Les avocats libanais d`Orient et d`Occident Au Liban, les cabinets d
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Les avocats libanais d`Orient et d`Occident Au Liban, les cabinets d
Les avocats libanais d'Orient et d'Occident Au Liban, les cabinets d'affaires travaillent avec un professionnalisme que leur reconnaissent leurs correspondants internationaux, tandis que les spécialistes du droit de la famille plaident devant des tribunaux religieux. C'est une réception comme il s'en déroule tous les soirs dans les quartiers aisés de Beyrouth. En cette fin septembre 2009, c'est encore l'été, et l'air frais qui monte de la Méditerranée est le bienvenu. Les quelque 200 avocats qui se pressent à l'entrée de la vaste salle de ce restaurant chinois ont sorti leurs plus belles tenues, robe longue pour les femmes, costume croisé pour les hommes. Après avoir salué les grands noms de la place ainsi qu'un ancien ministre de la Justice, les invités s'assoient un peu au hasard autour de grandes tables rondes que les serveurs commencent à garnir de nems et de diverses salades. Tous répondent à l'invitation de l'une des leurs, Amal Haddad, qui entame alors une campagne électorale pour le poste de présidente de l'Ordre des avocats de Beyrouth, un poste qu'elle ravira deux mois plus tard. Être et paraître avocat Entre ces praticiens originaires de diverses régions du pays, la conversation s'engage timidement. Tous parlent volontiers des difficultés du métier. Abeer, voile serti de pierres précieuses sur la tête, les yeux cernés de khôl bleu, une cigarette à la main, ne mâche pas ses mots. « L'avocat souffre, il est mal considéré ; le juge ne le respecte pas. Au tribunal, on ne sait jamais si le juge n'a pas reçu de l'argent pour faire gagner l'autre partie. Le pire, ce sont les tribunaux militaires », affirme-t-elle en français. « On va vous dire que les avocats sont riches, dit un vieux monsieur, mais ce n'est pas vrai. » Ses voisins, Khalil et Fariz, sont de jeunes avocats. Fariz vient d'un village de la Bekaa, la plaine qui s'étend à l'est du pays, au-delà de la montagne libanaise. Il aurait voulu devenir médecin mais, alors qu'il s'apprêtait à commencer ses études, quelqu'un lui a parlé de la profession d'avocat « permettant d'avoir une bonne situation », raconte-t-il. Il a étudié à l'Université arabe de Beyrouth et a appris l'anglais grâce à un colocataire européen. Comme les autres avocats présents ce soir-là, il assure que le droit libanais « est très dur à apprendre » et qu'il « change tout le temps », conséquence des nombreuses lois votées par le Parlement. Fariz estime toutefois avoir réussi sa vie. Il roule maintenant dans un petit 4 × 4 dans lequel est posé un siège pour bébé. « Les avocats doivent bien présenter, avoir une belle voiture, de beaux vêtements », confirme Abeer. Au tribunal, la tradition veut qu'ils plaident en robe. « Mais parfois, quand il fait chaud, il y a des exceptions. » Pas de concours, mais le prestige des universités Même s'ils se doivent de sacrifier à la société du paraître, la plupart des 10 000 avocats font partie de cette classe moyenne libanaise qui prospère dès que les armes se taisent, et subit de plein fouet les périodes de tension. Tous ne parlent pas de langue étrangère, loin de là. « À l'université, même si certaines matières obligatoires sont enseignées en français ou en anglais, la plupart des matières de base sont enseignées en arabe », explique, dans son bureau situé dans le centre de Beyrouth, à proximité du palais de justice, Nady Tyan, un avocat d'affaires également inscrit au barreau de Paris. Devenir avocat au Liban nécessite quatre années de droit puis trois ans de stage ponctués, depuis les années 1990, par un examen. « Si la formation est sanctionnée par un examen, elle ne l'est jamais par un concours », souligne Nady Tyan. En conséquence, les avocats sont nombreux : 10 000 pour 4 millions d'habitants, soit proportionnellement trois plus qu'en France. Certains, diplômés, rejoignent directement les services juridiques des entreprises. D'autres parcourent le vaste monde : l'avocat libanais est un produit d'exportation qui rencontre un certain succès, aussi bien dans le Golfe persique qu'en Europe ou aux États-Unis. Une curieuse immunité C'est la réputation des nombreuses universités qui fait la différence entre les postulants. Les cabinets prestigieux se fournissent auprès de l'Université libanaise, de l'Université La Sagesse, et bien entendu Saint-Joseph. Fondée en 1875 par des pères jésuites, cette faculté privée fait autorité auprès de l'élite, et notamment auprès des familles chrétiennes. Pendant longtemps, la profession était d'ailleurs principalement exercée par des chrétiens. Le poste de bâtonnier de Beyrouth revient ainsi traditionnellement à un chrétien, ce qui n'empêche pas que son élection donne lieu à de sérieuses batailles politiques. La désignation d'Amal Haddad, en novembre dernier, n'a pas échappé à la règle. Ayant devancé deux candidats, l'un se réclamant de la majorité gouvernementale et l'autre de l'opposition, la nouvelle bâtonnière se présente comme politiquement « indépendante » et assume un positionnement corporatiste. L'Ordre, selon elle, doit être « au service de l'avocat pour défendre ses droits et se poser en rempart contre les intimidations en tout genre ». Dans un pays où l'invective politique constitue un passe-temps, les avocats n'échappent pas aux critiques. « On accuse parfois un avocat d'abuser de sa position, par exemple lors de l'ouverture d'une succession », confie Alice Najm, installée à Beyrouth. Les robes noires bénéficient par ailleurs d'une forme d'immunité que beaucoup leur envient. Ainsi, pour poursuivre un praticien, il faut demander au bâtonnier de lever son immunité. « L'accord est toujours donné lorsqu'il s'agit d'une affaire personnelle. Mais cela crée parfois des difficultés. Ainsi certains propriétaires hésitent-ils à louer un bien immobilier à un avocat », raconte Henri Najm, le mari d'Alice et aussi son principal associé. Pluricultuel et multinational La majorité des avocats libanais exercent en cabinet individuel, ou associés à quatre ou cinq au maximum. Consultés pour traiter des litiges de voisinage ou d'ordre familial, ils sont les habitués des multiples tribunaux religieux que compte le pays. En effet, la Constitution libanaise garantit à chacun le respect de son appartenance religieuse, laquelle se traduit par un « statut personnel » qui définit, en particulier, le droit de la famille applicable. Toutes les principales communautés religieuses disposent ainsi de leurs propres tribunaux. « Ces tribunaux rendent des décisions qui ont la même force exécutoire que les tribunaux civils », explique Nady Tyan. Les Libanais se jouent parfois de ces rigidités religieuses, en particulier lorsqu'il s'agit de mariage. « Pour divorcer, il arrive que certains, en particulier les maronites, changent de religion », observe l'avocat. La structuration des cabinets est elle-même fortement influencée par la place de la religion dans la société. « 90 % des cabinets réunissent des personnes de la même famille ou, en tout cas, de la même religion », assure Adib Tohmé, l'un des associés de Levant Law Practice. Ce cabinet d'affaires, qui rassemble une trentaine de praticiens, se présente comme une exception. « Parmi les associés, on compte deux chiites, deux maronites et deux orthodoxes », affirme-t-il. Le cabinet vante sa clientèle internationale, faite de « grandes institutions financières, de banques, de multinationales ». On y travaille en plusieurs langues, mais aussi selon plusieurs droits. Aux coutumes religieuses et au code civil inspiré du Code Napoléon - introduit par le mandat français dans les années 1920 - s'ajoutent le droit anglo-saxon - via les contrats rédigés pour les grandes entreprises - et aussi la sharia - que prisent certains investisseurs venus du Golfe persique. Fier du professionnalisme de son cabinet, Adib Tohmé emmène le visiteur dans les étages, à la rencontre de ses collaborateurs. Les portes capitonnées s'ouvrent sur des jeunes femmes polyglottes, parlant parfaitement français et anglais, diplômées de facultés londoniennes, new-yorkaises ou parisiennes. « Chaque année, nous proposons un stage aux deux étudiants ayant obtenu la meilleure note à l'Université La Sagesse, l'une des plus réputées de Beyrouth », raconte-t-il. Levant Law Practice cultive ces atouts pour « entrer en concurrence avec les cabinets internationaux ». Aucune firme étrangère n'a encore jamais pu s'installer au Liban car la loi réserve l'exercice de cette profession aux nationaux. Mais cela pourrait changer. « L'OCDE fait pression pour imposer l'ouverture du barreau », relève Nady Tyan. Cette perspective inquiète moins les avocats d'affaires que les cabinets de petite taille « qui craignent l'arrivée des Anglo-Saxons », assure l'avocat. Un tribunal spécial controversé Bien que créé par une résolution de l'ONU, le Tribunal spécial pour le Liban ne ressemble pas aux juridictions internationales instituées pour juger les responsables de génocides et crimes contre l'humanité, comme au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. Chargé notamment de faire la lumière sur l'attentat qui a coûté la vie, le 14 février 2005, à l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et à 21 autres personnes, le tribunal « applique une procédure mixte, à mi-chemin entre le code libanais et les règles pénales nternationales », précise le pénaliste Antonio Abou Kasm, associé du cabinet Levant Law Practice. Financée à 49 % par l'État libanais et à 51 % par des contributions volontaires des États - en particulier des gouvernements occidentaux -, cette juridiction demeure contestée. Dans un premier temps, l'opposition pro-syrienne rejetait le principe même d'une juridiction spécifique, qui tendait à désigner le régime de Damas comme responsable de l'attentat. La majorité libanaise - menée par l'actuel Premier ministre Saad Hariri, fils de Rafic - tenait en revanche à ce que soit prouvée la culpabilité de la Syrie. Pour Antonio Abou Kasm, qui ne cache pas son soutien à la majorité, ce tribunal doit permettre de « connaître la vérité et de combattre l'impunité ». Suite à des conclusions dédouanant en partie la Syrie, en 2009, l'attitude de ce pays à l'égard du tribunal a changé. Mais les méthodes utilisées par les enquêteurs, ainsi que la démission successive de plusieurs procureurs, limitent la crédibilité du tribunal. Enfin, les victimes non issues des milieux politiques, en particulier les passants tués par l'attentat, ne sont pas partie civile au procès. « Un bureau gouvernemental leur a versé des dommages-intérêts dans les quelques mois qui ont suivi l'attentat », rapporte Antonio Abou Kasm. En chiffres Population : 4 millions d'habitants, dont 60 % de musulmans (35 % de chiites, 20 % de sunnites) et 40 % de chrétiens (25 % de maronites, 13 % de grecs orthodoxes) Barreau : environ 10 000 avocats, répartis en deux Ordres, celui de Beyrouth, qui rassemble la plus grande partie des avocats, et celui de Tripoli, qui regroupe les avocats du nord du pays Par Olivier Razemon