Aspects économiques des projets d`oléoduc en Amérique du Nord

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Aspects économiques des projets d`oléoduc en Amérique du Nord
Aspects économiques des projets d’oléoduc
en Amérique du Nord : la course à la mer
Publication no 2012-27-F
Le 23 avril 2012
Mathieu Frigon
Francis Perreault
Division de l’industrie, de l’infrastructure et des ressources
Service d’information et de recherche parlementaires
Aspects économiques des projets d’oléoduc
en Amérique du Nord : la course à la mer
(Étude générale)
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Publication no 2012-27-F
Ottawa, Canada, Bibliothèque du Parlement (2012)
TABLE DES MATIÈRES
1
INTRODUCTION ....................................................................................................... 1
2
LA DIVERSIFICATION DES MARCHÉS .................................................................. 1
3
L’INFRASTRUCTURE DU TRANSPORT ................................................................. 2
3.1
Facteurs économiques ........................................................................................... 2
3.2
Expansion de l’infrastructure du transport ............................................................. 4
4
L’INFRASTRUCTURE DE RAFFINAGE ................................................................... 5
4.1
Les marges de profit des raffineurs ....................................................................... 5
4.2 Autres déterminants de l’expansion de la capacité de raffinage ........................... 7
4.2.1 Proximité des marchés .................................................................................... 7
4.2.2 Capacité actuelle et coût de l’infrastructure .................................................... 7
4.2.3 Perspective pour la demande de produits raffinés .......................................... 8
5
L’AVENIR .................................................................................................................. 8
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ASPECTS ÉCONOMIQUES DES PROJETS D’OLÉODUC
EN AMÉRIQUE DU NORD : LA COURSE À LA MER
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INTRODUCTION
Dans la conjoncture actuelle du marché pétrolier nord-américain, on note un phénomène dont les racines sont économiques et que l’on pourrait appeler la « course à la
mer », à savoir la recherche de débouchés pour le pétrole de l’intérieur du continent
sur les côtes du Canada et des États-Unis.
Le présent document passe brièvement en revue certains aspects économiques de
ce phénomène :
•
la raison de cette course à la mer, c’est-à-dire l’importance de la diversification
des marchés pour le pétrole brut de l’intérieur du continent, y compris l’Alberta;
•
l’incidence de la dynamique des prix sur l’infrastructure de transport du pétrole
(les oléoducs) vers les marchés, y compris les projets d’expansion du réseau;
•
les facteurs économiques présidant aux décisions relatives à l’infrastructure de
raffinage du pétrole et leur incidence sur le parcours et la forme empruntés par le
pétrole de l’intérieur pour se rendre aux marchés.
La dernière partie du document dresse un bref bilan prospectif de l’actuelle course à
la mer.
2
LA DIVERSIFICATION DES MARCHÉS
La mer représente une voie d’accès importante au marché mondial pour les
producteurs pétroliers, notamment parce que le transport maritime est très
économique. Il s’agit là d’une considération importante pour les producteurs de
plusieurs zones enclavées du Canada et des États-Unis qui doivent écouler leur
production sur des marchés où la demande est plus forte. L’exemple de l’Alberta
illustre bien cette logique.
À l’échelle internationale, l’Alberta est un territoire riche en pétrole. De fait, comme la
production dépasse de beaucoup la demande locale, le pétrole albertain se vendrait
à un prix plus faible (et, par voie de conséquence, sa production fléchirait) s’il était
impossible de l’exporter hors de la province. Ainsi, l’industrie pétrolière de l’Alberta
dépend, pour sa vitalité économique, de l’accès au lucratif marché mondial 1.
En outre, comme la production de la province représente malgré tout une part
relativement modeste de la production mondiale, sa présence – même importante –
sur le marché mondial n’est pas suffisante pour faire baisser de façon significative
les cours internationaux. Bref, l’industrie pétrolière albertaine – et la province en
général – a un intérêt économique à ce que son pétrole ait le meilleur accès possible
au marché mondial.
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L’INFRASTRUCTURE DU TRANSPORT
Le transport économique du pétrole joue un rôle clé pour ce qui est du profit que l’on
peut tirer de l’accès au marché mondial. Si le transport du pétrole était trop onéreux,
tout avantage de prix que pourrait apporter l’accès à ce marché risquerait d’être
annulé par le coût du transport.
Qu’il s’agisse d’atteindre la mer ou d’autres marchés par voie terrestre, le moyen
le plus efficace pour transporter d’importants volumes de pétrole est l’oléoduc. Ce
dernier est donc incontournable pour permettre à l’Alberta – et plus généralement à
toute région productrice de pétrole où le transport maritime n’est pas immédiatement
envisageable – de profiter des conditions favorables sur le marché international.
Historiquement, les oléoducs ont transporté le pétrole albertain surtout vers le
marché américain (voir la figure 1 et la section 4.1 du présent document).
Figure 1 – Approvisionnement en pétrole brut canadien et
utilisation en 2008, et projets d’oléoducs
Source : Carte préparée par Emmanuel Preville, Bibliothèque du Parlement, à partir de données
de Canada, Office national de l’énergie, Le réseau pipelinier du Canada – Évaluation
d’un mode de transport, juillet 2009.
3.1
FACTEURS ÉCONOMIQUES
L’infrastructure des oléoducs en Amérique du Nord permet généralement au prix du
pétrole à l’intérieur du continent (le « prix intérieur ») 2 de s’aligner sur le prix qui a
cours sur les côtes (le « prix côtier ») 3. Cette infrastructure ne peut toutefois pas être
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modifiée de façon importante à court terme 4, tandis que les conditions de marché à
l’intérieur du continent et sur les côtes peuvent évoluer très rapidement.
À cause de ce décalage entre l’infrastructure de transport et les conditions de
marché, des différences peuvent se développer entre le prix intérieur et le prix côtier,
et durer un certain temps. La dynamique d’approvisionnement des marchés en
pétrole brut peut alors changer considérablement et, par voie de conséquence,
entraîner des ajustements dans l’infrastructure de transport. Ces ajustements ont
habituellement pour effet d’amener la différence de prix à se résorber.
Par exemple, jusqu’à la fin des années 1990, le pétrole extrait à l’intérieur du continent
nord-américain était acheminé vers les raffineries de Montréal en passant par Sarnia
(Ontario). En 1999, toutefois, un prix côtier moins élevé que le prix intérieur a contribué,
du moins en partie, à inverser la direction du transport pétrolier : le pétrole importé
d’outre-mer a plutôt été acheminé de Montréal vers l’intérieur en passant par Sarnia.
En effet, il était devenu plus logique pour les raffineries de Montréal de s’approvisionner
outre-mer au prix côtier plus modique plutôt qu’au prix intérieur nord-américain et aussi
plus logique d’acheminer le pétrole importé d’outre-mer vers l’intérieur du marché nordaméricain, qui était à ce moment plus lucratif, vu la force du prix intérieur.
Figure 2 – Évolution de la production de pétrole en Saskatchewan, en Alberta,
au Dakota du Nord et au Montana
Saskatchewan
Alberta
Dakota du Nord
Montana
80,000,000
70,000,000
barils/mois
60,000,000
50,000,000
40,000,000
30,000,000
20,000,000
10,000,000
0
Sources : Pour l’Alberta et la Saskatchewan : Statistique Canada, Tableau 126-0001, « Approvisionnement
et utilisation du pétrole brut et équivalent, mensuel (mètres cubes) », CANSIM (base de données);
pour le Dakota du Nord et le Montana : U.S. Energy Information Administration, Independent
Statistics & Analysis, « Crude Oil Production », Petroleum & Other Liquids.
Plus récemment, toutefois, l’augmentation de la production de pétrole à l’intérieur du
continent (voir la figure 2) a créé une abondance relative de pétrole sur les marchés
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intérieurs par rapport aux conditions de marché qui règnent sur la côte et occasionné
un fléchissement relatif du prix intérieur.
Comme on peut le constater en observant la figure 3, la logique de marché actuelle
est donc l’inverse de celle qui jouait à la fin des années 1990 : le prix intérieur
(p. ex. Oklahoma et Alberta) est aujourd’hui passablement plus bas que le prix côtier
(p. ex. Louisiane et mer du Nord).
Figure 3 – Évolution récente des prix intérieurs (Oklahoma et Edmonton)
et côtiers (sud de la Louisiane et mer du Nord) du pétrole
140
Oklahoma (pétrole brut
léger peu acide « West
Texas Intermediate »)
$ US/baril
120
Alberta (pétrole brut léger
peu acide « Edmonton
Par »)
100
Sources :
80
Mer du Nord, Europe
(pétrole brut léger peu
acide « Brent »)
60
Louisiane (pétrole brut
léger peu acide du sud de
deLousiane)
la Louisiane
la
Pour la Louisiane : Louisiana Department of Natural Resources, Louisiana Average Crude Oil
Prices (Dollars per Barrel); pour la mer du Nord et l’Oklahoma : U.S. Energy Information
Administration, Independent Statistics & Analysis, « Spot Prices », Petroleum & Other Liquids;
pour l’Alberta : Ressources naturelles Canada, Prix du pétrole brut – 2012.
Encore une fois, comme à la fin des années 1990, cette différence de prix remet
en question l’infrastructure de transport existante. Entre autres choses, la capacité
actuelle des oléoducs ne permet pas aux producteurs de l’intérieur de tirer pleinement avantage des conditions de marché qui existent sur la côte. Ces producteurs
sont donc en quelque sorte prisonniers de l’infrastructure de transport existante.
3.2
EXPANSION DE L’INFRASTRUCTURE DU TRANSPORT
Il n’est donc pas surprenant que plusieurs projets d’oléoduc aient vu le jour, et ce,
afin d’augmenter le débit du pétrole intérieur atteignant les côtes. Au nombre de ces
projets, il faut mentionner les suivants (voir la figure 1 pour la localisation géographique de ces projets) :
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•
Projet d’agrandissement du golfe Keystone (également connu sous le nom de
Keystone XL) : Il s’agit d’un projet comprenant deux sections. L’une aurait son
origine à Hardisty (Alberta) et serait reliée à un oléoduc existant qui commence à
Steele City (Nebraska) et se termine à Cushing (Oklahoma). L’autre partirait de
Cushing et se terminerait près de Port Arthur (Texas) sur la côte du golfe du
Mexique.
•
Projet Northern Gateway : Cet oléoduc commencerait à Bruderheim (Alberta) et
se terminerait à Kitimat, sur la côte de la Colombie-Britannique.
•
Kinder Morgan (TMX2, TMX3 et projet d’agrandissement de la Northern Leg) :
Ce projet vise à augmenter la capacité du système d’oléoduc Trans Mountain,
qui transporte le pétrole et les produits raffinés de l’Alberta vers la côte ouest.
•
Inversion du flux de pétrole d’oléoduc Montréal-Sarnia (la « Ligne 9 ») : Ce
projet consiste à inverser le flux de pétrole passant par l’oléoduc Montréal-Sarnia
afin que le pétrole coule de Sarnia à Montréal – bref, le rétablissement de la
situation d’avant 1999. Seul un renversement partiel du flux de pétrole de cet
oléoduc – de Sarnia à Westover (Ontario) – est actuellement à l’étude.
•
Inversion du flux de pétrole d’oléoduc Portland-Montréal : Ce projet consiste
à inverser le flux de pétrole passant par l’oléoduc Portland-Montréal, de sorte
que le pétrole coule de Montréal vers Portland.
Ces projets, s’ils se concrétisaient, pourraient réduire l’offre de pétrole sur le marché
intérieur et l’accroître sur le marché côtier. Il pourrait en résulter un rééquilibrage des
prix entre le marché intérieur et le marché côtier, donc un prix intérieur plus élevé,
notamment sur le marché d’Edmonton.
4
L’INFRASTRUCTURE DE RAFFINAGE
Si le transport par oléoduc est un élément important de la « course à la mer » et, de
façon plus générale, de la mise en marché du pétrole pour les régions enclavées
comme l’Alberta, le raffinage en est un autre. De fait, les facteurs économiques qui
président au choix de l’emplacement des raffineries dictent souvent le parcours suivi
par le pétrole vers les marchés, ainsi que la forme sous laquelle il est transporté –
produits non raffinés (pétrole brut), ou raffinés (essence, diesel, butane, etc.) à plus
forte valeur ajoutée.
Parmi ces facteurs, la différence, mentionnée précédemment, entre le prix intérieur
et le prix côtier est susceptible d’influer sur les décisions concernant l’endroit où a
lieu le raffinage, notamment par son incidence sur les marges de profit des
raffineurs. Par contre, d’autres facteurs jouent un rôle tout aussi, sinon plus important
dans cette prise de décision.
4.1
LES MARGES DE PROFIT DES RAFFINEURS
La marge de profit est l’élément de base pour comprendre la logique inhérente à
l’expansion de l’activité de raffinage. Comme les coûts autres que celui du pétrole
brut sont relativement stables à court terme, les fluctuations de la marge de profit
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des raffineries sont largement tributaires des fluctuations de la marge brute, qui est
la différence entre le prix des produits finis et le prix du pétrole 5.
À l’heure actuelle, étant donné que le prix intérieur est plus bas que le prix côtier, les
raffineries de l’intérieur du continent jouissent d’une marge brute plus élevée que les
celles de l’Est du Canada et du Nord-Est des États-Unis, qui doivent composer avec
le prix côtier (voir la figure 4). Les marges brutes plus élevées favorisent l’utilisation
maximisée de l’infrastructure de raffinage existante à l’intérieur du continent et
pourraient, si elles se maintiennent, encourager les investissements dans des
capacités de raffinage additionnelles.
Figure 4 – Évolution récente de la marge brute des raffineurs,
Edmonton et Montréal
Marge brute des raffineurs sur le marché de Montréal
Marge brute des raffineurs sur le marché d'Edmonton
30
cents/litre
25
20
15
10
5
0
Sources : Ressources naturelles Canada, « Prix moyens de l’essence ordinaire – prix de gros en 2012 »,
Sources d’énergie; Ressources naturelles Canada, Prix du pétrole brut – 2012; calculs effectués
par les auteurs.
Selon des données américaines récentes, le taux d’utilisation à l’échelle nationale de
la capacité des raffineries existantes oscille autour de 85 % depuis 2010. Or, cette
moyenne masque des disparités régionales importantes qui reflètent l’incidence des
marges de profit actuelles : sur la période, le taux d’utilisation a été d’environ 75 %
sur la côte Est (PADD 1 6) et de plus de 90 % dans le Midwest (PADD 2) 7. En outre,
plusieurs grandes raffineries ont récemment fermé dans le Nord-Est des États-Unis 8,
alors que l’utilisation et la capacité des raffineries de l’intérieur du continent
(notamment celles du Midwest) augmentent 9.
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4.2
AUTRES DÉTERMINANTS DE L’EXPANSION DE LA CAPACITÉ DE RAFFINAGE
L’existence de marges brutes plus intéressantes à l’intérieur du continent pourrait, en
principe, constituer un incitatif à l’expansion de la capacité de raffinage à l’intérieur
du pays, notamment en Alberta et dans le Midwest américain. Toutefois, il faut éviter
de conclure que cela se traduira nécessairement par la construction de nouvelles
grandes raffineries, puisque certains facteurs économiques sont peu propices à
une telle construction, notamment l’avantage de mener les activités de raffinage
à proximité des marchés et le coût de la construction de nouvelles raffineries,
surtout compte tenu de la capacité de l’infrastructure actuelle et des perspectives
dans le secteur.
4.2.1
PROXIMITÉ DES MARCHÉS
Les raffineurs préfèrent généralement développer leur activité le plus près possible
des marchés visés, c’est-à-dire plus près de la demande de produits raffinés, entre
autres parce que le transport de ces produits est, pour diverses raisons, plus cher et
moins efficace que celui du pétrole brut 10. La capacité de raffinage existante reflète
dans une large mesure cet état de fait.
Par exemple, si l’on considère la situation des provinces de l’Ouest canadien et du
Midwest (PADD 2), plus de 85 % de la demande de produits pétroliers raffinés se
trouve dans le Midwest. En conséquence, la majeure partie du bitume dilué issu
des sables bitumineux (bitume non valorisé, généralement assimilé à du pétrole
extra lourd) est donc exportée vers les États-Unis (surtout vers le Midwest) afin
d’être transformée en produits raffinés 11.
À cela s’ajoute le fait que les raffineurs de la côte du golfe du Mexique (PADD 3)
disposent d’un accès relativement peu coûteux à l’important bassin de consommation du Nord-Est américain grâce à l’existence d’un réseau d’oléoducs pour le
transport des produits raffinés. Un tel réseau fait défaut aux raffineurs enclavés
de l’Ouest canadien 12, ce qui milite contre la construction de raffineries en Alberta,
par exemple.
4.2.2
CAPACITÉ ACTUELLE ET COÛT DE L’INFRASTRUCTURE
La construction de nouvelles raffineries donne lieu à des coûts très élevés 13. Dans le
contexte actuel, une telle dépense ne semble pas indiquée, puisque l’infrastructure
existante répond aux besoins. En effet, le Midwest dispose d’une importante capacité de traitement du pétrole lourd provenant des sables bitumineux. Cette capacité
régionale (généralement associée à la capacité de cokéfaction) s’élève à près de
375 milliers de barils par jour (chiffres pour 2011). Si l’on ajoute à cela les raffineries
de la côte du golfe du Mexique mentionnées plus haut, la capacité atteint près de
1,7 million de barils par jour, soit un peu moins que la capacité totale de raffinage
dans tout le Canada 14.
En outre, beaucoup de raffineries nord-américaines appartiennent à un groupe
restreint de grandes multinationales intégrées, qui sont aussi engagées dans
l’extraction des sables bitumineux. Au Midwest en particulier, 58 % de la capacité
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locale de raffinage leur appartient 15. Pour ces grands joueurs intégrés, le fait de bâtir
une nouvelle raffinerie à l’intérieur du continent signifie probablement fermer une
raffinerie sur la côte. Cette approche semble peu judicieuse du point de vue
commercial comparativement à celle qui consiste à transporter le pétrole brut aux
raffineries existantes en modifiant l’infrastructure de transport.
4.2.3
PERSPECTIVE POUR LA DEMANDE DE PRODUITS RAFFINÉS
Les perspectives économiques ne sont pas favorables aux investissements dans la
construction de nouvelles raffineries en Amérique du Nord, puisqu’on anticipe une
stagnation, voire une diminution de la demande de carburant à long terme.
Conformément à l’évolution anticipée de la demande de marché à l’échelle mondiale,
la tendance est à la consolidation de la capacité existante de raffinage en Amérique
du Nord et en Europe, et au développement de nouvelles capacités en Asie 16.
5
L’AVENIR
Les projets d’oléoduc pour le transport du pétrole brut, souvent considérés comme
des projets de diversification des marchés, peuvent être vus comme une « course à
la mer » dont on croit que l’issue permettra aux producteurs de l’Alberta et d’autres
régions enclavées de jouir des conditions de marché favorables existant sur la côte.
À terme, le développement de l’infrastructure de transport du pétrole brut par
oléoduc aura vraisemblablement pour effet de réaligner le prix intérieur sur le prix
côtier et de ralentir la course à la mer, voire d’y mettre un terme. Le rééquilibrage
des prix permettra aux raffineries de l’Est du Canada de concurrencer à armes
égales celles de l’intérieur du continent pour ce qui est du prix de la matière
première. La normalisation conséquente des marges de profit des raffineurs à
l’échelle nord-américaine pourrait freiner du même coup la tendance actuelle au
déplacement de la capacité de raffinage de la côte vers l’intérieur du continent.
Enfin, il faut noter que le réalignement des prix pourrait se produire avant même la
réalisation des projets d’oléoduc, puisque le prix sur les marchés reflète en général
non seulement les conditions de marché actuelles, mais également les informations
disponibles sur les conditions futures (y compris l’incidence des nouveaux oléoducs).
Le rééquilibrage des prix pourrait donc avoir lieu dès que les agents économiques
auront la certitude que la capacité future des oléoducs sera suffisante pour assurer
un arbitrage efficace entre le prix côtier et le prix intérieur.
NOTES
1.
Au niveau macroéconomique, cet accès conduit également à une augmentation des
exportations et des investissements, et donc du produit intérieur brut canadien.
2.
Le « prix intérieur » du continent nord-américain est reflété par le prix « Edmonton Par » sur
le marché d’Edmonton au Canada et le prix « West Texas Intermediate » sur le marché de
Cushing (Oklahoma) aux États-Unis. Il est important de noter que les conditions de marché
peuvent varier grandement à l’intérieur du continent et donner lieu à des différences
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importantes entre les divers prix intérieurs. Par exemple, si la capacité des oléoducs entre
Edmonton et Cushing est inadéquate à un moment quelconque (p. ex. en raison de la
fermeture temporaire d’un oléoduc), une différence de prix pourrait se développer entre les
deux marchés.
3.
Le « prix côtier » est habituellement reflété par le prix « Brent » de la mer du Nord, qui est le
prix de référence dans le bassin atlantique. Le prix dans le sud de la Louisiane peut aussi
être utilisé comme référence pour le prix côtier.
4.
La lenteur des modifications à l’infrastructure du transport s’explique notamment par les
investissements importants qui sont nécessaires et par le processus d’approbation par les
autorités réglementaires.
5.
La marge de profit est obtenue en soustrayant tous les coûts des raffineries (pétrole brut,
main-d’œuvre, dépréciation, frais d’intérêts, etc.) du prix des produits finis, tandis que la
marge brute est obtenue en soustrayant uniquement le coût du pétrole brut. Comme les
coûts autres que celui du pétrole brut sont relativement stables à court terme, les
fluctuations de la marge brute sont considérées comme un excellent indicateur de
l’évolution de la profitabilité des raffineries à court terme.
6.
L’abréviation « PADD » (« Petroleum Administrative Defense District ») provient d’un
découpage, adopté pendant la Deuxième Guerre mondiale, des États-Unis en cinq régions
pour l’allocation de pétrole.
7.
Voir U.S. Energy Information Administration, Independent Statistics & Analysis, « Weekly
Inputs & Utilization », Petroleum & Other Liquids.
8.
Voir Canadian Association of Petroleum Producers, Crude Oil Forecast, Markets &
Pipelines, juin 2012, p. 13 à 20; et Anthony Andrews, Robert Pirog et Molly F. Sherlock, The
US Oil Refining Industry: Background in Changing Markets and Fuel Policies,
Congressional Research Service, 2010, p. 2 à 12.
9.
Pour une liste des principaux projets de développement des raffineries et de la capacité de
raffinage entre 2006 et 2012, voir le tableau 2.1 dans Office national de l’énergie, Avenir
énergétique du Canada : Évolution de l’infrastructure et enjeux à l’horizon 2020, 2009,
p. 11.
10. Institut canadien des produits pétroliers, Présentation au Comité permanent des ressources
naturelles, 2012, p. 4.
11. Voir Office national de l’énergie, « Statistiques », Pétrole brut et produits pétroliers.
12. La capacité actuelle des oléoducs traversant la frontière canado-américaine dans l’Ouest
canadien est principalement dédiée au transport du pétrole brut (du nord vers le sud) et non
à celui des produits raffinés.
13. Voir, à titre d’exemple, Institut canadien des produits pétroliers (2012), p. 3 : « Le raffinage
est un secteur capitalistique – la construction d’une nouvelle raffinerie coûterait environ
7 milliards de dollars, sans compter le coût d’acquisition du terrain. »
14. Pour davantage d’information, voir M.C. Moore et al., « Catching the Brass Ring: Oil Market
Diversification Potential for Canada », SPP Research Papers (École de politique publique
de l’Université de Calgary), vol. 4, no 16, décembre 2011, p. 9 à 16.
15. Voir U.S. Energy Information Administration, « U.S. Refineries Operable Capacity »
(Refinery Rankings), Oil: Crude and Petroleum Products Explained – Refining Crude Oil.
16. Voir British Petroleum, BP Energy Outlook 2030 (BP Statistical Review), janvier 2011, p. 28.
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