Montagne – Eau » dans le Maelbeek Essai poétique et
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Montagne – Eau » dans le Maelbeek Essai poétique et
L'esprit de la vallée « Montagne – Eau » dans le Maelbeek Essai poétique et philosophique pour un « agir poétique » Dominique Nalpas Selon Edgar Morin, le paysage devrait être par excellence une de ces entités mutlidimensionnelles et complexes animées de processus interactifs. Il en parle dans l'introduction de son imposante somme La Méthode, en s'y réclamant de ce que le Tao appelle l'Esprit de la vallée qui reçoit toutes les eaux qui se déversent en elle, pour rendre compte de la complexité de phénomènes tels que le paysage. Et Michel Collot citant Morin d'insister : « il faut substituer 'à une pensée qui isole et sépare', une 'pensée qui distingue et relie'. » Car le paysage est une pensée qui se spatialise, nous dit Michel Collot : il y aurait un rapport fondamental entre notre manière de penser et les paysages qui s'élaborent (évidemment, souvent à l'insu de notre plein gré). Un paysage, ce ne doit pas nécessairement être beau, un paysage, cela parle. Cela nous dit quelque chose. La pensée du paysage chinois est ancienne et profonde, comprendre comment se construit le paysage chinois nous permettra-t-il de mieux comprendre notre propre manière de penser le paysage ? La Chine est avec l'Occident l'autre foyer de l'élaboration de la notion de paysage, mais qui est bien plus ancienne encore puisque ce concept, depuis l'antiquité, n'a pas bougé, alors que le paysage chez nous est une « invention de la Renaissance ». Le paysage en Chinois se dit « Montagne-eaux » ou « Montagne-rivière ». On est dans notre sujet, avec les Etats généraux de l'eau, non !? « Montagne – Eau », le paysage donc C'est la corrélation nécessaire entre ce qui est haut et vertical et ce qui est horizontal et en bas. Entre le solide, l'immuable - ce qui demeure impassible - et le liquide, ce qui est continuellement en mouvement, etc. La permanence et la variance se confrontent et s 'associent dans le même temps. Il y a ce qui a forme et fait relief et ce qui prend la forme des choses (l'eau). L'opaque et le transparent, le massif et le fluide... Le paysage est un assemblage de principes opposés... « Montagne – Eau », le Yin et le Yang, bien sûr. « Voilà donc qui rompt d'entrée et puissamment avec le sémantisme du territoire (paysage vient de pays) qui se trouve être à la base de notre conception du paysage. » Comme le dit François Jullien, « en lieu et place du « paysage » terme unitaire, la Chine dit un jeu d'interaction sans fin entre facteurs contraires, devenant partenaires, par lesquels le monde est matriciellement conçu et s'organise. Il n'y a plus le Sujet régnant, dominant (notre sujet Renaissant en Europe) tenant en tant qu'individu le monde sous son point de vue et y développant librement, tel Dieu, son initiative. » Tel Versailles et sa perspective royale. A l'encontre de ce pouvoir monopolisant de la vue, la Chine dit l'essentiel de la polarité qui fait que du monde se met en tension et se déploie, nous dit encore François Jullien. « L'humain ne s'en sépare pas et demeure en creux, compris dans ces implications multiples. Car le vis-à-vis qui s'instaure est dans le monde, entre les montagnes et les eaux » Ainsi donc nos paysages occidentaux nous disent combien nous avons séparés, dualisés, là ou le paysage chinois met en lien. Le sujet donc d'un côté et l'objet de l'autre. La partie et le tout. Et pour nous, l'essentiel : l'Homme et la nature. Savez vous que le mot nature n'existe pas en chinois ! Et Philippe Descola nous rappelle que la notion de nature est une invention occidentale ! Le paysage occidental nous apprend qu'il s'agit d'un monde instauré en vis-à-vis de l'homme mais par isolation d'avec lui. Le paysage repoussé à distance devenu objet. Ob-jet, jeté là-devant, séparé, soumis à la vue. Ob-jet que je ne peux que regarder, détaché. Montagne sans Eau. Eau sans Montagne Dans cette acception, juste ceci comme exemple, le paysage devenu objet prend le risque de devenir un argument de vente. Les pays promotionnent (excusez du mot) leurs paysages et les vendent pour attirer le touriste. On Disneylandifie. Par exemple Disneyland Paris est en train de créer le village nature remarquable, mais c'est un parc. Dans la même vaine, la qualité paysagère est un argument de vente et renforce le foncier. Cela va jusqu'à un point tel que certains convoquent le concept de « mochitude » pour empêcher cette plus value foncière gentrificatrice... On est mal si cela est notre seule défense contre la marchandisation du monde. Et, puisque l'on doit être moche ici, nous allons chercher le beau là-bas. Et à l'arrivée de la belle saison, nous fuyons nos mochitudes pour aller chercher ailleurs les beautés que nous détruisons par notre seule présence massive. A moins que nous créions des espaces protégés, des réserves d'indiens, dans une croyance de virginité perdue et dans une vision romantique de la Nature, renforçant encore le dualisme Culture – Nature. « Montagne – Eau »... une petite maison bleue accrochée à la colline où est tu ? Lizard et Luc, Psylvia, attendez-moi... Mais revenons ici et regardons un instant avec l'attention qui sied au souci du détail notre petite vallée du Maelbeek que nous avons arpenté cet après midi même. Que nous dit ce paysage urbain occidental. Il nous dit que la ville tente d'effacer la géographie. Cette dernière nie tant la montagne que l'eau. Il n'y a plus d'eau dans notre payage urbain mais il n'y a pas plus de vallée, en fait. Le bâti s'efforce de nous en séparer. Michel Bastin, nous rappelait que l'urbaniste Victor Besme, « proposait de jeter les montagnes dans les vallées ». Cette portion de ville est très expressive à ce sujet, elle nous dit tant de choses. L'histoire est ancienne. Nous recevions il y a peu un article de la chercheuse Bruxelloise Bénédikte Zitouni qui, commentant les travaux des Etats Généraux de l'Eau à Bruxelles qui s'efforcent de réintégrer l'eau dans le paysage, rappelait que les hygiénistes du 19ème siècle, non seulement avaient proposé de recouvrir les rivières pour nous protéger des maladies et faire donc de ces dernières les collecteurs de nos déchets (et se faisant externalisaient les problèmes en dehors de la ville), mais en plus, préconisaient la séparation de l'homme du sol et de ses myasmes. Il fallait mettre une chape entre nous et la terre. C'est énorme et c'est un vrai projet culturel, dans le sens qu'il est constitutif de nos imaginaires. Cachez donc cette « Montagne – Eau » que je ne saurai voir ! Recouvrir les sols, c'est créer une séparation inouïe. On se souviendra que la ville moyen-âgeuse déjà séparait avec ses remparts. Elle séparait ceux du bourg, de l'intérieur, de ceux de l'extérieur, étrangers perçus comme ennemis ou ceux qui étaient dans les lieux de mises au ban (banlieues). Mais la ville moderne associée aux sciences dites de la nature et aux techniques qui manipulent cette dernière, dans l'Etat-nation où les frontières ont été renvoyées plus loin a troqué ses remparts verticaux avec de nouveaux remparts plus insidieux car horizontaux et donc moins visibles, remparts faits de macadam et de béton qui séparent du sol et des tuyaux qui enserrent l'eau et la conditionnent. Remparts séparant de la géographie, ou encore de ce que l'on appelle la nature qui, à son tour, devenait étrangère, sauvage. Les banlieues, elles, sont restées, au-delà des boulevards ou des canaux. Cette histoire de remparts horizontaux et verticaux nous permettent sans doute de mieux comprendre pourquoi une herbe qui émerge d'une faille de la bétonisation du sol serait aussi folle et aussi dangereuse que le réfugié se jouant de nos frontières nationales. C'est avec Jean-Marie Lison que nous disions en accuaillant les Sans-papiers : « L'herbe folle est au pavé ce que le Sans-papier est à l'Etat-nation. » Mais la ville c'est aussi une histoire de pouvoir et c'est concomittant. Si la nature objectivée, séparée de l'Homme était utilisable par les sujets que nous sommes devenus, certains d'entre nous pouvaient être tout autant assujettis. Il ne vous a peut-être pas échappé que le le mot « sujet » était à la fois celui de l'affirmation de notre puissance individuelle, mais aussi celui de notre soumission à la puissance du monarque. Bruxelles revendique ses perpectives triomphales, royales..., comme par exemple celle du Cinquantenaire. Et notre vallée du Maelbeek est peut être le plus bel exemple bruxellois de ces antinomies où la vallée est écrasée par l'axe triomphal. La ville s'est développée nous rappelle Menu, un étudiant de La Cambre, à partir du 19ème siècle dans une vision radiale : le centre vers la périphérie. On nous objectera qu'il s'agit d'une mise en lien. Certes, lorsque du centre se dessinent des axes radiaux qui partent vers la périphérie, c'est une mise en lien, mais dans une perspective de domination cette fois. C'est l'Etat nation qui se formait justement et qui assujettissait... ses citoyens ? Une démonstration de force. Les ponts jetés au-dessus du Maelbeek devaient relier les casernes ou les champs de manoeuvre au centre : le Palais royal, le parlement, les banques. Nous pensons ici aux avenues de la Couronne et de la Loi qui se jouent de la géographie de la vallée en lançant des ponts au-dessus de la rivière, et en créant de puissants remblais, des montagnes dans la vllée, virtualisant un peu plus la vallée, aux fins que les troupes puissent se déplacer plus rapidement, pour protéger le centre évidemment, contre la périphérie ! Et cet esprit radial s'est retrouvé renforcé avec l'installation des institutions européennes pour former le monstre hideux que nous connaissons, « Schuman - Loi » remplace « Montagne - Eau » Le projet de Potzamparc de l'avenue de la Loi mettra sans doute un peu d'ordre dans ce chaos urbanistique, mais en renforçant l'alliance des pouvoirs, politiques et économiques au détriment encore et toujours de la vallée et de ses liens. Plus de verticalité pour moins de géographie physique ou humaine. Le paysage « manifestation de puissance » s'est trouvé d'autres voies de réalisation que celui du politique. La puissance économique et technique est ancienne et est rendue bien visible dans le Maelbeek avec le chemin de fer notamment, dont l'entre deux ponts du Maelbeek est un magnifique révélateur... Le haut et le bas de la vallée sont des marqueurs sociaux dans nombre de cas dont le meilleur exemple se situe sans doute au pied du pont de la Couronne où les petites maisons ouvrières de la rue Gray restaurées à grand frais forment les arcs boutants de l'énorme remblais qui s'y appuient en soutenant la maison patricienne du haut. Les classes sociales sont bien marquées à cet endroit. Plus généralement, le paysage urbain aujourd'hui nous dit combien triomphent l'assemblage des pouvoirs techniques, financiers avec l'appui du pouvoir politique. Les villes qui poussent dans le désert en sont l'exemple magnifié et les skylines que l'on nous vante dans toutes les séries américaines sont devenues la norme. « Montre-moi ton paysage et je te dirai quelle est ton économie ! » « Montagne-Eau » devenu liliputien Au moyen âge, lorsque la rivière – notre Maelbeek - présentait encore un potentiel économique et que les artisans étaient nombreux - moulins, étangs et viviers, maraîchage, etc. -, le paysage s'est constitué en long, le long de la rivière, le long de la vallée. Tout le contraire du développement radial qui se joue de la vallée évoqué plus haut et qui la traverse. Tout cela devait s'agencer dans une harmonie des acteurs... reliés par les moniales de l'Abbaye de La Cambre qui traitaient de cette mise en lien en créant une sorte de parlement des métiers de la vallée – une sorte de contrat de rivière avant l'heure -, pour favoriser la paix. La vallée et son eau était un bien commun et il est fort à parier que le paysage le disait. Mais à cette époque on n'avait que peu de temps pour regarder le paysage, ou plutôt, on avait peu de temps pour en parler et surtout pour l'écrire et le documenter et encore moins le peindre. A cette époque, on travaillait dans le paysage. Mais la ville imperméable, alliée à la ville puissance, on l'a vu, a recouvert tout cela. « Montagne – Eau », 20 milles lieues sous le goudron. Mais les inondations de la place Flagey ont rappelé que l'on ne peut refouler « Montagne – Eau » qui forme quoi que l'on fasse un soubassement à notre ville. Chassez la géographie par la porte, elle reviendra par la fenêtre, mais avec plus de force voire plus de colère. Et lorsque l'on nous a dit que la réponse à la colère de « Montagne - Eau » - l'inondation - était de l'enfouir un peu plus en construisant des bassins d'orage, c'est nous qui nous sommes mis en colère. Alors nous avons tiré le fil de l'eau et nous avons inventé – avec d'autres - les Nouvelles rivières urbaines et surtout les solidarités de bassin versant. Car le social et l'environnement sont intrinsèquement liés. Permettez juste cette incidence technique : pour traiter la question de la minimisation des risques d'inondation, il faut travailler à désimperméabiliser les sols et permettre à l'eau de s'infiltrer, de sévaporer ou de s'évapo-transpirer en créant au passage du végétal, des jardins de pluie. L'eau doit être ralentie pour de multiples usages aussi. Mais cette réponse-là aux multiples techniques décentralisées disposées sur l'ensemble de la vallée n'apporte-t-elle pas ce que nous cherchons ? Le fait de travailler au paysage dans le sens de la vallée, en la renforçant et pas en la virtualisant. Cette approche de la gestion de l'eau dans sa pragmatique propre, dans sa capacité opérationnelle, voire même dans sa dimension économique se fonde sur la géographie et ne cherche pas à s'en séparer. Elle se fonde sur le potentiel écologique en s'associant et agissant avec la nature et en ne refoulant pas cette dernière, elle fait coopérer humains et non humains. Alors « Montagne - Eau » un pur produit zinneke ? Cet assemblage surprenant, cet hybride technique-politique, c'est ce que j'appellerai l'agir poétique. Car un paysage, en fait, ce n'est pas quelque chose qui s'observe seulement de loin quand on est en vacances, cela se travaille comme le fait un jardinier. La ville doit être jardinée en agissant avec l'eau, la terre, le vivant et sa diversité, notamment... Si l'eau fluide ne se laissera jamais contraindre par les frontières administratives et communales ou celles de la propriété privée, la ville se doit de devenir poreuse à la biodiversité, aux jardins en mouvement ou au tiers paysages et participer au jardin planétaire... comme les nomment Gilles Clément, paysagiste et écrivain qui se dit lui-même d'abord jardinier. Car il ne suffit pas de dire... ou mieux : agir, c'est dire. Très chers tous, nous sommes tous des acteurs du paysage, que nous le voulions ou non, même à l'insu de notre plein gré, comme dirait l'autre, car même notre passivité façonne le paysage, même notre assujettissement est un agir. Notre silence est un pouvoir de démission. Vous le savez, on ne peut pas ne pas communiquer. L'absence de communication est une communication. Mais gageons que nous reprenions en main notre pouvoir d'agir en faisant de ce paysage un « Montagne - Eau » qui s'intègre dans la ville, qui ne s'y oppose pas, mais qui en fasse un bien commun par l'action de tous. « Montagne - Eau » ou l'esprit de la vallée et des Nouvelles rivières urbaines L'enjeu est de taille et je propose que la vision géopoétique qui se profile ici – nous devons ce concept de géopoétique à Kenneth White, le poète – puisse prendre une forme concrète, résistante et militante, tant le combat urbain est devenu un enjeu réel, c'est à dire territorial, concret, visible ! Il faut offrir une résistance à la démonstration de la puissance, à la vision radiale et à la toute puissance verticale qui s'érige. Comment ? Tout simplement, en existant et prenant notre place dans le trafic, telle une masse critique en créant des réseaux, en faisant lien. En prenant appui sur l'ensemble de la vallée et en donnant vie à « Montagne Eau », en créant l'esprit de la vallée. S'il y a un un carrefour de la vallée qui pourrait bien symboliser le conflit des développements - celui des puissances et celui de la reliance -, c'est celui qui se trouve entre Loi et Maelbeek... Quel symbole. « Montagne - Eau » à Maelbeek - Loi La Terre est notre support qui est notre matrice à tous. Partout, en chaque lieu, nous produisons ce qui va nous revenir dans un effet boomerang : réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, inondations, etc. Isabelle Stengers et Bruno Latour appellent cela l'intrusion Gaïa. C'est pourquoi il nous faut faire advenir cet esprit de la vallée dans une réelle solidarité, dans une prise de conscience de ce qui est commun, dans un dialogue, enfin, entre humains et non-humains, tel un parlement des choses. Et comme tout paysage est fermé par l'horizon, c'est à dire là où le ciel touche la terre – horizon se dit « Ciel – Terre » en Chinois -, tout paysage donc s'ouvre sur d'autres paysages et d'autres encore, etc. et ce sans fin et gageons qu'il y aura, de vallée en vallée, des « Montagne – Eau » qui partout surgiront. Merci à tous