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L’Aristoloche
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Journal instructif et satirique paraissant quand il veut
n°
Rédacteur : Pierre de Laubier – Abonnement : pierredelaubier.e-monsite.com
9 février 2015
« J’ai longtemps cherché le moyen de me faire haïr de mes contemporains. » — LEON BLOY.
D’incontinent à l’autre
L
es philosophes des « lumières » ont passé leur temps à essayer de nous
faire prendre des vessies pour des lanternes. Quoi donc de plus légitime
que de s’intéresser à la vessie des deux plus célèbres d’entre eux ?
T
out oppose Voltaire et Rousseau, et tout
les rapproche ; l’état de leur vessie, par
exemple. Rousseau était incontinent : on
a dit qu’il souffrait du délire de la persécution,
mais pisser dans sa culotte entraîne tant d’inconvénients, pour soi et pour son entourage, que
cela suffit à expliquer son caractère chagrin.
Son style est à l’image de son mal, continuel
écoulement de sentimentalisme, ruissellement
d’images attendries et colorées qui enrobent une
suite ininterrompue de sophismes et de syllogismes.
Cette fonction qui n’était que trop aisée
chez Rousseau se fit toujours plus difficile au fil
des ans chez Voltaire. Cette observation n’est
pas triviale, elle est profonde : le corps et l’esprit
étant intimement liés, il est naturel que nos maladies reflètent la tournure de notre esprit. Ces
deux écrivains contribuent ainsi à réfuter le système de Descartes, non par la puissance de leur
intelligence, mais par les défaillances d’un
humble organe.
Laissons de côté l’incontinent pour nous intéresser à l’autre, dont le Traité sur la tolérance
se vend ces temps-ci comme des petits pains.
On en retient ceci : « Je ne suis pas d’accord
avec ce que vous dites, mais je me battrai
jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le
dire. » Citation apocryphe, mais que ses zélateurs mettent à son crédit. Pour preuve, ce qu’il
dit d’Helvétius : « Je n’ai jamais approuvé ni les
erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu’il
débite », écrit-il, avant d’ajouter : « J’ai pris
hautement son parti. » C’est bien dit : Voltaire
a défendu Helvétius bien qu’il eût tort, mais
parce qu’ils étaient du même parti. Contre ceux
qui ne l’étaient pas, il ne s’interdisait rien, et
surtout pas le mensonge pur et simple. Quel
symbole et quel aveu que la phrase fétiche des
voltairiens soit une invention !
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Voltaire ment comme il respire ; il a même
commencé à mentir neuf mois avant de respirer.
Né un 21 novembre, il prétendit en effet être né
le 20 février précédent, afin de suggérer qu’il
était fils adultérin d’un aristocrate, ce qui est
faux en même temps que peu élégant envers ses
père et mère. Auteur de satires, il ne les signe
pas, mais proclame : « Je me suis imposé la loi
de ne jamais tomber dans ce détestable genre
d’écrire. » Même le fauteuil qui porte son nom
ne fut inventé que quarante ans après sa mort…
parti « philosophique », révéla un de ces plagiats. Voltaire écrivit contre lui l’Ane littéraire,
pièce si violente que la femme de Fréron s’évanouit lors de la représentation ! Voltaire y ajouta
le fameux quatrain : « Un serpent mordit Jean
Fréron… Ce fut le serpent qui creva. » Or ce
quatrain était lui-même un plagiat !
Pour les questions d’argent, c’est le mensonge par omission qui est de mise ; paraître
trop riche (et il l’est) compromettrait les pensions qu’il se fait servir... Mais Voltaire spécule.
Commerce des esclaves, trafic des grains en
temps de disette, tout lui va. A Londres, il présente une lettre de change à un banquier du nom
de Mendès. Celui-ci fait faillite ; ça arrive. Mais
pourquoi Voltaire invente-il avoir été victime
d’un second banquier juif, nommé Médina, dont
il n’existe aucune trace ? Pour camoufler l’origine obscure et la destination inconnue des
fonds escamotés, ou pour étoffer sa contribution, déjà notable, à la littérature antisémite ? A
Berlin, il spécule sur les bons de guerre, prenant
pour homme de paille un certain Herschel. L’affaire tourne mal et, pour se renflouer, il achète à
son compère des bijoux qui se révèlent faux. Le
roi de Prusse commenta ainsi l’affaire : « Un fripon qui veut tromper un filou. »
Menteur comme un diable
Dans le Traité sur la tolérance, il prend
parti sans la moindre preuve, ce qui ne l’empêche pas de qualifier ce qui est (peut-être) une
erreur judiciaire de « meurtre ». Il affirme que
Calas a « soixante-huit ans », mais il n’en a que
soixante-trois. Et ainsi de suite : tout ce qui est
vérifiable est faux. Mais laissons-lui la parole :
« Le mensonge n’est un vice que quand il fait
mal. C’est une très grande vertu quand il fait du
bien. Il faut mentir comme un diable, non pas
timidement, non pas pour un temps, mais hardiment, et toujours. »
Voltaire feint d’ignorer que Calas fut condamné pour meurtre (et aucun autre crime) en
vertu de lois civiles, par le parlement de Toulouse, juridiction civile, et en dépit de l’intervention en sa faveur des autorités religieuses.
Les parlements, loin d’être des temples du « fanatisme », étaient au contraire les forteresses du
jansénisme et du gallicanisme, dont Voltaire
s’était fait des alliés dans son combat contre les
jésuites. Calas fut exécuté en 1762 ; les jésuites
furent expulsés en 1763. Loin de se « battre
jusqu’à la mort » pour ses compatriotes exilés,
Voltaire s’écria : « La partie est gagnée ! »
Le mensonge sied (peut-être) à la satire et
au pamphlet, mais Voltaire le pratiqua aussi
comme historien. C’est lui qui a inventé que le
fameux prisonnier au masque de fer était le frère
jumeau du roi. Cet homme qui fréquenta les
cours de France, d’Angleterre et de Prusse, et
fut pensionné de chacune d’elles, ignorait-il
donc que les reines accouchent en public ?
Voltaire se voulait poète ; or la poésie se
prête mal au mensonge. Une solution existe : le
plagiat, art dans lequel il était reconnu depuis sa
jeunesse. Fréron, auteur de l’Année littéraire et
défenseur de tous les talents, même étrangers au
Voltaire vécut quatre-vingt-deux ans, âge
étonnamment avancé pour un homme prêt à « se
battre jusqu’à la mort »… Il faut comprendre :
jusqu’à la mort… naturelle, si on peut considérer comme naturel un concubinage incestueux
avec sa propre nièce. Pour se payer d’avoir réchauffé la prostate usée de son oncle édenté,
celle-ci le séquestra pour s’assurer de l’héritage.
La promotion de l’école nationale d’administration qui colonise en ce moment le gouvernement et ses filiales porte le nom du grand
homme. Mieux qu’un programme : une recette
pour faire carrière. La promotion de cette année
a choisi le nom d’Orwell. Une ère nouvelle
s’annonce pour le règne du mensonge.
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