Qu`il y a aussi une vie avant la mort

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Qu`il y a aussi une vie avant la mort
Qu’il y a aussi une vie avant la mort
Luc 20, 27-38
En ce premier dimanche de novembre, nous abordons une série de textes bibliques qui,
comme l’on dit pudiquement, vont nous parler des choses dernières… les choses de la fin.
Jusqu’au 20 de ce mois, ultime dimanche de l’année liturgique, les lectures seront centrées
sur des thèmes comme la mort, la résurrection, le jugement dernier ou le Royaume de Dieu.
Bien entendu, ce sont là des sujets centraux de la foi chrétienne. Cependant, ils seront
abordés suivant une perspective eschatologique, c’est-à-dire qui concerne les fins dernières
de l’humanité et de l’histoire de ce monde. L’Église primitive, lors des grands conciles dits
œcuméniques, a essayé d’en parler, d’en donner une définition normative. Dans le symbole
de Nicée-Constantinople, les Pères conciliaires ont proclamé :
« Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus Christ…
Pour nous les hommes et pour notre salut…
crucifié sous Ponce Pilate,
il a souffert la Passion, il été mis au tombeau,
il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures,
il est monté aux cieux, il siège à la droite du Père,
il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts,
et son règne n’aura pas de fin. »
Est-ce si simple qu’une récitation de ce credo suffirait à définir la foi, à en exprimer le
contenu, la « substantifique moelle » aurait écrit Rabelais ? Plus j’avance dans la vie, y
compris de la foi, moins j’ai de certitudes. Pour reprendre la formule célèbre de Socrate, je
dirais volontiers que la seule chose que je sache, c’est que je ne sais rien ; dit autrement :
plus j’en sais, moins je sais.
Revenons au passage de l’évangile de Luc, il y est précisément question de la résurrection à
la fin des temps. Des sadducéens viennent voir Jésus pour lui poser une question qui est
aussi un piège. Suivant les préceptes de la Loi traditionnelle, ils présentent un cas d’école :
une femme qui épouserait tous les membres d’une fratrie, comme la Loi les y oblige tant elle
qu’eux, de qui serait-elle l’épouse lors de la résurrection ? Piège, car, comme l’évangile le
relève, les sadducéens ne croient pas à la résurrection. Il faut dire qu’à l’époque de Jésus,
cette croyance n’est pas unanimement reçue dans le judaïsme. C’est une notion
relativement récente – au moins à l’échelle de l’histoire. Elle est née principalement de la
rencontre de la foi juive et de la culture hellénique après l’exil à Babylone et la dispersion du
peuple dans le bassin méditerranéen, notamment en Égypte. La culture et la philosophie
grecques affirment l’immortalité de l’âme, là où jusque-là le judaïsme n’y croit pas, et ne l’a
même pas envisagé, quelle qu’en soit la manière. Il n’y a rien dans la Loi de Moïse qui en
parle, ne serait-ce à mots couverts. Alors, quand des sadducéens qui représentent la classe
des grands prêtres du Temple de Jérusalem, gardiens de la foi juive et, comme tout gardien,
très conservateurs presque par essence, qui n’ont comme livres de référence que ceux dits
de Moïse en ce qu’ils contiennent les paroles que Dieu lui aurait confiées – à savoir
uniquement le Pentateuque –, il est évident qu’ils tordent la question dans un sens
impossible ou absurde. Il faudra attendre la destruction du Temple, la disparition des
sadducéens et la restructuration du judaïsme autour du culte synagogal dont les rabbins
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pharisiens sont les garants, pour voir la notion de résurrection se généraliser à tout le
judaïsme. Auparavant, la bénédiction de Dieu, ou son contraire la malédiction, est reçue du
vivant terrestre de la personne, puisqu’il n’y a pas de vie céleste qui la poursuive. Un livre
biblique comme celui du Qohéleth ou de l’Ecclésiaste va dans ce sens en s’opposant
farouchement à tout concept de résurrection ou de sur-vie après la mort : Vanité des
vanités, tout est vain dans cette vie qui se passe sous le soleil puisque tous les humains
finissent de la même manière : poussière dans le sol ! Le livre de Job va dans le même sens…
avec, peut-être, quelques débuts d’ouverture à une possible idée de quelque chose après la
destruction de cette « peau qui est mienne »i.
Avec l’avènement du christianisme, la résurrection s’est imposée à l’horizon de toute
existence. D’ailleurs toutes les grandes religions l’affirment sous une forme ou sous une
autre. À l’époque de Martin Luther, la mort, cette proche parente, est une cousine qui passe
régulièrement embrasser l’un ou l’autre membre de la famille. La question n’est pas d’elle,
mais de la résurrection. Ressusciter pour aller où : en enfer ou au paradis ? Crainte du
jugement de Dieu plutôt que du trépas lui-même.
Et puis le monde des humains a continué son évolution, y compris dans les domaines de la
pensée et des religions. Aujourd’hui, la mort est l’omniprésente de nos actualités. Pourtant,
je me demande – et ne suis pas le seul – si les médias n’en parlent pas tant que pour mieux
la cacher ? Est-il encore possible en notre époque, comme au temps de Jean de La Fontaine,
qu’un vieux laboureur réunisse ses enfants autour de son lit de mort pour leur dire ses
volontés dernières ? Savons-nous, quand le moment se présente, parler de la mort avec nos
proches, de la nôtre ou de la leur, de façon sereine même s’il y a beaucoup d’émotions
partagées ?
C’est que la mort est une expérience, pas une théorie. Alors, permettez que je vous lise un
extrait d’un courrier retrouvé il y a peu. Il a été écrit en mars 1970 par un père – déjà grandpère – bien aimé à ses enfants :
« Bien cher tous…
Vous êtes tous au courant de mon intention de donner ma dépouille à l’Institut médical… Ceci
s’explique par l’horreur que j’ai de tout ce qui se passe normalement après un décès suivant
le rite soi-disant chrétien ou par coutumes…
Inutile de vous remettre en mémoire que depuis l’âge de 18 ans, j’ai cru en Dieu et fait ce que
j’ai pu pour la jeunesse et nos Églises.
La vie m'a depuis démontré l’inutilité de la Foi et même je considère depuis des années que
c’est un orgueil que l’homme puisse se croire ou espérer être immortel, et j’ai dû reconsidérer
tout le problème pour en arriver à cette conviction que :
La religion est indispensable pour que l’homme ne soit pas criminel, d’où mes précautions à
ne froisser personne et même à encourager nos jeunes à croire, ceci dans les limites de ma
sincérité.
Je meurs persuadé que nous ne sommes que poussière et qu’après nous ne demeurera
momentanément que notre souvenir. Puisse celui-ci être heureux pour vous tous.
Un seul regret dans tout cela : celui de vous quitter. À aucun prix je ne voudrais revivre même
en esprit. »
Ce père, grand-père, aimé car aimant, je l’ai bien connu. Dans son jeune âge d’adulte, il a été
animateur jeunesse dans sa paroisse réformée de Nancy ; il a été aussi chef de chœur et
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conseiller presbytéral. Venu en région parisienne avec son épouse et leurs cinq enfants, il a
poursuivi son engagement dans l’église locale. Plus tard, il a été présent à chacun des
baptêmes, confirmations, bénédictions de mariage de ses petits-enfants. Et pourtant,
comme il l’a demandé dans cette lettre écrite presque vingt ans avant son décès, pas de
célébration. Les petits-enfants, précisément, en ont été surpris.
C’est qu’entre temps, un drame familial est survenu : le suicide de sa fille la plus âgée. Elle
souffrait de maniaco-dépression. Aujourd’hui, elle serait diagnostiquée bipolaire. À l’époque
peu de médicaments efficaces pour équilibrer le malade ; et surtout des électrochocs pour
calmer les crises, donnés à même la chambre dans la maison familiale. C’était des cris
difficiles à entendre pour tous. Jusqu’à la crise que personne n’a vue arriver… et la mort
autoaffligée.
Alors ce père a pris son enfant. Accompagné de son fils aîné, il a été seul ensevelir la
dépouille de sa fille dans un des cimetières de la ville. Pas de pasteur, pas de cérémonie, pas
de famille, pas de parole de Dieu ou des hommes. Juste la solitude d’un père déchiré et le
silence assourdissant d’une famille. Secret de famille destructeur… personne d’autre ne sait
où. Personne n’a jamais été sur cette tombe.
Du jour au lendemain, il a quitté toute église, il a quitté la foi. Elle avait été inutile. Dieu ne
lui avait pas sauvé sa fille. À quoi bon croire ? Même pas la question : mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi l’as-tu abandonnée, m’as-tu abandonné ? Dieu a été enseveli en même temps que
cette fille. Pas de résurrection, même pas d’insurrection. Poussière, encore de la poussière.
Rien que de la poussière. Vanité des vanités, tout est vain. La foi surtout. Même si la religion
peut encore avoir un rôle de régulation de la vie sociale. Orgueil de l’humain, a-t-il écrit, de
se sentir, de se souhaiter, de se croire immortel. La mort est l’omniprésente de la vie. Elle en
est la finitude extrême.
Ce que ce père a vécu, c’est l’enfer à proprement parler. Cette descente en solitude à vouloir
porter seul le cercueil de sa fille.
« L’enfer, c’est quand il n’y a plus que “moi”, mais un moi insulaire, abandonné de tous – qui
s’est coupé de tous, et qui dans sa douleur a imposé à tous sa vision – un moi hébété de
solitude… harassé de révolte stérile, sinistré de son propre vide. Un “moi” en total
déshérence.
L’enfer, c’est quand il n’y a plus personne, ni autour de soi, ni au-dessus de soi, ni à l’intérieur
de soi. Radicalement personne. »ii
Et si la question que nous nous posons tous un jour, à savoir : y a-t-il encore une vie après la
mort, encore un peu de vie autre que celle des souvenirs et des traces de passage laissés çà
et là dans le monde et dans le cœur des vivants ? Et si cette question, aussi légitime soit-elle,
n’était pas la bonne, ou en tous les cas pas la seule à devoir être posée ?
Devant la tombe d’un enfant mort-né, le psychanalyste Patrick Declerck se demande
justement : « Y a-t-il une vie avant la mort ? » Lui, comme ce père et grand-père, rejette
« l’idée même de Dieu »iii.
Le philosophe Maurice Zundel se la pose également. Lui reste croyant. « Nous existons très
rarement – constate-t-il – le plus souvent nous sommes en attente, en capacité
d’existence. »iv Sylvie Germain reprend cela. « La vraie, la grande question n’est pas celle de
savoir s’il y a une vie après la mort, mais si nous sommes, serons, aurons été vivants avant la
mort. L’urgence est là, maintenant, à chaque instant ; le souci de vivre se forge à chaque
aujourd’hui, la vie ne doit pas être ajournée, repoussée dans quelque au-delà de consolation
– le véritable au-delà se situe d’ailleurs au-dedans, au plus intime de la personne humaine. »v
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La réponse de Jésus aux sadducéens prend alors un sens renouvelé : « [Dieu] n’est pas le
Dieu des morts, mais des vivants ; car pour lui tous sont vivants ». Les sadducéens ont posé
une question de mort, Jésus répond par la vie.
La vie, ici et maintenant… avec son au-delà qu’est la vie intérieure. C’est celle-ci que les
sadducéens ont oubliée, ils en sont restés à la vie extérieure. Cependant, c’est la vie
intérieure qui nous enrichit du temps et de l’éternité.
Finalement, une fois encore Snoopy a raison.
Puissions-nous trouver en nous cette vie d’avant la mort, celle d’après nous sera donnée en
plus.
Bruneau Joussellin
Bruxelles-Musée
Le 6 novembre 2016
i
Job 19
Sylvie Germain, Quatre actes de présence, éd. DDB, p.23
iii
Patrick Decleck, Les naufragés. Avec les clochards de Paris, éd. Plon, cité par Sylvie Germain in opus cité
iv
Maurice Zundel, À l’écoute du silence, éd. Téqui
v
Sylvie Germain, opus cité
ii
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