Le génie de Galilée - Le Repaire des Sciences

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Le génie de Galilée - Le Repaire des Sciences
Terminale S – Physique
Chapitre 10
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Le génie de Galilée
Lorsqu’il meurt en 1642, Galilée laisse derrière lui mieux qu’une œuvre : un monde nouveau. Par ses
découvertes, comme la loi de la chute des corps ou les satellites de Jupiter, par sa méthode de
compréhension du monde qui allie expériences rigoureuses et théories audacieuses, et par ses prises de
position face à l’Église et au dogme aristotélicien, il fait entrer son siècle dans la modernité.
La mécanique avant et après Galilée
Les premières études de Galilée (1564-1642) portèrent sur la chute des corps. Il avait devant lui
la théorie d’Aristote, constituée et partout admise, arrivée en Occident au début du XIIème siècle.
Les corps ont des mouvements rectilignes qui les ramènent dans leur « lieu naturel » : les
éléments air et feu vont vers le haut, les éléments terre et eau vers le bas. Soumis à des
contraintes, les corps ont des mouvements non naturels, que l’on dit violents. Non rectilignes,
ils s’épuisent rapidement.
Exemple typique : le mouvement du boulet de canon. Il part vers le haut (mouvement violent,
non naturel, qui épuise l’impulsion première) puis retrouve son mouvement naturel et tombe
alors, d’un coup, verticalement.
Jusqu’en 1609, Galilée effectua une première série d’expériences sur la chute des corps : il
s’essaya par exemple à la chute simultanée de boules de même forme mais de poids1 différents
ou, inversement, de même poids mais de formes différentes.
En première approximation, on peut considérer que les boules touchent toutes le sol au même
moment. L’expérience est cependant moins catégorique, et l’on peut la reproduire facilement. Si
le choc au sol des mobiles est sonore, on constatera facilement leur arrivée désynchronisée
(l’oreille est sensible à des écarts de temps de quelques centièmes de secondes).
Toutefois, Galilée n’affirma, de manière explicite, sa loi sur la chute des corps dans le vide non à
partir de ses premières expériences, mais bien plus tard, dans son Discours et démonstrations
mathématiques concernant deux sciences nouvelles, rédigé à la fin de sa vie. Sa réflexion s’était alors
enrichie de considérations astronomiques.
L’astronomie
Selon Ptolémée, astronome d’Alexandrie du IIème siècle de notre ère, la Terre est au centre de
l’univers, entourée successivement – et tournant autour d’elle – de la Lune, de Vénus, du Soleil
et des autres planètes. Pour expliquer le mouvement apparent rétrograde de certaines planètes,
Ptolémée considéra que celles-ci tournaient sur un épicycle, un petit cercle dont le centre décrit
lui-même un cercle autour de la Terre. Vénus, quant à elle, décrit un épicycle dont le centre
reste sur la droite reliant la Terre au Soleil. La Lune marque la limite entre deux mondes
distincts : le monde sublunaire (le nôtre), imparfait, sujet aux changements, composé des quatre
éléments, et le monde supralunaire, divin, éternel, harmonieux. Ce monde parfait est composé
d’un seul élément, le cinquième ou « quintessence », et les seuls mouvements permis y sont
circulaires.
Le système de Tycho Brahé (1546-1601), rapidement est un système géocentrique très proche du
modèle de Copernic, mais avec la Terre au centre de l’univers. La Lune et le Soleil tournent
autour d’elle, tandis que Mars, Jupiter, Mercure, Vénus et Saturne tournent autour du Soleil.
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« masse » serait plus approprié ici, mais la distinction n’est pas faite pour des arguments épistémologiques.
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En 1610, Galilée perfectionne une lunette
astronomique rapportée de Hollande et réalise des
observations remarquables : l’existence de relief sur la
Lune, la présence de satellites autour de Jupiter, les
phases de Vénus, l’existence de taches solaires, la
décomposition de la voie lactée en multiples étoiles.
Toutes ces découvertes contredisent la vision
aristotélicienne de la perfection du monde
supralunaire, mais une seule infirme réellement la
théorie de Ptolémée : l’existence des phases de Vénus.
Le système de Ptolémée
La lunette astronomique
Les lunettes galiléennes étaient loin, en qualité,
de celles que l’on connaît aujourd’hui. Tout
d’abord, elles donnaient des images souvent
floues : tailler une lentille restait très aléatoire
et Galilée lui-même, pourtant habile de ses
mains, en ratait de nombreuses. De plus, le
champ de vision de l’instrument étant très
limité, pointer un objet céleste demandait,
sinon un bon apprentissage, au moins
beaucoup de patience. Finalement, l’aberration
chromatique ornait chaque astre d’un petit
cercle multicolore. Cet arc-en-ciel miniature a
d’ailleurs souvent été invoqué pour rejeter
l’instrument et les observations faites avec.
Comment croire un outil qui montrait des
couleurs là où l’œil ne voyait que du blanc ?
Le schéma ci-contre montre que le système de
Ptolémée interdit à la planète d’apparaître
complètement illuminée par le Soleil.
Les arguments en faveur du système ptoléméen
sont toutefois nombreux : l’autorité des écrits de
la Bible et d’Aristote ; les preuves que la Terre est
immobile au centre de l’univers – si elle n’y était
pas, elle y tomberait, étant le corps le plus lourd
connu et si elle était en rotation, tous les corps
sur Terre, plus légers qu’elle, seraient entraînés
vers l’ouest...
A mettre au crédit de Galilée : l’audace d’une unification des lois physiques, de la Terre
jusqu’au ciel. Le système de Copernic n’est possible que si on admet le principe d’inertie et
l’équivalence entre immobilité et déplacement rectiligne uniforme. Par conséquent, les lois qui
s’appliquent sur Terre s’appliquent aussi aux astres…
La méthode expérimentale : Galilée contre Aristote ?
Galilée est l’inventeur de la méthode expérimentale : cette affirmation est un lieu commun de
l’histoire des sciences, voire une légende dorée que les scientifiques répètent à l’envi.
Cependant l’affirmation, sans être fausse, mérite d’être largement relativisée.
Il convient de rappeler là les principes de production de connaissances hérités du Moyen Âge :
on se réfère à des textes incontestables (à la Bible, en premier lieu, ainsi qu’aux auteurs grecs
comme Aristote, Archimède, Pythagore, etc.) qu’il s’agit alors de commenter. Une stricte
méthode, la scholastique, régit l’analyse des textes: on clôt une étude par une « dispute »,
discussion où il s’agit d’exposer les diverses opinions des auteurs recommandés sur un sujet ;
de cette dispute apparaissent des connaissances nouvelles.
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La méthode expérimentale préfère tester la nature, et voir comment celle-ci répond à une
question. Comme aime à le répéter Jean-Philippe Uzan2, « on bouleverse le monde et on regarde ce
qui se passe ». En cas de controverse, l’argumentation, la lutte oratoire ne saurait prouver quoi
que ce soit, seule l’expérience peut trancher. La chute des corps dans l’air ou sur un plan incliné,
la flottaison de la glace sont des exemples qui ont montré l’excellence du génie galiléen.
Il faut alors remarquer l’importance de l’instrumentation chez Galilée : il fit construire des
instruments (plans inclinés, pendule), il en recycla d’autres (la lunette terrestre devint lunette
astronomique).
Cependant, Galilée affirma sa loi contre l’expérience sensible. On peut se demander – et on ne
se prive pas de faire plancher les aspirants philosophes là-dessus – à quel point les principales
découvertes de Galilée – l’héliocentrisme ou la cinématique des corps – relevaient de
l’expérience ou de la spéculation théorique. On peut aujourd’hui prolonger la réflexion sur
l’interaction entre théorie et expérience à partir des textes de Thomas Kuhn3 et de son concept
de paradigme.
À noter que Galilée ne revendiqua jamais la paternité de la méthode expérimentale. Au
contraire, il s’est toujours positionné dans la droite ligne de l’empirisme aristotélicien qui donne
une place privilégiée à l’observation des phénomènes. S’il s’opposa à quelque chose, c’est à la
scholastique.
Galilée, une vie dans le siècle
Pour poursuivre ses recherches, Galilée déploya également toute l’étendue de son génie :
l’invention, la vente ou l’offrande d’instruments à tel ou tel prince ; le baptême des satellites de
Jupiter « astres médicéens »,en référence aux Médicis de Florence, en échange d’un poste de
mathématicien du grand-duc de Toscane. C’est une fois de plus un bel exemple d’opposition
entre la conduite du scientifique et l’image traditionnelle du savant hors des vicissitudes du
monde et œuvrant exclusivement au bonheur de l’humanité.
Le métier de chercheur, élément essentiel de l’autonomie du chercheur et de la recherche, est
une invention récente. Il ne sera réellement créé qu’au XIXème siècle (pensons à Lavoisier).
L’autonomie de la recherche scientifique face aux diverses institutions et discuter des pouvoirs
qui tendent à limiter son autonomie est-elle réelle ou illusoire ? Quelques pistes : pouvoirs
politiques (par exemple au temps de l’URSS), financiers (laboratoires privés ne travaillant que
sur des sujets pouvant rapporter de l’argent), religieux, etc.
Que penser alors de l’affirmation de Michel Toulmonde4 qui date l’acte de naissance de la
science à 1615, année où Galilée écrivit une lettre à la reine Christine, et où il y prononce la
séparation entre l’Église et la science par une phrase : « Le Saint-Esprit nous enseigne comment on
va au ciel, et non pas comment va le ciel »?
La science n’existait-elle pas avant?
Existera-t-elle toujours après?
Ne peut- on définir la science que par opposition à la foi ou aux institutions religieuses?
Bibliographie sélective
• BELLONE Enrico, Galilée, le découvreur de monde, Belin, coll. «Pour la science», 2003.
• SHAPIN Steven, La Révolution scientifique, Flammarion, coll. «Nouvelle bibliothèque
scientifique», 1998.
• Galilée, une étoile est née, CNDP, 2007, dans la collection «Côté télé».
J.-P. Uzan est astrophysicien à l’Institut d’Astrophysique de Paris.
Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, 1970.
4 M. Toulmonde est astrophysicien à l’Observatoire de Paris.
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En savoir plus : http://www.astrosurf.com/luxorion/galilee-hommage.htm
Vidéothèque
Galilée : la naissance d’une étoile en 3 parties sur DailyMotion
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http://www.dailymotion.com/video/x1628j_1-3-galilee-la-naissance-d-une-etoi_shortfilms
http://www.dailymotion.com/video/x162w7_2-3-galilee-naissance-d-une-etoile_shortfilms
http://www.dailymotion.com/video/x162yl_3-3-galilee-naissance-d-une-etoile_shortfilms
L’expérience des plans inclinés :
http://www.curiosphere.tv/video-documentaire/0-toutes-les-videos/103605-reportage-galilee-lexperience-desplans-inclines
Galilée, sous les traits de Claude Rich, explique la chute des corps
http://www.youtube.com/watch?v=-crNe2PfOxI
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La chute des corps, dans le texte
« Le livre de la nature est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des
cercles et autres figures géométriques », écrivit Galilée. Mais s’il connaissait la géométrie,
l’arithmétique lui était inconnue : elle attendait encore d’être inventée. Un exemple : la formule
de la vitesse, v=d/t, n’apparaît nulle part dans les écrits du savant. Cela ne l’empêcha pas de
mener une réflexion pertinente. Exercice de décryptage autour de la question de la chute des
corps, avec des élèves de seconde.
Dans Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, Galilée fait
discuter Simplicio, défenseur de l’aristotélisme, et Salviati, partisan des nouvelles théories de
Galilée. Écoutons Salviati et essayons de traduire son discours en langage arithmétique au sein
des trois extraits qui suivent.
Salviati : « Nous nous proposons de rechercher ce qui arriverait à des mobiles de poids très différents
dans un milieu dont la résistance serait nulle… et si nous trouvons qu’effectivement des mobiles de poids
spécifiques variables ont des vitesses de moins en moins différentes selon que les milieux sont de plus en
plus aisés à pénétrer, qu’en fin de compte dans le milieu le plus ténu bien que non vide, et pour des poids
très inégaux, l’écart des vitesses est très petit et presque insensible, alors nous pourrons admettre, me
semble-t-il avec une très grand probabilité, que dans le vide les vitesses seraient toutes égales. »
Questions
Dans l’expérience limite que décrit Galilée, quelles sont les forces qui s’exercent sur le mobile ?
L’expérience est-elle réalisable au temps de Galilée ? A-t-elle été réalisée aujourd’hui ?
Salviati : « Si fluide, si ténu et si tranquille que soit le milieu, il s’oppose en effet au mouvement qui le
traverse avec une résistance dont la grandeur dépend directement de la rapidité avec laquelle il doit
s’ouvrir pour céder le passage au mobile; et comme celui-ci par nature va en s’accélérant continuellement,
il rencontre de la part du milieu une résistance sans cesse croissante, d’où il résulte un ralentissement…
Si bien que la vitesse d’une part,la résistance du milieu de l’autre atteignent à une grandeur où,
s’équilibrant l’une l’autre, toute accélération est empêchée, et le mobile réduit à un mouvement régulier et
uniforme qu’il conserve constamment par la suite. »
Questions
1. En quoi Galilée, dans ce texte, appuie-t-il son raisonnement sur le principe d’inertie ?
2. Décrivez les deux forces qui s’exercent sur le mobile lorsqu’il a atteint sa vitesse limite.
3. Comparez leur intensité, leur sens et leur direction.
4. Le texte invite à écrire la force s’opposant au déplacement du mobile sous la forme
F = –k V avec V pour vitesse du mobile et k un coefficient dépendant, en autre, de la viscosité
du milieu. Justifiez.
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Salviati : « Si on prend deux corps égaux, identiques par la matière et par la forme (et pourvus ainsi de
vitesses incontestablement égales), et que l’on diminue le poids de l’un dans la même proportion que sa
surface (sans altérer la similitude de leur forme), aucune réduction de la vitesse ne s’ensuivra… Si le
poids venait à diminuer plus que la surface, il en découlerait pour le mobile un certain ralentissement : et
cela d’autant plus que la diminution du poids serait proportionnellement plus importante que celle de la
surface. »
Questions
1. Montrez que l’observation de Galilée implique que la force F est aussi proportionnelle à la
surface du corps : F = –k’ S V.
2. Démontrez alors la dernière phrase de Galilée. On pourra établir, en la justifiant, la formule
de l’intensité de la vitesse selon la modélisation de Salviati : v =mg/k’S
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