LES FACTEURS DE LA COMPETITIVITE FISCALE D`UN PAYS

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LES FACTEURS DE LA COMPETITIVITE FISCALE D`UN PAYS
LES FACTEURS DE LA COMPETITIVITE
FISCALE D’UN PAYS ∗
Bernard PLAGNET
Professeur à la Faculté
de Droit de Toulouse
Membre du Conseil National
des impôts
1- Les questions liées à l’influence de la fiscalité sur les
implantations d’entreprises étrangères doivent être, en premier lieu,
replacées dans le cadre plus général des mouvements de capitaux dans le
monde. Après ce chapitre préliminaire, la réflexion sera centrée sur les
systèmes fiscaux et leurs incidences éventuelles sur les implantations
étrangères.
CHAPITRE I
LES MOUVEMENTS DE CAPITAUX
CADRE GENERAL
Section I : Quelques données économiques sur les investissements
étrangers
2- On n’a pas la prétention de présenter une analyse économique
exhaustive de cette question éminemment complexe. Le but est
simplement de présenter quelques « cadres » généraux dans lesquels
s’inscrira la réflexion sur la compétitivité fiscale.
A- Une typologie des entrées de capitaux dans un pays
3-Les économistes distinguent trois grandes catégories d’entrées
de capitaux : les Investissements directs étrangers (IDE), les placements
de portefeuille et les autres flux financiers (tels que, notamment, les prêts
∗
Rapport présenté aux journées de l’entreprise de Sousse organisées par l’institut
Arabe des Chefs d’Entreprises, (novembre 2001).
9
bancaires). Le total des mouvements de capitaux intervenant dans le
monde est estimé à 1500 Milliards de dollars par jour.
Dans ces trois catégories, l’IDE est, en principe, solidement
installé dans le pays et ne peut le quitter aux premiers signes de
difficultés, contrairement aux flux de capitaux à court terme. Selon tous
les observateurs, ces capitaux à court terme ont été les principaux
responsables des cycles «expansion-récession» des années 90. Dans cette
communication, on privilégiera donc les IDE.
B- Les flux d’IDE (Investissement direct étranger) 1
4- Quelques conclusions peuvent être tirées des nombreuses
études qui ont été consacrées à ces questions :
1) Pour l’essentiel, les IDE proviennent des Etats
membres de l’OCDE
5- On peut mener une réflexion à partir des capitaux émanant des
pays de l’OCDE ; ils représentent, en effet, l’essentiel des capitaux qui
s’investissent dans le monde.
Globalement, la part des flux d’IDE dirigés vers des pays non-membres
de l’OCDE augmente progressivement : d’environ 20 % des flux totaux
dans les années 80, elle est passée à 30 % dans la décennie suivante.
2) Il résulte donc de ces chiffres que l’essentiel de l’IDE
circule entre les pays de l’OCDE
6-Il faut souligner, à cet égard, l’attraction du marché continental
américain et des places (comme la Silicon Valley, Londres) dont la
dynamique aspire les compétences et les capitaux 2. Le choix des pays
d’implantation des centres de décision est évidemment capital, car il
conditionne souvent la politique qui sera menée par la firme ; en
particulier, pour l’application des plans sociaux, les entreprises ont
souvent tendance à favoriser leur pays d’origine. Bien sûr, l’attraction
1
2
V. Finances et développement, Publication du FMI, Juin 2001, p. 10
Rapport de l’Inspection générale française, L’entreprise et l’Hexagone, Editions de
Bercy, 2001.
10
des Etats-Unis est sur ce point essentielle. C’est ainsi que l’inspection des
finances écrivait dans un rapport sur la localisation des investissements :
« si l’innovation des entreprises les plus performantes des secteurs en
croissance dépend de leur implantation dans la Silicon Valley; si
l’essentiel des revenus et flux d’affaires des banques d’investissement
sont générés à Londres ; si ces places drainent les meilleures
compétences des entreprises et leurs forces vives, n’est-ce pas rester sur
le côté de la route que de ne pas y transférer les centres de décision ? »3.
7- Mais un autre phénomène est en train de voir le jour :
l’instauration d’une concurrence entre le continent européen, en voie de
structuration avec l’instauration de l’euro et le continent américain. Il
s’agit, sans aucun doute, de l’évolution la plus importante à prévoir pour
les prochaines décennies. A cet égard, et sans qu’il soit besoin d’insister
sur ce point, il va de soi que la Méditerranée est un axe essentiel de la
politique européenne : « L’Europe ne doit pas transformer la
Méditerranée en une frontière. Elle doit faire de cette zone de tensions un
véritable espace de solidarité, qui bénéficie aux pays du Nord comme aux
pays du Sud » 4.
3) Les pays bénéficiaires des IDE, hors OCDE, sont
très concentrés
8- Les dix principaux destinataires des capitaux sont les
suivants : Argentine, Brésil, Chili, Chine, Corée, Inde, Indonésie,
Malaisie, Mexique et Thaïlande.
Peu de capitaux vont vers l’Afrique et les apports sont limités à
quelques pays dotés d’importantes ressources naturelles. En outre,
l’impact à long terme des capitaux étrangers sur la croissance risque
d’être faible du fait que la productivité de l’investissement dans nombre
de pays n’est pas élevée.
3
4
Les Notes Bleues de Bercy, mai 2001, n° 206, p. 5
Rapport parlementaire de l’Assemblé nationale française, n° 3211, 2001 : « Des
alliances pour une mondialisation maîtrisée », p. 17
11
4) Les principales raisons du choix des pays d’accueil
des IDE
a- La raison essentielle est, bien sur, la recherche de la
rentabilité de l’investissement :
9-Les nouveaux investissements sont plus productifs dans les
pays dotés d’une main-d’œuvre qualifiée et d’une infrastructure
matérielle suffisamment développée. Cela explique que les nouveaux
flux de capitaux ont tendance à se diriger vers les pays qui en ont
largement bénéficié dans le passé, et que les investisseurs recherchent un
climat d’affaires favorable. Il n’est donc pas surprenant que les flux de
capitaux vers les pays à faible revenu diminuent.
b- Mais un paradoxe apparaît : la part des IDE est plus
forte dans les pays où la qualité des institutions est
médiocre :
10-Une explication est avancée par les observateurs du FMI et de
la Banque mondiale 5 l’IDE tend plus que d’autres formes de flux de
capitaux à aller à des pays où les marchés font défaut ou sont inefficients.
Dans ces conditions, les investisseurs étrangers préfèrent opérer
directement au lieu de s’en remettre aux marchés financiers, fournisseurs
ou institutions juridiques du pays. La conclusion de cette observation est
que les pays qui essaient d’élargir leurs accès aux marchés internationaux
de capitaux doivent se concentrer sur la mise en place de dispositifs
d’application crédibles au lieu de s’employer à attirer davantage d’IDE.
C- Les effets de l’entrée des capitaux étrangers dans un pays
11-Les études économiques, menées notamment par le FMI et la
Banque mondiale, permettent de mettre en exergue quelques
constatations :
1) Les capitaux privés étrangers peuvent soit augmenter la
consommation ou l’investissement intérieurs, soit essentiellement
5
Finances et développement, op. cit., p. 8.
12
accroître les réserves de change du pays. Si les flux sont simplement
induits par des incitations à échapper à l’impôt ou à contourner d’autres
obstacles juridiques, ils peuvent sortir du pays aussi rapidement qu’ils y
sont rentrés. Certains auteurs ont qualifié ces capitaux volatils de
« mauvais cholestérol » pour le pays 6.
2) Les gains de productivité sont supérieurs dans les pays dotés
d’une main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures matérielles
suffisamment développées (v. également, ci-dessus, les motivations dans
le choix des pays).Par exemple, les études indiquent qu’en Malaisie, à
Taiwan et dans les provinces chinoises du Sud-Est, l’investissement
direct étranger stimule la productivité. En revanche, les études sur le
Maroc, la Tunisie et l’Uruguay ne concluent pas à des bénéfices
semblables. En fait, certaines données indiquent que l’entrée
d’entreprises étrangères ne se traduit pas, pour les entreprises locales, par
des retombées favorables liées au savoir que peuvent apporter les
nouvelles venues. Elles subissent au contraire une perte de part de
marché, et le repli qui en résulte diminue leur productivité. Au sein d’un
même pays, les entreprises dotées de capacités de recherche et de
développement supérieures sont plus à même de tirer parti des avantages
issus de la présence de firmes étrangères 7.
3) Les principaux avantages qu’un pays peut tirer des l’IDE sont
les suivants :
-L’IDE permet des transferts de technologies, que les
investissements financiers ou le commerce des biens et services ne
permettent pas d’assurer ;
-L’IDE s’accompagne souvent de programmes de formation du
personnel des nouvelles entreprises, ce qui contribue au développement
des ressources humaines du pays hôte ;
-Les bénéfices engendrés par l’IDE augmentent les recettes
fiscales du pays hôte. Mais les pays choisissent souvent de renoncer à
une partie de ces recettes quand ils réduisent les impôts sur les bénéfices
des sociétés pour attirer l’IDE. Ainsi la forte diminution des recettes
6
7
E.Hausmann et E.Fernandes-Arias, « Foreingh Direct Investment : Good
Cholesterol ? Inter-Americain Development Bank Working Paper, n° 417, 2000.
B.Aitken et A.Harison, « Do domestic firms benefit from direct foreign
investment, American Economic Review, Vol. 89, p. 605 et s. , 1999.
13
fiscales de ce type dans certains des pays membres de l’OCDE est peutêtre imputable à cette concurrence.
4) Mais les IDE peuvent également présenter des risques pour les
pays « hôtes » : 8
-Les investisseurs étrangers obtiennent des informations cruciales
sur la productivité des entreprises qu’ils contrôlent. Ils ont ainsi un
avantage sur les épargnants nationaux « non informés » ; profitant de ces
informations d’initiés, les investisseurs directs étrangers tendront à
conserver les entreprises très productives dans leur portefeuille et à en
garder le contrôle et à vendre les entreprises peu productives aux
épargnants non informés.
-Les risques de rapatriement de l’IDE ne sont pas négligeables,
même s’ils sont moins élevés que dans les cas des flux financiers à court
terme. En effet, les actifs (immeubles, matériels) sont bien « arrimés »
dans le pays, mais les transactions financières peuvent permettre de
rapatrier l’IDE. Les procédés sont nombreux et bien connus : par
exemple, la filiale emprunte dans le pays et reprête l’argent à la société
mère. De même, du fait qu’une part importante de l’IDE représente une
dette interne de la filiale à l’égard de la société mère, cette dernière peut
en demander le remboursement à bref délai.
-Quand l’investissement est centré sur des marchés intérieurs
protégés par de hautes barrières tarifaires ou non tarifaires, l’IDE peut
renforcer l’action des lobbys cherchant à perpétuer la mauvaise allocation
des ressources. On peut aussi assister à une perte de concurrence
intérieure résultant d’acquisitions étrangères, par rachat à la suite de
faillites, qui conduisent à un regroupement des producteurs intérieurs.
12-Les investissements étrangers peuvent, dans ces situations,
être une cause de l’accentuation des inégalités entre les secteurs
économiques. Il faut remarquer, notamment, que les entreprises
étrangères offrent, parfois, des systèmes de rémunérations ou de
protection sociale plus favorables que ceux proposé par les entreprises
nationales.
8
Finances et développement, op. cit,p. 6 et s. « L’investissement direct étranger estil bénéfique aux pays en développement ? ».
14
Les effets positifs des investissements étrangers sont indéniables,
mais ils ne constituent sans doute pas la panacée.
Section II : La problématique fiscale générale :
13-La mondialisation ouvre la voie à une concurrence fiscale
potentiellement délétère entre les pays désireux d’attirer les investisseurs.
Les sociétés multinationales ont évidemment la possibilité de réduire leur
Pour réduire leur pression fiscale, en déplaçant leurs capitaux mobiles.
A cet égard, le développement des facteurs de production « immatériels »
facilite grandement ces délocalisations.
Avant d’entrer dans le détail des mesures fiscales intervenant
dans la compétitivité d’un pays, il n’est pas inutile de rappeler quelques
données générales :
A- La fiscalité n’est qu’un des déterminants des flux de
capitaux
14 - C’est ainsi que le niveau des taux d’imposition n’est qu’un
des nombreux déterminants des flux de capitaux. Il faut aussi tenir
compte des infrastructures, de la qualification et de la productivité de la
main-d’œuvre, des rigidités structurelles (notamment, la réglementation
du travail, le régime des changes…).
Là encore, il faut également tenir compte de l’attraction du
marché américain. La mission d’enquête de l’Inspection générale des
finances française écrivait récemment : « Alors même que les
comparaisons fiscales placent certains pays européens (Belgique,
Royaume-Uni, Pays-Bas..) à maints égards dans une situation beaucoup
plus favorable que les Etats-Unis en termes de fiscalité personnelle, c’est
vers les Etats-Unis que se produisent les seuls mouvements significatifs
de déplacement de centre de gravité»9.
9
Les Notes Bleues de Bercy, mai 2001, n° 206, p. 6
15
B- Les conséquences possibles d’une politique fiscale en
faveur des investissements étrangers :
15- On peut relever deux séries de conséquences qui pourraient
résulter de l’application de mesures fiscales destinées à attirer des
investissements étrangers :
1) A l’intérieur du pays
a- Une redistribution de la pression fiscale : c’est ainsi
que les prélèvements obligatoires pourraient pénaliser plus fortement les
facteurs de production moins mobiles, le travail en particulier. On
constate ce phénomène dans ne nombreux pays de l’OCDE (en
particulier, en France) : une augmentation de la pression fiscale sur le
travail et une baisse des prélèvements sur les revenus du capital.
Quelques conclusions peuvent être tirées des statistiques publiées
récemment par l’Union européenne :
D’abord, quelques chiffres significatifs : dans l’Europe des 15,
l’imposition du travail salarié représentait 21,2 % du PIB en 1997 (contre
19,7 % en 1980) ; en France, les chiffres sont 23,5% en 1997, contre 20,8
% en 1980. Nous sommes donc un peu au-dessus de la moyenne
européenne ; pratiquement au même niveau que l’Allemagne (23,2 % en
1997), mais très au-dessus de la Grande-Bretagne (14,5 % en 1997).
Si on calcule la part de l’imposition du travail salarié par rapport
au total des prélèvements obligatoires, on constate que la moyenne
européenne est de 49,9% (en 1997) les salariés contribuent donc
pratiquement à la moitié des prélèvements obligatoires. En France, le
chiffre est de 50,6 % (en 1997) ; il est de 55,5 % en Allemagne et de 39
% en Grande-Bretagne. Les « records d’Europe » (à la baisse !) sont
détenus par l’Irlande (38%) et par le Luxembourg (37,3 %). Il ne faut
donc pas s’étonner que ces pays ( et, notamment, l’Irlande) attirent
beaucoup d’entreprises 10.
17-Derrière ces chiffres, on peut aisément déceler un « choix de
société » :c’est évidemment un point essentiel.
10
Portrait économique de l’Union européenne (Publication de la Commission),1999,
Edition 2000, p. 79 et s.
16
Allons un peu plus loin dans l’examen des chiffres : les
prélèvements pèsent sur les salariés et sur les employeurs (notamment,
les cotisations sociales) ; mais, actuellement, les employeurs ne
supportent plus que deux cinquièmes environ du total des prélèvements
contre trois cinquièmes pour les salaires. Malgré de grandes disparités
(concernant essentiellement les pays de tradition anglo-saxonne), il existe
donc un « modèle européen » de forte imposition du travail salarié ; les
écarts du taux de chômage entre l’Europe et les Etats-Unis s’expliquent,
en partie, par ce phénomène 11.
18- On peut également aboutir à un système fiscal dans lequel les
grandes sociétés multinationales seraient avantagées par rapport aux
petites entreprises nationales ; là encore, les risques sociaux et politiques
sont évidents.
19- b- La perte de recettes fiscales, résultant de l’adoption de
mesures de faveur pour les investissements étrangers peut avoir des
conséquences fâcheuses pour le budget des pays « hôtes » et, notamment,
un creusement des déficits ou une amputation des services publics.
Le pays en cause sera souvent obligé de recourir à l’augmentation
d’autres recettes fiscales pour compenser les pertes engendrées par les
régimes particuliers concernant les investissements étrangers ; on pense,
notamment, à l’Impôt sur le revenu (les particuliers étant, relativement,
peu mobiles, dans leur grande majorité) et aux taxes sur les ventes (ou à
la TVA voire aux deux).
2) La concurrence dommageable entre Etats
20- La concurrence n’est pas mauvaise en soi, mais il faut
évidemment s’efforcer de lutter contre les pratiques que l’on peut juger
« déloyales ». Un effort dans ce sens a été tenté par l’Union européenne,
qui s’efforce d’adopter un « code de bonne conduite ». C’est ainsi que les
autorités communautaires ont recensé une soixantaine de « pratiques
fiscales déloyales » et les Etats se sont engagés, en principe, à supprimer
11
Rapport de la délégation européenne de l’Assemblée nationale, n° 1537, avril
1999, p. 15 ; v. également, Economie européenne (Publication de la Commission),
n° 69, 1999, p. 159 et s.
17
ces pratiques dans un délai de cinq ans. Parmi ces pratiques, on peut
citer, notamment, les mesures fiscales en faveur des implantations de
sociétés en Irlande, le régime fiscal des Pays-Bas (avec, notamment,
l’incidence de la convention fiscale conclue entre les Pays-Bas et les
Antilles néerlandaises..). Quelques débuts de réalisation sont déjà
intervenus, notamment pour la fiscalité de l’épargne (adoption d’une
directive au sommet de Nice en décembre 2000). Mais les réalisations
concrètes sont encore modestes ; il en résulte d’incontestables distorsions
de concurrence susceptibles de provoquer des troubles sociaux
(suppressions d’emplois dans certains pays à cause des délocalisations).
On peut espérer que ces pratiques seront progressivement réduites au sein
de la « zone euro », qui a une forte cohérence économique et politique ;
en revanche, il serait utopique de penser que des solutions interviendront
au plan mondial, d’où la nécessité pour les « grands Etats » de se doter
d’un arsenal fiscal destiné à lutter contre les « paradis fiscaux ».
CHAPITRE II
LE POIDS DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
A- Les taux de prélèvements obligatoires
21-Les pourcentages des prélèvements obligatoires par rapport au
PIB sont très variables selon les pays et ils constituent,
incontestablement, un des facteurs d’attractivité de ce pays.
En fait, les comparaisons entre pays doivent être effectuées sur
une période assez longe, car l’important en la matière est beaucoup plus
la tendance que la constatation pour une année déterminée. On peut
présenter quelques conclusions à partir des statistiques 12.
22- On peut distinguer trois grandes catégories de pays, en
fonction de leurs taux de prélèvements obligatoires :
12
V., notamment, les chiffres publiés par l’INSEE, en France : L’économie
française, 2001, p. 225.
18
-Les pays dont le taux dépasse 40% : il s’agit, notamment, des
pays nordiques, tels que la Suède ( taux de 52 % en 1998), mais aussi la
France ( 45,2 % en 1998).
-Les pays « intermédiaires » dont le taux est compris entre 30 et
40% : la majorité des pays européens se situent dans cette catégorie; par
exemple, l’Allemagne (37 % en 1998) ou le Royaume-Uni (37,2 % en
1998).
-Les pays dont le taux est inférieur à 30 %, par exemple, le Japon
(28,4 % en 1998) ou les Etats-Unis (28,9 % en 1998).
2) On peut constater, sur une longue période, que les pays ne
changent pas de « catégorie » : les taux de prélèvements connaissent des
variations d’ampleur relativement limitée. Par exemple, en France, le
taux était de 43,8 % en 1985 et il est de 45,2 % en 1998. Cette relative
stabilité s’explique car le taux des prélèvements obligatoires est, en fait,
révélateur d’un choix de société. On peut souligner, notamment,
l’importance de la solidarité dans les pays européens et, notamment, en
France.
-Une politique de baisse de ces prélèvements se heurte donc à de
fortes résistances et, si on veut se montrer réaliste, on ne peut guère
envisager que des baisses « ciblées » Par exemple, en France, on pourrait
envisager des baisses de prélèvements sur les revenus du travail peu
qualifié, sur les créateurs d’entreprises, voire sur les revenus de cadres
étrangers venant travailler en France (v. également, ci-après, n.86 et s).
3) Une dernière constatation confirme l’importance de cette
notion de « solidarité » dans l’analyse des taux de prélèvements
obligatoires : les différences entre les taux globaux de prélèvements
obligatoires s’expliquent, essentiellement, par les cotisations sociales.
Par exemple, en reprenant les chiffres de 1998, les cotisations sociales
représentent 16,4% du PIB en France, 14,9 % en Allemagne, mais
seulement 6,5 % au Royaume-Uni et 6,9 % aux Etats-Unis.
Il est certain que le financement de la protection sociale constituera l’un
des problèmes essentiels qui se posera dans un avenir proche aux
économiques de tous les pays.
19
B- Le « coin fiscal »
23-Mais la mesure du « coin fiscal » est finalement plus
significative que le total des prélèvements obligatoires car elle permet de
mieux appréhender le coût du travail et les « incitations à travailler ».
Le « coin fiscal » désigne, dans le jargon des économistes, la
différence entre les salaires versés par les entreprises (impôts et
cotisations sociales comprises) et les sommes nettes (déduction faite des
impôts et cotisations) perçues par les salariés 13.
La comparaison entre l’Europe des 15 et les Etats-Unis est
édifiante : le « coin » moyen en Europe est de 51 % et il se monte à 32 %
aux Etats-Unis (ces chiffres résultent d’un calcul complexe qui n’est pas
une simple addition !). C’est, sans doute, une des explications de la
différence des taux de chômage entre les deux rives de l’Atlantique.
Cette grande différence tient, essentiellement, aux cotisations sociales
patronales et salariales (aux Etats-Unis, 14,6%; en Europe, 28 %) et aux
impôts indirects (9,2 % aux Etats-Unis, contre 19,9 % en Europe) ; en
revanche, contrairement à une idée reçue, les impôts directs sont plus
élevés aux Etats-Unis (10,3 % contre 9,8 %).
24- À l’intérieur de l’Europe, on voit bien se dessiner les
différentes catégories de pays :
-les pays dont le « coin » est supérieur à 50 % (la Suède dépasse
même les 60%) :l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la
Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas (l’Autriche, la
Belgique, le Danemark, la France et la Finlande sont au-dessus de 55 %).
-les pays « situés » entre 40 et 50 % : Espagne, Luxembourg,
Portugal
-les pays placés à 40 % : l’Irlande et la Grande-Bretagne.
Les pays dont le « coin » est élevé ont une protection sociale
forte, mais un coût de main-d’œuvre élevé. Derrière la froideur des
chiffres, il y a, bien sur, un choix de société. Voilà un beau thème de
débat politique !
13
Economie européenne, Commission de l’UE, 1999, p. 165.
20
CHAPITRE III
« L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE ET FISCAL »
25-De l’avis général, « l’environnement juridique et fiscal » est
une donnée essentielle de l’attractivité d’un pays. Quelques observations
peuvent être présentées à ce propos.
Section I : L’influence croissance de la méthode juridique anglosaxonne
26- Cette communication est consacrée, essentiellement, aux
aspects fiscaux de la compétitivité d’un pays. Il faut cependant souligner
l’importance accrue du droit anglais dans les affaires internationales.
Dans son rapport précité (v.n.14) l’Inspection générale des Finances
française soulignait ce point, dont l’incidence sera sans doute primordiale
dans l’avenir : « Le droit français est, comme du reste tous les droits
continentaux, beaucoup plus difficile d’accès pour un groupe
international que le droit anglais, qui présente le double avantage
spécifique d’une tradition juridique pragmatique et peu procédurale, et de
la langue anglaise en version originale. Mais plus spécifiquement, le droit
français se caractérise, par rapport à la plupart des droits d’Europe du
Nord, par la faible place faite au contrat, en particulier en matière de
relations du travail et de négociation collective- la législation sur le temps
de travail et la remise en cause par le juge des plans sociaux négociés et
signés étant les deux points les plus sensibles ».
27- Cette influence croissante du droit anglais (anglo-saxon d’une
manière plus générale) ne doit pas être sous-estimée. On peut souligner,
par exemple, que de droit anglais « imprègne » de plus en plus la
réglementation européenne et l’on peut penser que ce phénomène
s’accentuera avec le développement de la concurrence entre le
« continent » européen et les Etats-Unis (v. n.7). Il faut noter, en
particulier, l’importance du contrat dans le droit anglo-saxon, par
opposition à la tradition réglementaire du droit continental et notamment
du droit français ; on retrouvera cet aspect dans les relations fiscales (v.
ci-après, n.43, le «rulling»).
21
Section II : La législation fiscale : simplicité, stabilité, effectivité
28-La complexité de la réglementation fiscale est souvent
dénoncée par les usagers, mais également par les agents des
administrations financières. L’Inspection Générale des Finances française
a mené une enquête approfondie en 2000 et elle a abouti aux conclusions
suivantes sur ce point : « Les agents considèrent que la complexité de la
législation et de la réglementation nécessite une très grande compétence.
Le volume des textes législatifs et réglementaires et des instructions
administratives ne cesse de croître. Cela crée des difficultés importantes
pour les agents chargés de les faire respecter et des incompréhensions de
la part des usagers » 14
Les trois exigences souvent rappelées dans les enquêtes menées à
ce sujet peuvent être résumées par les trois expressions : simplicité,
stabilité et effectivité.
A- La simplicité de la réglementation fiscale
1) Les principales causes de la complexité de la
réglementation fiscale
29- La revendication de la simplicité est souvent présentée tant
par les contribuables que par les agents de l’administration. Pourtant,
cette exigence récurrente est rarement satisfaite par les systèmes fiscaux
de la plupart des pays. La raison essentielle de cette carence peut être
recherché dans trois directions essentielles :
-Une réglementation fiscale trop simple serait, la plupart du
temps, injuste. Le législateur s’efforce de tenir compte des cas
particuliers de manière à adapter l’application de la loi fiscale aux
situations concrètes. Il s’ensuit, évidemment, un foisonnement de textes,
mais aussi une évolution de ces textes (v. aussi, ci-après, n. 31 et s.), en
vue de tenir compte de la mobilité des situations particulières.
-Il est bien connu que la fiscalité devient de plus en plus
interventionniste. Il est tentant, pour tous les gouvernements, de se servir
de la fiscalité comme d’un « levier » pour atteindre des objectifs de
nature économique. Or, les exigences de l’économie sont complexes et
14
« Mission 2003 », rapport de synthèse, p. 5, 2000.
22
en constante évolution ; si la loi fiscale a l’ambition de « coller » à ces
évolutions, elle ne peut qu’être instable et complexe.
-Une raison un peu moins « noble » de la complexité de la loi
fiscale, vient de l’action des groupes de pression, qui s’efforcent
d’obtenir des avantages fiscaux en faveur de tel ou tel secteur
économique. Les arguments tirés de l’intérêt économique dissimulant,
souvent, de pures préoccupations corporatistes.
2) Quelques pistes de réflexion pour la recherche de
solutions
30- Il convient, sans doute, d’adopter une démarche pragmatique
et de se fixer des objectifs réalistes. Ainsi, il n’est guère concevable
d’envisager une simplification rapide de l’ensemble de la réglementation
fiscale d’un pays ; les raisons de la complexité sont trop « lourdes » et
elles ne peuvent être aisément surmontées.
En revanche, il est très opportun de s’intéresser aux procédures
courantes, qui doivent être appliquées très souvent par les contribuables ;
toutes les enquêtes montrent que c’est la complexité souvent
déconcertante de ces procédures qui irritent les contribuables et
expliquent en grande partie la mauvaise « image de marque » des
administrations fiscales. On peut citer, par exemple, les changements
d’adresse, les formulaires de déclarations dont la lecture est souvent peu
aisée, les difficultés de contester le montant de l’impôt ou de demander
des délais de paiement. On peut estimer qu’il serait relativement facile
pour les administrations fiscales, à condition d’en avoir la volonté
« politique » de rendre vraiment simples ces actes qui relèvent de la vie
quotidienne. Mais les « blocages » administratifs peuvent freiner ces
solutions qui paraissent, pourtant relever du bon sens.
B- Stabilité
31- La réglementation fiscale est mouvante, dans tous les pays.
Cette mobilité créée une incertitude qui est souvent dénoncée par les
investisseurs, notamment, les investisseurs étrangers qui ont encore plus
de difficultés que les nationaux à suivre ces évolutions. En France, par
exemple, environ cent articles du Code général des impôts sont modifiés
chaque année !
23
La raison essentielle de cette mobilité tient au souci du législateur
de « coller » aux évolutions économiques et sociales. Or, les sociétés
sont, actuellement, en voie de mutations rapides et profondes, ce qui
explique l’instabilité de la fiscalité.
32-Cependant, l’aspect le plus critiqué- et qui est effectivement le
plus critiquable- est la rétroactivité de la loi fiscale. Ce phénomène se
rencontre dans tous les pays et il correspond donc à des motivations
profondes qui ne sont pas aisées à surmonter.
Les réglementations fiscales rétroactives se rencontrent dans
plusieurs situations très différentes :
-Soit, le législateur souhaite limiter les conséquences négatives
pour l’Etat ou une collectivité publique d’une décision de justice
défavorable. Dans ces cas, l’intérêt des finances publiques est mis en
avant…souvent abusivement. Il est intéressant de souligner que la Cour
de Justice des communautés européenne retient rarement ce genre
d’argument pour autoriser une législation nationale rétroactive 15
-Soit, le législateur souhaite mettre un terme à l’octroi
d’avantages fiscaux, décidés par une précédente majorité politique. La
rétroactivité est, alors, présentée comme une manifestation de
l’alternance politique.
-Soit, l’administration fiscale s’aperçoit, au bout de quelque
temps, que l’application d’une réglementation qu’elle avait elle-même
élaborée aboutit à des conséquences qui lui paraissent inacceptables. Il
s’agit donc, pour elle, de rectifier une erreur…mais souvent au détriment
de la sécurité juridique à laquelle ont légitimement droit les citoyens.
33-Il paraît assez peu réaliste d’interdire purement et simplement
la rétroactivité de la réglementation fiscale, mais il est indispensable que
les conséquences en soient rigoureusement « encadrées ». Ainsi, par
exemple, des efforts en ce sens ont été menés par la jurisprudence
française et, notamment, par le Conseil constitutionnel 16. Selon cette
jurisprudence, les lois rétroactives sont soumises à trois conditions
essentielles :
15
16
V. par exemple, l’arrêt du 19 septembre 2000, rendu à propos de dépenses exclues
du droit à déduction en matière de TVA ( RJF 11/ 2000, n° 1392, p. 878)
V. l’étude d’E.Mignon, RJF 2000, p. 90
24
-Elles ne peuvent remettre en cause une décision revêtue de
l’autorité de la chose jugée ;
-Elles ne peuvent donner rétroactivement un fondement légal à
des sanctions pénales ;
-Elles doivent poursuivre un but d’intérêt général. Cette condition
est la novation essentielle introduite par des décisions récentes. En
particulier, le Conseil constitutionnel examine les avantages et les
inconvénients et l’intervention d’une loi de validation ; il se livre ainsi à
un véritable contrôle de « bilan ».
Cependant, le Conseil d’Etat français se refuse encore à consacrer
l’existence d’un véritable principe de la « sécurité juridique », en dehors
de l’application du droit communautaire (qui, lui, prévoit l’application de
ce principe). 17. Cette réticence apparaît fâcheuse et l’influence croissante
des principes du droit européen pourrait conduire à une évolution de cette
jurisprudence.
C- Effectivité de l’application de la loi fiscale
34-Un des défauts majeurs souvent reproché à des systèmes
fiscaux est le décalage entre la lettre de la loi et son application effective.
Il est fréquent, en effet, que, pour des raisons diverses (avouables ou
non !), les administrations fiscales suspendent l’application d’une loi ou
en modifient les conditions d’application. Si ces modifications vont dans
le sens de l’intérêt des contribuables, ceux-ci n’ont évidemment aucun
intérêt à attaquer ces décisions devant les juridictions : il s’agit donc de
décisions contraires aux lois, mais qui vont néanmoins s’appliquer. La
difficulté est plus grande pour les décisions administratives, contraires à
la loi et qui vont à l’encontre des intérêts des contribuables. Ceux-ci ne
sont pas toujours en mesure de les contester devant les tribunaux,
notamment en raison de l’expiration des délais de recours, qui constituent
souvent un obstacle majeur pour les étrangers.
Là encore, il est sans doute peu réaliste d’attendre une interdiction
totale de ce genre de pratiques. Mais il est certainement opportun de
prévoir un « encadrement » étroit des pouvoirs de l’administration. La
conception française, par exemple, consiste à prévoir que les prises de
position de l’administration fiscale engagent celle-ci, sous certaines
17
V.Bulletin des conclusions fiscales, 4/ 2000, p. 70
25
conditions. Les contribuables peuvent donc utilement de prévaloir de la
« doctrine administrative »18.
Section III : Le réseau des conventions fiscales internationales
35-L’internationalisation de l’économie est à l’origine de
difficultés fiscales et, notamment, l’apparition de risques de doubles
impositions. Ces risques sont d’autant plus importants que les Etats sont
évidemment soucieux de préserver leur souveraineté en matière fiscale ;
d’où la consécration, dans la pratique internationale, du principe de la
souveraineté absolue des Etats en matière fiscale.
Les Etats ne peuvent accepter qu’une limitation volontaire de
cette souveraineté et l’instrument privilégié est évidemment la conclusion
de conventions fiscales bilatérales. Ces conventions ont un double objet :
l’élimination des doubles impositions et la lutte contre la fraude et
l’évasion fiscale internationale.
36-Pour un Etat, la conclusion de nombreuses conventions
fiscales est incontestablement un atout important pour attirer des
investissements étrangers.
L’ONU a recensé près de 2000 conventions fiscales. Parmi les
pays ayant conclu le plus grand nombre de conventions, il faut
mentionner le Royaume-Uni et la France (qui en ont conclu environ une
centaine).
Dans l’avenir, il est peu vraisemblable que des conventions
multilatérales puissent être conclues ( sauf, peut être, entre des pays ayant
une grande cohérence politique et économique). En revanche, on peut
penser que les conventions s’inspireront de plus en plus d’un « Modèle »
commun qui sera, sans doute, le Modèle de l’OCDE (élaboré et mis à
jour régulièrement par le Comité des Affaires fiscales de l’OCDE).
Depuis quelques années, on assiste à une sorte « d’uniformisation » des
conventions fiscales qui, pour la grande majorité d’entre elles, s’inspirent
du Modèle de l’OCDE. On peut remarquer, à cet égard, que le Modèle de
l’ONU voit son influence décroître fortement. Il est d’ailleurs significatif
qu’aucune mise à jour de ce Modèle ne soit intervenue depuis les
années 60.
18
Articles L 80 A et B du Livre des Procédures fiscales.
26
Section IV : Les relations entre l’administration fiscale et les
contribuables
37-Il s’agit d’un aspect sans doute essentiel pour l’appréciation de
« l’attractivité » d’un pays. Il n’est guère possible, dans le cadre de cette
communication de prétendre traiter cette question complexe de manière
exhaustive. On mettra seulement l’accent sur les points qui paraissent
fondamentaux.
A- Une nouvelle philosophie de gestion des administrations
fiscales
1) Les contribuables : Assujettis ou Usagers ?
38-Ce problème de terminologie est apparu très important lors des
études menées en France pour tenter de réformer les structures des
administrations fiscales. Les enquêtes menées dans différents pays ont
montré, en effet, que les administrations fiscales considérées comme les
plus performantes n’hésitaient pas à assimiler leurs relations avec les
contribuables comme des « services à des clients ». Cette tendance est
frappante, notamment, dans les pays anglo-saxons, aux Pays-Bas en
Suède ou en Espagne.
Dans de nombreux pays, dont la France, cette nouvelle approche
se heurte à des réticences très vives de la part des agents de
l’administration (on peut rappeler que la réforme de l’administration a,
pour l’instant, échoué en France). Le rapport, précité, de l’Inspection
générale des finances française rend compte de la prise de position des
organisations syndicales, qui ont déclaré, « nous n’avons pas face à nous
des usagers, mais des redevables, des assujettis, auxquels nous
appliquons la loi en vertu de dispositions de puissance publique. De
manière moins abrupte, il a souvent été souligné qu’il convenait de ne
pas placer uniquement l’usager, mais aussi l’agent, au cœur de la
réforme »19.
Derrière cette controverse terminologique, on voit bien que se
profile une différence capitale de philosophie des relations avec les
citoyens.
19
Rapport, p. 12
27
39-En tout état de cause, il importe de distinguer, pour le
raisonnement, deux grandes catégories « d’usagers » :
Une grande partie des usagers n’a, en fait, qu’un rapport
extrêmement simple avec l’administration fiscale (dépôt d’une
déclaration, envoi d’un moyen de règlement). La mission, déjà citée, de
l’Inspection générale des finances française a constaté qu’environ les
deux tiers des particuliers n’ont que des relations très épisodiques avec
les administrations fiscales.
Le problème essentiel est donc constitué par les autres usagers,
c’est-à-dire les professionnels et, notamment, les entreprises. C’est ainsi
que, selon la mission précitée, 64% des entreprises et 51 % des
professionnels indépendants ont déclaré avoir eu des contacts élaborés
avec les administrations fiscales au cours des douze derniers mois.
Les réflexions qui seront présentées ci-dessous concernent donc
cette deuxième catégorie d’usagers.
2) L’objectif : Le respect volontaire de la loi fiscale
40- Cette nouvelle philosophie est particulièrement développée
dans les administrations fiscales anglo-saxonnes, aux Pays-Bas ainsi
qu’en Espagne. La notion de « respect volontaire et spontané » de la loi
fiscale est appelée «compliance» en anglais et «cumplimiento» en
espagnol.
Cette approche peut être résumée comme suit : « Cette notion
permet d’établir une distinction très nette, et qui implique de multiples
conséquences, entre les contribuables qui respectent la loi fiscale et ceux
qui ne la respectent pas. Cette distinction, basée sur une analyse
économique et statistique du comportement des contribuables, a amené
en effet les administrations fiscales à se rendre compte que l’acceptation
volontaire et spontanée de la loi fiscale par le plus grand nombre des
contribuables est aussi, voire plus, importante que les activités
répressives (contrôle fiscal, notamment) pour assurer un rendement
convenable de l’impôt. Cette nouvelle orientation a d’ailleurs amené de
nombreuses administrations fiscales à substituer à une culture ancienne
de suspicion vis-à-vis de l’ensemble des contribuables, la recherche d’un
nouvel équilibre entre :
-le développement du service au contribuable, qui doit favoriser
l’acceptation volontaire de la loi fiscale ;
28
-le contrôle, dont les moyens doivent être réorientés vers les seuls
contribuables à risque »20.
Les administrations de ces pays ont donc pris conscience qu’il
existe un lien entre la qualité du service et le niveau d’observation des
obligations fiscales. La fonction de « service aux contribuables » joue
donc un rôle essentiel dans la gestion, mais aussi dans l’organisation des
administrations ( sur ce second point, v. ci-après, n. 47 et s.).
41- En fait, la grande innovation introduite par cette fonction
« service aux contribuables » consiste en l’instauration d’une dimension
pédagogique et préventive. Cela implique, en premier lieu, une
connaissance affinée des contribuables, de leurs attentes, de leurs
difficultés. Les moyens utilisés sont, principalement, les consultations
préalables (notamment, d’organisations représentatives), la pratique des
sondages, la segmentation des services par type de contribuables (par
exemple, les PME, les entreprises nouvelles, les personnes âgées, les
jeunes…) et un effort de communication réalisé dans leur direction.
La dimension pédagogique est également importante et elle est de
nature à « désamorcer » de nombreux conflits. Par exemple, en Irlande,
toute entreprise nouvelle reçoit la visite d’un agent des impôts, non pour
la contrôler mais pour l’assister dans ses obligations fiscales. On peut
souligner l’importance de cette démarche simple, lorsqu’on sait qu’en
France, près des deux tiers des entreprises nouvelles, bénéficiant
d’avantages fiscaux, font l’objet de redressements, faute d’une
application rigoureuse des conditions légales ; une explication préalable
claire serait, sans doute, de nature à éviter de telles conséquences.
Cette approche suppose une proximité entre les contribuables et
les services. Mais le développement des moyens modernes de
communication permet d’instaurer une proximité qui n’est pas seulement
géographique. A cet égard, il faut souligner l’importance des
communications téléphoniques. .Quelques exemples permettent de
mesurer les progrès accomplis dans certains pays : aux Etats-Unis des
centres d’appel sont accessibles 24 heures sur 24 et l’essentiel des
affaires fiscales peut se régler par téléphone ; au Royaume-Uni, des
« normes de performance » ont été définies : réponse au courrier en
20
Les Notes Bleues de Bercy, n° 167, septembre 1999, p. 2
29
moins de 28 jours, réponse aux appels téléphoniques en moins de 30
secondes, réception des visiteurs en moins de 15 minutes….).
On peut constater que ces moyens finalement simples et relevant
du bon sens peuvent assurer, en grande partie, l’application du principe
de « respect volontaire et spontané » de la loi fiscale. Mais il faut, tout de
même, envisager les procédures de contrôles, surtout dans les Etats (par
exemple, la France) moins avancés sur la voie de la réorganisation des
administrations fiscales.
3) La rationalisation des contrôles
42- L’activité de contrôle occupe une grande partie du temps des
agents des administrations fiscales. Par ailleurs, ces activités suscitent,
tout naturellement, des conflits avec les contribuables ; elles constituent,
souvent, un des éléments essentiels de la mauvaise « image » que
peuvent avoir les administrations fiscales.
Des mesures, souvent très simples, seraient sans doute de nature à
contribuer à l’amélioration de ces situations :
a- Limiter le nombre des contrôles
43- Diverses possibilités existent et ont été expérimentées :
-Il est certain que le développement des « services aux contribuables »
tend à limiter la nécessité de multiplier les contrôles (v. n°. 40 et s.).
-Le développement des « accords préalables » : entre
l’administration et certains contribuables (notamment, les entreprises)
rend le contrôle moins indispensable et, en tous les cas, plus simple,
puisqu’il suffit de s’assurer que les termes de l’accord sont bien
respectés. Cette pratique est développée, notamment dans les pays anglosaxons et aux Pays-Bas sous le nom de « rullings ». Il faut évidemment
rapprocher cette pratique de l’approche que peuvent avoir ces
administrations de leurs relations avec leurs contribuables (v. n. 40 et s.).
En France, cette méthode est moins usitée, malgré quelques tentatives
récentes. Outre le régime des prix de transfert qui sera examiné ci-après
(n°.58 et s.), on peut citer les dispositions suivantes du Livre des
Procédures fiscales :
L’article L 64 B qui permet au contribuable de soumettre un
« montage » à l’examen de l’administration et la procédure de répression
30
de l’abus de droit ne sera pas appliquée si l’administration a approuvé le
montage ou n’a pas répondu dans un délai de six mois à compter de la
demande.
Le contribuable ne peut faire l’objet d’un redressement lorsque
l’administration n’a pas répondu dans un délai de trois mois à un
redevable de bonne foi qui a demandé, notamment, le bénéfice d’un
amortissement exceptionnel ou des exonérations prévues en faveur des
entreprises nouvelles (article L 80 B du Livre des procédures fiscales).
Il faut souligner que ces procédures ont une application relativement
limitée en pratique. La « culture » des contribuables français et de
l’administration ne les portant guère à conclure ces sortes d’accords. On
voit, à partir de ces exemples, que les évolutions législatives ne sont pas
toujours suffisantes pour entraîner une modification des comportements.
-Les contrôles ciblés vers les contribuables « à risque » :
Cette approche a été particulièrement développée dans certains
pays et, notamment, aux Pays-Bas. Bien entendu, la principale difficulté
consiste à déterminer les critères du « risque ». Des logiciels ont été
élaborés à cet effet ; ils mettent en relation, par exemple, des éléments
comptables significatifs ; le contrôle sera également orienté vers les
entreprises qui bénéficient de régimes fiscaux de faveur.
Un essai d’application de cette méthode avait été tenté en France,
avec les « vérifications diagnostic » : l’administration procédait à des
contrôles rapides de quelques postes comptables révélateurs. Si cet
examen ne permettait pas de dénoter des irrégularités, la vérification
n’était pas poursuivie ; dans le cas contraire, bien sur, un contrôle
approfondi était pratiqué. Cette méthode n’est plus guère pratiquée, en
raison, principalement, des réticences manifestées par les agents chargés
de ces contrôles.
-Développement de la coopération internationale pour la lutte
contre la fraude internationale :
Les procédures de coopération présentent l’avantage ne pas
obliger les contribuables à produire des documents ou renseignements
qui peuvent être communiqués par des administrations étrangères. Mais
pour que cette coopération soit fructueuse, les échanges de
renseignements doivent être rapides. Par conséquent, il serait souhaitable
de développer les contacts directs entre les services administratifs de
« base », sans être obligé de passer par les administrations centrales.
Certaines expérimentations sont actuellement menées en Europe,
31
notamment pour le contrôle de l’application de la TVA
intracommunautaire.
Mais, en tout état de cause, un point paraît particulièrement
important : les administrations fiscales doivent assurer la transparence
des critères de sélection des dossiers contrôlés. Ainsi, les entreprises
n’ont plus la sensation d’être les victimes d’une sorte d’acharnement de
la part de l’administration.
b. Garanties pendant les opérations de contrôle
44- Le point essentiel est que le contribuable connaisse
parfaitement ses droits et qu’il soit en mesure de faire valoir son point de
vue devant les vérificateurs.
Il est donc important que les administrations fiscales rédigent
d’une manière claire un document résumant les droits du contribuable.
Bien entendu, les administrations doivent être liées par les énonciations
d’un tel document. Tel est le cas, en France, pour la « Charte du
contribuable vérifié ». Aux termes de l’article L 10 du Livre des
procédures fiscales, « Avant l’engagement d’une des vérifications
prévues aux articles L 12 et L 13, l’administration des impôts remet au
contribuable la charge des droits et obligations du contribuable vérifié ;
les dispositions contenues dans la charte sont opposables à
l’administration ». Cependant, le Conseil d’Etat a jugé que si l’ensemble
de la Charte est opposable à l’administration, seule la méconnaissance
des garanties offertes au contribuable peut entraîner la décharge de
l’imposition21. L’existence d’un tel document correspond à l’objectif, de
valeur constitutionnelle, d’intelligibilité et d’accessibilité du droit 22.
Pour faire valoir ses arguments, le contribuable, éventuellement
assisté de son conseil, doit avoir la possibilité de mener un dialogue avec
le vérificateur. C’est ainsi que le Conseil d’Etat français a jugé que
l’existence d’un « dialogue oral et contradictoire » doit intervenir avant la
fin des opérations de contrôle et la méconnaissance de cette obligation
entraîne l’irrégularité de la vérification. Il s’agit d’une garantie introduite
21
22
CE 10 novembre 2000 : Droit fiscal 18/ 2001, comm. 436 ; Bulletin des
conclusions fiscales, 2/ 2001, p. 50 , concl. Goulard ; v. également la Chronique de
J.Maïa à la RJF 4/ 2001, p. 295
Conseil constitutionnel, 16 décembre 1999, n° 99-421 DC.
32
de manière prétorienne par la jurisprudence, mais qui figure maintenant
dans la charte du contribuable vérifié 23.
c- Le développement des garanties à la suite des contrôles
45-Les litiges faisant suite à des contrôles sont évidemment très
nombreux. Ainsi, en France, on estime que prés de la moitié des
redressements consécutifs à une vérification sont contestés. Il est donc
important que le contribuable soit en mesure de défendre efficacement
ses droits.
Dans la plupart des pays industrialisés, de nombreux litiges sont
réglés au stade d’une réclamation préalable présentée devant
l’administration fiscale. Ces procédures doivent donc être
rigoureusement encadrées par la loi de manière à assurer leur
impartialité. Mais dans de nombreux pays, les administrations sont à la
recherche d’autres moyens de règlement de ces nombreux litiges fiscaux.
On peut constater, en effet, que la majorité des conflits portent sur des
questions de fait, qui peuvent donc être relativement faciles à résoudre.
D’où la recherche de règlements amiables par des autorités
indépendantes qui, de surcroît, pourraient « désengorger » les tribunaux.
Mais de telles autorités sont évidemment difficiles à trouver 24. Mais, à
défaut de trouver de telles autorités, il est possible de développer des
procédures de règlement simplifié. Ainsi, par exemple, en France les
contrôles fiscaux concernant les PME peuvent être réglés par la
« procédure de règlement particulière » : lorsque le contribuable est de
bonne foi, l’entreprise peut, à condition de « présenter une demande en
ce sens avant toute notification de redressement, réparer, moyennant le
paiement de l’intérêt de retard visé à l’article 1727 du même code, les
erreurs ou inexactitudes, omissions ou insuffisances constatées » 25.
46-De plus, il est très opportun d’assurer une certaine
transparence des procédures gracieuses et, notamment, des transactions
23
24
25
L’arrêt de principe est : CE Section, 21 mai 1976, Rec. Lebon, 270 ; Droit fiscal,
25/ 1976,comm. 878, concl. Mme Latournerie ; RJF 7-8/ 1976, p. 250 et Chr.
Martin-Laprade, p. 224
V. « Prévenir et régler à l’amiable les litiges fiscaux », Colloque du 9 mars 2000,
Editions législatives, 2000
Article L 62 du Livre des procédures fiscales.
33
conclues entre l’administration et le contribuable. L’exemple des EtatsUnis est intéressant : le public a accès aux dossiers de transactions
pendant un délai d’un an ; cette transparence a évidemment pour but de
prévenir les doutes qui pourraient surgir dans l’opinion au sujet de
décisions de transactions. Ces doutes pouvant contribuer à une certaine
dégradation du « civisme fiscal ».
B- Organisation des administrations fiscales
47-Les projets de réforme des administrations fiscales, en vue de
les rendre plus efficaces, s’articulent autour de trois principes essentiels :
le service aux usagers, la modernisation, la réduction des coûts de
gestion.
1) Le service aux usagers
48- Comme on l’a déjà signalé (v.n.38) certaines administrations
ont placé le « service aux usagers (ou aux clients) » au centre de leurs
préoccupations. On peut citer les exemples suivants de réalisations
concrètes :
-L’administration fiscale néerlandaise a été réorganisée en
fonction de « groupes de clientèles », c’est-à-dire que des bureaux
distincts ont été créés pour chaque catégorie de contribuables (jeunes,
personnes âgées…). Une même approche est appliquée aux Etats-Unis.
-Le principe général de l’interlocuteur unique du contribuable
pour toutes les questions fiscales a tendance à se généraliser. Il est déjà
largement appliqué dans les pays anglo-saxons et aux Pays-Bas.
Parmi les réalisations, en France, il faut signaler la création de la
direction des Grandes entreprises 26, qui est compétente pour la plupart
des formalités accomplies par les entreprises dont le chiffre d’affaires ou
le total de l’actif brut du bilan est égal ou supérieur à 600 millions
d’euros (17 000 entreprises, environ, sont concernées).
26
Décret n° 2000-1218 du 13 décembre 2000 : JO du 15 décembre 2000, p. 19929
34
Quelques autres expériences ont été tentées, mais elles se heurtent
à la réticence des agents (qui redoutent les exigences de compétence
« universelle » de l’interlocuteur unique). On peut citer le dispositif
expérimental mis en place dans dix départements français,
principalement à destination des PME, et visant à créer un véritable
« interlocuteur économique ». Concrètement, un réseau, appelé MINinfo,
regroupe les spécialistes du développement économique au sein du
Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie qui sont au
contact régulier des entreprises (Directions des services fiscaux, Douane,
Trésoreries générales, Directions de la concurrence…).Ce réseau « se
fixe pour objectif de traiter de façon fiable et rapide, avec des
engagements de qualité, toutes les demandes formulées par les
entreprises quel que soit leur point d’entrée. Un seul contact, et la
recherche d’informations ou de conseils est prise en charge par le réseau.
Principe de base : toute question doit recevoir une réponse personnalisée.
Pour cela, les agents disposent en commun d’un véritable outil de travail,
l’intranet, qui leur permet de partager l’accès à une série de bases
documentaires utiles et de mettre ainsi en œuvre une véritable
coopération interdirectionnelle»27.
-Le service aux usagers passe également par des améliorations
des contacts téléphoniques, des visites dans les bureaux….
2) Modernisation
49-La modernisation passe, notamment, par une utilisation accrue
des moyens informatiques.
On peut citer, en premier lieu, le recours plus systématique à la
télétransmission pour le transfert des déclarations fiscales. En France, ce
mode de transmission est obligatoire pour les déclarations souscrites par
les entreprises les plus importantes 28
Pour les particuliers, la possibilité de déposer une déclaration
électronique des revenus est facultative (en 2001, près de 13 000
contribuables ont utilisé cette possibilité).
27
28
« Echanges-contact » Revue du ministère de l’Economie, des finances et de
l’Industrie, mai 2001, p. 18
Article 32 de la deuxième loi de finances rectificative de 2000.
35
Sur ce point, la France est encore en retard par rapport à d’autres
pays : par exemple, en Italie, 100 % des déclarations des particuliers sont
aujourd’hui envoyées au fisc par télétransmission.
Mais le réseau Internet peut être également utilisé pour répondre
aux questions posées par les contribuables ; il contribue à assurer un
meilleur service aux « usagers ». Par exemple, en Mars 2001, période de
souscription des déclarations de revenus, les agents des impôts, en
France, ont répondu à plus de 35 000 questions posées sur Internet et plus
de 2 millions de personnes ont calculé le montant de leur impôt par cette
voie.
3) La réduction des coûts de gestion
50-Lors de sa mission déjà citée, l’Inspection générale des
Finances françaises a procédé à une analyse comparative des coûts de
gestion des administrations fiscales de 10 pays. Les comparaisons ont été
effectuées à partir d’un indicateur, appelé « taux d’intervention », obtenu
en faisant le rapport entre le coût de gestion net des missions fiscales et le
montant des recettes fiscales nettes encaissées.
On peut ainsi distinguer trois grandes catégories de pays :
-Les administrations les plus efficaces : Etats-Unis et Suède, les
coûts représentent autour de 5% des recettes encaissées.
-5 pays se situent autour de 1 % : Irlande, Espagne, Canada,
Royaume-Uni (mais le coût d’intervention y a été réduit de 30 % en 5
ans), Pays-Bas.
-3 pays se situent à plus de 1,5 % : Italie (1,52 %) , France (1,60
%), Allemagne (1,71%).
Les facteurs essentiels qui expliquent les différences de coûts sont
les suivants :
-Le mode de recouvrement : la retenue à la source pour l’impôt
sur le revenu réduit les coûts.
-Le nombre d’administrations fiscales ; par exemple, en France la
distinction entre les services d’assiette et les services du recouvrement et
l’existence de deux réseaux administratifs accroît évidemment les coûts.
36
-Le poids des dépenses de personnel est décisif : en France,
ces dépenses représentent 81% des dépenses totales. Certaines
administrations ont d’ailleurs choisi de réduire leurs effectifs, en
développant l’utilisation de moyens informatiques (notamment, la Suède,
le Royaume-Uni et le Canada). Ce changement implique également une
augmentation de la qualification des agents : c’est également une des
tendances lourdes des évolutions récentes des administrations fiscales.
51-L’environnement juridique et fiscal constitue donc un élément
clé de l’attractivité d’un pays. Mais il ne faut évidemment pas considérer
cet élément de manière isolée. Comme l’écrit la mission précitée de
l’Inspection générale des finances française ; « il est important de
signaler que les administrations fiscales n’ont pas bougé seules. Leurs
transformations participent d’un mouvement global de restructuration de
l’administration publique et de la société tout entière : identification
claire des missions, amélioration du service, réduction des coûts,
autonomie et responsabilité pour les gestionnaires » 29.
CHAPITRE IV
LA FISCALITE DES ENTREPRISES
52-Les dispositifs techniques de fiscalité des entreprises sont
évidemment un facteur important de l’attractivité « fiscale » d’un pays.
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut relever quelques dispositions
essentielles.
Section I : Le champ d’application territorial de l’imposition des
bénéfices
53-Comme on l’a déjà indiqué, les pays sont jaloux de leur
souveraineté fiscale. Cependant, les systèmes fiscaux ont un
« prolongement international » et les mesures qui peuvent se rattacher à
ce « prolongement » sont souvent prises en considération par les
investisseurs dans le choix d’un pays d’implantation.
29
« Les Notes Bleues de Bercy », n° 167, septembre 1999, p. 11
37
A- Incidences du régime de territorialité de l’imposition des
bénéfices dans les pays de résidence des investisseurs
54- L’incidence de ces régimes est souvent plus sensible dans les
pays d’origine des investissements ; mais naturellement, elles ont un
« contrecoups » dans les pays hôtes. Ceux-ci pourront, éventuellement,
d’autant plus bénéficier des investissements que les pays d’origine
favorisent les implantations ou les investissements à l’étranger.
1) Règle du « bénéfice mondial » ou « territorialité » ?
55- Deux séries de régimes peuvent être mis en œuvre pour
l’imposition des sociétés ayant une activité internationale :
-Le régime souvent appelé « bénéfice mondial » ( par référence à
la dénomination retenue dans la législation américaine) : les bénéfices
sont taxés qu’elle qu’en soit la provenance, mais les sociétés peuvent
déduire un crédit d’impôt correspondant aux impôts payés à l’étranger.
Des systèmes plus originaux peuvent exister : par exemple, en Belgique,
l’impôt afférent aux bénéfices réalisés et imposés à l’étranger est réduit
au quart de son montant normal.
Ce système est bien adapté à la situation des sociétés
multinationales (en particulier, pour la prise en compte des pertes subies
à l’étranger, v. ci-après) et il est donc adopté par un nombre croissant de
pays industrialisés ; environ 1/3 des pays de l’OCDE ont introduit ce
régime dans leur législation. Dans ces pays, les sorties de capitaux sont
moins sensibles aux impôts intérieurs puisque les entreprises ne peuvent
pas entièrement y échapper. De plus, les bénéfices des entreprises
résidant dans des pays à fiscalité forte ont tendance à être réinvestis dans
des pays à fiscalité forte, puisque le crédit d’impôt déductible est égal à
l’impôt acquitté à l’étranger 30.
-Le régime de la « territorialité », dans lequel seuls sont imposés
les bénéfices réalisés sur le territoire national ; les profits réalisés à
l’étranger sont donc exemptés. Mais, en contrepartie, les pertes
constatées à l’étranger ne sont pas imputables sur la base imposable dans
le pays du siège de la société. Ce régime est, avec des nuances (v. ci-
30
R. Grapp et K.Kostial, Finances & Développement, Juin 2001, p. 10.
38
après), actuellement en vigueur en France 31. Dans ce cas, les entreprises
sont sensibles, dans leurs décisions d’investir à l’étranger, au montant de
leurs impôts nationaux puisqu’elles peuvent échapper à la fiscalité
nationale en investissant à l’étranger. On constate ce phénomène en
France : « les agents résidents investissent plus à l’étranger qu’ils ne
s’endettent, ce qui se traduit par des sorties nettes de capitaux, en
particulier sous forme d’investissements directs, dont le solde, 139,3
Milliards d’euros, en 2000, double par rapport à 1999 »32.
2) Les pays industrialisés peuvent prévoir des
incitations à la réalisation d’investissements à
l’étranger :
56-Ces mesures incitatives existent dans de nombreux pays
industrialisés : elles tendent à favoriser les investissements à l’étranger en
vue, essentiellement, de permettre un développement des débouchés pour
les produits fabriqués.
Parmi les mesures les plus fréquemment appliquées, on peut citer
les exemples suivants :
-Les régimes de déduction pour implantations à l’étranger prenant
souvent la forme de déductions provisoires de provisions suivies de
réintégrations. Ce système a été imaginé au Royaume-Uni et il est en
vigueur dans d’autres Etats, notamment en France 33. Pour l’essentiel, ce
système consiste à permettre à une entreprise de déduire une provision
pendant les premières années de l’implantation (5 ans en France) ; le
montant de la provision peut être calculé, soit en proportion du montant
de l’investissement, soit en fonction du montant des pertes subies à
l’étranger. Après l’expiration de cette période de déduction, intervient
une deuxième phase au cours de laquelle les sommes initialement
déduites sont réintégrées dans les bénéfices imposables. Ce régime ne
prévoit donc pas une véritable exemption mais elle instaure un avantage
de trésorerie non négligeable en faveur de ces entreprises 34.
31
32
33
34
Article 209-I du Code général des impôts.
L’économie française, 2000-2001, INSEE, p. 218.
Articles 39 octies -A et s. du Code général des impôts.
La Commission de l’UE considère que ces mesures peuvent constituer des aides
favorisant certaines entreprises ou certaines productions et elle a entamé une
procédure d’examen : droit fiscal 25/ 2001, p. 929.
39
Mais les Etats industrialisés tendent à réduire la portée de ces
dispositifs, pour éviter qu’ils ne favorisent les « délocalisations »
d’activités industrielles. C’est ainsi, par exemple, que le régime français
des provisions pour implantations industrielles ne s’applique que sur
agrément ministériel et tous les agréments sont, à l’heure actuelle,
refusés. Ne subsiste donc, en pratique, que le régime des provisions pour
implantations commerciales, qui est applicable sans agrément.
-Les clauses de « crédit pour impôt fictif » (ou matching credit)
introduites dans certaines conventions fiscales internationales :
Ces clauses ont été introduites dans de nombreuses conventions fiscales
conclues avec les Etats en développement. La France figure parmi les
pays industrialisés qui a conclu le plus grand nombre de conventions
comportant des clauses de cette nature. En revanche, les Etats-Unis ne
sont pas favorables à ces clauses.
Pour l’essentiel, ces clauses correspondent au mécanisme
suivant : pour des revenus « passifs » (exemples, les dividendes, les
intérêts, les redevances), l’Etat de la source peut pratiquer une retenue à
la source, au taux prévu par la convention. L’Etat de la résidence du
bénéficiaire accorde un crédit d’impôt égal, en principe, au montant de la
retenue à la source pratiquée par le pays de la source. Cependant, si l’Etat
de la source baisse le montant de la retenue (ou même supprime cette
retenue), les clauses de « crédit pour impôt fictif » obligent l’Etat de la
résidence à maintenir le montant initial du crédit d’impôt. Ainsi,
l’investisseur est incité à placer ses capitaux dans l’Etat ayant conclu des
conventions comportant cette disposition.
Exemples : Un crédit d’impôt forfaitaire de 15 % est prévu en
faveur des résidents de France sur les intérêts de prêts « agréés »
exonérés en Malaisie ( article 11-3 et 23-I-C de la convention francomalaise du 24 avril 1975).
Autre exemple bien connu dans la pratique française, la « décote
africaine » : le crédit d’impôt est calculé, en France, en appliquant au
montant brut des dividendes provenant de certains Etats de l’Afrique
noire francophone, la formule : (100-(t+25)) / 2 ( t est le taux de l’impôt
prélevé à l’étranger).
Ces clauses sont, à l’heure actuelle, critiquées, tant dans les Etats
industrialisés et dans certains Etats en développement. Du côté des Etats
industrialisés, on note le coût budgétaire de l’application de ces
stipulations et le fait qu’elles peuvent favoriser le financement
40
d’investissements dans des pays qui concurrencent les industries
nationales (critique émise, par exemple, contre la convention fiscale
franco-coréenne). Du côté des Etats en développement, on fait remarquer
que ces clauses favorisent beaucoup plus le rapatriement des bénéfices
dans le pays de résidence de l’investisseur que leur réinvestissement dans
l’Etat en développement.
3) Prise en compte des pertes subies à l’étranger
57-Cette prise en compte favorise évidemment les
investissements directs à l’étranger. Elle est assurée lorsque l’Etat en
cause applique le régime du « bénéfice mondial » (v. n. 55) et c’est,
d’ailleurs, un des principaux avantages de ce régime. Comme on l’a déjà
signalé, plus d’un tiers des pays de l’OCDE l’appliquent. Dans les autres
pays, par exemple la France, la prise en compte de ces pertes est assurée
de manière imparfaite.
En France, une première possibilité consiste à demander
l’application du régime du « résultat consolidé » (qui est comparable au
régime du bénéfice mondial) 35 ; mais l’application de ce régime est
subordonnée à l’obtention d’un agrément ministériel et les entreprises qui
en sont bénéficiaires sont peu nombreuses (de l’ordre d’une dizaine).
La jurisprudence française admet également, sous certaines
conditions, la déduction de pertes subies à l’étranger par une société
ayant son siège en France. Ainsi, une société française peut déduire des
dépenses réalisées pour le compte d’une filiale étrangère si les
versements ont été effectués dans l’intérêt de la société française qui a
ainsi poursuivi ses propres intérêts 36 ; de même, une entreprise française
peut déduire une provision pour une aide accordée à une de ses
succursales étrangères, si , en aidant sa succursale, « la société a eu pour
objectif le développement de ses propres activités en France » 37.
35
36
37
Article 209 quinquies du Code général des impôts.
CE 30 avril 1987 : RJF 5/ 1987, n° 489, conclusions Martin-Laprade, p. 262
CE 2 mars 1988 : RFJ 4/ 1988, p. 247, n° 407 ; v. également, B.Plagnet, La
déduction des pertes subies à l’étranger : Bulletin fiscal Lefebvre, 10/ 1989, p. 551.
41
B- Le régime des prix de transferts
1) Règles générales
58-Les prix de transfert sont une des questions les plus cruciales
qui se pose aujourd’hui dans les relations fiscales internationales.
Avant de présenter quelques réflexions à ce sujet, il convient de rappeler
un certain nombre de définitions :
"Les prix de transfert sont les prix auxquels une entreprise
transfère des biens corporels, actifs incorporels, ou rend des services à
des entreprises associées" 38.
Les "entreprises associées" sont définies par l'article 9 du Modèle
de convention fiscale de l'OCDE :
Le régime des entreprises associées s'applique " Lorsque
a) une entreprise d'un Etat contractant participe directement ou
indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise de
l'autre Etat contractant, ou que
b) les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la
direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise d'un Etat contractant
et d'une entreprise de l'autre Etat contractant".
59-Les transactions entre « entreprises associées » peuvent
conduire à des évasions fiscales, par exemple en surévaluant des
dépenses liées à des transactions, ou un diminuant les recettes. Ainsi, une
société multinationale sera incitée à réduire son bénéfice dans les pays à
forte fiscalité et à augmenter ses bénéfices dans les pays à fiscalité faible.
Pour certains pays, les prix de transfert peuvent donc entraîner des pertes
de recettes substantielles.
Les litiges entre les sociétés et les administrations fiscales sont
donc fréquents sur ce point. Pour tenter de les prévenir, le Comité des
affaires fiscales de l’OCDE a défini quelques principes à propos desquels
s’est dégagé un large accord ; le principe essentiel est que les prix de
transfert doivent correspondre aux prix normaux du marché. Le
fondement de cette règle étant la « libre concurrence » :
38
Rapport OCDE : Principes applicables en matière de prix de transfert à l'intention
des entreprises multinationales et des administrations fiscales, 1994, n° 11.
42
" ...les pays membres de l'OCDE continuent de penser que le principe de
libre concurrence doit régir l'évaluation des prix de transfert entre
entreprises associées ...Bien qu'il ne soit pas toujours facile à mettre en
pratique, il induit généralement parmi les membres de multinationales
des niveaux de revenu corrects aux yeux de l'administration fiscale. Il
reflète la réalité économique de la situation spécifique du contribuable
qui procède à des transactions dans le cadre d'entreprises associées en
prenant pour référence le fonctionnement normal du marché " 39.
Ce principe se fonde généralement sur une comparaison entre les
conditions pratiquées pour une transaction entre entreprises associées et
celles pratiquées pour une transaction entre entreprises indépendantes.
Mais, comme l'a souligné le comité des affaires fiscales de l'OCDE,"pour
qu'une telle comparaison soit significative, il faut que les caractéristiques
économiques des situations prises en compte soient suffisamment
comparables" 40.
2) La nécessité de faciliter la solution des litiges entre
les entreprises et les administrations fiscales
60-Comme l’a reconnu le Comité des affaires fiscales de l’OCDE,
l’application pratique du principe de la libre concurrence n’est pas
toujours aisée et il est certain que cette question « pollue » très souvent
les relations entre les entreprises et les autorités fiscales. Une
récrimination fréquemment avancée par les entreprises tient aux
incertitudes engendrées par la question des prix de transfert ; les sociétés
estiment, souvent à juste titre, qu’il n’existe pas dans de nombreux Etats
des « règles du jeu » claires en la matière. Dans ce domaine, comme dans
d’autres, la clarté et la transparence constituent donc un atout pour un
Etat. En particulier, de nombreux Etats s’orientent vers des solutions
d’accords préalables avec les entreprises qui ont investi sur leur territoire.
Comme on l’a déjà indiqué (v.n.43) la pratique du « rulling » est
ancienne dans les pays anglo-saxons et elle peut s’appliquer pour les prix
de transfert.
39
40
Rapport du 13 juillet 1995, n° I-13.
Rapport du 13 juillet 1995, n° I-15.
43
Il est intéressant de noter que des pays traditionnellement plus
réticents à l’égard des « accords fiscaux » avec les entreprises, se rallient
progressivement à cette idée. On peut citer, notamment, le cas de la
France où l’administration a institué un système d’accord préalable, par
une instruction en date du 7 septembre 1999 41
Ces accords sont conclus avec des Etats qui ont conclu une
convention avec la France et ils sont pour objet de déterminer les
méthodes de calcul des prix de transfert et non de fixer le montant du
prix lui-même.
61-La procédure se déroule de la manière suivante :
Le contribuable prend contact avec l’administration et propose
une méthode et fournit l’ensemble des données visant à démontrer
qu’elle permet de déterminer le prix de libre concurrence.
La méthode fait l’objet de discussions entre les deux parties.
L’administration doit avoir accès à l’ensemble de la documentation
permettant d’éclairer la politique des prix de transfert de l’entreprise. La
confidentialité ne peut être opposée à l’administration qui, elle, s’engage
à ne pas divulguer les informations (les règles relatives au secret fiscal
s’appliquent).
L’administration française mène les négociations avec
l’administration étrangère et tient l’entreprise informée. L’accord est
conclu dans le cadre juridique de la procédure amiable.
Après accord avec l’autorité étrangère, l’administration française
envoie une lettre à l’entreprise et celle-ci fait connaître son accord.
La date d’entrée en vigueur est convenue entre les deux parties. La durée
de l’accord est au minimum de 3 ans et ne peut être supérieure à 5 ans.
L’administration ne reviendra pas sur l’accord sauf, en cas de
présentation erronée des faits, dissimulations d’informations ou nonrespect des obligations contenues dans l’accord ou manœuvres
frauduleuses.
Un dispositif de suivi est déterminé par l’accord entre l’entreprise
et l’administration française. Le contribuable produira un rapport annuel
afin de vérifier la conformité des méthodes pratiquées aux termes de
l’accord. L’entreprise devra conserver et tenir à la disposition de
41
Droit fiscal, 40 / 1999, n° ; 12 296 ; v. également l’étude parue dans Droit fiscal,
5/ 2000, p. 253
44
l’administration l’ensemble de la documentation relative aux prix de
transfert. A la demande de l’entreprise, l’accord peut, éventuellement,
être renouvelé. Ce genre de procédure devra être généralisé et il est
certain que la conclusion de tels accords constituera un « atout » pour les
pays concernés.
C- Les mesures destinées à lutter contre la fraude ou l’évasion
fiscale internationale :
62-La plupart des Etats industrialisés se sont dotés d’un véritable
« arsenal » de dispositions destinées à lutter contre l’évasion fiscale. Ces
dispositions s’appliquent, notamment, dans les relations avec les Etats ou
territoires à fiscalité privilégié (familièrement dénommés les « paradis
fiscaux »). Les Etats soucieux d’attirer sur leur territoire les
investissements étrangers doivent donc se montrer prudents : les mesures
fiscales favorables qu’elles consentent peuvent s’avérer contreproductives si elles contribuent à faire classer l’Etat dans la catégorie des
« paradis fiscaux » au regard de la législation des pays d’origine des
investissements.
1) Qu’est ce qu’un Etat ou territoire à « fiscalité
privilégiée» ?
63-Les définitions abstraites et générales sont impossibles.
L’appréciation du caractère « privilégié » est effectuée cas par cas, après
examen de l’ensemble du système fiscal du pays en cause. A titre
d’exemple, on peut citer la position française, qui est proche de celle
adoptée par la plupart des pays de l’OCDE.
L'administration privilégie un critère quantitatif, mais elle le
nuance par d'autres considérations.
Le critère "quantitatif" est défini dans une instruction du 26 juin
1975, dans laquelle l'administration distingue deux catégories de paradis
fiscaux:
-Les Etats et territoires dans lesquels les profits ne sont pas
soumis à l'impôt.
-Les Etats ou territoires dans lesquels ces profits sont soumis "à
des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés
qu'en France".
45
L'administration a précisé comme suit la portée de l'expression
"notablement moins élevés » : "A titre de règle pratique, l'administration
présume qu'on se trouve en présence d'un régime fiscal privilégié
lorsque, dans l'Etat étranger ou le territoire considéré:
-Le bénéficiaire étant une personne physique, y est redevable d'un
impôt personnel sur le revenu dont le montant est inférieur d'au moins
1/3 à celui qu'il aurait à supporter en France pour la même base taxable ;
-Le bénéficiaire étant passible des impôts sur les bénéfices, le
niveau du prélèvement fiscal global supporté par une entreprise à raison
des revenus ou des rémunérations en cause, ainsi que de ses autres
profits professionnels, est inférieur d'au moins 1/3 au taux normal de
l'impôt français sur les sociétés". Mais, dans l'instruction susvisée,
l'administration nuance de deux manières le critère quantitatif :
-Elle insiste sur le fait que l'application de cette règle n'est
susceptible de constituer qu'une présomption de l'existence d'un régime
fiscal privilégié : "L'existence d'un tel régime doit être établie, s'il y a
lieu, à partir de toutes autres données ou constatations de fait
appropriées".
-De plus, l'administration souligne que "la réputation d'Etatrefuge ou de paradis fiscal attribuée à certains pays étrangers ou
territoires n'est pas fondée uniquement sur le faible niveau de leur
fiscalité, mais également sur des considérations d'ordre économique,
financier et politique".
A partir de ces considérations, l'administration a dressé une liste
officieuse des pays ou territoires considérés comme des paradis
fiscaux 42.Cette liste est divisée en trois parties :
-Les Etats étrangers ou territoires où il n'existe pas d'impôt sur les
bénéfices ou sur les profits provenant d'activités professionnelles ou
d'impôt sur les revenus (ex.Andorre);
-Les Etats ou territoires dans lesquels les revenus de source
étrangère ne sont pas soumis à un impôt sur les bénéfices ou sur les
revenus (ex.Costa Rica);
-Les Etats ou territoires où les impôts sur les bénéfices ou sur les
revenus sont notablement moins élevés qu'en France, soit par application
du régime de droit commun, soit en raison de l'existence de régimes
particuliers (ex.Luxembourg). Cette dernière précision est particuliè42
Note du 9 octobre 1975
46
rement importante en pratique : il est fréquent que ces pays ne soient pas
des paradis fiscaux « intégraux », car le niveau général des impositions
des bénéfices peut être considéré comme « normal » ; mais ils peuvent,
néanmoins, êtres considérés comme « à fiscalité privilégiée » si leur
législation comporte des dispositions qui permettent d’échapper,
légalement à l’imposition (par exemple, les régimes de faveur irlandais).
On peut rapprocher cette position de celle du Conseil des Ministres des
Finances de l’Union européenne qui ont identifié 66 mesures qui ont un
« effet dommageable » et qui devraient, en principe, être supprimées à
partir du 1° janvier 2003 43.
2) Les mesures destinées à lutter contre les transferts
vers les « Etats ou territoires à fiscalité privilégiée »
64-Deux séries de mesures sont le plus généralement adoptées
dans les pays industrialisés : la remise en cause des transferts financiers
vers les « paradis fiscaux » ; l’imposition des bénéfices réalisés dans des
filiales implantées dans des «paradis fiscaux». On prendra l’exemple de
la législation française, mais des règles assez proches sont prévues dans
d’autres Etats européens.
2-1-Paiements effectués à des résidents d’Etats ou de
territoires à fiscalité privilégiée :
65-L’article 238 A du Code général des impôts pose une
présomption : la fictivité de ces paiements (il s’agit de paiements
d’intérêts, de redevances, d’arrérages ou de « tout versement effectué sur
un compte tenu dans un organisme financier établi dans un de ces Etats
ou territoires »).
En application de cette présomption légale, ces paiements ne sont
pas considérées comme des charges déductibles du bénéfice imposable
en France. Pour combattre la présomption, l’entreprise doit apporter une
double preuve :
« Les dépenses doivent correspondre à des opérations réelles
43
V. Le rapport du groupe de travail sur le « Code de bonne conduite européen » :
Droit fiscal, 16/ 2000, p. 657
47
Et elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré »44.
Les contraintes ne sont donc pas négligeables pour les sociétés
concernées.
2-2- Filiale ou établissement soumise à un régime fiscal
privilégié :
66-Sous certaines conditions, les bénéfices réalisés dans un Etat
ou un territoire à fiscalité privilégiée sont imposables en France
(notamment, la société française doit détenir, directement ou
indirectement, au moins 10 % du capital de la société implantée dans le
« paradis fiscal ») 45.
Cette disposition est donc particulièrement dissuasive. Pour
échapper à cette imposition, l’entreprise française doit établir que
l’implantation de la filiale ou de l’établissement n’a pas « principalement
pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou
territoire où il est soumis à un régime fiscal privilégié. Cette condition est
réputée remplie notamment :
Lorsque l’entreprise, la société ou le groupement établi hors de
France a principalement une activité industrielle ou commerciale
effective ;
Et qu’il réalise ses opérations de façon prépondérance sur le marché
local »46.
Les sociétés contestent souvent la sévérité d’une telle disposition,
notamment lorsque l’implantation est effectuée dans un pays ayant
conclu une convention fiscale avec le pays du siège de la société. La
question discutée est celle de la compatibilité entre les dispositions de
l’article 209 B du Code général des impôts et les stipulations des
conventions fiscales (notamment, avec le critère de rattachement de
l’établissement stable).Cette controverse vient de connaître un
rebondissement intéressant, en France. En effet, la Cour administrative
d’appel de Paris a estimé que les dispositions de l’article 209 B ne
pouvaient pas s’appliquer pour les implantations situées dans un pays
44
45
46
V .B.Plagnet : Bulletin fiscal Lefebvre, 11/ 1988, p. 543.
Article 209 B du Code général des impôts.
Article 209 B-II bis du Code général des impôts ; v. également, l’instruction
administrative du 17 avril 1998 : Droit fiscal 20-21/ 1998, n° 11 998.
48
conventionné 47. Mais on ne peut encore tirer de conclusions définitives
de cette décision, car le Conseil d’Etat sera amené à trancher
définitivement cette délicate question. La position qu’adoptera le Conseil
d’Etat est évidemment attendue avec intérêt : la confirmation de la
décision de la Cour de Paris serait évidemment de nature à favoriser les
investissements français dans de nombreux pays.
D- Le régime des opérations réalisées sur Internet
67-Le développement d’Internet constitue un des grands défis du
monde actuel. Les possibilités de développement ne dépendent
évidemment pas uniquement du régime fiscal, mais celui-ci peut avoir
une incidence non négligeable. Pour l’instant, les Etats-Unis disposent
d’une avance confortable en matière d’Internet ; en Europe, Londres est
un des centres prépondérants grâce à ses capacités de transmission de
données sur le marché international.
68-Sur le plan fiscal, les réflexions sont encore balbutiantes. On
peut simplement présenter quelques observations à partir des réflexions
menées, notamment, au niveau de l’Union européenne et de l’OCDE :
1) En matière d’impôts indirects et notamment pour l’application
de la TVA, l’Union européenne souhaite appliquer la réglementation
actuelle (en l’adaptant le cas échéant) mais elle rejette la création d’une
taxe particulière sur le commerce électronique ( rejet de la « bit-tax »).
La Commission veut ainsi préserver les entreprises européennes contre la
concurrence des firmes américaines, dans la mesure où les Etats-Unis
n’envisagent pas l’instauration d’une telle taxe.
Pour l’application de la TVA, la Commission a proposé que la
taxation soit effectuée dans l’Etat du consommateur. On appliquerait
ainsi un régime comparable à celui prévu, par exemple, pour les
prestations de télécommunications 48.
2) En matière d’imposition des bénéfices, il s’agit d’adapter,
éventuellement, la notion d’établissement stable au commerce
47
48
CAA Paris, 30 janvier 2001 : RJF 4/ 2001, p. 332, n° 458
V. article 259 B du Code général des impôts français ; v les études de M.Boutellis
parues dans la revue Droit fiscal, 31-36/ 1998, p. 1046 et 7/ 2000, p. 322.
49
électronique. En effet, les conventions fiscales internationales attribuent
le droit d’imposer à l’Etat sur le territoire duquel se trouve
l’établissement stable. Celui-ci est défini, comme une « installation fixe
d’affaires par l’intermédiaire de laquelle l’entreprise réalise tout ou partie
de son activité » 49.
Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a apporté quelques
précisions à propos de l’application de cette définition aux activités liées
au commercé électronique :
-Un site web ne peut pas en lui-même constituer un établissement
stable.
-Un accord d’hébergement sur un site web ne se traduit pas
normalement par un établissement stable pour l’entreprise qui exerce des
activités par l’intermédiaire de ce site web.
-Sauf circonstances exceptionnelles, un fournisseur de services
sur Internet ne constitue pas un agent dépendant d’une autre entreprise et
ne saurait constituer un établissement stable de cette entreprise.
Mais l’intervention humaine n’est pas une condition de l’existence d’un
établissement stable (car il n’y a pas de référence explicite à cette
intervention à l’article 5-1 du Modèle) 50.
Les règles d’imposition de ces activités demeurent donc encore floues
mais des études sont en cours car l’enjeu est évidemment capital.
Section II : Les règles de droit interne :
69-C’est sur ces points que les pays tentent de rivaliser en vue
d’attirer des investissements étrangers. La concurrence fiscale s’exerce
donc essentiellement par l’adoption de mesures favorables susceptibles
d’entraîner des entrées de flux financiers.
Avant de présenter quelques observations sur quelques dispositions
souvent prises en considération par les investisseurs, il n’est pas inutile
de souligner brièvement les inconvénients de l’adoption d’un système
fiscal trop favorable aux investissements étrangers.
49
50
Article 5 § 1 du Modèle de convention de l’OCDE.
Communiqué du 9 janvier 2001 : Droit fiscal, 6/ 2001, comm. 105.
50
A- Les risques d’un système fiscal trop favorable aux
Investissements étrangers :
70-On a déjà souligné (V.n.11, 14), les risques économiques que
pouvaient présenter les IDE. En s’en tenant maintenant aux aspects
strictement fiscaux, on peut mettre l’accent sur les points suivants :
1) Les pertes de recettes fiscales engendrées par les régimes de
faveur devront, la plupart du temps, être compensées par l’augmentation
d’autres impôts « internes » et cette politique peut avoir un effet récessif
(exemple, augmentation trop forte de l’imposition des revenus des
nationaux ou progression de la fiscalité indirecte). Il est vrai que l’arrivée
de capitaux étrangers peut générer de nouvelles sources de recettes
fiscales, qui vont contrebalancer, en partie, la perte initiale de ressources.
Mais il faut souligner que ces deux mouvements sont décalés dans le
temps : les pertes sont immédiates et les gains sont plus lointains et ils
peuvent être aléatoires (à cause, par exemple, d’un retournement de la
conjoncture économique).
2)
Les pertes de recettes fiscales peuvent entraîner un
déséquilibre du budget et une augmentation de l’endettement de l’Etat.
3) Le financement des services publics peut être rendu plus
difficile, ce qui pourra entraîner une dégradation de leur qualité, d’où une
perte d’attractivité pour le pays (v. Supra, n. 9 et s.).
4) Des mesures fiscales trop favorables peuvent justifier le
classement du pays sur la liste des Etats ou territoires à fiscalité
privilégiée (v. ci-dessus, n. 63), d’où le risque d’application dans le pays
d’origine des investissements de mesures fiscales rigoureuses rendant le
pays d’accueil beaucoup moins attractif.
L’adoption de mesures de faveur doit dont être dosée, elles ne doivent
pas apparaître comme des mesures « à effet dommageable » considérées
comme des éléments d’une politique déloyale.
51
B- Une typologie de quelques mesures favorables en matière
d’imposition des bénéfices
1) Les règles d’assiette
71-Ainsi qu’on le mentionnera ci-dessous, la tendance est à la
baisse des taux de l’impôt sur les bénéfices, dans la plupart des pays.
Mais cette baisse ne s’est pas accompagnée par un élargissement de la
base d’imposition. Il existe, au contraire, un certain nombre de
dispositions qui permettent de limiter, légalement, l’assiette de l’impôt.
Les principales d’entre elles sont les suivantes (outre, les règles de
territorialité déjà examinées dans la Section précédente) :
a- Un élargissement des possibilités de déduction des
amortissements
72-Selon une définition classique, l’amortissement est la
constatation comptable de la dépréciation d’un bien due à l’usure du
temps. Il s’agit donc d’une dépréciation irréversible. Sur le plan
comptable, l’amortissement a une double « fonction » : la constatation de
la dépréciation, mais également la possibilité qu’il offre à l’entreprise de
renouveler le bien après l’expiration de sa période d’utilisation.
Sur le plan fiscal, l’amortissement est considéré comme une
charge déductible, dans toutes les législations. Mais les divergences que
l’on peut de plus en plus constater concernent les biens susceptibles de
faire l’objet d’un amortissement et, plus précisément, le régime des
immobilisations incorporelles.
73-Certains pays, par exemple la France, sont réticents à l’idée
d’admettre la déduction des amortissements sur les éléments incorporels.
L’argument essentiel est que ces éléments ne subissent pas l’usure du
temps et qu’ils ne présentent donc pas une dépréciation irréversible.
C’est ainsi que la jurisprudence française n’admet la déduction
d’un amortissement sur un élément incorporel que s’il est « normalement
prévisible », dès sa création ou son acquisition que ses effets bénéfices
sur l’exploitation de l’entreprise prendront fin nécessairement à une date
52
déterminée. 51. Mais, point évidemment important, la jurisprudence
n’admet pas l’amortissement sur le fonds de commerce 52.
Or, la tendance actuelle dans les autres pays européens est
d’admettre la déductibilité d’un amortissement des fonds de commerce.
Sur le plan comptable, l’amortissement du fonds de commerce est retenu
par la 4° Directive comptable (imparfaitement transposée dans le droit
français) et l’IASC prescrit un amortissement systématique de toutes les
immobilisations incorporelles 53.
Les législations fiscales de très nombreux pays permettent une
large déductibilité de l’amortissement sur les éléments incorporels. On
peut citer, par exemple :
-En Espagne, le fonds de commerce peut être amorti sur 10 ans.
-Aux Pays-Bas, sont considérés comme éléments amortissables le
« goodwill » ou le savoir-faire (« know how »).
-Les éléments incorporels sont également amortissables en
Belgique (clientèle, fonds de commerce, goodwill…).De plus, sous
certaines conditions, les entreprises peuvent déduire une partie des frais
d’acquisition ou du prix de revient de l’investissement tout en pratiquant
l’amortissement.
-En Allemagne, le « goodwill » est amortissable sur 15 ans.
-En Grande-Bretagne, les brevets et savoir-faire peuvent
bénéficier d’un amortissement dégressif de 25 %.
b- Un certain libéralisme sur la déductibilité des
provisions
74-Cet avantage vient plus souvent de la pratique administrative
qui est suivie que de la lettre même de la loi. Dans la plupart des
réglementations fiscales, les provisions sont destinées à faire face à des
charges ou à des dépréciations « probables », c’est-à-dire qui ne sont pas
nécessairement irréversibles (ce qui constitue la différence majeure entre
les amortissements et les provisions). Toute la difficulté vient
évidemment de l’interprétation de la condition de « probabilité », ce qui
laisse une marge d’appréciation notable aux administrations fiscales.
51
52
53
V. Par exemple, CE 3 février 1989 : RJF 3/ 1989, p. 147 ; Droit fiscal, 52/ 1990,
comm. 2443, concl. Chahid Nouraï.
CE 1° octobre 1999 : Droit fiscal, 45/ 1999, comm. 824, concl. Goulard.
IAS 38
53
Un point important est l’admission ou non d’un calcul purement
statistique des provisions. Certaines réglementations l’admettent et il
s’agit d’un avantage appréciable pour les entreprises. En revanche,
d’autres systèmes fiscaux sont beaucoup plus réticents en la matière ;
c’est, par exemple, le cas de la France 54
Un autre élément d’appréciation d’un système fiscal sont
constitués par des dispositions qui excluent purement et simplement la
déduction de provisions dans certains cas ; ces exclusions sont
évidemment ressenties « négativement » par les entreprises. On peut
citer, par exemple, l’exclusion, par la loi française, des provisions pour
charges de retraites 55
La loi allemande comporte une liste importante de provisions
déductibles (on peut citer, par exemple, les provisions pour l’acquisition
ou la réparation de biens d’équipements par des PME).
On peut également la réglementation et la pratique néerlandaise
où des « provisions » ou des « réserves » peuvent être admises en
franchise d’impôt.
En revanche, on trouve des législations plus restrictives (par exemple,
l’Espagne).
c- L’adoption d’une « fiscalité de groupe »
75 - Cette nouvelle fiscalité a été introduite dans de nombreux
pays, depuis une trentaine d’années.
Pour l’essentiel, ce régime consiste à calculer le bénéfice
imposable non plus au niveau d’une société prise individuellement, mais
au niveau d’un groupe de sociétés. Le « résultat d’ensemble » est égal à
la somme algébrique des résultats des différentes sociétés du groupe ;
ainsi, le groupe peut compenser les bénéfices et les pertes constatés dans
les sociétés membres du groupe. L’un des autres grands avantages de ces
régimes de groupe est que la loi prévoit, le plus souvent, la neutralisation
fiscale des opérations internes au groupe.
54
55
La jurisprudence admet parfois un calcul statistique, si aucun autre moyen
d’évaluation n’est possible et si la méthode utilisée apparaît fiable ; v. par
exemple, l’utilisation de tables démographiques, CE 24 mai 2000 : RJF 7-8/ 2000,
n° 903, p. 591
Article 39-1-5°, alinéa 1 du Code général des impôts.
54
76-Sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans le détail technique de
ces régimes, on peut présenter quelques observations à propos de leur
« attractivité » :
1) Il faut examiner les conditions d’application du régime de
groupe. Par exemple, en France, le régime de l’intégration fiscale
s’applique si la société mère détient 95 % au moins du capital de ses
filiales. Aux Pays-Bas, une participation de 99 % est exigée ; en Espagne,
la participation doit être de 90%.
En Allemagne, le régime est beaucoup plus souple : la société
« dominée » doit être intégrée financièrement, économiquement et
organiquement à une entreprise dominante et d’autre part liée à cette
entreprise, pour 5 ans au moins, par un contrat de transfert de bénéfices.
Pour être intégrée financièrement, l’entreprise dominante doit posséder la
majorité des droits de vote dans le capital de la société dominée.
2) Le « périmètre » du groupe est également un facteur important.
Concrètement, il s’agit de savoir si les filiales étrangères peuvent être ou
non intégrées dans le groupe. La plupart des législations l’admettent,
éventuellement en prévoyant des conditions particulières. En revanche,
cette possibilité est exclue, en principe, en France ; l’inclusion de filiales
étrangères suppose un agrément ministériel et très peu de groupes
appliquent actuellement ce régime (c’est le régime du bénéfice consolidé,
déjà mentionné, ci-dessus, n. 57).
3) Les modalités de traitement des opérations internes sont
également un élément important d’appréciation. Certaines législations
laissent une assez grande latitude aux sociétés (exemple, le RoyaumeUni : où la législation ne prévoit pas, à proprement parler, de régime de
groupe, mais une compensation des pertes d’une société avec les
bénéfices d’une autre est possible, sous certaines conditions) ; d’autres
sont plus rigides (exemple, la France, ce qui rend l’application du régime
assez complexe). On peut évoquer, en particulier, la neutralisation des
aides entre les sociétés du groupe, le partage de la dette fiscale à
l’intérieur du groupe…
4) Dans certains pays, l’intégration s’étend à la TVA (notamment,
en Allemagne).
5) Dans les cas où les conditions d’application d’un régime
d’intégration totale ne sont pas remplies, les législations fiscales
prévoient, la plupart du temps, l’exonération chez la société mère des
55
dividendes reçus de la part des filiales ( régime des sociétés mères et
filiales). Ce régime a été introduit, notamment, dans les Etats de l’Union
européenne (à la suite de la directive du 23 juillet 1990). Mais la portée
de ce régime peut être variable : là encore, les conditions d’application
peuvent être plus ou moins rigoureuses ( seuil de participation exigé dans
le capital de la filiale) ; l’exonération peut être totale ou partielle (par
exemple, en France, à la différence d’autres pays européens, la société
mère doit réintégrer dans ses bénéfices imposables, une quote-part pour
frais et charges, égale, en principe à 5% du montant brut des
dividendes 56).L’exonération totale des dividendes est évidemment un
avantage essentiel.
d- Le régime des reports déficitaires
77-Il existe deux systèmes de reports des déficits fiscaux : le
report en avant et le report en arrière.
1) Le « report en avant » consiste à reporter les déficits fiscaux
sur les années futures. Le point essentiel est, dans ce cas, la durée du
report admise par la législation fiscale du pays. On peut trouver des
durées variables selon les Etats, par exemple :
En Allemagne, les déficits peuvent être reportés sur l’exercice précédent
jusqu’à concurrence d’un certain montant et le solde peut être reporté sur
les exercices suivants, sans aucune limitation dans le temps.
Le report en avant est également possible sans limite de durée en
Belgique ( réforme de 1989).
Aux Pays-Bas, les pertes peuvent être déduites du revenu des
trois années civiles antérieures et des huit années civiles suivantes. La
période de huit ans peut être prorogée pour une durée indéterminée
lorsqu’il s’agit de pertes subies par une entreprise ( on mesure, là encore,
la souplesse du régime fiscal néerlandais).
En Italie, les pertes sont imputables sur cinq ans.
En Espagne, le report des pertes est passé de 7 ans à 10 ans
depuis 1999.
Le régime britannique est plus complexe : les pertes
d’exploitation peuvent être compensées soit par déduction sur des
bénéfices futurs provenant des mêmes activités (l’imputation ne se fait
56
Article 216 du Code général des impôts.
56
donc pas sur les bénéfices globaux de la société, mais l’imputation n’est
pas limitée dans le temps) soit par déduction sur d’autres bénéfices de la
même période comptable
On peut noter, dans certains cas, la fixation d’une durée limitée,
tout en permettant des prolongements dans certaines situations ; c’est, par
exemple, le cas de la France : la durée du report est, en principe, de 5 ans,
mais la fraction de ce déficit correspondant aux « amortissements
régulièrement différés en période déficitaire » peut être reportée sans
limitation de durée 57.
2) Le report en arrière consiste à imputer les déficits sur les
bénéfices des années précédentes. Ainsi, la société dispose d’une créance
sur le Trésor public. Ce régime est beaucoup plus favorable que le
précédent car il accorde un avantage de trésorerie à l’entreprise. Là
encore, la portée pratique est variable selon les législations. Deux points
doivent être pris en considération : la durée de la période de report en
arrière ; le régime de la créance sur le Trésor public (remboursement
immédiat, possibilité d’utilisation pour le paiement de l’impôt
ultérieurement dû..).
On peut citer les exemples suivants : Allemagne (v. ci-dessus) ;
Royaume-Uni (v. ci-dessus) ; Pays-Bas (v. ci-dessus). En France, le
report en arrière des déficits est possible sur les trois exercices
précédents : la créance peut être utilisée pour le paiement de l’IS et, au
terme d’une durée de 5 ans, elle peut être remboursée par l’Etat 58.
e-Le régime des « quartiers généraux » de sociétés
multinationales
78-La concurrence est vive entre les Etats pour attirer les sièges
des grandes sociétés. Un « quartier général » exerce au profit d’un groupe
international des fonctions de direction, de gestion, de coordination ou de
contrôle.
En vue d’attirer ces entités, plusieurs Etats ont prévu un régime
fiscal de faveur, qui se traduit par une diminution de la base imposable.
En principe, la base imposable est calculée en appliquant un pourcentage
57
58
Article 209-I du Code général des impôts.
Article 220 quinquies du Code général des impôts.
57
donné au montant des charges d’exploitation courantes (par exemple, de
l’ordre de 6 à 10 % du montant des charges).
De tels régimes se trouvent, notamment, en France 59, en Belgique,
aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne.
Dans la pratique , le régime est négocié avec les administrations
fiscales de ces pays ; des conditions particulières peuvent donc être
exigées et des avantages spécifiques peuvent être accordés . Les
comparaisons internationales sont donc délicates.
On peut prendre comme exemple intéressant le régime belge des "
centres de coordination des groupes multinationaux « : Le centre doit être
constitué sous la forme d'une société commerciale belge et il doit faire
partie d'un groupe international. Les activités du centre doivent être
menées au bénéfice exclusif des sociétés du groupe (exemples, publicité ;
collecte d'informations, comptabilité et gestion ; activités financières ;
centrales d'achat.....).
Les principaux avantages fiscaux sont les suivants :
-Le bénéfice imposable est déterminé de façon forfaitaire (on
applique un pourcentage au montant des dépenses et charges de
fonctionnement, à l'exclusion des frais de personnel et des charges
financières). Il en résulte un système très avantageux.
-L'exonération du précompte mobilier sur les dividendes, les
intérêts et les redevances payés ou distribués par le centre.
-L'exonération du précompte immobilier sur les immeubles et
équipements attachés au centre ( le précompte immobilier est une
particularité du système fiscal belge : il s'agit d'une avance sur l'impôt qui
sera dû l'année suivante et il est calculé sur le revenu cadastral ) .
-L'exonération des droits d'enregistrement frappant l'apport en
capital.
L'ensemble de ces mesures est fort intéressant pour les groupes
internationaux ; il existe cependant une taxe annuelle sur les centres de
coordination (400 000 BEF par membre du personnel). De fait, de très
nombreux centres de coordination existent en Belgique (plus de 400 sans
doute).
59
Instruction du 21 janvier 1997 : Feuillet rapide Lefebvre, 6/ 1997, p. 3
58
f-Le régime des « zones franches »
79-De nombreux pays ont délimité des zones géographiques dans
lesquelles la fiscalité était atténuée ou même complètement supprimée.
Ce système existe, par exemple, en France (zones franches urbaines,
territoires ruraux de développement prioritaire…). On peut citer
également les régimes applicables en Irlande (taux réduit de l’impôt dans
les régions de Dublin ou de Shannon : en principe, ce régime est en cours
de suppression, en application d’un accord entre l’Irlande et la
Commission de l’UE, conclu en août 1998) ; les exonérations de sociétés
« off shore », à Gibraltar, dans l’île de Man… Ces régimes particuliers
sont fréquemment classés parmi les mesures à « effet dommageable ».
2) Les taux de l’impôt sur les bénéfices
80-Un certain nombre d’enquêtes ont été effectuées, notamment
au sein de l’OCDE, à propos de l’évolution des taux de l’imposition des
bénéfices. On peut en tirer les conclusions suivantes :
a-La tendance générale à la baisse des taux
Par exemple, au sein des pays de l’OCDE, la moyenne des taux
est passée de 44 % à 36 % entre 1988 et 1997. Cette baisse se poursuit.
On peut citer, par exemple, la récente loi de réforme fiscale en
Allemagne (octobre 2000) :le taux normal de l’impôt sur les sociétés est
fixé à 25 %.
b- Une tendance à la convergence des taux
Au sein de l’OCDE, l’écart type entre les taux est passé de 8 % en
1988 à 5 % en 1997.
Cette double tendance de l’évolution des taux montre que la
concurrence fiscale est importante au sein même des pays de l’OCDE (
comme on l’a indiqué dans le Chapitre I, la majorité des capitaux circule
entre ces pays). Des taux très bas peuvent être considérés comme des
mesures « à effet dommageable ». Ainsi, au sein de l’Union européenne,
l’évolution des taux en Irlande est jugée « inapproprié » (l’Irlande
envisage d’instaurer un taux unique de l’ordre de 12 % à partir de 2003,
ce qui suscite de vives critiques de la part des autres Etats membres).
59
Les disparités demeurent cependant importantes si l’on prend en
considération l’ensemble des impositions pesant sur une entreprise
industrielle. Selon une étude récente jointe à un rapport parlementaire
( « rapport Charzat » dont il sera également question ci-après, n.86 et s.),
le taux effectif marginal est en France de 30,11 %, de 13,74 % en Italie,
de 9,43 % en Irlande, de 18,30 % en Espagne, de 18,89 % en Belgique,
de 20,67 % aux Pays-Bas, de 20,83% en Grande-Bretagne.
c-La tendance à prévoir des taux plus favorables
pour les PME
On trouve des dispositions de cette nature, depuis longtemps,
dans les systèmes anglo-saxons. Par exemple, un taux réduit de 20 % est
applicable aux bénéfices des PME en Grande-Bretagne. En Belgique, le
taux de l’impôt sur les sociétés est progressif, par tranche de bénéfices.
Un taux réduit est également prévu pour les PME en Espagne (là encore,
avec un système de tranche de bénéfices, ce qui évite les effets de seuil
trop brutaux).
La France a également introduit récemment un taux de faveur
pour les PME 60.
d- Un problème important à résoudre : éviter la double
imposition sur les bénéfices des sociétés et sur les
dividendes qu’elles distribuent :
Le problème est bien connu : les dividendes sont distribués après
le paiement de l’impôt sur les bénéfices. Ces dividendes constituent des
revenus (ou des profits) pour les bénéficiaires et ils sont donc, en
principe, imposables une seconde fois au nom des bénéficiaires.
La plupart des législations prévoient la suppression ou la
limitation de cette double imposition. On peut noter que la baisse des
taux de l’impôt sur les bénéfices permet de limiter la pénalisation de cette
double imposition (argument souvent avancé, notamment aux Etats-Unis,
pour justifier l’absence de mécanisme modérateur).
60
Article 7 de la loi de finances pour 2001. Le taux est de 25 % pour 2001 et sera de
15 % à compter de 2002 ;mais ce taux s’applique dans la limite de 250 000 f de
bénéfices.
60
Les modalités techniques sont diverses, par exemple :
-l’exonération des dividendes (Tunisie) ; cette exonération peut
être simplement partielle (exemple, la loi fiscale allemande d’octobre
2000 prévoit l’imposition de la moitié des dividendes).
-l’octroi d’un avoir fiscal au bénéficiaire :en fonction du montant
de cet avoir fiscal, la double imposition est évitée en totalité ou
simplement limitée. En France, l’avoir fiscal est égal à la moitié des
dividendes, ce qui « efface », en fait, l’incidence de l’impôt sur les
sociétés. En Grande-Bretagne, le crédit d’impôt imputable sur l’impôt sur
le revenu est calculé en fonction du « taux de base de l’impôt sur le
revenu » (qui est actuellement de 23% : si l’actionnaire est imposable sur
l’ensemble de ses revenus au « taux de base », le crédit d’impôt le libère
totalement de l’impôt ;les actionnaires imposés dans les tranches
supérieures imputent le crédit sur l’impôt dû et paient la différence).
3) Les mesures en faveur des restructurations
d’entreprises
81-La mobilité, la souplesse d’organisation des sociétés sont
devenues une nécessité dans l’économie moderne. Dès lors, les mesures
fiscales tendant à faciliter les restructurations de sociétés sont
particulièrement appréciables ; de plus en plus, elles constitueront un
facteur d’attractivité important pour les pays. On peut citer deux séries de
mesures :
a- Le régime des plus-values sur cessions de titres
de participations
Les restructurations d’entreprises se concrétisent la plupart du
temps par des cessions de titres de participations. Ces opérations peuvent
dégager des plus-values importantes. Dès lors, le régime fiscal de ces
plus-values devient un facteur capital dans le choix du siège des sociétés.
La tendance générale observée actuellement, notamment en Europe, va
vers l’exonération de ces plus-values. Depuis la réforme allemande
d’octobre 2000, la France est quasiment la seule en Europe à taxer les
61
plus-values sur titres de participation 61. ; la France est ainsi placée dans
une position inconfortable dans la compétition actuelle pour l’accueil des
sièges de grands groupes internationaux .
b-Le régime des fusions de sociétés
En l’absence de mesures particulières, les fusions de sociétés
peuvent s’avérer très onéreuses sur le plan fiscal. En effet, en application
des règles de droit commun, il faut tirer les conséquences de la
dissolution de la société absorbée et il faut imposer les plus-values
d’apport.
Mais un grand nombre de pays ont adopté des régimes de faveur
qui assurent une quasi-neutralité fiscale de ces opérations. C’est
notamment le cas au sein de l’Union européenne, à la suite de
l’intervention de la directive du 23 juillet 1990. 62
« L’esprit général » de ce régime est d’assurer la neutralité fiscale
de l’opération, notamment pour la société absorbée. Cela se traduit par
quelques mesures, qui peuvent être résumées comme suit :
-La société absorbée n’est pas tenue de réintégrer les provisions,
si celles-ci sont reprises par la société absorbante.
-Les plus-values d’apport ne sont pas imposables chez la société
absorbée : elles sont réintégrées dans les bénéfices de la société
absorbante (plus-values sur éléments amortissables) ou leur imposition
est reportée jusqu’au moment de la cession des biens par la société
absorbante ( plus-values sur éléments non amortissables).
-Les plus-values d’échange de titres réalisées par les actionnaires
de la société absorbée bénéficient d’un report d’imposition (titres figurant
à l’actif d’un bilan) ou d’un sursis d’imposition (titres détenus par des
particuliers).
Ces mesures assurent donc la neutralité fiscale des opérations de
fusion. Mais ces opérations demeurent « lourdes », notamment
lorsqu’elles font intervenir des sociétés de différents pays. Dès lors, dans
la pratique, on s’oriente de plus en plus, vers la réalisation de « fusions
dites à l’anglaise », qui se traduisent simplement par un échange de titres,
61
62
L’impôt est calculé au taux réduit de 19 % : article 219-I du Code général des
impôts.
Pour la France, v. les articles 210 A et s. du Code général des impôts
62
sans apports d’actifs et dissolution de la société « cible » ; ces opérations
prennent la forme juridique d’une offre publique d’échange. Sur le plan
fiscal, il suffit de prévoir le report d’imposition de la plus-value
d’échange de titres. Ce régime est prévu depuis longtemps dans le droit
britannique (d’où le nom qui lui est donné familièrement) ; on a déjà
souligné les vertus de souplesse du droit d’origine anglaise (v. n. 26). Le
régime des « fusions à l’anglaise » est également prévu dans le droit
fiscal français 63.
c-Les bases retenues pour les transferts de biens
Les transferts de biens donnent lieu fréquemment à la perception
d’un droit de mutation. En pratique, le calcul de la base de calcul de ce
droit est évidemment un point important. Or, il est souvent perdu de vue
dans la mesure où il est fait appel à des méthodes qui relèvent plus de la
pratique administrative que de la loi. C’est ainsi que certaines législations
font référence à la « valeur vénale », c’est-à-dire au prix du marché
( c’est le cas en France) ; or, cette valeur peut être trompeuse et
pénalisante pour les entreprises, surtout en cas de transferts importants
pour lesquels la comparaison avec le marché est quasiment impossible.
Il ne faut donc pas négliger les pratiques suivies dans certains pays
consistant à adopter une évaluation « administrative », qui permet, le plus
souvent, de minimiser le montant des droits de mutation (on peut relever
de telles pratiques, par exemple, en Suède ou en Allemagne).
C- Les modalités du recouvrement de l’impôt
82-Le recouvrement est une dimension importante de la gestion
de l’impôt ; cet aspect est cependant souvent négligé, l’attention étant
uniquement focalisée sur le calcul de l’impôt.
Quelques observations peuvent être présentées sur ce point :
1) L’organisation générale du recouvrement
83-On peut constater, selon les pays, l’existence de deux
« approches » de cette question.
63
Articles 210 B du Code général des impôts et 301 C de l’annexe II.
63
En premier lieu, une approche juridique, qui correspond au
modèle français de la distinction entre l’ordonnateur ( les services
fiscaux) et le comptable qui est chargé de la gestion de l’ensemble des
opérations de recouvrement.
En second lieu, une approche plus « industrielle », de plus en plus
adoptée dans les pays où les administrations fiscales sont considérées
comme particulièrement efficaces. Dans cette optique, le recouvrement
« spontané » ( qui représente, bien sur, l’essentiel) est intégrée à la
fonction de l’assiette et de la surveillance des obligations déclaratives.
Cette intégration a permis une accélération des délais de traitement, dans
la mesure où les tâches simples d’assiette et de recouvrement peuvent
être facilement « automatisées » (par exemple, en réduisant le nombre de
centre de traitement des chèques : ainsi, il n’en existe que trois pour
l’ensemble du Royaume-Uni). Le recouvrement forcé, lui, est confié à
des services spécialisés. Cette spécialisation permet d’assurer un meilleur
traitement des dossiers ; par exemple, l’informatisation est généralisée ;
ces services procèdent à une gestion globale de la dette fiscale (tous
impôts et cotisations sociales confondus) ; les agents peuvent procéder à
une analyse des risques ( selon le montant de la dette et le degré de risque
présenté par le contribuable : les méthodes utilisées sont inspirées par
celles qui sont retenues dans le secteur bancaire) ; les dettes et les
défaillances sont identifiées dès que possible et les relances, notamment
téléphoniques, interviennent très rapidement. Sur ce dernier point, on
peut citer l’exemple du Canada où a été créé un centre d’appel national
du recouvrement. Là encore, on retrouve les problèmes liés à l’efficacité
de l’organisation des administrations fiscales (v. également, ci-dessus, n.
47 et s.).
2) Les possibilités d’obtenir des différés de paiement
84-Il est important que la législation prévoie la possibilité
d’obtenir des délais de paiement en cas de difficultés, ou lorsque le
montant de l’impôt est contesté. La plupart des systèmes fiscaux
comportent des dispositions de cette nature, mais deux remarques
peuvent être présentées :
-Les formalités sont souvent lourdes et décourageantes pour le
contribuable.
64
-La réglementation exige souvent la constitution de garanties
importantes et qui peuvent être onéreuses pour le contribuable ; dans ces
cas, la portée pratique des mesures de sursis ou de différé de paiement est
limitée.
3) Les privilèges du Trésor en matière de
recouvrement
85-Il est bien sur normal et légitime que le Trésor public dispose
de privilèges pour le recouvrement de ses créances. Pourtant, des
privilèges excessifs peuvent être très pénalisants pour les contribuables et
ils peuvent rendre le pays peu attractif.
On peut se référer, essentiellement, à deux séries de dispositions :
-Les solidarités pour le paiement de l’impôt :
Certaines d’entre elles apparaissent tout à fait normales (exemple, les
époux vivant sous le même toit). Mais des abus peuvent survenir
notamment pour la solidarité qui peut peser sur les acquéreurs
d’entreprises : des mesures trop rigoureuses sont de nature à décourager
des acquéreurs potentiels.
-La place des créances publiques dans la « hiérarchie des
sûretés » :
Dans de nombreux pays (notamment, ceux de tradition « latine »),
les créances priment sur les créances privées, notamment en cas de
défaillance de l’entreprise ; cette situation peut évidemment pénaliser des
créances privées et, notamment, les banques. L’effet pervers est que ces
dernières peuvent hésiter à consentir des prêts supplémentaires, ce qui
accroît les difficultés de l’entreprise. D’où la suggestion parfois présentée
d’adopter une législation par laquelle une sûreté prise et donnée dans le
cadre d’un contrat de prêt primerait sur les intérêts de l’Etat et de la
Sécurité sociale. Une telle mesure pourrait améliorer les conditions
d’accès au prêt des entreprises (principalement, les PME) et elle aurait un
effet « d’image » très fort vis-à-vis des investisseurs étrangers.
65
CHAPITRE V
LA FISCALITE PERSONNELLE DES DIRIGEANTS
86-Les décisions d’investir étant prises par les dirigeants, il est
certain que ceux-ci prennent également en considération, pour décider de
la localisation, leur fiscalité personnelle ! Cet aspect commence à être
pris en compte par les législations fiscales de plusieurs pays. Là encore
sans prétendre à l’exhaustivité, on peut relever les dispositions suivantes :
A- La mise en place d’un véritable régime de résident
temporaire :
87-Ce régime existe déjà dans quelques pays soucieux d’attirer
les sièges des grandes entreprises internationales (v. également, cidessus, n. 78, le régime des quartiers généraux).
L’idée essentielle est de réduire l’assiette de l’impôt sur le revenu
et des cotisations sociales à la fraction des rémunérations payée dans le
pays d’exercice de l’activité ; les frais liés à l’expatriation peuvent être
éventuellement déductibles.
88-On peut citer quelques exemples d’application de ces
régimes :
-En Belgique, les cadres étrangers (employés par une société
étrangère) peuvent être considérés comme non-résidents même s'ils
habitent en Belgique,à condition ,notamment, que sa famille habite à
l'étranger ou que son patrimoine soit situé à l'étranger (divers indices sont
pris en considération, par exemple ,la conclusion de contrats d'assurancevie à l'étranger).Si ces conditions sont remplies, le salaire des dirigeants
est divisé en deux parties : un salaire de base ; des gratifications pour
coût de la vie, pour le logement, pour le paiement de la scolarité des
enfants...(une liste de ces gratifications peut être adressée à
l'administration fiscale).Seul le salaire de base est imposable en
Belgique. De plus, les dirigeants peuvent déduire de leurs revenus
imposables en Belgique la partie de leur rémunération qui correspond
aux activités exercées hors de Belgique (au prorata du nombre de jours
passés, respectivement, en Belgique et à l'étranger).L'employeur doit
déposer une demande préalable au directeur adjoint du service Extranéité
66
(l'équivalent du centre des impôts des non-résidents, en France).La
demande doit être introduite dans les deux mois qui suivent la mise au
travail du cadre étranger en Belgique et, au plus tard, le 30 juin de l'année
de sa mise au travail ou de son détachement.
-Aux Pays-Bas s'applique un régime spécial appelé le "régime du
35 % Ruling "(profondément modifié depuis le 1° janvier 1992).Pendant
une période maximale de 96 mois, l'impôt peut être payé sur un "salaire"
égal à 35 % d'une base fixée par la loi. Ce régime particulier ne
s'applique que sous certaines conditions : l'employé doit avoir une
qualification particulière qui n'est pas facile à trouver sur le marché du
travail des Pays-Bas).
-Les règles de territorialité applicables en Grande-Bretagne sont
sensiblement plus complexes. La loi britannique distingue "trois étages"
dans la notion de résidence: la résidence, la résidence ordinaire (qui
correspond à la "résidence habituelle"),le domicile (qui est le lieu de
séjour permanent).En pratique, l'Etat du domicile est l'Etat de naissance
du contribuable, sauf si l'intéressé a décidé de s'établir de façon
permanente dans un autre pays. Ainsi, comme l'a écrit un commentateur
britannique : "En pratique, il est très difficile pour un ressortissant
britannique de perdre sa qualité de domicilié au Royaume-Uni et,
inversement, pour un ressortissant étranger de l'acquérir".
On peut citer l'exemple du salarié français détaché en GrandeBretagne. En principe, il sera résident et, à compter de sa troisième année
de résidence, il sera considéré comme résident ordinaire.
Les règles générales d'imposition sont, finalement, plutôt
favorables pour le salarié : les rémunérations des activités exercées au
Royaume-Uni seront imposables et les rémunérations des activités
exercées à l'étranger ne seront imposables que si elles sont rapatriées au
Royaume-Uni.
Il est également opportun de prévoit un accueil fiscal spécialisé
pour ces dirigeants, avec, notamment, un service d’information
anglophone. Ce service peut jouer un rôle de médiation dans les relations
entre cette population particulière et les administrations fiscales.
Dans un rapport récent remis au Premier Ministre, un
parlementaire français a préconisé l’adoption en France d’un régime
particulier en faveur des cadres des sociétés étrangères (régime des
67
« impatriés »), mais ces propositions ont déjà suscité de nombreuses
critiques, au nom du principe de l’égalité devant l’impôt. 64
B-Vers une fiscalité spécifique pour les hauts revenus ?
89-La particularité essentielle de ces contribuables est le cumul
d’impositions qui frappent leur revenu et leur patrimoine. Ainsi, les
problèmes qui sont le plus fréquemment posés concernent l’impôt sur le
revenu, le régime des plus-values et des « stock options » et l’imposition
du patrimoine (ou de la fortune).
1) L’impôt sur le revenu
90-Dans la plupart des pays du monde, le taux de l’impôt sur le
revenu est progressif. Tout naturellement, les revenus élevés atteignent
les taux les plus élevés. Un des problèmes essentiels qui se posent aux
dirigeants d’entreprises internationales est donc le montant du taux
marginal de l’impôt sur le revenu.
La tendance dans de nombreux pays va vers la baisse du taux
marginal de l’impôt sur le revenu ; le taux de 40 % étant considéré
comme satisfaisant (en se référant au « modèle » britannique).
Pour effectuer des comparaisons rigoureuses, il faut également
tenir compte de la « pente » de la progressivité et du nombre de tranches.
Là encore, l’exemple britannique est souvent pris comme « modèle » par
de nombreux pays. `
En Grande-Bretagne, le barème comporte 3 taux (en fonction des
tranches) : 20 % ; 23 %, 40 % . En Italie, le taux marginal est de 46 % ; il
est plus élevé aux Pays-Bas (de l’ordre de 60 %, mais pour les tanches les
plus basses, il inclut les prélèvements sociaux…). On peut citer
l’exemple assez révélateur de la Suède, pays dans lequel le total des
prélèvements obligatoires est très élevé, mais qui a allégé et simplifié son
barème de calcul de l’impôt sur le revenu ( réforme de 1998) : taux de 20
% et 25 % ( 30 % pour les revenus du capital).
Il faut également mentionner l’existence d’abattements sur le
revenu imposable, qui viennent fausser les comparaisons : en d’autres
termes, les taux réels ne correspondent pas toujours aux taux nominaux.
64
V. par exemple, le journal Le Monde du 13 juillet 2001.
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C’est le cas, en particulier, en France où la majorité des revenus
bénéficient d’un abattement de 20 % et une partie des revenus de
l’épargne est soumise à des taux proportionnels. Mais, l’effet « d’image »
est très défavorable, car le taux « affiché » apparaît dissuasif.
Mais il faut tenir compte également du cumul de l’impôt avec les
cotisations sociales ou prélèvements assimilés. Par exemple, en France le
cumul entre l’impôt sur le revenu proprement dit, la Contribution sociale
généralisée et la Contribution pour le remboursement de la dette sociale,
aboutit à un taux marginal total de 62 %…ce qui est manifestement
excessif.
Dans certains pays, un impôt sur le revenu est également perçu au
niveau local et vient s’ajouter à l’impôt national. C’est par exemple le cas
en Suède ( le taux moyen se situant à 31% selon les municipalités) ; en
Espagne ( taux progressif de l’impôt des communautés autonomes) ; au
Danemark, existent, un impôt d’Etat sur le revenu, un impôt provincial
sur le revenu et un impôt communal sur le revenu ( mais il faut souligner
que dans ce pays l’ensemble de la protection sociale est financée par
l’impôt et qu’il n’existe dons pratiquement pas de cotisations sociales).
91- On peut évoquer également la pratique assez largement
pratiquée par les sociétés internationales, qui prennent à leur charge
l’impôt sur le revenu dû par leurs dirigeants. Dans certains pays (par
exemple, la France) cette prise en charge est considérée comme un
avantage imposable…d’où un second calcul de l’impôt sur une base
incluant le montant de l’impôt acquitté par la société ! Bien entendu, les
Etats qui n’appliquent pas de telles règles apparaissent plus attractifs !
2)-Le régime des plus-values et des « stock options »
92-L’imposition des plus-values peut s’avérer très pénalisante,
notamment pour les entrepreneurs de la « nouvelle économie » dont les
sociétés ont acquis une valeur importante dans des délais limités. Il est
important de prévoir un régime plus favorable pour plus-values, par
rapport aux revenus de « droit commun » ; par exemple, des taux moins
élevés, des exonérations sous condition de remploi, des seuils
d’imposition…Ces régimes favorables sont justifiés par l’aléa qui
s’attache à ces profits : en cas de mauvaise conjoncture, la plus-value
69
peut se transformer en moins-value (les évolutions de la « nouvelle
économie » ont montré que ces aléas n’étaient pas seulement théoriques).
Le régime des « stock options » (ou, en français, « les options sur
titres »), est un élément important dans le choix de la localisation du
siège de sociétés. Sur ce point, les systèmes fiscaux peuvent être divisés
en deux groupes : ceux qui ont tendance à traiter ces profits comme des
suppléments de salaires et ceux qui leur accordent un régime préférentiel
(en le justifiant, là encore, par l’aléa qui s’attache à ces rémunérations). Il
apparaît clairement que, dans la majorité des pays, la seconde solution a
tendance à prévaloir, parfois avec beaucoup de réticences politiques
(c’est le cas notamment en France).
3) L’imposition de la fortune
93-Il faut signaler, en premier lieu, que cette imposition n’existe
pas ou a été supprimée dans de grands Etats : les Etats-Unis, le
Royaume-Uni, l’Allemagne (cet impôt a été supprimé en 1997). Ainsi,
après avoir été fortement défendu par la doctrine fiscale, le principe
même de l’imposition de la fortune est remis en cause.
Dans les pays qui ont conservé une imposition sur la fortune, la
tendance est d’adopter une assiette large, avec des taux modérés. On peut
citer, par exemple, le cas des Pays-Bas : le taux est de 0,8 %, avec une
assiette large (quelques exonérations existent, par exemple, pour les
bijoux, les objets d’art et des réductions spécifiques ont été retenues pour
les biens professionnels).
La France constitue, sur ce point, une sorte de « contreexemple ». Ainsi, dans son 18° rapport, publié en 1998, le Conseil des
impôts a rendu un verdict sévère : « L’impôt français semble, quant à lui,
cumuler tous les défauts des impôts sur la fortune. Son assiette est étroite,
ses taux sont élevés et le mécanisme du plafonnement, dont l’objet est de
rendre l’impôt plus supportable, est compliqué et a l’inconvénient de
transférer en partie les imperfections de l’imposition des revenus sur
l’imposition du patrimoine ». Les dirigeants de grandes entreprises sont
évidemment très sensibles à cet aspect de la fiscalité.
94-Aucun pays n’avoue de manière claire l’existence d’une
fiscalité spécifique pour les hauts revenus (même si, en fait, des
dispositions législatives ou réglementaires vont dans ce sens). Car, au-
70
delà des problèmes techniques, on peut deviner que la difficulté
essentielle est d’ordre politique, dès lors que l’on touche au principe de
l’égalité devant l’impôt. Les nationaux peuvent s’estimer sacrifiés au
profit des dirigeants de sociétés étrangères. D’où le dilemme politique :
au nom de l’efficacité économique qui justifie des mesures en faveur des
dirigeants de sociétés étrangères, peut-on méconnaître le principe de
l’égalité devant l’impôt ? Avec le risque de remettre en cause le
« civisme fiscal » des nationaux.
CONCLUSION GENERALE
95-Au terme de ce survol des facteurs de compétitivité fiscale
d’un pays, il faut mettre l’accent sur deux recommandations essentielles
qui sont adressées aux pays qui souhaitent attirer des investissements
étrangers :
1) Le pays « hôte » doit améliorer le climat « général »
de l’investissement
96-Comme l’écrivent, avec bon sens, des experts du Fonds
monétaire international :
« Il convient de recommander aux pays en développement de
s’attacher à améliorer le climat de l’investissement pour tous les types de
capitaux, nationaux ou étrangers » 65.
2) Le pays « hôte » doit assurer sa « transparence » :
97-On peut citer, sur ce point, la recommandation faite par
l’Inspection générale des Finances, en France 66 :
« Il est une méthode de communication peu spectaculaire dont la force
repose sur la durée et peu pratiquée en France, malgré son efficacité : la
transparence et le benchmark (étalonnage). Par exemple, fournir des
chiffres sur l’impôt sur le revenu permettrait de justifier pourquoi il est
plus élevé qu’ailleurs.
65
66
P. LOUNGANI, A. RAZIN, Finances et développement, op. cit. ,p. 9.
Les Notes Bleues de Bercy, n° 206, mai 2001, p. 14.
71
On pourrait donc envisager de faire appel à un cabinet privé
international, pour l’élaboration d’une grille de l’étalonnage
microéconomique fondée sur des conditions simples et parlants : taux
d’imposition, prix des facilités essentielles, indicateurs de
volumes…L’étalonnage serait réalisé et édité périodiquement, sans
aucune communication politique, en anglais, et largement diffusé de
manière banalisée à un public du type de celui présent à Davos »
Il est certain que de telles recommandations pourraient être
valables pour de nombreux pays.
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