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Numéro 9 Guadalajara, Mexique, Avril 2007 La cuna del maíz Le bulletin qui raconte une expérience de coopération sur les terres qui ont vu naître le maïs. Groupe Volontaires Outre-Mer: www.gvom.ch Red de Alternativas Sustentables Agropecuarias Textes, photos et design: Diego Echeverri Chollet, e-mail: [email protected] Signaux d'alerte au Mexique ¡ Viva el fútbol ! 2006, année des élections présidentielles au Mexique, fut une année très confuse, avec beaucoup de divisions dans tous, tous, vraiment tous les domaines. Écoeurés par le comportement des politiciens du pays, les gens préfèrent parler de football. C'est un sujet qui passionne, mais qui reste un jeu, un sujet léger qui finalement n'engage personne. On entend dire : " Heureusement qu'en 2006 le peuple mexicain a au moins obtenu une victoire". Mais quel peuple ? Quelle victoire ? Hélas, il n'est pas question de peuple organisé ni d'une victoire sociale ou politique. Il s'agit de football: l'équipe la plus populaire du pays, las chivas(1), a remporté le championnat national. Moi-même je suis un supporter de celui qui se fait appeler le "rebaño sagrado" (troupeau sacré), mais leur dernier championnat me fait quand même un peu douter de la mafia et du pouvoir. Le foot n'est en Football à Mesa del Tirador. réalité qu'une des facettes, parmi d'autres, de la monstrueuse machine médiatique-publicitaire construite pour distraire, endormir, calmer la tension populaire et faire marcher la machine. Les séries de télé battent des records d'audience ; les journaux télévisés, la radio, sont chaque fois plus envahis par la pub et l'information inutile, comme la plupart de la presse écrite d'ailleurs. Le mirage fait miroiter un avenir meilleur, tandis qu'on continue, sans entraves, la déprédation du pays, par le biais de privatisations, de monopoles, le fameux " libre-échange ": le chemin néolibéral. (suite en page 2) (1) Chivas (chèvres) du Guadalajara est le club de football ayant obtenu le plus de championats en première ligue (11 étoiles) et le seul qui, despuis toujours, est composé exclusivement de joueurs mexicains. L'équipe est si populaire qu'on dit qu'on trouve un " frère chiva" n'importe où au Mexique. 1 La cuna del maíz Numéro 9 Un indien du nord du Mexique, des peuples les plus " oubliés " du pays, compare le Mexique avec une charrette conduite par les riches du pays qui roule par ce chemin sur quatre roues : l'exploitation, l'expropiation, le dépouillement et le mépris. Lors des élections présidentielles de 2000, après plus de 70 ans de dictature du parti tricolore, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) a cédé la présidence à Vicente Fox du Parti d'Action Nationale (PAN). Alors, beaucoup de gens ont cru que le pays allait changer de chemin. Mais Fox vient de passer les rênes à son nouveau successeur, après avoir maladroitement conduit la charrette par la même voie que ses prédécesseurs du PRI. Et maintenant la charrette s'élance vers le gouffre malgré les nombreux signaux d'alerte. Croyez-moi, je voudrais bien vous parler de foot, mais La Cuna del Maíz ne s'est pas encore mise au goût néolibéral et ne compte pas de rubrique de sports ! Dans ce numéro de La Cuna je vais donc aborder le sujet des signaux d'alerte au Mexique : La fiction démocratique En dehors des périodes électorales, le Mexique est un pays prostré par l'apathie politique, par une sorte de décepcion généralisée face à la corruption de la classe politique. Cependant, d'après les sondages, 60% de la population ayant droit au vote aurait participé aux dernières présidentielles. Un taux de participation aussi élevé peut s'expliquer par les impressionants efforts déployés par le génie de guerre médiatique. Les longues campagnes présidentielles, qui avaient l'air d'un grand spectacle, pas très attirant, il faut le dire, ont produit une démocratie imposée par la peur. Tout au long de ces campagnes, l'ensemble des candidats a suivi la tendance moderne de la simplification du discours politique, matière pour un nouveau scénario de show radicalisé. Comme inspirés par les luttes grécoromaines, héritage de la démocratie occidentale, les sondages confrontaient les deux candidats les plus forts : à droite, habillé en bleu, Felipe Calderón pour le PAN portant l'étendard de la promesse néolibérale et à gauche, en jaune, Andrés Manuel López Obrador (aussi désigné par ses initiales, AMLO) pour le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), brandissant un nouveau soleil pour les pauvres. 2 Lecteurs à Nurío, Michoacán. Le jour des élections on constata de nombreuses irrégularités (reconnues par les juges de cette bataille). Mais malgré cela, le Tribunal fédéral électoral donna la victoire à Calderón, par une maigre différence de 0,58% sur AMLO. Le candidat de la gauche, qui dans les sondages avait devancé confortablement ses opposants tout au long de la campagne, dénonça la fraude et demanda une recomptabilisation des votes, ce qui lui fut refusé. Il fonda donc une Convention Nationale qui le nomma " Président Légitime ". Actuellement, AMLO a perdu beaucoup de soutien, tant populaire que médiatique… et on pourrait lui reprocher de continuer en campagne électorale. Dans le cadre des élections législatives, le PAN et le PRD se sont partagés districts et circonscriptions et le PRI a perdu la majorité tant au sénat comme au parlement. La fiction démocratique a d'ores et déjà deux nouvelles couleurs antagonistes: le bleu et le jaune. Mais la façon de gouverner restera patriotiquement tricolore, avec les vieux vices du parti déchu. Le PRI a été obligé de partager le gâteau avec les deux autres grands partis du pays, mais ce faisant il a aussi partagé avec eux ses recettes pour continuer les affaires politiques sur le dos du peuple. La cuna del maíz L'énergie du maïs Très tôt nous avons compris ce que notre nouveau président Felipe Calderón voulait dire avec son slogan de campagne : "Main dure. Passion pour le Mexique". Très tôt, il nous a frappés en plein visage, quand le prix de la tortilla, élément de base dans l'alimentation de grand nombre de mexicains, a presque doublé au début de cette année. En fait, cette prétendue nouvelle crise du maïs n'a rien de nouveau puisqu'elle provient de politiques qui datent des années 80, quand les technocrates qui gouvernaient le pays ont préféré miser sur l'exportation de mexicains et l'importation d'aliments, plutôt que de soutenir les paysans pour assurer la souveraineté alimentaire. Actuellement le système de production agricole du pays est en faillite et l'intégrité des communautés rurales s'est fortement dégradée sous l'influence du paradigme individualisant. Yessica Alquiciras, du Collectif Coa, le dit plus clairement : "Le maïs constitue la principale culture au Mexique et se trouve au centre des activités du paysan mexicain. Les relations étroites entre le maïs et les gens sont très anciennes. La crise actuelle, dans le contexte de la libéralisation des campagnes liée au TLC (l'accord de libre commerce avec le Canada et les Etats Unis) est la conséquence des agissements des politiciens mexicains alliés aux transnationales, marginalisant des milliers de mexicains et ignorant une fois de plus leurs efforts pour semer leur maïs, conserver les semences, et rester en étroite relation avec leur territoire et l'organisation communautaire". Numéro 9 Chaque année le pays importe du maïs en provenance des Etats Unis à un prix de plus en plus élevé. On dit que cette année le renchérissement s'explique par l'utilisation croissante de cette céréale dans la production de biocarburants. Au début de cette année, dans le cadre du Forum National pour la Souveraineté Alimentaire "Nyéléni" qui a eu lieu au Mali, les délégués se sont penchés sur les dangers de ces agrocombustibles. Pour leur production on utilise de grandes surfaces, on consomme de grandes quantités d'énergie et on utilise des techniques qui détruisent les écosystèmes. Avec la quantité de céréales nécessaires pour remplir, avec du biocarburant, le réservoir d'une camionnette, on calcule qu'on pourrait nourrir une personne pendant une année. La balance énergétique est clairement déséquilibrée. Donc, le développement de ces biocarburants constitue une nouvelle forme de domination agressive à l'autonomie. Les entreprises s'approprient tout ce qui permet d'obtenir des profits, tout au long du cycle, de la graine jusqu'au supermarché. Evidemment, elles veulent changer nos habitudes alimentaires, et le peuple reste sur sa faim, mal nourri avec les miettes de l'industrie alimentaire (le pire maïs des Etats Unis, le soja transgénique argentin...) sous forme de produits industrialisés des chaînes monopolistiques. La plupart des mexicains obtenons du maïs l'énergie nécessaire pour vivre, voire survivre. Voilà pourquoi, lorsqu'un mexicain mange une tortilla faite avec le maïs qu'il a lui-même semé sur sa terre, il se sent libre car cette énergie lui appartient, c'est la vie que lui donne la Mère Terre. Le maïs sèche au soleil. 3 La cuna del maíz Des plans qui ignorent les communautés En mars, le Mexique était invité d'honneur à la Foire de Bâle. Sur les supports publicitaires, on pouvait lire: "L'attrait particulier de ses paysages, les énigmes de son passé, l'hospitalité légendaire et chaleureuse de ses habitants, les saveurs délicates de sa gastronomie, sa richesse culturelle et artistique, mais aussi ses merveilleuses plages reflètent le caractère unique et toute l'authenticité du Mexique". Le Mexique est indéniablement riche et l'industrie du tourisme amène sans doute beaucoup de devises au pays. Mais le prix que les communautés côtières, rurales et indigènes doivent payer est très élevé car les destinations touristiques les plus importantes concentrent aussi les plus graves problèmes sociaux et environnementaux. En outre, le tourisme exploite l'histoire et l'image indigène folklorique, sans se soucier de la perte d'identité des communautés. Le racisme persiste et les métis méprisent les indigènes qui devraient " s'assimiler à la civilisation " et donc, renoncer à leur identité. Numéro 9 nacos(2) de la APPO (Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca) ont pris le centre ville pour exiger le départ du gouverneur, chef de file d'un important réseau de corruption qui sévit depuis des décennies. Une nouvelle bataille se livra en plein centre ville de la capitale et l'on a pu constater à nouveau l'impossibilité de dialoguer avec un gouvernement qui ne sait répondre que par la répression armée. Aujourd'hui les morts et les prisonniers politiques de Oaxaca viennent s'ajouter à la longue liste de victimes de Atenco, Lázaro Cárdenas, Guadalajara... dont le seul délit était de s'organiser pour réclamer la justice. C'est la " main dure ", l'appareil répressif qui s'étend sur tout le territoire, une militarisation galopante, dans un pays au bord de l'abîme. (2) naco = adjectif péjoratif dont on se sert pour désigner une personne sans éducation ou grossière. On l'utilise souvent pour parler des indiens et des classes populaires. Actuellement, le Mexique se vend bien. Presque tout est à vendre et les communautés peinent à suivre les " voies du développement " définies par les Planes Estatales de Ordenamiento Territorial (programmes gouvernementaux pour l'aménagement du territoire). Ces programmes, qui suggèrent d'emblée que le territoire est désordonné, ne sont rien d'autre que des plans d'urbanisation sauvage qui ne tiennent pas compte des relations historiques que les peuples ont nouées avec leurs territoires et que ces relations conservent l'intégrité du territoire. Dans ce cadre-là, de gigantesques projets touristiques, voire éco-touristiques, voient le jour dans des zones rurales, plages et montagnes… L'une des portes par lesquelles l'on saccage le pays est, effectivement, le tourisme. Oaxaca (état du sud du Mexique) est une destination touristique fabuleuse. Son passé préhispanique et la grande diversité des peuples indigènes qui y survivent sont incontournables. Mais c'est aussi l'un des endroits où l'on peut observer le plus clairement la férocité d'un système qui maintient dans la misère des peuples exploités, dépouillés des richesses qui leur appartenaient jadis. 2006 n'aura pas été une bonne année pour le tourisme à Oaxaca, bien au contraire, car les Filles nahuas de Ostula, Michoacán. 4 La cuna del maíz Numéro 9 L'eau qui arrive à la maison Il y a des réalisations pour lesquelles l'ancien président Fox se vante, ici et là, à droite comme à gauche. C'est le cas de la remise de plus de 3 millions de crédits hipotécaires et la construction de 2.8 millions de logements durant ses 6 ans de gestion. D'autres - soi-disant - succès comme la privatisation de l'eau au Mexique, sont seulement applaudis dans les hautes sphères du pouvoir économique et politique. Car " par dessous l'eau " Fox aura continué son travail pour privatiser l'eau, mission qu'il avait déjà entamée comme président de la puissante Coca-Cola pour le Mexique et l'Amérique Latine. Mais visiblement, le logement était le fer de lance du développement - la grande affaire - encouragé par le gouvernement de Fox. Dans ce cadre-là, les processus d'urbanisation se sont accélérés suivant des modèles d'entassement et de privatisation de l'espace, aussi bien dans les grandes villes que dans les petites, et même dans les villages. Des ensembles de micro-maisons se sont ainsi multipliés, construits avec des matériaux de très mauvaise qualité, un agencement de l'espace qui ne correspond pas aux habitudes de vie de ses habitants et sans autres espaces de vie commune que les rues où seuls règnent les automobilistes. Ces logements appelés "de interés social" (d'intérêt social) sont une bien ronde affaire pour les banques, le cartel du bâtiment et le gouvernement. En plus, avec la construction, viennent la privatisation de la terre et de l'eau car l'entreprise de construction obtient la concession du puits perforé sur le terrain du chantier et c'est elle qui se charge de l'administration de l'eau. Dans beaucoup d'endroits la nouvelle demande d'eau créée par ces nouveaux établissements humains concentrés provoque l'assèchement des sources environnantes et la baisse du niveau des puits. Plutôt que de les nommer " d' intérêt social ", nous devrions nous demander à qui ces projets intéressent vraiment. Et pour cela, l'eau est un bon indicateur. Car l'eau qui arrive dans les maisons est privatisée. L'eau qui coule dans nos rues, dans nos rivières et sous terre est polluée. La " nettoyer " pour la vendre chère, encore à moitié sale dans les maisons, et très chère pour boire dans des bouteilles, est aussi une affaire gràce à laquellle on peut obtenir d'énormes bénéfices. On cherche à épuiser les sources communautaires qui, jusque là, avaient fourni l'eau gratuitement aux communautés. On investit d'énormes sommes pour construire des systèmes de drainage dans des lieux où il n'y a pas suffisamment d'eau. Et on dépense aussi de grandes quantités d'argent public, même l'on Enfants wixárika de El Mirador. s'endette, pour la construction de grands barrages qui détruisent la vie des rivières, des forêts et celle des communautés dépouillées. L'urbanisation se nourrit avec les grandes migrations. Comme Fox, nombreux sont les grands entrepreneurs qui profitent des exodes provoqués par les guerres d'extermination contre les paysans et les indigènes. Ce sont des exodes temporaires ou définitifs, vers les villes du pays ou vers les Etats Unis, et chaque migration a ses répercussions. Les paysans ne reconnaissent presque plus les jeunes émigrés qui reviennent. D'autres qui, par un exode "chanceux", sont exploités dans une usine, hipothèquent leur vie pour payer une micro-maison et vivent entassés avec huit autres parents, parmi des centaines de maisons identiques, sans autre lieu de partage que le minisupermarché. En plus ces ensembles de logements sont entourés par des murs et c'est vrai que les gens vivent parmi des inconnus, sans relations et craignent ce qui se trouve de l'autre côté du mur. Un mur qui fait penser à celui que les Etats Unis ou Israel sont en train de construire... L 'on culpabilise souvent le citoyen ordinaire de la crise de l'eau, en disant " il lui manque une culture de l'eau ". Et c'est vrai, il y a énormément de choses simples que l'on pourrait faire pour mieux l'employer. Cependant, pour mieux penser une culture de l'eau, on devrait penser à son parcours, aux cycles qu'elle suit. Par exemple, pendant que l'eau de la douche coule sur notre dos, on pourrait penser que peut-être cette même eau a mouillé le dos d'un mexicain qui a traversé à la nage la rivière Bravo en quête d'une vie meilleure. Et ceci pas comme châtiment personnel mais comme conscience collective, car la culture de l'eau est la culture de la vie et la Vie, une avec "v" minuscule et quotidienne et une "V" majuscule et sacrée. 5 La cuna del maíz Numéro 9 Eaumonde Eau Monde, Oh ! Pauvre Monde ! Eau, tu n'es pas le pétrole du nouveau siècle. Oh ! Tu es l'eau de la vie, depuis le début. Il faut défendre l'honneur, honneur aux ancêtres, qui nous ont fait naître par la chair du maïs, et l'eau de la vie, la pluie. Les forêts nous ont bâtis, nous, nos territoires. Le feu nous a fait grandir, ensemble. Vivre et fêter notre Mère la Terre, ses cycles en communauté, rivière d'eau fraîche et claire. Nous ne sommes pas seuls, Eaumonde. Oh ! Ni les communautés, dernières. Espérance cachée profonde, sous la peau des hommes couleur de terre. Les tournesols tournent au sol. 6