L`expérience culturelle idéale ou une satisfaction partagée par les

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L`expérience culturelle idéale ou une satisfaction partagée par les
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L’EXPERIENCE CULTURELLE IDEALE OU
UNE SATISFACTION PARTAGEE PAR LES INTERPRETES ET
LES SPECTATEURS D’UNE REPRESENTATION
D’UN SPECTACLE VIVANT
Karine BERNARDON
GREGOR – IAE de Paris
Université de Paris I – Panthéon Sorbonne
Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand II
Résumé
Quelles sont les conditions d’une expérience culturelle idéale, c’est-à-dire, d’une satisfaction
partagée entre les spectateurs et les interprètes d’un spectacle vivant ?
Cet article propose une comparaison des conditions de satisfaction des artistes et des
spectateurs d’une comédie musicale. L’étude qui se situe dans un contexte de découverte
constitue la troisième étape d’un processus de recherche dont l’objectif est d’appréhender
précisément l’expérience de consommation culturelle et de mettre en évidence un facteur
explicatif du succès d’une représentation d’un spectacle vivant. Elle s’attache notamment à
déterminer si, dans le champ de la comédie musicale et plus largement dans le champ culturel,
la satisfaction suit le paradigme dominant de non-confirmation des attentes en se focalisant,
plus spécifiquement, sur les approches de Olshavsky et Spreng (Olshavsky et Spreng, 1989 ;
Spreng et Olshavsky, 1992) et de McGill et Iacobucci (McGill et Iacobucci, 1992).
Abstract
Which are the conditions of an ideal cultural experience, i.e. of a satisfaction shared between
the audience and the performers of a live show?
This article offers a comparison between the conditions of satisfaction of the artists and the
audience of a musical. The research which is to be seen in the context of discovery is the third
stage of a process of research whose objective is to comprehend precisely what cultural
consumption experience is and to discover an explanatory factor of the success of a live show
performance. It sets out to determine if, in the field of the musical and more largely in the
cultural field, satisfaction follows the dominating expectations-disconfirmation paradigm
while being focused, more specifically, on the approaches of Olshavsky and Spreng
(Olshavsky and Spreng, 1989; Spreng and Olshavsky, 1992) and of McGill and Iacobucci
(McGill and Iacobucci, 1992).
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L’EXPERIENCE CULTURELLE IDEALE OU
UNE SATISFACTION PARTAGEE PAR LES INTERPRETES ET LES SPECTATEURS
D’UNE REPRESENTATION D’UN SPECTACLE VIVANT
Introduction
Dans la sphère culturelle et, plus spécifiquement, dans le domaine du spectacle vivant, la
satisfaction n’a d’intérêt, pour le producteur d’un tel show, que par rapport aux conséquences
qu’elle implique : l’émission d’un bouche-à-oreille favorable et la fidélité, en l’occurrence, à
un certain type de spectacle. Cependant, chaque « œuvre » est unique et chaque création est
source de risque pour le producteur, même si Evrard (1991) souligne qu’il s’avère possible de
raisonner par analogie. Ainsi, seule la communication interpersonnelle peut susciter un réel
intérêt de la part du producteur.
La satisfaction en elle-même apparaît, en revanche, capitale pour le spectateur ainsi que pour
l’artiste qui exécute sa prestation. Dès lors, les questions suivantes méritent d’être
considérées : quelles sont les conditions d’une expérience culturelle idéale, c’est-à-dire, d’une
satisfaction partagée par les interprètes et les spectateurs d’une représentation d’un spectacle
vivant ? La satisfaction suit-elle, dans le domaine culturel, le paradigme de non-confirmation
des attentes ? Quel est ou quels sont les standards de référence à la base de la formation des
attentes du consommateur ?
Ces interrogations sont au cœur de la présente recherche. L’étude menée s’attache notamment
à déterminer si l’approche de Olshavsky et Spreng (Olshavsky et Spreng, 1989 ; Spreng et
Olshavsky, 1992) restée, pour l’instant, au stade conceptuel, s’applique dans le cadre d’une
représentation d’un spectacle vivant populaire et, plus précisément, d’une comédie musicale.
Cette étude s’inscrit dans un processus de recherche plus vaste, comprenant diverses étapes et
mis en œuvre afin de répondre à différentes interrogations communes à de nombreux artistes,
à savoir : lors de différentes représentations d’un même spectacle vivant, pourquoi l’échange
qui s’établit entre le public et les artistes est-il différent ? Pourquoi l’ambiance varie-t-elle ?
Quels sont les éléments de nature à influencer la satisfaction ressentie par chaque individu ?
Quelles sont les conditions d’une satisfaction partagée par les interprètes et les spectateurs ?
La première étape de celui-ci s’attache à révéler le réseau de significations associé à la
consommation et à l’interprétation de la comédie musicale choisie pour terrain et à relier ces
significations à la structure cognitive des individus. Elle débouche sur une comparaison des
motivations des comédiens chanteurs et celles des consommateurs. La deuxième consiste à
appréhender l’expérience vécue par chacun (public et artistes) au travers de la réponse
globale, multidimensionnelle suscitée par le spectacle. Elle réside donc en la collecte et la
confrontation des réactions du public et des interprètes, soit de leur réponse expérientielle
respective. La troisième, étude ci développée, réside en l’analyse et la mise en parallèle de la
nature de la satisfaction et des sources de satisfaction (ou d’insatisfaction) chez le récepteur et
ceux qui partagent et créent l’expérience (les artistes). Enfin, la quatrième consiste à
recueillir, étudier et comparer les impressions de chacun sur l’ambiance régnant dans la salle
lors de la séance. Réunies, ces étapes permettront d’appréhender précisément l’expérience de
consommation culturelle. Il s’agit, en fait, de déterminer si les individus animés de
motivations similaires ont une réponse esthétique semblable, s’ils éprouvent une satisfaction
de même nature et enfin, s’ils vivent et perçoivent de façon identique l’ambiance qui règne
dans la salle lors de la manifestation. La question qui apparaît en filigrane au cours de cette
recherche est la suivante : la rencontre de motivations similaires chez les spectateurs et les
interprètes ne conduit-elle pas à une réponse esthétique du même ordre et à une satisfaction
partagée, synonyme de succès d’une représentation ? ou encore, la rencontre de motivations
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similaires chez les spectateurs et les interprètes n’est-elle pas un facteur explicatif du succès
d’une représentation ?
Le déroulement des première et deuxième étapes de ce processus de recherche (les
populations sélectionnées, les méthodes de collecte de données, la méthode d’analyse de ces
dernières, à savoir, celle de la « théorie enracinée ») et les résultats obtenus suite à celles-ci
ont été présentés lors de communications antérieures (Bernardon, 2005 ; Bernardon, 2006).
Un rappel de ces deux étapes est effectué, en premier lieu, dans cet article. Une revue de la
littérature sur les modèles visant à identifier et représenter le processus de formation de la
satisfaction et pouvant être regroupés dans une structure commune qui a de nombreuses
variantes, le paradigme de la disconfirmation, est ensuite réalisée. Puis, sont justifiées et
exposées les questions de recherche relatives au concept de satisfaction. Les résultats font
suite. L’article s’achève sur une discussion émanant de la comparaison des conditions de
satisfaction des artistes et des spectateurs du spectacle choisi pour terrain, la comédie
musicale « Notre Dame de Paris ».
1. Analyses qualitatives comparées des motivations et de la réponse expérientielle des
consommateurs et des interprètes d’une comédie musicale
La méthodologie employée à l’occasion de ces analyses est présentée dans un premier temps,
dans la mesure où, s’agissant d’étapes différentes d’un même processus de recherche, la
présente étude est conduite à l’identique (mêmes échantillons, procédures d’investigation et
d’analyse). Suivent les résultats de ces analyses comparées des motivations et de la réponse
expérientielle des spectateurs et des artistes qui seront ultérieurement confrontés à ceux
émanant de la comparaison des conditions de satisfaction de ces deux entités.
1.1. Méthodologie
Les études qui visent à comprendre la nature des motivations et de la réponse expérientielle
des artistes et des spectateurs se situent dans un contexte de découverte. Le processus de
recherche est de nature qualitative. Ce type d’approche est le plus pertinent lorsque l’étude
porte sur les activités hédoniques et expérientielles (Hirschman et Holbrook 1982 ; Holbrook
et Hirschman 1982).
► Echantillon des interprètes et procédure d’investigation :
Des entretiens semi-directifs, d’une durée approximative de 35 à 60 minutes, ont été menés
auprès de onze interprètes de la comédie musicale « Notre Dame de Paris ». Ils ont fait l’objet
d’un enregistrement et ont été retranscrits mot à mot en vue de leur analyse.
Tableau 1 – Artistes chanteurs de la troupe « Notre Dame de Paris » interviewés
Artiste N°
Sexe (M pour masculin, F pour
1
M
2
M
3
F
4
M
5
M
6
M
7
F
8
M
9
M
10
F
28
2
Oui
32
1
Non
25
1
Oui
51
1
Non
30
2
Non
52
1
Oui
22
1
Oui
39
1
Oui
28
1
Oui
25
1
Non
féminin)
Age (en 2002)
Rôle(s) interprété(s)
Nouvel arrivant dans la troupe
► Echantillon des spectateurs et procédure d’investigation :
Les données sont recueillies auprès des spectateurs du parc des expositions de Chalon-surSaône (1600 places), le 14 mai 2002. Ce soir là, 800 questionnaires sont déposés sur les sièges
avant l’entrée des spectateurs à raison d’une place sur deux. Des personnes sont présentes
uniquement en tant qu’accompagnatrices, des enfants qui ne peuvent répondre aux questions
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formulées assistent au spectacle : autant de raisons pour ne cibler en moyenne qu’un
spectateur sur deux. Au total, 129 questionnaires sont retournés, 101 sont exploitables.
► Procédure d’analyse :
Notre problématique nécessitant une analyse qualitative des données (analyse en profondeur ;
quête de sens), la théorie enracinée, particulièrement adaptée dans le cadre de travaux
exploratoires, est la méthode retenue. La méthode appliquée est celle développée par Strauss
et Corbin (1990). Les sept étapes itératives de cette procédure (Usunier, Easterby-Smith et
Thorpe, 2000) ont été parcourues. Qu’il s’agisse des entretiens ou des questionnaires, leur
analyse est notamment réalisée à l’aide de la construction de matrices à groupements
conceptuels. La classification des réponses types préalable à la construction de ce type de
matrice suit le cheminement suivant : repérer et souligner les termes clefs des réponses,
énoncer de nouveau les phrases clefs en restant aussi descriptif et littéral que possible, réduire
les phrases et créer des regroupements, réduire les groupes et attribuer des intitulés et opérer
des généralisations à partir des expressions des groupes. Chaque interview et chaque
questionnaire est ensuite ré-analysé afin de s’assurer que ces généralisations sont explicites et
conformes aux idées émises à l’intérieur de chaque thème.
1.2. Résultats
► Résultats de la première étape du processus de recherche relative aux motivations des
individus en présence lors de la représentation :
L’analyse conduit à l’identification de cinq groupes d’artistes (cf. figure 1) sur la base
principale des motivations qu’ils associent à leur travail et à la comédie musicale, mais aussi
des significations qu’ils accordent aux différents thèmes abordés (à savoir : les motivations à
l’égard des loisirs, de « Notre Dame de Paris », de la culture et l’organisation cognitive de
l’individu). Elle permet également de dégager six groupes de spectateurs (dont l’intitulé est
fonction de leurs motivations par rapport à la comédie musicale ; cf. figure 1) qui accordent
des significations identiques aux thèmes suivants : la conception du métier d’artiste, les
motivations à l’égard des loisirs, de « Notre Dame de Paris », de la culture, les attitudes
envers la comédie musicale et l’organisation cognitive de l’individu.
L’analyse des motivations de chacun fait ressortir des similitudes entre les catégories
d’artistes et de spectateurs. La figure 1 répertorie ces différents groupes et propose leur mise
en parallèle en fonction de la signification accordée à la comédie musicale, de la conception
du métier d’artiste et du style de vie qu’ils partagent. Des paires sont ainsi obtenues.
Figure 1 – Les groupes d’artistes et de spectateurs
Artistes
Groupe 1
(Artistes n°1, 2, 5)
Créer et relever des
défis
Groupe 2
(Artistes n°3 et 7)
Prendre du plaisir,
satisfaire un besoin
Groupe 3
Partage d’émotions
et enrichissement
Groupe 1
Enrichissement et
détente
Groupe 2
Hédonisme, partage
d’émotions
Groupe 3
(Artistes n°4 et 9)
Ressentir et partager
des émotions
Groupe 4
(Artiste n°6)
Jouer
Groupe 5
(Artistes n°8, 10)
Vivre de sa
profession
Groupe 6
Amélioration des
connaissances et
hédonisme
Groupe 4
Epanouissement
Groupe 5
Divertissement
Spectateurs
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La deuxième étape du processus de recherche vise à l’identification de groupes d’artistes et de
spectateurs en fonction de leur réponse expérientielle. Elle a pour objectif de déterminer si les
groupes d’artistes et de spectateurs découverts lors de la première étape se retrouvent et sont
composés des mêmes individus lorsque est abordée la réponse expérientielle de chacun et, si
un échange exclusif s’établit entre les paires artistes-spectateurs mentionnées dans la figure 1.
► Résultats de la deuxième étape du processus de recherche relative à la réponse
expérientielle :
L’analyse, conduite indépendamment des résultats auparavant obtenus, aboutit au
dénombrement de cinq groupes d’artistes et de six groupes de spectateurs. Ceux-ci sont
respectivement constitués des mêmes individus que les cinq groupes d’interprètes et les six
groupes de spectateurs distingués lors de la première étape. Ainsi, il apparaît que les artistes et
les spectateurs animés de motivations similaires ont une réponse expérientielle semblable.
Les paires établies lors de la comparaison des résultats relatifs à la motivation (cf. figure 1) se
retrouvent naturellement lors de la comparaison des résultats relatifs à la réponse
expérientielle. De plus, cette seconde étape permet de mettre en évidence la réalisation d’un
échange exclusif lors de la représentation entre ces paires, soit entre groupes de spectateurs et
d’interprètes ayant des motivations similaires et une réponse expérientielle semblable.
La troisième étape, objet de cet article, va permettre de vérifier la constance de ces paires en
prenant en compte les sources de satisfaction de chacun. Elle sera l’occasion de vérifier la
pertinence du paradigme dominant de non-confirmation des attentes dans le domaine culturel
et de déterminer, le cas échéant, quelles sont les attentes du consommateur.
2. Paradigme de la disconfirmation
Les modèles visant à identifier et représenter le processus de formation de la satisfaction ont
été élaborés dès la fin des années 1970 (Oliver, 1980) et peuvent être regroupés dans une
structure commune qui a de nombreuses variantes : le paradigme de la disconfirmation. Celuici décrit la formation de la satisfaction comme un processus comparatif incluant quatre
construit principaux : les attentes formées par le consommateur antérieurement à l’achat et à
la consommation du produit ou service concerné, l’évaluation qui réside en un jugement sur la
performance du produit ou du service au cours de l’expérience de consommation, la
comparaison entre les attentes et les performances perçues qui va donner naissance à la
disconfirmation (positive ou négative) et enfin, la disconfirmation qui va générer l’évaluation
globale de la consommation (la disconfirmation positive génère la satisfaction).
Les attentes peuvent être spécifiques à une expérience de consommation particulière ou, il
peut s’agir, généralement, d’un standard de référence auquel l’expérience va être confrontée.
Ce standard fait l’objet de nombreuses controverses. Woodruff et al. (1991) avancent que les
principaux standards sont les attentes, les normes issues de l’expérience (« experience based
norms » de Woodruff, Cadotte et Jenkins ; 1983) et l’équité (théorie de l’équité implantée
dans le champ de la satisfaction des consommateurs par Oliver et Swan ; 1989a, 1989b).
Evrard (1993) dans une synthèse sur les standards de référence fait état de deux approches
moins répandues. La première est connue sous le nom de « desires-as-standard » (Olshavsky
et Spreng, 1989 ; Spreng et Olshavsky, 1992). Elle consiste à considérer que le consommateur
juge son expérience selon l’adéquation plus ou moins grande qu’elle présente par rapport aux
objectifs généraux qu’il poursuit au travers de cette consommation, à savoir, ses valeurs et ses
désirs. La deuxième propose, dans le cas de produits nouveaux, que le consommateur ait,
initialement, uniquement des attentes générales et abstraites qui évoluent et se complètent
dans un processus dynamique au cours même de l’expérience de consommation (McGill et
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Iacobucci, 1992). Le produit ou le service est alors comparé à ce que l’expérience aurait pu
être idéalement et les standards émergent à la suite de l’expérience.
Le recours à des processus multiples fondés sur divers standards est évidemment possible.
Dans le champ de la comédie musicale et plus largement dans le champ culturel, il s’avère des
plus intéressant de vérifier si la satisfaction résultant de l’expérience de consommation suit ce
paradigme et, notamment, d’examiner la nature des attentes formées par le consommateur.
L’approche de Olshavsky et Spreng est-elle pertinente ? Celle de McGill et Iacobucci sied-telle à la pratique culturelle ?
3. Questions de recherche
L’approche de la notion de satisfaction retenue lors de cette étude est celle de Hunt (1977), à
savoir, un jugement évaluatif portant sur une expérience résultant de processus cognitifs et
intégrant des éléments affectifs.
Afin de déterminer les objectifs généraux poursuivis par l’individu au travers de l’expérience
de consommation que constitue une représentation d’un spectacle, et ce, dans le but de
déterminer s’il juge l’expérience vécue selon l’adéquation plus ou moins grande qu’elle
présente par rapport à ses valeurs et ses désirs, la question Q1 (cf. figure 2) est établie. Celleci relative à l’attitude de l’individu à l’égard des spectacles de tous ordres, est des plus
intéressantes à poser aux artistes dans la mesure où elle nous renseigne sur leurs propres
attentes lorsqu’ils se trouvent en position de spectateur. Ces dernières sont susceptibles d’être
considérées, par chacun des interprètes, comme similaires à celles des personnes venant
assister au spectacle qu’ils donnent.
Cette question Q1 est, en toute logique, suivie des deux suivantes Q2 et Q3 (cf. figure 2) qui
nous permettent d’apprécier le ou les éléments primordiaux à la base de la satisfaction ou de
l’insatisfaction de l’individu. Notre étude portant sur une représentation de la comédie
musicale « Notre Dame de Paris », la question Q4 fait suite. Cette dernière sous-entend, dans
sa formulation, que l’individu (spectateur ou artiste) passe une bonne soirée à l’occasion de
cette séance. Cette approche est justifiée, d’une part, par le fait que ce spectacle est un succès
commercial et, par conséquent, qu’il est légitime de s’attendre à une majorité de spectateurs
satisfaits de leur expérience, d’autre part, par le fait qu’il existe une concurrence intense entre
artistes pour faire partie de cette troupe et donc que l’interprète sélectionné est supposé,
initialement, plutôt satisfait de son sort.
Figure 2 – Les questions de recherche relatives à la satisfaction
Q1. Comment choisissez-vous les spectacles que vous allez voir ?
Q2. Qu’est-ce qui vous fait dire après avoir assisté à une comédie musicale (ou à un spectacle) : « j’ai vraiment
passé une bonne soirée » ?
Q3. Qu’est-ce qui vous fait dire après avoir assisté à une comédie musicale (ou à un spectacle) : « je n’ai
vraiment pas passé une bonne soirée » ?
Q4. Pour les spectateurs : Qu’est-ce qui vous fait dire après avoir assisté à « Notre Dame de Paris » : « j’ai
vraiment passé une bonne soirée » ?
Pour les artistes : Qu’est-ce qui peut vous faire dire après avoir interprété votre rôle : « j’ai vraiment passé
une bonne soirée » ?
Q5. Qu’est-ce qui pourrait vous faire dire : « j’aurais passé une meilleure soirée si … » ?
Q6. Pour les spectateurs : Pensez-vous assister à une autre représentation de ce spectacle ?
Pour les artistes : Vous voyez-vous un jour faire partie d’une nouvelle troupe de « Notre Dame de Paris » ?
Q7. Pour les spectateurs : Quel(s) souvenir(s) vous laisse cette comédie musicale ?
Pour les artistes : Quel(s) souvenir(s) vous laissera cette comédie musicale ?
Q8. Selon vous, à quoi ou à qui est du le succès de cette comédie musicale ?
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Afin d’identifier l’existence d’un ou de plusieurs facteurs susceptibles de modérer la
satisfaction, sans pour autant être sources d’insatisfaction, suit la question Q5. Soulignons,
cependant, que ces questions ouvertes (Q4 et Q5) n’interdisent nullement à l’individu
d’exprimer son insatisfaction et les raisons de celle-ci.
Même si dans le domaine culturel, la satisfaction ne se manifeste pas, d’ordinaire, par un
rachat, nous jugeons opportun de poser la question Q6, eu égard au nombre relativement
important de spectateurs avec lesquels nous nous sommes entretenu, à l’issue de diverses
représentations et lors de la phase de test des questions, qui nous ont confié ne pas assister
pour la première fois à une représentation de ce spectacle. En ce qui concerne les artistes, leur
satisfaction est aussi susceptible de se manifester par une certaine forme de fidélisation au
spectacle. La question Q6 leur est ainsi soumise.
Toujours dans l’objectif de recueillir plus de précisions sur l’expérience vécue par chacun et
sur la satisfaction ou l’insatisfaction qui en résulte, la question Q7 vient en complément des
précédentes. De même, la question Q8 vient s’y adjoindre.
Cette étude se situe dans un contexte de découverte, le processus de recherche est de nature
qualitative et les données, tout comme celles relatives aux motivations et à la réponse
expérientielle des interprètes et du public, sont recueillies par entretien semi-directif auprès
des artistes et par questionnaire auprès des spectateurs et ce, lors d’une seule et même
représentation. La méthode de la « théorie enracinée » est utilisée pour analyser les réponses.
4. Résultats
L’analyse, conduite indépendamment des résultats auparavant obtenus, aboutit au
dénombrement de cinq groupes d’artistes et de six groupes de spectateurs. Ceux-ci sont
respectivement constitués des mêmes individus que les cinq groupes d’interprètes et les six
groupes de spectateurs distingués lors des deux premières étapes. Ainsi, il apparaît que les
artistes et les spectateurs animés de motivations similaires qui développent une réponse
expérientielle semblable sont satisfaits sous des conditions et dans des situations identiques.
L’ordre et la dénomination des groupes identifiés lors des étapes précédentes sont conservés.
4.1. Résultats des artistes
► Groupe 1 (artistes n°1, 2 et 5) – Créer, relever des défis
Pour les artistes de ce groupe, les objectifs généraux poursuivis au travers de l’expérience de
consommation que constitue le fait d’assister à une représentation d’un spectacle, sont de
deux ordres : la découverte de choses nouvelles et la connaissance plus approfondie d’une
œuvre. A noter que ceux-ci ne sont pas sans rappeler leurs motivations à l’égard de la culture,
plaisir, loisir qui permet, entre autres, de s’enrichir en s’ouvrant à de multiples choses.
Artiste n°2 : « […] c’est au théâtre que je prends plus de risques, que j’ai moins besoin de savoir de quoi il
s’agit, que j’ai juste envie d’aller voir des trucs pour découvrir des choses nouvelles […] théâtre et comédies
musicales, ben parce que j’en fais aussi donc j’essaie de voir ce que les autres font, ce que… c’est plus un
élément de curiosité ».
Artiste n°5 : « […] quand je découvre quelque chose j’essaie d’aller plus loin, de connaître plus que […] j’ai
envie de voir ce qu’il y a plus loin et ce qu’il y a derrière… ».
Spectateurs, ces artistes passent une bonne soirée lorsqu’ils arrivent à ne pas se positionner en
tant que critique. Il est donc concevable de penser que ces professionnels se retrouvent dans
cette situation uniquement lorsque le spectacle s’avère de qualité.
Artiste n°2 : « L’essentiel de mes bonnes soirées, cela se résume à un truc[…] j’oublie que je suis en train de
regarder un théâtre ou un film ou… si j’ai tendance à remarquer des trucs comme si j’étais de l’intérieur, pour
moi c’est raté… euh, un film, si je me mets à analyser les plans de coupe qui font qu’il y en a un qui avait pas le
bras droit là et qu’après c’est l’autre… c’est raté… je vais avoir peine à rentrer dans le truc alors… et c’est
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peut-être cela que l’on peut appeler le spectateur professionnel qui… qui a l’esprit critique… la bonne soirée
c’est quand j’oublie complètement que je suis au cinéma, au théâtre ou… et que je n’ai pas l’esprit critique ».
Les conditions qu’ils avancent pour passer une bonne soirée en exerçant leur métier
dépendent à la fois de leur santé, de leurs collègues sur scène et du public. Les déclarations
des artistes de ce groupe permettent donc de vérifier la pertinence de la prise en considération
d’un quatrième type d’interaction supposé avoir lieu lors d’une manifestation culturelle : celle
entre l’artiste et les autres interprètes qui a, effectivement, un impact sur, en l’occurrence, la
satisfaction éprouvée par l’artiste (rappelons que les trois types d’interactions recensées dans
la littérature sont : celle entre le spectateur et l’artiste, celle entre le spectateur et les personnes
qui l’accompagnent et celle entre le spectateur et les autres personnes présentes sur le lieu de
la manifestation).
Artiste n°1 : « […] cela se sent dès le début, c’est-à-dire dès qu’on est dedans on sent si on y est ou pas quoi,
[…] vous sentez d’entrée si vous êtes dans le personnage, c’est tellement difficile … en même temps vocalement
c’est tellement technique je dirais qu’il faut que l’on soit de piste d’entrée de jeu dedans […] si on n’est pas top
au début ce n’est pas la peine. Donc en général, une bonne soirée, c’est quand les choses vont bien, on sent qu’il
y a une énergie qui se passe, une interaction avec les autres aussi, que ça se passe bien, qu’il y ait un échange,
euh, quand le public aussi répond bien… il y a plein de choses qui entrent en compte, c’est vrai que… c’est une
question d’énergie… positive ou négative ».
Ils attribuent le succès de ce spectacle dont ils gardent le souvenir d’un grand
professionnalisme et d’un grand plaisir relationnel, à sa qualité (talent et travail des auteurs et,
par la suite, des artistes), propriété qu’ils exigent, en tant que spectateurs, pour passer une
bonne soirée.
Artiste n°1 : « […] Un souvenir… un souvenir de grand professionnalisme parce qu’on est obligé d’être très
compétents […] c’est un grand plaisir, c’est un grand… de grandes difficultés à surmonter […] il y a des choses
très difficiles techniquement à la fois […]c’est beaucoup d’exigence… un grand plaisir vocal et physique et
l’exigence… mais un grand plaisir quand même parce que la troupe… on s’entend très bien les uns, les autres ».
« Le succès, c’est du à, bon déjà, à l’œuvre originale de Victor Hugo qui est superbe […] je pense qu’il y a deux
choses, le fait d’avoir vraiment fait une trame qui se tient et qui est homogène malgré tout pour les chansons
[…]et la diversité des interprètes, des voix, des personnages… ils ont su dès le départ trouver des personnalités,
des voix vraiment toutes différentes les unes des autres […] c’est une succession de talents des créateurs, des
interprètes, etc. …et les gens ont été séduit par cela, voilà ».
► Groupe 2 (artistes n°3 et 7) – Prendre du plaisir, satisfaire un besoin
Qu’ils se positionnent en tant qu’interprètes ou en tant que spectateurs, les conditions dans
lesquelles ces artistes passent une bonne soirée sont semblables : artistes et spectateurs
doivent ressentir des émotions et vivre ensemble intensément le spectacle.
Interprètes, ceci n’est permis que si tous les membres de la troupe sont en mesure
(physiquement et moralement) de le faire, ce qui souligne, une fois encore, l’importance de
l’interaction entre l’artiste et ses collègues. Dans ce cas particulier, cette interaction est des
plus intenses, la totalité des artistes de cette troupe ne formant plus qu’un sur scène (si un seul
des sept interprètes n’a pas la santé physique ou morale, alors la soirée n’est pas à son
apogée). Pour eux, la troupe est devenue une authentique « famille » (Artiste n°3).
Ces conditions de réalisation d’une bonne soirée peuvent être mises en parallèle avec les
motivations de ces artistes qui sont centrées sur le moi et sur le public.
Artiste n°3 : « Une bonne soirée […] ben c’est magique, c’est quand le public, nous tous les acteurs et chanteurs
on est ensemble, on a les mêmes énergies, là ça fait le feu, mais nous on peut être très bien et le public peut-être
un peu mou, c’est… c’est dommage, c’est-à-dire que cela ne fait pas un bon spectacle, le public peut-être super
et nous on est pas génial, c’est, c’est pas… c’est vraiment une conjonction de plein de choses différentes qui fait
qu’il y a un bon spectacle et que l’on se sent vidés de toutes les émotions que l’on a donné et ça c’est, c’est
merveilleux, il n’y a pas de prix à cela. Il faut les deux, il faut que l’on se sente bien et que le public réagisse
bien… il faut les deux, il faut que nous on soit bien aussi […] quand il y a en quatre qui sont bien et trois qui
sont un peu malades, ou qui sont… et bien tout ça, c’est ça la vie de groupe, et c’est formidable quand on est
tous ensemble, c’est mille fois mieux que d’être seul, c’est vrai hein ?… non, c’est-à-dire de chanter en solo…
cela donne beaucoup plus de satisfaction d’être en groupe ».
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Le succès de ce spectacle est attribué au travail et au talent de l’auteur, du compositeur et de
tous ceux qui ont participé à ce dernier, qui, ensemble, ont su créer et faire vivre une œuvre
unique et magique. Ce succès relève donc de l’association de l’ensemble des personnes qui se
sont investies dans cette comédie musicale, de la réunion du travail de chacun des
participants. C’est le résultat d’un travail de groupe, d’un travail de troupe.
Artiste n°7 : « Le succès de cette comédie est du, je pense à un énorme travail (rires)... un énorme travail et puis
du talent au niveau de la composition et des paroles... les créateurs déjà, je pense que cela a lancé le truc… deux
personnes bourrées de talent qui ont ensemble créé quelque chose d’unique, de magique… il n’y a pas cette
magie dans les autres créations du moment, elles sont bien, mais il n’y a pas cette magie, c’est quelque chose
d’unique en son genre… et après tous ceux qui vont entretenir et là c'est un travail de chacun voilà, un travail
individuel qui fait que tous ensemble cela donne quelque chose de bien ».
► Groupe 3 (artistes n°4 et 9) – Ressentir et partager des émotions
Pour passer une bonne soirée en exerçant leur métier, il faut que ces artistes aient la sensation
d’avoir rempli leur mission : rendre les gens heureux en leur transmettant de multiples
émotions et leur faire passer le message inhérent à leur rôle.
Artiste n°4 : « Une bonne soirée… alors ça c'est la sensation d'avoir fait... euh, d'avoir rempli sa mission. Parce
que moi je, bon, je ne sais pas cela peut paraître un peu euh... naïf de dire cela mais moi je me sens investi d'une
mission, je me sens investi d'une mission qui est laquelle?... c'est de rendre les gens heureux pendant 2H30...
euh, de leur faire passer quel est le... enfin de leur faire passer le message de cette pièce hein, parce qu'il y a un
message quand même, euh... de leur faire passer ces instants de bonheur parce qu'il y a des moments de bonheur
parce qu'on s'évade on est là, on rêve euh... et puis aussi quand Clopin il est... il veut défendre les sans-papier,
les emporter avec lui dans cette espèce de lutte sociale, ben si c'est perçu cela fait tilt dans la tête des gens...
pour moi, j'ai passé... bon, bien sur si le public réagit bien aussi hein, moi j'ai passé une bonne soirée euh... et le
but c'est quand le rideau démarre c'est de faire monter la pression jusqu'à la fin, jusqu'à ce quand il tombe on
est, on a un public qui soit enthousiaste et qui se lève et qui sait... qui nous remercie d'avoir passé ce moment
ensemble ».
Le public et ce qu’eux-mêmes ressentent sont donc capitaux. Cette conclusion n’est pas sans
rappeler leur double motivation, orientée vers soi et vers le public, pour exercer ce métier.
Les émotions, l’affect et les cinq sens occupent une place primordiale chez ces interprètes : de
cette comédie musicale, ils garderont des souvenirs d’ordre affectif et sensuel ; ils désirent
rester membre de la troupe de cette comédie musicale tant que cette dernière leur offrira
l’opportunité de ressentir et partager des émotions.
Artiste n°4 : « […] l'occasion d'avoir rencontré Jérôme Collet, euh... Jérôme Collet, Quasimodo quand je l'ai
rencontré je me suis dit... non, non... oui j'ai rencontré Jérôme Collet, j'ai rencontré Patrick Fiori euh... euh...
non, c'est vrai que cela a été un moment de rencontres... […] on a la chance de vivre un Notre Dame de Paris
euh qui au bout de 4 ans euh, euh fait vibrer encore des cœurs et pour moi, c'est le plus beau euh... le plus beau
des voyages et je n’ai pas envie qu'il s'arrête ».
Les auteurs et le compositeur de cette comédie musicale ont créé une œuvre non reproductible
qui est magique, ce qui explique son succès éclatant, ainsi que celui des interprètes originaux.
Il n’y a pas d’explication rationnelle à ce succès, le seul élément explicatif tangible, mais non
suffisant, étant le talent des auteurs, du compositeur et des chanteurs de la première troupe.
Artiste n°4 : « […] le succès est du à une œuvre fondamentale qui est l'œuvre de Victor Hugo mais dans son
ensemble, pas seulement à travers Notre Dame […] le succès est du à un auteur magnifique, magistral et ensuite
à un parolier hors pair et un compositeur magnifique... et surtout la magie des deux, ils ne referont pas, ils ne
referont jamais un Notre Dame de Paris comme cela jamais, jamais, là il y a une magie et en plus il y a une
alchimie qui a pris au-delà d'eux mêmes, c'est malgré eux, malgré eux […] il y a une véritable magie ».
► Groupe 4 (artiste n°6) – Jouer
La première étape du processus de recherche indique que les motivations de cet artiste sont
exclusivement orientées vers lui-même. Ici, nous observons que ce chanteur passe une bonne
soirée, en interprétant un rôle, lorsqu’il demeure un enfant à s’amuser, ce qui confirme
l’orientation de ses motivations.
Session 5 - 80
Artiste n°6 : « Je passe une bonne soirée si, sur scène, je suis tel un gosse qui s’amuse […] il faut être en forme,
si on n’est pas en forme, c’est sur qu’on se dit ben, je ne vais pas pouvoir m’amuser, je ne vais pas faire une
bonne soirée, je ne vais pas faire une bonne interprétation ».
Dans la peau d’un spectateur, sa soirée s’avère agréable si les artistes en scène s’amusent tels
des enfants et, ainsi, qu’ils l’emmènent dans leurs délires, le font rêver. Dès lors, passer une
bonne soirée en tant qu’interprète ou spectateur n’est réalisable que sous cette seule et unique
condition : l’artiste sur scène est un enfant et s’amuse.
Selon lui, le succès de cette comédie musicale tient incontestablement au talent des auteurs et
du compositeur.
Artiste n°6 : « […] incontestablement, c’est (le succès) la curiosité pour Luc Plamondon, parce qu’il est
tellement un auteur à succès, puis en premier c’est l’œuvre de Victor Hugo bien sûr qui n’avait jamais été faite
en comédie musicale mais qu’en film, en comédie musicale, c’est la première fois… et la qualité d’écriture des
musiques de Richard Cocciante, ce côté latin, italien, d’écrire un peu à la bel canto, c’est pour cela qu’il y a
tellement de belles mélodies et que cela prenait des voix pour chanter ».
► Groupe 5 (artistes n°8 et 10) – Vivre de sa profession
Passer une bonne soirée ne relève pas, pour ces artistes, des mêmes conditions si, lors de la
séance, ils sont spectateurs ou interprètes. Spectateurs, les idées émises dans le spectacle
doivent être conformes aux leurs et il est nécessaire qu’ils ressentent des émotions.
Artiste n°8 : « […] je choisi les spectacles que je vais voir par rapport à ce que je ressens… si je sens que c’est
un spectacle qui va me plaire, c’est comme pour les humoristes, c’est comme pour tout, on sent, s’il vous fait rire
vous allez le voir, bon maintenant si vous trouvez qu’il a un humour qui ne va pas forcément dans votre sens, là
vous n’irez pas donc je pense que tout est au feeling, voilà, c’est au feeling, tout dépend comment nous on
perçoit la chose et comment on la ressent […] une bonne soirée ?… si cela me prend, si je sens que je suis
vraiment transporté et puis, si j’ai eu, voilà, ne serait-ce qu’une fois ou deux dans le spectacle, j’ai eu un petit
frisson, la chair de poule, ça veut dire que là je… oui, je pourrai dire que j’ai passé une bonne soirée, oui j’ai
passé une bonne soirée… par contre, si je ne ressens rien… ou si je ressens quelque chose mais des choses
négatives, si je suis énervé parce que… prenons l’exemple d’un one-man-show, si je ne pense pas la même chose
que le comédien, si certains de ses textes m’ont pas fait rire et m’ont même agacé parce que je ne partage pas
ses idées alors là, je n’aurai pas passé une bonne soirée, non ».
Interprètes, il est, pour eux, primordial de satisfaire leurs pairs (accessoirement le public) avec
la réalisation d’une belle prestation, hantés qu’ils sont par la contrainte alimentaire, par leur
durée dans le champ artistique (la façon de considérer cette comédie musicale, « un tremplin
professionnel » (artiste n°8), vient d’ailleurs confirmer cette obsession). Cette divergence
trouve donc son origine dans la primauté qu’ils accordent, lorsqu’ils sont sur les planches, à
l’avis émis, à leur égard, par leurs pairs. Cependant, une prestation est dite réussie s’ils
parviennent à faire ce qu’ils avaient envie de faire et bien, soit s’ils chantent bien, dansent
bien, jouent bien leur rôle et transmettent des émotions au public. Ainsi, une telle prestation
serait de nature à satisfaire les spectateurs en quête d’émotions qu’ils sont.
Artiste n°10 : « […] on est là pour défendre son beefsteak, donc euh… enfin quand je dis défendre mon
beefsteak, c’est que c’est vrai que si on réussit plutôt bien ce que l’on a à faire, et que l’on est au mieux, content
de nous, on est beaucoup plus ouvert à ce qui se passe chez les autres parce que c’est vrai que c’est important
aussi... si on a passé une mauvaise journée parce qu’on trouve que l’on a mal chanté on est moins, moins, apte à
voir si vraiment les autres ont bien chanté ou pas, c’est égoïste mais à la fois c’est naturel. Donc euh… vraiment
ouais, ouais déjà, c’est vraiment au départ si j’ai réussi à faire ce que j’avais envie de faire et bien ».
Artiste n°8 : « […] le show que j’aurai fait, comment je me serais senti durant le premier et le deuxième acte. Je
pense que c’est là que je vais dire j’ai passé une bonne soirée… si j’ai fais un bon show, je sens une satisfaction
personnelle et je vais dire oui, j’ai passé… et puis, il y a aussi le public, le public il est très enthousiaste, il est
très… vu qu’il y a énormément d’engouement pour le spectacle, bon là je vais dire que oui, j’ai passé vraiment
une très bonne soirée ».
Quant au succès de ce spectacle, il résulte, selon eux, d’un ensemble d’éléments rationnels.
Artiste n°10 : « Le succès de NDP… eh bien pour moi, c’est un Richard Cocciante et Luc Plamondon, je pense
que c’est les deux choses… ce sont les pièces maîtresses de NDP […]et puis, bien sûr, Gilles Maheu quand
même puisqu’il y a la mise en scène, sans la mise en scène cela ne serait plus un spectacle, ce ne serait plus un
show, cela serait carrément un concert, un concert vivant (rires). Donc je pense que c’est quand même à eux
avant tout, ce sont des mélodies, ce sont des textes… je pense que c’est cela qui plait. Et puis après, viennent
Session 5 - 81
aussi les personnages qui ont pu interpréter ça d’une manière aussi fabuleuse. Et puis, en dernier, tout le reste,
la promotion… plein de choses ».
Ces résultats permettent de relever que, quel que soit le groupe auquel il appartient,
l’interprète, en qualité de spectateur, attend que le ou les artistes sur scène soient à son image,
c’est-à-dire, qu’ils poursuivent des objectifs identiques. Par exemple, les artistes du groupe
n°1 passent une bonne soirée s’ils s’immergent dans l’histoire et ceci n’est concevable que si
la prestation est de qualité. Or, l’objectif majeur de ces artistes est de dévoiler son talent sur
scène, d’offrir un spectacle de qualité. Ceux du groupe n°2 passent une bonne soirée si artistes
et spectateurs ressentent des émotions et vivent ensemble intensément le spectacle. Or,
ressentir et donner un maximum d’émotions est leur objectif suprême en tant qu’artiste. Pour
résumer, en tant que spectateurs, ils attendent des artistes sur scène, ce qu’eux offrent en tant
qu’interprètes.
Contrairement à ce qui sera le cas avec les spectateurs, il s’avère impossible de juger, ici et
dès à présent, de la pertinence du modèle de non-confirmation des attentes. Les questions
relatives à cette étape du processus de recherche sont, en effet, posées aux artistes avant la
séance du quatorze mai deux mil deux à Chalon-sur-Saône. Dès lors, la pertinence de ce
modèle ne peut être appréciée qu’à l’issue de cette représentation où est adressée, aux artistes,
la question suivante : « Avez-vous passé une bonne soirée ? ».
Seuls sept artistes sont présents sur scène lors d’une représentation de cette comédie musicale.
C’est ainsi qu’à Chalon-sur-Saône, les artistes n°9, 8 et 10 se trouvent écartés de cette
question (et, par conséquent, le groupe n°5 des artistes).
L’analyse des réponses à cette question, menée de manière analogue aux analyses
précédentes, conduit à l’identification de quatre groupes d’artistes constitués, encore une fois,
des mêmes interprètes que les groupes distingués lors des étapes précédentes.
► Les artistes (n°1, 2 et 5) du groupe 1 « Créer, relever des défis » déclarent être très
satisfaits de leur soirée. La conjonction de divers motifs est, à ce propos, invoquée : la
réalisation d’un échange entre interprètes, source d’énergie, ainsi que la présence d’un public
réceptif, communicatif, en quête d’échanges avec les artistes.
Artiste n°5 : « J’ai trouvé la salle très réceptive, à chaque chanson et, en plus, on avait un peu plus de public
dans les oreilles et ouais, c’était vachement chaleureux le retour, la fin là, c’était génial… les gens qui
applaudissent et qui sont debout tout de suite, ouais, c’est extra quoi !… et puis, c’était très homogène sur scène,
il y avait une belle énergie, un bon esprit d’équipe ».
► Les artistes (n°3 et 7) du groupe 2 « Prendre du plaisir, satisfaire un besoin » affirment être
très satisfaits de leur soirée. Celle-ci est qualifiée de magique : les spectateurs et les divers
artistes membres de la troupe étaient animés d’une même énergie, ils ont vécu ensemble
intensément tout le spectacle, ont ressenti, à l’unisson, des émotions.
Artiste n°3 : « […] c’était magique, sur scène, on était vraiment ensemble, on avait tous une superbe énergie et
puis, le public, alors là, vraiment super, du début à la fin… il réagissait bien, très, très bien, tout le temps
[…]c’était une soirée magique… c’est rare[…]sur scène ou dans la salle, on était tous ensemble, on avait les
mêmes énergies, on ressentait les mêmes émotions […]lorsque j’ai chanté « l’Ave Maria », à un moment, j’ai
senti que comme moi, le public vivait intensément ce moment et les larmes me sont venues… c’est des moments
comme ça qui sont magiques, on partage des émotions, on vit tous ensemble ce moment, voilà ».
► L’artiste (n°4) du groupe 3 « Ressentir et partager des émotions » estime être pleinement
satisfait de sa soirée dans la mesure où il éprouve la sensation d’avoir donné aux spectateurs
des moments de bonheur et d’émotions, ainsi que celle d’avoir pu leur transmettre les
messages inhérents à cette œuvre.
Artiste n°4 : « Géniale, superbe, super public euh… ah, ouais, ils étaient… dès le début on a senti que c’était…,
je ne sais pas, vous avez vu, vous vous en êtes rendu compte… oui, oui… ah, ouais, ouais, franchement génial,
on est tous contents, c’était chaud… le public était attentif, ça se sentait… je pense, j’ai la sensation qu’ils ont
Session 5 - 82
été attentifs à chaque message qu’on pouvait leur faire passer, et puis… ils réagissaient… j’ai la sensation qu’ils
ont été heureux, qu’ils ont vibré… qu’ils ont apprécié… à la fin, et pendant tout le spectacle, ils étaient
enthousiastes et, à la fin, ils se sont immédiatement levés et nous ont applaudis pendant longtemps, chaudement,
pour nous remercier d’avoir passé ce moment…superbe soirée ! ».
► L’artiste (n°6) du groupe 4 « Jouer » déclare avoir passé une bonne soirée, être satisfait de
celle-ci dans la mesure où il s’est amusé sur scène et où ses collègues ont fait de même, ce qui
a permis la réalisation d’interactions entre eux. Ainsi, le public a pu rêver, s’évader de la
réalité en assistant à leur jeu.
Artiste n°6 : « J’ai passé une bonne soirée parce que je me suis amusé… toute la soirée j’ai été un enfant qui
s’est amusé, qui jouait et qui… qui prenait du plaisir. Ce soir, en plus, les autres aussi avaient cette âme
d’enfant, ils ont joué, ils se sont amusés, ils ne se sont pas regardés jouer et ils ne sont pas venus là, non plus,
pour pointer comme au chômage […] j’ai été nourri par les autres, j’ai eu une complicité avec eux, et au niveau
du regard et de l’intensité… des fois, il ne se passe rien. Et ce soir, ça a marché, ils étaient là pour jouer avec
moi… et les spectateurs ont senti cela, et grâce à cela, ils ont rêvé, on a réussi à les emmener ailleurs ».
Tous les interprètes, au vu, notamment, des termes qu’ils emploient (par exemple : « ça a été
superbe », « c’était génial », « c’était magique »), sont satisfaits de leur représentation. Il
apparaît ici clairement que les attentes, premier construit du paradigme de la disconfirmation,
sont fondées, d’une part, sur l’expérience (celle de leurs prestations antérieures au sein de
cette troupe : « c’était une soirée magique… c’est rare, c’est loin d’être tout le temps comme
ça », artiste n°3) et, d’autre part, sur les objectifs généraux poursuivis (notamment, à travers
la participation à ce spectacle), à savoir, les désirs et les valeurs de l’artiste. Par exemple, les
artistes du groupe n°1 visent, en toutes circonstances, la réalisation d’une performance dans
l’interprétation (ce, notamment, pour leur propre satisfaction), la reconnaissance de leurs pairs
et du public. Leurs motivations professionnelles sont donc orientées vers eux-mêmes, vers
leurs pairs et vers le public. Nous avons pu établir, dans la première étape du processus de
recherche, que celles-ci correspondent à un style de vie. Ils déclarent, au sein de cette troupe,
passer une bonne soirée, si plusieurs conditions sont réunies : c’est une question de forme
physique et morale, d’énergie qui se transmet par le biais d’interactions entre artistes,
d’échange entre public et interprètes. Associées, celles-ci leur permettent de réaliser une
performance et ainsi de satisfaire leurs désirs, les objectifs généraux qu’ils poursuivent.
4.2. Résultats des spectateurs
► Groupe 1 - Enrichissement et détente
Pour se rendre à un spectacle, ces spectateurs ne privilégient pas de source d’informations
spécifique, ils cherchent à découvrir des choses nouvelles : « Cela peut-être en fonction des
avis entendus à gauche, à droite, des critiques TV, radio, etc.… il suffit qu’ils éveillent en moi
une certaine curiosité » (sujet n°31). Qualité du spectacle, talent des artistes et échanges du
public avec ces derniers sont les critères déterminants d’une soirée appréciée.
Sujet n°40 : « Je passe une bonne soirée quand je suis passionnée du début à la fin, quand je souhaite que le
spectacle continue. Je ressens cela pour des spectacles de qualité, avec des artistes dignes de ce nom, qui sont
de véritables professionnels et qui échangent avec le public pendant toute la représentation ».
L’argument de qualité est avancé pour justifier la bonne soirée passée en assistant à ce
spectacle. Cette qualité est celle de la comédie musicale elle-même (histoire, décors, mise en
scène) et celle de cette représentation en particulier (artistes de talent, dynamiques, créateurs
d’une ambiance enjouée sur scène et initiateurs de sa propagation dans la salle). A noter, une
nouvelle fois, la pertinence de la prise en considération de l’interaction entre l’artiste et ses
collègues sur scène qui apparaît, ici, telle une source de qualité de la représentation et, ainsi,
une des causes de satisfaction du spectateur.
Session 5 - 83
Sujet n°31 : « La qualité du spectacle me permet de dire que j’ai passé une bonne soirée. Tout était réuni : le
sujet, des décors somptueux, de très belles voix, des artistes enjoués qui savent transmettre leur gaieté au public
et la dynamique d’ensemble ».
De cette œuvre, ils gardent un souvenir merveilleux, celui d’un grand spectacle de qualité
avec une troupe excellente qui donne, entre autres, un parfum de jeunesse à l’œuvre originale
de Victor Hugo. Ils ne désirent pas renouveler cette expérience dans l’immédiat mais
envisagent, si l’occasion se présente, d’assister à une autre représentation dans quelques
années. Ils allouent une grande part du succès de cette comédie musicale à la médiatisation
dont elle a fait l’objet. Mais, ils reconnaissent que ce dernier est mérité et qu’il ne serait pas
sans le travail et le talent de tous les artistes qui ont participé à la création ou qui ont fait vivre
par la suite ce spectacle (mention spéciale aux chanteurs qui ont assuré sa promotion).
Sujet n°40 : « […] le souvenir d’un spectacle de grande qualité, avec des artistes de talent » ; « Je ne pense pas
assister à une autre représentation, pas dans l’immédiat, mais peut-être dans quelques années » ; « Le succès
n’aurait pas eu lieu sans la médiatisation, mais il peut y avoir médiatisation pour un spectacle sans intérêt, de
mauvaise qualité. Le succès est donc du aux créateurs au départ, puis au travail de chacun des artistes, ceux qui
ont fait la promotion et ceux qui travaillent encore aujourd’hui sur ce spectacle ».
► Groupe 2 : Hédonisme, partage d’émotions
Ces spectateurs indiquent choisir les spectacles qu’ils vont voir en fonction de leur goût, ils
affirment ne privilégier aucune source d’informations pour effectuer leur sélection.
Quelle que soit la représentation, s’ils ont la sensation de ne pas voir passer le temps, s’ils
sont en symbiose avec les acteurs, s’ils ressentent et partagent avec eux des émotions de façon
à éprouver un sentiment de bien-être, de bonheur à la sortie, alors ils sont forts satisfaits de
leur soirée.
Sujet n°22 : « J’ai vraiment passé une bonne soirée quand je n’ai pas vu le temps passer, quand je sens qu’il se
passe quelque chose à l’intérieur de moi : de l’émotion que je partage avec les artistes et là après je suis
remontée pour un moment, je me sens bien ».
Ils apprécient grandement l’ensemble de cette œuvre musicale, qu’il s’agisse des chansons, de
la mise en scène ou encore des chorégraphies (sujet n°67 : « … tout était exquis, fabuleux,
magique »). Ils soulignent avoir passé une bonne soirée en raison de la qualité de la prestation
des chanteurs et des danseurs, et, de leur forte motivation qui leur ont permis de ressentir
pleinement toute l’émotion qui se dégage de ce spectacle.
Sujet n°22 : « J’ai vraiment passé une bonne soirée à cause de l’émotion qui se dégage du spectacle grâce à la
qualité de l’interprétation musicale et la force que donnent les chanteurs et les danseurs au spectacle ».
De cette soirée, ils gardent des souvenirs affectifs : « … souvenir d’une bonne soirée, pleine
d’émotions et de féerie… » (sujet n°14), « … c’était comme un conte de fée, quand j’y pense,
je pleure » (sujet n°16). Ils désirent renouveler cette expérience. Par peur de ne pas ressentir
la même chose et par conséquent d’être déçue, une minorité préfère rester sur une bonne
impression et assister à une autre représentation de ce spectacle plus tard, lorsque le temps
aura quelque peu effacé la présente de leur mémoire.
Le succès de cette comédie musicale à l’histoire émouvante et universelle est unanimement
attribué à toutes les personnes qui ont ardemment travaillé à la réalisation de cette œuvre
(sujet n°35 : « Succès de tout le monde, du moins connu au plus connu… »). Ces spectateurs
décernent une mention spéciale aux interprètes pour leur talent, leur professionnalisme, leur
esprit d’équipe et de partage, qualités qui ont grandement contribué à cette réussite.
Sujet n°32 : « Le succès est du aux auteurs en premier, qui ont su résumer le drame dans les différents tableaux
qui se sont succédés ; à l’ensemble des artistes, qui révèlent un esprit d’équipe, de partage, formidable ; tous les
artistes (chanteurs, danseurs, acrobates…) ont merveilleusement interprété leur rôle ».
► Groupe 3 : Partage d’émotions et enrichissement
Les spectateurs de ce groupe indiquent sélectionner les spectacles auxquels ils vont assister en
raison des artistes qui l’interprètent et des émotions qu’ils ressentent en voyant, en écoutant
des extraits dans les médias.
Session 5 - 84
Qualité du spectacle, talent des artistes, bonne ambiance et sensation de partager tous
ensemble un moment de détente et d’émotion sont les déterminants d’une soirée appréciée
quelle que soit la représentation en question.
Sujet n°1 : « Principalement l’ambiance, le plaisir d’avoir passé un agréable moment, partagé avec d’autres et,
bien sûr, la qualité du spectacle et le talent des artistes me conduisent à penser j’ai vraiment passé une bonne
soirée ».
Ces spectateurs soulignent avoir passé une bonne soirée en raison de la réunion des trois
facteurs suivants : la qualité du spectacle en lui-même (personnages forts, pas de temps mort,
qualité des musiques) et celle de cette représentation en particulier (chanteurs, danseurs et
acrobates de talent), l’émotion qu’ils ont pu ressentir du début à la fin, la bonne ambiance et
l’osmose sensibles entre comédiens et public.
Sujet n°2 : « (Qu’est-ce qui vous fait dire après avoir assisté à NDP : « j’ai vraiment passé une bonne soirée ?) …
la qualité du spectacle (pas de temps mort, pas d’ennui, une belle musique, de belles voix, de belles
interprétations, de bons danseurs), une bonne ambiance entre spectateurs, entre artistes, entre artistes et
spectateurs (une belle osmose !), l’émotion était là ».
De cette soirée, ils gardent le souvenir « d’une communion entre spectateurs et comédiens »
(sujet n°2), d’un moment magique où chacun a éprouvé une sensation de bien-être.
Sujet n°10 : « C’était un moment magique. Nous étions dans un autre monde. Nous étions bien, en parfaite union
avec les artistes ».
Ils désirent, dans quelques temps, renouveler cette expérience tant ils ont apprécié la qualité
de ce qui leur a été présenté et cette nouvelle sensation de plaisir.
Selon ces spectateurs, le succès de cette comédie musicale est le résultat de créateurs de talent
qui ont su s’entourer d’une troupe performante d’une grande qualité vocale et artistique. La
médiatisation de ce spectacle a contribué à sa réussite mais n’est évidemment pas une
condition suffisante.
Sujet n°29 : « Le succès de cette comédie est du à ses créateurs au talent incontesté, à sa mise en scène
fantastique avec des décors simples mais magnifiques, à son organisation et à une troupe très performante. Un
petit peu, peut-être aussi, à la médiatisation du début ».
► Groupe 4 – Epanouissement
Pour les spectateurs de ce groupe, leur emploi du temps constitue fréquemment une contrainte
pour se rendre au spectacle. Dès lors, ils s’orientent vers des représentations artistiques qu’ils
sont quasiment sûrs d’apprécier.
Sujet n°12 : « Je choisis les spectacles que je vais voir par coup de cœur pour des artistes, le plus souvent, mais
également selon mon emploi du temps. Je ne me laisse pas facilement influencer par les autres, sauf
exceptionnellement lorsque les avis sont positifs à 100% ».
Quel que soit le spectacle, ils sont satisfaits de leur soirée si celle-ci s’avère magique, c’est-àdire s’ils rentrent pleinement dans l’histoire, sont déconnectés de la réalité et transportés dans
un autre monde et, si tous leurs sens sont sollicités.
Sujet n°12 : « J’ai vraiment passé une bonne soirée quand je retrouve mon âme d’enfant ! de la musique plein
les oreilles… les yeux éblouis par le spectacle. Bref ! une soirée d’émotions, de rêve ».
Assister à ce spectacle captivant leur a fait passer une bonne soirée. Ils ont été émerveillés,
ont ressenti du bonheur et eu l’intime conviction de partager ce moment privilégié, ces
diverses émotions avec les artistes et le reste du public.
Sujet n°12 : « C’est un spectacle complet, « explosif », sans un moment de répit… TOUT me fait dire j’ai
vraiment passé une bonne soirée. Le fait d’être là au milieu de la foule et de partager un moment privilégié avec
tout le monde, avec les artistes et tous les autres spectateurs ».
Vivre et partager cet instant en présence d’un plus grand nombre de personnes est le seul
élément qui leur paraît possible d’invoquer afin que cette soirée puisse être qualifiée de
meilleure encore. Exemples : j’aurais passé une meilleure soirée si « les gens sans ressources
avaient pu assister à cette soirée » (sujet n°69), si « mon copain avait été près de moi » (sujet
n°73), si « tous ceux qui travaillent en coulisses étaient venus sur scène pour leur rendre
hommage car il ne faut pas oublier qu’ils font un travail énorme » (sujet n°45).
Session 5 - 85
De cette soirée qualifiée d’inoubliable, ils gardent des souvenirs d’ordre sensuel et affectif. A
la question « quel(s) souvenir(s) vous laisse cette comédie musicale ? », voici quelques
réponses : « une soirée éblouissante et émouvante » (sujet n°53), « une béatitude et une image
intense de chaque personnage » (sujet n° 69), « inoubliable, très, très fort en émotions »
(sujet n°8), « des yeux pleins de larmes. Je n’ai jamais autant applaudi » (sujet n°73).
Ils ne désirent pas renouveler cette expérience par peur de ne plus être émerveillés (sujet
n°45 : « Non, je n’assisterai pas à une autre représentation parce qu’il n’y aura plus d’effet
de surprise »). Une hésitation des plus vives est de mise pour une minorité qui souhaiterait se
laisser à nouveau entraîner par l’histoire et ressentir les mêmes émotions (mais sans aucune
certitude quant à la réalisation de ce désir).
Le succès de cette œuvre musicale résulte du savoir-faire et du talent de ses créateurs et
interprètes. Mais, l’élément décisif est la magie née de l’association de chaque personne qui a
travaillé à la réalisation et à la production de ce spectacle. Le résultat est féerique, il émeut, il
donne une impression de proximité et de rêve et répond ainsi au besoin d’identification et de
rêve inhérent à l’être humain.
Sujet n°12 : « Le succès de cette comédie est du à une alchimie merveilleuse : bonne histoire, bonne musique,
textes impeccables, voix magnifiques, quant aux danseurs ! ce sont vraiment de grands pros, bonne mise en
scène aussi (j’ai adoré les différents tableaux). Cette mise en scène moderne et féerique, tout cela, donne aux
spectateurs une impression contradictoire de proximité mais aussi de rêve…».
► Groupe 5 – Divertissement
Ces spectateurs choisissent les spectacles musicaux auxquels ils se rendent en fonction de la
musique qu’ils ont pu ouïr auparavant selon diverses voies, parfois en fonction de ou des
artistes interprètes. Quel que soit le spectacle, s’ils admirent les artistes, s’ils participent
activement à la soirée et vivent pleinement (jusqu’à s’oublier) l’histoire mise en scène grâce
au jeu des acteurs et accessoirement, à la musique, alors, ils sont détendus, heureux et
satisfaits de leur soirée. Sujet n°34 : « Je passe une bonne soirée, si je ne m’ennuie pas et que j’admire les
gens sur scène, si grâce à eux, je « m’oublie » pendant deux heures et vis l’histoire narrée ».
Dans le cas présent, c’est un tout qui leur a fait passer une bonne soirée, qui leur a donné
l’impression d’être partie intégrante du spectacle. Ce dernier a répondu à leurs attentes,
preuve en est qu’ils sortent de la salle heureux et souriants et que certains éprouvent
instantanément le désir d’assister à une nouvelle représentation.
Sujet n°34 : « TOUT m’a fait passer une bonne soirée : une belle histoire mise en scène, de belles chansons
remarquablement interprétées et vécues par les « acteurs-chanteurs », de belles chorégraphies menées par des
danseurs et acrobates talentueux, des effets de lumière magnifiques avec des jeux d’ombres bien pensés, des
décors et des costumes originaux et modernes qu’il fallait oser… tout m’a permis de rentrer dans l’histoire et de
faire finalement partie du spectacle ».
Ils gardent de cette séance le souvenir d’une très bonne soirée, d’un moment de détente et de
bonheur comme bien d’autres. La plupart ne désire pas renouveler cette expérience. Si
l’occasion se présente, c’est-à-dire si la troupe se produit à proximité de leur domicile, les
autres envisagent l’éventualité d’assister une nouvelle fois à ce spectacle dans l’unique but de
se divertir et passer une agréable soirée.
Ils fournissent de multiples explications au succès de cette comédie musicale accessible à
toutes tranches d’âge. Ici encore, il s’agit d’un tout, de la marque des grands spectacles. Ils
insistent cependant sur les artistes de talent et les textes et musiques de qualité fortement
promus dans les médias. Sujet n°34 : « Le succès est dû tout d’abord, indéniablement, à une campagne de
communication très bien menée, à la diffusion du CD avant les représentations et à la sur-médiatisation des
artistes. Aussi, évidemment, à la qualité des musiques, des textes et des artistes. C’est un succès mérité ».
► Groupe 6 – Amélioration des connaissances et hédonisme
Ces spectateurs choisissent les spectacles auxquels ils assistent en fonction de leur thème.
Quel que soit le spectacle, s’ils arrivent à oublier leur quotidien (essentiellement grâce à la
Session 5 - 86
musique de qualité), s’ils se trouvent en accord avec le (ou les) message(s) transmis et si, de
surcroît, l’ambiance est bonne alors, ils sont satisfaits de leur soirée.
Sujet n°96 : « Je passe une bonne soirée lorsque j’oublie mon quotidien, lorsque l’ambiance est bonne, la
musique est bonne et que je partage le message que les artistes ont voulu faire passer dans leur spectacle ».
Ils ont passé une bonne soirée en assistant à « Notre Dame de Paris » et l’expliquent par le fait
que ce spectacle est complet (tout est minutieusement étudié, travaillé) et que la musique et,
plus généralement, les chansons les ont enchantés et entraînés dans l’histoire mise en scène.
Sujet n°96 : « J’ai passé une bonne soirée car c’est un spectacle complet : musique, chant, danse, comédie,
acrobaties (tout est calculé, précis) et les chansons m’ont vraiment entraîné dans le monde du spectacle… je me
suis laissée enchantée ».
Ils gardent de cette comédie musicale, le souvenir d’un sujet d’émerveillement, d’une soirée
très agréable (« De cette comédie musicale, je garde le souvenir d’un éblouissement », sujet
n°96). Mais, ils ne désirent pas renouveler cette expérience (et n’en donnent pas la cause).
Selon eux, le succès de cette comédie musicale a pour origine de multiples facteurs : le talent
et la notoriété de ses créateurs, son sujet (amour impossible, rejet des personnes infirmes, rejet
des étrangers) et la promotion intense réalisée dans les médias. Il est à la source du
redémarrage de ce type de spectacle en France. Sujet n°4 : « Le succès est celui de l’œuvre de Victor
Hugo (sujet traité : amours impossibles, infirmité, rejet de « l’étranger ») donc de cette histoire qui est devenu
un classique. Ce succès est du aussi à la publicité dont a bénéficié ce spectacle et à la notoriété des créateurs du
spectacle. Avec NDP, la comédie musicale a redémarré en France ».
Excepté les spectateurs du groupe n°6, tous mentionnent l’importance qu’ils accordent, dans
la satisfaction qu’ils éprouvent, à l’échange entre spectateurs et interprètes ressenti durant
cette soirée. Les spectateurs du groupe n°6 (au nombre de quatre), eux, éprouvent de la
satisfaction en raison de la comédie musicale elle-même (spectacle complet, musique,
chansons) et non en raison de cette représentation particulière. Ils n’attachent, a priori, pas
d’importance à cet échange entre artistes et public. Néanmoins, il convient de noter que les
artistes de cette troupe (ceux du groupe n°5) avec lesquels ils forment une paire selon les
étapes précédentes du processus de recherche, n’étaient pas présents sur scène lors de cette
séance. Or, nous avons auparavant conclu à une interaction exclusive entre les paires établies.
Les spectateurs des groupes n°1, 2 et 3 soulignent également la bonne ambiance entre les
artistes, l’esprit d’équipe et de partage de la troupe, les interactions qui s’établissent entre les
interprètes sur scène, comme éléments essentiels à la réussite d’une soirée. Les spectateurs du
groupe n°3 mettent aussi en avant, comme facteur de satisfaction, la bonne ambiance régnant
entre personnes du public. Il en est de même des spectateurs du groupe n°4 qui déclarent avoir
passé une bonne soirée, notamment en raison des diverses émotions qu’ils ont pu partager
avec le reste du public. En outre, ces derniers, bien que satisfaits, signalent que leur soirée
aurait pu être qualifiée de meilleure encore s’ils avaient pu vivre et partager cet instant en
présence d’un plus grand nombre de personnes, qu’il s’agisse d’inconnus ou de proches
(d’accompagnateurs). Ces diverses remarques sont significatives de la pertinence de la prise
en compte de quatre types d’interactions lors de la manifestation culturelle qui sont, de plus,
de nature à influer sur la satisfaction ressentie par chacun : l’interaction entre le spectateur et
les artistes, celle entre le spectateur et les autres membres du public, celle entre le spectateur
et ses accompagnateurs et enfin, celle entre les artistes intervenant sur scène.
Ces résultats sont de nature à confirmer que la satisfaction éprouvée suite à une représentation
n’est pas de nature à engendrer une fidélisation au spectacle en question. Trois types de
réponses peuvent, en effet, être recensés lorsque est posée la question « pensez-vous assister à
une autre représentation de ce spectacle ? » aux spectateurs : un « non » catégorique, un
« non » exprimé par peur de ne pas être satisfait du renouvellement de cette expérience (peur
de ne plus être émerveillé, peur de ne pas ressentir les mêmes émotions), un « oui, dans
quelques temps » qui laisse le temps effacer la présente expérience de leur mémoire.
Session 5 - 87
Nous avons spécifié que les attentes, premier construit du paradigme de la disconfirmation,
peuvent être conçues de différentes façons. Les normes fondées sur l’expérience ne semblent,
ici, pas appropriées dans la mesure où la grande majorité des spectateurs (exceptés ceux du
groupe n°6, soit de quatre individus) n’ont pas d’expérience significative de la comédie
musicale antérieure à cette représentation (« Notre Dame de Paris » a été le précurseur ou,
pour certains, a relancé ce type de spectacle en France).
En revanche, ces attentes relèvent du bouche-à-oreille très favorable dont a bénéficié cette
comédie musicale ainsi que de l’action des producteurs à travers la promotion intense réalisée
dans tous les médias. Cependant, ces résultats mettent aussi en lumière que la relation à la
comédie musicale est fonction de la relation que l’individu entretient avec son environnement
et que les motivations de chacun sont constantes à travers diverses activités. Dès lors, le
fondement des attentes repose, dans ce cas également, sur les objectifs généraux poursuivis au
travers de cette expérience culturelle, à savoir, les valeurs et les désirs du spectateur.
L’approche de Olshavsky et Spreng semble donc être appropriée dans le cas présent. Selon
elle, ces valeurs et ces désirs peuvent, en effet, être conceptualisés suivant différents niveaux
d’abstraction : ils peuvent être définis de manière abstraite en termes de besoins
fondamentaux et primaires, de buts dans la vie ou de buts généraux désirés, ou de manière
plus concrète, comme des moyens qui permettraient de réaliser les buts généraux.
L’approche de McGill et Iacobucci bien, qu’a priori, susceptible d’être appropriée au cas
présent (il s’agit assurément d’une consommation nouvelle), ne sied pas à cette expérience de
consommation culturelle. Deux analyses concourent, en effet, à ce diagnostic.
Les raisons invoquées par les spectateurs pour être satisfaits de leur soirée, dans le cadre d’un
spectacle quelconque, sont identiques à celles qu’ils avancent pour justifier leur satisfaction
suite à l’expérience de consommation que représente le fait d’assister à cette représentation de
« Notre Dame de Paris » (or, cette expérience apparaît, pour certains, bien distincte de celle
vécue lors d’un concert ou d’un spectacle d’un autre genre). Cependant, ce résultat peut être
biaisé par le fait que ces spectateurs n’ont pas assisté auparavant à ce type de spectacle. Les
réponses à la question « Qu’est-ce qui vous fait dire après avoir assisté à une comédie
musicale (ou à un spectacle) : j’ai vraiment passé une bonne soirée ? » peuvent donc être
influencées par celles relatives à la question « Qu’est-ce qui vous fait dire après avoir assisté à
« Notre Dame de Paris » : j’ai vraiment passé une bonne soirée ? » et même être, de ce fait,
similaires. L’argument avancé est donc réfutable et non recevable.
En revanche, l’analyse de la réponse à la question « Qu’est-ce qui pourrait vous faire dire :
« j’aurais passé une meilleure soirée si… » ? » conduit, elle, à la formulation de cette
affirmation : l’approche de McGill et Iacobucci ne sied pas à l’expérience de consommation
culturelle que constitue une représentation de cette comédie musicale. Effectivement, les seuls
éléments invoqués par les spectateurs afin que cette soirée puisse être qualifiée de meilleure
encore, portent sur le fait d’avoir la possibilité de vivre et partager cet instant en présence
d’un plus grand nombre de personnes (spectateurs du groupe n°4) ou sur celui, annoncé par
quelques spectateurs de divers groupes (excepté le groupe n°4), de ne pas avoir eu à attendre
pendant plusieurs dizaines de minutes avant leur entrée dans la salle de spectacle où les places
n’étaient pas numérotées. Ces motifs ne sont donc pas inhérents à la comédie en elle-même,
les attentes n’ont pas été affinées et modifiées au cours de l’expérience.
A noter que la première raison invoquée afin que cette soirée soit encore meilleure (celle des
spectateurs du groupe n°4) traduit la recherche d’une émotion collective : la consommation
culturelle devient un moyen pour partager des émotions (Herpin et Verger, 2000), les
individus cherchent avant tout une expérience affective qui est dépendante d’un groupe.
La deuxième raison renvoie au principe d’immédiateté. Rieunier et Volle (2002) estiment
qu’un des principaux pôles de tendances de consommation actuelles peut être constitué autour
de l’individu et de son rapport au temps : les individus ont le sentiment croissant de manquer
Session 5 - 88
de temps et recherchent l’immédiateté et la rapidité dans leurs actes de consommation pour
avoir le sentiment de remplir leur vie au maximum et de ne pas perdre de temps en tâches
inutiles ou non productives. Marteaux et Mencarelli (2004) soulignent que ce principe, cette
tendance de consommation est pertinente à prendre à compte dans la consommation
culturelle. La présente étude vient confirmer cette proposition. Elle permet d’attirer l’attention
des producteurs sur des éléments périphériques au spectacle en lui-même qui influent
néanmoins sur la perception du consommateur de la soirée vécue.
Tous les spectateurs paraissent satisfaits de leur soirée. Des réactions émotionnelles
(émerveillement, communion entre spectateurs et artistes, partage d’émotions, etc.), certes
d’amplitude variable en fonction des termes employés, sont constatées, ce qui laisse à penser
qu’un écart existe entre les attentes (en l’occurrence, les valeurs et les désirs du spectateur) et
la performance perçue (ou qualité perçue) de la représentation de « Notre Dame de Paris ».
Dans ce cas, la disconfirmation intervient dans le processus de formation de la satisfaction ;
elle est positive.
Les souvenirs conservés par les spectateurs sont directement liés aux objectifs poursuivis au
travers de l’expérience de consommation culturelle et, ainsi, aux raisons qu’ils invoquent pour
expliquer leur satisfaction.
De même, chacun fournit une explication du succès de cette comédie musicale qui est
fonction de ce qu’il recherchait dans ce spectacle (artistes talentueux et spectacle de qualité,
partage d’émotions, magie née de l’association de chaque personne participant à cette œuvre,
etc.) et, en conséquence, de ce qui a pu faire naître, chez lui, un sentiment de satisfaction.
A noter, cependant, que chacun évoque le rôle joué par la médiatisation intense, dans tous les
médias, dont a fait l’objet ce spectacle (bien que celle-ci ne soit pas clairement avancée par les
spectateurs des groupes n°2 et 4, ces derniers indiquent que cette promotion les a incités à
venir assister à cette séance). Même si elle n’est pas considérée comme condition suffisante
au succès de cette comédie musicale, elle est reconnue y avoir contribué.
5. Comparaison des résultats, apports de cette troisième étape du processus de recherche
Les résultats relatifs à la satisfaction permettent de conclure que les individus animés de
motivations similaires qui développent une réponse expérientielle semblable (étape
précédente du processus de recherche) sont satisfaits sous des conditions et dans des situations
identiques. C’est ainsi que cette troisième étape du processus de recherche, nous permet de
retrouver les paires artistes – spectateurs établies lors des précédentes.
En effet, et par exemple : les spectateurs du groupe n°1 ont passé une bonne soirée en
assistant à cette représentation en raison de la qualité du spectacle en lui-même et de la qualité
de cette séance en particulier (artistes de talent, dynamiques, créateurs d’une ambiance
enjouée sur scène et dans la salle), tandis que pour qu’ils soient satisfaits de leur soirée, les
artistes du groupe n°1 cherchent à fournir un spectacle de qualité (ce qui est permis par une
forme physique et morale) et sont en quête d’échange entre intervenants sur scène et entre
interprètes et public. Pour tous les thèmes abordés relatifs à la satisfaction (souvenir du
spectacle, explication du succès, etc.), il est ainsi possible d’effectuer un tel rapprochement
des divers groupes d’artistes et de spectateurs identifiés.
Ensuite, cette étape a été l’occasion de vérifier la pertinence du modèle de non-confirmation
des attentes dans le champ culturel. Les attentes, premier construit du paradigme de la
disconfirmation, sont fondées, pour les spectateurs, sur les objectifs généraux poursuivis au
travers de l’expérience de consommation culturelle, à savoir, ses valeurs et ses désirs
(l’approche de Olshavsky et Spreng se trouve appropriée au cas présent). Cependant, celles-ci
sont également issues du bouche-à-oreille très favorable dont a bénéficié cette comédie
musicale, ainsi que de l’action des producteurs à travers la promotion intense réalisée dans
Session 5 - 89
tous les médias. En ce qui concerne les artistes, leurs attentes sont fondées, d’une part, sur les
objectifs généraux poursuivis (notamment, à travers la participation à ce spectacle), à savoir,
les désirs et les valeurs de l’artiste et, d’autre part, sur l’expérience (celle de leurs prestations
antérieures au sein de cette troupe). L’approche de Olshavsky et Spreng s’applique par
conséquent, mais ne s’avère pas suffisante pour expliquer le fondement des attentes des deux
entités en présence lors de la manifestation culturelle.
Enfin, cette étape a mis en évidence l’importance de la prise en considération de, non pas trois
(qui avaient été auparavant considérés dans la littérature), mais quatre types d’interactions lors
de la manifestation culturelle qui sont, en outre, de nature à influer sur la satisfaction ressentie
par chacun. Il s’agit de l’interaction entre le spectateur et les artistes, celle entre le spectateur
et les autres membres du public, celle entre le spectateur et ses accompagnateurs et, enfin,
celle, à notre connaissance, mise à jour : l’interaction entre les artistes intervenant sur scène.
Conclusion
Quelles sont les conditions d’une expérience culturelle idéale, c’est-à-dire, d’une satisfaction
partagée par les interprètes et les spectateurs d’une représentation d’un spectacle vivant ?
Cette étude met en lumière que la rencontre de motivations similaires chez les spectateurs et
les interprètes conduit à une réponse esthétique du même ordre, à la réalisation d’un échange
lors de la séance et à une satisfaction partagée synonyme de succès d’une représentation. La
rencontre de motivations similaires chez les spectateurs et les artistes apparait être un facteur
explicatif du succès d’une représentation.
La quatrième étape du processus de recherche mis en œuvre réside en l’examen de la
perception de l’ambiance régnant dans la salle lors de la séance. Celle-ci nous permettra
d’appréhender si les paires artistes-spectateurs identifiées lors des étapes précédentes se
retrouvent encore une fois et si une bonne ambiance est primordiale à la réussite d’une soirée
dans le cadre de ce spectacle grand public, soit si elle s’avère impérative à la satisfaction.
Les présents résultats permettent déjà, dans le cadre d’un spectacle populaire où l’échange
entre artiste(s) et spectateurs s’avère nécessaire quant à la réussite de la soirée, d’émettre
certaines préconisations aux producteurs de ce type de spectacle. Par exemple, recruter des
interprètes aux motivations diverses afin que, pour chaque spectateur, s’établisse une
interaction au cours de l’expérience de consommation. Ou encore, adopter une politique de
communication centrée sur les bénéfices recherchés par les consommateurs potentiels et, par
conséquent, appropriée aux logiques de consommation identifiées (celles-ci pouvant être
rapprochées de logiques d’interprétation) : ainsi, il peut être préconisé de sélectionner tel
artiste de la troupe avec telles motivations pour promouvoir tel attribut du spectacle. Par
exemple, une fois considérée la capacité de l’artiste à la chanter, une chanson d’un spectacle
promue dans les médias et difficile techniquement à interpréter devrait l’être par un chanteur
recherchant la réalisation de prouesses (vocales, notamment) afin d’attirer les spectateurs en
quête d’esthétisme, d’enrichissement.
La recherche exposée contribue à la compréhension du comportement du consommateur dans
un champ d’investigation qui n’a suscité jusqu’alors aucune recherche en marketing. Afin de
renforcer sa validité externe, il conviendrait de réaliser une étude similaire sur d’autres types
de spectacle, par exemple, le concert d’un chanteur de variétés.
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Session 5 - 90
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