Julien Lauprêtre

Transcription

Julien Lauprêtre
à bâtons rompus avec…
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 911 - septembre 2016
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Julien Lauprêtre, président du Secours populaire français, rencontré dans son bureau rue Froissart, à Paris.
Précisément, les pays d’Europe, dont les
politiques ne sont pas étrangères à ces
drames, ont une curieuse façon de les
accueillir ?
A ce propos, comment ne pas évoquer ces
hommes admirables de la « Main d’œuvre
Immigrée », dont les plus ­célèbres d’entre
eux, le groupe Manouchian ? Ces étrangers sont morts pour la France, ­entrés en
Résistance face aux occupants nazis. La
propagande nazie a voulu salir leur histoire glorieuse par la publication de l’affiche rouge. Cette affiche est devenue une
arme contre l’occupant, gagnant les gens
à l’idée de la Résistance dans les villes,
dans les maquis ! Nous ne l’oublions pas.
C’est ce que nous faisons au Secours populaire français pour développer, en France
comme partout dans le monde, la solidarité de nos compatriotes avec les réfugiés. Dans le même temps, nous appelons
les réfugiés à défendre leurs droits et à
multiplier les initiatives pour apprendre
le français et participer, dans la mesure
de leurs moyens, aux actions morales,
culturelles, matérielles de la solidarité.
Nous les appelons à prendre leur place
dans le grand combat pour l’humanité
avec ce grand mot d’ordre de notre association : « ­mondialisons la solidarité ».
Vous avez été arrêté à 17 ans. Dans quelles
circonstances ?
Mon père était syndicaliste cheminot. Il
était parti dans la clandestinité dès l’interdiction de la CGT et du Parti communiste en 1939. J’avais 13 ans. A 16 ans, avec
deux copains de mon école du 12e arrondissement de Paris, nous avions formé un
groupe de jeunes résistants que nous avions appelé « Les dynamiques brothers ».
Nous faisions des tracts, des inscriptions
à la craie sur les murs, on détournait les
panneaux signalétiques pour que les militaires nazis se trompent de chemin, on
enlevait les barrières qui empêchaient l’accès des français aux trottoirs de la caserne
de Reuilly, où se trouvait la kommandantur… A cette époque, heureusement, je
courais très vite, mais les trottoirs sont à
tout le monde ! J’ai ensuite rejoint le mouvement clandestin des Jeunesses communistes, participant à des actions bien mieux
organisées comme des lancers de tracts
à vélo, des prises de paroles dans les cinémas pour appeler à la Résistance et les
premiers sabotages de camions allemands.
Malheureusement, le 20 novembre 1943,
j’avais un peu plus de 17 ans, les Brigades
spéciales, formées à l’époque par les flics
français pour livrer les résistants à l’occupant nazi sont arrivées chez moi. J’étais
avec ma mère, gravement malade. Mais
ce soir-là, elle s’est retrouvée toute seule,
mon père étant recherché par la police. Ma
première expérience, dans les salles d’arrêt et de torture des Brigades spéciales, a
été de croiser pendant huit jours et huit
nuits, la vie de tous ces héros du groupe
Manouchian. Je n’ai appris qu’une fois libéré, par les affiches qui avaient été publiées, qui ils avaient été. Il faut dénoncer
toutes les idées xénophobes, antisémites,
actuelles, et raviver le souvenir de tous ces
étrangers, morts pour la France.
L’Abbé Pierre disait que la seule guerre
qui vaille était la guerre contre la misère.
Vous êtes donc resté en Résistance ?
Après la Libération, ma trajectoire n’a
pas changé. Depuis 1954, dans toutes mes
actions au Secours populaire ­f rançais, j’ai
© SPF
Quel lien faites-vous entre votre
engagement dans la Résistance, la raison
d’être du Secours populaire français et
l’actualité de l’aide aux réfugiés ?
Le programme du Conseil national de
la Résistance a été pensé et formulé par
des hommes courageux. Ignorant s’ils
n’allaient pas être arrêtés le lendemain,
torturés, déportés ou fusillés, ils ont intitulé ce programme Les jours heureux.
La première colonie de vacances après
l’occupation visait à donner le goût des
jours heureux à des enfants de déportés,
de fusillés. Aujourd’hui, dans des conditions fort différentes, il n’empêche qu’au
Secours populaire français, nous travaillons au quotidien justement : « pour des
jours heureux ». Or, en ce 80 e anniversaire de la loi sur les congés payés, un
français sur deux et un gosse sur trois
ne partent pas en vacances. Les 80 000
bénévoles de l’association s’activent pour
permettre le départ en vacances d’enfants, de jeunes, de familles pour qu’ils
vivent « des jours heureux ». Ce n’est pas
seulement un beau slogan. Quand ils reviennent de vacances, ils n’ont qu’un objectif, y retourner l’année suivante pour
connaître à nouveau des jours heureux.
Une famille, que nous avions envoyée en
vacances, nous disait : « on vivait mieux,
on mangeait mieux, nous étions dans un
logement convenable. Maintenant, nous
allons nous battre pour sortir de notre
taudis ! » C’est la leçon donnée à ces milliers de personnes qui vont demander
de l’aide au Secours populaire français.
Nous ne leur demandons pas seulement
de nous dire merci, nous en sommes très
heureux, mais nous leur demandons : « et
vous, personnellement, que pouvez-vous
faire pour vous en sortir, refuser l’assis­
tanat et la charité, et participer à votre
tour à la solidarité indispensable à notre
époque ? Et c’est là, le lien direct avec l’es­
poir développé par les courageux combat­
tants de la Résistance ». Personnellement,
j’ai été arrêté à 17 ans. Nous travaillons
avec ceux qui doivent développer la résistance de notre époque et contribuer,
par la solidarité, à se sortir individuellement et tous ensemble, des impasses de
la misère pour dire à leur tour : « tout ce
qui est humain est nôtre ». Ce n’est pas
seulement un slogan. C’est la volonté
de peser sur les évènements, y compris
ceux que vivent personnellement les familles qui veulent s’en sortir. L’idée de
la solidarité sans frontières s’applique
aussi bien aux enfants, aux familles françaises qu’à ceux et celles qui vivent les
terribles drames de notre époque, avec
leurs conséquences, ces flots de réfugiés.
Julien Lauprêtre
à l’esprit ce que m’avait dit Manouchian :
« Toi, petit, tu vas t’en sortir. Moi, je
vais être fusillé. Il faudra continuer le
combat pour une société de justice, de
­f raternité ! »
Travailler pour la justice, la fraternité,
rendre les gens heureux, les aider à trouver la force de faire quelque chose pour
s’en sortir et participer à la solidarité
est un puissant rempart, face à ce qui
se passe actuellement. L’antisémitisme,
la xénophobie, l’égoïsme n’existent pas
seulement en France ; on les retrouve en
Autriche, en Angleterre, en Hongrie !
La lettre « s » arrive loin dans l’alphabet, mais la solidarité répond à un problème sociétal présent au premier rang.
Achetez une baguette pour vous, et en
même temps une autre, que votre boulanger donnera gratuitement à quelqu’un
qui a faim. Des restaurateurs donnent
des places au Secours populaire ­f rançais
pour que les gens sans ressources puissent
venir manger chez eux un repas complet. Des habitants parrainent des enfants et des familles pour les vacances,
pour les études. De la part des enfants et
des adultes de toutes générations, nous
avons constaté un élan de solidarité extraordinaire, au moment des inondations en France. En même temps que se
développe toute cette violence dans les
idées et dans les actes, les gens, toutes
générations confondues, manifestent
de plus en plus fortement leur solidarité. Notre expérience se traduit par
un travail d’éducation populaire, associé à tout le mouvement « Copains du
monde ». En France et dans le monde, les
« Copains du monde » sont des enfants
qui agissent ensemble pour construire
un monde de paix. Il existe une centaine
de clubs « Copains du monde » en France,
d’autres existent au Salvador, au Maroc,
en Côte d’Ivoire… Les villages « Copains
du monde » sont des lieux où tous peuvent
se retrouver, apprendre, partager. Des
lieux où construire les s­ olidarités du XXIe
siècle. J’ai participé à l’inauguration du
dernier village « Copains du Monde » à
Jezzine, au Sud Liban, le mois dernier :
un village de ­vacances pérenne, où promouvoir la paix avec des enfants de tous
pays. L’objectif est de favoriser partout
des échanges entre des enfants venus de
tous les horizons, se rencontrer par le partage d’activités sportives, par le théâtre,
le chant, la cuisine, le cirque, l’éducation
à l’environnement. Actuellement, nous
avons 25 villages « Copains du Monde »
en France et à l’étranger. Cet été, ils ont
accueilli plus de 500 enfants de 50 nationalités différentes. Des gamins qui ont
appris à s’aimer plus qu’à haïr, à se rencontrer plus qu’à se fuir. Tout cela représente une sacrée force pour lutter contre
les recruteurs du Djihad. La solidarité,
c’est l’idée même d’une réciprocité entre
celui qui donne et celui qui reçoit. C’est
aussi la construction d’un engagement.
Le logo du Secours populaire français
le montre bien : une main tendue, ailée
aux couleurs de la France républicaine
et citoyenne. Un logo vivant, actif, présent, qui nous différencie d’emblée des
œuvres de charité, porté par la diversité
de nos initiatives, toutes complémentaires.
Par nos actes, nous créons les conditions d’une nouvelle résistance à tous les
maux fabriqués par nos sociétés : la violence, la faim, la pauvreté. Je pense à ce
message de Nelson Mandela : «  ­personne
ne naît en haïssant une autre personne
à cause de la couleur de sa peau ou de
son passé ou de sa religion. Les gens ap­
prennent à haïr. S’ils peuvent apprendre à
haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer,
car l’amour naît plus naturellement dans
le cœur de l’homme que son contraire. »
Propos recueillis par Hélène Amblard

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