4. Roger Bozzetto - Biennale de Lyon
Transcription
4. Roger Bozzetto - Biennale de Lyon
La vie moderne J’ai pu sortir sans bruit de la pièce. Il faisait presque jour, et le gosse toussait, ce qui n’est pas bon signe avec ce grand froid. J’ai du prendre la pelle à neige pour dégager un chemin devant la porte. Le vent à plus de deux cents kilomètres heures avait rabattu les détritus de mes voisins, qui n’avaient pas arrimé la montagne de boites de conserve et de toutes les bricoles dont ils avaient usage. Je suis allé vers l’ancienne gare en suivant les rails. Un vendeur attirait du monde. Il troquait de la farine. Je n’avais rien emporté pour échanger. Faut dire que c’est rare, la farine. Je suis retourné dans la pièce et j’ai choisi deux morceaux d’un couvre lit en soie grège que sa mère avait ramassé dans une poubelle, y a longtemps. Ça ferait bien deux sacs de cette farine. Le gosse toussait fort, alors devrais garder la soie pour des médicaments. On mangera plus tard. J’ai déblayé. J’ai vu un gars qui trainait un charriot, avec jeune, qu’il engueulait parce qu’il ne poussait pas fort, vu son état…Il cherchait des livres, troquait des graines d’orge, pour les galettes. Je lui ai donné un tome de SF, planqué il y a longtemps, pour le jour où nous en aurions vraiment besoin, comme aujourd’hui. Ensuite les femmes sont sorties, on s’est partagé les restes. Et elles sont allé voir si le Gros Bourru leur donnait du travail — à coudre les peaux après les avoir bien mâchées. Fallait des dents. Le soleil était caché. J’ai pris mon pic et je suis allé voir ce que je trouverai dans le trou, où ils avaient enfoui une montagne de déchets. Il y avait deux piqueurs. Ils m’ont laissé passer, parce qu’ils étaient fatigués. Les parois du trou donnaient une bonne chaleur. Le pic a troué un gros bidon, avec des dessins verts dessus. C’est ça qui chauffait. j’ai ramassé un peu des sortes de braises qui sortaient du bidon et je suis rentré à la maison, avec dans mes mains de quoi chauffer la pièce et réchauffer le gosse Il regardait un bout de carton où on voyait écrit 2115. L’année de la guerre.