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Chroniques bleues
2 juillet 2000 : France-Italie
lundi 2 juillet 2012, par Bruno Colombari
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Petit frère du 12 juillet 1998, ce soir d’été 2000 l’emporte dans le suspense et la dramaturgie. Sous le ciel orange de
Rotterdam, les Bleus ont d’abord perdu cette finale avant de la gagner.
Le contexte
Cette finale se joue en Hollande. Or l’équipe de France préfère la Belgique. Lors des quatre matches disputés à Bruges et à
Bruxelles, les Bleus l’ont emporté quatre fois. En revanche ils ont perdu dès qu’ils ont passé la frontière pour rencontrer les Pays-Bas
à Amsterdam. Autant dire qu’avant de jouer l’Italie à Rotterdam, ils ne sont pas rassurés.
Sinon, Roger Lemerre a reconduit la même équipe de départ que contre l’Espagne, à savoir Henry seul en pointe, un milieu composé
de Deschamps en récupérateur, Vieira en relayeur et le trio Djorkaeff (à droite), Dugarry (à gauche) et Zidane, dans l’axe. Du coup,
Anelka et Petit sont écartés du onze de départ. Ce 4-2-3-1 préfigure celui de 2006, alors qu’en 2002 et 2004 Henry sera associé à
Trezeguet et se décalera à gauche.
Côté italien, Marco Delvecchio est préféré à Filippo Inzaghi en pointe. Les Italiens ont cravaché en demi-finale pendant plus de deux
heures contre les Pays-Bas, dont une heure trente à dix après l’expulsion de Zambrotta. Ils alignent une défense à cinq, avec Maldini
à gauche, Pessotto à droite et un trio Nesta-Cannavaro-Iuliano chargé de bloquer Henry et Zidane.
Toute la question est de savoir si les Italiens auront récupéré de leur demi-finale héroïque disputée trois jours plus tôt face aux PaysBas, et terminée aux tirs au but après une heure et demie passée en infériorité numérique. Dans ce contexte, une nouvelle
prolongation pourrait leur être fatale.
Le match
Ça commence à fond les manettes avec deux alertes à la première minute, une remontée de balle ultra-rapide relayée par un
extérieur de Djorkaeff qui lance un Henry supersonique côté gauche, lequel s’offre un grand pont sur Nesta et centre fort devant le
but. Sur le contre, Delvecchio est plus rapide que Desailly mais Barthez sort. Première information : les Italiens ne vont pas attendre
derrière, même s’ils alignent une défense à cinq. Deuxième information : la défense française laisse des boulevards. A la 5e, Henry
est tout près de surprendre Toldo côté droit, avec un tir qui tape l’extérieur du poteau.
La différence de niveau de jeu avec l’équipe de 2012 est flagrante. Les remontées de balle sont fluides, Blanc est capable de faire
des ouvertures longues distances à destination de Henry, Deschamps qui a été contesté pendant l’Euro est bien dans son match
(son 101e) alors que Vieira semble en dedans, de même que Zidane et Thuram. Comme aujourd’hui, le jeu penche franchement à
gauche avec le trio bordelais Lizarazu-Zidane-Dugarry, sans compter Henry qui a tendance à se décaler de ce côté pour échapper à
la tenaille axiale italienne.
Le pressing français est remarquablement coordonné et oblige les Italiens à se débarrasser trop vite du ballon pour pouvoir
construire. Les défenseurs jouent systématiquement vers l’avant à base de passes appuyées et rapides. Devant, Dugarry perd
beaucoup de ballons et comme Djorkaeff repique dans l’axe, le flanc droit est très peu utilisé. Les Italiens attaquent quant à eux par
la droite avec Pessotto, Totti et Delvecchio. A la 41e, Henry lancé dans l’axe est séché par Cannavaro. Le coup-franc de Zidane est
au-dessus. Dans la surface, Desailly s’est offert un méchant coup de coude en plein visage de Cannavaro qui aurait pu lui valoir un
rouge. Comme deux ans plus tôt.
Au retour des vestiaires, Dugarry revient avec deux magnifiques chandelles de coton dans les narines, souvenir d’un ballon pris
pleine face quelques minutes plus tôt. Les Bleus tentent de percuter dans l’axe par Zidane (47e), puis par une percée fulgurante à
gauche signée Henry (49e) qui efface Cannavaro puis Iuliano avant de centrer pour Zidane qui échoue d’un rien. Le KO semble
proche.
C’est alors qu’entre Del Piero à la place de Fiore (52e). Juste après, Maldini manque de très peu la tête de Delvecchio, et Del Piero
pousse les Bleus à concéder un corner. Premier avertissement. Les Italia, Italia prennent le dessus dans les tribunes du Kuip. Puis
c’est le premier but : côté gauche, Totti talonne en aveugle pour Pessotto dont le centre enroulé contourne Blanc et Desailly pour
finir sur le plat du pied de Delvecchio sur la ligne des 5,50m (55e). Les Italiens insistent côté droit de la défense française, où
Thuram est en grande difficulté comme depuis le début du tournoi.
Les grandes manœuvres commencent : Wiltord remplace Dugarry (57e). Première balle de match de break pour Del Piero lancé par
Totti dans le dos de la défense bleue mal alignée (Desailly est trop bas), mais son tir du gauche est à côté (58e). A la 63e, Di Biagio
fauche le ballon dans les pieds de Zidane mais n’appuie pas suffisamment sa frappe. Il cède juste après sa place à Ambrosini. Les
Bleus n’y sont plus : un deuxième but encaissé à ce moment-là aurait tué le match.
A la 68e, un coup franc de Zidane est tout prêt d’être transformé par Henry au second poteau alors que Vieira est ceinturé dans la
surface par Nesta. Mais juste après, Totti lance encore Delvecchio dans la course. Petit filet. Les Italiens sont à huit derrière et jouent
clairement le contre.
Au dernier quart d’heure, Djorkaeff sort pour Trezeguet qui prend l’axe, Wiltord glissant à droite et Henry à gauche. Les Bleus jouent
désormais en 4-2-1-3. Le combat est désormais acharné sur chaque ballon partout sur le terrain. Les Bleus secouent les Italiens
dans tous les sens et ceux-ci défendent dans leur surface. Blanc ne redescend plus, comme face au Paraguay en 1998.
Pour autant, les Italiens sentent qu’un coup de Trafalgar est toujours possible et qu’il serait plus prudent de se mettre à l’abri. Ils
croient y parvenir sur une nouvelle énorme occasion gâchée par Del Piero lancé par Ambrosini (84e). Juste après, Robert Pires entre
à la place de Lizarazu. Les Bleus évoluent désormais en 3-2-2-3.
A la 90e, Trezeguet efface Iuliano dans la surface et frappe. Toldo repousse au pied de son poteau. Il reste quatre minutes de temps
additionnel. A la 92’20, tout semble perdu : Totti garde le ballon le long de la touche et amorce une passe à dix saluée par les olé du
public italien. Raté : quand le ballon de Montella revient sur Totti, celui-ci est hors-jeu. Erreur fatale. Barthez joue le coup franc, une
frappe tendue à longue portée qui arrive sur la tête de Trezeguet, lequel dévie sur la gauche. Le ballon est frôlé par la tête de
Cannavaro, arrive sur la poitrine de Wiltord qui laisse rebondir le ballon une fois, deux fois, puis qui frappe du gauche. Le ballon
passe entre les jambes de Nesta et sous le gant de Toldo avant de rouler dans le petit filet. Le KO absolu, à une minute de la fin du
temps additionnel.
C’est bien sûr ce que Dino Zoff voulait absolument éviter. Les Italiens sont au bout du rouleau et ont pris un terrible coup au moral.
Psychologiquement, le match est déjà perdu. Au dessus du stade de Kuip, le ciel est orange. Le dernier espoir des Italiens réside
dans la séance des tirs au but qui leur a si bien réussi trois jours plus tôt contre les Pays-Bas. Encore faut-il y arriver. Les Bleus
disposent eux de l’arme fatale : le but en or qui leur a réussi déjà deux fois en 1998 contre le Paraguay et quatre jours plus tôt face
au Portugal. Avec leur configuration Playstation, mieux vaut de toute façon porter le jeu devant que de subir. Attention tout de
même : sur une perte de balle de Vieira au milieu, Montella lance dans la profondeur Del Piero et Barthez sort de la surface pour
dégager au pied d’une sorte de prise de karaté (93e). Perdre ainsi n’était pas possible.
Juste après, le break est tout proche pour Henry qui déborde, centre trop court pour Trezeguet. Pires reprend de volée sur Toldo qui
se blesse au nez en plongeant dans les pieds du buteur monégasque. S’ensuit trois minutes arrêt de jeu assez long pendant lequel
Henry et Zidane échangent longuement. Trois minutes précieuses qui permettent de récupérer un peu avant de porter l’estocade. A
la 99e, Ambrosini fait faute sur Wiltord plein axe, à 25 mètres. Zidane frappe le coup-franc, au-dessus. A la 101e, sur un centre de
Pires, il tente un retourné compliqué.
Vient alors la délivrance dans le courant de la 102e minute. Le jeu est le long de la touche côté gauche français. Zidane combine
avec Deschamps et tente de prolonger pour Henry qui est trop court. Les défenseurs italiens essaient de sortir mais Albertini
manque son contrôle. Pires récupère, fixe Cannavaro, s’arrache, perce jusqu’à la ligne de but, centre en retrait. Le ballon passe
entre les jambes de Nesta et arrive sur Trezeguet. A onze mètres, ce dernier fait un petit pas en arrière, équilibre son corps et
frappe du gauche dans la lucarne. Toldo est parti de l’autre côté. C’est fini, et c’est immense. La course de Trezeguet, torse nu, vers
le banc de touche rappelle évidemment celle de Platini contre le Portugal en 1984, après aussi un centre en retrait décisif de Tigana.
La séquence souvenir
Les plus évidentes sont les deux buts de Wiltord et de Trezeguet, mais c’est sans doute quelques minutes plus tôt qu’a eu lieu le
tournant du match. Nous sommes à la 84e, alors que les Bleus poussent et que les Italiens défendent de plus en plus bas, au bord
de la rupture.
A la suite d’un corner de Zidane, Toldo bloque le ballon en deux temps. Son dégagement trouve Totti sur l’aile droite. Le Romain
combine avec Pessotto par un redoublement de passes, puis sert dans l’axe Ambrosini lâché par Zidane. Ambrosini trouve Del Piero
parti derrière Thuram d’une sublime ouverture à l’entrée de la surface. Del Piero tire sans contrôle du droit à hauteur du point de
pénalty : Barthez sauve du pied d’un arrêt de gardien de hand. A cet instant, on est partagé entre l’effroi rétrospectif et la certitude
que ces KO manqués vont se payer au final.
Juste après, Lemerre tente un dernier coup de poker : perdu pour perdu, il sort Bixente Lizarazu, arrière gauche et fait entrer Robert
Pires, milieu offensif gauche. Tous les ingrédients du retournement historique sont en place.
Le Bleu du match
Il a traversé cet Euro comme un fantôme. Relégué sur le banc de touche par l’émergence du duo Henry-Anelka, David Trezeguet vit
très mal sa situation d’autant que c’est lui qui a marqué, en octobre 1999, un but capital pour la qualification face à l’Islande. Aligné
pour le match des coiffeurs contre les Pays-Bas, il est excellent, marque un but à la demi-heure de jeu et se crée une énorme
occasion en deuxième période. Il ne rejouera pourtant que onze minutes contre le Portugal en demi-finale, le temps d’amener
l’action qui provoquera la main d’Abel Xavier dans la surface et le pénalty décisif de Zidane. Quand il entre en finale à la 75e à la
place de Djorkaeff, il sait qu’il peut faire la différence. Il la manque d’un rien à la 90e. Puis il dévie de la tête vers Wiltord le long
dégagement de Barthez à une minute de la fin du temps additionnel. Enfin, c’est évidemment lui qui reste à l’affût dans la surface
italienne quand Pires récupère un ballon mal dégagé et centre en retrait. Le reste est entré dans la légende.
L’adversaire à surveiller
Francesco Totti a vingt-trois ans au moment de l’Euro. Souvent barré par Del Piero en sélection, il gagne sa place de titulaire aux
Pays-Bas et s’offre une panenka lors de la séance de tirs au but contre le pays organisateur en demi-finale. Placé en milieu offensif
droit derrière Delvecchio, le Romain fait une finale de haut niveau, échappant souvent à la surveillance de Deschamps. C’est lui qui
est à l’origine du but italien d’une talonnade géniale qui met Lizarazu dans le vent et qui ouvre l’espace pour Pessotto dont le centre
est converti par Delvecchio. C’est encore lui qui lance son rival Del Piero au but à la 58e, c’est encore lui qui sert Ambrosini sur la
deuxième occasion vendangée par Del Piero à la 84e. C’est enfin lui qui, ne remontant pas assez vite alors qu’il est en position de
hors jeu près de la touche à la 93e minute, permet à Barthez de relancer une dernière attaque que Wiltord convertira en but.
La petite phrase
Marcel Desailly, après le match, quand on l’interroge sur l’avenir des vieux (Blanc et Deschamps qui vont quitter l’équipe de France
deux mois plus tard) :
« C’est le mot vieux qui finit par m’agacer un petit peu. Aujourd’hui, aujourd’hui, aujourd’hui, dites-moi qui est plus fort qu’un
Lizarazu, qu’un Desailly, qu’un Blanc ou qu’un Thuram ? »
La fin de l’histoire
Cette brillante équipe italienne mettra six ans à se remettre de son coup du sort. Elle le fera à Berlin, contre cette même équipe de
France, avec Cannavaro, Del Piero et Totti, face à Barthez, Zidane, Thuram, Vieira, Henry, Trezeguet et Wiltord. Dino Zoff, qui avait
rendu le jeu italien offensif et séduisant un peu comme Prandelli cette année, démissionnera quelques jours après le 2 juillet 2000,
après avoir été violemment critiqué par Silvio Berlusconi.
Quant aux Bleus, qui atteignent lors de cet Euro probablement leur plus haut niveau de l’histoire, ils ne se remettront jamais
vraiment des départs de Laurent Blanc et Didier Deschamps en septembre. Qualifiés d’office pour la coupe du monde 2002, ils vont
s’endormir sur leurs lauriers, aveuglés par quelques matches amicaux éblouissants (notamment contre le Portugal en avril 2001).
Roger Lemerre répugnera à intégrer de nouveaux joueurs et ne fera pas jouer la concurrence au sein d’un groupe peu enclin à se
remettre en question. N’est-ce pas, Marcel ?
Vidéos
Les trois buts du match :
Le match entier :

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