Marco Alberio Professeur en développement social et territorial
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Marco Alberio Professeur en développement social et territorial
Marco Alberio Professeur en développement social et territorial Université du Québec à Rimouski Intervention au « Colloque sur l’aide à domicile en 2030 » organisé par Coup de main à domicile le 19 mai 2016. Les organisateurs nous ont lancé un beau défi en nous demandant de répondre à la question qui concerne l’état des services à domicile en 2030. Mes disciplines de référence (la sociologie et le développement régional) ne sont pas toujours en mesure de prévoir tous les scénarios possibles. J'ai alors choisi de donner une perspective et d'identifier les éléments et les enjeux macro à surveiller dans les prochaines années. Nous pouvons nous concentrer sur les trois grandes sphères de la régulation sociale qui sont : l’État (la forme de la redistribution), le marché (la forme de l’échange) et la famille/communauté (la réciprocité). Chacune de ces sphères - se chevauchant entre elles - est traversée par des changements à la fois d’ordre micro et macro social. En premier lieu, en ce qui concerne l’État, ses changements semblent s’inscrire dans un lent processus de « redéfinition du rôle étatique », un phénomène observable dans plusieurs pays depuis de nombreuses années. Selon plusieurs observateurs ce processus de reconfiguration comporte un passage progressif mais important de l’État régulateur à l’État accompagnateur. Ce qui pourrait pour certains entrainer une forme de désengagement. Pour donner un exemple : dans le système de santé Québécois on observe un changement de paradigme des fonctions providentielles de l’État. Dans le domaine de la santé, on parle depuis 1995 de « virage ambulatoire ». Dans ce système, le milieu de vie devient le lieu de dispensation des services de santé. La politique de soutien à domicile « Chez soi : le premier choix » introduite par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en 1 2003 en est un exemple. Cependant, l’adaptation n'est pas toujours facile. La cible reste encore l’aîné et les services sont souvent conçus comme une offre de dernier recours, ce qui peut également expliquer une réticence des familles à utiliser les quelques services qui leur sont offerts. L’offre n’est pas toujours adaptée aux besoins des aidants qui demandent du répit le soir, les weekends ou plusieurs heures pendant la journée afin de permettre la conciliation travail-famille-soin-vie personnelle, etc.). Les politiques nationales commencent à énoncer la nécessité de répondre aux besoins des familles, sans que des mesures concrètes soient pour autant facilement mises en œuvre. Pour toutes ces raisons, il est évident que l’autre sphère concernée par des grandes transformations soit la famille. La famille est touchée par les grands changements d’ordre démographique (vieillissement de la population, processus d’individualisation, augmentation constante de la participation féminine au marché du travail, etc.) mais également par la transformation des politiques de l’État. L’autre changement concernant la famille est de type culturel et met en cause les valeurs. La question de la modernité est fondamentale lorsqu’on traite des solidarités familiales dans une perspective de changement et de permanence. Les relations familiales ont fortement changé en mettant la dimension identitaire de l’avant. Les travaux sur la modernité mettent en évidence l’individualisation, à savoir le désir d’agir par soi-même et de se concevoir par soi-même. Les solidarités ont donc pris une forme nouvelle. Comme le notent Claudie Attias-Donfut et ses collègues : « La famille a su se transformer pour assurer ou tenter d’assurer cette fonction centrale de production identitaire. Elle peut le faire parce qu’elle dispose d’une ressource – l’amour – qui implique (au moins dans l’idéal) gratuité et inconditionnalité ». L’amour et l’intimité semblent donc être les bases de la famille moderne et contemporaine, bien que derrière cette organisation des sentiments, il reste encore des éléments d’obligation. Aujourd’hui l’obligation du soin et de la solidarité ne se fonde plus sur la coercition physique ou psychologique, mais se structure autour de la notion d’amour. C’est d’autant plus vrai pour la « génération sandwich » (voir par exemple les rapports de Statistique Canada) 2 où les personnes sont à la fois responsables de leurs enfants et des parents vieillissants. Les individus se trouvent ainsi pris en « sandwich » entre les deux générations et cumulent les responsabilités à leur endroit. Ceci est encore plus vrai pour les femmes. La troisième sphère essentielle à considérer est le marché. Le marché est conditionné par les phénomènes macro qui touchent également l’État et la famille. Il est fortement touché par les défis de la mondialisation, mais également par les enjeux démographiques et politiques. Le marché est confronté à la problématique du vieillissement de la main d’œuvre. C'est par exemple le cas dans des métiers tels que la pêche ou les soins de santé. Les employeurs sont également de plus en plus confrontés à la problématique des travailleurs proches aidants qui se trouvent à devoir concilier le travail avec la famille et les soins aux parents âgés. Souvent ils se trouvent surpris par cette problématique qu'ils n'ont pas prévue et pour laquelle ils n'ont pas encore planifié de solution. Le marché intérieur est aujourd’hui beaucoup moins homogène. Surtout au Québec, il est composé d’acteurs économiques « hybrides » tels que l’économie sociale ayant des objectifs à la fois sociaux et économiques. Ces acteurs sont tout sauf marginaux d’un point de vue économique. Cela change également la perspective du marché et pourrait permettre, dans le long terme, un renforcement du pilier plus « informel » représenté par la famille et la communauté. Un entreprenariat collectif encore plus fort peut ainsi devenir une réponse importante, au niveau national et local, au problème du vieillissement de la population et au besoin croissant d’aide à domicile. Cependant, il est essentiel de ne pas surresponsabiliser ce secteur, qui ne peut pas évidemment tout seul faire face aux défis du vieillissement de la population et à ses besoins en termes de services d'aide à domicile. Pour conclure, il est essentiel de trouver un nouvel équilibre, où les trois sphères (État, marché, famille/communauté) aient toutes leur légitimité et puissent donc partager de manière plus équitable les responsabilités, afin 3 d’éviter par exemple des formes de recul ou de déresponsabilisation de l’acteur public. La famille et la communauté ne peuvent plus simplement être conçues comme une solution de dernier recours, lorsque le marché et l’État ne sont plus capables de répondre à des besoins. Ce nouvel équilibre ne peut pas être improvisé dans l’urgence (gestion de crise) mais doit plutôt se construire au fur et à mesure. Pour toutes ces raisons, une mobilisation associative et citoyenne est également nécessaire, et encore plus dans un contexte « d’austérité », afin d’assurer un niveau de participation et un potentiel d’innovation sociale dans différents domaines, tels que l’aide à domicile, le soutien aux ainés et à leurs familles. D’autant plus que du bien-être de nos ainés et de leur maintien en santé et dans la vie active dépendent également les familles et les jeunes, qui reçoivent souvent eux-mêmes un soutien (émotionnel ou financier) de la part des ainés. 4