Compte-rendu du colloque Franc CFA

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Compte-rendu du colloque Franc CFA
L’avenir du franc CFA en question.
Quels outils monétaires et quelle souveraineté
économique pour une politique de progrès
en Afrique de l’Ouest et centrale ?
Colloque organisé par les fondations Gabriel Péri et Rosa Luxemburg (Allemagne)
et le Collectif Afrique du Parti communiste français
Au Palais du Luxembourg
Le 17 septembre 2015
Compte-rendu
1
ACRONYME
BCEAO : Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest
BEAC : Banque des États de l'Afrique centrale
CEMAC : Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale
CPM : Comité de la politique monétaire
UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine
UMOA : Union monétaire ouest-africaine
ALLOCUTION D’OUVERTURE
Dominique Watrin, Sénateur Communiste, Républicain et Citoyen du Pas-de-Calais, sous le
parrainage duquel s’est déroulé ce colloque a rappelé que le choix du Sénat pour abriter les débats
n’était pas anodin étant donné qu’il est l’un des lieux du pouvoir national. Il s’est également référé à
la spécificité du calendrier : le colloque se tient à quelques jours de la réunion des ministres des
Finances de la zone franc début octobre et alors même que le franc CFA suscite de plus en plus de
critiques. Il a souligné qu’il ne s’agissait pas d’une simple question monétaire, si la question recouvre
une réalité économique, elle concerne aussi les questions sociales et politiques. Ainsi pris à travers le
prisme politique le CFA est non seulement une anomalie historique mais également défavorable aux
pays partageant cette monnaie. En outre la question du CFA renvoie directement à celle de la
souveraineté ; en la matière, Dominique Watrin a insisté sur le fait que les débats qui agitent l’euro
sont transposables sur la zone franc. La question de l’avenir du franc CFA pose également
directement la question de l’avenir de l’euro : monnaie de domination commerciale, économique et
politique ou élément de cohésion et de résistance face à la domination américaine ? Quels contrepouvoirs politiques peuvent être appliqués à la gouvernance de la Banque centrale européenne, de
la BCEAO et de la BEAC ? A quelles réalités doivent s’adapter les parités d’émissions monétaires pour
être les plus utiles ? Autant de questions qui s’appliquent aussi bien à la zone euro qu’à la zone franc.
Aujourd’hui, les pays européens subissent les plans d’ajustement structurel que les pays d’Afrique
ont éprouvé à partir des années 1980 : casse des services publics, privatisations massives, contraintes
sur les salaires, développement de l’attractivité capitaliste. L’on peut se demander par exemple si le
capital allemand notamment ne réserve pas le même traitement à la Grèce que le capital français
réserve depuis des décennies à certains pays africains. Dominique Watrin affirme que le pouvoir ne
réside plus dans les chancelleries mais dans les banques et conseils d’administration des grandes
entreprises. Le sort réservé aux pays d’Afrique arrêtés sur la voie du développement aurait pu être
un signe des méfaits des politiques ultralibérales mais dans le contexte d’hégémonie culturelle des
années 1990 à 2010 aucune voix n’est parvenue à se faire entendre. L’étude du franc CFA projettera
son ombre sur l’euro avec la question de fond : quelle utilisation de la monnaie et dans quel but ?
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ÉTAT DES LIEUX DU FRANC CFA, FONCTIONNEMENT ET IMPACTS EN AFRIQUE DE L’OUEST ET CENTRALE
Bruno Tinel, maître de conférences à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, est revenu sur les
principes généraux des politiques monétaires dans un premiers temps. Ainsi, il a expliqué que
lorsqu’un pays souhaite maintenir sa parité avec une ou plusieurs autres monnaies, il doit acheter ou
vendre sa monnaie contre des devises étrangères en fonction des fluctuations entre l’offre et la
demande sur le marché monétaire. Ainsi, si la monnaie nationale est très demandée, pour éviter
qu’elle ne s’apprécie par rapport aux autres monnaies, la banque centrale achète des devises en
vendant sa monnaie nationale. Si la monnaie nationale a contrario est peu recherchée, son cours se
dégrade et donc la monnaie se dévalorise. Si l’objectif de la banque centrale est de défendre une
parité fixée a priori, elle doit alors intervenir pour acheter la monnaie nationale dont elle a la garde
en vendant des devises. La parité doit être réfléchie et conçue en rapport avec la richesse
économique de la zone concernée.
Pour favoriser le développement industriel et les débouchés externes, il est imaginable de contrôler
le système de changes et de déterminer a priori une parité fixe pour une monnaie plutôt sousévaluée afin de vendre plus de biens à l’étranger. Le choix a priori de ce contrôle des changes et
d’une parité d’une monnaie faible crée des excédents commerciaux. Par conséquent, à l’instar de ce
qu’il se passe dans le cas chinois, cela permet au pays d’accumuler des devises qui apportent des
marges de manœuvres internes en termes de liquidités – marges de manœuvre favorables à la
consommation et à l’investissement –, mais aussi externes. En effet, cela va lui permettre d’obtenir
des créances sur le reste du monde. Ses leviers sont donc non seulement économiques mais aussi
politiques et diplomatiques. Cependant, une telle politique monétaire est tournée vers des intérêts
internes, il n’est donc pas possible de la mener dans la zone CFA.
La fixité de la parité entre le CFA et l’euro n’est pas soutenue par les banques centrales des deux
zones CFA, elle est assumée par le Trésor français. Le problème posé par des réserves qui sont
limitées ne se pose pas a priori puisque le principe consubstantiel au CFA est que le Trésor français
assure la parité fixe entre l’euro et le CFA avec comme contrepartie le dépôt de 50% des réserves de
changes détenues en zone CFA auprès du Trésor.
Les principes de développement économique sont dès lors secondaires et subordonnés au respect du
principe monétaire de la parité fixe. Il est notable par ailleurs qu’en zone CFA, plus que de remplir
leurs obligations contractuelles, les Etats vont au-delà notamment en ce qui concerne le seuil
minimum de 20% de couverture de l'émission monétaire : en effet il se situe autour de 100%, voire
plus. Ainsi, indépendamment même de la violence et de l’absurdité du système CFA, il reste qu’à
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l’intérieur même de ce système des marges de manœuvres très importantes sont totalement sousemployées.
Demba Moussa Dembélé, économiste, président d’ARCADE (Dakar-Sénégal)1, a affirmé que le franc
CFA est un instrument allant contre le développement des pays africains, ne serait-ce que parce que
cette monnaie est étrangère et que son sort se décide en France, ou en Allemagne (siège de la
banque centrale européenne). La dévaluation de 1994, décidée à Paris avec le soutien du FMI, avant
que les Etats africains n’en soient informés par le ministre de la Coopération, en avait déjà été
l’illustration.
Les leviers qui déterminent le franc CFA ne sont pas en Afrique comme le prouve ce constat, sur les
15 pays africains membres de la zone CFA, 11 sont classés comme « pays moins avancés » par les
Nations unies. Certes plusieurs facteurs expliquent cette situation, mais la question monétaire en est
un majeur.
Le problème est fondamentalement politique : la monnaie est un attribut de souveraineté.
Il est notable que la lutte contre le franc CFA qui était le fait de chercheurs, militants, etc. s’est
élargie aux politiques. Pour l’Afrique de l’Ouest, une étape majeure de cette lutte pourrait être le
projet de monnaie unique au niveau de la CEDEAO (15 pays, 300 millions d’habitants) dont
l’échéance est fixée à 2020. Il est d’ailleurs prévu la création d’un Institut monétaire en 2018 censé
préparer les instruments d’une Banque centrale ouest-africaine.
Cette monnaie unique à l’échéance 2020 aurait de nombreux avantages :
-
Elle sonnera le glas de la zone franc et mettra fin à toutes les tutelles monétaires ;
-
Elle sera un facteur d’accélération de l’intégration en Afrique de l’Ouest ;
-
Elle sera un exemple pour les autres sous-régions africaines et pour le continent lui-même ;
-
Et donnera de la crédibilité au projet de l’Union africaine d’un fond monétaire africain basé
au Cameroun et d’une banque centrale africaine.
Ce projet de monnaie unique est capital dans la lutte pour la souveraineté. Aussi longtemps
qu’économiquement les décisions seront prises à l’extérieur, et que les matières premières africaines
seront transformées en dehors du continent, l’Afrique ne se développera pas.
1
Demba Moussa Dembélé a publié une brochure Zone Franc et sous-développement en Afrique, mars 2015, Arcade, Dakar,
http://librairienumeriqueafricaine.com/livrel/zone-franc-developpement-afrique
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Kako Nubukpo, économiste, ancien ministre du Togo, a souligné que le couple monnaie forte et
désarmement tarifaire est ravageur dans la mesure où il empêche toute industrialisation (par
exemple toutes les industries textiles en Afrique de l’Ouest ont disparu, ce qui n’est pas dû qu’à la
mauvaise gouvernance).
On observe un effet direct de la gestion monétaire couplée aux orientations internationales (FMI,
Banque mondiale) : il n’y a pas de processus de transformation de la matière première en interne, et
lorsque celle-ci est exportée, le sont aussi les emplois potentiels qui pourraient être créés.
La double répression financière et monétaire :
* La répression financière est illustrée par le ratio crédit à l’économie/PIB de 23% dans la zone
UEMOA qui peut parfois baisser sous les 20%. Cela traduit le degré de liquidités dans une économie.
Aux Etats-Unis, par exemple, ce ratio est de 300%, cela signifie un accès facile au crédit. Ainsi, les
économies africaines sont des économies de troc : on échange des moutons contre des poulets, une
économie qui n’a pas de crédit, qui n’a pas de liquidités, ne peut pas créer de croissance et a fortiori
d’emplois. Le résultat est que l’on a une surliquidité bancaire, le dernier rapport de la zone franc
parle pour la zone CFA de 1440 milliards de francs CFA de surliquidités bancaires qui regroupent les
réserves obligatoires (ce que les banques doivent détenir au cas où des clients voudraient récupérer
leur argent immédiatement – 600 milliards) et quasiment le même montant au titre des réserves
excédentaires (c'est-à-dire ce que les banques ne prêtent pas car il n’y aurait pas de demande). En
fait, ce n’est pas tellement car il n’y aurait pas de demande, mais parce que la Banque centrale leur
interdit de prêter et c’est là qu’a lieu la répression monétaire.
* Cette interdiction est expliquée par le fait que le système est fondé sur la défense de la parité entre
le franc CFA et l’euro. Les accords avec le Trésor français prévoient que si l’émission monétaire est
couverte à 20%, ce dernier garantit la parité fixe. Aujourd’hui, elle est couverte à près de 100% (98%
pour la CEMAC, 90% pour l’UEMOA). La question est de savoir pourquoi une telle couverture, alors
que l’assureur, en l’occurrence le Trésor français, ne demande que 20% ? Les régimes qui couvrent à
100% sont des currency board, des caisses d’émission monétaire, c'est-à-dire qu’ils n’ont plus besoin
d’assureur, quand 1FCFA est émis, il y a l’équivalent sous forme de devises. Ainsi, le système n’est
pas libéralisé comme on le dit souvent, il s’agit d’un système d’encadrement du crédit qui ne dit pas
son nom.
L’absence de croissance dans les objectifs des deux banques centrales : il y a trois articles dans le
nouveau traité de l’union monétaire ouest-africaine qui permettent de bien cerner la chose. De 1962
à 1994, il n’y avait que le traité de l’UMOA. La veille de la dévaluation du franc CFA, on a créé
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l’UEMOA en expliquant que c’était l’absence de convergence économique qui entraînait la
dévaluation. Aujourd’hui, les deux traités coexistent, sur les questions monétaires l’on se réfère au
premier, sur les questions dites économiques au second, on retrouve ainsi l’idée néoclassique d’une
dichotomie entre le secteur monétaire et le secteur réel. S’il était prévu que les deux traités soient
fusionnés, la BCEAO en 2010 a repris le traité de l’UMOA de 1962 pour obtenir l’indépendance de la
Banque centrale. Donc on a refait un nouveau traité de l’UMOA qui dit trois choses : la banque
centrale est indépendante de tous les Etats de l’Union (art 4), jusque-là c’était le Conseil des ministres
de l’UEMOA qui concevait la politique monétaire et la BCEAO – comme la BEAC – avait seulement
comme objectif de la mettre en œuvre. Il y a maintenant un Comité de la politique monétaire (CPM)
au sein de la BCEAO qui définit les objectifs exécutés par la BCEAO elle-même. Le seul objectif de la
politique monétaire est la stabilité des prix (art 8). En aucun cas la Banque centrale ne peut aider les
Etats (art 36). Il est à remarquer qu’au sein du CPM, le représentant du Trésor Français a une voix
délibérative, alors que le Président de la Commission de l’UEMOA n’y détient qu’une voix
consultative !
Conclusion
1. Il faut fusionner les deux traités car cela procède d’une volonté de la Banque centrale de
séparer le pouvoir monétaire des autres pouvoirs ;
2. Il est absurde d’avoir un taux d’inflation de 2% comme cible. En 2014, dans l’UEMOA, on a
eu une déflation (-0.4%). Le taux d’inflation optimal de la zone CEDEAO est de 8% ;
3. Le régime de change fixe a montré ses limites, le CFA devrait être rattaché à un panier de
devises (€, $, ¥ – mais lui-même est à un taux de change fixe avec le $).
Martial Ze Belinga, économiste et sociologue, a rappelé que la zone Franc existe aussi en tant
qu’institution, comme arrangement institutionnel, c'est-à-dire qu’elle met ensemble plusieurs
institutions depuis un certain nombre d’années (banques centrales, Trésor public, etc.). Il est
nécessaire de lire le système CFA comme un ensemble d’institutions qui produit à la fois des
représentations, des effets, des incitations, etc. Tout arrangement institutionnel doit produire un
rendement social, c'est-à-dire que dans la logique économique, le revenu privé doit avoir une
justification dans l’économie en tant qu’utilité et donc en principe contribution au bien-être collectif.
Martial Ze Belinga est aussi revenu en profondeur sur le décalage qu’il peut y avoir entre la notion et
l’objet, décalage dont on ne s’aperçoit pas, en l’occurrence il est revenu sur la « zone » CFA en
caractérisant ce qu’est une zone, à savoir l’interdépendance, les échanges intracommunautaires plus
importants que ceux avec l’extérieur, la communauté d’usage des signes monétaires. En se basant
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sur ces trois critères, force est de constater qu’il n’y a pas de zone. Ainsi, les institutions ont des
effets de structuration, y compris des effets mentaux, qui peuvent se révéler plus puissants encore
que dans la sphère matérielle puisque nous parlons d’une zone qui en réalité n’existe pas. Qui plus
est, le franc CFA n’est pas utilisé en France, en Afrique coexistent deux CFA différents, ainsi il est plus
indiqué de parler de « cône monétaire » étant donné qu’il y a une centralité et une base différenciée.
Ce « cône monétaire franco-africain » est caractérisé par le fait que l’ensemble des décisions
stratégiques dépend du pays centre : la décision originelle, les décisions d’architecture (UEMOA,
CEMAC), les décisions sur le périmètre de la zone, la gestion de la dévaluation. A l’arrivée, l’Afrique
se retrouve avec une double tutelle, puisque lorsque le franc CFA est arrimé à l’€, c’est une décision
du Conseil européen (23/11/98) dans laquelle aucun pays africain n’est cité à quel que moment que
ce soit. Dans le même temps, on fait obligation à la zone de responsabilité économique.
Il est important également de remarquer les effets d’hystérèse (quand quelque chose se reproduit
après la cause qui lui a donné naissance) : les pays africains ont été spécialisés de l’extérieur. Ce ne
sont
pas
des
avantages
comparatifs
africains,
ce
sont
des
avantages
comparatifs
d’approvisionnement, ce qui explique que la zone reste dans une spécialisation qui est une
extraversion correspondant à une division du travail colonial.
Le CFA est un coût sur l’industrialisation potentielle, car il est toujours plus avantageux pour celui
qui fait un calcul économique de garder la spécialisation actuelle plutôt que de se lancer dans un
processus de diversification de ses exportations, de changement de la structure des exportations,
et d’innovation qui est un processus de plus long terme. L’ensemble institutionnel CFA (Banques
centrales, banques de second rang) va donc jouer comme une complémentarité avec les
spécialisations historiques et figer la spécialisation africaine qui va rester le réservoir de matières
premières.
Les Etats se disent émergents pourtant les pays émergents ont une souveraineté monétaire, leur
monnaie soutient leurs économies, ils ont toute une ingénierie pour arriver à développer leur
industrie, or la zone prend le chemin inverse. Il est notable que les pays parviennent à articuler des
discours publics sur de nombreuses années à partir de contradictions aussi flagrantes.
Le choix d’aller vers une monnaie de type CEDEAO doit être réfléchi. C’est un choix qui est palpitant,
il peut engager plusieurs pays au-delà de la CEDEAO, mais il y a un énorme travail à faire sur les effets
d’apprentissage sur la monnaie.
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TEMOIGNAGES

Jean-Edouard Sathoud2, ancien vice-gouverneur de la Banque des Etats d'Afrique Centrale,
Président d’honneur des Assises nationales du Congo-Brazzaville.
Compte d’opérations et son fonctionnement
S’agissant du fonctionnement du compte d’opérations, il est utile de signaler que du point vue
interne des banques centrales compte tenu de l’évolution qui est intervenue entretemps dans les
relations financières et monétaires avec la France, le Trésor français, qui apporte sa garantie au franc
CFA, est considéré comme une banque auprès de laquelle est placée une partie des disponibilités
extérieures de pays de la zone CFA. Ce placement est rémunéré. Les Etats paient des intérêts au
Trésor français lorsque le compte d’opérations est débiteur.
Si le compte d’opérations a pu représenter pour la République française une opération intéressante,
à l’heure actuelle, compte tenu de l’appartenance de la France à l’Union monétaire européenne,
cette facilité présente moins d’intérêt. En effet, si elle venait à connaître des difficultés de paiements
dans ses relations économiques extérieures, elle aurait la facilité de recourir à l’euro qui représente
une force financière significative.
Non convertibilité des monnaies
S’agissant de la non convertibilité des monnaies CFA, celle-ci a été instituée à la demande de la BEAC,
en effet, jusqu’en 1993, le franc CFA était utilisable en France mais aussi en Suisse, en Belgique, en
Grande-Bretagne, au point qu’à un moment donné la circulation fiduciaire était devenue plus
importante à l’extérieur de la zone qu’à l’intérieur.
Dévaluation du franc CFA en 1994
Lorsque l’on veut encourager les exportations, la dévaluation est un des moyens. Au regard de
l’évolution économique et financière des Etats, les organisations de Bretton Woods (Fonds
monétaire international et Banque mondiale) ont exercé des pressions de plus en plus importantes.
Ainsi, l’antienne selon laquelle l’initiateur est le gouvernement français n’est pas exacte. Les Etats ont
tenté de résister à cette pression forts de l’expérience que furent les plans d’ajustement structurel,
d’autant qu’à leur suite les pays avaient épuisé tous les moyens à leur disposition en tant qu’Etats
souverains pour redresser leur situation économique.
Faiblesse des échanges commerciaux intra africains.
2
Jean-Edouard Sathoud a fait sa carrière à la Banque des Etats d’Afrique centrale de 1965 à 1998.
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La thèse développée dans l’ouvrage L’Afrique commerce avec l’Afrique3 est que les échanges entre
Etats africains représentaient peu de choses par rapport aux échanges des pays africains d’une
manière générale avec l’extérieur du continent. Pour corriger cette situation, l’association des
Banques africaines, à travers les comités sous-régionaux de cette association, a encouragé les pays
africains à développer ces échanges et, pour ce qui concerne l’Afrique centrale, le comité sousrégional, qui ne regroupait alors que la BEAC et la Banque nationale de RDC, avait pour mission de
mettre en place les conditions d’un développement des échanges commerciaux entre les pays de la
zone de la Banque de RDC et la zone de la BEAC.

Raymond Koudou Késsié, ancien ambassadeur de Côte d’Ivoire en France
L’utilisation des leviers du franc CFA dans la chute de Laurent Gbagbo.
Le président Gbagbo a toujours été convaincu que l’intégration de l’Afrique était une urgence et qu’il
fallait dépasser la seule expérience des deux zones CFA pour aller vers un grand marché, en
capitalisant l’expérience du CFA. Il pensait même que le franc CFA pouvait servir à l’entame mais à
moyen ou à long terme la rupture devait s’imposer puisque la monnaie est un instrument de
souveraineté comme la Défense. Or, ce sont ces deux instruments qui sont laissés à la France.
En ce qui concerne la BCEAO, étant donné que la Côte d’Ivoire représente 40% du PIB et 60% des
exportations de la zone UEMOA nous avons toujours considéré que la Côte d’Ivoire ne doit pas être
un frein mais plutôt un moteur et un acteur du renforcement de la place de l’Afrique sur la scène
internationale. Cependant, nous avons toujours souligné aussi que l’objectif à terme ne doit pas être
perdu de vue : une Afrique économiquement et monétairement intégrée et indépendante de toute
tutelle. Bien que n’ayant rien fait contre cet instrument du pouvoir français, le franc CFA a été utilisé
contre l’ex-président au moment de la crise postélectorale.
La question du franc CFA n’est pas seulement une question technique mais aussi une question
politique.
Le CFA est un pilier en même temps qu’un enjeu politique en Afrique, pas seulement en zone CFA. Il
est un enjeu et un pilier surtout par son compte d’opérations qui cumule les réserves de changes et
les stocks d’or. Les réserves de changes sont évaluées, selon les sources, entre 10 et 18 milliards d’€,
mais il reste que cet argent n’est pas à la disposition des pays africains mais centralisé à la Banque de
France. La mise à disposition de cet argent pourrait aider grandement l’Afrique à penser son
développement, car en même temps qu’on l’endette à des taux très élevés, le taux de rémunération
de ces réserves est très faible, 0,75%.
3
Vinay, B., 1968, L'Afrique commerce avec l'Afrique, Paris, Presses universitaires de France.
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RECOMMANDATIONS ET PERSPECTIVES A COURT, MOYEN ET LONG TERMES
 Ibrahima Sène, économiste ;
Le franc CFA est un frein au développement des pays francophones par rapport aux non
francophones : le taux de croissance moyen des pays hors zone franc est de 7 à 8% ; le taux de
croissance moyen des pays ouest-africains est aux alentours de 3.5/4%. Sur les quinze pays les moins
développés en Afrique, onze font partie de la zone franc. Avancer que la France aurait moins
d’intérêt aujourd’hui qu’hier au franc CFA revient à méconnaître la réalité. Elle gagne toujours et
encore doublement, d’une part au travers des réserves placées au Trésor français, d’autre part par le
biais des filiales des entreprises françaises installées dans les pays de la zone franc rapatrient
librement leurs profits.
En outre, le franc CFA bloque la politique d’intégration économique, en effet au regard des difficultés
que les pays de la CEDEAO ont eu pour élaborer des accords avec des pays de la zone franc, ne seraitce que pour le tarif extérieur commun, on se rend compte que les ambitions d’intégration sousrégionales sont hypothéquées.
Ainsi, l’avenir du franc CFA, au moins dans le cadre de la sous-région CEDEAO, est scellé. Il est
nécessaire que les chefs d’Etat respectent l’échéance de 2020, et donc l’engagement qu’ils ont
donné à l’Afrique.
Les chefs d’Etat ont fait un pas significatif en décidant de mettre sur pied l’institut monétaire de la
CEDEAO en 2018. C’est un signal de leur volonté, cependant il faut maintenir la pression.
1. Comment peut-on mobiliser les réserves placées au Trésor français ? Comment peut-on avoir
une discussion sur leur utilisation ? Comment mettre sur l’agenda politique les prochaines
réunions de la zone franc, la question de l’utilisation des réserves pour le développement de
l’Afrique ;
2. Concernant l’échéance de 2020, ce n’est pas le débat sur les critères de convergence qui va
faire avancer les choses, mais bien la volonté collective des décideurs politiques et
économiques.
 Demba Moussa Dembélé, économiste, président d’ARCADE (Dakar-Sénégal)
En France :
1. Le soutien politique à ce combat doit s’approfondir, tant au niveau des partis, qu’au niveau
de leurs représentants dans les instances parlementaires afin d’influencer l’exécutif français ;
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2. Tenter d’avoir des relais au niveau des médias français pour informer l’opinion publique
française des combats qui se mènent sur la question en Afrique ;
3. Publier les actes de ce colloque afin d’amplifier le combat ici et en Afrique.
En Afrique :
1. Organiser un colloque en 2016 pour amplifier la pression sur les dirigeants afin que les
engagements sur l’échéance de 2020 soient respectés ;
2. Impliquer les parlementaires, notamment les députés, ce qui a commencé à être fait au
Sénégal, mais au-delà impliquer ceux du Parlement de la CEDEAO ; Impliquer également les
partis politiques ;
3. Rédiger une lettre ouverte au Président de la CEDEAO, en l’occurrence Macky Sall, afin
d’exiger le respect des engagements concernant la création de la monnaie unique ouestafricaine à l’horizon 2020 et faire en sorte qu’il fasse de son mieux pour faire avancer ce
dossier pendant son mandat ;
4. Partager ce combat avec les populations : ce qui suppose de s’adresser à elles en langues
nationales et aussi de traduire les concepts relatifs à cette question ;
5. Approfondir la réflexion sur le modèle de la monnaie unique, il ne faudrait pas recopier les
errements de la zone euro. Il est nécessaire que la mise en place de cette monnaie unique
coïncide avec un changement de paradigme ;
6. Porter davantage ce combat au sein du Forum social africain.
 Kako Nubukpo, économiste, ancien ministre du Togo
1. Travailler sur les éléments négligés, notamment de l’ordre de la symbolique : 55 ans après les
indépendances, il n’y a toujours aucune usine de fabrication des francs CFA dans la zone,
elles sont en France. Sans faire de procès d’intention, si Paris décidait d’asphyxier la zone
franc, elle pourrait le faire ;
2. Remarquer que derrière l’apparente stabilité de la zone franc il y a toujours eu des forces qui
ont fonctionné de façon antagonique. Au moment des indépendances, on voulait sortir de la
zone franc. La nature des relations économiques faisaient pourtant qu’il y avait des raisons
objectives à y demeurer du fait de l’orientation du commerce. Cinquante-cinq ans après,
c’est exactement l’inverse, au niveau économique notre premier partenaire n’est plus la
France, mais la Chine, pourtant sur le plan politique nous aurions des raisons objectives de
rester dans la zone franc (interventions au Mali, en Centrafrique, opération Barkhane) ;
3. S’inspirer des expériences antérieures afin de relativiser l’impact d’une sortie de la zone
franc : le Cambodge, le Laos et le Vietnam étaient dans la zone franc, ils en sont sortis lors de
11
la conférence de Paris en 1954 ; en décembre 1956, la Tunisie a pris son indépendance
monétaire, le Maroc en 1959, l’Algérie en 1962. Ainsi, il est nécessaire de ne pas agiter le
chiffon rouge ;
4. Assumer une sortie par le haut : c’est-à-dire que la sortie de la zone ne doit pas impliquer
une désunion, il est nécessaire d’en sortir tout en restant unis afin d’opérer un saut
qualitatif ;
5. Ainsi faut-il passer à la confédération pour mutualiser les ressources en matière de Défense,
de Commerce, de Douanes, de Finances, etc. ;
6. Faire le lien entre la succession de chocs que subissent les sociétés et l’absence de réponses
structurelles aux questions de développement ;
7. A la tête des Etats africains, il y a des gestionnaires, il s’agit d’identifier des visionnaires aptes
à mener ce combat.
Les vidéos du colloque et certaines interventions sont disponibles sur le site de la fondation :
www.gabrielperi.fr
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BREVE HISTOIRE DE LA ZONE FRANC CFA 4
1939 : Les décrets du 28 août, et des 1er et 9 septembre 1939 instituent un strict contrôle des
changes entre la France et ses colonies d’une part, et le reste du monde d’autre part, pour se
protéger des déséquilibres structurels en économie de guerre.
1945 : Le 26 décembre 1945 sont créés le franc CFA, qui signifie alors « franc des colonies françaises
d’Afrique » et le franc CFP (« franc des colonies françaises du Pacifique »). Un franc CFA vaut alors 1,7
franc français.
1948 : La valeur du franc CFA est portée à 2 francs français.
1958 : Le franc CFA devient le « franc de la Communauté Française d’Afrique ». Après les
indépendances, il deviendra le « franc de la Communauté Financière d’Afrique » en Afrique de
l’Ouest et le « franc de la Coopération Financière en Afrique centrale ».
1959 : La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est créée, et se substitue à
l’Institut d’émission de l’Afrique occidentale française et du Togo. De la même manière, l’Institut
d’émission de l’Afrique équatoriale et du Cameroun fait place à la Banque centrale des Etats de
l’Afrique équatoriale et du Cameroun (BCEAEC).
1960 : La Guinée se retire de la Zone franc.
Le nouveau franc français entre en circulation : 1 FRF = 50 FCFA.
1962 : Les États d’Afrique de l’Ouest appartenant à la Zone franc créent une union monétaire :
l’Union monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest (UMOA) qui regroupe alors la Côte d’Ivoire, le
Dahomey (actuel Bénin), la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. Le
Mali quitte temporairement la Zone franc en choisissant d’émettre sa propre monnaie.
La même année, le 12 mai 1962, la France et les États de l’UMOA signent des accords de coopération
monétaire, dits « accords de Matignon » qui se substituent ainsi aux accords bilatéraux.
1965 : Les ministres des finances de la Zone franc se réunissent pour la première fois à Paris en mars
1965. Cette rencontre sera par la suite institutionnalisée à un rythme semestriel.
1972 : La Convention de coopération monétaire entre les États de l’Afrique centrale est signée le 22
novembre 1972. Elle deviendra la Convention régissant l’Union monétaire de l’Afrique centrale
(UMAC) en 1996 et sera modifiée en 2008. À l’instar des pays d’Afrique de l’Ouest, les États d’Afrique
centrale appartenant à la Zone franc s’engagent dans la constitution d’une union monétaire.
La France et les États de l’Afrique centrale appartenant à la Zone franc signent une convention de
coopération monétaire (Convention entre les États membres de la Banque des États de l’Afrique
centrale et la République française) le 23 novembre 1972. Cette convention n’a jamais été modifiée.
1973 : Le Traité constituant l’Union monétaire ouest-africaine est signé le 14 novembre 1973.
L’accord de coopération monétaire entre la République française et les Républiques membres de
l’Union monétaire ouest-africaine, l’un des trois accords de la Zone franc demeurés inchangés à ce
jour, est signé le 4 décembre 1973.
La Mauritanie choisit de ne pas signer le traité de l’UMOA et, partant, l’accord de coopération
monétaire avec la France. Elle quitte ainsi la Zone franc.
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Cet historique s’inspire très largement de la chronologie disponible sur http://www.tresor.economie.gouv.fr/8047_40ans-dhistoire-de-la-zone-franc (dernière consultation : 24 septembre 2015)
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Madagascar choisit d’émettre sa propre monnaie, et ne compte plus parmi les pays de la Zone franc.
Les États de l’Union monétaire ouest-africaine créent la Banque ouest-africaine de développement
(BOAD).
1975 : La Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) est créée.
1977 : Le siège de la Banque des États de l’Afrique centrale est transféré de Paris à Yaoundé au
Cameroun.
1978 : Le siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest est transféré de Paris à Dakar
au Sénégal.
1979 : La signature de l’Accord de coopération monétaire entre la République française et la
République fédérale islamique des Comores, entérinant l’appartenance de l’Union des Comores à la
Zone franc, intervient le 23 novembre 1979. La parité entre le franc français (FRF) et le franc
comorien (KMF) est fixée à 1 FRF = 50 KMF.
1981 : Une réunion des hauts fonctionnaires des ministères des Finances, des banques centrales et
des principales institutions de la Zone franc est instituée pour préparer la réunion des ministres des
Finances de la Zone franc.
1984 : Le Mali rejoint la Zone franc.
1985 : La Zone franc est élargie à la Guinée équatoriale.
Des unions monétaires aux unions économiques
À partir de 1994 et de la dévaluation, les États africains de la Zone franc s’engagent dans la
constitution d’unions économiques, complémentaires des unions monétaires.
1994 : Les francs CFA et comorien sont dévalués de respectivement 50% et 33%, le 11 janvier 1994. À
compter de cette date :
1 FRF = 100 FCFA au lieu de FRF = 50 FCFA
1 FRF = 75 KMF au lieu de 1 FRF = 50 KMF
Le Traité constitutif de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et le Traité
instituant la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) sont signés
respectivement le 10 janvier 1994 à Dakar et le 16 mars 1994 à N’Djamena au Tchad entre les États
membres de chacune des unions monétaires.
1997 : La Guinée-Bissau rejoint la Zone franc.
1998 : Le 23 novembre 1998, le Conseil de l’Union européenne reconnaît les accords de coopération
monétaire entre la France et les États de l’Union monétaire ouest-africaine, les États de la Banque
des États de l’Afrique centrale et l’Union des Comores, au motif principal que l’engagement de la
France relève d’un engagement budgétaire. Le passage à l’euro n’entraîne pas de modification de
parités.
A compter du 1er janvier 1999, 1€ = 655,957 FCFA et 1 € = 491,968 KMF.
2012 : Les accords de coopération monétaire de la Zone franc entrent dans leur 40e année.
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