Une pile à combustible aux24H

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Une pile à combustible aux24H
SPORT AUTO DURABLE
Une pile à
combustible
aux 24 H
du Mans
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Le principal facteur limitant
aujourd’hui est la température de
fonctionnement de la pile à
combustible.
Par Alain Pernot
www.greenracingnews.com
Une équipe suisse s’est lancé dans un pari fou : faire courir
aux prochaines 24 Heures du Mans une voiture ne
consommant pas un litre d’essence et ne rejettant que de la
vapeur d’eau.Non,non,ce n’est pas une blague : cette GreenGT
est mue par une pile à combustible alimentée à l’hydrogène !
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Avec sa grosse prise d'air et
son volume généreux, la pile à
combustible de la GreenGT H2
est un casse-tête pour les
aérodynamiciens !
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Une pile à
combustible aux
24 H du Mans
oucieux de renouer avec la tradition de
laboratoire technologique de leur épreuve, les
organisateurs des 24 Heures du Mans (qui
auront lieu les 22 et 23 juin prochains) ont
décidé, l’an passé, de dédier un 56e stand à un projet de
nouvelles technologies. C’est dans ce cadre que s’inscrit
la participation de cette audacieuse GreenGT H2. Cette
petite équipe suisse n’est pas composée de rêveurs mais
bien d’ingénieurs décidés à montrer que la voiture
électrique peut être une solution intéressante pour peu
qu’on l’aborde de la bonne manière.
Cette équipe s’est attelée à la réalisation d’une voiture de
course électrique. Les deux animateurs de GreenGT, JeanFrançois Weber et Christophe
Schwarz, deux ingénieurs de
l’École Polytechnique de
Lausanne, ont procédé par
étapes. Ils ont d’abord conçu une
barquette équipée de batteries
lithium/ion et d’un moteur
électrique de 200 kW puis ils sont
passés à version de 300 kW
développant environ 410 chevaux
grâce à deux moteurs synchrones
alternatifs de 150 kW chacun. « À
cette occasion, nous avons développé
nos propres moteurs et notre propre boîte de
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La GreenGT en bonne compagnie
aux côté des Audi et Toyota hybrides
et de la Nissan Deltawing.
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Ci-contre-un stack de 20 kW.
La pile à combustible permet de
contourner le problème du stockage de
l’énergie et donc de l’autonomie des
véhicules électriques.
vitesse porteuse. Ce test nous a surtout
permis de valider sur une durée de 24 heures
notre solution mécanique qui comporte cinq
fois moins de pièces qu’un classique
ensemble moteur/boîte thermique », précise
Jean-François Weber.
Mais pour les deux hommes, compte tenu de
l’autonomie limitée des batteries lithium/ion, ces
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deux petits protos ne constituaient que des étapes
intermédiaires en vue d’un projet plus ambitieux : « Dès
le départ, notre idée était de faire une voiture de course
à pile à combustible alimentée par hydrogène. Mais au
moment où nous avons lancé le projet, il n’y avait pas
encore de pile assez grosse pour s’attaquer à un défi
comme Le Mans. La voiture à batteries n’était qu’une
étape nous permettant de roder la partie mécanique ».
Contrairement à ce que son nom sous-entend, la pile à
combustible ne contient ni pile, ni combustible. Il s’agit
en fait d’un générateur d’eau et d'électricité. Son principe
est assez simple : il s’agit tout bonnement du processus
inverse à la bonne vielle électrolyse expérimentée en
cours de sciences naturelles par des générations de
collégiens. Concrètement, la pile à combustible fabrique
de l’électricité grâce à l’oxydation d’un combustible
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SPORT AUTO DURABLE
Une pile à
combustible aux
24 H du Mans
Les bombonnes d'hydrogène (en orange) prennent place le long
de la double coque surmontée par d'imposants radiateurs
(en violet) qui refroidissent la pile située juste en dessous.
réducteur (l’hydrogène) sur une électrode et à la réduction
d’un oxydant (le dioxygène de l’air) sur une autre
électrode. Seul déchet final : la production de vapeur d’eau
! Bien sûr, l’hydrogène n’existe à l’état naturel que
combiné à d’autres éléments, il faut donc le produire ce
qui nécessite de l’énergie. Green GT a opté pour un
électrolyseur solaire afin de produire son hydrogène.
La pile à combustible offre l’attrait décisif de s’affranchir
de l’un des points noirs des véhicules électriques
classiques : le stockage de l’énergie. En effet, pour
développer environ 500 chevaux sur une quarantaine de
minutes (le temps d’un relais au Mans), un véhicule
électrique doit embarquer une énorme quantité d’énergie
qui se traduit par un poids de batteries très handicapant
pour une voiture de course. « Avec sa pile à combustible,
explique Jean-François Weber, la GreenGT H2 générera
l’énergie nécessaire à un relais d’une heure, voire 1 h 10,
en embarquant deux bonbonnes chacune chargée de 4 kg
d’hydrogène (l’équivalent de 25 litres de carburant), soit
un poids total de 80 kg, masse des bouteilles sécurisées
comprise. Il suffira alors de se ravitailler en hydrogène ».
La pile à combustible présente aussi un autre intérêt
théorique. Le rendement de cette technologie pris dans sa
globalité (c’est à dire en intégrant l’énergie nécessaire à la
production de l’hydrogène) est en effet assez prometteur :
« c’est à affiner mais selon nos calculs nous devrions
tomber sur un rendement dépassant les 55 % soit le
double des moteurs thermiques ! »
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FICHE TECHNIQUE
DE LA GREENGT H2
CHÂSSIS
Coque : Double-coque et crash box homologué
ACO/FIA, en fibre de carbone
Carrosserie: En composite fibre de carbone
Suspensions : Avant et arrière à doubles triangles
acier et poussoirs
Freins : Étriers Brembo avec disques et plaquettes en
carbone
Roues : BBS, avant 11 x 18, arrière 13 x 18
ÉLECTRONIQUE
Module de gestion centralisé, basé sur un contrôleur
de course gérant l’ensemble de la propulsion GreenGT
et exploitant le «torque-vectoring».
DIMENSIONS
Long./Larg./Hauteur : 5150 x 2000 x n.c.1200
Consommation : 12,5 kg d’H2 par heure (équivalent à
36 litres d’essence)
Vitesse maximum : 300 km/h
Poids : 1 240 kg
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MOTORISATION
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Type : 2 moteurs triphasés synchrones à aimants
permanents
Puissance : 2 x 170 kW, soit 460 chevaux DIN. Régime
max 12 500 tr/mn
Couple : 2 400 Nm aux roues
TRANSMISSION
Bien sûr, la réalisation d'un tel projet n’est pas un
processus simple. Il s’agit tout bonnement de concocter
la pile à combustible la plus puissante jamais sortie d’un
laboratoire ! Dans un premier temps, GreenGT a fait
développer une pile à combustible de 100 kW et a
enchaîné très vite sur le développement d’une pile de forte
puissance conforme à ses objectifs : elle fournit 340 kW
linéaire soit 460 ch. Il s’agit d’une pile à combustible à
membrane électrolyte polymère (Proton Exchange
Membrane Fuel Cells ou Polymer Electrolyte Membrane
Fuel Cell pour les anglais). Parallèlement, une nouvelle
chaîne de traction bi-moteur, développant 400 kW
(540 ch) a été développée.
Installer une telle pièce de technologie dans un prototype
destiné à évoluer parmi cinquantaine-cinq autres
voitures de course n’est évidemment pas une mince
affaire non plus ! « Dans un premier temps nous avons
envisagé d’utiliser un châssis déjà existant mais, de cette
manière, nous n’aurions pas pu avoir une pile de 340 kW
mais de 200 kW et encore, avec plein de compromis.
Nous avons donc opté pour la conception d’un châssis
spécifique », explique Jean-François Weber. Plutôt que
tout faire elle-même dans tous les domaines, la petite
équipe suisse a eu l’intelligence de jouer la
complémentarité des compétences en confiant la
Mode : Transmission directe sans embrayage aux
roues arrières.
Type : Boîtier différentiel à vectorisation de couple
breveté GreenGT.
PILE À COMBUSTIBLE
Type : 18 stacks. Puissance 340kW linéaire.
Membrane expérimentale « haute température ».
Assemblage optimisé avec éléments spécifiques
allégés type aviation. Les éléments sont optimisés
pour un objectif de 500 heures minimum. La gestion
du recyclage de l’air et de l’hydrogène ainsi que son
refroidissement et sa gestion électronique sont
spécialement conçus pour exploiter la pile à
combustible en l’absence de batterie-tampon.
Alimentation air : deux turbocompresseurs électriques.
Stockage de l’hydrogène : 2 réservoirs de 160 litres en
fibre de carbone et aluminium.
Quantité d’hydrogène stocké : environ 4kg par
réservoir (équivalent à 25 litres d’essence), avec une
autonomie d’environ 40 minutes. Réservoirs haute
pression 350 bar avec détendeur incorporé à l’intérieur
des réservoirs. Ceux-ci répondent aux normes
industrielles. Ils ont une structure capable de résister
à des impacts trois fois supérieurs à ceux des châssis
monocoques homologués FIA. Pour des questions
d’homologation, le changement des réservoirs en
course a été préféré au ravitaillement dans les box.
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SPORT AUTO DURABLE
réalisation de ce châssis à l’équipe WR qui compte de très
nombreuses participations au Mans avec ses propres
voitures. De même, le programme sportif est confié à
Jean-Michel Bouresche, dont l’écurie a déjà été
championne du monde N-GT en 2001.
Parfaitement conformes aux règlements et aux normes
de sécurité de la Fédération Internationale de
l’Automobile, ce châssis présente une architecture assez
atypique : « La voiture dispose d’une double coque,
poursuit le responsable de la recherche et du
développement du projet. A la première coque qui va de
manière classique de l’avant de la voiture jusqu’au dos
du pilote, s’ajoute une deuxième coque qui structure la
partie arrière avec la pile à combustible ».
L’un des principaux facteurs limitant aujourd’hui est la
température de fonctionnement de la pile : « Elle ne peut
excéder une température de 80° aujourd’hui, ce qui
nécessite un gros dispositif de refroidissement ». Cela
contribue a donner à la GreenGT H2 une forme assez
atypique avec une prise d’air et un capot arrière très
volumineux pour pouvoir y loger les fameux radiateurs.
Une contrainte momentanée, espère Jean-François
Weber : « ce projet fait aussi avancer nos partenaires.
Nous leur avons déjà demandé de produire une pile à
combustible pouvant fonctionner à 100-120°. Nous
pourrons alors diminuer par trois la taille des
radiateurs ! ». Cela permettra de gagner en aéro et en
poids. La H2 pèse actuellement 1240 kg et l’objectif est
de tomber sous la barre des 1000 kg (à titre de
comparaison, l’Audi Hybride victorieuse des dernières
24 H du Mans pèse 900 kg).
Pour ceux qui s’inquiètent de la sécurité, Jean-François
Weber se veut rassurant : « Nos réservoirs d’hydrogène
sont trois fois plus résistants que nos besoins. Ils sont
prévus pour résister à des tirs de fusils militaires ». Par
ailleurs, l’hydrogène sera comprimé à 350 bars
seulement. Une solution de substitution de bombonnes
d’hydrogène en cours d’épreuve avait un moment été
envisagée mais, finalement, l’équipe procédera à un
ravitaillement classique.
De toute façon, l’objectif n’est pas de jouer la
performance. Prendre le départ sera déjà une véritable
prouesse, tant cette voiture repousse les limites
actuelles de la technologie. Le développement de la pile
est désormais arrivé à maturité. Il ne reste plus qu’à
l’installer sur le châssis et lui faire faire ses premiers
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tours de roues. Prévus cet hiver, ces derniers devraient
avoir lieu début avril sur la piste d’essais de Dunlop, le
manufacturier anglais ravi d’être associé à un projet
aussi révolutionnaire. I
LISTE DES INNOVATIONS
DE LA GREENGT H2
Le développement d’un projet aussi révolutionnaire que
la GreenGT H2 a été l’occasion de nombreuses
innovations et de dépots de brevets.
1
Chaîne de traction avec fonction différentielle de
couple.
2
Chaîne de traction intégrant une double
motorisation et ses convertisseurs électriques.
3
Lubrification spécifique pour boîte de vitesses
électrique à basses températures de
fonctionnement.
4
Gestion centralisée de l’électronique et des
courants de forte puissance.
5
Pile à combustible: boucle d’air sans
humidificateur.
6
Pilotage de l’alimentation d’air de la pile à
combustible par turbocompresseurs électriques.
7
Intégration de système d’alimentation en
hydrogène,regroupant les fonctions détendeur,
remplissage, sécurisation thermique et
mécanique, escamotable avec son réservoir
d’hydrogène mobile.
8
Gestion thermique de la pile à combustible.
9
Mode opératoire et algorithmes de gestion de
puissance des moteurs et de la pile à combustible
sans batterie-tampon.
10
Instrumentation et planche de bord spécifique aux
véhicules électriques.
11
Analyse des modes de défaillance et mise au
point de contremesures de sécurité pour véhicules
électriques.
12
Gestion découplée de l’électricité de puissance et
de l’électricité de commande.
13 Intégration sécurisée des organes électrique de
puissance.
14 Câblage, interrupteurs et connecteurs spécifiques
aux véhicules électriques de forte puissance
(>400A et 400V).
15 Caisson Kevlar-Nomex sécurisé pour les organes
électriques de puissance: protection des occupants
et intervenants.
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