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Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 3 Dave Eggers Les Maximonstres L’Île aux monstres Roman traduit de l’anglais par CHRISTOPHE ROSSON, librement adapté de l’album Max et les Maximonstres, de Maurice Sendak, et tiré du film coscénarisé par Dave Eggers et Spike Jonze. Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 7 Chapitre premier a respiration calquée sur celle de son chien Stumpy, Max pourchassait l’animal à travers la maison – du couloir du premier jusqu’au vestibule du rez-de-chaussée. C’était un de leurs jeux préférés. Les deux autres occupantes des lieux, la mère et la sœur de Max, appréciaient nettement moins ce remue-ménage. Son père, lui, habitait en ville et leur téléphonait le mercredi et le dimanche, mais pas systématiquement. Max se rua sur Stumpy, le rata et atterrit contre la porte d’entrée. Le choc décrocha la petite corbeille suspendue au bouton: une corbeille en osier que Max trouvait ridicule mais en laquelle sa mère voyait un indispensable porte-bonheur. L’objet ne semblait bon qu’à cela, tomber par terre et se faire piétiner, ce qui se produisait d’ailleurs régulièrement. Max avait donc L 7 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 8 fait tomber la corbeille, dans laquelle Stumpy avait ensuite posé une patte, en perforant le fond. L’espace d’un instant, l’enfant frémit mais ses craintes s’envolèrent lorsqu’il vit Stumpy claudiquer, la patte prise dans le petit panier. Max riait sans pouvoir s’arrêter. L’humour de la situation apparaissait à quiconque avait un peu de bon sens. «Tu comptes faire l’idiot comme ça longtemps?» lui demanda Claire, debout devant lui. «Il y a même pas dix minutes que tu es rentré.» Claire, sa sœur, quatorze ans presque quinze, ne s’intéressait plus à lui. Enfin, plus vraiment. Depuis qu’elle allait au lycée, les jeux qu’ils avaient toujours partagés – notamment Le Loup et le Chasseur que Max, lui, aimait encore beaucoup – ne lui plaisaient plus. Désormais, rien de ce que son cadet pouvait faire ne trouvait grâce à ses yeux. Plus généralement, rares étaient les événements ou les mots qui ne provoquaient sa colère ou ses sarcasmes. Max ne répondit pas à la question de sa sœur, c’était plus sûr. Dire « Non » revenait à reconnaître qu’il se comportait comme un idiot; dire «Oui» signifiait que non seulement il admettait avoir fait l’idiot mais qu’il n’avait pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. « Va jouer ailleurs », ordonna Claire, reprenant un refrain paternel. «J’attends du monde.» Moins agacée, la jeune fille aurait pu se douter qu’en demandant à Max d’aller jouer ailleurs, elle lui donnait envie d’imposer sa présence, et qu’en annonçant qu’elle 8 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 9 attendait du monde, elle l’appâtait davantage encore. « Elle va venir, Meika ? » voulut-il savoir. De tous les copains et copines de Claire, Meika était la préférée de Max. Les autres n’étaient que des crétins. Contrairement à eux, Meika n’hésitait pas à lui parler, à lui poser des questions. Une fois, elle était même allée jouer aux Lego avec lui, dans sa chambre, et avait admiré son costume de loup, pendu à la porte de son placard. Meika savait encore s’amuser. « Ça te regarde pas, glapit Claire. Tu nous fous la paix, compris ? Va pas leur demander de jouer à tes jeux nazes.» Max savait que, pour observer et embêter Claire et sa clique, le mieux serait d’avoir un complice. Aussi enfourcha-t-il son vélo pour aller trouver Clay. Clay venait d’emménager avec ses parents dans la même rue que Max, dans une maison neuve. Il avait le teint pâle et une tête trop grosse par rapport au reste de son corps, mais Max voulait lui laisser une chance. Le garçon zigzaguait sur le trottoir, l’esprit absorbé par ses projets: à quoi jouer avec les copains de Claire, ou mieux, quels tours leur jouer. On était en décembre, la neige poudreuse des jours précédents commençait à fondre, inondant routes et trottoirs, maculant les pelouses. Le quartier changeait. On détruisait les anciennes bâtisses au profit de constructions nouvelles, plus massives, plus tape-à-l’œil. Des quatorze maisons que comptait l’endroit, six – toutes de modestes demeures 9 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 10 de plain-pied – avaient été rasées au cours des deux dernières années. Chaque fois, le scénario avait été le même: les propriétaires avaient quitté les lieux ou étaient morts de vieillesse et leurs successeurs avaient voulu quelque chose de plus grand. Le quartier résonnait donc en permanence du bruit des travaux pour le plus grand bonheur de Max, qui trouvait dans ces chantiers une source quasi infinie de matériaux – clous, planches, fil de fer, isolant et tuiles – grâce auxquels il s’était fabriqué une petite cabane dans un des arbres du bois, près du lac. Arrivé devant chez les Mahoney, Max abandonna son vélo pour aller frapper à la porte. Il s’était accroupi, dos à la maison, pour refaire ses lacets et finissait le double nœud de sa chaussure gauche quand la porte s’ouvrit. «Max?» La mère de Clay se dressait devant lui, vêtue d’un pantalon noir moulant et d’un petit t-shirt blanc couvrant un haut noir en lycra. On aurait dit une skieuse professionnelle. Derrière elle, dans le salon, le magnétoscope était sur PAUSE ; l’écran du téléviseur montrait trois femmes musclées, les bras tendus comme si elles cherchaient à attraper quelque chose en dehors du champ de la caméra. Se relevant, Max demanda à voir Clay. «Navrée, répondit la maman, il est sorti.» Mme Mahoney tenait à la main une grosse boîte en argent dotée d’une poignée noire – une espèce de mug à café. Elle en prit une gorgée tout en inspectant le porche. 10 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 11 «Tu es venu seul?» demanda-t-elle à Max. Celui-ci réfléchit un instant, comme si cette question cachait quelque chose. Bien sûr qu’il était venu seul. «Ben ouais», fit-il. La figure de Mme Mahoney exprimait constamment la surprise, Max avait déjà pu le constater. Sa façon de se tenir et le ton sur lequel elle parlait se voulaient clairvoyants, mais ses yeux disaient Vraiment? Ah bon? Comment est-ce possible? «Comment es-tu venu?» reprit-elle. Nouvelle question étrange. Le vélo de Max était couché un mètre derrière lui, parfaitement visible. Elle ne le voyait pas, ou quoi? « À vélo », répondit-il. D’un geste, il indiqua sa machine. «Tout seul? – Ouais.» Celle-là, alors, se dit Max. «Tout seul?» répéta-t-elle encore. Elle avait les yeux écarquillés. Pauvre Clay. Sa maman était marteau. Max savait qu’il valait mieux tenir sa langue avec ce genre de personnes. Les fous, on doit les ménager, pas vrai? Aussi opta-t-il pour une grande politesse. «Oui, Madame Mahoney. Je… suis… venu… seul.» Il égrena les mots délicatement, sans quitter son interlocutrice des yeux. « Tes parents te laissent faire du vélo tout seul ? En plein mois de décembre? Sans casque?» Cette dame avait visiblement un mal fou à saisir l’évidence. De toute évidence, Max était venu seul et 11 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 12 vélo. De plus, il ne portait rien sur la tête, donc à quoi bon parler de casque ? Elle avait des hallucinations, en plus du reste? Une forme de cécité? « C’est ça, Madame Mahoney. Je n’ai pas besoin de casque. J’habite le quartier. Pour venir, j’ai roulé sur le trottoir.» Un bras tendu vers le bout de la rue, Max montra sa maison à la maman de Clay. Cette dernière, une main en visière, plissa les yeux en direction de l’endroit indiqué – une naufragée cherchant un navire à l’horizon. Puis elle baissa la main, se tourna de nouveau vers Max et soupira. « Clay est à son cours de capitonnage », reprit-elle. Max ignorait de quoi il pouvait s’agir, mais cela lui sembla une activité moins amusante que le tir aux fléchettes artisanales sur oiseaux. «Bon, très bien. Merci, Madame Mahoney. Dites-lui que je suis passé », conclut le garçon. Il fit un geste pour saluer la mère loufoque de son camarade, se retourna et enfourcha son vélo. Alors qu’il s’éloignait, il entendit la porte des Mahoney se refermer. Mais lorsqu’il s’engagea sur le trottoir, il découvrit la mère de Clay à son côté, marchant d’un pas résolu, sa boîte en argent à la main. «Je ne peux pas te laisser partir tout seul, expliquat-elle sans ralentir. – Merci, Madame Mahoney, mais je fais du vélo tout seul tous les jours », répondit Max. Il pédalait prudemment, le regard rivé à celui de son interlocutrice. 12 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 13 Celle-ci lui semblait trois fois plus étrange que précédemment; son cœur, à lui, battait deux fois plus vite que tout à l’heure. « Pas aujourd’hui, désolée », déclara-t-elle. D’une main, elle tenta d’agripper la selle de Max. C’est à cet instant qu’il prit peur. La maboule le suivait, elle cherchait à l’attraper. Il accéléra. Il se sentait capable de rouler plus vite qu’elle ne pourrait marcher et comptait bien la semer. Il se dressa sur les pédales. Mme Mahoney accéléra elle aussi, mais sans se mettre à courir. Elle faisait de grands mouvements latéraux avec ses coudes, la détermination lui déforma brièvement les lèvres. Un sourire? «Ha! s’exclama-t-elle. Qu’est-ce qu’on s’amuse!» Seuls les cinglés se marrent quand ils font quelque chose de dingue. Cette femme n’allait pas bien du tout. «Je vous en prie», la supplia-t-il. À présent, il écrasait littéralement les pédales. Il faillit même percuter la boîte aux lettres des Chung, celle avec le logo Peace and Love – un logo qui avait fait pas mal jaser dans le quartier. «Laissez-moi tranquille. – Ne t’inquiète pas », s’étrangla-t-elle. Elle s’était mise à trotter. «Je te raccompagne jusque chez toi.» Comment se débarrasser de cette bonne femme ? Comptait-elle vraiment le suivre jusque chez lui ? Il semblait certain qu’elle cherchait à le coincer entre quatre murs afin de s’occuper de son cas. L’estourbir d’un coup de mug ? L’étouffer à l’aide d’un oreiller? Oui, ça lui ressemblait davantage. Mme Mahoney 13 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 14 avait en effet le regard clair et efficace d’une infirmière sanguinaire. Des aboiements retentirent alors. Max se retourna et constata que le chien des Scola les suivait également. Il aboyait après Mme Mahoney et lui mordillait les chevilles. Celle-ci ne s’en émut pas. Elle avait toujours les yeux écarquillés. Cette petite balade semblait la combler de joie. « Aaah ! s’extasiait-elle. L’endorphine. Merci bien, Max! – Soyez gentille, fit-il. Qu’est-ce que vous me voulez?» Encore dix maisons et il était chez lui. «Te protéger… De tout ça.» D’un geste, elle désigna le quartier dans lequel Max était né, où il avait grandi: une rue tranquille, bordée d’ormes et de chênes, terminée en cul-de-sac. Par-delà le cul-de-sac s’étendait un bois de quelques hectares, puis le lac. Rien de crapuleux, ni qui soit du moindre intérêt ne s’était jamais produit dans cette rue, dans cette ville, ou même dans un rayon de sept cents kilomètres. Tout à coup, Max fit un écart et s’engagea dans la rue. « La route ! » s’étouffa Mme Mahoney, comme si le petit garçon venait de se jeter dans un fleuve de lave en fusion. À cette heure de la journée, pas plus qu’à aucune autre, la rue n’était fréquentée. Mais très vite, Mme Mahoney s’élança après Max, au pas de course, une main toujours tendue vers la selle de son vélo. Max jugea qu’il serait stupide de rentrer chez lui: 14 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 15 c’est là que la folle voulait le faire aller. Il y serait fait comme un rat et elle le zigouillerait. Pour s’en tirer, une seule solution: la forêt. Il accéléra de nouveau et prépara sa manœuvre : un demi-tour rapide puis direction le cul-de-sac dans l’espoir d’atteindre le bois. «Où vas-tu?» s’égosilla sa poursuivante. Max faillit éclater de rire. Elle ne le suivrait sûrement pas dans le bois, pas vrai ? L’enfant se retourna. Il la devançait certes d’un ou deux pas, mais Mme Mahoney ne mit pas longtemps à reprendre la poursuite. Et à quelle allure! Max approchait du bout de la rue, des premiers arbres. «Je ne te perds pas de vue! hurla-t-elle. Ne t’en fais pas!» À nouveau, Max franchit le trottoir – déclenchant par là même une réaction terrifiée chez Mme Mahoney – puis se retrouva dans les herbes hautes et la neige. Il atteignit bientôt le couvert des premières branches basses qui balançaient entre les troncs des grands pins. «MAAAAAX ! s’écria Mme Mahoney. Pas dans le bois!» Le garçon pénétra dans la forêt, direction le ravin. « Agressions ! Drogue ! Sans-abri ! Seringues ! » l’implorait la mère de son camarade. Le ravin attendait Max, six mètres de profondeur et environ la moitié en largeur. Un mois plus tôt, Max avait jeté une large planche de contreplaqué en travers pour se fabriquer un pont. S’il parvenait à rallier le ravin, franchir ce pont puis à retirer la planche 15 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 16 à temps, il réussirait peut-être à se débarrasser de sa poursuivante. «Stop!» cria cette dernière. Max basculait son vélo à droite et à gauche. Jamais il n’avait roulé si vite. Le chien des Scola lui-même avait du mal à suivre son rythme. L’animal jappait encore sur les talons de la dame. «Fais attention! lança celle-ci. Le machin-chose, là! La gorge!» Rôôh, songea Max. Une fois rendu au pont, il entendit un nouveau hurlement d’une terreur incalculable. «Noooooon!» Le garçon franchit la planche au plus vite puis jeta son vélo par terre pour empoigner le contreplaqué. Mme Mahoney l’avait presque rejoint lorsqu’il dégagea la planche. Le pont s’effondra et s’écrasa contre des rochers. Mme Mahoney s’arrêta aussitôt. « La poisse ! » s’exclama-t-elle. Elle resta un instant ainsi, les mains sur les hanches, haletante. «Mais comment veux-tu que je te protège si tu restes tout là-bas?» Max essaya de trouver une réponse bien sentie mais au final il ne dit rien. Il remonta en selle, au cas où Mme Mahoney déciderait de sauter par-dessus le ravin. Elle était nettement plus forte et plus rapide qu’il aurait cru, aussi ne pouvait-il éliminer cette possibilité. Au même instant, le chien des Scola, toujours lancé à pleine vitesse, choisit de rejoindre Max de l’autre 16 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 17 côté du vide. Le quadrupède se retourna alors pour considérer Mme Mahoney puis braqua son regard sur Max, un sourire carnassier sur les babines et une joie certaine dans les yeux, comme si le petit garçon et lui venaient de vaincre un ennemi commun. Max s’esclaffa et, lorsque le chien se mit à aboyer en direction de la dame, le garçon l’imita. Le chien et l’enfant aboyèrent, aboyèrent et aboyèrent encore. Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 19 Chapitre 2 laire!» appela Max en entrant dans la maison. Pas de réponse. Il trépignait à l’idée de lui raconter son aventure avec cette foldingue de Mme Mahoney. Sa sœur et lui n’avaient plus forcément les mêmes centres d’intérêt mais Claire raffolait de ce genre d’anecdotes. Là, elle allait adorer. «Y a quelqu’un?» demanda-t-il. Max espérait ne trouver que Claire. Gary, le copain de sa mère, un homme à la mâchoire aussi molle qu’un gâteau au yaourt, passait parfois en rentrant du travail et s’assoupissait sur le canapé. Il souillait toutes les pièces dans lesquelles il pénétrait. «Claire?» Max jeta un œil dans la cuisine, le salon, la cave. Aucune trace de sa sœur. Il monta alors au premier et la trouva enfin. «C 19 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 20 « Mais je le lui ai pas fait voir, justement. C’est ça, le truc», disait-elle. Claire était au téléphone lorsque Max entra dans sa chambre, prêt à lui raconter son histoire. Mais avant même qu’il n’ait pu ouvrir la bouche, sa sœur le foudroya du regard. Il s’éclipsa aussitôt. « Alors pourquoi elle a dit ça ? C’est trop un mensonge!» Max attendit à la porte de la chambre de Claire. Quand celle-ci aurait raccroché, il lui parlerait de Mme Mahoney, lui expliquerait comment il avait triomphé d’elle et, à eux deux, ils lui concocteraient un sacré tour. Et puis zut, à quoi bon attendre ? Max savait que Claire aurait envie d’écouter son histoire au plus vite et qu’elle le remercierait sitôt qu’il aurait terminé – le remercierait de lui avoir épargné une conversation barbante au profit d’une anecdote passionnante. Alors le garçon entra de nouveau dans la chambre de sa sœur et… «Mais tu vas sortir, bordel?» cria-t-elle. Max resta un instant figé, sous le choc, incapable du moindre geste ou de la moindre parole. Ce n’était pas du tout ce à quoi il s’attendait. «Dégage!» hurla-t-elle pour de bon puis, d’un coup de pied, elle claqua la porte au nez de son frère. La colère de Max, insondable, était dirigée à pleine puissance contre Claire. Qu’avait-il fait de mal? Il était 20 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 21 entré dans la chambre de sa sœur. Il voulait lui parler. Le traiter comme elle l’avait fait était méchant et injuste, et elle le savait. À présent, elle allait devoir payer. Il restait assez de neige pour un maçon déterminé, aussi Max décida-t-il de se creuser un fortin dans la congère de l’autre côté de la rue. Quand les copains de Claire se pointeraient, il les attendrait et vengeance serait faite. Ça allait être un massacre, Claire ne pourrait s’en prendre qu’à elle-même. Max enfila ses gants de ski et traversa la rue en courant. Armé d’une petite truelle appartenant à sa mère, il entreprit de forer la masse de neige et eut bientôt achevé la salle principale. Une salle de taille à l’accueillir – lui et peut-être un complice de sa corpulence –, surmontée d’un toit assez haut pour que Max puisse tenir assis dessous. La truelle en main, il prépara ensuite une banque longue et profonde dans la paroi intérieure de la salle. Il pourrait y entreposer ses boules de neige et peut-être de la nourriture ou des livres. Il se disait qu’il pourrait même y installer une télé, à condition de dénicher une rallonge suffisamment longue et solide. Mais ce n’était pas la priorité. Dans la paroi orientée vers sa maison, l’enfant creusa un judas étroit donnant sur l’allée et la porte d’entrée de chez lui. Il serait prêt lorsque les copains de Claire viendraient se planter dans l’allée pour papoter et faire semblant de savoir chiquer du tabac (pour cracher ensuite leur jus marron dans la neige grise). 21 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 22 16h15 à sa montre, Max savait qu’il lui restait un quart d’heure avant l’arrivée de ses victimes. Les copains de Claire se ramenaient – quand ils se ramenaient, ce qui n’était pas toujours le cas, même lorsqu’ils l’avaient annoncé – aux alentours de 16h30 tous les jours. Et ce, parce qu’un des garçons de la bande, le dénommé Finn, avec ses cheveux en pétard, restait en retenue après les cours de septembre à juillet. Qui pouvait bien avoir envie d’attendre un olibrius comme ça pour le plaisir de traîner avec lui? Réponse: Claire et ses copains débiles. Les cours terminés, ils attendaient tous l’autre paria avant de se réunir chez Max pour une raison ou pour une autre. Max utilisa le temps dont il disposait pour se confectionner un immense arsenal. La neige avait la bonne texture, juste assez humide pour être collante. Le petit garçon n’avait qu’à en saisir une poignée pour former une boule de neige – du prêt à l’emploi. Il les tassait bien de tous les côtés puis les lissait, les tassait à nouveau et les lissait encore avant de les entreposer sur la banque. En dix minutes, il s’en était fabriqué trente et une, la banque était pleine. Max en prépara donc une nouvelle. Les cinq minutes restantes, Max décida de les employer à installer un drapeau au sommet de son fort. Il sortit de son abri pour chercher un bâton dans les bois environnants. Il en trouva un très droit, d’un peu plus d’un mètre de long. Le garçon planta ce mât dans le toit de son fort puis y accrocha sa casquette. 22 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 23 Il recula de quelques pas pour admirer sa création: on aurait vraiment dit un drapeau – un drapeau hissé en l’honneur d’une grande nation, à l’aube d’une bataille glorieuse et moralement nécessaire. À16h30, Max avait regagné le confort de son abri. Il guettait, par le judas, les moindres mouvements visibles dans sa maison. Non, il n’avait pas froid. Un garçon de son âge, tapi si longtemps dans la neige, on pourrait le croire frigorifié, mais ce n’était pas le cas. Il avait chaud: un peu grâce aux différentes couches de vêtements qu’il avait enfilés, un peu parce que les petits garçons mi-loup mi-vent n’ont jamais froid. 16h38, un break s’engagea dans l’allée de chez Max. Cette voiture, un break rouge sans âge conduit par l’un des copains de Claire, l’enfant la connaissait bien. Deux garçons et une fille en sortirent. L’un des garçons était Finn, avec ses cheveux en pétard. L’autre, entièrement vêtu de noir, s’appelait Carlos. Quant à la fille, c’était Meika, et Max l’aimait plus que tout au monde. Le petit garçon distingua quelques bribes de leur conversation pendant que la troupe s’approchait de la porte d’entrée. «Tonya t’a dit qu’elle l’a pas fait? demanda Meika. – C’est ça, répondit Carlos. – On est pas obligés de la croire», intervint Finn. La porte s’ouvrit et Claire apparut. «Quand on parle du loup… commença Carlos. – De quoi?» fit Claire. Et tous éclatèrent de rire. 23 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 24 Claire fit semblant de rire elle aussi tandis que ses copains entraient dans la maison. Ils en ressortirent une minute plus tard. Ils voulaient sans doute chiquer, ce que Claire leur interdisait de faire à l’intérieur; sa mère finissait toujours par le découvrir, quelques heures ou quelques jours plus tard. Claire et les garçons en étaient à leurs premiers toussotements et crachats, Max comprit que son heure était venue. «Ok, ok, chuchotat-il. Ok.» Le garçonnet se faufila hors de son fort en veillant bien à ne pas se faire repérer par ses quatre cibles. Une fois debout, il observa en détail sa sœur et ses amis et sut qu’ils n’avaient pas détecté sa présence. Alors il rentra prendre ses munitions sur la banque. Il fourra soigneusement ses boules de neige dans toutes les poches dont il disposait. Quand il n’eut plus de place, il en entassa quelques-unes encore entre son blouson et son ventre, comme un kangourou. Il laissa vingt boules à l’intérieur du fort, au cas où il en aurait besoin plus tard. Prochain objectif: se rapprocher. Max devait traverser la rue et se mettre en position dans le jardin des voisins. La clôture mitoyenne le défendrait des tirs ennemis. Mais la rue était large et ses cibles ne manqueraient pas de le voir courir ainsi à moins de quinze mètres d’eux. Une idée lui vint alors. Max saisit une de ses plus petites boules de neige et la projeta le plus loin qu’il put. C’était un bon lanceur: au centre d’entraînement de base-ball, le radar avait chronométré un de ses tirs à 70 km/h. Son missile 24 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 25 survola Claire et ses copains pour atterrir dans le jardin d’un autre voisin. Il s’écrasa bruyamment et fit se retourner les quatre jeunes. Max profita de la diversion pour foncer se jeter derrière la barrière prévue. Son plan fonctionnait. Max se trouvait trop génial. Il progressait rapidement. Le petit garçon se tenait à présent à environ cinq mètres de l’ennemi, la clôture du voisin les cachant à sa vue. Les quatre ados s’affairaient à chiquer: les garçons mâchonnaient le tabac, les filles trouvaient ça «dégueu» et tous échangeaient des bêtises qu’il n’est pas utile de répéter. Ce faisant, aucun parmi eux ne se doutait de ce qui les attendait. Max déposa toutes ses munitions devant lui puis en installa quelques-unes sur une poutre horizontale de la clôture. Il en conserva sept dans ses diverses poches au cas où il devrait aller achever ses ennemis au corps à corps. Il était enfin prêt. Le garçonnet inspira profondément puis expulsa un nuage de buée à faire pâlir un dragon, et il lança l’attaque. Cinq premières boules volèrent, l’une après l’autre, à une vitesse que Max lui-même n’aurait jamais cru pouvoir leur donner. Son bras était une véritable machine, comme ces canons qui crachent des balles de tennis. Boum! Boum! Boum! 25 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 26 Une première frappa le garçon aux cheveux en pétard en pleine poitrine. L’impact contre le blouson de Finn provoqua un incroyable bruit creux. «C’est quoi, ça?» s’exclama la victime. Une deuxième atteignit Meika à une cuisse. «Non mais, hé!» s’étrangla-t-elle. Une troisième s’écrasa contre le pare-brise du break, là encore avec un bruit formidable. Les deux autres boules ratèrent leur cible mais c’était secondaire – Max se préparait déjà à une deuxième salve. Quatre nouveaux projectiles quittèrent son bras mécanique pour aller frapper l’épaule de Claire, le toit et une portière de la voiture, enfin Carlos au niveau de l’entrejambe. Max se tordait de rire. Excellent. «C’est qui?» s’écria Claire. Le coupable se jeta au sol mais les garçons eurent quand même le temps de comprendre qui menait l’attaque. Ils avaient deviné d’où provenaient les tirs. Max mit en place une troisième salve mais, lorsqu’il voulut jeter un coup d’œil par-dessus la clôture – «Il est là, le petit con!» dit l’un des copains de Claire –, il fut accueilli par une véritable avalanche qui s’abattit à toute force et vitesse sur sa tête et son dos. Les garçons s’étaient activés pour balancer un énorme boulet de neige par-dessus la clôture. Les combats se déplaçaient de l’artillerie au corps à corps plus tôt que Max ne l’avait prévu. «Ça t’a plu, mauviette? – Tu m’as tapé dans les couilles, abruti.» 26 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 27 Si Max parvenait à regagner son fort, il serait en sécurité. Quand bien même ses ennemis le suivraient de l’autre côté de la rue, jamais ils ne sauraient trouver sa cachette si bien camouflée et encore moins pénétrer ses défenses. Il s’élança immédiatement. «Cours, petite sauterelle, cours! s’époumonaient les garçons. – Regardez un peu ses petites jambes!» Tout en s’élançant, Max catapulta une dernière fusée si haut dans le ciel qu’elle disparut dans le soleil avant que l’enfant ne puisse voir où elle allait retomber. Max galopa et atteignit le trottoir d’en face avant même que ses poursuivants n’aient décidé de le prendre en chasse. Tandis qu’il zigzaguait entre les pins pour que les garçons perdent sa trace, il entendit sa dernière boule de neige s’écraser avec un bruit glacial. «Max, sale petite vermine! cria sa sœur. T’as frappé Meika en pleine figure!» Pas de bol, Meika était vraiment la dernière à qui il voulait faire du mal. Elle allait peut-être le trouver plus costaud, du coup ? Pas sûr que les choses se passent comme ça. À moins que. Max avait le sourire aux lèvres en entrant dans son fort. Peut-être que Meika allait vouloir lui caresser la nuque et l’embrasser parce qu’il lui avait envoyé une boule de neige dans la figure. Par son judas, le petit garçon vit sa sœur venir en aide à Meika, en larmes, le visage rougi et meurtri. 27 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 28 Depuis quand on pleurait quand on se prenait en pleine poire une boule de glace et de neige tombée du ciel après avoir failli percuter le soleil? Pour le coup, Meika le décevait. Les filles… toutes des gamines. D’un jour à l’autre, la jeune fille pleurerait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour à peu près n’importe quoi – exactement comme la mère de Max. Quelques années plus tôt, celui-ci lui avait demandé ce qui n’allait pas, avait cherché à la consoler. Aujourd’hui ça paraissait inutile. « Il est parti par où ? » demanda l’un des garçons. Max entendait la voix sans pouvoir deviner d’où elle provenait à travers son judas. «Mate un peu: le drapeau», fit son copain. Pour Max, c’était réglé : la prochaine fois, pas de drapeau. Il entendait les pas de ses poursuivants se rapprocher dangereusement. Ah ça, ils n’avaient pas traîné. Ils se trouvaient à présent derrière lui. Max se retourna et découvrit leurs pieds à quelques centimètres de l’entrée de sa grotte. «Il est là-dedans, affirma l’un des garçons. Je vois ses sales bottes. – Hé, petit, t’es là-dedans? poursuivit le second. – Mais forcément, reprit le premier. Les bottes, là. – Sors ou on vient te chercher.» Max commençait à s’inquiéter. Tout portait à croire que ses poursuivants connaissaient l’emplacement de son fort et le savaient, lui, à l’intérieur. S’il n’en sortait 28 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 29 pas, il était fichu, mais il risquait sa peau s’il en sortait. Le choix était très limité. Une main s’aventura à l’intérieur du fort. L’un des garçons avait perforé le toit de l’abri avec son bras. Mais par quel miracle ? Max lui donna de vigoureux coups de pied et le bras se retira. «AÏE ! Cette fois t’es mort, minus!» Il y eut quelques instants de grand calme. Et Max ne voyait plus les pieds des garçons. Des gloussements lui parvinrent, puis comme un bruit de gadoue qu’on remue. Après quoi le silence revint, un très long silence. Des pas sur le toit. Un peu de neige qui chutait du plafond. Max se sentait toutefois en sécurité, sachant combien de couches de neige tassée isolaient la salle du toit. Les garçons arpentaient le toit. Si ça les amuse, se disait Max. Puis ils se mirent à faire des bonds. On entendait comme une toux puissante et grave. Les ados sautèrent à nouveau. La neige du plafond s’effrita un peu plus encore. Le toit se rapprochait de la tête de Max. Ce dernier se fit tout petit, couché à plat ventre. Mais le plafond semblait malgré tout en train de s’effondrer. Le crissement de la terre qui avale la terre. Nouveaux bondissements. Plus le blanc. Tout devint blanc. Et le froid, ce froid ! Le froid dans son blouson, dans ses yeux, son nez, son pantalon. Max n’arrivait 29 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 30 plus à respirer. Il n’entendait presque plus rien. Il se noyait. C’est alors qu’il distingua des rires. Ceux des garçons. «Super, le fort, ironisa l’un. – Sors de là», ajouta l’autre. Mais Max ne pouvait plus faire le moindre geste. Il n’était même pas sûr d’être encore vivant. «Debout, petite sauterelle», ordonna une voix. Max n’arrivait pas à remuer le petit doigt. Était-il seulement vivant? «Et merde», lâcha une voix. Bruits de forage. Grattements frénétiques en surface. La pression se relâcha contre le dos de Max, qui se fit extraire de toute cette blancheur. Les jeunes l’extirpaient de sa prison et il se retrouva bientôt à respirer l’air léger. Mais il n’avait plus de forces. Incapable de tenir debout, il retomba par terre comme un pantin. Allongé dans la neige, il toussait sans arrêt. Il avait les yeux détrempés, la peau brûlée, le souffle court et la gorge en feu. Ses yeux étaient hors service, sa bouche refusait de s’ouvrir. «Ça va aller?» demanda l’un des garçons. Max se mit à genoux, incapable de prononcer le moindre mot. Il toussait de la neige et des glaires. Son cœur lui semblait s’être cassé en deux, avoir remonté jusqu’à son cerveau et battre à présent dans chacune de ses oreilles. 30 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 31 Où était Claire? Elle aurait dû se trouver près de lui maintenant. L’aider à se tenir debout. Lui frotter le cou. Appuyer ses mains contre ses oreilles, lui souffler de l’air chaud comme l’an dernier lorsqu’il était passé à travers la couche de glace du ruisseau après la tempête de neige. Mais Claire n’était pas là. Max se redressa et la neige de son blouson lui glissa le long du dos. L’enfant frissonna. Il cherchait sa sœur du regard mais celle-ci s’occupait de Meika et semblait prête à le laisser lui, son propre frère, mourir au beau milieu de ce terne après-midi de décembre. «T’as mal quelque part, petit?» lui demanda un des garçons. L’autre avait déjà regagné le break. Klaxon. Le garçon resté près de Max haussa les épaules et l’abandonna à son sort pour s’élancer vers la voiture. Claire resta un instant dans l’allée, les yeux braqués dans sa direction. Une fraction de seconde, Max eut espoir qu’elle le rejoigne, qu’elle l’aide à rentrer, lui fasse couler un bain, reste avec lui, envoie au diable ses copains et jure de ne jamais plus les revoir. Qu’elle redevienne sa sœur. «Plutôt douillet, ton frère», jugea un occupant de la voiture. C’était Finn, le mec aux cheveux en pétard. «Comme t’as pas idée», confirma Claire. Puis elle s’éloigna de Max, monta à l’arrière du break et referma la portière. La voiture quitta l’allée puis disparut du paysage. Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 33 Chapitre 3 M ax n’avait plus de sœur. Il regagna sa maison et, avant même de comprendre ce qu’il faisait, se retrouva dans la cuisine. Il sortit un grand seau de sous l’évier, le vida de son contenu – produits d’entretien et balayette – puis monta au premier, le seau à la main, jusqu’à la salle de bains qu’il partageait avec Claire. Max fit couler le robinet de la douche et remplit son seau. Ce faisant, il aperçut son reflet dans le miroir. Il était trempé jusqu’aux os et avait la figure rouge, comme sauvage. Il aimait cette allure. Une fois le seau plein, Max se pencha pour le soulever. Trop lourd. Il dut en vider un tiers après quoi il le transporta tant bien que mal jusqu’à la chambre de Claire. Une chambre entre deux âges. Claire avait toujours dormi dans un lit à fanfreluches roses et bleu pastel, 33 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 34 surmonté d’un baldaquin. Mais ce lit était à présent recouvert d’une moche couverture au crochet, une horreur achetée sur le parking d’un concert en ville. Sans réfléchir, Max vida le seau sur le lit de sa sœur. L’eau se répandit dans un grand «splash». Le garçon retourna à la salle de bains où le robinet coulait toujours. Il remplit son seau puis s’en revint dans la chambre de Claire et inonda le tapis. Ça lui faisait du bien et le mettait en appétit. Il répéta plusieurs fois l’opération pour dévaster la commode, l’armoire et les moindres recoins de la chambre de sa sœur. Il vida ainsi sept seaux – également sur la chaise où Claire jetait ses habits, sur la vitrine contenant sa collection de poupées et d’animaux en peluche, sur son équipement de hockey, sur le panneau où elle avait réalisé un collage de photos d’elle et de ses bons à rien de copains. Max agissait en vrai professionnel, il sentait que cela devait être fait. C’était sa mission à ce moment précis: punir Claire pour l’avoir laissé se faire engloutir sous cinquante kilos de neige, pour l’avoir ignoré et pour avoir laissé ses copains passer à deux doigts de le tuer. Le petit garçon était convaincu que sa démarche, l’inondation de la chambre de Claire, constituait la première étape de la destruction du lien de fraternité qui les unissait. Claire déciderait sans doute de quitter la maison et d’aller vivre chez Meika ou bien d’épouser un de ses chers chiqueurs puis d’emménager dans une ferme du Vermont. Ce dernier projet, elle répétait à qui voulait l’entendre qu’elle le mènerait à bien un jour. 34 Les maximonstres_BAT:Les maximonstres_BAT 16/11/09 16:18 Page 35 Elle voulait posséder une ferme, affirmait-elle, où elle préparerait de la crème glacée et vendrait des poupées artisanales ainsi que les espèces de marque-pages au crochet qu’elle avait récemment appris à confectionner. Ça me va, se disait Max. Du moment qu’elle s’en allait, lui se moquait bien de savoir pour où elle partait. Il voulait juste qu’elle disparaisse, de sorte que plus personne ne le trahisse jamais comme elle venait de le faire. Il vivrait heureux avec sa maman, surtout quand il se serait débarrassé de son Gary. Gary à qui Max refusait de penser pour le moment. Il resta quelque temps sur le tapis trempé, à présent constellé de petits lacs. Il se calmait et observait les dégâts. C’est alors qu’il se mit à douter du bien-fondé de ses actes.