Le relevé par scannage 3D du temple d`Opet à Karnak

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Le relevé par scannage 3D du temple d`Opet à Karnak
Techniques nouvelles
Le relevé par scannage 3D
du temple d’Opet à Karnak, Egypte
Bertrand CHAZALY - Emmanuel LAROZE
L’essor de la topographie dans le domaine de l’archéologie est récent. Sur le terrain, l’usage quotidien
du théodolite pour les relevés des fouilles ou les études architecturales est devenu indispensable.
La technique du scannage 3D appliquée à l’archéologie était réservée, jusqu’à maintenant,
à des opérations exceptionnelles et complexes dont la plus remarquable reste sans doute le relevé
de la grotte Cosquer. En quelques années, le développement
de cet outil performant et sa maîtrise par les équipes
mots clés
de topographes tend à démocratiser son usage notamment
Scannage 3d, scanner 3d,
dans le secteur des études de patrimoine architectural.
numérisation 3d, lasergrammétrie,
Une coopération entre la société ATM3D et le Centre Franco-Egyptien
photogrammétrie, orthophotographie,
modélisation, étude architecturale,
d’Étude des Temples de Karnak (CFEETK) a permis l’organisation d’une
topographie, archéologie, temple,
mission à la fin du mois de février 2004 pour le relevé d’un temple
Egypte antique.
ptolémaïque à Karnak, dont l’étude est en cours.
Présentation du temple
Le site de Karnak constitue le cœur de
l’antique capitale de l’Égypte ancienne,
Thèbes (aujourd’hui Louqsor). Il se
situe à environ 700 kilomètres au sud
du Caire. Il est le centre religieux du
pays dès le Moyen Empire (environ
2100 av. JC) et le restera pendant près
de vingt siècles. Le site de Karnak est
composé de trois sanctuaires. Le plus
connu est celui consacré au dieu
Amon, patron de la royauté égyptienne, dont le grand temple s’étend
sur presque 400 mètres d’Ouest en Est
(fig. 1).
Le temple d’Opet fait partie des nombreux bâtiments situés au sein de l’espace sacré de ce temple d’Amon que
délimite une large enceinte de brique
crue. Il est destiné à célébrer la naissance du dieu Osiris, engendré par la
déesse Opet la Grande, forme particulière de la déesse du ciel Nout. Il se
situe dans l’angle Sud-Ouest du sanctuaire et s’adosse à un temple plus
important dédié à Khonsou, le fils du
dieu Amon, avec lequel il partage
Temple
d’Amon
Temple
de Khonsou
Temple
d’Opet
Fig. 1 : Le sanctuaire du Temple d’Amon
Revue XYZ • N°102 – 1er trimestre 2005 21
Techniques nouvelles
La technique
Le scannage 3D révolutionne le
domaine de l’acquisition de la géométrie d’objets ou de sites. Cette technologie s’appuie sur une nouvelle génération d’instruments de mesures utilisés
dans les domaines de la topographie, de
la modélisation architecturale, de l’infographie et de la métrologie industrielle.
Un scanner 3D est un appareil capable
de mesurer et d’enregistrer plusieurs
millions de points tridimensionnels en
quelques minutes, à une précision de
quelques millimètres, à une densité
pouvant atteindre plusieurs points au
centimètre.
d’étroites relations d’un point de vue
du fonctionnement du culte. Ce temple
est l’une des réalisations les plus tardives à Karnak. Sa construction est
entreprise à l’époque grecque, en
150 av. JC sur les vestiges d’un temple
plus ancien, mais la décoration restera
inachevée.
Aujourd’hui, dans cette partie du sanctuaire, la porte d’Evergète, les temples
d’Opet et de Khonsou sont les derniers
vestiges d’un ensemble cultuel assez
indépendant du grand temple
d’Amon. Chacun des deux temples
disposait d’une porte qui leur permettait d’avoir une relation privilégiée
avec l’extérieur du sanctuaire. Le fonctionnement de cet ensemble et plus
particulièrement celui du temple
d’Opet demeure malheureusement
assez mal connu.
Bien que l’étude épigraphique de ce
temple ait déjà été réalisée, aucun
relevé précis ni aucune étude architecturale n’a été entreprise sur ce bâtiment qui présente pourtant de
grandes qualités constructives. C’est
pourquoi, le CFEETK a entrepris son
étude architecturale, dont la méthode
se base sur un relevé précis pour tenter, entre autres, de mieux comprendre
l’organisation et les techniques de
mise en Œuvre.
22 Revue XYZ • N°102 – 1er trimestre 2005
Le contexte du temple
Dans le cas de ce projet, l’intégrité et
l’échelle du bâtiment se sont rapidement imposées comme des conditions
déterminantes pour le choix de la
méthode de relevé par numérisation
3D. Le temple d’Opet couvre une surface limitée de 23 m par 45 m, et se prêtait bien au caractère expérimental du
projet. Le CFEETK ne disposait pas de
références sur l’application du scannage 3D au patrimoine antique, ni de
temps suffisant pour se lancer dans un
projet plus important.
Le contexte dégagé tout autour du
temple fut un argument supplémentaire pour choisir cet outil : il était facile
de procéder à un cheminement. L’accès
à la toiture en surplomb du temple de
Khonsou a également permis de procéder au levé de la couverture du temple
d’Opet.
L’objectif initial était de réaliser une
série d’orthophotographies des façades
et des coupes à l’échelle du 1/50e.
L’utilisation de la technologie de numérisation 3D et l’enregistrement photographique permettaient de plus la réalisation d’une véritable archive tridimensionnelle du monument, d’où des informations cartographiques et infographiques pourraient être extraites ultérieurement.
On distingue pour l’instant trois types
de scanner, selon :
• la technologie d’acquisition : stripelight, triangulation, temps de vol
• la portée du capteur : de quelques
mètres à plusieurs kilomètres
• la précision: du dixième de millimètre
à quelques centimètres
Ils ont tous en commun la capacité d’acquérir rapidement un volume important de points 3D. Pour des applications
topographiques terrestres, on citera les
scanners Riegl, Trimple-Mensi, LeicaCyrax, Optech et Callidus.
Le nuage de points tridimensionnels
issu du scannage est inexploitable en
Fig. 2 : Le scanner 3D
Riegl LMS Z 420i.
l’état. Il faut donc associer le capteur à
un logiciel de traitement particulier. Ces
logiciels utilisent les derniers développements informatiques en matière de
gestion de données denses, de modélisation et de cartographie automatique.
La majorité des fournisseurs de scanner
couplent leurs matériels à des solutions
logicielles spécifiques. Il existe aussi
des solutions indépendantes, compatibles avec la majorité des capteurs disponibles sur le marché.
En matière d’acquisition et de traitement, la méthode de travail est radicalement différente de celle d’un levé
topographique classique. On ne choisit
pas a priori, c’est à dire au moment du
levé, les données à cartographier. On
relève “tout”, dans la mesure où la
densité fixée au moment de la numérisation est compatible avec l’échelle de
restitution demandée et où l’on s’est
assuré de la bonne couverture de l’objet (élimination des masques par multiplication des stations). C’est a posteriori que l’interprétation est faite, l’opérateur naviguant virtuellement dans le
nuage de points pour choisir les éléments à restituer.
Le résultat du traitement aboutit selon
les besoins à des exploitations cartographiques de haute précision (restitution filaire équivalente à une restitution
photogrammétrique, vues en élévation,
coupes, modèle numérique de terrain),
à un modèle maillé tridimensionnel,
véritable clone numérique exploitable
en imagerie de synthèse (modélisation
TQC ou “Tel Que Construit”), ou à des
analyses géométriques plus fines (auscultation par comparaison de nuages
de points).
Généralement cette technologie de
pointe apporte :
• un volume d’information en 3D d’une
extrême densité
• la visualisation en 3D in situ des données acquises
• une documentation révolutionnaire,
un archivage 3D des monuments et
sites scannés : les données acquises
pourront être exploitées avec précision même si l’objet scanné venait à
être endommagé ou détruit.
• une grande liberté d’exploitation des
mesures : nul besoin de retourner sur
le terrain pour de nouvelles mesures :
tout est acquis dans la limite d’une
bonne accessibilité visuelle des objets
à scanner.
moins
de contraintes au moment de
•
l’acquisition : la saisie est très rapide
et la portée importante, ce qui réduit
considérablement les contraintes de
sécurité et d’immobilisation inhérentes à ce type d’intervention sur certains lieux (site fréquenté, délai d’intervention).
• l’assurance de ne commettre aucun
dommage sur le monument pendant
le relevé : les mesures se font sans
contact physique, à l’aide d’un laser
de classe I (eye safety) ou II.
• la possibilité d’accéder virtuellement
à des parties inaccessibles physiquement : les mesures au laser sans
réflecteur peuvent être réalisées à plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de mètres du monument.
Revue XYZ • N°102 – 1er trimestre 2005 23
Techniques nouvelles
A Karnak, ATM3D est intervenue avec le
scanner Riegl Z420i (fig. 2). Il s’agit d’un
scanner 3D terrestre photogrammétrique. La société l’a en effet équipé
d’un appareil photographique numérique 6 millions de pixels, parfaitement
calibré
(distorsions,
orientation
externe), ce qui permet la mise en relation de n’importe quel point scanné
avec son pixel correspondant dans la
caractéristiques du scanner
Riegl LMS Z420i configuré
par ATM3D
portée maxi 800m
portée pratique constatée par ATM3D :
500 à 1000m selon l’incidence, le
matériau et la couleur
• précision sur 1 point : 10 mm
• précision par interpolation : 5 mm
• champ horizontal : 360°
• champ vertical : 80°
• tête inclinable de 0 à 90°
• résolution angulaire maxi : 0.0025°
(soit un point tous les 4 mm à 100m)
• résolution d’un point : 5mm
• vitesse d’acquisition : de 6500 à
10 000 points à la seconde
information
enregistrée pour chaque
•
point acquis : coordonnées XYZ,
couleurs RVB, intensité de réflexion
• capteur laser de classe 1
• capteur photographique 6 millions de
pixels (interchangeable)
• Optiques calibrées : 14 mm, 85 mm,
180 mm
•
•
série de prises de vues qui couvre le
champ numérisé (équipé d’un 14 mm,
la couverture photographique d’un
champ de 360° aboutit à l’enregistrement d’une image couleur de près de
40 millions de pixels).
Les caractéristiques du capteur 3D (voir
encadré) ont permis une acquisition
rapide et dense du temple et de son
environnement topographique et architectural: l’appareil porte à plus de 800 m,
à une précision brute de 10 mm. La réalisation d’une séquence de plusieurs
scans, ou le rééchantillonage d’un
ensemble dense de points, permet d’atteindre sans trop de difficulté une précision de 5 mm. Un nuage de 3 millions de
points est acquis en 6 minutes à peine.
Contrairement à un tachéomètre, le
scanner n’est pas calé lors de la mesure.
La tête peut être inclinée jusqu’à 90°. Le
recalage des semis de points s’appuie
sur le relevé au tachéomètre de cibles
réfléchissantes que le scanner détecte et
numérise automatiquement. Ce calage
mathématique, réalisé in situ, est finalement la phase la plus longue dans la
chaîne d’acquisition.
Les résultats
Une vingtaine de stations de scannage
auront permis d’acquérir un nuage
dense de 30 millions de points, couplés
à des prises de vues numériques pour
chaque position (fig. 3). Une autre couverture photographique réalisée avec
Fig. 3 : Extrait et détail du nuage de points 3D colorés acquis sur le temple
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un 85 mm est venue compléter la première dans le détail, permettant l’enregistrement précis des bas-reliefs.
L’ensemble des façades extérieures, la
toiture et la salle hypostyle ont pu être
relevés. Le travail à l’intérieur du bâtiment fut plus délicat: si les hiéroglyphes
sont taillés “en creux” sur les parois
extérieures, ils sont en relief, plus fins et
colorés à l’intérieur du temple.
De plus, l’exiguïté des salles du temple
a rendu difficile l’acquisition des
points. Le manque de recul a pu être
partiellement résolu par la multiplication des stations. Les “masques”,
comme les colonnes, corniches, portes
se sont révélés plus nombreux qu’à
l’extérieur.
L’assemblage des nuages de points a
abouti à la production d’une première
archive tridimensionnelle, un modèle
maillé de précision centimétrique,
couvrant 90 % des surfaces intérieures
et extérieures du temple (fig. 4). Ce
modèle 3D brut d’acquisition a
d’abord rendu possible une véritable
perception du temple en trois dimensions. Grâce aux outils de visualisation, on peut naviguer virtuellement
autour et dans le temple de manière
dynamique, s’arrêter sur des points de
vues particuliers, zoomer. Bien que
l’accès physique à l’intérieur du
monument soit soumis à autorisation
dans un souci de protection du patrimoine, il est désormais possible de
naviguer librement dans le modèle
numérique.
Fig. 4 : Le modèle topographique 3D du temple et de son environnement immédiat
Concernant l’exploitation cartographique du modèle, l’utilisation d’outils
d’extraction automatique a permis de
fournir des coupes dans les 3 axes
(fig. 5). Ces résultats ont été livrés au
format dxf pour être ensuite exploités
par le CFEETK. Ultérieurement, des éléments cartographiques pourront être
extraits selon les besoins, à partir de
plans de coupe particuliers.
Pour chaque élévation, les prises de
vues numériques complémentaires ont
été réalisées au moment où l’incidence
du soleil était rasante, ce qui a permis
d’enregistrer des images riches en
information épigraphique en évitant un
contraste trop fort. Le traitement des
mesures denses réalisées parallèlement au scanner a abouti à l’extraction
de modèles numériques précis du relief
de chaque élévation.
La solution d’orthorectification développée par ATM3D a associé chaque
modèle aux prises de vues photogrammétriques pour aboutir à une
couverture orthophotographique au
1/50 en couleur des élévations extérieures du temple et des élévations
intérieures de sa salle hypostyle
(fig. 6). Enregistrés au format autocad,
les documents contiennent chacun
une image orthophotographique à
l’échelle et calée en altitude, à laquelle
est superposée un calque contenant
des courbes de niveau représentant le
relief de l’élévation.
Ce format permet de superposer
d’autres couches d’informations vectorielles. Il est par exemple possible de
digitaliser les contours de chaque élément visible, de mesurer des distances
ou des rayons de courbure et d’ajouter
des
commentaires.
L’orthophotographie constitue alors un document
de fond sur lequel l’architecte peut
appuyer son étude. C’est aussi un
document d’archive remarquable,
figeant précisément la géométrie et
l’état du monument à l’instant de la
prise de vues.
Les orthophotographies permettent
aussi d’affiner le réalisme d’une modélisation infographique du monument.
Le traitement du modèle 3D brut d’acquisition consiste à dégauchir les principales arêtes puis à alléger considérablement le maillage couvrant les surfaces relativement planes. Le but est
d’obtenir un fichier le plus léger possible qui conserve un maximum de précision géométrique. La perte de précision graphique est compensée en utilisant les orthophotos comme texture
Fig. 5 : extraction de 52 coupes horizontales, à raison d’une coupe
tous les 20 cm
Revue XYZ • N°102 – 1er trimestre 2005 25
Techniques nouvelles
Fig. 6 : vue de l’élévation intérieure Nord de la Salle hypostyle et orthophotographie correspondante
drapée sur chaque élévation. Le résultat
est un modèle très réaliste exploitable
en imagerie de synthèse pour des productions vidéos destinées au grand
public.
Les perspectives
Les performances et la rapidité d’acquisition de cette technologie de relevé
entraîne de profonds changements
dans la méthode d’analyse de l’étude
architecturale.
Traditionnellement, c’est pendant le
relevé dessiné qu’est menée l’étude
proprement dite. Bien que longue et
parfois fastidieuse, cette étape du travail impose une concentration et une
attention qui assure une bonne observation du vestige. Désormais avec le
scannage 3D, les étapes sont dissociées : le relevé devient plus objectif et
se rapproche du document photographique. Si la méthode se généralise,
l’analyse et l’observation minutieuse de
l’architecte se feront désormais en aval,
une fois le relevé réalisé.
D’autre part, la précision de cette technique permet de procéder en une seule
étape au relevé architectural et épigraphique, où habituellement la discipline
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égyptologique dissocie les deux types
d’observation. Cet aspect fédérateur
qu’apporte le scannage 3D photogrammétrique est une avancée déterminante
dans l’observation des monuments de
l’Égypte antique car elle permet de
mettre en relation architecture et décors.
Ces changements dans l’acquisition
des données et la méthode d’analyse
impliqueront inévitablement une modification du regard sur les vestiges étudiés. Mais ces dernières remarques
demeurent sans doute insignifiantes au
vu des bouleversements qu’apportera
l’usage généralisé du scannage 3D. ●
Quelques liens Internet
http://cipa.icomos.org: le 6e groupe
de travail du CIPA, Comité International
pour la Documentation du Patrimoine
Culturel (comité mixte ISPRS/Icomos),
étudie les outils et méthodes d’acquisition par scannage 3D appliqués au
Patrimoine Culturel.
http://www.cfeetk.cnrs.fr: le site internet du Centre Franco-Egyptien des Etudes
des Temples de Karnak.
http://www.atm3d.com/scan3d.htm:
quelques exemples de réalisation dans le
domaine du Patrimoine Culturel.
Contact
Bertrand CHAZALY
Ingénieur Géomètre Topographe
Société ATM3D
Savoie technolac - House Boat n° 7 - BP 269
73375 Le Bourget du Lac CEDEX
Tél.: 0479251173
Mel: [email protected]
Site internet: http://www.atm3d.com
Emmanuel LAROZE
Architecte CNRS
CFEETK - Karnak
Tél./fax: 00 20 95 376227
Mel: [email protected]
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