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Dave Eggers
Les Maximonstres
L’Île aux monstres
Roman traduit de l’anglais par CHRISTOPHE ROSSON,
librement adapté de l’album Max et les Maximonstres,
de Maurice Sendak, et tiré du film coscénarisé par
Dave Eggers et Spike Jonze.
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Chapitre premier
a respiration calquée sur celle de son chien
Stumpy, Max pourchassait l’animal à travers la
maison – du couloir du premier jusqu’au vestibule du rez-de-chaussée. C’était un de leurs jeux préférés. Les deux autres occupantes des lieux, la mère et
la sœur de Max, appréciaient nettement moins ce
remue-ménage. Son père, lui, habitait en ville et leur
téléphonait le mercredi et le dimanche, mais pas
systématiquement.
Max se rua sur Stumpy, le rata et atterrit contre la
porte d’entrée. Le choc décrocha la petite corbeille
suspendue au bouton: une corbeille en osier que Max
trouvait ridicule mais en laquelle sa mère voyait un
indispensable porte-bonheur. L’objet ne semblait bon
qu’à cela, tomber par terre et se faire piétiner, ce qui
se produisait d’ailleurs régulièrement. Max avait donc
L
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fait tomber la corbeille, dans laquelle Stumpy avait
ensuite posé une patte, en perforant le fond. L’espace
d’un instant, l’enfant frémit mais ses craintes s’envolèrent lorsqu’il vit Stumpy claudiquer, la patte prise
dans le petit panier. Max riait sans pouvoir s’arrêter.
L’humour de la situation apparaissait à quiconque
avait un peu de bon sens.
«Tu comptes faire l’idiot comme ça longtemps?» lui
demanda Claire, debout devant lui. «Il y a même pas
dix minutes que tu es rentré.»
Claire, sa sœur, quatorze ans presque quinze, ne
s’intéressait plus à lui. Enfin, plus vraiment. Depuis
qu’elle allait au lycée, les jeux qu’ils avaient toujours
partagés – notamment Le Loup et le Chasseur que
Max, lui, aimait encore beaucoup – ne lui plaisaient
plus. Désormais, rien de ce que son cadet pouvait faire
ne trouvait grâce à ses yeux. Plus généralement, rares
étaient les événements ou les mots qui ne provoquaient sa colère ou ses sarcasmes.
Max ne répondit pas à la question de sa sœur, c’était
plus sûr. Dire « Non » revenait à reconnaître qu’il se
comportait comme un idiot; dire «Oui» signifiait que
non seulement il admettait avoir fait l’idiot mais qu’il
n’avait pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin.
« Va jouer ailleurs », ordonna Claire, reprenant un
refrain paternel. «J’attends du monde.»
Moins agacée, la jeune fille aurait pu se douter qu’en
demandant à Max d’aller jouer ailleurs, elle lui donnait
envie d’imposer sa présence, et qu’en annonçant qu’elle
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attendait du monde, elle l’appâtait davantage encore.
« Elle va venir, Meika ? » voulut-il savoir. De tous les
copains et copines de Claire, Meika était la préférée de
Max. Les autres n’étaient que des crétins. Contrairement à eux, Meika n’hésitait pas à lui parler, à lui
poser des questions. Une fois, elle était même allée
jouer aux Lego avec lui, dans sa chambre, et avait
admiré son costume de loup, pendu à la porte de son
placard. Meika savait encore s’amuser.
« Ça te regarde pas, glapit Claire. Tu nous fous la
paix, compris ? Va pas leur demander de jouer à tes
jeux nazes.»
Max savait que, pour observer et embêter Claire et
sa clique, le mieux serait d’avoir un complice. Aussi
enfourcha-t-il son vélo pour aller trouver Clay. Clay
venait d’emménager avec ses parents dans la même
rue que Max, dans une maison neuve. Il avait le teint
pâle et une tête trop grosse par rapport au reste de son
corps, mais Max voulait lui laisser une chance.
Le garçon zigzaguait sur le trottoir, l’esprit absorbé
par ses projets: à quoi jouer avec les copains de Claire,
ou mieux, quels tours leur jouer. On était en décembre,
la neige poudreuse des jours précédents commençait à
fondre, inondant routes et trottoirs, maculant les
pelouses.
Le quartier changeait. On détruisait les anciennes
bâtisses au profit de constructions nouvelles, plus
massives, plus tape-à-l’œil. Des quatorze maisons que
comptait l’endroit, six – toutes de modestes demeures
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de plain-pied – avaient été rasées au cours des deux
dernières années. Chaque fois, le scénario avait été le
même: les propriétaires avaient quitté les lieux ou
étaient morts de vieillesse et leurs successeurs avaient
voulu quelque chose de plus grand. Le quartier résonnait donc en permanence du bruit des travaux pour
le plus grand bonheur de Max, qui trouvait dans ces
chantiers une source quasi infinie de matériaux –
clous, planches, fil de fer, isolant et tuiles – grâce auxquels il s’était fabriqué une petite cabane dans un des
arbres du bois, près du lac.
Arrivé devant chez les Mahoney, Max abandonna son
vélo pour aller frapper à la porte. Il s’était accroupi, dos
à la maison, pour refaire ses lacets et finissait le double
nœud de sa chaussure gauche quand la porte s’ouvrit.
«Max?» La mère de Clay se dressait devant lui, vêtue
d’un pantalon noir moulant et d’un petit t-shirt blanc
couvrant un haut noir en lycra. On aurait dit une
skieuse professionnelle. Derrière elle, dans le salon, le
magnétoscope était sur PAUSE ; l’écran du téléviseur
montrait trois femmes musclées, les bras tendus
comme si elles cherchaient à attraper quelque chose
en dehors du champ de la caméra.
Se relevant, Max demanda à voir Clay.
«Navrée, répondit la maman, il est sorti.»
Mme Mahoney tenait à la main une grosse boîte en
argent dotée d’une poignée noire – une espèce de
mug à café. Elle en prit une gorgée tout en inspectant
le porche.
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«Tu es venu seul?» demanda-t-elle à Max.
Celui-ci réfléchit un instant, comme si cette question
cachait quelque chose. Bien sûr qu’il était venu seul.
«Ben ouais», fit-il.
La figure de Mme Mahoney exprimait constamment
la surprise, Max avait déjà pu le constater. Sa façon de
se tenir et le ton sur lequel elle parlait se voulaient
clairvoyants, mais ses yeux disaient Vraiment? Ah bon?
Comment est-ce possible?
«Comment es-tu venu?» reprit-elle.
Nouvelle question étrange. Le vélo de Max était
couché un mètre derrière lui, parfaitement visible. Elle
ne le voyait pas, ou quoi?
« À vélo », répondit-il. D’un geste, il indiqua sa
machine.
«Tout seul?
– Ouais.» Celle-là, alors, se dit Max.
«Tout seul?» répéta-t-elle encore. Elle avait les yeux
écarquillés. Pauvre Clay. Sa maman était marteau.
Max savait qu’il valait mieux tenir sa langue avec ce
genre de personnes. Les fous, on doit les ménager, pas
vrai? Aussi opta-t-il pour une grande politesse.
«Oui, Madame Mahoney. Je… suis… venu… seul.»
Il égrena les mots délicatement, sans quitter son
interlocutrice des yeux.
« Tes parents te laissent faire du vélo tout seul ? En
plein mois de décembre? Sans casque?»
Cette dame avait visiblement un mal fou à saisir
l’évidence. De toute évidence, Max était venu seul et
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vélo. De plus, il ne portait rien sur la tête, donc à quoi
bon parler de casque ? Elle avait des hallucinations,
en plus du reste? Une forme de cécité?
« C’est ça, Madame Mahoney. Je n’ai pas besoin de
casque. J’habite le quartier. Pour venir, j’ai roulé sur le
trottoir.»
Un bras tendu vers le bout de la rue, Max montra sa
maison à la maman de Clay. Cette dernière, une main
en visière, plissa les yeux en direction de l’endroit indiqué – une naufragée cherchant un navire à l’horizon.
Puis elle baissa la main, se tourna de nouveau vers Max
et soupira.
« Clay est à son cours de capitonnage », reprit-elle.
Max ignorait de quoi il pouvait s’agir, mais cela lui
sembla une activité moins amusante que le tir aux
fléchettes artisanales sur oiseaux.
«Bon, très bien. Merci, Madame Mahoney. Dites-lui
que je suis passé », conclut le garçon. Il fit un geste
pour saluer la mère loufoque de son camarade, se
retourna et enfourcha son vélo. Alors qu’il s’éloignait,
il entendit la porte des Mahoney se refermer. Mais
lorsqu’il s’engagea sur le trottoir, il découvrit la mère
de Clay à son côté, marchant d’un pas résolu, sa boîte
en argent à la main.
«Je ne peux pas te laisser partir tout seul, expliquat-elle sans ralentir.
– Merci, Madame Mahoney, mais je fais du vélo tout
seul tous les jours », répondit Max. Il pédalait prudemment, le regard rivé à celui de son interlocutrice.
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Celle-ci lui semblait trois fois plus étrange que précédemment; son cœur, à lui, battait deux fois plus vite
que tout à l’heure.
« Pas aujourd’hui, désolée », déclara-t-elle. D’une
main, elle tenta d’agripper la selle de Max.
C’est à cet instant qu’il prit peur. La maboule le
suivait, elle cherchait à l’attraper. Il accéléra. Il se sentait
capable de rouler plus vite qu’elle ne pourrait marcher
et comptait bien la semer. Il se dressa sur les pédales.
Mme Mahoney accéléra elle aussi, mais sans se
mettre à courir. Elle faisait de grands mouvements
latéraux avec ses coudes, la détermination lui déforma
brièvement les lèvres. Un sourire?
«Ha! s’exclama-t-elle. Qu’est-ce qu’on s’amuse!»
Seuls les cinglés se marrent quand ils font quelque
chose de dingue. Cette femme n’allait pas bien du tout.
«Je vous en prie», la supplia-t-il. À présent, il écrasait littéralement les pédales. Il faillit même percuter
la boîte aux lettres des Chung, celle avec le logo Peace
and Love – un logo qui avait fait pas mal jaser dans le
quartier. «Laissez-moi tranquille.
– Ne t’inquiète pas », s’étrangla-t-elle. Elle s’était
mise à trotter. «Je te raccompagne jusque chez toi.»
Comment se débarrasser de cette bonne femme ?
Comptait-elle vraiment le suivre jusque chez lui ? Il
semblait certain qu’elle cherchait à le coincer entre
quatre murs afin de s’occuper de son cas. L’estourbir
d’un coup de mug ? L’étouffer à l’aide d’un oreiller?
Oui, ça lui ressemblait davantage. Mme Mahoney
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avait en effet le regard clair et efficace d’une infirmière
sanguinaire.
Des aboiements retentirent alors. Max se retourna
et constata que le chien des Scola les suivait également. Il aboyait après Mme Mahoney et lui mordillait
les chevilles. Celle-ci ne s’en émut pas. Elle avait
toujours les yeux écarquillés. Cette petite balade
semblait la combler de joie.
« Aaah ! s’extasiait-elle. L’endorphine. Merci bien,
Max!
– Soyez gentille, fit-il. Qu’est-ce que vous me voulez?»
Encore dix maisons et il était chez lui.
«Te protéger… De tout ça.»
D’un geste, elle désigna le quartier dans lequel Max
était né, où il avait grandi: une rue tranquille, bordée
d’ormes et de chênes, terminée en cul-de-sac. Par-delà
le cul-de-sac s’étendait un bois de quelques hectares,
puis le lac. Rien de crapuleux, ni qui soit du moindre
intérêt ne s’était jamais produit dans cette rue, dans
cette ville, ou même dans un rayon de sept cents
kilomètres.
Tout à coup, Max fit un écart et s’engagea dans la rue.
« La route ! » s’étouffa Mme Mahoney, comme si le
petit garçon venait de se jeter dans un fleuve de lave
en fusion. À cette heure de la journée, pas plus qu’à
aucune autre, la rue n’était fréquentée. Mais très vite,
Mme Mahoney s’élança après Max, au pas de course,
une main toujours tendue vers la selle de son vélo.
Max jugea qu’il serait stupide de rentrer chez lui:
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c’est là que la folle voulait le faire aller. Il y serait fait
comme un rat et elle le zigouillerait. Pour s’en tirer,
une seule solution: la forêt.
Il accéléra de nouveau et prépara sa manœuvre :
un demi-tour rapide puis direction le cul-de-sac dans
l’espoir d’atteindre le bois.
«Où vas-tu?» s’égosilla sa poursuivante.
Max faillit éclater de rire. Elle ne le suivrait sûrement
pas dans le bois, pas vrai ? L’enfant se retourna. Il la
devançait certes d’un ou deux pas, mais Mme Mahoney
ne mit pas longtemps à reprendre la poursuite. Et à
quelle allure! Max approchait du bout de la rue, des
premiers arbres.
«Je ne te perds pas de vue! hurla-t-elle. Ne t’en fais
pas!»
À nouveau, Max franchit le trottoir – déclenchant par
là même une réaction terrifiée chez Mme Mahoney –
puis se retrouva dans les herbes hautes et la neige. Il
atteignit bientôt le couvert des premières branches
basses qui balançaient entre les troncs des grands pins.
«MAAAAAX ! s’écria Mme Mahoney. Pas dans le bois!»
Le garçon pénétra dans la forêt, direction le ravin.
« Agressions ! Drogue ! Sans-abri ! Seringues ! »
l’implorait la mère de son camarade.
Le ravin attendait Max, six mètres de profondeur
et environ la moitié en largeur. Un mois plus tôt,
Max avait jeté une large planche de contreplaqué
en travers pour se fabriquer un pont. S’il parvenait à
rallier le ravin, franchir ce pont puis à retirer la planche
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à temps, il réussirait peut-être à se débarrasser de sa
poursuivante.
«Stop!» cria cette dernière.
Max basculait son vélo à droite et à gauche. Jamais il
n’avait roulé si vite. Le chien des Scola lui-même avait
du mal à suivre son rythme. L’animal jappait encore
sur les talons de la dame.
«Fais attention! lança celle-ci. Le machin-chose, là!
La gorge!»
Rôôh, songea Max. Une fois rendu au pont, il entendit un nouveau hurlement d’une terreur incalculable.
«Noooooon!»
Le garçon franchit la planche au plus vite puis jeta
son vélo par terre pour empoigner le contreplaqué.
Mme Mahoney l’avait presque rejoint lorsqu’il dégagea la planche. Le pont s’effondra et s’écrasa contre des
rochers.
Mme Mahoney s’arrêta aussitôt. « La poisse ! »
s’exclama-t-elle. Elle resta un instant ainsi, les mains
sur les hanches, haletante. «Mais comment veux-tu
que je te protège si tu restes tout là-bas?»
Max essaya de trouver une réponse bien sentie mais
au final il ne dit rien. Il remonta en selle, au cas où
Mme Mahoney déciderait de sauter par-dessus le
ravin. Elle était nettement plus forte et plus rapide
qu’il aurait cru, aussi ne pouvait-il éliminer cette
possibilité.
Au même instant, le chien des Scola, toujours lancé
à pleine vitesse, choisit de rejoindre Max de l’autre
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côté du vide. Le quadrupède se retourna alors pour
considérer Mme Mahoney puis braqua son regard sur
Max, un sourire carnassier sur les babines et une joie
certaine dans les yeux, comme si le petit garçon et lui
venaient de vaincre un ennemi commun. Max s’esclaffa
et, lorsque le chien se mit à aboyer en direction de la
dame, le garçon l’imita. Le chien et l’enfant aboyèrent,
aboyèrent et aboyèrent encore.
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laire!» appela Max en entrant dans la
maison. Pas de réponse.
Il trépignait à l’idée de lui raconter son
aventure avec cette foldingue de Mme Mahoney. Sa
sœur et lui n’avaient plus forcément les mêmes centres
d’intérêt mais Claire raffolait de ce genre d’anecdotes.
Là, elle allait adorer.
«Y a quelqu’un?» demanda-t-il. Max espérait ne
trouver que Claire. Gary, le copain de sa mère, un
homme à la mâchoire aussi molle qu’un gâteau au
yaourt, passait parfois en rentrant du travail et s’assoupissait sur le canapé. Il souillait toutes les pièces dans
lesquelles il pénétrait.
«Claire?»
Max jeta un œil dans la cuisine, le salon, la cave.
Aucune trace de sa sœur. Il monta alors au premier et
la trouva enfin.
«C
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« Mais je le lui ai pas fait voir, justement. C’est ça,
le truc», disait-elle.
Claire était au téléphone lorsque Max entra dans sa
chambre, prêt à lui raconter son histoire. Mais avant
même qu’il n’ait pu ouvrir la bouche, sa sœur le
foudroya du regard. Il s’éclipsa aussitôt.
« Alors pourquoi elle a dit ça ? C’est trop un
mensonge!»
Max attendit à la porte de la chambre de Claire.
Quand celle-ci aurait raccroché, il lui parlerait de
Mme Mahoney, lui expliquerait comment il avait
triomphé d’elle et, à eux deux, ils lui concocteraient
un sacré tour.
Et puis zut, à quoi bon attendre ? Max savait que
Claire aurait envie d’écouter son histoire au plus vite
et qu’elle le remercierait sitôt qu’il aurait terminé – le
remercierait de lui avoir épargné une conversation
barbante au profit d’une anecdote passionnante. Alors
le garçon entra de nouveau dans la chambre de sa
sœur et…
«Mais tu vas sortir, bordel?» cria-t-elle.
Max resta un instant figé, sous le choc, incapable du
moindre geste ou de la moindre parole. Ce n’était pas
du tout ce à quoi il s’attendait.
«Dégage!» hurla-t-elle pour de bon puis, d’un coup
de pied, elle claqua la porte au nez de son frère.
La colère de Max, insondable, était dirigée à pleine
puissance contre Claire. Qu’avait-il fait de mal? Il était
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entré dans la chambre de sa sœur. Il voulait lui parler.
Le traiter comme elle l’avait fait était méchant et
injuste, et elle le savait.
À présent, elle allait devoir payer.
Il restait assez de neige pour un maçon déterminé,
aussi Max décida-t-il de se creuser un fortin dans la
congère de l’autre côté de la rue. Quand les copains de
Claire se pointeraient, il les attendrait et vengeance serait
faite. Ça allait être un massacre, Claire ne pourrait s’en
prendre qu’à elle-même.
Max enfila ses gants de ski et traversa la rue en
courant. Armé d’une petite truelle appartenant à sa
mère, il entreprit de forer la masse de neige et eut
bientôt achevé la salle principale. Une salle de taille
à l’accueillir – lui et peut-être un complice de sa
corpulence –, surmontée d’un toit assez haut pour que
Max puisse tenir assis dessous. La truelle en main, il
prépara ensuite une banque longue et profonde dans la
paroi intérieure de la salle. Il pourrait y entreposer ses
boules de neige et peut-être de la nourriture ou des
livres. Il se disait qu’il pourrait même y installer une
télé, à condition de dénicher une rallonge suffisamment longue et solide. Mais ce n’était pas la priorité.
Dans la paroi orientée vers sa maison, l’enfant creusa
un judas étroit donnant sur l’allée et la porte d’entrée
de chez lui. Il serait prêt lorsque les copains de Claire
viendraient se planter dans l’allée pour papoter et faire
semblant de savoir chiquer du tabac (pour cracher
ensuite leur jus marron dans la neige grise).
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16h15 à sa montre, Max savait qu’il lui restait un
quart d’heure avant l’arrivée de ses victimes. Les copains
de Claire se ramenaient – quand ils se ramenaient, ce
qui n’était pas toujours le cas, même lorsqu’ils l’avaient
annoncé – aux alentours de 16h30 tous les jours. Et ce,
parce qu’un des garçons de la bande, le dénommé Finn,
avec ses cheveux en pétard, restait en retenue après les
cours de septembre à juillet. Qui pouvait bien avoir
envie d’attendre un olibrius comme ça pour le plaisir
de traîner avec lui? Réponse: Claire et ses copains
débiles. Les cours terminés, ils attendaient tous l’autre
paria avant de se réunir chez Max pour une raison ou
pour une autre.
Max utilisa le temps dont il disposait pour se confectionner un immense arsenal. La neige avait la bonne
texture, juste assez humide pour être collante. Le petit
garçon n’avait qu’à en saisir une poignée pour former
une boule de neige – du prêt à l’emploi. Il les tassait bien
de tous les côtés puis les lissait, les tassait à nouveau et
les lissait encore avant de les entreposer sur la banque.
En dix minutes, il s’en était fabriqué trente et une, la
banque était pleine.
Max en prépara donc une nouvelle.
Les cinq minutes restantes, Max décida de les
employer à installer un drapeau au sommet de son
fort. Il sortit de son abri pour chercher un bâton dans
les bois environnants. Il en trouva un très droit, d’un
peu plus d’un mètre de long. Le garçon planta ce mât
dans le toit de son fort puis y accrocha sa casquette.
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Il recula de quelques pas pour admirer sa création: on
aurait vraiment dit un drapeau – un drapeau hissé en
l’honneur d’une grande nation, à l’aube d’une bataille
glorieuse et moralement nécessaire.
À16h30, Max avait regagné le confort de son abri. Il
guettait, par le judas, les moindres mouvements visibles
dans sa maison. Non, il n’avait pas froid. Un garçon de
son âge, tapi si longtemps dans la neige, on pourrait le
croire frigorifié, mais ce n’était pas le cas. Il avait chaud:
un peu grâce aux différentes couches de vêtements
qu’il avait enfilés, un peu parce que les petits garçons
mi-loup mi-vent n’ont jamais froid.
16h38, un break s’engagea dans l’allée de chez Max.
Cette voiture, un break rouge sans âge conduit par l’un
des copains de Claire, l’enfant la connaissait bien. Deux
garçons et une fille en sortirent. L’un des garçons était
Finn, avec ses cheveux en pétard. L’autre, entièrement
vêtu de noir, s’appelait Carlos. Quant à la fille, c’était
Meika, et Max l’aimait plus que tout au monde.
Le petit garçon distingua quelques bribes de leur
conversation pendant que la troupe s’approchait de la
porte d’entrée.
«Tonya t’a dit qu’elle l’a pas fait? demanda Meika.
– C’est ça, répondit Carlos.
– On est pas obligés de la croire», intervint Finn.
La porte s’ouvrit et Claire apparut.
«Quand on parle du loup… commença Carlos.
– De quoi?» fit Claire. Et tous éclatèrent de rire.
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Claire fit semblant de rire elle aussi tandis que ses
copains entraient dans la maison. Ils en ressortirent une
minute plus tard. Ils voulaient sans doute chiquer, ce
que Claire leur interdisait de faire à l’intérieur; sa mère
finissait toujours par le découvrir, quelques heures
ou quelques jours plus tard. Claire et les garçons en
étaient à leurs premiers toussotements et crachats, Max
comprit que son heure était venue. «Ok, ok, chuchotat-il. Ok.»
Le garçonnet se faufila hors de son fort en veillant bien
à ne pas se faire repérer par ses quatre cibles. Une fois
debout, il observa en détail sa sœur et ses amis et sut
qu’ils n’avaient pas détecté sa présence. Alors il rentra
prendre ses munitions sur la banque. Il fourra soigneusement ses boules de neige dans toutes les poches dont il
disposait. Quand il n’eut plus de place, il en entassa
quelques-unes encore entre son blouson et son ventre,
comme un kangourou. Il laissa vingt boules à l’intérieur
du fort, au cas où il en aurait besoin plus tard.
Prochain objectif: se rapprocher. Max devait traverser
la rue et se mettre en position dans le jardin des voisins.
La clôture mitoyenne le défendrait des tirs ennemis.
Mais la rue était large et ses cibles ne manqueraient pas
de le voir courir ainsi à moins de quinze mètres d’eux.
Une idée lui vint alors.
Max saisit une de ses plus petites boules de neige et la
projeta le plus loin qu’il put. C’était un bon lanceur:
au centre d’entraînement de base-ball, le radar avait
chronométré un de ses tirs à 70 km/h. Son missile
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survola Claire et ses copains pour atterrir dans le jardin
d’un autre voisin. Il s’écrasa bruyamment et fit se
retourner les quatre jeunes. Max profita de la diversion
pour foncer se jeter derrière la barrière prévue.
Son plan fonctionnait. Max se trouvait trop génial.
Il progressait rapidement.
Le petit garçon se tenait à présent à environ cinq
mètres de l’ennemi, la clôture du voisin les cachant à sa
vue. Les quatre ados s’affairaient à chiquer: les garçons
mâchonnaient le tabac, les filles trouvaient ça «dégueu»
et tous échangeaient des bêtises qu’il n’est pas utile de
répéter. Ce faisant, aucun parmi eux ne se doutait de ce
qui les attendait.
Max déposa toutes ses munitions devant lui puis en
installa quelques-unes sur une poutre horizontale de
la clôture. Il en conserva sept dans ses diverses poches
au cas où il devrait aller achever ses ennemis au corps
à corps.
Il était enfin prêt. Le garçonnet inspira profondément
puis expulsa un nuage de buée à faire pâlir un dragon,
et il lança l’attaque.
Cinq premières boules volèrent, l’une après l’autre,
à une vitesse que Max lui-même n’aurait jamais cru
pouvoir leur donner. Son bras était une véritable
machine, comme ces canons qui crachent des balles
de tennis.
Boum!
Boum!
Boum!
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Une première frappa le garçon aux cheveux en pétard
en pleine poitrine. L’impact contre le blouson de Finn
provoqua un incroyable bruit creux.
«C’est quoi, ça?» s’exclama la victime.
Une deuxième atteignit Meika à une cuisse.
«Non mais, hé!» s’étrangla-t-elle.
Une troisième s’écrasa contre le pare-brise du break,
là encore avec un bruit formidable. Les deux autres
boules ratèrent leur cible mais c’était secondaire –
Max se préparait déjà à une deuxième salve. Quatre
nouveaux projectiles quittèrent son bras mécanique
pour aller frapper l’épaule de Claire, le toit et une
portière de la voiture, enfin Carlos au niveau de l’entrejambe. Max se tordait de rire. Excellent.
«C’est qui?» s’écria Claire.
Le coupable se jeta au sol mais les garçons eurent
quand même le temps de comprendre qui menait
l’attaque. Ils avaient deviné d’où provenaient les tirs.
Max mit en place une troisième salve mais, lorsqu’il
voulut jeter un coup d’œil par-dessus la clôture – «Il est
là, le petit con!» dit l’un des copains de Claire –, il fut
accueilli par une véritable avalanche qui s’abattit à
toute force et vitesse sur sa tête et son dos. Les garçons
s’étaient activés pour balancer un énorme boulet de
neige par-dessus la clôture. Les combats se déplaçaient
de l’artillerie au corps à corps plus tôt que Max ne l’avait
prévu.
«Ça t’a plu, mauviette?
– Tu m’as tapé dans les couilles, abruti.»
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Si Max parvenait à regagner son fort, il serait en
sécurité. Quand bien même ses ennemis le suivraient
de l’autre côté de la rue, jamais ils ne sauraient trouver
sa cachette si bien camouflée et encore moins pénétrer
ses défenses. Il s’élança immédiatement.
«Cours, petite sauterelle, cours! s’époumonaient les
garçons.
– Regardez un peu ses petites jambes!»
Tout en s’élançant, Max catapulta une dernière
fusée si haut dans le ciel qu’elle disparut dans le
soleil avant que l’enfant ne puisse voir où elle allait
retomber.
Max galopa et atteignit le trottoir d’en face avant
même que ses poursuivants n’aient décidé de le prendre
en chasse. Tandis qu’il zigzaguait entre les pins pour que
les garçons perdent sa trace, il entendit sa dernière
boule de neige s’écraser avec un bruit glacial.
«Max, sale petite vermine! cria sa sœur. T’as frappé
Meika en pleine figure!»
Pas de bol, Meika était vraiment la dernière à qui il
voulait faire du mal. Elle allait peut-être le trouver
plus costaud, du coup ? Pas sûr que les choses se
passent comme ça. À moins que. Max avait le sourire
aux lèvres en entrant dans son fort. Peut-être que
Meika allait vouloir lui caresser la nuque et l’embrasser parce qu’il lui avait envoyé une boule de neige
dans la figure.
Par son judas, le petit garçon vit sa sœur venir en
aide à Meika, en larmes, le visage rougi et meurtri.
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Depuis quand on pleurait quand on se prenait en
pleine poire une boule de glace et de neige tombée du
ciel après avoir failli percuter le soleil?
Pour le coup, Meika le décevait. Les filles… toutes des
gamines. D’un jour à l’autre, la jeune fille pleurerait
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour à peu près
n’importe quoi – exactement comme la mère de Max.
Quelques années plus tôt, celui-ci lui avait demandé ce
qui n’allait pas, avait cherché à la consoler. Aujourd’hui
ça paraissait inutile.
« Il est parti par où ? » demanda l’un des garçons.
Max entendait la voix sans pouvoir deviner d’où elle
provenait à travers son judas.
«Mate un peu: le drapeau», fit son copain.
Pour Max, c’était réglé : la prochaine fois, pas de
drapeau.
Il entendait les pas de ses poursuivants se rapprocher
dangereusement. Ah ça, ils n’avaient pas traîné. Ils se
trouvaient à présent derrière lui. Max se retourna et
découvrit leurs pieds à quelques centimètres de l’entrée
de sa grotte.
«Il est là-dedans, affirma l’un des garçons. Je vois ses
sales bottes.
– Hé, petit, t’es là-dedans? poursuivit le second.
– Mais forcément, reprit le premier. Les bottes, là.
– Sors ou on vient te chercher.»
Max commençait à s’inquiéter. Tout portait à croire
que ses poursuivants connaissaient l’emplacement de
son fort et le savaient, lui, à l’intérieur. S’il n’en sortait
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pas, il était fichu, mais il risquait sa peau s’il en sortait.
Le choix était très limité.
Une main s’aventura à l’intérieur du fort. L’un des
garçons avait perforé le toit de l’abri avec son bras.
Mais par quel miracle ? Max lui donna de vigoureux
coups de pied et le bras se retira.
«AÏE ! Cette fois t’es mort, minus!»
Il y eut quelques instants de grand calme.
Et Max ne voyait plus les pieds des garçons.
Des gloussements lui parvinrent, puis comme un
bruit de gadoue qu’on remue.
Après quoi le silence revint, un très long silence.
Des pas sur le toit. Un peu de neige qui chutait du
plafond. Max se sentait toutefois en sécurité, sachant
combien de couches de neige tassée isolaient la salle
du toit. Les garçons arpentaient le toit. Si ça les amuse,
se disait Max.
Puis ils se mirent à faire des bonds.
On entendait comme une toux puissante et grave.
Les ados sautèrent à nouveau.
La neige du plafond s’effrita un peu plus encore. Le
toit se rapprochait de la tête de Max. Ce dernier se fit
tout petit, couché à plat ventre. Mais le plafond semblait
malgré tout en train de s’effondrer.
Le crissement de la terre qui avale la terre.
Nouveaux bondissements.
Plus le blanc. Tout devint blanc.
Et le froid, ce froid ! Le froid dans son blouson,
dans ses yeux, son nez, son pantalon. Max n’arrivait
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plus à respirer. Il n’entendait presque plus rien. Il se
noyait.
C’est alors qu’il distingua des rires. Ceux des
garçons.
«Super, le fort, ironisa l’un.
– Sors de là», ajouta l’autre.
Mais Max ne pouvait plus faire le moindre geste.
Il n’était même pas sûr d’être encore vivant.
«Debout, petite sauterelle», ordonna une voix.
Max n’arrivait pas à remuer le petit doigt. Était-il
seulement vivant?
«Et merde», lâcha une voix.
Bruits de forage. Grattements frénétiques en surface.
La pression se relâcha contre le dos de Max, qui se fit
extraire de toute cette blancheur. Les jeunes l’extirpaient de sa prison et il se retrouva bientôt à respirer
l’air léger. Mais il n’avait plus de forces. Incapable
de tenir debout, il retomba par terre comme un
pantin.
Allongé dans la neige, il toussait sans arrêt. Il avait
les yeux détrempés, la peau brûlée, le souffle court
et la gorge en feu. Ses yeux étaient hors service, sa
bouche refusait de s’ouvrir.
«Ça va aller?» demanda l’un des garçons.
Max se mit à genoux, incapable de prononcer le
moindre mot. Il toussait de la neige et des glaires. Son
cœur lui semblait s’être cassé en deux, avoir remonté
jusqu’à son cerveau et battre à présent dans chacune
de ses oreilles.
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Où était Claire? Elle aurait dû se trouver près de lui
maintenant. L’aider à se tenir debout. Lui frotter le cou.
Appuyer ses mains contre ses oreilles, lui souffler de
l’air chaud comme l’an dernier lorsqu’il était passé à
travers la couche de glace du ruisseau après la tempête
de neige.
Mais Claire n’était pas là. Max se redressa et la neige
de son blouson lui glissa le long du dos. L’enfant frissonna. Il cherchait sa sœur du regard mais celle-ci
s’occupait de Meika et semblait prête à le laisser lui,
son propre frère, mourir au beau milieu de ce terne
après-midi de décembre.
«T’as mal quelque part, petit?» lui demanda un des
garçons. L’autre avait déjà regagné le break.
Klaxon. Le garçon resté près de Max haussa les
épaules et l’abandonna à son sort pour s’élancer vers la
voiture. Claire resta un instant dans l’allée, les yeux
braqués dans sa direction. Une fraction de seconde, Max
eut espoir qu’elle le rejoigne, qu’elle l’aide à rentrer, lui
fasse couler un bain, reste avec lui, envoie au diable ses
copains et jure de ne jamais plus les revoir. Qu’elle
redevienne sa sœur.
«Plutôt douillet, ton frère», jugea un occupant de la
voiture. C’était Finn, le mec aux cheveux en pétard.
«Comme t’as pas idée», confirma Claire. Puis elle
s’éloigna de Max, monta à l’arrière du break et referma
la portière. La voiture quitta l’allée puis disparut du
paysage.
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Chapitre 3
M
ax n’avait plus de sœur.
Il regagna sa maison et, avant même de
comprendre ce qu’il faisait, se retrouva
dans la cuisine. Il sortit un grand seau de sous l’évier,
le vida de son contenu – produits d’entretien et
balayette – puis monta au premier, le seau à la main,
jusqu’à la salle de bains qu’il partageait avec Claire.
Max fit couler le robinet de la douche et remplit son
seau. Ce faisant, il aperçut son reflet dans le miroir.
Il était trempé jusqu’aux os et avait la figure rouge,
comme sauvage. Il aimait cette allure.
Une fois le seau plein, Max se pencha pour le soulever.
Trop lourd. Il dut en vider un tiers après quoi il le transporta tant bien que mal jusqu’à la chambre de Claire.
Une chambre entre deux âges. Claire avait toujours
dormi dans un lit à fanfreluches roses et bleu pastel,
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surmonté d’un baldaquin. Mais ce lit était à présent
recouvert d’une moche couverture au crochet, une
horreur achetée sur le parking d’un concert en ville.
Sans réfléchir, Max vida le seau sur le lit de sa sœur.
L’eau se répandit dans un grand «splash».
Le garçon retourna à la salle de bains où le robinet
coulait toujours. Il remplit son seau puis s’en revint
dans la chambre de Claire et inonda le tapis. Ça lui
faisait du bien et le mettait en appétit. Il répéta plusieurs
fois l’opération pour dévaster la commode, l’armoire et
les moindres recoins de la chambre de sa sœur. Il vida
ainsi sept seaux – également sur la chaise où Claire jetait
ses habits, sur la vitrine contenant sa collection de
poupées et d’animaux en peluche, sur son équipement
de hockey, sur le panneau où elle avait réalisé un
collage de photos d’elle et de ses bons à rien de copains.
Max agissait en vrai professionnel, il sentait que cela
devait être fait. C’était sa mission à ce moment précis:
punir Claire pour l’avoir laissé se faire engloutir sous
cinquante kilos de neige, pour l’avoir ignoré et pour
avoir laissé ses copains passer à deux doigts de le
tuer. Le petit garçon était convaincu que sa démarche,
l’inondation de la chambre de Claire, constituait la
première étape de la destruction du lien de fraternité
qui les unissait. Claire déciderait sans doute de quitter
la maison et d’aller vivre chez Meika ou bien d’épouser
un de ses chers chiqueurs puis d’emménager dans une
ferme du Vermont. Ce dernier projet, elle répétait à qui
voulait l’entendre qu’elle le mènerait à bien un jour.
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Elle voulait posséder une ferme, affirmait-elle, où elle
préparerait de la crème glacée et vendrait des poupées
artisanales ainsi que les espèces de marque-pages
au crochet qu’elle avait récemment appris à confectionner.
Ça me va, se disait Max. Du moment qu’elle s’en
allait, lui se moquait bien de savoir pour où elle partait. Il voulait juste qu’elle disparaisse, de sorte que
plus personne ne le trahisse jamais comme elle venait
de le faire. Il vivrait heureux avec sa maman, surtout
quand il se serait débarrassé de son Gary. Gary à qui
Max refusait de penser pour le moment.
Il resta quelque temps sur le tapis trempé, à présent
constellé de petits lacs. Il se calmait et observait les
dégâts. C’est alors qu’il se mit à douter du bien-fondé
de ses actes.