Mise en page 1 - Département de l`Aude

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Mise en page 1 - Département de l`Aude
La lettre de la Mission audoise pour la célébration de 1907
Conseil Général de l’Aude
L’une des forces
du département de
l’Aude et de ses
habitants est d’avoir toujours su puiser
dans ses racines et son histoire les
valeurs susceptibles de nourrir son
présent et son avenir.
La révolte vigneronne de 1907 me
semble faire partie de ces événements
qui ont durablement marqué notre culture et se sont inscrits dans notre imaginaire collectif tout autant que dans
les pages des livres d’histoire.
Les idéaux qui ont alors porté les femmes et les hommes de notre territoire
à repousser, avec pour seules armes
une certaine idée de la justice, la logique brutale d’un pouvoir aveugle et
d’un capitalisme peu scrupuleux, sont
encore les nôtres.
C’est la raison pour laquelle, il m’a
semblé qu’il était de notre devoir, à
nous qui sommes les descendants de
ce peuple de gueux au courage inébranlable, de transmettre à nos enfants
mais également à celles et à ceux qui
sont venus nombreux s’installer dans
l’Aude le souvenir de ces événements.
Je souhaite que 2007 soit placé sous le
signe de la commémoration de cette
glorieuse page de notre histoire.
C’est la mission que j’ai confiée à
André Viola, vice-président, et aux
conseillers généraux Hervé Baro et
Jean-José Francisco. J’espère que
nombreuses seront les initiatives
développées dans ce cadre et que l'année 2007 sera marquée par de grandes
retrouvailles entre les Audois et leur
Histoire.
FÉVRIER 2006 N°1
1907 - 2007
Edito
Marcel Rainaud,
Président du Conseil Général
de l'Aude
La mémoire des crises viticoles
1
907 : la crise de
mévente des vins
sévit depuis 7
ans en Languedoc et
en Roussillon. Aux
fortes récoltes fournies par le vignoble
français reconstitué
après le phylloxera
s’ajoutent des vins
importés et des vins
artificiels produits en
fraude au grand
mécontentement des
vignerons.
L
e 11 mars,
Marcelin
Albert, 55 ans,
petit
propriétaire
d’Argeliers, village
du
Minervois,
entraîne 87 vignerons
à Narbonne où a été
dépêchée une commission d’enquête parlementaire sur la
crise. Les 87 sont entendus, mais ils
décident de poursuivre leur mouvement jusqu’au vote de lois contre la
fraude. Autour du Comité de Défense
viticole d’Argeliers qui édite un hebdomadaire largement diffusé, Le
Tocsin, sont organisés des meetings
tous les dimanches, afin de mobiliser,
avec les propriétaires, les ouvriers qui
avaient mené de grandes grèves au
cours des années précédentes. D’abord
convoqués dans les villages du
Narbonnais, les meetings investissent
ensuite les villes, pour impressionner
davantage la presse nationale et les
pouvoirs publics. Le 5 mai, à
Narbonne, Ferroul, maire socialiste et
ancien député, entre en lice. Il politise
le mouvement en exigeant le vote
d’une loi et en fixant un ultimatum au
10 juin assorti de la menace d’une
grève de l’impôt et de la démission des
municipalités. Le mouvement culmine
à Montpellier le 9 juin avec plus de
600 000 manifestants, soit plus du tiers
de la population des quatre départements en révolte. À partir du 10 juin, la
plupart des municipalités remettent
leur démission malgré les objurgations
du président du Conseil Georges
Clemenceau. Celui-ci, qui avait
observé sans trop d’inquiétude la montée du mouvement, dénonce soudain
un «péril réactionnaire» et accuse
Albert et Ferroul de menées séparatistes pour leurs discours à tonalité régionaliste. Il fait consigner ou évacuer les
L’énergie manifestée au printemps 1907 n’a pas été perdue.
L
régiments à recrutement local cantonnés dans les villes du Midi et les remplace par des troupes venues de loin.
L’arrestation du Comité et de Ferroul
fait monter la tension. Les 19 et 20
juin à Narbonne, des fusillades font 6
morts dont Cécile Bourrel, une jeune
fille de 20 ans. À Perpignan, la préfecture est incendiée. À Agde, les soldats
du 17ème d’Infanterie se mutinent,
pillent une poudrière et marchent sur
Béziers. Le 21 juin, Clemenceau
conforte sa majorité à la Chambre et
obtient avec l’aide du Comité
d’Argeliers la reddition des mutins qui
sont transférés à Gafsa en Tunisie. Le
23 juin, Marcelin Albert, qui avait
rencontre
évité
l’arrestation,
Clemenceau à Paris. Il accepte de prêcher le calme et se discrédite en
empruntant 100 francs au président
pour payer son voyage de retour. Les
29 juin et 15 juillet sont votées des lois
contre la fraude. Elles réglementent le
sucrage, imposent les déclarations de
récolte et le contrôle de la circulation
des vins. Le Comité d’Argeliers est
libéré le 2 août, et les troupes évacuent
le Midi au cours de l’été. Une
Confédération générale des vignerons
est fondée le 22 septembre sous la présidence de Ferroul. Les ouvriers refusent d’y adhérer, mais elle joue son
rôle dans la répression des fraudes.
Jusque là réticents, les petits propriétaires commencent à se lancer dans la
création de coopératives vinicoles.
e mouvement de
1907 a marqué
durablement l’histoire de notre pays :
- par sa puissance et sa diversité : aux côtés des exploitants se sont rassemblés les
ouvriers agricoles et les citadins frappés par la crise,
offrant l’exemple d’une
mobilisation générale contre
le pouvoir ;
- par les méthodes mises en
œuvre : l’utilisation massive
de la manifestation, le
recours à la presse et l’interpellation directe du gouvernement, seront systématiquement repris au cours du
siècle dernier par les vignerons et les
paysans français ;
- par les décisions du gouvernement :
les morts de Narbonne et la mutinerie
du 17ème ont montré la difficulté de la
répression. Les recrutements militaires
seront diversifiés géographiquement,
et, plus tard, apparaîtront des corps de
police spécialisés ;
- par les objectifs poursuivis : au plan
économique, la protection du consommateur et du producteur, par la défense
du vin naturel. Bien au delà, la Révolte
des vignerons a imposé une intervention régulatrice de l’Etat contraire aux
principes du libéralisme. Ces garanties
législatives seront encore développées
-2-
Le Tocsin 2007
Le Tocsin 2007 a pour objectif premier de vous informer régulièrement
des actions de la Mission pour la
célébration de 1907. Il vous fera
connaître les manifestations culturelles prévues en 2007 et servira ainsi
de bulletin de liaison entre les collectivités locales, les associations, les
organismes viticoles qui souhaitent
mettre en place des animations.
Certaines rubriques vous deviendront
rapidement familières : un récit des
événements «Vignerons en révolte»
et une présentation d’un lieu, d’un
document ou d’un objet en rapport
avec les manifestations de 1907,
«Souvenirs et témoignages».
Ce journal est aussi le vôtre ; n’hésitez pas à nous écrire, que ce soit pour
nous adresser vos suggestions ou
nous faire part de vos initiatives.
Edité par le Conseil général de l’Aude
Centre administratif départemental
11855 Carcassonne cedex 9
Directeur de la publication :
Marcel Rainaud
Rédaction :
Archives départementales de l’Aude
41 avenue Claude Bernard
11855 Carcassonne cedex 9
Responsable de la rédaction :
Sylvie Caucanas
Photographies : J.-L. Bernad,
A. Estieu (Archives départementales)
N° ISSN : en cours
Tirage : 2500 exemplaires,
publication gratuite
Compogravure :
Imprimerie de Bourg (Narbonne)
Imprimeur :
Maraval imprimeurs S.A. (Saint-Pons)
Retrouvons nous
autour de la
commémoration
de 1907
Tout au long de l’année 2007, la commémoration, sous toutes ses formes,
des luttes viticoles et du mouvement
protestataire de 1907 va donner lieu à
une multiplicité d’initiatives et d’actions aux quatre coins du département. Le Conseil général de l’Aude
souhaite aider et coordonner ces différentes manifestations, en établissant
notamment un programme complet
des célébrations mises en place qui
sera diffusé largement à tous les
Audois. Pour cela, nous avons besoin
de vous, afin que toutes les initiatives
locales soient relayées au plan départemental. N’hésitez donc pas à nous
faire part de toutes les manifestations
dont vous aurez connaissance en nous
adressant une courte fiche technique
(intitulé de la manifestation ; type de
la manifestation : exposition, publication, conférence, concert, spectacle,
etc. ; lieu et date prévus ; organisateur : collectivité locale, organisme
professionnel, association, particulier,
en indiquant bien les références de la
personne à contacter pour toute information complémentaire ; public
concerné).
Il faut toutefois préciser que le rôle de
la Mission n’est pas de subventionner
ces différentes manifestations. Les
dossiers de demandes de subventions
seront instruits par les services du
Conseil général de l’Aude.
Avec votre concours, nous bâtirons
ensemble le programme de cette célébration que nous voulons placée sous
le signe du souvenir, de l’émotion, de
la curiosité pour le passé comme pour
l’avenir, et de la convivialité partagée.
au cours des années 1930 et 1950, et
influeront ensuite, malgré quelques
dérives, sur la réglementation européenne mise en place à partir de 1970.
Enfin, la lutte des Gueux de 1907 a
permis de sauvegarder la vie sociale et
culturelle d’une région s’étendant des
Pyrénées au Rhône. A ce titre, ils ont
été les promoteurs d’une forte exigence d’autonomie régionale. La
volonté de viure al pais sera partout
clamée jusqu’à nos jours pour exprimer la résistance des travailleurs menacés dans leur emploi et leur mode de
vie.
E
D
Rémy Pech,
epuis, cent ans se sont écoulés.
Aujourd’hui la vigne marque
toujours, de manière indélébile, le paysage audois qui vit et vibre
à son rythme. Mais elle est aussi inscrite dans la tête et dans le cœur de tous
les Audois, qu’ils soient ou non vigne-
rons. Trente ans après la tragique journée de Montredon, c’est un vignoble
entièrement renouvelé qui a été
restructuré pour atteindre un niveau de
qualité aujourd’hui unanimement
salué.
Hélas ! La situation matérielle et
morale de nos vignerons est loin d’être
à la hauteur de leurs efforts et de leurs
ambitions.
n évoquant les temps forts d’une
Révolte emblématique chère à
nos cœurs, nous saurons à la
fois manifester notre fidélité à nos racines et, en rassemblant les énergies et
les imaginations, contribuer à
construire un avenir meilleur.
Professeur d’histoire contemporaine,
Président de l’Université de Toulouse-Le
Mirail
Pour en savoir plus
Le nombre des ouvrages qui traitent de la crise viticole de 1907 est
impressionnant. Nous en avons sélectionné quatre, à votre intention,
qui devraient vous permettre d’approfondir vos connaissances :
- Ferré (Georges), 1907. La guerre du vin. Chronique d’une désobéissance civique
dans le Midi, Portet-sur-Garonne, éditions Loubatières, 1997, 142 p.
- Fontvieille (Jean-Roger), Paure miejour, Pauvre Midi. La Révolte des vignerons
1907-1977. Paris, éditions de la Courtille, 1977, 159 p.
- Napo (Félix), 1907. La Révolte des vignerons, Toulouse, Privat, 1971, 280 p.
- Sagnes (Jean) et Pech (Monique et Rémy), 1907 en Languedoc et en Roussillon,
Montpellier, éditions Espace Sud, 1997, 283 p.
-3-
Aidez-nous à
enrichir notre
mémoire
Depuis la Révolution française, les
Archives départementales de l’Aude
ont pour mission de collecter les
documents des administrations et
organismes publics qui ont leur siège
dans le département. C’est ainsi que
sont parvenus jusqu’à nous instructions et circulaires ministérielles, rapports administratifs, professions de
foi et résultats électoraux, délibérations des assemblées élues, procèsverbaux de police, procédures judiciaires, statistiques économiques et
sociales, déclarations de sinistres, etc.
Autant de traces du passé, heureusement préservées de l’incurie des
hommes et des ravages du temps, qui
permettent aujourd’hui aux chercheurs de nous restituer notre histoire.
La révolte des viticulteurs du Midi en
1907 nous est bien connue grâce aux
archives ministérielles conservées à
Paris aux Archives nationales, grâce
aux documents émanant des préfectures et sous-préfectures du Languedoc
et du Roussillon. Mais ces textes,
souvent d’une grande sécheresse
administrative, s’ils nous restituent
bien le déroulement des faits et leur
contexte politique, économique ou
social, ne rendent pas compte de toute
la dimension humaine des événements. Il y manque le récit des hommes qui se sont investis dans la lutte,
le témoignage de ceux qui vécurent
cette difficile période, sans nécessairement prendre part aux manifestations.
Alors, cherchez dans vos armoires,
fouillez dans vos caves ou dans vos
greniers, portez un autre regard sur
votre environnement quotidien et faites nous connaître toutes ces traces
oubliées des luttes viticoles de 1907.
Quelques exemples d’objets et de
documents qui nous intéressent
tout particulièrement :
- les photographies et les cartes postales, les dessins ou les gravures,
- les pancartes, les affiches ou les
bannières réalisées pour les manifestations,
- les documents syndicaux, les
archives des comités de défense viticole,
- les publicités, étiquettes de bouteilles de vin du début du XXème
siècle,
mais aussi …
- les simples lettres de vos aïeux,
relatant ou commentant les événements,
- les journaux intimes tenus par vos
aïeux ou leurs mémoires faisant
allusion à la crise ou aux manifestations,
- les chansons et poèmes qu’ils ont
recueillis ou consacrés aux événements.
Aidez nous à ne pas oublier des
lieux de mémoire :
Signalez nous tous les lieux qui
vous paraissent témoigner encore
des luttes viticoles de 1907. Certains
sont bien connus : le café de
Marcellin Albert à Argeliers, le
monument au docteur Ferroul à
Narbonne, etc. ; mais combien d’autres sont restés dans l’ombre et
mériteraient de sortir de l’oubli.
Les récits transmis oralement au
sein de vos familles méritent aussi
notre attention :
Si vous avez connaissance de faits
familiaux en relation avec la crise
viticole de 1907, qui se transmettent
oralement de génération en génération, n’hésitez pas à nous les communiquer. Ils font partie intégrante
de notre mémoire.
Que ferons-nous de ces objets et
de ces documents ?
Nous souhaiterions dans un premier
temps les photographier de façon à
en garder mémoire et, le cas
échéant, pouvoir les utiliser dans le
cadre des recherches historiques que
nous menons. Par la suite, nous vous
en demanderons éventuellement le
prêt pour les manifestations culturelles qui seront organisées.
-4-
Hommage à
Monique Pech
En décembre dernier, Monique Pech
nous a quittés. Nous ne pouvions faire
paraître ce premier numéro du Tocsin
2007 sans lui rendre un solennel et
amical hommage. Cette historienne
confirmée a consacré une grande partie
de ses recherches scientifiques à
retrouver le passé de son pays audois
qu’elle aimait tant, à faire l’histoire de
la crise viticole de 1907. Née à Castres
en 1944, Monique Tapié a ses racines à
Leucate et à Béziers au sein de familles de viticulteurs et de pêcheurs.
Elève à l’Ecole normale de
Montpellier, elle y rencontre Rémy
Pech qu’elle épouse en 1965. Encore
jeune étudiante à l’Université de ParisSorbonne, elle rédige, sous la direction
du professeur Pierre Vilar, un diplôme
d’études supérieures qui fut très remarqué et qui s’intitule «Essai sur la crise
économique de la viticulture languedocienne en 1907. Antécédents et causes». Sur ce sujet, d’autres articles et
ouvrages suivront, en collaboration
notamment avec Rémy Pech et Jean
Sagnes. Elle s’investit également dans
l’histoire des femmes en assurant le
secrétariat de la revue Clio dans les
années 1990.
Lorsqu’elle avait été sollicitée pour
prendre part à la commission des historiens, Monique Pech avait montré, par
son enthousiasme, combien ce projet
lui tenait à cœur. Elle ne sera malheureusement pas là pour nous aider dans
nos travaux. Elle nous manquera et il
fallait que nous en témoignons.