genrées - Psychologie du travail et des Organisations
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genrées - Psychologie du travail et des Organisations
PTO – vol 17 – n°2 Un regard structural sur l’inégalité des genres au travail : La causalité des différences « genrées » dans les caractéristiques de réseau de l’employé Structural Perspective on Gender Inequality at Work: Causes of Gender Differences in the Characteristics of the Employee Network Marina Burakova-Lorgnier, Département de psychologie, Université Bordeaux Segalen, 3, place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex (France) [email protected] Résumé La présente étude tente d‟identifier les différences « genrées » de la configuration de réseau de l‟employé et, de ce fait, de comprendre la nature des inégalités « genrées » dans les organisations. Les hypothèses présentées concernent quatre caractéristiques structurales de réseau : la taille, la densité, la centralité et le courtage social. Contrairement à de nombreuses études, aucune différence significative isolée entre les hommes et les femmes employés concernant leurs réseaux n‟est identifiée. Ces différences émergent suite à l‟impact du statut organisationnel et sont constatées uniquement à des niveaux supposant un certain pouvoir. Il est suggéré que le statut hiérarchique modère la relation entre le genre et les caractéristiques structurales de réseau. Plusieurs perspectives de recherche visant à préciser et à généraliser les effets observés sont proposées. Abstract This study aims at identifying gender differences in network structure and, hence, at understanding the underlying nature of gender inequalities in organisations. The hypotheses address four ego-network characteristics: network size and density, and ego‟s centrality and brokerage. Contrary to the existing body of literature, none significant isolated gender difference in network structure is identified. Instead, those gender differences are triggered exclusively by organisational status, that is to say, they are due to the increased level of power. Thus, organisational status is considered as moderating the relationship between gender and network structure‟s characteristics. Some further perspectives are suggested to clarify and generalise the phenomena observed. Mots-clés : genre, réseau, hiérarchie, plafond de verre. Key words: gender, network, hierarchy, glass ceiling. 175 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 1. Introduction Les différences « genrées » dans le contexte organisationnel ont été étudiées de manière extensive. La conclusion principale stipule que la ségrégation des genres au travail reste très prononcée (Carli & Eagly, 2001 ; Maruani, 2003 ; McDonald, Lin & Ao, 2009 ; Rothstein, Burke & Bristor, 2001). Elle est représentée au travers de nombreux indicateurs organisationnels évidents, tels que l‟écart de rémunération, la sélection et la promotion disparates ; et moins apparents, tels que la satisfaction et le stress perçu au travail (Brass, Galaskiewicz, Greve & Tsai, 2004 ; Judge & Livingston, 2008 ; Laufer, 2004 ; Meurs & Ponthieux, 2006 ; Miller, Labovitz & Fry, 1975). Les chercheurs semblent s'accorder autour de la thèse de plafonnement de carrière qui bloque les femmes (Carli & Eagly, 2001 ; Laufer, 2004 ; Brasseur, 2009). Cependant, les explications données aux disparités observées divergent. Deux types de discours se dessinent dans le corps abondant d‟études de genre appliquées au comportement organisationnel. Les représentants de la première branche présument qu‟il s‟agit de différences fondamentales dispositionnelles ou comportementales, relativement stables et insurmontables. Ainsi, dans son traité fondamental, Etzioni (1971) postule que, de manière générale, les femmes dans les organisations sont plus facilement contrôlables, moins consciencieuses et, de ce fait, occupent plus souvent les postes semi-qualifiés. Certaines études empiriques tentent de valider ce propos en associant les styles de management participatif et directif, les propensions à la coopération et à la compétition aux différences « femmes - hommes » ou encore, en opposant les archétypes masculins et féminins de gouvernance d‟entreprise (Laufer, 2004 ; Brasseur, 2002 ; Cliff, Langton & Aldrich, 2003). Cependant, ces tentatives ne s‟avèrent pas toujours efficaces et la nature des différences postulées reste peu claire. Les conclusions divergent, mais la question du plafond de verre persiste. La quête de réponses à cette question conduit certains auteurs vers l‟argument structural, selon lequel ces différences dépendent du contexte organisationnel, qui, seul, induit les inégalités « genrées ». Cet argument est fortement appuyé par les études méta-analytiques qui démontrent l‟absence de différences « genrées » en matière d'efficacité personnelle - du style de leadership - ou d‟aptitudes cognitives (Eagly & Johnson, 1990 ; Hyde, 1990). Enracinée dans le constructivisme social postulant que tout phénomène social dérive de son contexte (Berger & Luckmann, 1966), l‟argument structural tend à expliquer les inégalités entre les catégories des travailleurs par les représentations sociales (Amossé, 2004), les pratiques organisationnelles (e.g., Rothstein et al., 2001 ; McDonald et al., 2009) ou encore par les distorsions perceptuelles relatives à leur existence 176 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 organisationnelle (e.g., Ibarra, 1993). Cette position constructiviste est révélée dans toute sa complexité dans les concepts du « subtexte genré » (Smith, 1989) et « du masculin neutre » (Maruani, 2003). Introduit par Dorothy Smith il y a deux décennies (1989), le terme « gendered subtext », plus global, renvoie aux relations de gouvernance et de dominance présentées et perçues comme impersonnelles, neutres et abstraites, qui dissimulent la catégorie sociale de genre. Ce « subtexte genré » est d‟autant plus masqué par les pratiques organisationnelles que les employés ne sont pas conscients du fait qu‟ils sont inscrits dans la logique de barrières structurales. Tout au contraire, ils se montrent reconnaissants de la politique de diversité et de mixité censée instaurer l‟égalité des genres (Benschop & Doorewaard, 1998). Cependant, malgré l‟accès à tous les aspects formels de l‟égalité, les femmes sont toujours loin d‟accéder à l‟égalité de pouvoir (Laufer, 2004). Elles sont structuralement isolées des activités organisationnelles centrales qui ont du sens (McDonald et al., 2009). De plus, cet isolement s‟amplifie à la suite de leur passage au niveau hiérarchique supérieur et, donc, postérieurement à l‟extension de leur expertise et à l‟augmentation de leur responsabilité (Miller et al., 1975). Encastrées dans la structure organisationnelle, les différences « genrées » deviennent palpables grâce à la déconstruction des réseaux organisationnels. Cela permet non seulement de comprendre le genre comme antécédent des distorsions organisationnelles, mais aussi d‟appréhender ses effets sur le bien-être au travail et de saisir la nature des différences entre les hommes et les femmes en termes de satisfaction, d‟attitudes et de stress au travail (Miller et al., 1975 ; Brass et al., 2004). Les études dans la perspective structurale avertissent les chercheurs de l‟analyse du genre au travail sans la prise en compte des barrières structurales spécifiques qui ont pour but de diminuer les avantages auxquels les femmes pourraient accéder grâce à l‟avancement hiérarchique. Dans cette optique, nous allons tenter de démontrer l‟inconsistance du paradigme essentialiste fondé sur le déterminisme dispositionnel et chercher à identifier les caractéristiques de réseau instrumental (la manière dont les interactions sont structurées) à travers lesquelles les femmes se trouvent désavantagées dès qu‟elles grimpent des échelons. 2. Genre et hiérarchie organisationnelle Le genre est conventionnellement défini comme "sexe social". Le paradigme constructiviste (Berger & Luckmann, 1966) recouvre dans cette définition un sens profond qui consiste à penser le genre comme une construction sociale, libre de toute différence innée. Le genre est donc, pluriel, flexible, mais aussi transversal. Comme réalité subjective, il est la résultante de l‟activité de chaque société ; comme réalité objective, il détermine, configure, perce tous les aspects de la vie sociale. Ainsi, d‟un 177 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 côté, le genre renvoie aux représentations sociales du masculin et du féminin et, d‟un autre, il assigne une asymétrie « genrée » aux relations sociales. Dans le comportement organisationnel, on retrouve toutes les distorsions « genrées » les plus caractéristiques. On croit, par exemple, à l‟existence des styles masculins et féminins de leadership et/ou de management (Brasseur, 2002 ; Cliff et al., 2003) ; on croit au potentiel de compétence différent des femmes et des hommes (Hyde, 1990) ; on croit à la justesse du sexisme volatile (Carli & Eagly, 2001 ) ; et finalement, on croit à la légitimité des discours discriminatoires à l‟égard des femmes (Benschop & Doorewaard, 1998). Durant plusieurs décades, les chercheurs avertissaient des effets néfastes que le plafond de verre pouvait avoir sur tous les indicateurs psychologiques organisationnels (e.g., Miller et al., 1975 ; Brass et al., 2004). Aujourd‟hui, les conditions de traitement des femmes et des hommes paraissent plus ou moins identiques (Storvik & Schøne, 2008). Cependant, les femmes semblent toujours être privées de l‟accès aux ressources critiques organisationnelles (Judge & Livingston, 2008). Trois explications sont actuellement proposées pour comprendre ce phénomène. La première évoque le phénomène d‟homophilie qui consiste à être attirés par des individus semblables et, donc, à produire des réseaux homogènes (Ibarra, 1992). La deuxième renvoie au mécanisme de clôture sociale fondé sur l‟empressement du groupe dominant à préserver sa position structurale privilégiée par le biais de l‟exclusion de son cercle des individus ayant le statut inférieur (McDonald et al., 2009). La troisième, contrairement à l‟argument rationaliste wébérien, indique que le mécanisme de distribution des récompenses organisationnelles fonctionne de telle manière qu‟il préserve les intérêts des hommes en intensifiant les différences « genrées » aux niveaux hiérarchiques supérieurs ; car la présence des femmes à ces niveaux-là - face aux hommes - représente une menace beaucoup plus importante qu‟aux niveaux organisationnels inférieurs (Brass, 1985). 3. Caractéristiques du réseau de l’employé La notion de réseau social renvoie à un ensemble d‟acteurs (individus ou unités organisationnelles) connectés par un certain nombre de liens (Borgatti & Foster, 2003). L‟utilisation de cette notion présente plusieurs avantages conceptuels pour la psychologie des organisations. Il élargit le concept de groupe et permet de redéfinir l‟unité sociale en termes de phénomènes observables ; il permet aussi de revendiquer le caractère réel de l‟ensemble social, car l‟analyse commence non pas à partir des catégories aprioristes, mais cherche à établir leur présence à la base des relations étudiées (Eve, 2002). L‟approche par réseau facilite le détachement de la psychologie des organisations de la tradition expérimentale cherchant à isoler des effets singuliers de toute interférence car elle postule que 178 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 l‟organisation est encastrée dans le réseau des relations sociales (Granovetter, 1973). Dans cette optique, l‟employé est indissociable du contexte organisationnel. De ce fait, l‟état psychologique/psychosociologique du travailleur doit être étudié en lien avec le contexte organisationnel dans lequel il existe, donc, en lien avec les réseaux qu‟il détient au sein de son organisation. Les tendances dans la recherche sur les aspects « genrés » du réseau social sont très diverses. Certains trouvent que les hommes et les femmes possèdent des réseaux différemment configurés (Ibarra, 1992 ; Miller et al., 1975 ; Moore, 1992 ; McDonald et al., 2009 ; Staber, 1993). Les autres communiquent l‟absence de différences particulières (Brass, 1985 ; Cromie & Birley, 1992). Malgré le manque d‟indications claires dans ce domaine, le regroupement de diverses données empiriques revendique la nécessité d‟une analyse plus scrupuleuse du lien entre le genre et la structure de réseau. Une chose est certaine : le réseau fait partie des pratiques organisationnelles qui facilitent la compréhension du phénomène de plafond de verre (Laufer, 2004). La démarche de la présente étude poursuit en partie les propos de Burt (1992), qui accorde une attention particulière à la taille et à la densité de réseau, ce qui se traduit par le nombre d‟acteurs et la réciprocité des liens entre eux dans un réseau égo donné. Les avantages du réseau social découlent du nombre de trous structuraux qu‟il possède (Burt, 2000)1. En résumant, les caractéristiques du réseau qui sont considérées comme les plus représentatives en termes de sa configuration et qui sont le plus souvent étudiées renvoient à la taille et à la densité de réseau, ainsi qu‟à la centralité et le courtage de son égo (e.g., Burt, 1992, 1998 ; Ibarra, 1992 ; Staber, 1993). Pour examiner l‟effet du genre sur la structure de réseau, nous allons nous focaliser sur ces caractéristiques-là. 3.1. Taille de réseau La taille du réseau de l‟employé révèle l‟amplitude de son accès aux ressources organisationnelles. Les recueils de données concernant les différences « genrées » de la taille de réseau sont très rares. Brass (1985) et Vandervoort (2000) indiquent l‟absence de différences « genrées » significatives dans la taille du réseau. Selon Staber (1993), les femmesentrepreneurs possèdent des réseaux deux fois plus larges que les hommes. Il 1 Les trous correspondent aux déconnexions entre les acteurs d‟un même réseau et, donc, se traduisent par une densité plus faible. L‟individu possédant le réseau peu dense profite des déconnexions entre les autres afin de jouer le rôle de courtier (broker) en manipulant les ressources disponibles et recherchées par les unités déconnectées (Burt, 2000). 179 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 est également indiqué, que la taille de réseau est positivement liée au statut hiérarchique de son égo (Brass et al., 2004 ; McDonald et al., 2009). 3.2. Densité de réseau La densité de réseau renvoie au nombre de liens entre tous ses membres (Wasserman & Faust, 1994). Puisque le contrôle informationnel et le potentiel de pouvoir sont liés au nombre de trous structuraux (Burt, 1992), le réseau peu dense sera plus propice à la promotion. En même temps, plusieurs auteurs indiquent que les femmes construisent des réseaux plus denses que les hommes (Ibarra, 1992 ; Staber, 1993). Cependant, Burt (1998) s‟oppose à l‟idée d‟associer la réussite professionnelle avec un seul type de réseau et suppose qu‟elle requiert des types de réseaux différents pour les hommes et les femmes. 3.3. Centralité de réseau La centralité de l‟égo représente son activité dans le réseau (Borgatti & Foster, 2003). Elle est considérée comme indicateur de l‟efficacité de l‟individu et de l‟intégration dans la vie organisationnelle (Moore, 1992) ; de son prestige (Eve, 2002) ; et enfin, de son pouvoir et son influence (Burt, 1992). A l‟unanimité, les chercheurs trouvent que les hommes sont plus centraux que les femmes. Les antécédents de cette différence renvoient aux barrières organisationnelles (Miller et al., 1975 ; Ibarra, 1992). Les conséquences concernent la promotion (Ibarra, 1992), la satisfaction au travail, le contrôle sur les ressources (Ibarra, 1993), l‟intégration organisationnelle (McDonald et al., 2009) et le pouvoir d‟influence (Miller et al., 1975). 3.4. Courtage social La dimension de courtage social (social brokerage) a été introduite par Burt (1992) pour révéler l‟avantage des trous structuraux. Le courtage correspond au potentiel d‟un individu de se mettre dans un trou structural et de profiter du manque d‟information éprouvé par un acteur du réseau afin d‟augmenter son pouvoir en lui indiquant le chemin vers des ressources recherchées (Burt, 1992). De nombreuses études confirment le caractère bénéfique des trous structuraux. Le potentiel de courtage est lié à la réussite de carrière, à la capacité à innover, à la créativité, etc. (Burt, 1992 ; Brass et al., 2004 ; Chollet, 2006 ; Oh & Kilduff, 2008). L‟extension des résultats obtenus par Chollet (2006) nous permet d‟estimer que le courtage a un lien avec le statut hiérarchique. Pour ce qui est de l‟effet du genre, seul Burt 180 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 (1998) indique que les femmes sont moins prédisposées au courtage ; cependant, la nature de cette différence reste à clarifier. 4. Méthodologie de l’étude 4.1. Modèle et mesures La revue de littérature en question nous permet de supposer que la configuration de réseau (autrement dit, le réseau instrumental) peut être affectée par le genre et le statut hiérarchique de son propriétaire/égo (Fig.1). Le but de notre étude consiste, donc, à étudier les effets du genre et du statut hiérarchique, ainsi que de leur interaction, sur la configuration de réseau. La configuration de réseau est étudiée à travers quatre caractéristiques structurales. La taille de réseau égo est opérationnalisée comme taille efficace de réseau (effective network size) ; elle correspond au nombre de liens non-redondants possédés par un acteur (Burt, 1992). La densité de réseau égo de l‟employé est définie sur la base de la comparaison des liens existants avec tous les liens possibles dans le réseau égo (Wasserman & Faust, 1994). La centralité de l‟employé est opérationnalisée à travers la centralité entrante (centrality in-degree) (Freeman, 1979), qui est calculée sur la base du nombre de liens entrants, en d‟autres termes, du nombre de fois que l‟individu est choisi par les autres. Ce type de centralité reflète le mieux le prestige et l‟influence de l‟acteur2. Le courtage est identifié quand dans une triade d‟acteurs A, B et C - A est en lien avec B, et B avec C, mais A n‟a pas de lien avec C. Ainsi, B est considéré comme courtier, puisqu‟il assure le lien entre A et C (Gould & Fernandez, 1989).3 Les participants ont indiqué leur genre, leur âge, ainsi que leur unité de travail. Le statut a été attribué par le chercheur sur la base du principe déterminé lors de l‟entretien avec la direction de l‟entreprise : niveau 1 correspondait à la population cadre ; niveau 2 – aux agents de maîtrise ; niveau 3 – aux employés sans charge administrative. 2 La taille efficace, la densité de réseau et la centralité in-degree sont calculées par le logiciel ORA® (Carley, K.M. (2001-2010). Organization Risk Analyzer. - Center for Computational Analysis of Social and Organizational Systems (CASOS), Institute Science, Carnegie Mellon University). 3 Il est calculé par le logiciel Ucinet® (Borgatti, S.P., Everett, M.G., & Freeman, L.C. (2002). Ucinet for Windows: Software for Social Network Analysis. Harvard, MA: Analytic Technologies.) 181 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 Figure 1. Modèle de l’étude Taille Genre Densité Configuration de réseau Centralité Statut Courtage 4.2. Méthodes de recueil de données et échantillonnage. L‟analyse du réseau social nécessite l‟interrogation de tous les membres représentant une même organisation, ce qui découle du principe des frontières du réseau. La reconstruction du réseau se fait en accord avec l‟approche réaliste (Ibarra, 1992), donc, par le biais de la reconstitution du réseau de chaque individu, en d‟autres termes, du réseau égo donné. Afin de reconstituer le réseau égo de chaque employé, nous avons demandé aux participants d‟indiquer les noms de personnes avec qui ils échangeaient des informations liées au travail. Cette formulation a été choisie afin d‟étudier le seul réseau instrumental et non le réseau expressif, qui, contrairement au réseau instrumental représentant la structure de relations, traduit leur contenu. A la base des données ainsi obtenues, nous avons constitué une matrice adjacente de choix. Elle a été ensuite épurée : seules les personnes choisies par plus d‟une personne sont retenues dans l‟échantillon (Ibarra, 1992). La matrice a été ensuite analysée par le biais des logiciels ORA® et Ucinet® afin de calculer les caractéristiques structurales du réseau de chaque sujet. La présente étude a été conduite dans une entreprise de grande distribution de la région parisienne. Ce type d‟entreprise a été choisi pour deux raisons. D‟une part, il est caractérisé par une mixité des genres (60% de femmes contre 40% d‟hommes, Tableau 1). D‟autre part, il est marqué par un plafonnement de carrière typique, qui correspond au déclin de la représentation des femmes avec le passage au niveau hiérarchique supérieur (33% de femmes au niveau supérieur, 35% - au niveau intermédiaire et 77% - au niveau inférieur, Tableau 1). 182 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 Tableau 1. Caractéristiques de la population étudiée Cadres Femmes Hommes Total 8 15 23 Hiérarchie Age Agents Total de Employés 18-24 25-34 35-44 45-55 maîtrise 14 72 6 19 26 14 94 26 22 12 24 32 24 63 40 94 18 43 58 38 157 Tous les sujets ont participé à l‟étude volontairement, le recueil de données a été effectué en face-à-face, ce qui a permis d‟expliquer le but et le principe de confidentialité de l‟étude. 5. Résultats Afin d‟examiner notre modèle conceptuel et compte tenu du caractère des variables indépendantes4, nous avons opté pour l‟application du modèle général multivarié5. L‟appréciation des valeurs de Lambda de Wilks, de Trace de Pillai, de Trace de Hotelling et de la plus grande racine de Roy6, ainsi que du seuil de significativité et des R2 concernant chaque caractéristique de réseau (Tableau 2) permet de conclure que la contribution du genre, du statut hiérarchique, ainsi que de leur interaction au modèle est suffisamment puissante (hormis la densité de réseau). Pour préciser leurs effets, nous allons maintenant procéder à l‟analyse de l‟impact de chaque variable indépendante sur chaque caractéristique de réseau. Comme l‟indique le Tableau 2 récapitulant les résultats du test multivarié, un nombre acceptable de variance concernant la taille de réseau (R2 = ,658), la centralité (R2 = ,562) et le courtage (R2 = ,622) sont expliqués par le présent modèle. Quant à la densité de réseau, il est légitime de parler uniquement du caractère tendanciel de l‟effet des variables indépendantes sur la densité de réseau (R2 = ,333). 4 En addition des variables indépendantes « genre » et « statut hiérarchique », nous avons contrôlé la variable sociodémographique « âge », car certains auteurs (e.g., Borgatti & Foster, 2003) indiquent qu‟elle peut déterminer certaines caractéristiques du réseau. Elle a été exclue de l‟analyse subséquente due à sa contribution moindre au modèle. 5 Le test statistique du modèle a été effectué à l‟aide du logiciel PASW 18.0 ® (SPSS Inc.). 6 En dépit du volume suffisant, ces indicateurs ne sont pas rapportés dans le tableau. 183 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 Tableau 2. Sommaire du test multivarié Genre Variable dépendan te Taillea Densitéb Centralit éc Courtage d D p 28,7 0 17,6 1 22,4 7 38,5 9 ,00 0 ,00 0 ,00 0 ,00 0 Hiérarchie x Genre Hiérarchie ηp 2 ,1 6 ,1 0 ,1 3 ,2 1 D p 75,6 0 ,00 0 ,00 2 ,00 0 ,00 0 6,42 53,7 5 51,8 1 a. R2 = ,658 (R2 ajusté = ,644) b. R2 = ,333 (R2 ajusté = ,307) ηp 2 ,5 2 ,1 0 ,4 1 ,4 2 D p 20,47 0 ,00 0 ,68 8 ,00 0 ,00 0 ,375 10,25 0 27,16 6 ηp 2 ,2 2 ,0 0 ,1 1 ,2 7 c. R2 = ,562 (R2 ajusté = ,545) d. R2 = ,622 (R2 ajusté = ,607) Le genre a un impact significatif (p≤ ,00) mais faible sur toutes les caractéristiques de réseau : la taille (ηp2=,16), la densité (ηp2=,10), la centralité (ηp2=,13) et le courtage (ηp2=,21). Le statut hiérarchique a un effet significatif (p≤ ,00) de taille modérée à fort sur la taille (ηp2=,52), la centralité (ηp2=,41) et le courtage (ηp2=,42). Seule la densité de réseau (ηp2=,16) n‟est pas fortement affectée par le statut de son propriétaire. L‟interaction du genre avec le statut hiérarchique augmente la taille d‟effet sur la taille de réseau (ηp2=,22) et le courtage (ηp2=,27) comparé à l‟effet du genre seul, mais s‟avère non significative (p=,69) quant à la densité de réseau. Nous pouvons donc supposer que le statut hiérarchique renforce l‟effet du genre au moins sur la taille de réseau et le courtage. Pour confirmer cette supposition, il faut prendre en considération la comparaison des moyennes post hoc. Dans le Tableau 3 sont reportés les résultats de la comparaison multiple post hoc 2 x 3 x 4 (genre x statut hiérarchique x caractéristiques de réseau). Si nous avions tenu compte uniquement des moyennes générales des caractéristiques du réseau obtenues par les hommes et les femmes, nous pourrions constater les différences « genrées » significatives concernant toutes les caractéristiques du réseau. Cependant, nous supposons l‟existence d‟un effet plus complexe dû à l‟interaction entre le genre et le statut hiérarchique. 184 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 Tableau 3. Comparaison des moyennes des caractéristiques structurales du réseau Taille M σ Cadres 23,532, ,99 Densité M σ Hommes 26,023 4,42 3 AdM Centralité M σ ,402, ,02 ,75 31,053 ,82 1, 3,35 217,572, ,02 28,151 12,3 2 9,36 ,02 8,551 5,17 ,22 ,0 1 84,81 6,19 ,222, ,03 46,132,3 ,02 18,861 ,01 10,291 16,8 7 12,7 5 5,62 25,25 7,33 3 8,621,3 Courtage M σ ,171, 3 3 1,2 Employé s Total 5,18 12,44 ,50 Cadres 11,752, 1,3 5 1,0 2 ,45 Employé s Total 3,65 2 3 AdM 39,65 7,431,3 5,811,2 32,37 2 2,18 Femmes 40,343 6,05 3 42,333 4,57 ,59 ,131, 3 55,891, 2,02 2 8,32 ,101, 46,56 ,101, 2 2,5 8 Test LSD. M – moyenne ; ET – écart type ; ,15 ,0 1 1,2,3 - différence des moyennes significative au niveau ,05 ; (comparaison avec les cadres -1 ; avec les agents de maîtrise – 2 ; avec les employés – 3). C‟est l‟estimation des moyennes de chaque caractéristique par genre x statut (Tableau 3), ainsi que la représentation graphique de la distribution de ces moyennes (Fig. 2 et 3), qui démontrent clairement que l‟écart concernant trois caractéristiques de réseau (la taille de réseau égo, la centralité et le courtage de l‟employé) entre les genres est affecté par le statut hiérarchique de l‟employé. Au niveau inférieur hiérarchique, qui est caractérisé par l‟absence de charge administrative, il n‟existe aucune différence « genrée » significative des caractéristiques de réseau. En revanche, chez les cadres (niveau 1), l‟écart entre les femmes et les hommes est frappant. Comparés aux femmes-cadres, les hommes-cadres ont le réseau 2 fois plus nombreux (M=23,53 contre M=11,75), une meilleure centralité (,40 contre ,22) et un index de courtage 5 fois plus élevé (217,57 contre 46,13) (Tableau 3). 185 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 Figure 2. Impact du genre et du statut hiérarchique sur la taille et la densité de réseau de l’employé Figure 3. Impact du genre et du statut hiérarchique sur la centralité et le courtage de l’employé 186 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 L‟appréciation visuelle des graphiques (Figures 2 et 3) de la distribution des caractéristiques de réseau en fonction du genre et du statut hiérarchique des employés nous permet de mieux cerner le « vecteur » de l‟effet des variables indépendantes sur le réseau. Premièrement, il n‟existe pas de différences « genrées » de la taille de réseau, de la centralité et du courtage au niveau hiérarchique inférieur. Au niveau hiérarchique intermédiaire, les différences « genrées » concernant les mêmes trois caractéristiques sont peu significatives, tandis que chez les cadres, ces différences sont importantes. Donc, ces différences sont produites par le statut hiérarchique. Seule la densité de réseau varie en fonction du genre quel que soit le statut de l‟employé. Or, comme nous l‟avons précédemment indiqué, la taille d‟effet du genre et du statut sur la densité est faible. Il faut donc reconsidérer les facteurs déterminant les différences de la densité observées. 6. Conclusion et discussion Les conclusions principales de la présente étude visant à délimiter la détermination « genrée » du réseau instrumental de l‟employé sont au nombre de deux. Premièrement, contrairement à de nombreuses études (Miller et al., 1975 ; Ibarra, 1992, 1993 ; Staber, 1993 ; McDonald et al., 2009), nous n‟avons pas détecté de différences dans la configuration du réseau dont le genre est le facteur de premier ordre. La faible taille d‟effet ne permet pas d‟inscrire la densité dans la logique essentialiste des différences « genrées ». Ces différences sont uniquement observées parmi les employés ayant un statut hiérarchique élevé. De ce fait et deuxièmement, les différences « genrées » possèdent un caractère secondaire et émergent « grâce » à l‟intervention du statut hiérarchique (Figure 4). Est-ce si surprenant ? Le « subtexte genré » (gendered subtext), malgré son caractère masqué, distord toute existence organisationnelle et la colore d‟une teinte amère d‟inégalité (Smith, 1989). Les dominants veillent à ce que leur position soit protégée (Brass, 1985). La discordance de notre étude avec celles mentionnées au-dessus s‟explique par une subtilité méthodologique. La comparaison des moyennes obtenues par les hommes et les femmes a peu de valeur sans la prise en compte de la stratification organisationnelle, qui, seule, permet d‟identifier la nature de différences « genrées ». Notre étude a donc pu surmonter cette limite et avancer la compréhension de ce type de causalités. 187 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 Figure 4. Modèle révisé Taille Statut Configuration de réseau Centralité Genre Courtage Nos résultats sont à l‟unisson de l‟étude de Sagas et Cunningham (2004), qui indiquent que les hommes et les femmes ne se différencient pas en termes de capital social. C‟est le retour sur l‟investissement dans la construction de leurs réseaux qui les distingue. Seuls les hommes sont récompensés pour leurs efforts de construction du réseau, tandis que les mêmes efforts n‟apportent rien aux femmes en termes de promotion et de réussite professionnelle. Burt (2000), confronté au même type de résultats, propose de se focaliser sur les événements de la vie du propriétaire de réseau. Il suppose que les carrières des femmes sont tracées par les mariages, les divorces et la venue des enfants plus que celles des hommes. C‟est peutêtre pour cette raison que les femmes se tournent plutôt vers la dimension relationnelle au travail, car c‟est la seule qui leur permet de mieux se réaliser (Spain, Bédart, & Paiement, 1997) ? Cependant, pour certains chercheurs (Eddleston et al., 2006), cette orientation représente une stratégie de construction de carrière et d‟avancement hiérarchique propre aux femmes, tandis que les hommes emploient la stratégie axée sur le statut. Si nous persistons à maintenir ce type de causalité dispositionnelle et extrapolons les données de l‟étude de Oh et Kilduff (2008) sur le lien entre le courtage et le contrôle interne, nous devons conclure que tous les hommes cadres ont un degré de contrôle interne significativement supérieur à celui des femmes. Seulement, compte tenu des méta-analyses sur les différences « genrées » (e.g., Eagly & Johnson, 1990 ; Hyde, 1990), cette supposition est totalement absurde. Alors, pourquoi existe-t-il une telle régularité ? Revenant sur la métaphore de plafond de verre, nous supposons qu‟il s‟agit plutôt de la « cage de verre » dans laquelle se trouvent les femmes qui ont réussi à atteindre un certain niveau dans la hiérarchie organisationnelle. Peut-être, au lieu de parler des obstacles qui séparent les femmes du sommet des hiérarchies professionnelles, faut-il se tourner vers le fait que les 188 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 femmes peuvent atteindre ce sommet, mais se trouvent soudainement structuralement isolées. Cela se traduit par l‟accès réduit aux ressources organisationnelles dont bénéficient les hommes ayant le même type et le même niveau de poste. C‟est donc l‟organisation qui créerait les différences « genrées ». 7. Perspectives et applications La présente étude pourrait bénéficier de plus amples avantages grâce aux certains apports méthodologiques. Premièrement, la comparaison de plusieurs secteurs d‟activité serait propice en termes d‟extrapolation des résultats obtenus. Deuxièmement, l‟étude longitudinale serait idéale pour suivre les employés dans leur évolution professionnelle afin d‟observer la modification des caractéristiques structurales de leurs réseaux égo. Troisièmement, il serait intéressant d‟effectuer la même sorte d‟étude en comparant deux types de réseau : instrumental/formel et expressif/informel. L‟étude de ce dernier, qui semble être davantage clôturé à l‟égard des femmes (Moore, 1992) et davantage recherché par eux-mêmes (Spain et al., 1997), pourrait nous aider à éclairer le lien entre le genre et la densité de réseau en particulier et celui entre le genre et la dimension relationnelle du réseau de manière générale. L‟application principale de cette étude consisterait dans la déconstruction du « subtexte genré » désavantageant les femmes dans les organisations. L‟analyse du réseau organisationnel donne la possibilité de mesurer littéralement les effets de ce subtexte qui deviennent particulièrement néfastes au sommet de la hiérarchie organisationnelle. Comparée à d‟autres cadres conceptuels, l‟approche par réseau permet de sonder les barrières structurales organisationnelles qui deviennent de moins en moins visibles, étant donnée que les organisations se trouvent dans l‟obligation d„adopter des politiques de quotas ou, encore, des chartes de diversité ou d‟égalité. Cette approche dépasse le simple constat des différences « genrées » dans les organisations (telles que, par exemple, la ségrégation professionnelle ou l‟écart de rémunération), car elle vise à identifier des subtils mécanismes qui mettent la femme dans une « cage de verre » tout en gardant l‟impression d‟égalité des genres. Quoi qu‟elle possède le même statut et perçoit le salaire équivalent à celui d‟un homme, la femme n‟a pas d‟accès aux mêmes ressources organisationnelles. S‟agit-il du fameux débordement de genre (gender-role spillover) dont les antécédents sont abondants ? Nous pouvons certainement faire référence à de nombreux facteurs structuraux : l‟inscription des femmes dans la catégorie de la minorité numérique qui se traduit par leur perception comme personnages anecdotiques ; les attitudes sexistes résultant de l‟inacceptation des femmes dans le rôle de supérieur ; les contenus des 189 Marina Burakova-Lorgnier / PTO – vol 17 – n°2 catégories de masculinité et de féminité qui restent rigides et peu cohérents à la réalité organisationnelle, ce qui suscite le conflit identitaire genré, etc. (Eagly & Johnson, 1990). Quelle serait l‟action qui aurait visé ces facteurs et qui aurait apporté aux femmes la qualité de rapports humains tant recherchée (Spain et al., 1997) ? Au lieu de concevoir des politiques organisationnelles complexes, nous proposons de revenir à l‟intervention paradoxale de Jacob Moreno (1953), prémisse de l‟analyse des réseaux sociaux, qui consiste à modifier le contenu de l‟interaction en transformant sa structure et celle qui va à l‟essence de la « cage de verre ». Références Amossé, T. (2004). Professions au féminin : représentation statistique, construction sociale. Travail, Genre et Société, 11, 31-46. Benschop, Y., & Doorewaard, H. (1998). Covered by Equality: The Gender Subtext of Organizations. Organization Studies, 19(5), 787-805. Berger, P.L., & Luckmann,T. (1966). The Social Construction of Reality. New York : Doubleday. Borgatti, S.P, & Foster, P.C. (2003). The Network Paradigm in Organizational research : A Review and Typology. Journal of Management, 29(6), 991-1013. Brass, D.J. (1985). Men‟s and Women‟s Networks : A Study of Interaction Patterns and Influence in an Organization. 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