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School of Modern Languages and Cultures, The University of Hong Kong LANG3073 - French and Francophone Cinema Seminar II [ Visions de Paris : La ville au cinéma Le cinéma, la ville, le moderne et le postmoderne ‘In the city the visual impressions succeed each other, overlap, overcross, they are cinematographic.’ Georg Simmel, The Metropolis and Mental Life, 1903 Dès sa naissance, le cinéma a été fasciné par la ville, son développement et a sa modernité. Le cinéma apparaît à une époque où les villes se développent et entrent dans l'ère de la modernité. Les grandes villes de la fin du XIXe et du début du XXe Siècle sont le lieu d'une activité humaine et économique intense. Le cinéma étant un art du mouvement (du temps et de l'espace), c'est tout naturellement que les frères Lumière posent leur caméra devant ce qui représente le mouvement ; la ville moderne avec ses transports, son industrie, ses machines, sa foule. Dans l'un de ses ouvrages, Tom Gunning, remarque : "The first film shows were primarily 'big city' affairs…Nearly all early film documents present a mise en abyme* of audiences filling vaudeville halls from busy city streets in order to see projected on the screen – busy city streets". 1 Cette fascination pour la ville donne naissance dans les années 20 à un nouveau genre : Le 'city simphony' (ou symphonie de la ville) qui célèbre le rythme accéléré de la ville moderne en mouvement. On y présente la ville comme la somme de ses habitants et leurs millions de contributions individuelles. Il s'agit en général d'une vision positive, voire utopique, de la ville. Le film, Chelovek s kinoaparatom [L'Homme à la caméra, 1929] de Dziga Vertov est un parfait exemple du genre. A l'oppose de cette symphonie de la ville, l'Expressionnisme allemand offre après 1918, une vision beaucoup plus sombre de la ville et de la vie urbaine. Le meilleur exemple de cette vision dystopique de la ville reste le film Metropolis de Fritz Lang (1927) dans lequel la ville est apocalyptique et terrifiante. Quel que soit le point de vue adopté (utopique/dystopique), beaucoup de films à cette époque ont pris comme sujet la ville comme incarnation du progrès et de la modernité. Dans l'ère du postmoderne, marqué par la fragmentation et la perte des références temporelles et locales, la ville continue de fasciner le cinéma. L'époque moderne a montré la ville comme quelque chose d'unifié, en développement et tournée vers le futur. L'ère postmoderne s'intéresse à la ville dans sa complexité, sa fragmentation et sa liquidité 2 . Dans son ouvrage From Moscow to Madrid : European Cities, Postmodern Cinema. Ewa Mazierska note : "Beyond the edges of the map we enter the localities of the vibrant, everyday world and the disturbance of complexity. Here we find ourselves in the gendered city, the city of ethnicities, the territories of different social groups, shifting centres and peripheries – the city that is a fixed object of design (architecture, commerce, urban planning, state administration) and yet simultaneously plastic and mutable: the site of transitory events, movements, memories. This is therefore also a significant space for analysis, critical thought and understanding. " 3 . * In Western art "mise en abyme" is a formal technique in which an image contains a smaller copy of itself. 1 The films of Fritz Lang : allegories of vision and modernity. Gunning,Tom. London : British Film Institute, 2000. Liquid Modernity. Bauman, Zygmunt, Cambridge, 2000 3 From Moscow to Madrid : European Cities, Postmodern Cinema. Mazierska, Ewa. London, Tauris & Company, 2003. 2 Paris au cinéma Peu de villes ont reçu autant d'attention que Paris. Cette ville qui, tour à tour, incarne le romantisme, la liberté, la mélancolie et la passion a inspiré de nombreux réalisateurs français et étrangers. En 2007, Paris a accueilli 765 tournages, dont 108 longs-métrages. Parmi ces derniers, on compte 15 films étrangers (dont 6 films américains). La diversité de la production s’affiche à travers des films à petit et grand budget, des films d’auteur ou des films destinés à un large public. Le cinéma à Paris, c'est 10 tournages en moyenne chaque jour, 3 558 jours de tournage par an et plus de 4 600 lieux qui servent de décors aux équipes de tournages. 4 Représentations de Paris dans le cinéma français Paris apparaît au cinéma dès la fin du XIXe Siècle. D'abord dans les films des frères Lumière puis dans des films des studios Pathé et Gaumont où l'on peut apercevoir les rues de Paris et les petits métiers populaires. Cependant, à l'exception de quelques films de fictions et de films documentaires la grande majorité des films sont tournés en studio. Malgré cela, les réalisateurs du début du XXe vont donner de Paris une vision poétique. Ainsi, en 1925, René Clair dans Paris qui dort, va filmer la poésie de Paris en utilisant la Tour Eiffel comme personnage et non comme simple lieu de tournage. De son côté, avec Rien que des heures (1926), le réalisateur brésilien Alberto Cavalcanti va tourner a Paris un film du genre 'city symphony'. Le premier film sonore du cinéma français, Sous les toits de Paris (1930) de René Clair va offrir la vision d'un Paris rêvé. D'une façon générale, les réalisateurs du Réalisme poétique comme Jean Renoir ou Jean Vigo vont insister sur cette vision poétique de la capitale. L'esprit parisien s'incarne dans le personnage joué par Arletty dans Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938) et dans la plupart des personnages joués par Jean Gabin ; notamment dans la Grande illusion (Renoir, 1937) ou dans La traversée de Paris (Autant-Lara, 1956). Le poète Jacques Prévert qui écrira le scénario de certains de ces films (Quai des brumes, Le jour se lève, Les enfants du Paradis, Les portes de la nuit) va lui aussi contribuer à renforcer cette poésie de Paris. Mais c'est la Nouvelle Vague et son goût pour les tournages en extérieur qui va véritablement placer la capitale au centre des films et permettre aux réalisateurs d'investir la ville. Comme une affirmation, en 1960, Jacques Rivette intitule son premier long-métrage : Paris nous appartient. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague vont chacun livrer des visions différentes de Paris. François Truffaut, centre l'histoire des 400 coups (1958) et de son personnage Antoine Doinel dans son quartier le plus familier ; Pigalle et la Place Clichy (La suite des aventures d'Antoine Doinel se dérouleront aussi dans ce même quartier). Si Truffaut marque ainsi des frontières précises, Jean-Luc Godard va dans A bout de souffle rendre ces frontières floues en faisant de Paris un lieu de transit, et en utilisant la technique du 'jump cut' qui ne permet pas de suivre le trajet précis de ses personnages. L'importance du quartier On peut voir dans l'attachement de Truffaut à son quartier de la Place Clichy une spécificité très parisienne. Le quartier, c'est pour le Parisien, le territoire familier, celui des habitudes ; la ville réduite a sa dimension humaine. C'est aussi une identité. Déjà, Jean Renoir, avant la guerre, personnifiait ses personnages par leur quartier d'origines (ainsi, les bourgeois de La Règle du Jeu [1939] habitent le 14e arrondissement et les cheminots de La Bête Humaine [1938] aux Batignolles.). Beaucoup de réalisateurs (parisiens pour la plupart) vont centrer leurs films sur un quartier particulier de la capitale. Pour Cédric Klapish, le quartier de la Bastille dans Chacun cherche son chat (1996), pour JeanPierre Jeunet, Montmartre dans Le fabuleux Destin d'Amélie Poulain (2001). Christophe Honoré, situe son film Les chansons d'amours (2007) dans le quartier de la République. Eric Rohmer, quant à lui, cartographie Paris, quartier par quartier. La ville est pour lui un labyrinthe amoureux où se perdent et se retrouvent ces personnages. Dans Chacun cherche son chat, Cédric Klapish insiste aussi sur la dimension humaine et sociale du quartier. Pour Klapish, le quartier constitue un réseau de communication entre ses habitants. Et les petits commerces (épiceries, boulangeries, cafés) sont des relais essentiels. Ce sont les repères les plus importants. D'autre part, la dimension humaine du quartier permet de s'y déplacer a pied, de s'y promener. 4 Source : Mairie de Paris Elle permet aux réalisateurs de mettre en scène des personnages qui dialoguent en marchant et de rappeler que l'un des charmes de cette ville réside dans le simple fait que Paris est encore une ville où l'on marche. Dans Les rendez-vous de Paris (1995), Rohmer semble, à travers les diverses promenades, nous suggérer qu'une ville, c'est avant tout ce que l'on en connaît et au qu'au-delà de nos frontières familières "il n'y a rien" (comme le remarque la jeune femme). Autrement dit, que cette ville n'existe plus. Dans Chacun cherche son chat comme dans Les rendez-vous de Paris, l'importance du quartier comme géographie familière de quartier laisse aussi apparaître une vision des Parisiens attachés à la conservation de leur ville. Cet attachement au passé et à la mémoire s'accompagne naturellement d'une opposition aux diverses formes de développement urbain (Les immeubles repeints chez Rohmer, le re-développement d'un quartier chez Klapish). Ainsi dans Chacun cherche son chat, Klapish donne d'une machine de chantier l'image d'un animal monstrueux. De même que pour les personnages de ces films Paris pourrait se résumer au quartier qu'ils connaissent, la notion de quartier permet aux réalisateurs de s'approprier la ville. Chacun a son Paris, celui de ses expériences, de ses souvenirs, des gens qu'il connaît. La ville n'est pas un lieu, c'est une expérience : "Michel de Certeau poses the fact of the city, the city that people experience, a labyrinthine reality which produces ‘an “anthropological”, poetic and mythic experience of space’. In the recesses and margins of urban space, people invest places with meaning, memory and desire." 5 La fragmentation de Paris comme projet cinématographique Cette importance du quartier dans la diversité des représentations a conduit les réalisateurs de la Nouvelle Vague à construire un projet cinématographique autour de cette idée de fragmentation. Le film Paris vu par (1965) réunit les courts-métrages de six réalisateurs de la Nouvelle Vague (dont Rohmer, Godard et Chabrol). Chaque cinéaste y filme un quartier différent de Paris. Ce projet trouvera son prolongement en 1984, dans Paris vu par... vingt ans après qui reprendra le principe (un réalisateur, un quartier, un court-métrage) avec d'autres réalisateurs. En 2006, le film Paris je t'aime reprend à nouveau cette idée sur une plus grande échelle en présentant une suite de 18 courts-métrages sur 18 des 20 arrondissements de Paris et en confiant la réalisation à des cinéastes français et étrangers. Le film devait à l' origine comporter 20 courts-métrages afin de couvrir tous les arrondissements de la capitale mais les courts-métrages consacrés aux 11 e et 15 e arrondissements n'ont pas été intégrés au film final. À la différence de Paris vu par, Paris je t'aime est aussi axé autour d'un thème commun ; l'amour. Cependant, le quartier n'est pas au centre de tous les films qui ont pour cadre Paris. En 1967 déjà, Jacques Tati dans son film Playtime donne de Paris l'image d'une grande ville moderne (proche des projets d'urbanisation préconisés par l'architecte Le Corbusier) en jouant sur la vision utopique/dystopique de la ville. Dans les années 80, les réalisateurs du Cinéma du look cherchent à briser la représentation traditionnelle de la capitale. Luc Besson situe l'action de son film Subway (1985) dans le métro. Dans Mauvais sang (1986), Leos Carax fait disparaître les repères familiers qui permettent d'identifier la capitale. Même chose dans Diva (1980) de Jean-Jacques Beineix. Ces réalisateurs jouent avec l'idée d'une ville "labyrinthe" sans identité, aux frontières floues, vision que l'on retrouve aussi dans beaucoup de films policiers. Représentations de Paris dans la production internationale Si la notion de quartier est souvent centrale aux réalisateurs parisiens, elle peut aussi servir à marquer l'opposition avec une vision plus globale qu'on peut trouver dans un grand nombre de films étranger tournés dans Paris. Beaucoup de réalisateurs étrangers trace les frontières de la capitale en prenant pour repère les monuments et les lieux les plus représentatifs ou symboliques de la capitale (Tour Eiffel, Quais de la Seine, etc..). Il y a bien sur la question de la familiarité avec la ville mais aussi le fait que Paris est souvent représenté dans le cadre d'un voyage. Before sunset (Linklater, 2004) raconte la journée d'un écrivain américain dans la capitale. Dans Everyone says I love you (Allen, 1996), Paris est une destination choisie par une famille 5 The City, The Cinema Modern Spaces. Donald, James. In Visual Culture edited by Jenks, Chris, London, New York, Taylor & Francis, 1995. américaine pour passer Noël. Dans Mister Bean's holidays (Bendelack, 2007), Paris apparaît dans le cadre d'un transit entre l'Angleterre et la Côte d'Azur. Outre cette différence notable, ces trois films offrent d'autres aspects intéressants dans leur représentation de Paris. Tout d'abord, on peut noter qu'ils mettent tous les trois l'accent sur le lieu plutôt que sur ces habitants. La représentation des Parisiens se réduit souvent aux quelques catégories rencontrées au cours du voyage: serveur de restaurant ou garçon de café, chauffeur de taxi, agent de police, personnel hôtelier, personnel de gare ou d'aéroport… qui apparaissent en général comme source potentielle de conflits (on ne se comprend pas) et fait naître certains stéréotypes. D'autre part, la ville elle-même est débarrassée de sa complexité et réduite à quelques grands traits. Dans Before sunset, par exemple, Paris n'est rien d'autre qu'une ville romantique. La ville n'est plus qu'un décor pour un rendez-vous amoureux. Cette vision glamour et romantique de Paris est généralement celle qui domine dans le cinéma étranger.