caboteursde l`île d`Yeu

Transcription

caboteursde l`île d`Yeu
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous
(Cliché : Jeanlin)
Par Jean-François Henry
Dossier coordonné
par Christine Grandin
Maquette ancienne du chasse-marée le Saint-Paul,
armé pour la pêche au thon. (Collection particulière)
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Les cabo
L' auteur,
Jean-François Henry
Cet article présente de façon
abrégée la conférence de Jean-François
Henry sur "Les marins de l’île d’Yeu, rois
du cabotage", dans le cadre du colloque
Les Vendéens et la mer qui aura lieu
les 20, 21 et 22 septembre prochains aux
Sables-d’Olonne(1).
Jean-François Henry est originaire de
l’île d’Yeu. Docteur en histoire, il a consacré l’essentiel de ses recherches à l’histoire de l’île et du monde maritime. Il a
publié plusieurs ouvrages : Des Marins
au siècle du Roi-Soleil, La Dame du
Grand-Mât, L’île d’Yeu au large de
la Guerre de Vendée, La Fagoteuse
et écrit dans différentes revues comme
Chasse-Marée, 303, Recherches
Vendéennes… Il participe régulièrement aux programmes muséographiques
réalisés par la Conservation des musées
de Vendée.
Renseignements complémentaires et inscriptions
au Centre Vendéen de recherches historiques.
Contact au 02 51 47 74 49. Lire également notre
article dans le numéro de juin en page 9.
(1)
L’image de l’île d’Yeu est étroitement associée
aujourd’hui aux vacances, aux excursions et à la
pêche. On a du mal à imaginer qu’il y a trois siècles,
cette île qui nous semble isolée, au large de nos
activités quotidiennes, était le plus grand centre
d’armement au cabotage de la côte atlantique et que
sa position en faisait un enjeu stratégique important
pour l’activité économique de notre pays.
P
our bien comprendre l’importance de la situation de l’île
d’Yeu aux XVIIe et XVIIIe siècles,
il faut se remettre dans l’ambiance de
l’époque. Les routes étaient encore
peu nombreuses et les transports difficiles et hasardeux. L’activité économique était essentiellement fluviale et
maritime. La Loire, par exemple, était
"l’autoroute" de l’époque. Des milliers
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de gabares venues du centre du
royaume parvenaient jusqu’à Nantes,
chargées de tous les produits du Massif Central, de ceux du Bassin Parisien
et d’ailleurs. Les voyageurs empruntaient assez peu la chaise de poste et
préféraient le coche d’eau qui les
menait d’Orléans à Nantes. Et ce qui
est vrai pour la Loire, peut se transposer à toutes les rivières et canaux.
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La tarte de noces
C’était aussi l’époque de la gloire des
grands ports comme Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Lorient, Brest et
Rochefort. Colbert, en développant
l’activité maritime du royaume de
France, avait bien compris que l’essor du pays passait par le rayonnement de sa marine.
Dans ce contexte, l’île d’Yeu pouvait se flatter d’avoir une situation tout
à fait remarquable. N’était-elle pas
sur la route des caboteurs qui longeaient les côtes, d’Espagne vers les
pays nordiques : Angleterre, Pays-Bas,
etc ? Placée entre les côtes aquitaine
et armoricaine, entre Bordeaux et
Nantes, elle accueillait les petites
barques qui relâchaient en rade de
Port-Breton, fuyant le mauvais temps,
les corsaires ou les flottes ennemies(1).
La position éloignée en mer de cette
île du Bas-Poitou en avait fait aussi le
premier point d’atterrage de tous les
vaisseaux qui venaient du Nouveau
Monde.
Port-Breton,
grand port de cabotage
Les marins scrutaient avec impatience sur l’horizon la flèche pointue
du clocher de l’église Saint-Sauveur
de l’île d’Yeu. Elle annonçait la fin des
souffrances de la traversée atlantique
et la relative sécurité des côtes du
royaume de France. Sentinelle sur la
frontière maritime, l’île avait donc un
rôle stratégique considérable. L’île
d’Yeu comptait quelque 5 000 habitants à la fin du XVIIe siècle, soit autant
qu’aujourd’hui ! Son port principal,
Port-Breton, accueillait environ 170
petites barques qui faisaient la "fortune" de ses habitants. Les chassemarées étaient de petits bateaux de
faible tonnage, gréés en sloop, munis
de deux ou trois mâts (notre photo).
Les propriétaires de ces navires étaient
en général des habitants de l’île qui
se partageaient l’armement pour en
diminuer les risques. Ces navires por-
taient le plus souvent des noms de
saints : Marie et Sainte-Anne étaient
les plus représentés, mais on trouvait
parfois des noms plus curieux comme
La Ménagère ou encore La Fleur de
Lys…
L’équipage était formé d’un "maître", de deux ou trois matelots et d’un
"garçon" d’à peine dix ans qui apprenait comme mousse les premiers rudiments de la navigation. Mais
attention ! Pour pouvoir devenir "maître", les marins devaient suivre les
cours du maître d’hydrographie qui
enseignait aux Sables-d’Olonne. Le
diplôme de maître au cabotage était
absolument obligatoire pour commander une barque. Nos insulaires,
les Islais, comme on a coutume de les
appeler, commençaient leur saison
au début de l’automne, au moment
des foires de Bordeaux, pour y acheter le précieux breuvage. En effet, le
vin de Bordeaux constituait l’essentiel
de la cargaison des chasse-marées,
mais on trouvait aussi dans les cales
toutes sortes de marchandises : de
l’eau-de-vie et des prunes, du tabac
et de la résine(2). Elles se rendaient
vers les ports de Bretagne et poussaient même leur navigation jusqu’en
Manche et en Mer du Nord.
Il n’était jamais bon de naviguer
sur lest. C’est pourquoi, les chassemarées s’en revenaient avec du sel
du Pouliguen, du beurre ou des toiles
de Morlaix, de la morue séchée, etc.
Selon la distance parcourue, les
navires revenaient plusieurs fois à
Bordeaux ou à Nantes. C’est ainsi
qu’à l’époque de Louis XIV, l’île d’Yeu
était devenue le second port d’armement du vin de Bordeaux, derrière
Amsterdam mais devant Rotterdam !
Comme les insulaires bénéficiaient du
statut privilégié des îles de mer - les
dispensant notamment de tout impôt
royal et de toutes taxes sur le sel et le
tabac - ils développèrent un fructueux
commerce de contrebande du tabac.
Cela finit par provoquer la fin de ce
régime particulier à la veille de la
Révolution(3). Le négoce insulaire fut
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feuilletée à la confiture de pruneaux que
l’on ne consommait autrefois qu’aux
mariages, d’où son nom de “tarte de
noces”. Cette pâtisserie trouve son origine dans l’histoire
du cabotage des
barques de l’île
d’Yeu qui rapportaient dans leurs
cales des pruneaux
venus d’Aquitaine
et du vin de Bordeaux. Les pruneaux étaient en
effet les seuls fruits qui, desséchés, apportaient un peu de douceur dans l’alimentation des marins. Quant au vin de
Bordeaux, chaque barque bénéficiait
d’une barrique réservée à la consommation de l’équipage…
malheureusement perturbé au XVIIIe
siècle par les nombreuses guerres
maritimes qui enrôlèrent les matelots
sur les vaisseaux du roi, infestèrent les
mers côtières des flottes ennemies et
des navires corsaires. Tout cela provoqua la ruine du commerce maritime
en général et de la navigation insulaire en particulier.
(1)
Jean-François Henry, Des marins au siècle
du Roi-Soleil, Salmon, Chateaugiron, 1982.
(2) Christian Huetz de Lemps, La géographie
du commerce de Bordeaux, Paris, 1975.
(3) Jean-François Henry, L’île d’Yeu au large de
la guerre de Vendée, Siloë, 1995.
L’église du bourg de Saint-Sauveur
“Sentinelle sur la frontière maritime”.
:
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(Cliché : Jeanlin)
L’une des spécialités culinaires de l’île d’Yeu est une tarte
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous
Le clocher de l’île d’Yeu
(Photo : Archives nationales, Marine D2 55)
L
es marins de l’île d’Yeu n’étaient pas peu
fiers de mentionner que le clocher de l’île
d’Yeu était signalé sur toutes les cartes
marines françaises comme étrangères. En effet, on
trouve dans le livre de navigation de Pierre Garcie
Ferrande, un dessin stylisé de
la silhouette de l’île d’Yeu surmonté de son clocher. Au XVIIIe
siècle, il menaça de s’écrouler
et ce furent les Chambres de
commerce de Nantes et de Bordeaux qui demandèrent au roi
de construire une nouvelle
flèche plus massive qui pourrait accueillir un belvédère ou
un phare. Une flèche plus massive fut construite en 1776 et il
fallut attendre le XIXe siècle pour
voir s’allumer le premier phare de l’île. La flèche,
frappée par la foudre le 2 novembre 1953 disparut du paysage de l’île, et l’ancienne église SaintSauveur retrouva son clocher romain originel.
L’ île d'Yeu s'expose
Si vous voulez poursuivre ce
retour sur l'histoire des marins d'Yeu
et de leur l'île, allez voir cet été les
deux expositions organisées dans
les deux sites départementaux de
l'Historial, aux Lucs-sur-Boulogne,
et de La Chabotterie, à Saint-Sulpice-le-Verdon.
Toiles et voiles, l'île
d'Yeu sous le regard
des peintres : plus de deux
cents toiles de peintres prêtées
par des collectionneurs privés et
publics (musée d'Orsay, Le Louvre…), racontent la vie de l'île et
des Islais au XIXe siècle. Le port
de la Meule par les peintres de
la marine, Paul-Émile Lecomte,
Pierre Bertrand ou Henri Callot.
Des vues de l'océan entourant
l'île revivent sous le pinceau de
Marguerite Portier et de René
Delhumeau. Sans oublier le surréaliste Georges Brisson. Tout au
long de l'exposition on pourra
La famille Drouillard
Pratique : jusqu'au 23 septembre,
du mardi au dimanche de 10 h à 19 h.
Entrée : 8 € (accès à L'Historial et à l'exposition), gratuit pour les moins de
18 ans.
Renseignements au 02 51 47 61 61
ou sur http://historial.vendee.fr
Vivre en mer, l'île
d'Yeu 1850 - 1950 : c'est
entre ces deux époques que les
voiliers qui reliaient l'île au continent cédèrent peu à peu la place
aux bateaux et paquebots à
vapeur qui débarquaient les premiers touristes. On retrouve dans
cette exposition le patrimoine et
les objets des jeunes marins, les
activités et la vie quotidienne des
Islais. Notamment dans le film
projeté de Pierre Henry, Deux
visages, réalisé vers 1950, où
s'expriment les marins et les
ouvrières des conserveries.
Pratique : jusqu'au 14 octobre aux
heures d'ouverture du Logis de la
Chabotterie : tous les jours de 10 h à
19 h jusqu'au 31 août ; du lundi au
samedi de 9 h 30 à 18 h et les di
manches et jours fériés de 10 h à
19 h à partir du 1er septembre.
Entrée : 6 € (Logis et exposition), gratuit
pour les moins de 18 ans.
Renseignements au 02 51 42 81 00
ou sur http://chabotterie.vendee.fr
Au XVIIe siècle, une des familles
d’armateurs de l’île d’Yeu s’installa à Bordeaux. Très rapidement, les négociants
insulaires bénéficièrent du titre de bourgeois de Bordeaux puis au fil des générations, ils assumèrent les charges de
Jurats de la ville. Elisabeth Drouillard
épousa Jean-Baptiste Lynch qui devint au
début du XIXe siècle, maire de Bordeaux.
RACINES
aussi voir des films inédits des
années 1920, sortis des archives
familiales.
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