L`arme à l`œil
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L`arme à l`œil
ÉDITO Quand Lara Croft a débarqué sur les écrans de nos ordinateurs, l’affaire ne faisait aucun doute. L’archéologue musclée du jeu informatique «Tomb Raider», ses seins surréalistes, ses longues jambes nues et ses revolvers frénétiques ne pouvaient être que le résultat tragi-comique d’un fantasme d’adolescent attardé. A l’époque où 95 % de ses fans étaient des porteurs de lunettes de sexe masculin atteignant à peine la trentaine d’années, cela suffisait à classer le dossier. Mais depuis, la réalité a parfois rattrapé la fiction. Côté obscur de la Force, on a récemment vu une braqueuse «aux gros seins» et son compagnon prendre pour cible un bistrot de la campagne bernoise. On a appris l’existence de bandes de jeunes filles qui semaient la terreur dans les toilettes de la gare de Fribourg. On a pu lire dans la presse qu’une femme officier dans l’armée suisse réclamait son incorporation dans les troupes de com- bat, au même titre que les hommes. Et, dans un registre plus positif, on a découvert l’existence d’un club d’admiratrices de Lara Croft qui se retrouvent plusieurs fois par année avec armes et bagages dans le cadre de compétitions internationales où elles peuvent jouer à imiter les exploits de leur héroïne préférée. Autant d’anecdotes, autant de doutes. Aurions-nous, dans un ultime cliché machiste, sous-estimé l’influence ou plutôt la valeur prophétique de la plus populaire des figures de jeux informatiques? Probablement oui, répond une sociologue de l’Université de Lausanne interrogée à l’occasion de la sortie d’une version de «Tomb Raider» calibrée pour les cinémas (voir en page 43). Selon cette spécialiste des femmes guerrières, Lara Croft serait tout simplement «le modèle de la femme postmoderne, intelligente, libérée, indépendante et égale de l’homme». Un symbole de liberté et d’indépendance issu de l’univers des jeux informatiques? Lara nous est d’autant plus sympathique. Serait-elle aussi avantgardiste quand elle annonce un univers où la femme devient l’égale de l’homme quand il s’agit de presser la détente d’une arme à feu? La perspective est bien plus dérangeante. Heureusement pour nous, les statistiques suisses semblent nous tenir à l’écart de cette dérive de gros calibres. Reste que les signaux en provenance des Etats-Unis sont nettement moins clairs. Et qu’il vaut mieux les surveiller avant qu’il ne nous reste plus que le choix des larmes. Eidos Jocelyn Rochat 2 ALLEZ SAVOIR ! / N°20 JUIN 2001 L’arme à l’oeil