protection de la vie privée

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protection de la vie privée
PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE
Action et non requête en dommages-intérêts
Emmanuelle Saucier,
Avocate
‘entrée en vigueur du
Code civil du Québec a
été l’occasion pour de
nombreux procureurs de sortir
des sentiers battus en se
prévalant des nouvelles
requêtes introductives
d’instance de l’article 762 du
Code de procédure civile
plutôt qu’en intentant la
traditionnelle action en
dommages pour diffamation,
dans le but d’accélérer le
processus et ainsi d’obtenir
plus rapidement un jugement.
L
Requête ou action?
Les précurseurs de cette
position se basaient sur les
articles 35 à 41 du Code civil
du Québec qui traitent du
respect de la réputation et de
la vie privée et plus
particulièrement, prévoient
que nulle atteinte ne peut être
portée à la vie privée d’une
personne sans que celle-ci ou
ses héritiers y consentent ou
sans que la loi l’autorise.
Dans un tel contexte, pour
empêcher l’atteinte ou encore
pour être compensé par des
dommages et intérêts pour
une atteinte à la réputation,
les tenants de cette position
soutenaient que les articles 4
et 5 de la Charte des droits et
libertés de la personne sont
maintenant enchâssés dans
l;e Code civil du Québec à
l’article 35 et mette à la
disposition du justiciable un
recours lui permettant de
mettre fin et corriger
rapidement toute atteinte
illicite à sa réputation, dignité
et honneur en introduisant le
recours conformément à
l’article 762 du Code de
procédure civile par voie de
requête.
De plus, ils prétendaient que,
comme le législateur ne fait
pas de distinction entre des
recours mettant fin à une
atteinte à la vie privée d’une
personne en tant que tels et
des recours en dommages
pour atteinte à la réputation,
le recours par voie de requête
devraient être le recours
approprié.
D’ailleurs, la Cour supérieure
leur a donné raison dans
l’affaire Beaudoin c. La
Presse, rapporté à J.E. 94561 (infirmée en appel), dans
laquelle l’hon. juge Rouleau
analyse de façon détaillée le
choix entre l’action et la
requête dans le cadre de
recours en diffamation et
rejette une requête en
irrecevabilité, statuant ainsi
que la requête était le recours
approprié.
toutefois, la jurisprudence des
tribunaux durant cette
dernière année était
contradictoire. Par exemple,
dans l’affaire Josée Menna c.
Anna Papacristopoulos,
l’hon. juge Claude Pothier
de la Cour du Québec
accueillait une requête en
irrecevabilité et rejetait la
requête pour atteinte à la
réputation réclamant des
dommages en faisant la
distinction suivante : « le
tribunal est d’opinion que la
requête peut être utilisée pour
obtenir une ou des
ordonnances pour garantir le
respect de la réputation d’une
personne et de sa vie privée.
Cette requête pourra aussi
conclure à des dommages et
intérêts. Cependant, si la
requête ne demande qu’une
condamnation à des
dommages-intérêts sans autre
conclusions d’ordonnance de
protection, soit de faire ou de
ne pas faire, le recours
approprié est le bref et la
déclaration selon l’article 110
C.c.Q. » (jugement non
rapporté du 22 juillet 1994
dans le dossier 500-02011180-945).
Au contraire, dans une autre
décision de la Cour du
Québec, dans l’affaire
Johanne Mathieu-Dally c.
Ambulances Demers –
Boucherville Inc. (500-02000495-949), l’hon. juge
Michel Lassonde favorise la
thèse selon laquelle la requête
est le moyen approprié pour
intenter un tel recours.
La Cour d’appel tranche
Devant
cet
imbroglio
juridique, il a fallu que la Cour
d’appel se prononce sur la
question
et
la
règle
définitivement pour éviter à
travers
le
Québec
la
multiplication des décisions
contradictoires. Dans l’affaire
La Presse et Agnès Gruda
c. Yves Beaudoin (500-09000600-940) la Cour d’appel
sous la plume de l’hon. juge
Beauregard favorise la thèse
selon laquelle un recours en
dommages pour atteinte à la
réputation et à la vie privée
doit être intenté par bref
d’assignation.
En effet, la Cour d’appel met
fin à la controverse et le juge
Beauregard s’exprime ainsi :
«À
mon
humble
avis,
l’interprétation
que
fait
l’intimé de l’article 35 est mal
fondée,
qu’on
interprète
l’article 35 à la lettre ou qu’on
l’interprète en recherchant les
objectifs
du
législateur.
Suivant la lettre de l’article
35, je vois une distinction
entre le droit au respect de sa
réputation et de sa vie privée
et le droit à des dommages et
intérêts pour violation de ce
droit. Recherchant l’intention
du législateur, je constate
que, mise à part la situation
sous étude, le législateur n’a
pas permis l’utilisation de la
requête pour l’obtention de
dommages-intérêts pour la
violation du droit. Je ne peux
m’imaginer la raison pour
laquelle le législateur aurait
voulu qu’une demande en
dommages-intérêts
pour
diffamation
fut
traitée
différemment
d’une
en
dommages-intérêts
pour
blessures physiques et que le
défendeur,
poursuivi
pour
diffamation, n’eut pas un droit
strict à tous les mécanismes
garantis au défendeur pour la
contestation
de
l’action
traditionnelle à l’article 100.
La Cour d’appel, par son
jugement, a peut être mis fin
à la controverse mais a
également mis fin à la
possibilité
d’obtenir
un
jugement
plus
rapidement
dans le cadre de recours en
dommages pour atteinte à la
réputation et à la vie privée,
en procédant par voie de
requête plutôt que par voie de
l’action
traditionnelle
en
dommages,
et
ceci
au
détriment de la gravité d’une
atteinte à un droit protégé par
la Charte québécoise. Ainsi
ceux
qui
avaient
espéré
gagner du temps, doivent
réintenter leur recours par
voie d’une déclaration et d’un
bref d’assignation et ce, au
plus tard dans les trois mois
de la signification du jugement
sur la requête en irrecevabilité
(art. 2885 C.c.Q.).