Nord/Sud : Pour une approche nouvelle de la coopération

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Nord/Sud : Pour une approche nouvelle de la coopération
Nord/Sud : Pour une approche nouvelle de la coopération
décentralisée
Jamil SAYAH
H.D.R de Droit public UPMF
Chercheur au CERDHAP/ IDHIL
La coopération décentralisée s’impose aujourd’hui comme un passage incontournable
dans la pensée politico-juridique, vu son apport majeur à la réflexion fondamentale sur les
structures existentielles de la vie des collectivités territoriales. D’un côté, la coopération
décentralisée nous ramène au présent du principe « de la libre administration des collectivités
territoriales » en tant que réalité d’ordre légal. D’un autre côté, elle nous plonge dans l’espace
rationnel nouveau du concept de coopération, qui efface l’illusion méthodologique de la
différenciation classique entre ordre juridique interne et ordre juridique international, pour
nous amener directement à une interrogation éthique sur la validité d’une action extérieure des
collectivités territoriales.
La coopération décentralisée comme théorie de la relation internationale définit un
nouveau code de comportement des collectivités territoriales. Ce faisant, elle sanctionne
certaines attitudes et en encourage d’autres. Elle modifie le paysage juridique de l’action
extérieure des collectivités territoriales. Ainsi, l’antique notion de solidarité (internationale)
retrouve un regain de ferveur, à condition de bien comprendre que cette « solidarité » n’est
pas une norme fixe, un idéal ou un seuil minimum, mais seulement la résultante d’une
interaction transcendantale de « l’intérêt local ». Tout comme en droit international public,
l’appel à l’universel pour son accent égalitaire s’impose dès lors comme un outil véritable de
dialogue des cultures.
Dans ces conditions, on ne peut réduire l’analyse de la coopération décentralisée
uniquement à sa validité juridique. Car l’appréhension juridique du phénomène ne pourrait
1
rendre compte qu’en partie de la richesse de ce concept. Toutefois, le grand mérite du droit est
d’avoir démontré que la coopération décentralisée n’est pas d’emblée et dans sa pleine réalité
un don de l’État, mais elle est une conquête progressive dont l’artisan principal est le désir
d’agir autrement. Ce qui est encore plus vrai sur dans la relation entre collectivités du Nord
avec leurs homologues du Sud. L’affirmation des nouvelles valeurs n’est jamais la simple
conséquence logique des précédentes : elle implique toujours plus ou moins leur évolution. La
coopération décentralisée doit donc, pour s’imposer, réaliser une opération politico-juridique
complexe de manière à créer un nouveau système de légitimation qui lui permettra de faire
valoir ses choix.
Ainsi, la question n’est plus d’envisager la relation Nord/ Sud sur la base d’un rapport
de force ou un rapport post-colonial, mais d’essayer de transcender les a priori liés à la
différence (des cultures politiques), pour trouver les meilleures formes d’une coopération. Il
faut collaborer par le dialogue à la création d’une forme nouvelle de relation. Cette manière
de concevoir « l’action » peut trouver des points d’appui théorique dans le concept de
« gouvernance » soucieux de restaurer l’art politique et, avec lui, le goût du politique, l’art de
la prudence et du dialogue qui attire l’intérêt pour ces hommes et ces institutions, capables de
s’accorder entre eux sans léser leurs principes fondamentaux1. Ces acteurs du « théâtre »
international sont, parfois, par leur volonté et leur détermination, la garantie de la validité de
l’œuvre. Le renouveau de la relation Nord/Sud se joue alors dans la confiance que parviennent
à instaurer des élus (locaux) par leur capacité à adapter les normes juridiques, souvent
insuffisantes ou ambivalentes, aux grands défis qu’elles doivent affronter. Mais que dire de
cette nouvelle relation ?
De manière générale, il serait intéressant de se présenter cette action sous la forme
d’une dynamique territoriale. L’action extérieure (des collectivités territoriales) en direction
du Sud est ici vue comme un mouvement nouant une relation subtile de solidarité-ouverture :
solidarité, parce que ce modèle de l’agir dans l’espace international cherche à approfondir le
rôle des attitudes et des valeurs humaines dans l’expérience des lieux. Ouverture, parce que le
territoire se charge de multiples significations qui sont modifiées et enrichies par l’expérience
humaine. Et sur le sens de cette démarche relationnelle, il n’est pas certain que l’option
1
J. Sayah, « La coopération décentralisée, un mode atypique des relations internationales », le Lamy des
collectivités territoriales, n°3, 2007
2
« humanitaire » soit fondamentalement opposée aux options dites classiques. Sans doute viset-elle d’abord la transformation de la diplomatie dans un temps et dans un espace réels. Il
n’empêche qu’elle participe plus ou moins à la croyance en l’efficacité d’une telle politique
étrangère puisque, de la linéarité du modèle de l’action étatique emboîté dans ses
enseignements idéologiques, on passera à une coopération décentralisée dépolluée d’arrières
pensées politiques et supposée contribuer à la production d’un nouveau contenant2.
Cette croyance est aujourd’hui partagée tant par les concepteurs de cette action que par
les acteurs sur le terrain. Elle fonctionne en couche concentrique autour du présent. Il n’y a
point de passifs (historiques), il n’y a guère que des symboles de solidarité qui sont des
marques du temps présent. Ainsi, ce type de coopération n’est pas un acquis, il devient un
construit. En effet, cette relation est littéralement à « inventer », non pas seulement au sens
opérationnel, mais également au sens politique. Certes, une telle action ne va pas être créée de
toutes pièces, mais elle sera inscrite dans un nouveau sens. D’où la nécessité d’œuvrer pour
transformer l’image des collectivités du Sud, jusqu’alors purement négative, montrer que ces
collectivités sont en mesure de participer à la construction d’une nouvelle donne
internationale et à sa valorisation3. Résultat, un autre type de rapport s’instaure que l’on
pourrait qualifier de syncrétisme (mot emprunté à l’ethnologie), lorsque des groupes
suffisamment égaux sont capables de s’enrichir mutuellement tout en conservant leur identité
propre.
Ce mouvement suppose un déplacement du niveau de légitimité qui après avoir été
coextensif avec le territoire de l’Etat-nation, tend à s’identifier à un espace moins large, tel
que la cadre des collectivités infra-étatiques, pour finir par coïncider à la limite avec
l’ensemble de leurs habitants. L’Etat national qui se concevait comme un espace de
souveraineté exclusive, se trouve mis en demeure de partager un tel privilège. Le Fait que la
coopération (décentralisée) en direction des collectivités du Sud échappe aux mécanismes
institutionnels des pouvoirs centraux et soit de plus en plus interprétée par des juristes comme
obéissant à des normes et des logiques spécifiques représente une grande nouveauté pour un
rapport Nord/Sud qui s’est longuement réclamé de l’aide au développement sans admettre
pour autant la nécessité d’aller au-delà de ce besoin.
2
Ibid.
W. Grossin, Une expérience de solidarité internationale : la fédération mondiale du jumelage, in Le lien social
(T2), Presse de l’Université de Genève, 1999, p.959.
3
3
Ce « décentrage » même partiel de l’idée de la pratique relationnelle entre
les
collectivités du Nord et les collectivités du Sud s’appuie sur un consensus qui, sans être
antiétatique, considère que des règles, des institutions et des moyens doivent être mis à la
disposition de cette coopération. Et si la défense de l’exclusive souveraineté étatique mobilise
désormais si peu de monde, c’est parce que ces collectivités ont pu démontrer une habilité à
développer un agir autrement sans pour autant porter atteinte au fameux principe de
souveraineté nationale. A des affrontements (ou suspicion) indéfiniment répétés entre Etats on
oppose l’échange technique, économique et culturel dont la vocation a en revanche une
logique positive et cumulative, celle de la pérennité du lien interhumain. Le choc « des
cultures » et des volontés propres au politique n’a pas empêché ces liens de s’établir. Cette
vision du monde durable partagé entre deux segments hérités d’une certaine lecture de
l’histoire : le Nord, riche, voué à l’approfondissement des conséquences multiples de
l’adoption du principe démocratique ; et le Sud, pauvre, voué de son côté à la négation de ce
même principe dont on se demandait laquelle des deux révolutions il choisirait, celle de
Tocqueville ou celle de Marx, semble dépasser.
Aujourd’hui les deux mondes existent et les écarts de développement n’ont pas
disparu. En revanche, les valeurs démocratiques de liberté personnelle et politique (avec leur
implication économique) tendent à s’imposer, sinon dans la réalité, du moins comme
référence obligatoire dans les pays du Sud. La logique des relations internationales, très
marquée par la décolonisation et l’idéologie tier-mondiste semble être définitivement derrière
nous. Les droits des individus ne sont plus masqués par ceux des Etats. Et les Etats du Nord
ne sont plus regardés comme des ensembles monolithiques. Un nouvel ordre international
associant l’action extérieure des collectivités territoriales commence réellement à prendre
forme. Elles ont dû un temps, pour donner des preuves de ce nouvel élan, changer d’attitude,
montrer que sans renoncer aux objectifs stratégiques traditionnels des jumelages, elles
entendent prendre part active au processus d’échange (global) centré sur le dialogue et sur
l’ouverture à l’Autre.
Le simple contact entre cultures joue un rôle déterminant dans ce processus. Le pivot
de toute signification n’est plus exclusivement la figure de l’élu. La société civile et à travers
elle l’individu se savent désormais partie prenante de l’aventure. Aussi, il appartient aux
acteurs publics d’être capable de mettre en œuvre des procédures et des passerelles pour que
4
les citoyens (des deux côtés) soient investis d’un rôle central dans la réalisation effective de la
coopération4.
Or le renversement ou la capitulation, ce dernier temps, de plusieurs dictateurs, et
notamment arabes doit inciter les collectivités territoriales (du Nord) à mieux associer la
société civile dans la coopération et à être plus vigilantes dans leur relation avec des « élus »
souvent dépourvus de légitimité démocratique. Dans cette oscillation entre acteurs publics et
société civile, l’éthique n’est jamais qu’une pratique que les collectivités du Nord doivent en
faire obligatoirement usage pour éviter les errements du passé. Car dans certaines collectivités
du Sud, on voit parfois les valeurs universelles se combattre faute de soutien raisonnable
venant des partenaires « Amis ».
I) La coopération décentralisée ou le renouveau de la solidarité Nord/Sud
Il y a sans doute plusieurs acceptions de la notion de solidarité5. Elles renvoient toutes
à la reconnaissance de l’homme dans son humanité. Son idée centrale est celle du souci de
l’Autre se trouvant dans la même situation. Elle est d’ordre éthique bien plus que politique.
De toutes les réalités sociales, en effet, elle est celle qui garde le contact le plus étroit avec la
chaude complexité du « vivre ensemble ». Elle est entée sur la dimension sociale. De la
société, à la nation, à l’Etat et au monde, elle est le médiateur nécessaire. Et c’est peut être en
analysant la notion de solidarité qu’on peut mieux comprendre le renouveau de la coopération
Nord/Sud. Elle est entre le social national de la ville ou de la région et le social international
de la coopération l’intermédiaire nécessaire, qui a l’intimité du premier et l’extension du
second. Encore faut-il préciser la nature des sentiments domestiques qu’elle a pour but de
transférer sans cesse à la société internationale, et ce faisant nous mettrons à jour les vérités
essentielles de l’élan international de « l’agir par solidarité ».
La source la plus profonde de « l’agir solidaire » se trouve dans ce constat objectif qui
consiste à relever la difficulté grandissante des plus démunis et l’obligation qui pèse sur
chaque individu de s’acquitter de sa dette envers eux. Cet engagement exprime une manière
4
5
A. Desrosières, Gouverner par le projet, Presse de Sciences Po, 2009.
A et Ch. Euzéby, Les solidarités : fondements et défis, Economica, 1996.
5
d’humaniser le lien social dans un monde de « désaffiliation »6. Il faut en effet le prendre
comme une démarche d’ouverture sur les autres qu’on veut s’imposer par humanisme et
éthique. Etre solidaire au sens le plus exact et le plus précis de ce terme, c’est savoir partager.
« Partager n’est donc pas prendre part à une répartition, à une distribution ou re-distribution
d’avoirs mais assumer ensemble, comme une charge symbolique, un lot commun ou une
« faveur divine » (théia moïra), au sens platonicien du terme. Il faut supposer, à titre
d’hypothèse de travail, que cette « faveur divine » ne soit pas seulement exclusive, qu’elle
sommeille en chacun de nous »7. Par l’entremise de la coopération décentralisée, la solidarité
s’ouvre également sur des préoccupations internationales, et c’est ce qui la sauve de toute
étroitesse et de tout impérialisme. Car c’est toujours par manque d’ouverture sur les Autres
qu’on veut s’imposer à eux. Etre « inter-solidaire » au sens le plus exact et le plus précis de ce
terme, c’est venir au secours de tout être humain en souffrance peu importe où il se trouve,
faire pour lui tout ce qu’on ferait pour un concitoyen.
Ainsi, outre le lien ontologique fondamental, que nous venons d’analyser, se noue
dans la nouvelle relation Nord/Sud un lien « d’inter- solidarité » grâce auquel la coopération
décentralisée peut se régénérer. Les analyses perfectionnées de Gény à Gurvitch (reprises
depuis par d’autres juristes) sur le rapport du donné et du construit8 dans la vie juridique, ont
inévitablement débouché sur une doctrine qui porte sur la relation entre solidarité et droit dans
l’action internationale. La source élémentaire de la coopération décentralisée est une sorte de
relation qui doit perpétuellement revivifier par en bas les constructions juridiques qui, sans
elle, deviendraient des abstractions mortes : « l’inter-solidarité », si l’on veut, est un droit
spontané comme le droit (créance) est une forme d’obligation normative organisée. Lorsque le
droit se durcit et s’isole de la vie, lorsque la relation internationale cesse de recréer
suffisamment de solidarité entre les humains, c’est le signe manifeste que la coopération
décentralisée ne remplit plus son office de l’ouverture à l’Autre.
6
L’expression est de R. Castel.
7
Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance, Gallimard, Folio essais, 2005, p. 373.
8
F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Essai critique, LGDJ, 1989.
6
Dès lors, le désir de voire progresser la justice sociale, l’adoption d’un modèle de
coopération davantage tourné vers la solidarité, ne relève plus seulement de l’aide humanitaire
mais de la capacité de transporter sans cesse à la vie internationale les principes et les
pratiques applicables à l’intérieur. Et ce n’est point un hasard si la notion de « l’intersolidarité » s’est imposée comme un référentiel nouveau de la coopération décentralisée.
Aussi, un nombre croissant de collectivités semble s’être engagé dans cette optique :
structures intercommunales, communes, départements, régions, autant d’entités qui ont voulu
franchir le cap de la coopération. Leurs actions sont diverses, allant de l’aide au
développement à l’humanitaire, elles font
désormais de la coopération décentralisée un
nouveau champ de la « l’inter-solidarité » et cela malgré l’apparente crise de solidarité qui les
touche directement. Pour avoir été jusqu’ici peu étudiée, l’impact de cette notion n’en est pas
moins certaines et singulièrement instructive. Il nous faut la préciser.
A) L’apparente crise de « l’inter-solidarité » : le constat
La pauvreté est sans conteste le plus grand fléau de notre temps. Elle met en péril la
vie de nombreuses communautés. Un rapport récent des Nations unies9, soulignait que la
moitié des habitants de la planète subsistait encore avec deux dollars ou moins par jour et que
la pauvreté était la plus grave et la plus massive des violations des droits humains.
Diverses analyses constatent une crise de la solidarité internationale. L’insuffisance de
l’effort consenti par les pays riches est clairement en cause. Nombre d’engagements pris par
ces pays n’ont pas été tenus. Le montant de l’aide au développement ayant considérablement
chuté depuis ces dernières années, on constate un réel désintéressement des Etats à l’égard de
toute aide internationale. En outre, fruit de la « mauvaise conscience » des ex-puissances
coloniales, les politiques publiques d’aides au développement sont restées bien conditionnées,
par une forme « paternalisme » qui se manifeste notamment par la volonté de vouloir imposer
aux pays du Sud un modèle politico-adminsitratif non seulement désincarné, mais surtout
inadapté à la structuration de leurs sociétés.
9
Rapport 23 juillet 2011.
7
C’est le cas en France ou à défaut de crise, on préférera parler de «difficultés à dire la
solidarité »10. Trois raisons expliquent ce phénomène.
La première idée fait appel à un monde en constante mutation avec des repères
inadaptés. En effet, changements politiques, effondrements des idéologies, impact de la
mondialisation vécue comme un danger, constituent autant d’éléments qui font de l’espace
international une zone d’inquiétude ; de même que la montée de l’exclusion ainsi que
l’aggravation du chômage en interne entraîne un repli des populations sur elles-mêmes.
La dénonciation de certaines pratiques de coopération, l'absence de résultats visibles
ou encore leur impact négatif sur le tiers-monde incitent à la méfiance des citoyens qui
associent la notion d'aide à celle de gaspillage, d'ingérence ou de détournement. Les divers
changements dans les structures des sociétés européennes ont aussi des effets sur le soutien du
public à la coopération internationale. Ainsi, beaucoup d’associations ont été touchées,
notamment en terme d’image et de crédibilité par les scandales impliquant certaines d'entre
elles. De plus, le nouveau contexte lié à la crise du système capitaliste, l’aide au
développement est en souffrance, non seulement en raison d’un manque de moyens, mais
également en raison de l'absence de vision adaptée à ces changements.
Par ailleurs, on note un réel décalage entre le Sud et le Nord : les représentations que
les habitants du Nord se font du Sud sont biaisées pour plusieurs raisons (colonisation,
décolonisation, culpabilité, méconnaissance des cultures et de l’histoire) ; les médias jouent
aussi un rôle déterminant et en particulier la télévision véhiculant principalement des images
négatives du Sud et focalisant l'attention du public sur l'aspect " urgentiste " de l'aide.
Enfin, il existe une crise des concepts : les concepts de « tiers monde » et « d’aide
humanitaire » ont vieilli. Ceux " d'interdépendance " et de " mondialisation " eux, sont
apparus récemment. Ils demandent encore à être mis en perspective. L'interdépendance, par
exemple, est liée à des contraintes issues du système international, mais elle est aussi dotée
d'une dimension évolutive, paraissant être créatrice de dynamiques à la fois positives et
négatives.
10
La France ne consacre que 0,46% de son PIB à l’APD.
8
Dès lors il faut donc apprendre à pratiquer la solidarité autrement et faire en sorte
« d’informer pour comprendre et de comprendre pour agir » afin de combler le tassement de
l’aide au développement. Pour cela, de nouveaux acteurs interviennent en se disant concernés
par la solidarité internationale, il s’agit des collectivités territoriales qui par l’intermédiaire de
la coopération décentralisée tentent de répondre autrement aux problèmes de pauvreté.
B) Le devoir de « l’inter-solidarité »: La coopération
« Les collectivités territoriales établissent des conventions avec des collectivités
territoriales de pays étrangers pour diverses raisons. Il peut s’agir aussi bien de nouer des
relations d’amitié ou de jumelage (...). Mais cela peut également consister, dans un esprit de
solidarité, à apporter une aide technique ou à intervenir dans un but humanitaire auprès des
collectivités territoriales, établies ou en émergence dans certains pays »11.
Un nombre croissant de municipalités, de départements et de régions s’engagent de
plus en plus, avec le soutient de leurs administrés, dans une action internationale aux côtés des
communautés défavorisées du tiers monde et de l’Est européen. Les communes mettent
désormais en place de nouvelles formes de coopération, adoptant progressivement un rôle
international majeur. Une nouvelle action est alors en phase de naître, plus souple que l’aide
gouvernementale ou internationale, plus durable que certaines associations ou ONG.
Très vite, le mouvement a pris de l’ampleur puisqu’on estime qu’à l’heure actuelle, la
totalité des régions françaises, la moitié des départements et la grande majorité des grande
villes et villes moyennes soutiennent des programmes internationaux dans plus 114 pays du
Sud avec un budget en nette progression (+62%).
S’agissant de la nature des actions des collectivités territoriales, la tendance est à la
diversité, les motivations étant elles-mêmes différentes. L'éventail est large entre les échanges
culturels,
l'assistance
humanitaire,
le financement
de petits
projets,
mais
aussi
l'accompagnement de missions économiques, la mobilisation d'une expertise territoriale en
11
Circulaire du 20 avril 2001.
9
soutien aux programmes d'aménagement des villes partenaires, ou enfin le soutien à des
programmes de développement municipal.
Généralement, une collectivité engage simultanément des partenariats vers diverses
parties du monde, avec des contenus et des objectifs différents. Très largement présentes en
Afrique de l'Ouest, les collectivités territoriales françaises ont aussi établi des liens solides
avec diverses collectivités des pays du pourtour méditerranéen. Enfin, quelques dizaines ont
développé des relations avec l'Amérique latine ou l'Asie du Sud Est.
En moins d’une décennie, la coopération décentralisée fait désormais partie intégrante
de la politique de développement de la plupart des collectivités territoriales françaises. Pour
ces dernières, les changements juridiques apportés par les lois relatives à la décentralisation se
révèlent essentiels dans la mesure où dorénavant les collectivités utilisent l’élan de générosité
et de solidarité envers les plus démunis pour le transformer en action coordonnée et durable et
développent en retour un apprentissage de la citoyenneté et de l’engagement dont bénéficiera
la communauté toute entière : en construisant des équipements au Sud, les collectivités
territoriales entendent construire la citoyenneté au Nord. Partenariat mutuellement profitable,
la coopération décentralisée permet la réciprocité et est en passe de constituer le maillon
manquant entre l’échelle du citoyen et le niveau international.
Toutefois, cette nouvelle forme d’engagement n’est pourtant pas sans limites et si la
coopération décentralisée est perçue comme une nouvelle façon de « faire la solidarité
internationale », de nombreux efforts restent à fournir s’agissant notamment du
développement d’une citoyenneté internationale, citoyenneté qui ne pourra se faire sans
davantage d’informations auprès des élus et du peuple, de transparence ou encore de
confiance.
II) La coopération Nord/Sud jeu et enjeux
A la fois création et résultante de cette nouvelle donne internationale, la coopération
(décentralisée) Nord/Sud déborde les frontières. Elle est porteuse d’un renouveau de l’agir
dans l’espace international en développant une visée humaniste, celle d’un passage d’une
société close à une société ouverte. Une sorte de mondialité par la base qui cherche à
introduire une véritable « paix perpétuelle » au sens kantien. Il s’agit de se donner pour
10
finalité la généralisation d’une certaine manière d’exister et de participer à la restructuration
de l’action internationale. En effet, cette voie alternative consisterait à donner un sens concret
à une coopération favorisant le contact entre les sociétés. Vis-à-vis des pays du Sud en
particulier, la politique d’aide s’est peu à peu réduite à une stratégie de soutien à des
bureaucraties clientes qui agissent précairement pour l’intérêt de leurs peuples. La
coopération dans cette direction ne sera désormais légitime aux yeux de l’opinion que si, elle
noue des liens privilégiés avec des acteurs plus proches de préoccupations de populations.
Dans cette perspective, les collectivités territoriales engagées dans cette nouvelle
catégorie de coopération seront moins porteuses d’un pouvoir ou d’une force que d’une
créativité qui est le trait spécifique de leur engagement. C’est à travers ces jeux que
l’ordonnancement politique de la relation se modifie également à l’apparition de nouveaux
registres de valeurs et d’organisation. Naissent alors des structures « conventionnelles » qui se
proposent non seulement d’améliorer les relations entre les peuples, mais également d’œuvrer
pour le respect des cultures et l’estime réciproque entre les hommes. Ainsi, le principe de
subsidiarité ne s’applique plus uniquement dans une dialectique relationnelle entre
Etat/collectivités territoriales, il prolonge ses effets à travers une action décentralisée qui
transcende les frontières.
Il ne s’agit point ici de nier l’Etat ni de diluer son influence, mais de dépasser son
monopole pour faire naître une véritable « espace internationale territorialisé »12 qui cherche à
mettre en exergue les peuples et à établir une nouvelle passerelle unissant le dedans et le
dehors et « eux et nous »
13
. Le soubassement idéologique de cette démarche dépend du
résultat qu’il produit. C’est faire naître par la base des interactions des liens dont les
associations constituent la cheville ouvrière qui pour Tocqueville « n’étaient pas seulement la
sauvegarde de la liberté face à une puissance tutélaire vouée à être de plus en plus
omniprésente mais la condition même d’une civilisation ». Cette civilisation au quotidien
convoque deux concepts analogiques (pour parler le langage Kapriec) 14: le territoire et la
société civile.
12
13
B. Fouilland, « Gouverner par les instruments », Concepts (Revue en ligne)..
B. Badie, M.C Smouts, Le retournement du monde, Dalloz, 1992.
14
11
Entre territoire et coopération décentralisée se tissent des rapports complexes que les
chercheurs des sciences sociales identifient, qualifient, évaluent, expliquent. Certes, cette
affirmation pourrait être elle-même objet de discussion, car elle n’est pas unanimement
partagée : certains, au terme territoire très abstrait, substituent volontiers celui d’espace
international, à connotation plus physique et environnementaliste. Toutefois, afin de bien
préciser où se situent les points de discussion et de controverse, il serait plus judicieux que le
premier objectif soit non pas de débattre de ce point de vue initial, mais d’entrer dans
l’examen de la production des territoires, de savoir comment les collectivités territoriales
organisent leurs territoires dans leur relation internationale. Deux types d’interrogation
peuvent révéler ces enjeux :
Le premier est intimement lié au concept de solidarité ou de coopération « interterritoriale ». Ce modèle a vu son influence s’accroître à l’occasion des mutations entraînées
par la territorialisation des politiques publiques. Ainsi, par exemple, quand on cherche à
analyser les motivations qui poussent une collectivité infra-étatique à s’engager dans une
action à vocation internationale, on est conduit à redécouvrir le territoire comme élément
central de ladite analyse et plus largement comme paradigme. Dès lors, ce qui est en cause, ce
n’est pas seulement une mécanique territoriale fonctionnant automatiquement, logiquement
sur elle-même. Ce sont aussi les orientations mêmes de l’objet coopération (décentralisée),
son fondement politique et ses mécanismes opérationnels qui sont à repenser. Le thème
largement utilisé de « mieux exporter son territoire » prend en effet des significations
extrêmement variées. On s’interroge ainsi progressivement sur les fondements, les modèles
implicites, les normes juridiques nationales et locales d’organisation et d’aménagement du
territoire. Dans le même mouvement et d’une manière concomitante, c’est le territoire comme
« lien » qui est soumis à interrogation, à jugement.
La deuxième dimension est celle de la représentation fonctionnelle du territoire. Ni fait
imposé, ni création totalement libre, le territoire fonctionnel est une reproduction du « réel ».
La notion de réseau s’impose alors comme l’autre versant de la notion du territoire. Elle rend
compte des transformations qui affectent les relations entre collectivités territoriales engagées
dans une coopération « inter-territoriale » et plus largement des phénomènes d’interactivité et
d’interaction qui sont à l’œuvre dans la gouvernance15.
15
P. Le Gales, Régulation, gouvernance et territoire, in Commaille et Jobert, Les métamorphoses de la
régulation politique, LGDJ, 1998, p. 382.
12
A l’instar du concept du territoire, la société civile est le produit et l’expression d’une
sorte de révolution dans la configuration du savoir relatif au domaine du politique. Comme
dans chaque révolution scientifique le changement de paradigme est toujours accompagné de
polémique sur les concepts les plus importants. Sans entrer dans ce débat dont cette étude
n’est point le cadre, nous pouvons uniquement affirmer que dans sa formulation latine
(societas civilis) cette notion désigne une communauté politique soumise à des lois. Cette
conception du politique que nous retrouvons dans l’œuvre d’Aristote ne fait pas la distinction
qui est aujourd’hui admise par tout le monde, entre l’Etat et la société civile. La première
mutation du sens de cette notion qui imposa ladite distinction (et même l’opposition) n’aura
lieu d’une manière définitive qu’à la fin du XVIII ème siècle dans une conjoncture politique
marquée par la révolution démocratique. L’homme en tant qu’entité est la grande découverte
de cette révolution culturelle. Cette découverte est le fondement de ce qu’on appelle la
modernité16.
Cependant, c’est le combat pour la démocratie qui a privilégié le rôle de la « société
civile » en la dissociant nettement d’une simple société privée repliée sur elle-même. En fait,
l’importance de la société civile reste indispensable pour renforcer l’assise sociale, face à un
Etat de plus en plus lointain. « L’Etat, écrivait Gramsci, n’est qu’une tranchée derrière
laquelle se trouvait toute une chaîne robuste de forteresses et de casemates »17. La leçon tirée
de ce constat en matière de coopération décentralisée est que la stratégie des collectivités
territoriales ne doit pas reproduire le modèle étatique de l’action internationale. Elles doivent
s’engager dans une stratégie de conquête de la société civile. D’où la nécessité de donner
toute sa place à cet acteur en le concevant non pas seulement comme un « contre-poids », une
sphère d’autonomie, mais surtout un lieu de participation.
Dès lors, La coopération apparaît donc comme un mode de gouvernance, dans lequel
la mise en cohérence de l’action publique ne passe plus par l’action d’une élite politicoadministrative relativement homogène et centralisée, mais par la mise en place de
coordination multi-niveaux et multi-acteurs (multi-level governance) dont le résultat, toujours
incertain, dépend de la capacité des acteurs publics et privés à définir un espace de sens
commun, à mobiliser des expertises d’origines diverses et à mettre en place des formes de
16
17
M. Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966.
Ch. Buci-Gluksmann, Gramsci et l’Etat, Fayard, 1975, p. 35.
13
responsabilisation et de légitimation des décisions. « Cette pluralité d’intervenants, d’acteurs,
d’organisations, révèle que la politique locale, au triple sens de « politics », « policies » et
« polity », dépend de plus en plus d’acteurs non gouvernementaux »18 prêts à la négociation,
au partenariat, au compromis, aux interactions et aux interdépendances avec les acteurs
publics. Ainsi, « le gouvernement local » est contraint de se muer en un gouvernement plus
stratège, plus flexible, plus sensible à l’environnement qui l’entoure, à la multitude de réseaux
gravitant autour de lui. Elle signifie l’avènement de la « sphère publique
A) Un échange d’expériences et une ouverture sur l’extérieur : la vocation
Cette notion de sphère publique est intimement liée à un mode d’organisation qui
favorise le modèle d’affirmation des valeurs dans un débat argumenté entre plusieurs acteurs.
Autrement dit, elle repose sur une conception du pouvoir mettant en avant les échanges de
ressources, la mobilisation sur la base d’un projet commun pour la collectivité territoriale.
Dans cette logique, les acteurs de toute nature s’associent, mettent en commun leurs
ressources, leurs expertises, leurs capacités et leurs projets pour créer une coalition d’action
fondée sur le partage des responsabilités et la recherche d’un bien commun. Ainsi passe-t-on
d’un gouvernement du sommet vers un processus interactionniste, de la tutelle au contrat, et
de la centralisation à la proximité.
Avec les collectivités du Sud, l’échange d’expérience et de savoir-faire se réalise dans
les deux sens. En effet, « il n’y a pas de coopération décentralisée s’il n’y a pas deux
partenaires décentralisés »19. Les collectivités infra-étatiques peuvent ainsi faire bénéficier
ses partenaires de son expérience acquise dans le domaine de la décentralisation (et
notamment de la gestion des services publics locaux). Mais plus qu’exporter un modèle, il
s’agit de proposer des références souples et adaptables. Inversement, les collectivités
françaises (et le Nord plus généralement) peuvent s’inspirer pour leur gestion locale de
systèmes des pays du Sud. C’est ainsi qu’à Saint-Coulitz (Finistère), un conseil des anciens a
été crée sur le modèle de ceux existants en Afrique (ainsi qu’à Mulhouse, la Roche sur Yon, et
18
19
P. Le Gales, Ibid, p. 385.
La gazette des communes, n°1429, 17 novembre 1997, Entretien avec Charles Josselin
14
Albertville). La coopération décentralisée peut également représenter un volet important de la
formation des élus à travers l’expérience acquise au contact de leurs homologues étrangers.
La coopération décentralisée œuvre plus généralement à la promotion de l’Etat de
droit et du développement local dans le monde. Dans les pays où la démocratie est encore
largement à construire, les collectivités territoriales (françaises) peuvent, grâce aux conseils et
aux exemples quotidiens, faire émerger ou renforcer des pratiques démocratiques locales.
C’est une aide à la mise en place d’un véritable espace démocratique territorialisé, passant par
la gestion municipale, la formation des agents administratifs et plus largement les acteurs de
la vie locale (élus, responsables d’association…). Les collectivités territoriales françaises
« ont l'expérience et le savoir faire requis pour consolider les expériences de décentralisation
et de développement local, et participer ainsi à l'émergence d'autorités locales, gage de
renforcement de la démocratie »20.
Ce soutien aux processus de décentralisation et de démocratisation est particulièrement
présent en Afrique, en Amérique latine ou en Europe centrale et orientale. La coopération
décentralisée privilégie désormais l’amélioration de la gestion publique à, par exemple, « une
vente de solidarité ou à un creusement d’un puit dans un quartier, les collectivités
territoriales ont alors un véritable rôle international qui est ensemblier au niveau local »21.
Elle est désormais fondé sur la place centrale de l’individu et doit par conséquent
essentiellement destinée à favoriser (à côté des droits économiques et sociaux) les libertés
civiles et politiques en appliquant les règles de la représentation démocratique qui est fondée
sur le respect des droits de l’homme. De ce fait, la démocratie constitue une condition
importante de l’exercice durable des droits économiques et sociaux. Néanmoins, imposer des
modèles démocratiques occidentaux sans tenir compte de l’histoire des pays concernés ne
constitue pas une solution. La défense de la démocratie doit être assurée au cas par cas, en
vertu de sa fonction stabilisatrice pour parvenir à un développement équitable et durable.
L’éducation civique et l’apprentissage au pluralisme doivent rester un aspect essentiel de la
coopération.
20
La lettre du secrétaire d’état à la coopération, novembre 1997 sur http://www.ambafrancema.org/coopdec/josselin.htm
21
M. Raffoul « La coopération décentralisée, nouveau champ de la solidarité internationale », Le Monde
Diplomatique, juillet 2000, pages 22 et 23.
15
Quant à l’objectif d’ouverture sur l’extérieur, il représente un enjeu important de la
coopération décentralisée. Il s’agit pour la collectivité qui décide d’engager une action de
coopération, d’une volonté de valoriser ses atouts à l’extérieur : atouts économiques,
universitaires, culturelles, touristiques…de la région, du département ou de la ville.
Sans tomber dans le nationalisme enfermant, la coopération décentralisée contribue
ainsi plus largement au rayonnement de la France à l’étranger. C’est une présence culturelle et
linguistique de la France dans le monde. Mais au delà de la question de l’image, c’est aussi
peut-être la prise de conscience par les élus et les citoyens du phénomène de la mondialisation
et de leur désir d’influer sur son cours plus que de la subir. Les collectivités veulent alors
jouer un rôle à l’échelon international.
B) Des enjeux nouveaux : le sens
En France, la coopération décentralisée peut s'analyser, de façon générale, comme
l'ensemble des actions de coopération internationale menées dans un but d'intérêt commun,
par une ou plusieurs collectivités territoriales françaises et leurs groupements, et une ou
plusieurs autorités étrangères et leurs groupements, dans le cadre de leurs compétences
mutuelles. Pour les instances européennes, « la coopération décentralisée constitue une
nouvelle approche de développement qui place les acteurs au centre de la mise en œuvre et
poursuit donc le double objectif d’adapter les opérations aux besoins et de rendre les
opérations viables »22.
Face à l’acception française, la définition européenne de la coopération décentralisée
est beaucoup plus extensive puisqu’elle considère l’ensemble des acteurs nongouvernementaux. L’Union européenne reconnaît, comme acteurs de la coopération
décentralisée, non seulement les pouvoirs locaux, mais aussi les organisations nongouvernementales, les coopératives, les syndicats, les organisations de femmes et de jeunes,
les institutions d’enseignement et de recherche, les PME, les PMI, etc. Selon la conception
européenne, la coopération décentralisée est un moyen de s’engager « vers une autre façon de
22
Règl. Cons. CE n° 1659/98, 17 juill. 1998, relatif à la coopération décentralisée.
16
faire de la gouvernance »23. Si ces deux vues de la coopération décentralisée sont différentes
en théorie, leur pratique révèle de nombreuses similitudes. Cette modalité de l’action consiste
à produire un espace dans lequel se dessine une alternative à la mondialisation ultra-libérale.
La finalité étant ainsi définie, on saisit mieux l’intérêt de la coopération décentralisée.
Il s’agit en effet d’un outil d’orienter la relation entre les acteurs publics et les acteurs privés,
non pas d’une action décidée et menée par le haut, mais d’une démarche comprenant à la fois
des composantes techniques et des éléments de nature politique ou symbolique, notamment la
représentation.
En ligne avec cette approche, on retrouve ainsi la motivation économique tant dans le
cadre des échanges entre les pays développés qu’en direction des pays du Sud et cette
motivation représente un élément déterminant dans l’instauration de coopération
décentralisée. On peut trouver deux cas de figures différents selon que l’objectif économique
soit clairement défini ou non. Un premier cas figure où le développement des échanges
économiques constitue l’objectif principal des projets de coopération : développement des
relations entre entreprises, coopération technologique…Et un second cas de figure où les
actions de coopérations auront des retombées économiques alors même qu’elles ne l’avaient
pas prévus initialement (fourniture de biens d’équipements qui seront produits par les
entreprises locales : plus généralement grâce aux relations établies entre deux collectivités, les
échanges entres acteurs économiques s’en trouvent facilités). Les partenariats inter-entreprises
issus des coopérations décentralisées permettent ainsi de créer des opportunités d’affaires
notamment pour les PME locales.
Dès lors la coopération décentralisée peut contribuer à redynamiser l’emploi, ou plus
généralement l’économie, sur un territoire. C’est aussi grâce à ce cadre que ces entreprises
pourront jouer un rôle sur la scène internationale. De ce point de vue,
la coopération
économique fait émerger « une question sociale globale ». Le désir de voir progresser la
justice sociale, l’adoption d’une coopération d’avantage tournée vers le marché intérieur ne
relève plus uniquement de l’éthique mais de l’intérêt des acteurs économiques des pays du
Sud.
23
Note d’orientation sur la coopération décentralisée, Commission européenne, 23 déc. 1999
17
La coopération décentralisée présente également un enjeu social non négligeable :
c’est autant un vecteur de citoyenneté (mondiale et locale) qu’un moyen pour lutter contre les
exclusions (solidarité nationale et internationale). La coopération décentralisée, en impliquant
les citoyens et plus largement l’ensemble des acteurs sociaux d’un territoire pour la réalisation
d’un projet de coopération internationale, contribue à la construction d’une autre
mondialisation face à la mondialisation exclusivement économique : la mondialisation
citoyenne. En effet, elle « oppose à la mondialisation de capitaux une mondialisation de
mouvements civiques, généreux et démocratiques »24. C’est aussi au niveau territoriale qu’elle
est un vecteur de citoyenneté et de démocratie participative, notamment en redynamisant le
tissu social et associatif et en ouvrant des espaces de concertation entre élus, techniciens et
habitants.
En outre, la coopération décentralisée a un impact au plan social et ce,
particulièrement en matière de lutte contre les exclusions. Les actions de coopération, qui
peuvent concerner certaines catégories de personnes (jeunes, populations immigrées, «publics
fragilisés») contribuent indéniablement à leur intégration. Elles constituent une porte ouverte
sur l'extérieur pour des personnes le plus souvent isolées ou recluses dans leur quartier. Elle
les valorise en tant qu' "acteur du terrain" et les inscrits dans une démarche de projet. La
coopération décentralisée développe alors chez eux (et notamment les jeunes) un sentiment
d’utilité sociale qui ne pourrait être que dynamisante. De plus, les coopérations portant sur des
actions humanitaires ou des projets d’aide au développement sont généralement très prisées
par les élus et les citoyens. Cette démarche de solidarité internationale constitue sans conteste
une motivation essentielle des collectivités à agir en coopération. Cependant, elles doivent
veiller à ce que l’aide publique doit être ciblée sur le bénéfice direct des populations. Son
impact, son appropriation effective par les populations doivent être mesurés et contrôler.
L’octroi de cette aide doit également être subordonnée à une garantie d’évolution
démocratique. Le respect des droits de l’homme et l’existence d’un Etat de droit peuvent être
des éléments de négociation conditionnant l’ampleur et la nature de l’intervention.
Enfin, concernant l’enjeu politique, la coopération décentralisée, est avant tout un
facteur de lutte contre le sous-développement. Dans cette optique, il faut résolument
poursuivre une politique de don et d’aide aux collectivités et aux populations les plus pauvres
24
M. Raffoul, op.cit.
18
afin de permettre réellement le développement des acteurs sociaux indispensables. La
conditionnalité sociale, visant l’élévation effective du niveau de vie des populations, doit
l’emporter sur les démarches mercantiles et la plongée sans discernement dans la
mondialisation libérale. Conséquence, il faut arriver à sortir les relations entre collectivités du
Nord développées et collectivités du Sud en développement du paternalisme compassionnel et
les placer sou le signe d’un partenariat respectueux entre égaux. Cette stratégie vaux
notamment pour les relations avec les collectivités des ex-colonies. Car l’argument de la
satisfaction des besoins de base sert généralement à renforcer l’assise des régimes totalitaires.
Il leur permet de justifier facilement la négligence des droits civils et politiques avant que la
jouissance des droits économiques sociaux ne soit un fait. En vertu du document final de la
Conférence de Vienne, Les collectivités du Sud ne peuvent s’excuser de refuser à leur peuple
l’exercice de leurs droits en déclarant qu’elles ont en premier lieu à garantir des besoins de
base25.
Aussi, l’intervention de la société civile reste indispensable pour renforcer et
consolider les aspirations à la liberté. La multiplication des ONG dans le monde, semble
traduire une manière autre de s’engager politiquement. Cette nouvelle forme de militantisme
cherche à apporter une contribution essentielle à la vie démocratique et à la promotion des
droits humains26. En effet, l’existence d’un secteur associatif prospère est un signe extérieur
d’une maturité démocratique d’un pays. La contribution du monde associatif à l’animation de
l’espace politique ne doit point être sous-estimée. D’où l’intérêt de créer de passerelles
interassociations pour que ces acteurs puissent par l’échange fertiliser l’idée parfois en état
embryonnaire dans les collectivités du Sud d’opinion publique. Déjà la Déclaration de la
Conférence mondiale sur les droits de l’homme réunie à Vienne en 1993 avait mis l’accent sur
l’importance d’un tel lien qui a comme vocation la « création ou le renforcement
d’institutions nationales et d’infrastructures connexes qui maintiennent l’Etat de droit et la
démocratie, l’assistance électorale, la sensibilisation aux droits de l’homme par la formation,
l’enseignement et l’éducation, le développement de la participation populaire et le
renforcement de la société civile ».
25
Déclaration et programme d’action de Vienne.
E. Decaux, « Droits de l’homme et société civile », in L’Union européenne et les Droits de l’Hommes,
Bruylant, 2001, p. 937.
26
19
Par interaction la coopération décentralisée est aussi un facteur de développement
local en France, par exemple. Les collectivités territoriales et les acteurs civils qui lui sont
associés (secteur associatif, organisations socioprofessionnelles, entreprises…) cherchent à
s’affirmer sur le plan international à travers ces actions. Sans entrer en compétition avec le
domaine réservé de l’Etat que sont les relations internationales, les collectivités territoriales
cherchent à jouer le rôle qui est le leur dans un système d’interpénétration mondialisé. La
coopération décentralisée est alors un élément de cette stratégie politique portées par des
collectivités territoriales qui recherchent un renforcement de leurs compétences et de leurs
identités. Ainsi, loin de s’opposer, acteurs publics et société civile s’enrichissent et se
renforcent mutuellement au sein d’un « espace de droit »27.
La coopération décentralisée présente ainsi de nombreux avantages, autant
économiques que sociaux, ou administratifs que politiques et ces avantages concernent
l’ensemble des partenaires sur le modèle de l’échange et de la réciprocité. Cependant, il
apparaît que la répartition géographique des coopérations est loin d’être parfaite et qu’elle
privilégie certaines zones, notamment pour le développement de la démocratie. Ainsi, en
Afrique, alors que l’on trouvait 600 ONG au Mali, il y en avait 2 fois moins au Burkina et que
15 au Niger28. Il faudrait alors peut-être penser à orienter des actions de coopération vers les
« territoires oubliés » pour que les avantages, certains, des coopérations décentralisées soient
pleinement efficaces pour tous.
Conclusion : Ethique et coopération décentralisée : une filiation encore bien fragile
La victoire actuellement remportée par la démocratie dans certains pays du Sud, c’est
celle de l’individu qui exige non seulement les libertés (individuelles et publiques), mais
également le droit à l’épanouissement qu’offrent les sociétés du Nord. La chute des dictatures,
en particulier dans le monde arabe, est principalement due à la volonté d’une masse d’êtres
humains privée d’accès à la modernité aussi bien politique, technique, économique que
culturelle. Par là se dégage un sens nouveau de la coopération décentralisée : elle est
égalitaire, c’est-à-dire le lieu même de parfaite réciprocité. Ainsi évitons-nous la pseudoexplication par le prisme de la théorie classique d’aide au développement ou plutôt de ses
27
28
E. Decaux, Ibid, p. 938.
La Gazette des communes, 17 novembre 2010.
20
deux finalités concurrentes, lutter contre la pauvreté et/ou la promotion de la démocratie,
qu’on arrive jamais à hiérarchiser qu’aux dépens de la signification profonde d’une saine
coopération. Il n’y a pas d’abord à chercher la (ou les) fin de la coopération avec le Sud, c’està-dire son utilité, mais à dévoiler dans son intimité sa signification immanente. C’est par le
respect et la réciprocité que la relation devient pleinement égalitaire. Cet équilibre ne pouvait
être atteint que lorsqu’on met l’épanouissement des êtres au centre de la relation. Ce qui
signifie que la coopération avec le Sud ne peut jamais être éthique qu’en se mettant au service
d’une cause qui la dépasse. Ce n’est pas en tissant des rapports inter-collectivités que cette
coopération se développe, mais en entretenant des relations mutuelles au sein d’une réalité,
d’une cause transinstitutionnelles. Et la première de ces causes, c’est la démocratie et la
liberté.
Faire sienne cette vision, ce n’est pas seulement adhérer à une éthique relationnelle.
C’est également être capable de mettre en œuvre des procédures qui rendent compatibles deux
principes de bases : d’une part, la liberté pour chacun des s’exprimer, de créer et
d’entreprendre et, d’autre part, l’égalité des chances et la solidarité, qui supposent une
certaine régulation collective. Bien des sociétés où les peuples et les élites aspirent à la
démocratie mais n’arrivent pas à la réaliser de manière stable, faute pour elle d’être entrée
dans le mœurs et de s’être traduite en comportement sociaux et en institutions.
A cet égard, une coopération décentralisée débarrassée de sa frilosité pourrait jouer un
rôle déterminant pour accompagner ces sociétés vers plus de démocratie et donc
d’épanouissement individuel et collectif. Ainsi, la coopération cesse d’être uniquement un
ensemble de liens intrinsèques qui s’établiraient entre collectivités décentralisées et une
société civile distincte. Elle doit être une participation vivante des collectivités du Nord (en
phase avec une gestion démocratique de la Respublica) avec un nouvel ordre démocratique
qu’elles s’engagent à servir, à consolider ou à créer et qui en retour, lui confère la seule réalité
à laquelle elles puissent prétendre : donner un sens humain à cette relation. C’est ce qu’il
importe de mettre en pleine lumière.
21