"Etre Charlie", c`est aussi reconnaître la responsabilité des religions

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"Etre Charlie", c`est aussi reconnaître la responsabilité des religions
Franck Ramus
Docteur en sciences cognitives et directeur de recherches au CNRS
"Etre Charlie", c'est aussi
reconnaître la responsabilité des
religions
Publication: 14/01/2015
http://www.huffingtonpost.fr/franck-ramus/etre-charlie-cest-aussi-reconnaitre-laresponsabilite-des-religions_b_6468662.html?utm_hp_ref=france
RELIGION - Comme chacun peut aisément le percevoir, les attaques terroristes récentes
risquent d'aggraver encore le sentiment anti-musulman en France. Et la plupart des gens
comprennent bien qu'il serait totalement injuste de vouloir faire porter le chapeau à tous les
musulmans.
Pour autant, on ne peut pas non plus totalement dédouaner l'islam de toute responsabilité. Ici,
sans chercher à expliquer des évènements nécessairement complexes et multifactoriels, je vais
saisir cette occasion pour rappeler que les religions de manière générale portent une part de
responsabilité dans les atrocités commises en leur nom, dans la mesure où elles portent en
elles les germes de telles atrocités.
Il suffit de lire le coran ou l'ancien testament pour apprécier à quel point les châtiments envers
les blasphémateurs, les apostats et autres mécréants ont été théorisés et explicités de longue
date avec une inventivité et une cruauté remarquables, à côté desquelles une exécution par
arme à feu peut sembler d'une grande humanité.
Et nul besoin de rappeler que l'église catholique a continué à mettre en œuvre avec zèle ces
méthodes terroristes jusqu'à il y a quelques siècles seulement, et que certains états islamiques
les ont conservées dans leurs textes de loi. De ce point de vue, l'islam n'accuse que quelques
siècles de retard sur le christianisme, plutôt que d'être qualitativement différent.
Bien sûr, les défenseurs des religions objecteront, à raison, qu'aucune religion, idéologie ou
institution ne peut être tenue responsable des actions d'une minorité d'extrémistes qui s'en
réclament. Néanmoins, toutes les idéologies et tous les mouvements intellectuels n'ont pas
dans leurs textes fondateurs de tels encouragements à la violence. Si les luminaires des
grandes religions sont aussi pacifiques qu'ils le prétendent, qu'attendent-ils pour officiellement
renier les parties les plus intolérantes, sanguinaires, sexistes et homophobes de la torah, de la
bible et du coran, plutôt que de continuer à les révérer et à les promouvoir comme des textes
sacrés et immuables? La défense consistant à dire que les textes anciens demandent à être
interprétés n'est pas tenable, car aucun critère rationnel ne permet de départager les "bonnes"
des "mauvaises" interprétations, et il y aura toujours des gens en quête d'une religion « plus
pure » se basant sur une lecture littérale des textes. Ce sont donc les textes fondateurs euxmêmes qui doivent être amendés ou rejetés.
Il existe d'autres raisons pour lesquelles les religions favorisent de manière générale les
dérives fanatiques et violentes. Sur le plan idéologique, le fait de placer une loi et une justice
divines au-dessus des lois et de la justice humaines favorise le mépris des lois humaines et la
préférence pour des intérêts jugés supérieurs, ce qui pose problème dès qu'il y a conflit entre
les deux. Les efforts constants du Vatican pour soustraire les prêtres pédophiles à la justice de
leurs pays respectifs, accroissant ainsi le nombre de leurs victimes, en sont l'un des
symptômes les plus visibles encore aujourd'hui [1]. Sur le plan psychologique, le fait que les
religions encouragent, dès le plus jeune âge, à adopter de manière inconditionnelle des
croyances en des faits magiques (entités immatérielles, omniscientes, omnipotentes,
résurrection, immaculée conception, miracles, réincarnation...), sans fournir aucune
justification factuelle et en décourageant toute critique, sape le développement de la pensée
rationnelle et de l'esprit critique, et prépare les esprits à adopter d'autres croyances tout aussi
irrationnelles, du moment qu'elles sont présentées comme ayant une légitimité religieuse (et
en particulier si elles sont mentionnées dans les textes "sacrés").
Bien évidemment, les religions n'ont pas le monopole des incitations à la haine et de
l'asservissement des esprits, et il n'est pas question de suggérer qu'elles portent la
responsabilité de tous les malheurs du monde, ni que leur éradication conduirait
inévitablement à des progrès humains. Néanmoins, cette combinaison détonante d'une
crédulité savamment implantée et entretenue chez les fidèles (et valorisée sous l'euphémisme
élégant de "foi") et de textes fondateurs intolérants, belliqueux et cruels, ne peut pas ne pas
conduire certains à vouloir adhérer à une forme de religion plus proche des textes jugés
sacrés, et à en adopter les dogmes sans aucun recul ni esprit critique. Les religions portent
donc là une responsabilité qui doit être reconnue comme telle et dont elles devraient répondre
devant tous les citoyens.
Alors que tous les Français sont unis pour défendre les valeurs de la république et en
particulier de la liberté d'expression, comment ne pas rappeler que cette liberté d'expression
n'est actuellement pas garantie sur l'ensemble du territoire français? En effet, un droit local
particulier subsiste en Alsace-Moselle, qui préserve notamment le délit de blasphème. Le
blasphème, c'est précisément ce que les terroristes reprochent aux journalistes de Charlie
Hebdo. Ils y associent la peine de mort, et ont pris le parti d'appliquer leur " justice" eux-
mêmes, là où le droit alsacien-mosellan se contente d'en faire un délit passible de trois ans
d'emprisonnement, et accorde aux accusés un procès équitable. Néanmoins, à l'heure où "nous
sommes tous Charlie", peut-encore tolérer qu'il existe une partie du territoire français où il est
interdit de railler des croyances ésotériques, au nom du respect dû aux religions? Je suis
Charlie, et je suis alsacien-mosellan.
C'est l'occasion de rappeler qu'aucun respect particulier n'est dû aux religions, pas plus que
par exemple aux associations, aux partis politiques, ou à toute autre entité abstraite. Le respect
est dû à tous les êtres humains, et ce, quelles que soient leurs croyances et leurs affiliations.
Mais respecter les êtres humains n'implique pas de respecter toutes les croyances
invraisemblables qu'ils peuvent avoir. C'est plus respecter les êtres humains de les traiter
comme des êtres rationnels dont on peut débattre et critiquer les croyances, y compris par la
moquerie, que de les traiter comme des imbéciles dont il faudrait absolument préserver les
illusions pour éviter de les froisser. Le délit de blasphème doit être aboli, partout et
maintenant [2].
Le droit alsacien-mosellan impose également "l'enseignement religieux" dans les écoles
publiques et la rémunération des personnels religieux sur fonds publics, en totale
contradiction avec la loi de 1905 sur la séparation de l'église et de l'état. A l'heure où la laïcité
est sur toutes les lèvres, et où les effets pervers de l'endoctrinement des esprits par des dogmes
irrationnels sont visibles par tous, peut-on encore tolérer que l'état français impose et finance
l'embrigadement des enfants sur une partie de son territoire ? Le concordat a vécu. L'état
français doit rétablir son autorité et la laïcité sur l'ensemble du territoire.
Au-delà du cas des écoles publiques en Alsace-Moselle, c'est plus généralement
l'endoctrinement religieux des enfants pendant la période où leur esprit est excessivement
influençable et où leur esprit critique est en formation qui pose problème. Autant il est
important de continuer à garantir la totale liberté de conscience et de pratique religieuse pour
les adultes majeurs, dans la limite des lois de la république, autant la liberté de conscience
reste à ce jour constamment bafouée pour les enfants qui sont endoctrinés dès le plus jeune
âge sans qu'ils soient en mesure de véritablement y consentir [3]. N'est-il pas temps d'y
réfléchir?
Remerciements à Nicolas Gauvrit, Jean-Paul Krivine, Magali Lavielle-Guida et Benjamin
Spector pour leurs commentaires sur une version précédente. L'article tel que publié ne
reflète bien entendu que mes opinions personnelles.
________________
[1] Voir le rapport du comité des droits de l'enfant des nations-unies publié en février 2014 :
http://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CRC/Shared%20Documents/VAT/CRC_C_VAT_CO_2_1
6302_E.pdf
Et mon article "Mea Maxima Culpa: Silence in the House of God": http://franckramus.blogspot.fr/2013/08/mea-maxima-culpa-silence-in-house-of-god.html
[2] Voir également l'article de Michel Seelig, Mediapart, 18/02/2014 :
http://blogs.mediapart.fr/blog/michel-seelig/180214/delit-de-blaspheme-ca-suffit et la pétition
en cours : http://tinyurl.com/nf7pmnj.
[3] http://franck-ramus.blogspot.fr/2012/09/la-circoncision-et-le-bapteme-sont-des.html