qu`est-ce qu`etre ultra sous la restauration

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qu`est-ce qu`etre ultra sous la restauration
BRUNON Aurélia
QU’EST-CE QU’ETRE ULTRA SOUS LA RESTAURATION?
Introduction
Dans nos représentations habituelles, les ultras passent bien souvent pour des
réactionnaires dépourvus d’intérêt qui ont été, sous la Restauration, les porteurs d’une idéologie
profondément passéiste.
Pourquoi ce nom d’« ultra»? Ils furent surnommés «pointus» ou plus communément «ultras»
par leurs opposants politiques, l’adverbe latin «ultra» signifiant littéralement «au-delà».
Les ultras sont donc, par définition, royalistes à l’extrême, et se montreront même souvent
«plus royalistes que le roi». Est-ce qu’à force d’être «au-delà», les ultras ne sont pas sortis de
la réalité historique? Est-ce que, si l’Histoire a un sens, les ultras n’étaient-ils pas à contresens,
et totalement «déconnectés» de leur époque?
Il est donc intéressant de se demander ce que signifie le fait d’être ultra sous la Restauration.
Ainsi, un peu à la manière Montesquieu, posant sa question ironique «Comment peut-on être
persan?», on peut se demander «comment peut-on être ultra?», et si, au sortir de la
Révolution et de l’Empire, c’est bien se montrer réaliste que d’être «plus royaliste que le roi».
Il semblerait dans un premier temps que la diversité des raisons pour lesquelles on peut être
ultra irait à l’encontre des idées reçues sur ce parti réactionnaire, mais on verra ensuite que les
contradictions des ultras vont aboutir à leur échec, démontrant un profond décalage avec leur
temps et un manque évident de clairvoyance politique.
I)
Une négation de l’héritage révolutionnaire pour des raisons personnelles,
idéologiques et religieuses
A) Etre Ultra: des raisons pratiques et pragmatiques
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Sous la Restauration, on est d’abord ultra par intérêt financier. Les ultras sont bien sûr
des nobles émigrés, spoliés de leurs biens par la révolution et qui voient dans la
Restauration des Bourbons une chance de retrouver argent et considérations.
•
Mais on est aussi ultra par opportunisme. En effet, et contrairement à certaines idées
reçues, les députés ultras à la chambre «introuvable», ne sont de loin pas tous issus de
la noblesse. Celle-ci représente en effet seulement la moitié des députés ultras en 1815
et seulement _ de ceux-ci sont des ex-émigrés.
Les ultras sont donc un groupe composite constitué également de bourgeois, de nobles
d’Empire et de grands propriétaires fonciers, pour qui la Restauration est synonyme de
possibilité d’ascension sociale, de conservation de titres. Ou bien sont-ils tout simplement
séduits par une perspective de retour à l’ordre social.
Cette dernière motivation est également partagée par une partie du peuple lui-même, qui
donnera une réelle assise populaire aux ultras, démontrée par les représailles sanglantes
de la Terreur Blanche, de juillet à octobre 1815.
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Enfin, la doctrine ultra n’apparaît pas forcément comme réactionnaire et, dans une
Europe profondément monarchique, il est peut-être légitime de considérer la Révolution
comme une parenthèse.
B) Etre ultra: une doctrine religieuse et philosophique
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Dans un premier temps, on est ultra lorsque l’on reste encore très attaché à la religion
catholique. «Que serait le trône de Saint Louis sans la religion de Saint Louis?» se
demande Chateaubriand.
Les grands penseurs ultras vont donc plaider ardemment, à l’image de Joseph de Maistre,
pour l’unité de la société civile et de la société religieuse sous l’autorité de l’Etat. Ils
voudraient instaurer une théocratie fondée sur les pouvoirs du trône et de l’autel et
sont convaincus que l’égalitarisme et l’individualisme sont à bannir de la société française.
Les ultraroyalistes s’opposent au Concordat de 1801 et souhaitent que les biens du Clergé
lui soient rendus.
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En outre, les ultras sont très liés à des organisations religieuses secrètes telles que les
Chevaliers de la Foi (fondée sous l’Empire par le vicomte Ferdinand de Bertier) et la
Congrégation, dirigée par le duc de Montmorency.
Ces organisations vont influer sur les votes à l’Assemblée des ultras. On pense notamment
à la loi du sacrilège votée en avril 1825.
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Mais l’ultracisme est également une doctrine philosophique, doctrine qui s’appuie sur des
textes fondateurs comme les Réflexions sur la Révolution française de Burke, ou les
Considérations sur la France de J. de Maistre.
Les ultras remettent en cause tous les acquis sociaux et politiques de la Révolution, sont
persuadés qu’après le «déluge révolutionnaire», la seule solution pour la France est un
retour à la monarchie absolue. Ils souhaitent naturellement l’indemnisation des émigrés
et le châtiment des «collaborateurs à l’Empire».
«Des fers, des bourreaux, des supplices» réclamera le député la Bourdonnaye,
extrémiste (pointu) parmi les ultras.
Cette pensée ultra sera véhiculée par une presse spécifique dont le titre le plu lu est le
Journal des Débats, et, de manière logique, les sympathisants ultras se rassembleront
dans un parti. Il faut cependant rappeler que le terme a, à l’époque, un sens moins fort
qu’aujourd’hui, et évoque seulement un groupe d’hommes partageant des idées politiques.
Trans: Etre ultra se justifie donc par une conjonction d’intérêts, mais
également par des convictions profondes. Cependant, l’ultracisme est en
partie une doctrine utopique basée sur une image idéalisée de l’Ancien
Régime.
Ainsi, Louis de Bonald écrit-il au sujet de la société du XVIIIe siècle, qui aurait selon lui accédé
à «l’état le plus fort, le plus spirituel, le plus moral, le plus parfait en un mot qui ait jamais été».
L’ultracisme apparaît donc comme la «recherche d’un temps perdu»…
II)
Des positions paradoxales: une doctrine inapplicable et anachronique
A) «Vive le roi quand même!»: des royalistes contre le roi qui accumulent
les situations paradoxales
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Etre ultra en politique, c’est se montrer intransigeant, jusqu’au-boutiste, aller parfois
même jusqu’à des situations paradoxales et s’opposer à la politique jugée trop modérée
de Louis XVIII qui s’est satisfait d’une monarchie «constitutionnelle». Et finalement,
c’est peut être ici que le terme «ultra» prend tout son sens: les ultras sont plus
royalistes que Louis XVIII, situation que l’on peut considérer à la limite de l’absurde.
En effet, même le roi, héritier des monarques absolus a compris la nécessité d’accepter
certaines concessions et d’assumer une partie de l’héritage de la RF et de l’Empire…et les
royalistes demanderaient plus que le roi?
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En réalité, il correspondent à ce que René Rémond nomme une «force d’opposition par
surenchère». Etre ultra, c’est donc être réactionnaire envers et contre tout, et ne pas
hésiter à pratiquer la politique du pire. Ainsi, les ultras soutiendront le député libéral et
ex-conventionnel Grégoire aux élections de 1819 – alors que celui avait voté l’abolition de
la monarchie en 1792- ils souhaitaient par là protester contre le gouvernement
constitutionnel de Dessole.
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Second paradoxe: les ultras s’opposent à la Charte mais utilisent activement la voie
parlementaire… Pourquoi s’opposer à la Charte? Parce que pour les ultras, un retour à la
monarchie d’Ancien Régime est nécessaire, à ceci près qu’ils veulent une royauté
décentralisée et donc un renforcement du pouvoir des provinces. Cependant, ils utilisent
la voie parlementaire et contestent au roi le droit de choisir ses ministres sans prendre
en compte la majorité de la Chambre! Ils revendiquent le droit pour la Chambre de
proposer des lois, ce qui demeure assez surprenant lorsque l’on réclame une monarchie
absolue…
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Par ailleurs, les ultras laissent derrière eux, à la dissolution de la chambre introuvable,
des habitudes parlementaires et paradoxalement une interprétation de la Charte qui
diminue les pouvoirs du roi face à l’Assemblée: droit d’amender des projets de loi,
contrôle par la majorité élue de la politique du gouvernement…
B ) Leur échec politique, révélateur du caractère utopique et trop
réactionnaire de l’ultracisme
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En effet, malgré la réussite de la guerre d’Espagne si chère à Chateaubriand, les
expériences politiques des ultras vont globalement toutes se solder par des échecs. Ils
ne pourront pas mettre en œuvre un programme trop réactionnaire.
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Ils vont ainsi prendre une série de mesures conservatrices, notamment sous le
gouvernement Villèle de 1822 à 1828, mesures qui seront très impopulaires. On pense par
exemple à la loi du milliard des émigrés, à la loi du sacrilège, ainsi qu’aux lois restreignant
la liberté de la Presse.
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La rigidité des ultras atteint son paroxysme durant l’été 1828 lorsque Charles X appelle à
la tête de son gouvernement le très ultra Prince de Polignac (ancien chouan), qui n’avait à
l’époque, aucune majorité à la Chambre. Après une nouvelle victoire des libéraux au
printemps 1830, Polignac rédige les 4 ordonnances du 25 juillet qui mènent aux trois
glorieuses, démontrant l’échec des ultras et consacrant la chute de la branche aînée des
Bourbons.
Etre ultra, c’est donc se montrer trop intransigeant, manquer de
clairvoyance et vouloir appliquer à la France une politique anachronique.
A ce titre, Polignac est considéré à droite comme le «fossoyeur de la
monarchie».
Conclusion
Le mouvement ultra reste donc comme un «sursaut» réactionnaire, produit d’un imaginaire
profondément révolu, dont les failles vont se révéler à l’exercice du pouvoir tout au long de la
Restauration.
On peut donc être ultra, sachant que cela correspond à une dernière tentative de se cramponner
à une monarchie idéalisée, inapplicable dans une société qui va en libéralisant.
Cette «nage à contre-courant» qui caractérise les ultras leur vaut d’occuper une place que l’on
qualifierait d’extrême droite aujourd’hui, dans le paysage politique de l’époque. Toutefois, le
parti ultra ne reste pas seulement une parenthèse dans l’histoire politique française, et a
profondément marqué son époque.
Enfin, il ne faut pas oublier que le parti ultra a vu éclore pour lui les jeunes plumes du
Romantisme à l’image de Vigny, d’Hugo et même de Lamartine, à leurs débuts au service de
l’ultracisme.