtés, dans la ville avoisinante. A leur travail, comme à l’école, ils sont souvent
discriminés et stigmatisés comme des Arabes ou des « Beurs », soit comme « (…) ces jeunes
cons de branleurs, brûleurs de bagnoles. » (Le thé au harem d’Archi Ahmed, 24). Ainsi, un
collègue du protagoniste de Putain d’étoile qui travaille à l’imprimerie, l’embête parce qu’il
est un ‘étranger’ :
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Ce gars-là, le Polack, (…) prétendait que trop d’étrangers venaient manger le pain de
ce pays. (…) Un matin, histoire de s’amuser, il est venu me taquiner avec un
élastique. Je l’ai regardé méchamment. Il fanfaronnait. Mon coup de pied est parti
tout seul, en direction de son patrimoine génital. (…) Si lui s’amusait, moi je ne
jouais plus. Accepter le quart d’un début d’humiliation, c’est mettre le doigt dans un
engrenage sans limites.
(Putain d’étoile, 58-59)
Dans Vivre me tue, le protagoniste Paul est également stigmatisé à son travail à la librairie.
Dans ce cas, il ne s’agit pas de ses collègues, mais de la patronne qui pense faire une bonne
action en engageant Paul comme vendeur dans sa librairie: « Je suis très heureuse qu’un
Maghrébin se joigne à nous. C’est pour notre librairie une ouverture sur le monde… » (Vivre
me tue, 84). En utilisant ce mot « Magrébin », elle fait comprendre qu’elle considère Paul
comme différent des autres collègues français, et non pas comme un vrai « Français ». A
plusieurs reprises, elle donne des livres d’auteurs « arabes » à Paul, en supposant que cela
l’intéressera : « Elle me tend un livre de Driss Chraïbi, ‘Le passé simple’, et le ‘Pain nu’, de
Mohamed Choukri. – Tenez ! me dit-elle, ça devrait vous intéresser. » (Vivre me tue, 91).
Après la énième fois qu’elle lui propose de lire un roman d’un auteur « arabe », Paul n’arrive
plus à se retenir et il lui dit qu’il en a assez de ses stigmatisations :
Hors de moi, je lui crie : Parce que c’est un raton, lui aussi ? Parce que c’est un
melon ? J’en ai ma claque de votre connerie, putain ! (…) Parce qu’alors quoi ? les
ratons ne devraient lire que des bouquins de ratons, selon vous ? Proust, c’est
seulement pour les pédés, alors ? (…) Et les Bretons, alors, il faut qu’ils lisent
Chateaubriand ? Et les Russes, Tolstoï ? Mais pas Dickens, hein, Dickens c’est pour
les Anglais ! (…) C’est ça que vous voulez, hein ? Chacun chez soi ! (…) Qu’est-ce
que j’en ai à foutre de la littérature arabe ? Pour moi, il y a les bons livres, et les
mauvais – point. Mais vous, vous pouvez pas oublier deux secondes que je suis
d’origine … (…) Mais je suis français, hein ! Comme vous. Ni plus, ni moins.
(Vivre me tue, 93-94)
A cause de ces stigmatisations, les jeunes habitants de banlieue se sentent rejetés par les
Français et renvoyés à leur univers de banlieue, ce qui provoque chez eux le sentiment d’être
emmurés : « Personne ne veut de nous. Personne … Comme si on avait la peste. On est
emmuré vivant. (…) On est devenu des moins que rien. » (Putain d’étoile, 192-193).
Toutefois, ce sentiment n’est pas seulement la conséquence du rejet par les Français, mais
également du fossé qui se crée entre les protagonistes et leurs parents.
Les protagonistes sont nés en France et participent à la société française, ils ne
connaissent pas leur culture d’origine, la culture « arabe » de leurs parents. Ils ne parlent pas
l’arabe, et ne vivent pas selon les règles de cette culture. La plupart des protagonistes n’ont
24
même jamais visité le pays d’où leurs parents sont originaires, ce qui implique qu’ils ne se
considèrent pas comme des ‘vrais’ Arabes. Dans un livre concernant la situation actuelle en
banlieue, Azouz Begag constate qu’il s’agit en effet d’un « glissement d’identité » :
There has been an identity shift between yesterday’s grands frères and today’s young
ethnics, who identify far less with the ethnic origins of their immigrant forebears and
are far less preoccupied with the legacy of the colonial period. (…) Today the identity
of these youths is shaped instinctively by a shared sense of belonging to a particular
place and age group rather than by shared ethnic origins.
(Begag, 2007 : 94)
En revanche, leurs parents les regardent bien comme des membres de leur culture, comme on
peut le voir dans Le thé au harem d’Archi Ahmed où la mère de Madjid veut envoyer son fils
dans son pays d’origine :
Je vais aller au consulat d’Algérie, elle dit maintenant à son fils, la Malika, en arabe,
qu’ils viennent te chercher pour t’emmener au service militaire là-bas ! Tu apprendras
ton pays, la langue de tes parents et tu deviendras un homme.
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 17)
Aussi dans Le gone du Chaâba, on voit qu’Azouz est considéré comme un Arabe par sa mère.
Elle veut que ses fils travaillent au marché les jours où il n’y a pas d’école comme le font les
hommes dans la culture arabe, et qu’ils gagnent de l’argent au lieu de rester au Chaâba à jouer
ou à étudier comme les enfants français :
Vous n’avez pas honte, fainéants ? Regardez Rabah : lui au moins il rapporte de
l’argent et des légumes chez lui. Et vous, qu’est-ce que vous m’apportez lorsque vous
restez collés à mon binouar toute la journée ? (…) Oh Allah ! pourquoi m’as-tu donné
des idiots pareils ? gémit-elle à la longueur de journée.
(Le gone du Chaâba, 21)
Les protagonistes réagissent souvent en disant qu’ils ne comprennent pas l’arabe, et qu’ils ne
vont pas essayer non plus de connaître leur culture d’origine. Cela est également le cas dans
Le thé au harem d’Archi Ahmed, où Madjid s’irrite contre sa mère qui se lamente tout le
temps sur son fils qui est un fainéant et qu’elle veut envoyer en Algérie : « Mais moi j’ai rien
demandé ! Tu serais pas venue en France je serais pas ici, je serais pas perdu… Hein ?...
Alors, fous-moi la paix ! » (Le thé au harem d’Archi Ahmed, 17). Cette réaction de Madjid
montre qu’il ne supporte plus que sa mère veut changer son fils en un « Algérien », il estime
que l’immigration de ses parents en France était un choix volontaire, ce qui clôt toute
discussion. Pourtant, comme nous l’avons vu dans notre cadre historique, le groupe
d’Algériens qui a immigré en France dans les années soixante (dont font partie les parents de
25
Madjid), l’ont fait par nécessité économique. L’économie de leur pays était détruite par la
guerre d’indépendance et ils ont dû immigrer pour trouver du travail et un bon avenir pour
leurs enfants. Cela signifie qu’ils étaient forcés de quitter leur pays d’origine. Comme leurs
enfants n’ont pas vécu l’époque de la guerre d’Algérie ni celle de l’immigration qui
s’ensuivit, ils ne se sentent pas du tout liés au pays d’origine de leurs parents.
En dehors des parents, les autres banlieusards considèrent les protagonistes également
comme des Arabes. Dans Boumkoeur, on peut lire comment les camarades de Yaz s’attendent
à ce qu’il se comporte de la même façon qu’eux :
Je sais, le fait de ne pas avoir été crapule dans une bande de méchants garçons lui
laisse forcément croire que je suis une baltringue, une taroupette, une trompette, un
crétin. (…) Je préfère réfléchir plutôt que me friter, mais mon physique y est pour
beaucoup, malgré mon look de rappeur, le proverbe a une fois de plus raison :
‘L’habit ne fait pas l’imam.’
(Boumkoeur, 50-51)
Il ressort de ce passage que, malgré son apparence qui fait croire aux camarades qu’il est un
‘jeune con de branleur’, Yaz ne s’identifie pas aux autres jeunes banlieusards. Dans Vivre me
tue et Le gone du Chaâba, la situation est inversée, en ce sens que les camarades du
personnage principal ne considèrent plus leur ami comme un Arabe, au moment où celui-ci se
comporte trop ‘comme les Français’. En d’autres mots, ils le considèrent comme un Arabe,
comme « l’un d’entre eux », seulement quand il se comporte de la même façon qu’eux. Cela
se manifeste clairement au moment où Azouz fait de son mieux à l’école pour obtenir de bons
résultats pour devenir « comme les Français ». Ses camarades « arabes » n’acceptent pas cette
tentative de leur ami d’appartenir à la société française, ce qui a pour conséquence qu’ils lui
reprochent de ne pas être un Arabe :
T’es pas un Arabe, toi ! (…) J’te dis que t’es pas comme nous ! (…) Et en plus, t’es
un fayot. T’en as pas marre d’apporter au maître des feuilles mortes et des conneries
comme ça ? Et à la récré, pourquoi tu restes toujours avec les Français ?
(Le gone du Chaâba, 83-84)
De la même manière, le personnage principal de Vivre me tue ne fait plus partie du groupe des
« Arabes » à l’école, puisqu’il ne se comporte pas comme eux :
(…) parce que j’avais les meilleures notes. Parce que je bouquinais tous le temps.
Parce que je ne me sentais pas déshonoré de répondre quand un prof interrogeait la
classe. Parce que, comme mon père, j’avais à cœur de parler comme il faut.
(Vivre me tue, 26)
26
Tout cela a pour conséquence que Paul n’est plus accepté par les « Arabes » de banlieue, et
étant donné qu’il n’est pas non plus accepté par les Français (comme nous l’avons vu cidessus), il est exclu de tous les groupes :
Les Francaouis de souche me caguaient parce qu’ils me jugeaient un peu trop sidi, les
Sidis parce qu’ils me jugeaient un peut trop francaoui, les Chalalas parce que je
n’étais ni chalala ni vraiment sidi ni tout à fait francaoui, les Blackos parce que j’étais
white à leurs yeux (…).
(Vivre me tue, 27)
Cette exclusion à la fois du groupe des Français et des Arabes rend difficile pour les
protagonistes leur appartenance sociale incertaine. Ils se sentent marginalisés et sont à la
recherche de leur identité. Cela a pour conséquence qu’ils ont des difficultés à se motiver pour
sortir de l’impasse, et qu’ils sont découragés de pouvoir intégrer la société française. Ils
demeurent coincés dans leur cité, et recourent à la violence. Cela est en effet le cas dans
Boumkoeur et Le thé au harem d’Archi Ahmed, où les protagonistes n’ont à la fin du livre
toujours pas admis leur double appartenance. Madjid et Yaz ont toujours du mal à accepter la
situation dans laquelle ils vivent, ce qui se manifeste dans les derniers chapitres des livres :
Yaz met en feu la cage d’escalier et Madjid est arrêté par la police pour vol de voiture.
Dans Vivre me tue, Paul est déjà dans la phase suivante du processus d’acceptation de
la double identité. A la fin du livre, il part au Maroc pour découvrir le pays d’origine de ses
parents, ce qui signifie qu’il va à la recherche de son identité « arabe ». Le fait que la France
va lui manquer, signifie qu’il a accepté son identité française. Ce n’est pas qu’il semble être
très heureux en France, il part au Maroc à la recherche d’une vie plus agréable, néanmoins il
ressort de la tristesse qu’il ressent au jour de son départ qu’il se sent quand même lié à ce
pays. Pour ce qui est de son voyage au Maroc, l’extrait suivant montre que Paul ne sait pas
comment il va se sentir dans le pays de ses ancêtres, mais il est curieux de le connaître :
Je ne sais pas si j’ai tort ou raison. J’ignore ce qui m’attend là-bas. Si ce sera une
nouvelle vie, plus belle. Ou si j’aurai vite le sentiment d’avoir fait une connerie. Mais
ce sera ma connerie, mon choix. Et j’en accepterai les conséquences, et j’en serai
même fier, je crois. Il se peut que je revienne dans quelques semaines, ou quelques
mois, ayant perdu mes illusions… Mais quelles illusions ? Je n’en ai pas. Je sais que
ce sera tout aussi difficile là-bas, mais autrement. Je pars à l’aventure, voilà. On
verra.
(Vivre me tue, 187-188)
De même que ce dernier roman, Le gone du Chaâba et Putain d’étoile donnent également
l’exemple d’un protagoniste qui a accepté sa double identité. Dans Le gone du Chaâba, cela
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se manifeste au moment où Azouz rencontre monsieur Loubon, son professeur principal de la
première année au lycée. Français né en Algérie, il apprend Azouz à être fier de sa culture
d’origine et à en parler aux Français. Grâce à ce professeur pied-noir qui lui fait découvrir la
culture arabe devant toute une classe d’élèves français, Azouz commence à respecter la
culture arabe et à se sentir plus à l’aise dans la classe. Ayant accepté son identité arabe, il
reconnaît son identité française un peu plus tard, notamment au moment où il obtient la
meilleure note de la classe pour sa rédaction. Comme nous l’avons vu ci-dessus, cette
meilleure note de la classe est pour Azouz la preuve qu’il est aussi intelligent que les Français,
c’est-à-dire qu’il fait partie de la société française. Dans Putain d’étoile, le protagoniste
accepte sa double identité lorsqu’il est en voyage au Maroc, le pays dont ses parents sont
originaires. Il y rencontre Madame Eluard, une dame qui habite depuis toujours à Casablanca
et qui a connu le père du protagoniste. Elle lui raconte la vie de son père qui s’est battu au
côté des Français pendant la deuxième guerre mondiale et elle l’encourage à écrire un livre
sur cette génération dont son père faisait partie : « Elle insistait sur mon devoir de prendre la
plume pour raconter cette vie des humbles. » (Putain d’étoile, 198). En écoutant l’histoire de
son père par Madame Eluard, le jeune homme se rend compte qu’il avait besoin de la
connaître pour accepter son identité arabe : « (…) j’avais l’impression d’avoir attendu cet
instant depuis toujours. » (Putain d’étoile, 197). Il avait reconnu son identité française avant
de partir au Maroc, il découvre son identité arabe chez Madame Elouard, lorsqu’il apprend
l’histoire de ses ancêtres, il se rend compte à ce moment qu’il est fier de son père et de ses
origines « arabes ». La reconnaissance finale de sa double identité s’effectue ensuite lorsqu’il
écrit son livre. En effet, avant d’arriver à écrire un livre sur le vécu des individus ayant une
double identité, il faut d’abord accepter sa propre « situation ». Cela implique que l’ouvrage
que produit le protagoniste est le symbole de l’acceptation de sa double appartenance.
En insistant sur ce thème, les auteurs veulent faire comprendre au public français que
ce n’est pas la volonté de quitter la banlieue qui manque aux jeunes des cités, mais que le
regard de l’autre le rend difficile. De plus, en montrant le regard des parents et des autres
banlieusards sur les protagonistes, ils expliquent pourquoi cette « deuxième génération » se
sent souvent « emmurée » et a des difficultés à s’intégrer dans la société française. En même
temps, ils insistent sur le fait qu’il n’est pas impossible pour les jeunes de la cité de quitter
leur milieu, mais que c’est un processus compliqué. On comprend que les jeunes ont besoin
de temps pour pouvoir accepter leur double appartenance.
28
En dehors de la banlieue et du regard de l’autre, il y a un autre élément qui joue un
rôle important dans la vie des protagonistes, c’est le père. Dans la partie suivante, nous
insisterons sur son rôle dans la vie des protagonistes des romans du corpus.
2.3. Le père
Dans les cinq romans beur ‘traditionnels’ du corpus, le père est souvent nommé et la relation
père-fils est décrite de façon détaillée. Dans tous les romans, le protagoniste fait référence à
son père, et dans la plupart des ouvrages, la relation père-fils est très forte. Dans cette partie
de l’analyse thématique, nous observerons la place qui est accordée au père dans chacun des
romans et la relation qu’entretient le père avec son fils.
Bien que le père soit très présent dans la plupart des romans, il apparaît dans notre
corpus un texte dans lequel la figure du père est presque inexistante. C’est le cas de Putain
d’étoile, où le père ne fait son apparition qu’à la fin du livre, c’est-à-dire dans les cinquante
dernières pages du livre. Cependant, dans cette dernière partie du texte où le protagoniste
apprend l’histoire de la famille par sa mère, tout tourne autour du père. Il ressort de cela que
le père joue en arrière plan un rôle important dans la vie du protagoniste.
A cause de la mort précoce du père, le jeune homme n’a pas eu l’occasion de bien le
connaître. Cela signifie qu’il dépend complètement de sa mère pour connaître l’histoire de son
père. La première chose qu’elle lui raconte, est qu’il n’est pas le fils légitime de celui qu’il
considère comme son père. Elle avoue ne pas connaître l’homme qui l’a mise enceinte à
l’époque où elle était une pute. Comme elle a vraiment honte de cette situation, elle n’aime
pas revenir sur ce sujet et non plus à l’histoire du père. Pourtant, le protagoniste a vraiment
besoin de connaître l’histoire de son père, et il exige de sa mère qu’elle la lui raconte : (…)
j’ai besoin de comprendre, et tu n’a pas le droit de ne pas me répondre ! » (Putain d’étoile,
157). La mère prend finalement la parole et elle lui explique que son père était un homme
honnête qui travaillait toujours dur et qui respectait les Français. Pendant que sa mère raconte,
le protagoniste se souvient des aventures qu’il a vécues avec son père, ainsi il se rappelle que
son père était vraiment un « bosseur » qui ne demandait jamais de l’argent pour son travail :
Il m’en est resté des scènes étrangement vivantes. Je me souviens qu’au battage du
blé le Père se baladait entre les poulies et les courroies, de haut en bas de la machine
qui tournait entraînée par le tracteur. Il fermait les sacs qu’il prenait sur son dos et les
portait au pied de la grange (…). Les hommes s’affairaient dans le bruit et la
29
poussière. (…) Lui n’avait pas intégré les rapports d’argent. Il travaillait chez les
autres, et se contentait des compliments et du repas.
(Putain d’étoile, 163)
L’ardeur au travail et le respect du père envers le patron (français), ont impressionné l’enfant.
Le fait qu’il s’en souvienne, montre clairement qu’il admire son père. La décision d’aller
voyager au Maroc pour découvrir le pays dont son père est originaire est le signe qu’il n’a pas
cessé de l’admirer. Comme nous l’avons vu ci-dessus, le protagoniste rencontre Madame
Eduard, par laquelle il apprend l’histoire de son père quand celui-ci était encore à Casablanca.
Cette histoire l’inspire pour écrire un roman, ce qui signifie qu’il est fier de son père. Le fait
qu’il va dédier un livre à la génération de son père peut être interprété comme une relation
forte qui existe, et a toujours existé, entre le père et le fils, même si le protagoniste n’a jamais
eu l’occasion de vraiment exprimer son admiration à son père.
Contrairement à Putain d’étoile où la figure du père est inexistante dans la plus grande
partie du livre, les romans Boumkoeur et Le thé au harem d’Archi Ahmed présentent le père
dès le premier chapitre et donnent des descriptions détaillées de son rôle dans la famille. Une
autre différence entre ces deux romans et Putain d’étoile est que l’image du père dans ces
deux premiers est plutôt négative. Ainsi, les pères de Madjid et de Yaz sont tous les deux au
chômage, et l’un d’eux a été alcoolique pendant une certaine période :
Mon Daron sans emploi depuis peu, trois ans environ, a du mal à supporter que
Maman mène la danse à la casbah, ils n’arrêtent pas de s’embrouiller. C’est infernal.
Heureusement ils ne se battent plus comme avant, enfin il ne la bat plus comme avant
on devrait dire, il a pris l’âge, il a aussi arrêté de boire ses alcools de tueur qui le
rendaient fou.
(Boumkoeur, 24)
Dans cet extrait, comme dans le texte entier, Yaz utilise le mot « Daron » pour référer à son
père. Aussi dans Le thé au harem d’Archi Ahmed, le protagoniste Madjid ne parle presque
jamais de « son père », mais plutôt de « son vieux » ou du « petit vieux » : « Le petit vieux le
suit sans rien dire. » (Le thé au harem d’Archi Ahmed, 40). Contrairement à ce qu’indique
l’emploi de ce genre de termes, ce n’est pas par manque de respect que les deux protagonistes
les utilisent. En effet, comme nous le verrons ci-dessous, le père et le fils ont une bonne
relation dans les deux livres et il ne ressort nulle part des textes que Yaz et Madjid ne
respectent pas leur père. Toutefois, les deux protagonistes n’admirent pas leur père jusqu’à le
prendre pour exemple. Leur père est au chômage et n’arrive plus à subvenir aux besoins de
ses enfants, il a perdu l’autorité dans la famille. En d’autres mots, il n’est plus le chef de
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famille comme le veut la coutume dans les pays nord-africains, la conséquence en est que le
fils le déconsidère. Pour ce qui est de Boumkoeur, c’est le fils aîné qui prend le relais de son
père et qui devient le chef de la famille après que ce dernier ait battu violemment la mère :
Un jour, après un violent combat, Maman tomba dans les vapes, en sang. C’est
l’épaule de mon grand brother Aziz qui défonça la porte verrouillée de la salle de
bains. (…) Ce même jour, mon grand brother Aziz mit en garde le Daron : il le tuerait
s’il relevait la main sur elle.
(Boumkoeur, 24-25)
Dans Le thé au harem d’Archi Ahmed, ce n’est pas le comportement violent du père qui lui
fait perdre son rôle de chef de famille, mais c’est à la suite d’un accident de travail qui l’a
rendu handicapé qu’il n’arrive plus à être autoritaire :
Le papa a perdu la raison depuis qu’il est tombé du toit qu’il couvrait. Sur la tête. Il
n’a plus sa tête, comme dit sa femme. Elle s’en occupe comme d’un enfant, un de
plus. Elle le lave, l’habille, le rase, et lui donne quelques sous pour son paquet de
gauloises, son verre de rouge.
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 41)
Dans ce livre, ce n’est pas seulement la mère qui s’occupe du père comme un enfant, mais
Madjid a également son père à charge. Chaque jour, il vient le chercher dans le café du
quartier et il le ramène chez lui. Comme son père n’arrive même plus à parler mais
uniquement à hurler, Madjid a honte de lui, et il n’aime pas parler du « petit vieux » :
« Madjid n’aime pas qu’on lui cause de son père. Qu’on fasse allusion à quoi que ce soit au
sujet de son père le met de mauvaise humeur. » (Le thé au harem d’Archi Ahmed, 27). Le fait
qu’il vient chercher son père chaque jour et qu’il le protège au moment où les amis de Madjid
l’embêtent, montre qu’il a du respect pour son géniteur. Cependant, la honte qu’il éprouve en
même temps l’empêche de le glorifier et il ne prend pas exemple sur lui. Madjid n’aime pas
du tout travailler dur comme son père le faisait avant son accident de travail, il avoue ne pas
être vraiment un bosseur comme son père l’était :
-
Comme il était bon et bien brave, et pas fainéant avant ce malheur, pas comme
toi ! qu’elle se lamente à Madjid, la Malika. Ah ! si seulement tu étais comme ton
père avant son accident ! … lui répète-t-elle souvent.
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 41)
Cependant, il estime qu’il a toujours eu une bonne relation avec son père, comme le montre
l’extrait suivant où Madjid décrit ses souvenirs d’enfance :
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« Madjid s’en souvient. C’est vrai que son père était chouette, il aimait les enfants.
Ses enfants, il les choyait, les pomponnait comme une femme. Et que même le
dimanche quand il faisait beau, il les emmenait au champ de courses, MaisonsLafitte, Auteuil, Enghien. Les mômes aimaient ça. »
(Le thé au harem d’Archi Ahmed, 42)
Bien que Madjid n’a plus de conversations avec son père, et qu’il ne peut lui exprimer son
amour, il lui manifeste son respect pour lui en le protégeant.
Aussi dans Boumkoeur, Yaz a une bonne relation avec son père. Bien que son
« Daron » ait perdu l’autorité à la maison et que la relation entre Yaz et lui ne soit pas
‘intime’, il respecte les conseils moralisateurs du père : (…) comme dit le Daron, il ne faut
jamais tendre la main. » (Boumkoeur, 27). Outre ces avis moralisateurs, Yaz décrit également
de façon détaillée l’ardeur au travail de son père et sa carrière de boxeur. Il insiste surtout sur
la persévérance du « Daron » pour lequel il a beaucoup d’admiration :
Il travaillait pour Jan Brinos Frères Associés, une petite entreprise d’artisans du
bâtiment. (…) Ses outils n’étaient pas les plus nobles : une pelle, une pioche et une
masse. Le Daron était manœuvre, un ouvrier non qualifié. A chaque année qui
passait, c’est son état de santé qui trinquait. (…) Et pourtant, malgré la douleur atroce
de ses hernies discales, toujours il répondait présent à l’appel du patron.
(Boumkoeur, 76)
Tout comme Madjid dans Le thé au harem d’Archi Ahmed, Yaz estime vraiment son père et a
une bonne relation avec lui, mais lui non plus ne prend pas exemple sur lui. Ainsi, Yaz n’est
pas du tout un travailleur comme l’était son père, ce qui se manifeste clairement dans l’extrait
suivant situé à la fin du livre : « Le cul posé sur l’un des bancs qui orne le quartier, je regarde
le temps passer. (…) Il me faut absolument trouver un job. » (Boumkoeur, 117).
Contrairement aux romans analysés ci-dessus, les deux derniers ouvrages du corpus de
romans beur traditionnels, Le gone du Chaâba et Vivre me tue, présentent le père comme le
chef de famille qui détient l’autorité. Dans ces deux textes, l’image du père est très positive,
c’est-à-dire qu’il est présenté comme une personne correcte qui se conduit de façon
exemplaire. Les pères de Paul et d’Azouz ne sont jamais grossiers avec les autres (ni avec leur
famille, ni avec les Français) et ils ne sont pas alcooliques ni chômeurs. Les deux travaillent
dur et ils sont respectés par les Français, comme le montre l’extrait de Vivre me tue où les
collègues du père lui rendent visite quand il est à l’hôpital :
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Mon père avait d’autres visites : beaucoup de ses collègues venaient le voir quelques
minutes en sortant des ateliers, qui sont à deux pas de Fernand Widal. Et ce n’étaient
pas seulement ses collègues arabes … Je n’aurais jamais pensé qu’il était si
populaire.
(Vivre me tue, 154)
Dans Le gone du Chaâba, Bouzid, le père du protagoniste, s’applique également à être
respecté par les Français. Outre qu’il est le chef de famille, il est le chef du Chaâba, le
bidonville près de Lyon où ils habitent ensemble avec une dizaine d’autres familles
algériennes. Il est à la tête de ce « village algérien », et il fait en sorte que tout s’y passe bien.
Son plus grand souci est d’éviter que les habitants du Chaâba, les « Chaâbis », gênent les
Français ce qui pourrait avoir pour conséquence d’être obligés de quitter la France. Cette
crainte se manifeste clairement au moment où la police vient au Chaâba pour inspecter la
boucherie illégale de son frère Saïd. Bouzid est fou de rage contre Saïd, et il a peur qu’ils
soient tous expulsés vers l’Algérie, comme le montre cet extrait où sa femme lui apprend la
mauvaise nouvelle :
Il faut que tu ailles au koussaria, ce soir, avec lui. – Quoi ? Au kousssaria, moi qui
n’ai jamais adressé la parole à la boulice … Ils vont nous expilsi de là maintenant,
comme des chiens. Ah, frère de malheur ! Que ne t’ai-je pas abandonné à ElOuricia ?
(Le gone du Chaâba, 113)
La réaction du frère montre clairement que Bouzid est le chef du Chaâba, il détient l’autorité :
N’attend plus jamais rien de moi. Tu me dégoûtes. Va-t’en ! Va-t’en ! Prends ta
famille, tes meubles, ta baraque … Va-t’en loin de ma vue, cracha-t-il en
commençant à détruire l’atelier. Saïd se couvrit les yeux en avalant sa salive. Quelle
puissance le retenait de porter la main sur son aîné ? Impossible. Inimaginable. On ne
lève pas la main sur le chef du Chaâba, même s’il nous souille au plus profond de
nous.
(Le gone du Chaâba, 114)
Azouz a également beaucoup de respect pour son père et il l’admire. Il prend modèle sur lui et
essaye d’être toujours correct avec les Français. De plus, il fait des efforts pour obtenir de
bons résultats à l’école, et chaque fois qu’il en a obtenu un, il le montre directement à son
père, ce qui rend le père très fier. Cela se manifeste également au moment où Azouz annonce
à son père qu’il est passé en sixième : « Mon père était déjà rentré du travail quand je suis
arrivé à la maison. Placide, je lui ai annoncé : - Abboué, je passe en sixième ! » (Le gone du
Chaâba, 175). Pour Bouzid, c’est un honneur et il le récompense en l’emmenant au marché
aux puces et en l’autorisant à regarder la télévision. On voit tout l’amour et l’admiration que
33
le père éprouve pour son fils. Bouzid est un père autoritaire, mais il éprouve beaucoup
d’amour pour ses enfants, et il fait tout pour qu’ils puissent aller à l’école et aient un bon
avenir en France. Il fait tout pour que ses enfants trouvent un bon emploi et puissent bien
intégrer la société française : « Je préfère que vous travailliez à l’école. Moi je vais à l’usine
pour vous, je me crèverai s’il le faut, mais je ne veux pas que vous soyez ce que je suis, un
pauvre travailleur. » (Le gone du Chaâba, 21-22). Il ressort de ce qui précède qu’Azouz et
son père Bouzid ont une relation très forte, basée sur un respect réciproque. Cela est
également le cas dans Vivre me tue, où le père joue un rôle très important dans la vie du
protagoniste Paul.
Dans ce roman, le père est considéré comme le chef de famille, il détient l’autorité.
Cela se voit entre autres dans l’extrait où Paul nomme explicitement le rôle du père, Yacine,
dans la famille : « Je crois qu’il avait deviné la gravité de son état, mais le père, le chef de
famille, ne devait pas tomber malade, ne devait pas montrer le moindre signe de faiblesse. »
(Vivre me tue, 134). Paul considère son père comme le chef de famille, à qui on doit le
respect. Il ne l’admire pas seulement pour son autorité, mais il l’estime surtout pour le fait
qu’il travaille dur et qu’il ne se plaint jamais. En effet, Yacine est un homme social qui pense
en dernier à lui :
S’il minimisait ses ennuis de santé et refusait de se soigner, ce n’était pas tant par
fatalisme que pour ne pas nous affoler. Jamais, il ne s’occupait de soi. Et il gardait
pour lui ses soucis : les fins de mois, ses fils sans emploi, les exigences de rendement
toujours plus dures à la SNCF, la fragilité de Daniel, Maman qui se laissait aller à la
tristesse aussi … Sa propre santé.
(Vivre me tue, 134)
Le respect mutuel entre Paul et Yacine renforce la relation entre le père et le fils. Cela se
manifeste entre autres au moment où le protagoniste a besoin de l’aide de son père, parce qu’il
se fait tabasser quotidiennement à l’école comme nous l’avons vu dans l’analyse du deuxième
thème. Yacine n’hésite pas une seconde et il accompagne son fils à l’école pour parler au
directeur :
Mon père venait de rentrer du travail. À peine si j’ai pu raconter ce qui m’était
arrivé : les mots se bousculaient en moi, et les sanglots. Lui était livide de colère, il en
bégayait. (…) Il ne m’a pas laissé mettre d’autres chaussures mais m’a saisi par le
poignet, m’a tiré comme un sac jusqu’au palier, m’a poussé devant lui dans
l’ascenseur : il irait avec moi demander des explications au proviseur et porter plainte
au commissariat.
(Vivre me tue, 29)
34
Le lecteur voit ici tout l’amour de Yacine pour son fils, et comprend qu’il veut le protéger.
Cependant, il ne veut pas soutenir constamment son fils aîné, car il doit devenir autonome ce
qui fait qu’il l’emmène à l’école de boxe :
(…) mon père ne m’a pas ressaisi par le poignet mais a posé une main affectueuse sur
mon épaule. – Il faut que tu apprennes à te battre, m’a-t-il dit. Viens ! Il m’a emmené
au métro. (…) Il me conduisit à la salle de Monsieur Luis.
(Vivre me tue, 31)
En emmenant son fils à l’école de boxe, Yacine prépare son fils aîné à son futur rôle de chef
de famille. Le fait que Paul est le fils aîné a pour conséquence que la relation père-fils est très
forte mais aussi très spéciale. C’est que Yacine prépare son fils dès son jeune âge à lui
succéder à la tête de la famille, ce qui implique qu’il s’intéresse beaucoup à Paul. Au moment
où Yacine est atteint d’un cancer à l’estomac, le protagoniste se rend compte qu’il devra sous
peu remplir la tâche à laquelle son père l’a préparé depuis longtemps : « Moi, on pouvait me
dire la vérité : j’était l’aîné, je serais le chef de famille quand mon père aurait disparu. »
(Vivre me tue, 135). Au premier abord, Paul a beaucoup de mal à accepter que son père va
mourir ; il devient agressif et a le sentiment que la vie n’a plus aucun sens. Pourtant, au
moment où son père est décédé, Paul accepte la situation telle qu’elle est et il est prêt à
remplacer son père à la tête de la famille. Le jour de l’enterrement, il a finalement trouvé la
sérénité : « C’était – oui – un sentiment de paix, presque. Je n’avais plus de révolte. Le ciel
était très bleu et des oiseaux chantaient dans les frondaisons (…). » (Vivre me tue, 175). En
d’autres mots, Yacine a bien préparé son fils à sa future tâche de chef de famille, et Paul a
confiance qu’il remplira sa tâche.
Il ressort de cette analyse que les protagonistes sont très attachés à leur père, et que le
rôle du père dans la famille a beaucoup d’influence sur leur vie. Ainsi, nous constatons que
dans les deux romans où le père a perdu son autorité, Boumkoeur et Le thé au harem d’Archi
Ahmed, les protagonistes sortent du droit chemin. Comme nous l’avons vu dans l’analyse du
deuxième thème, Yaz et Madjid ont à la fin du livre toujours du mal à quitter la banlieue et à
se motiver à sortir de l’impasse. Cela s’explique partiellement par l’absence d’autorité à la
maison. Avec un père qui est au chômage et parfois très violent, Yaz et Madjid n’ont pas un
exemple à suivre et ils ne ressentent pas le besoin de montrer à leur père de quoi ils sont
capables eux-mêmes. Dans les autres textes, la relation entre le père et le fils est très forte, et
l’image du père très positive. Cela a pour résultat que les protagonistes veulent faire aussi
bien que leur géniteur et réussissent à sortir de leur cité.
35
En insistant sur ce thème, les auteurs veulent faire comprendre au lecteur français que
la situation dans laquelle se trouvent les jeunes de la cité est souvent beaucoup plus complexe
qu’ils ne le croient. Les parents des protagonistes sont des immigrés de la première génération
qui ont souvent de grandes difficultés à se débrouiller en France. Dans la plupart des cas, les
pères ont des emplois très durs et mal payés ou ils sont au chômage, ce qui a pour
conséquence qu’ils se sentent frustrés. Comme nous l’avons vu ci-dessus, cela signifie que le
père perd son autorité et que les fils n’ont plus une figure positive identificatoire. Toutefois,
certains auteurs racontent des pères qui se comportent correctement et qui apprennent à leurs
fils à bien travailler. De cette manière, ils montrent qu’une intégration réussie dans la société
française est bien possible et passe souvent par le père.
Observer la misère de la banlieue, le regard de l’autre et la figure du père nous ont
permis de constater la prédominance de ces thèmes dans les romans de notre étude. Cette
récurrence montre l’impact et l’importance de ces trois éléments, le contexte sociologique à
travers la banlieue et le regard que porte la société sur ces jeunes est tout autant importante
que la prégnance du père dans la vie des protagonistes. Dans la partie suivante, nous
étudierons l’évolution de la réception de cette littérature beur des années 1980, c'est-à-dire la
réception journalistique et les chiffres de ventes des cinq romans respectivement, car à partir
de cette évolution on peut probablement projeter l’avenir de cette littérature.
36
3. L’évolution de la réception de la littérature beur
3.1. La réception au cours du temps
Les chiffres de vente des cinq romans beur ‘traditionnels’ de notre corpus montrent que ces
ouvrages ont été accueillis favorablement par le public français. Ainsi, comme nous l’avons
déjà signalé dans l’introduction, le roman Boumkoeur s’est vendu à 100.000 exemplaires, et il
a même été adapté au théâtre. Le roman Le gone du Chaâba, paru en 1986, s’est vendu à plus
de soixante-dix mille exemplaires en quelques mois (Albert, 2005 : 56) et Vivre me tue a
également été un grand succès commercial avec plusieurs milliers d’exemplaires vendus. De
plus, ces deux derniers titres ainsi que Le thé au harem d’Archi Ahmed ont tous été adaptés au
cinéma. Cependant, malgré les grands succès commerciaux de ces romans, les critiques font
toujours une distinction entre la littérature beur et la littérature française pour montrer la
différence de niveau entre les deux. Ils ne considéreraient souvent pas comme de la
« littérature » les romans écrits par des écrivain(e)s français(es) issu(e)s de la seconde
génération de l’immigration maghrébine en France : « Ils ont écrit des témoignages, dit-on et
non des textes littéraires. » (Begag et Chaouite, 1990 : 105). En d’autres mots, les critiques
traitent les romans « beur » plutôt comme des documents sociologiques que comme des textes
littéraires, les auteurs de ces ouvrages ont alors le sentiment d’être marginalisés par la critique
littéraire.
Dans son article « L’effet beur. La littérature beure face à la réception journalistique »,
(Olsson, K. (2008) dans Guinoune, A-M. et A. Hargreaves (eds), 93-107) Kenneth Olsson a
étudié la réception journalistique de quinze romans beurs parus entre 2005 et 2006, pour
vérifier si cette constatation de Begag et Chaouite était correcte. Il a formulé l’hypothèse
« que c’est la valeur sociologique qui est le plus couramment mise en évidence quand on veut
faire valoir un texte beur. » (Olsson, 2008 : 95). Pour examiner cette hypothèse, il a
inventarisé des critiques portant sur quinze romans et récits de vie beurs de ces années, écrits
par des auteurs nés de parents immigrés maghrébins et ayant vécu leur adolescence en France.
Les articles de critiques se basent sur quinze périodiques qui ont été choisis pour :
« représenter d’un côté la portée des quotidiens et des hebdomadaires généralistes et, de
l’autre, le pouvoir de consécration des revues littéraires. » (Olsson, 2008 : 95). Il s’agit en
effet de cinq revues littéraires (Magazine littéraire, la Quinzaine littéraire, Esprit,
Commentaire et Magazine lire) et de dix quotidiens et hebdomadaires (le Figaro, le Monde,
l’Humanité, Libération, la Croix, la Tribune, l’Express, le Nouvel Observateur, le Point et
Marianne). Le but de l’analyse était de faire ressortir comment des facteurs non littéraires
37
remontent de la critique, ce qui justifie le choix des ouvrages du corpus sur la base de critères
ethniques et sociaux.
Pour ce qui est de la quantité des articles de critique sur les quinze ouvrages du corpus,
Olsson n’a trouvé que vingt-deux articles qui visaient à rendre compte d’un roman, à
l’interpréter ou à la juger. Cela signifie que la critique sur les ouvrages des auteurs beur est
peu fréquente. De plus, il a constaté que les articles publiés sont souvent brefs, sommaires et
ne comprennent parfois qu’une centaine de mots. En outre, quatre des romans et récits de vie
du corpus n’ont reçu aucune critique. En dehors de cette faible quantité de critique, Olsson a
constaté que les auteurs beur figurent en revanche plus souvent dans d’autres articles, « où
l’orientation porte sur leur vie, leurs origines sociale et ethnique plutôt que sur leurs
œuvres. » (Olsson, 2008 : 96). Ainsi, il a trouvé soixante-dix-neuf « mentions »5 en dehors des
articles de critique, des auteurs ou des œuvres inclus dans le corpus.
En ce qui concerne le contenu des critiques, Olsson fait la différence entre les analyses
effectuées à partir d’une perspective référentielle, c’est-à-dire lorsque la relation entre le texte
et le réel est mise en évidence, et celles où le roman est analysé en tant qu’objet d’art à part
entière et où la critique porte sur les qualités littéraires. Ainsi, il estime :
La mise en relation du roman à un champ littéraire ou l’énoncement de jugements sur
le style ou sur d’autres qualités littéraires témoignent d’une perspective non
référentielle tandis que la mise en avant des faits sociaux et politiques dont traite
l’ouvrage, indique une autre approche référentielle.
(Olsson, 2008 : 98)
Après avoir examiné les vingt-deux articles portant sur les quinze romans que constituent son
corpus, Olsson a constaté qu’il y a « une prédominance de la perspective référentielle. »
(Olsson, 2008 : 104). Pourtant, il estime également que cela n’est pas seulement la
conséquence du caractère documentaire ou de l’inspiration autobiographique de l’œuvre
« beur », mais que ce sont surtout les événements qui ont eu lieu dans les banlieues en
novembre 2005 qui ont attiré l’attention des critiques :
Les soulèvements populaires dans les banlieues de nombreuses villes françaises en
novembre 2005 ont sans doute attiré l’attention sur la condition sociale de la
population issue de l’immigration. L’orientation des articles sur les auteurs beurs
5
Olsson entend par « mention » un texte autre qu’un article de critique contenant une ou plusieurs références à
un ou plusieurs auteurs beurs ; chaque texte de ce type constitue une « mention », quel que soit le nombre
d’auteurs mentionnés ou le volume quantitatif du texte, qui peut par ailleurs être très variable dans sa forme (une
liste des ventes, l’énumération des participants à une fête culturelle ou des personnes honorées dans une
promotion de la Légion d’honneur, une interview avec un ou plusieurs auteurs, etc.)
38
publiés en 2006, où l’actualité des questions sociales apparaît comme la raison même
des journalistes d’écrire, confirme cette hypothèse.
(Olsson, 2008 : 104)
Bien que la majorité des articles publiés en 2005-2006 soient référentiels et analysent
seulement la relation entre les romans beur et le réel, la présence dans l’inventaire de certaines
analyses non-référentielles des ouvrages beur mène à la conclusion que les « beurs » ne sont
pas nécessairement « condamnés à occuper les banlieues ou les ZUP de la littérature. »
(Begag et Chaouite 1990 : 105). En effet, Olsson estime que malgré l’influence des facteurs
sociaux sur la critique, son examen de la réception journalistique des romans beur entre 2005
et 2006 montre la possibilité d’une autre lecture : « Sinon, comment rendre compte de la
critique qui fait valoir les qualités littéraires des romans de Zahia Rahmani et du ‘Rêve pour
les oufs’ de Faïza Guène ? » (Olsson, 2008 : 104). Dans la partie suivante, nous allons
examiner la réception journalistique des cinq romans beur de notre corpus de la même
manière qu’Olsson l’a fait, c’est-à-dire d’après des articles de critique et des mentions
apparues dans les revues littéraires et les hebdomadaires et quotidiens cités ci-dessus.
Avant de présenter les résultats de notre analyse de la réception journalistique de ces
cinq romans, il faut noter qu’il n’y a pas de commune mesure entre les résultats
« quantitatifs » de cette analyse et ceux de l’examen de Olsson. Ainsi, il y a une différence
entre le nombre de romans que constituent les deux corpus, quinze contre cinq, et de plus, les
dates de parution des romans et des articles ne sont pas les mêmes. En effet, Olsson a analysé
des articles et des mentions parus entre 2005 et 2006, c’est-à-dire la période où les quinze
romans ont paru, tandis que nous examinons cinq romans qui sont sortis entre 1983 et 2003.
Cela a pour conséquence que les articles et les mentions de notre inventaire datent d’une
période plus longue (de la parution du premier roman en 1983 jusqu'à 2009) que celle
examinée par Olsson. Il ressort de cela que les résultats quantitatifs ne se comparent pas.
Cependant, un lien peut être observé entre le contenu des articles, en ce sens que nous
pouvons vérifier si la plupart des articles de critiques et des mentions sont aussi référentiels,
comme c’était le cas dans l’examen de Olsson.
Quant aux résultats quantitatifs, nous constatons que les cinq ouvrages de notre corpus
ont donné lieu à onze critiques, c’est-à-dire des articles visant à rendre compte d’un ouvrage,
à l’interpréter ou à le juger. Etant donné qu’il s’agit de romans qui étaient des grands succès
commerciaux, nous pouvons en conclure dans le rapport entre le nombre d’articles, le nombre
de romans et leur succès commercial que la critique sur les textes des auteurs beur est minime.
39
Pour ce qui est de la longueur des articles, la plupart sont très brefs voire sommaires, ne
comprenant parfois qu’une centaine de mots, comme celui sur Le gone du Chaâba d’Azouz
Begag (Belhassen, 2001, 123 mots) et celui sur Vivre me tue de Paul Smaïl (Douin, 1997, 127
mots). Parmi les cinq romans analysés, deux n’ont reçu aucune critique dans les cinq revues
littéraires et les dix quotidiens et hebdomadaires sélectionnés : Boumkoeur (1999) de Rachid
Djaïdani et Putain d’étoile (2003) de Saïd Mohamed. Pour ce qui est des trois autres romans,
Le gone du Chaâba (1986) a reçu cinq critiques, Vivre me tue (1997) en a reçu quatre et Le
thé au harem d’Archi Ahmed (1983) seulement deux.
Si les auteurs « beur » ne sont pas souvent cités dans des critiques littéraires, ils
figurent en revanche très souvent dans des « mentions », où l’orientation porte sur leur vie,
leur origine sociale et ethnique plutôt que sur leurs romans. Dans les revues littéraires et les
périodiques consultés, nous avons trouvé quatre-vingt mentions, en dehors des critiques. Le
titre le plus souvent traité dans les revues littéraires, les quotidiens et les hebdomadaires est Le
gone du Chaâba avec trente-quatre articles. Cela s’explique partiellement par le fait que
l’auteur de l’ouvrage, Azouz Begag, n’est pas seulement romancier, mais aussi chercheur au
Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en économie et sociologie, et il a été
ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances de 2005 à 2007 sous le gouvernement
de Dominique de Villepin. Bien que nous n’ayons pas intégré dans notre inventaire les articles
traitant de sa carrière politique ni ceux traitant de sa fonction de chercheur au CNRS, il est
clair qu’Azouz Begag est quelqu’un d’important en France, qui suscite l’intérêt de la presse.
Contrairement au roman Le gone du Chaâba souvent nommé dans la presse écrite, le livre
Putain d’étoile n’a reçu qu’une mention. Quoique la période de la réception journalistique
analysée de Putain d’étoile (de 2003 à 2009) soit beaucoup plus courte que celle de Le gone
du Chaâba (de 1986 à 2009), nous constatons que cela n’explique pas la grande différence de
nombre d’articles et de mentions trouvés pour chacun des textes. Ainsi, en analysant la
réception journalistique de l’année de parution et des sept années postérieures de chacun des
deux romans, nous constatons que Le gone du Chaâba a reçu six mentions pendant cette
période (de 1986 à 1993), tandis que Putain d’étoile n’en a reçu qu’une.
Parmi les revues littéraires, deux ne traitent aucun des titres de notre corpus,
notamment la Quinzaine littéraire et Commentaire. La revue qui commente le plus souvent
les ouvrages est le Magazine littéraire, qui a publié deux articles et trois mentions sur Le gone
du Chaâba, ainsi qu’une mention sur Vivre me tue. Quant aux quotidiens et aux
hebdomadaires, c’est dans Le Nouvel observateur que nous avons trouvé le plus grand
40
nombre de critiques, trois articles traitant de deux ouvrages. En ce qui concerne le nombre
total de mentions, c’est le Monde qui en a fait paraître le plus, vingt-et-une au total. Dans un
des périodiques consultés, Tribune, nous n’avons trouvé aucun article de critique ni de
mentions. Cette grande différence entre le nombre total de mentions parues dans les
magazines littéraires et dans les quotidiens et les hebdomadaires s’explique surtout par le fait
que les magazines ne se veulent que littéraires, tandis que les quotidiens et les hebdomadaires
se veulent souvent informatifs sur la société. Etant donné que les critiques ne considèrent pas
les romans beur comme de la « littérature française » et qu’ils regardent souvent ces textes
comme autobiographiques racontant la vie actuelle dans les banlieues, nous trouvons plus
d’articles sur les romans beur dans les quotidiens et les hebdomadaires à caractère sociétal
que dans les magazines ‘littéraires’.
Le nombre de critiques et de mentions portant sur les romans beur ou sur leurs auteurs
est un indicateur du degré d’intérêt qu’à suscité cette littérature dans la presse. Tandis que
deux des trois ouvrages du corpus qui ont reçu de la critique littéraire sont sortis dans les
années 1980 (Le thé au harem d’Archi Ahmed et Le gone du Chaâba), et un dans les années
1990 (Vivre me tue), deux articles de critique sont parus dans les années 1980, cinq dans les
années 1990 et deux dans les années 2000. Il ressort de cela que l’intérêt des critiques
littéraires pour les textes beur a été le plus grand dans la période médiane. Quant aux
mentions, elles sont réparties de la façon suivante : trois à la fin des années 1980, trente-cinq
dans les années 1990 et quarante-deux dans les années 2000. La fréquence des mentions
marque en effet un intérêt accru pour les textes beurs dans les années 2000. Comme nous
l’avons vu ci-dessus dans la conclusion de l’analyse de Olsson, cela est partiellement lié aux
émeutes qui ont eu lieu dans les banlieues en novembre 2005 et qui ont été très médiatisées.
Pendant cette période, les journalistes étaient en effet très curieux de connaître les auteurs de
la littérature beur, les metteurs en scène et les acteurs des « films de banlieue »6 ainsi que les
chanteurs et compositeurs de la musique, nés dans la banlieue. Toutefois, les émeutes de 2005
ne sont pas la seule cause du nombre élevé d’articles et de mentions dans les années 2000. En
effet, il faut également noter que la disposition des informations au début des années 1980
n’était pas la même qu’aujourd’hui ; ce n’est que depuis le début des années 1990 que nous
avons accès à Internet grâce auquel la diffusion d’articles au grand public est plus facile. En
outre, toutes les revues littéraires, les quotidiens et les hebdomadaires n’ont pas digitalisé et
6
Les “films de banlieue” se déroulent principalement dans les banlieues des grandes villes françaises et montrent
la recherche compliquée de l’identité des jeunes beurs et les obstacles qu’ils rencontrent pendant ce parcours.
41
mis en ligne leurs documents datant des années précédant Internet, ce qui implique que nous
trouvons plus de documents datant des années 1990 et 2000.
Outre une augmentation de l’intérêt pour la littérature beur, les émeutes de novembre
2005 avaient également pour conséquence que la presse analysait pendant cette période la
plupart des romans beur en tant que « (…) chroniques du réel et des exemples d’un
phénomène social. » (Olsson, 2008 : 97) et non pas comme de la littérature. Cela se manifeste
en effet dans un nombre plus élevé de critiques et de mentions référentielles comparé au
nombre de critiques et de mentions non-référentielles. Dans l’inventaire des articles de
critique et des mentions portant sur les cinq romans beur traditionnels de notre corpus, nous
constatons également que la plupart des articles sont référentiels, ils mettent effectivement en
évidence la relation entre le texte et le réel.
Parmi tous les articles de critique et les mentions, il y a quatre aperçus des livres les
plus vendus pendant une certaine période et cinq annonces d’un auteur nominé ou gagnant
d’un prix littéraire, qui n’existent que sous la forme de listes de noms et de chiffres. Nous
considérons ces articles comme des mentions « neutres », ce qui les sépare des articles
clairement référentiels ou non-référentiels. Quant aux critiques littéraires et mentions
restantes, nous n’en avons trouvé que vingt qui sont non-référentielles, comme cette critique
sur Vivre me tue (Lanfranchi, l’Humanité, 1997) où Fabrice Lanfranchi met en évidence la
force du langage dont Paul Smaïl se sert dans l’ouvrage : « ‘Vivre me tue’ s’appuie sur la
fulgurance d’une langue qui se fragmente telle une grenade et pulvérise tout ce qui résiste
aux mots. » (Lanfranchi, 1997). Ce n’est pas par hasard que ce roman a reçu une critique
« non-référentielle ». En effet, il est écrit par Jack-Alain Léger, un auteur français. Etant
donné que la nationalité maghrébine des auteurs est une des caractéristiques de la littérature
beur, cet ouvrage n’est pas toujours traité dans des articles portant sur ce genre de littérature,
mais il apparaît dans différents articles et mentions non-référentiels.
Le nombre relativement faible de critiques et de mentions non-référentielles implique
que la plus grande partie de l’inventaire est référentielle, comme cette critique littéraire de
François Reynaert (Reynaert, Le Nouvel Observateur, 1993) qui insiste sur la revendication
de l’identité « beur » dans Le gone du Chaâba d’Azouz Begag :
(…) un livre magnifique, « le Gone du Chaâba », récit tendre et drôle qui raconte sa
propre histoire, et qui dit avec humour ce qu'il faut d'intelligence et de reniement pour
être bon élève dans l'école de la République, quand son papa parle la langue de Jules
Ferry avec l'accent d'Abd el-Kader et que sa maman ne connaît de la France que
42
l'autoroute qui borde le bidonville. Et franchement, s'il fallait, après l'hymne, un
manifeste de la beuritude, ce serait à nos yeux ce livre-là qui le constituerait.
(Reynaert, 1993)
En dehors de l’aspect traité dans cet article, la « beuritude », nous trouvons plusieurs autres
thèmes récurrents dans les critiques et les mentions référentielles, ce qui nous a fait diviser
l’inventaire ‘référentiel’ en quatre catégories : ‘la vie de l’auteur’, ‘autres livres (et films)
produits par les auteurs’, ‘la littérature beur’ et ‘les Beurs en France’. La catégorie
comprenant le plus grand nombre d’articles (vingt-sept) est celle de ‘la vie de l’auteur’,
contenant également des interviews avec les écrivains. Les livres les plus souvent cités dans
cette catégorie sont Le gone du Chaâba et Vivre me tue, ce qui s’explique pour le premier par
la réputation de l’auteur et pour le second par le mystère que tentaient d’éclaircir les
journalistes autour du nom de Paul Smaïl, l’auteur ‘pseudo’ de Vivre me tue. La majorité des
articles appartenant à cette catégorie insiste sur les origines de l’auteur respectif et sur sa
volonté de raconter l’histoire de la banlieue, comme cet article paru dans le Monde sur Azouz
Begag :
Né de parents algériens dans un bidonville de la banlieue lyonnaise, Azouz Begag est
devenu docteur en économie et écrivain. (…) Il envisage d’y évoquer [dans les livres]
sa décoration, pour montrer qu’ « il est possible d’être reconnu par la République,
même quand on sort d’un milieu modeste ».
(Auteur inconnu, 1996, Le Monde)
De même, Christine Rousseau dans Le Monde met l’accent sur les origines de Mehdi Charef
et la façon dont elles se manifestent dans ses romans :
Après avoir évoqué tant dans ses livres que dans ses films son adolescence en
banlieue parisienne, notamment avec Le Thé au harem d'Archimède (1), mais aussi
des destins aux marges de la société (Mona Lisa, Camomille...), Mehdi Charef
semble, depuis La Fille de Keltoum (2001) et 1962, Le dernier voyage, sa première
pièce montée en 2005, avoir entamé un lent mais nécessaire retour sur lui et son
enfance algérienne.
(Rousseau, 2006)
Contrairement à Mehdi Charef et Azouz Begag dont la vie est régulièrement exposée dans des
articles, un auteur ne reçoit aucune critique ou mention dans la presse, Saïd Mohamed,
l’auteur de Putain d’étoile, la raison de cette absence de reconnaissance nous est inconnue.
Après les articles sur la vie des auteurs vient la deuxième catégorie ‘autres livres (et
films) produits par les auteurs’ constituée de vingt-six articles, suivie par la catégorie ‘la
littérature beur’ qui comprend onze mentions. La catégorie ‘référentielle’ comprenant le plus
43
petit nombre d’articles est celle des ‘Beurs en France’, laquelle n’est constituée que de sept
articles en tout. Seulement trois romans sont nommés dans les articles appartenant à cette
catégorie : Le gone du Chaâba (quatre articles), Le thé au harem d’Archi Ahmed (deux
articles) et Boumkoeur (un article). Dans ces écrits, les auteurs mettent l’accent sur les
expériences que les écrivains des romans beur ont (eu) du fait d’être Beur en France. Ainsi,
Pierre Daum insiste dans son article ‘La mise au poing de Rachid Djaïdani’ (Daum,
Libération, 2006) sur le fait que l’auteur de Boumkoeur s’est filmé pendant la composition de
son deuxième roman pour prouver au public français que lui, un jeune Beur, peut bien écrire
des livres :
(…) la première nationale de Sur ma ligne, magnifique documentaire de Rachid
Djaïdani, écrivain, comédien et boxeur de banlieue, filmé 52 minutes en train d'écrire
son second roman. « Quand j'ai apporté le manuscrit de mon premier bouquin » (le
best-seller Boumkoeur), la nana de la maison d'édition m'a demandé d'un air
suspicieux si c'était vraiment moi qui l'avais écrit, raconte Djaïdani. Cette
discrimination intellectuelle m'a mis la rage, alors pour le deuxième, j'ai pris une
caméra de base et je me suis filmé.
(Daum, 2006)
Cet intérêt pour les expériences personnelles des écrivains beur en France implique que les
auteurs des articles voient souvent les textes écrits par ces derniers comme : « émanant plus
ou moins directement d’expériences personnelles – et comme traitant d’une réalité historique,
à partir de laquelle on doit les interpréter et les légitimer. » (Olsson, 2008 : 101). En d’autres
mots, les commentateurs ont souvent tendance à porter l’accent sur des faits biographiques de
l’auteur, ce qui a pour conséquence que les lecteurs considèrent les romans beur comme des
textes ‘autobiographiques’.
De même qu’Olsson l’avait constaté pour son examen de la réception journalistique
des romans beur des années 2005-2006, nous pouvons conclure de notre analyse que Begag et
Chaouite ont tort lorsqu’ils estiment que (toutes) les critiques traitent les romans beur comme
des documents sociologiques et non pas comme des textes littéraires. Ainsi, malgré
l’influence des facteurs sociaux sur la critique, l’examen de la réception des cinq textes beur
révèle qu’il y a des commentateurs qui insistent sur les qualités littéraires des romans et qui
laissent de côté les origines culturelles des auteurs. Par contre, on ne peut pas écarter
totalement la position de Begag et Chaouite, puisque notre analyse montre également que la
grande partie des critiques et des mentions est référentielle et que la plupart des romans beur
sont considérés comme des témoignages et non pas comme des textes littéraires.
44
Bien que les romans beur des années 1980 soient dans la plupart des cas examinés
comme des textes autobiographiques et qu’ils soient souvent soumis à une analyse
référentielle, certains livres écrits par des auteurs beur ne sont pas classés sous le
dénominateur commun de la « littérature beur ». Il s’agit, pour n’en citer que deux, de textes
tels que Cancer (1994) de Mehdi Belhaj Kacem et Mon père est un petit bicot (2005) de Sonia
Moumen que nous avons déjà mentionné dans l’introduction de ce travail. Bien qu’écrit par
des écrivain(e)s français(es) issu(e)s de la seconde génération de l’immigration maghrébine en
France, les critiques ne mettent pas en avant les origines des auteurs et la valeur sociologique
du texte, mais ils insistent plutôt sur la qualité littéraire des ouvrages et sur la richesse de la
langue. Ces deux romans, sont-ils alors la preuve d’une nouvelle tendance dans la littérature
beur ? Dans son article ‘Et les enfants alors ? Une littérature beure de jeunesse ? (BacholleBošković (2008) dans Guinoune, A-M. et A. Hargreaves (eds) Expressions maghrébines, 159176), Michèle Bacholle-Bošković estime qu’il s’agit bien d’une évolution interne de la
littérature beur qui indique que la littérature de l’immigration en France est plurielle :
De romans reposant sur un contenu ethnographique, sociologique et largement
autobiographique, (…), on serait passé à des écrits où l’esthétique occupe une place
plus importante. Laronde cite pour exemple ‘Cancer’ de Mehdi Belhaj Kacem
(1994), auteur issu de l’immigration et n’ayant, en effet, pas porté l’étiquette ‘beur’.
(Bacholle-Bošković, 2008 : 160)
Dans la partie suivante, nous présenterons la thématique des deux romans cités ci-dessus et la
réception journalistique de ces textes (d’après les mêmes sources que nous avons utilisées
pour l’examen effectué ci-dessus), afin d’observer l’évolution de la littérature beur.
3.2. Une nouvelle tendance
En 1994, Mehdi Belhaj Kacem publie son premier roman Cancer, il raconte l’adolescence de
Franck Stamin, un chanteur de musique pop qui meurt d’une crise cardiaque à l’âge de trente
ans, après avoir vécu une vie solitaire. Le héros n’aimait pas sa famille, était un enfant
renfermé et un adolescent asocial au lycée où il préférait rester seul :
Franck STAMIN, le dossier de blâmes le plus épais qui fut jamais, auquel venaient
s’ajouter sans trêve des pièces neuves, car il se complaisait, il faut insister là-dessus,
messieurs les jurés, il se complaisait à réduire sa cote de popularité à néant, puis en
dessous ; le zéro était dépassé et de loin.
(Cancer, 115)
45
Le livre commence par l’annonce à la télévision de la mort de Franck Stamin, le jeune artiste
dont s’occupait Frédéric Rivoli, un manager de chanteurs et chanteuses de variétés. Ce dernier
est choqué par la nouvelle et il est en deuil de son poulain dont il voulait faire une vraie star. Il
était en fait une des seules personnes qui avait de l’importance pour Franck et il faisait tout
pour faire une réussite de la carrière du jeune chanteur. Pourtant, on apprend très vite que la
relation entre les deux était assez difficile, en ce sens que Franck ne faisait rien pour obtenir
du succès. Fred estime avoir fait tout ce qu’il pouvait pour faire de la carrière de Franck une
réussite, ce qui paraissait finalement irréalisable : « Quelle perte, quelle histoire sordide… Il
avait bien tenté de le récupérer, mais il n’y avait rien à faire. » (Cancer, 232). Après
l’annonce de la mort de Franck et la réaction de son manager, le narrateur raconte
l’adolescence du jeune chanteur en revenant à plusieurs reprises sur l’enfance du petit Franck
qui a toujours été un garçon qui sortait de l’ordinaire :
Ce furent certainement les larmes qui dominèrent l’enfance de Franck, et en agitèrent
les nuits d’amères remous et de fièvres sans intermittences. L’enfant fut un larmoyant
prolixe, (…) Tristesse ou colère, le résultat était le même, haine ou frustration, idem :
larmes copieuses pour contrecoup ; (…) Ajoutons à cela que pleurer en public lui
faisait honte. Le pleurard mettait les gens mal à l’aise ; ils ne l’acceptaient pas. Il était
ainsi forcé, à chaque accès, de fuir vers un endroit isolé : s’y soustraire au regard
objurgateur uni des humains. (…) il n’avait d’autre réaction que celle de prendre ses
jambes chancelantes à son cou ; l’image de son lit lui stimulant l’esprit. (…) Le
resserrement de la fréquence du phénomène menaçait de déterminer un certain
‘ajustement’ de sa vie à l’aliénation du reste du monde (…).
(Cancer, 34-36)
Après son enfance ‘pleurnicharde’ vient l’adolescence, pendant laquelle Franck conserve
toujours ses distances avec le monde. Il préfère se noyer dans l’alcool, tout seul dans son
appartement et visiter les prostituées de temps à autre plutôt que de se lier d’amitié avec les
gens de sa génération.
Il ressort de ce résumé que Mehdi Belhaj Kacem ne traite pas du tout les thèmes
‘caractéristiques’ du roman beur, tels que la misère de banlieue, les Maghrébins en France
face au regard de l’autre et la relation avec le père. Ayant pour thème principal la folie, le
roman Cancer se distingue au niveau thématique du roman beur ‘traditionnel’ analysé cidessus. Pour ce qui est du style de ce livre, nous constatons que celui-ci diffère aussi
énormément de celui qui caractérise le roman beur des années 1980.
Dans une critique publiée dans Le Matricule des Anges, Thierry Guichard insiste sur le
style violent et paranoïaque dont Mehdi Belhaj Kacem se sert dans son premier roman
46
Cancer : « Violent, paranoïaque, mégalomaniaque (…), l’écriture de Medhi Belhaj Kacem est
tout cela sans jamais prendre la pose, sans cabotinage. » (Guichard, La Matricule des Anges,
1994). La violence est en effet omniprésente dans le texte, aussi bien au niveau du vocabulaire
qu’au niveau de la typographie. Ainsi, le livre est rempli de mots qui expriment la violence et
la colère, comme dans l’extrait où Fred essaye de calmer Franck : « Il s’évertue, le débile !
(…) Je fatigue. Tu es fou ! (…) Tu te comportes comme un attardé mental. Il faut te calmer,
merde ! » (Cancer, 23). De plus, l’auteur utilise souvent des points d’exclamation et des
lettres capitales pour renforcer le caractère violent du texte, comme dans le passage suivant où
Franck exprime la haine qu’il conçoit pour son père :
Je dis enfin à papa ses quatre vérités, la première fois de ma vie que je hausse un tant
soit peu le ton, éssamesoulaj PAS. Jvous DÉTESTE. SURTOUT TOI.
TUNNAJAMAIS…JAMAIS ÉTÉ FOUTU DE ME PARLER.
(Cancer, 63)
Violente, l’écriture de Mehdi Belhaj Kacem est souvent aussi à caractère ‘psychotique’, en ce
sens que l’auteur utilise des expressions et des exclamations incompréhensibles, comme dans
la phrase suivante : « JE SAIS QUE C’ÉTAIT PAS MA AH-AH-AH FAUTE MAIS IL
FALLAIT QUAND MÊME LE EUH-HEU-EUH FAI-AIRE KRAKRABOUDA (…) » (Cancer,
225). En plus de ces mots inexistants, nous trouvons dans le livre plusieurs passages parfois
longs de presque deux pages où l’auteur n’utilise pas de ponctuation et qui sont totalement
incohérents, comme l’extrait suivant où Franck décrit de façon détaillée et peu respectueuse la
prostituée à qui il a rendu visite :
MONSTRUÉ oui da monstrué et après on se croit malin pour avoir ajouté un poncif à
la péroraison on se croit original avec ça merci d’être là à bon souvenir comme si
j’étais amnésique tu n’es qu’une ordure au cul du pire à croire que je n’en savais rien
je le sais que tout est par ta seule faute dont tu vas répondre maintenant à qui la faute
ce statut de pestiféré lépreux monstrueux mes souffles intimes braconnés aux recoins
le malade insigne tout travaillant à mon rétrécissement dans le temps le plus court.
(Cancer, 222-223)
Le langage pathologique et le manque de ponctuation rendent le livre parfois difficile à lire et
à comprendre, ce qui explique que certains lecteurs sont très négatifs sur l’ouvrage. En effet,
le livre provoque parfois des réactions aussi violentes chez le lecteur, comme par exemple
celle de Yann Moix dans un article publié dans le Monde :
47
Sans la moindre provocation, je jure que je préfère lire un manuel de machine à laver
ou une étiquette de pull-over qu'un SAS, un Quignard, un Mehdi Belhaj Kacem
(l'écrivain le plus ridicule et le plus cuistre, le plus sinistre et le plus risible que
compte aujourd'hui la France), un Angelo Rinaldi ou un Philip K. Dick.
(Moix, 2009)
Cependant, contrairement à cette réaction très négative, le chiffre de vente montre que ce
premier livre de Mehdi Belhaj Kacem a été accueilli favorablement par le public français ; il
s’est vendu en édition principale depuis mai 1994, 2312 exemplaires, et l’édition de poche
(J’ai lu), à présent épuisée, s’est vendue à 4092 exemplaires7. Bien que ce chiffre de vente
soit largement inférieur à celui de Boumkoeur (100.000 exemplaires vendus), le roman
Cancer peut quand même être considéré comme un succès. En effet, contrairement à des
romans tels que Boumkoeur, le texte de Mehdi Belhaj Kacem n’est pas facile à lire, il n’est
pas accessible au grand public, alors les 6404 exemplaires vendus constituent un nombre
relativement élevé.
Quant à la réception journalistique, nous avons trouvé deux critiques littéraires et neuf
mentions sur le livre Cancer et son auteur.8 Comme c’était le cas pour la plupart des critiques
littéraires des romans beur ‘traditionnels’ analysés ci-dessus, les critiques sur Cancer sont
également brèves et sommaires, telle celle de Michel Crépu dans l’Express (47 mots). Pour ce
qui est des mentions, elles sont réparties de la façon suivante : trois sur l’éditeur Tristram,
trois sur la vie de l’auteur et trois sur la littérature contemporaine. Ce qui frappe en premier,
c’est l’absence d’une catégorie contenant des articles sur ‘la littérature beur’ ou ‘les Beurs en
France’. Cela montre que la presse écrite ne considère pas le roman Cancer comme de la
littérature beur. En outre, quand nous examinons de plus près les articles portant sur ‘la
littérature contemporaine’, nous constatons que Mehdi Belhaj Kacem est explicitement
considéré comme un des auteurs de la littérature « française ». Ainsi, dans un article publié
dans le Nouvel Observateur (2001), Jérôme Garcin cite d’un trait Mehdi Belhaj Kacem,
Michel Houellebecq et d’autres auteurs français contemporains :
Ces gardiens du passé sont également des défricheurs de la littérature contemporaine:
qu’on pense à Michel Houellebecq chez Nadeau, Pascal Quignard chez Orange
Export Ltd, Maeght et Chandeigne, François Bon et Pierre Bergounioux chez
Verdier, Jude Stéfan, Jean-Loup Trassard, Christian Bobin au Temps qu’il fait,
Mehdi Belhaj Kacem chez Tristram, (…).
(Garcin, 2001)
7
Sylvie Martigny, la responsable des éditions Tristram, nous a envoyé ces chiffres de vente par e-mail le 15 juin
2009. (La correspondance avec la maison d’éditions Tristram est annexée à la fin du mémoire).
8
Les articles portant sur les essais ou la carrière philosophique de Mehdi Belhaj Kacem n’ont pas été incorporés
dans l’inventaire des critiques littéraires et des mentions.
48
En plaçant Mehdi Belhaj Kacem parmi des auteurs et des poètes français, le journaliste ouvre
la porte à l’auteur de Cancer à la littérature française. En ce qui concerne les autres articles de
l’inventaire, nous constatons que Kacem n’est nulle part vu comme un auteur écrivant des
romans beur. Cependant, comme nous l’avons indiqué dans la partie concernant la littérature
beur, nous considérons dans notre travail comme « roman beur » tout texte écrit par un auteur
né de parents immigrés maghrébins et né en France ou arrivé jeune. Etant donné que Mehdi
Belhaj Kacem correspond entièrement à ce profil, nous pouvons considérer le roman Cancer
comme la première preuve d’une évolution interne de la littérature beur.
Un autre livre qui s’éloigne également du roman beur des années 1980, aussi bien au
niveau thématique qu’au niveau du langage, est le livre Mon père est un petit bicot (2005) de
Sonia Moumen. L’écrivaine est née en 1969 en France, en Haute-Savoie d’un père algérien et
d’une mère française. Après des études de lettres et de langues, elle choisit de travailler dans
le monde du spectacle où elle œuvre plus spécifiquement à la coordination de projets
artistiques (théâtre, festivals). Elle vit depuis 2004 à Bordeaux, et elle a publié son premier et
unique roman en 2005.
Ce livre est constitué de brefs récits, parfois courts de seulement une phrase, au fil
desquels une jeune femme décrit les trois hommes de sa vie ; son père, son amant et son fils.
Contrairement à ce qu’indique le titre, le livre n’insiste pas sur les difficultés d’intégration
dans la société française ou sur l’immigration de son père en France. Sonia Moumen n’évoque
pas les thèmes de la colonisation ou de l’immigration qui sont caractéristiques pour le roman
beur ‘traditionnel’, mais elle décrit tout simplement la vie d’une enfant, d’une amoureuse et
d’une mère contemporaine. Bien que l’auteur insiste parfois sur son identité maghrébine, sur
son physique et celui de son père qui révèlent leurs origines nord-africaines, elle ne traite pas
dans le détail le thème de la discrimination ou de l’exclusion de la société française. Cela se
manifeste clairement au moment où l’auteur insiste brièvement sur son identité maghrébine,
plus explicitement sur son prénom, pour ensuite continuer avec un souvenir d’enfance et ses
arts culinaires. Aussi le ton léger avec lequel l’auteur explique ce que signifie pour elle son
prénom diffère totalement du style violent et froid que nous rencontrons dans les ouvrages
beur des années 1980. Cela se voit clairement dans l’extrait suivant :
Sonia est un prénom étranger. J’ai lu quelque part qu’il venait du Maghreb. Ailleurs
que c’était un grand classique slave. Un jour, je me suis rendu compte que mon
prénom m’était étranger. J’ai toujours sursauté en l’entendant. Comme prise en
flagrant délit d’usurpation d’identité. Ce prénom m’était extérieur. Je ne le
reconnaissais pas. Je ne me reconnaissais pas. (…) Il y a deux mois, peut-être trois,
49
un homme m’a dit : « Sonia est un beau prénom. Il m’évoque Tchekhov et le
samovar, Maïakovski et les plaines russes. » J’aime quand cet homme m’appelle par
mon prénom. Je trouve que sa voix en exprime la profondeur. La profondeur et la
fragilité. Je ne me retourne plus. Je n’ai plus à chercher cette Sonia que l’on
interpelle.
(Mon père est un petit bicot, 65-67)
Bien que le personnage principal avoue avoir eu du mal à accepter son prénom et
implicitement son identité « maghrébine », elle n’insiste pas sur le fait que d’autres l’ont
discriminée ou qu’elle s’est sentie rejetée par les Français. Contrairement aux romans beur
‘traditionnels’ et de l’ouvrage traité ci-dessus, Mon père est un petit bicot ne comprend pas de
gros mots ou un langage pathologique. Le texte est écrit sur un ton léger, et il se compose de
courtes phrases qui rendent le livre très facile à lire. Il ressort de ce qui précède que le roman
se distingue au niveau thématique et au niveau de l’écriture des romans beur analysés dans la
première partie de ce travail ainsi que du roman Cancer traité ci-dessus ayant pour thème
principal la folie.
En dehors de l’écriture et de la thématique, le texte Mon père est un petit bicot se situe
également à part de tous les autres ouvrages analysés par l’humour qui y est présent. En effet,
dans les six romans étudiés, l’humour est totalement absent, tandis que Sonia Moumen
l’utilise souvent dans son texte. Cela se manifeste clairement dans le passage où le personnage
principal est à l’hôpital pour accoucher de son premier enfant et où elle donne la description
de son amant qui est habillé en ‘costume d’hôpital’ :
Elles sont venues me réveiller pour aller en salle d’accouchement. J’ai compris que
cela devenait sérieux. Je me suis laissé mettre une blouse bleue délavée ouverte sur
l’arrière. Mon amant avait la même mais plus courte. Et un petit chapeau. Et des
pantoufles molles. Il avait l’air perdu.
(Mon père est un petit bicot, 137)
Un peu plus loin dans le livre, nous retrouvons encore son humour au moment où
l’anesthésiste vient de donner des antidouleurs à la jeune femme :
Il a ajouté que c’était normal que les os craquent au passage de l’aiguille. Qu’un
accouchement n’était jamais linéaire. Qu’il fallait que je sois forte. Au bout de dix
minutes, je n’ai plus rien senti. Presque plus rien. J’ai raconté des blagues à
l’anesthésiste. Il m’en a raconté à son tour. Il en connaissait un rayon. J’ai regretté de
ne rien avoir pour les noter.
(Mon père est un petit bicot, 137-138)
Outre l’acceptation de sa double culture et de l’humour, Mon père est un petit bicot montre
très nettement une évolution dans la littérature beur à cause de deux autres points : la relation
50
apaisée, normalisée avec le père, et la sexualité épanouie et le discours même assez cru que
Sonia Moumen utilise. Ainsi, Mon père est un petit bicot est le premier roman beur à décrire
une relation normalisée entre la fille est son père, contrairement aux livres beur parus
précédemment tels que Terminus Nord de Malika Wagner (Wagner, M. : 1993). Dans ce livre,
le personnage principal, une adolescente de 16 ans, a un père (immigré de l’Afrique du Nord)
qui ne pense qu’à « visser ses filles » parce qu’il a ‘peur’ de la culture française. Cela se voit
clairement dans l’extrait suivant, où la jeune femme décrit comment le père avait l’habitude
de fouiller dans sa chambre et de se fâcher contre elle :
Mon père me décernait un coup d’œil respectueux lorsque je rentrais après ma
journée de travail. Il s’empêchait même de fouiller dans ma chambre et ne s’énervait
pas quand je ratais le train. Il savait qu’au travail ils me tenaient. Bien mieux qu’au
lycée. Que je n’aurais le temps de rien. J’avais une chef pour me visser. Il pouvait
être tranquille à tous points de vue.
(Terminus Nord, 140)
Contrairement à Malika Wagner et tant d’autres écrivains beur qui décrivent les rapports
tendus entre le père et la fille, Sonia Moumen insiste dans son roman sur la relation
normalisée qu’elle a avec son père. En dehors de cette différence au niveau thématique, Mon
père est un petit bicot se distingue également de tous les autres romans beur par le discours
dont Sonia Moumen se sert. Ainsi, l’écrivaine se sert dans son livre d’un discours assez cru
pour une beurette compte tenu du tabou qui pèse sur les femmes dans la culture nordafricaine. L’extrait suivant où elle décrit la relation amoureuse avec son amant en est un bon
exemple :
Chez mon amant c’est la bouche qui est ample et lourde. (…) Poser mes lèvres sur
ses lèvres est une promesse d’ivresse et de sensualité. La bouche de mon amant est le
berceau de la sensualité. Elle est aussi celui de la gloutonnerie. Mon amant est
glouton. Il ne boude pas son appétit. (…) Il s’empare de mes seins, de mon sexe, de
ma bouche, de mes épaules, de mes cuisses avec une ferveur confinant à la folie.
Lécher. Téter. Engloutir. Aspirer. Mordre. Avaler.
(Mon père est un petit bicot, 73)
Etant donné qu’il n’y a aucun auteur beur qui a jamais utilisé un tel discours avant, nous
pouvons conclure que Mon père est un petit bicot montre très clairement une évolution dans la
littérature beur.
Pour ce qui est de la réception journalistique de ce roman, nous constatons qu’il n’a
pas suscité l’intérêt de la presse écrite française. Ainsi, nous n’avons trouvé aucune critique
ou mention dans les cinq revues littéraires et les dix hebdomadaires et quotidiens consultés.
51
Par contre, en cherchant sur Internet, nous avons quand même relevé quatre critiques
de lecteurs non-spécialistes et une mention sur la vie de l’auteur. Ces critiques sont toutes très
positives, comme celle d’une lectrice qui estime que Mon père est un petit bicot est : « Un
texte plein de tendresse, de sensualité, d’humour. » (Da Silva, 2006). Dans une autre critique
publiée sur le blog littéraire du quotidien le Monde, une lectrice estime que :
Chaque texte est une gourmandise et résonne car les mots évoquent soit un souvenir,
soit une chose écrite, vécue, pensée. Un régal pour les jours de ciel gris afin d’y
mettre un peu de soleil, de légèreté et de bonne humeur.
(Content, 2005)
Bien que les critiques littéraires ne s’intéressent pas à ce roman, des lecteurs ont aimé le livre
et se sont même donné la peine d’en écrire une critique sur Internet. Etant donné les origines
maghrébines de l’auteur Sonia Moumen, nous pouvons conclure qu’il s’agit ici également
d’un roman « beur », et plus explicitement d’un texte qui fait partie de la nouvelle tendance de
ce genre de littérature. Ce roman est la preuve que la littérature beur n’est pas nécessairement
négative ou paranoïaque, et qu’elle peut aussi bien aborder des sujets autres que ceux de la
banlieue ou de l’exclusion sociale.
52
Conclusion
Le but de mon analyse était de trouver la réponse à la question centrale posée au début de
l’essai : « Est-il question d’une certaine évolution de la littérature beur ? ». Nous observons
qu’au niveau thématique, il existe bien des différences entre le roman beur des premières
générations avec des thèmes caractéristiques tels que ‘la misère de banlieue’, ‘le regard de
l’autre’ et ‘le père’ et les romans comme Cancer et Mon père est un petit bicot d’une
deuxième voire troisième génération qui ne traitent pas ces thèmes de la première vague. Ces
deux derniers parlent de la folie mais aussi de la fille-femme-mère contemporaine, et surtout
ce dernier est la preuve d’une évolution dans la littérature beur à cause de la description d’une
relation normalisée entre la fille et son père. Au niveau du style également, ces deux derniers
romans diffèrent énormément des textes beur ‘traditionnels’ où les auteurs utilisent souvent le
verlan et l’argot. L’absence de thèmes communs aux deux périodes du roman beur a pour
conséquence que les critiques littéraires ne les considèrent plus comme des romans beur mais
plutôt comme de la littérature française. Les critiques basent leur commentaire sur le contenu
et la thématique du roman, ne s’intéressant pas aux origines de l’auteur, le critère principal
selon lequel un texte est considéré comme un roman beur. Cela a pour conséquence que
l’étiquette de « littérature beur » ne demeure que pour des romans traitant des thèmes
‘caractéristiques’ de ce genre de littérature, et non pas pour tous les romans écrits par des
auteurs qui font partie de la génération beur en France. En proposant une autre définition de la
littérature beur, nous avons pu insérer dans le corpus des romans beur les ouvrages Cancer et
Mon père est un petit bicot. Ainsi, en considérant comme roman « beur » tout texte écrit par
des auteurs nés de parents immigrés maghrébins et nés en France ou arrivés jeunes, nous
avons pu montrer qu’il est bien question d’une nouvelle tendance dans la littérature beur, qui
ne se limite pas aux textes évoquant la misère dans la banlieue et l’exclusion des jeunes beurs
de la société française.
L’examen de la réception journalistique des roman beurs montre que la critique
littéraire actuelle en France ne partage pas encore ces idées. Ainsi, dès qu’ils traitent des
thèmes autres que ceux ‘caractéristiques’ du roman beur, les ouvrages écrits par des auteurs
d’origine maghrébine sont intégrés à la littérature française ou ne sont pas remarqués en
particulier. Espérons que cette situation changera et que la critique littéraire s’intéressera plus
aux textes écrits par ces nouveaux auteurs qui évoquent d’autres thèmes que ceux traités dans
le roman beur ‘traditionnel’. Etant donné que cette troisième génération d’écrivains d’origine
maghrébine partage maintenant en grande partie l’histoire de la France, le fossé entre
53
l’écrivain et le lecteur devrait devenir moindre et les critiques devraient intégrer à la littérature
française cette « littérature beur » avec toutes ses particularités et richesses. C’est notamment
l’incorporation de ces textes de la deuxième et troisième vague dans le corpus de la littérature
« française », qui fait finalement perdre à la littérature beur son étiquette de « littérature de
banlieue ». Pourtant, encore faut-il que les auteurs arrivent à écrire sur autre chose, ce qui
n’est pas encore le cas de la majorité, afin que la critique reconnaisse que les auteurs beur
n’écrivent pas uniquement sur la banlieue et les difficultés d’intégration des Maghrébins en
France mais peuvent également évoquer des thèmes légers et utiliser de l’humour. C’est ainsi
que la littérature beur sera finalement considérée comme une littérature ‘hétérogène’, et aura
sa reconnaissance méritée.
54
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Non signé, (1996), ‘La reconnaissance d’Azouz Begag’, dans le Monde, 3 juillet :
http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13-0,37-217691,0.html, consulté le 2
juillet 2009.
Films
Mehdi, L. (1997), Les dossiers de l’histoire – Un siècle d’immigration en France, Mémoires
Vives Productions-France 3.
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Pièces annexes
Chiffre de vente de 'Cancer'
From: Tristram ([email protected])
Sent: Monday, June 15, 2009 12:46:39 PM
To:
[email protected]
Bonjour,
Cancer s'est vendu en édition principale, depuis mai 1994,
à 2312 exemplaires.
L'édition de poche (J'ai lu), à présent épuisée, s'est vendue
à 4092 exemplaires.
Cordialement.
-Sylvie Martigny
Jean-Hubert Gailliot
ÉDITIONS TRISTRAM
BP 110 - 32002 AUCH - FRANCE
Tél. (33) 5 62 05 17 76
Mail <[email protected]>
---------De : Rinske Spijkers <[email protected]>
À : <[email protected]>
Objet : Chiffre de vente de 'Cancer'
Date : Mar 9 juin 2009 9:09
Chère Monsieur, Madame,
Je suis une étudiante en Langues et Cultures romanes à l'Université de Groningue aux Pays-Bas.
Pour mon mémoire de fin d'études j'analyse 8 romans dite "beur" et leur réception historique en
France.
Pour pouvoir analyser la réception historique des livres, je me base (entre autres) sur les chiffres de
vente des oeuvres. Comme un des romans de mon corpus, Cancer de Mehdi Belhaj Kacem est publié
chez Tristram, je voudrais vous demander si vous pourriez me donner le chiffre de vente de ce livre.
Je vous prie de croire, Monsieur, Madame, à mes sentiments les meilleurs.
Rinske Spijkers
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