Erich Grote, officier allemand en service Ploemeur du printemps
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Erich Grote, officier allemand en service Ploemeur du printemps
L’occupation allemande, les restrictions Entretien avec André Le Coguic, fils d’agriculteur « empoché » au Bourgneuf à Keryado. Propos recueillis par Catherine Guyon en 2005 J’ai vu l’arrivée des Allemands par la rue de Verdun. Personne n’y croyait car la radio annonçait qu’ils étaient à Rennes mais ils étaient bien là. Les gens étaient nombreux à les regarder entrer. Au départ, il n’y avait que quelques éléments puis vers 17-18h, ils sont arrivés en masse. […] Ils se sont installés en ville et on a vu des colonnes de prisonniers français. Chez nous, ils ont sorti les vaches pour installer leurs chevaux dans les étables. La maison n’a pas été réquisitionnée en permanence mais parfois ils réquisitionnaient une ou deux pièces pour des soldats de passage. Les rapports étaient relativement bons avec la troupe. La situation s’est détériorée petit à petit. Les Allemands raflaient tout. Nous avions une ferme de 12-13 hectares avec 12 à 15 vaches et 2 à 3 chevaux. Les bombardements étaient permanents mais nous n’avons jamais eu de dégâts sur la maison. Quand il y a eu les grands bombardements de 43 sur Lorient, mon père a expédié les meubles à Plouray. Pour les animaux, il fallait présenter les bêtes et les Allemands prenaient leur part mais ils ne prenaient pas les vieux chevaux. Alors comme chez moi, il y avait un vieux cheval, on le prêtait aux autres paysans pour qu’on ne leur prenne pas leurs bêtes. Pour les vaches, on a eu de moins en moins de bêtes au fil des années de guerre, à chaque fois que les Allemands venaient prendre une vache, ils étaient assez compréhensifs et prenaient une vieille vache qui ne donnait plus de lait. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Extraits des Mémoires de Lucien Houé « J’ai vécu et vu tout cela, journal de Guerre 19381948, Histoire et mémoire n°1, Archives municipales de Lorient, 2009 Ce dont, personnellement, j’ai le plus souffert pendant toute la durée de la guerre et quelques années après, c’est du manque de savon. Nous avions une attribution d’une savonnette faite de plâtre, dure comme un caillou. On avait l’impression de se passer une pierre ponce sur le visage et sur le corps. Là encore, il fallait se débrouiller, et beaucoup de gens fabriquaient eux-mêmes leur savon. Ce n’était pas très compliqué quand on avait ce qu’il fallait, c’est-à-dire : de la graisse, de la résine, de la soude caustique. Il fallait faire bouillir, à feu doux dans un grand récipient, tous ces ingrédients, pendant deux heures, en ayant soin de remuer ce mélange sans arrêt. J’avais récupéré un bac de zinc qui avait servi de caisse à munitions, et, dans ce bac mesurant environ 60 centimètres de longueur, 20 centimètres de largeur et 15 centimètres de profondeur, on versait cette mixture bouillante. On laissait reposer quelques jours, puis lorsque le savon, car c’était alors du savon, commençait à durcir, on le découpait en cubes de la grosseur des savons de Marseille d’aujourd’hui. Ces morceaux étaient déposés sur une planche et mis à sécher jusqu’à ce qu’ils deviennent durs, car si on servait alors qu’ils étaient mous, ils s’usaient rapidement. Il fallait attendre environ trois semaines avant qu’ils soient bons à l’usage. Pour avoir de la graisse, je m’arrangeais avec un boucher du côté de la Baule à qui je fournissais régulièrement du papier d’emballage pour la viande qu’il vendait. Ce papier, je le découpais dans des sacs de ciment, vides, récupérés sur les chantiers. A cette époque, les sacs de ciment étaient composés de quatre épaisseurs de papier. Il suffisait de prélever les deux épaisseurs du milieu pour avoir des feuilles propres. La résine, la soude caustique, étaient échangées en droguerie contre du beurre, de la farine, du gasoil. C’était surtout à Nantes que nous en trouvions. […] 1 -------------------------------------------------------------------------Les bombardements Yvette Cadet née Bardouil ( « Une petite fille dans la guerre », récit publié en 1996 ) : Nuit du 26 au 27 septembre 1940 à Lorient Pour la première fois, à Lorient, la sirène hurle … trois fois ! … Vite, mes sœurs et moi sommes sorties du lit. Déjà on entend le vrombissement des avions et le bruit assourdissant de la mitraille. Il faut faire vite et partir dans la cave de la Coopérative, rue de la Ville-en-Bois. Tout était convenu comme cela avec mes parents. […] Nous rasons les murs en file indienne jusqu’à l’abri, ma petite soeur de trois ans dans les bras de Maman. Madame Bronnec et ses enfants nous attendent, inquiets, et nous font descendre dans la cave. […] Ma tante Françoise nous rejoint. Nous sommes onze dans cet abri. Çà canarde dur dehors, chacun de nous a peur mais on se tait. Papa et Auguste Bronnec vont de temps en temps dans le jardin se rendre compte de ce qui se passe. […] Les explosions sont très près de nous… Les parents sont sur le qui-vive, on le sent bien, nous les enfants. Une explosion plus forte que les autres nous donne une frayeur intense. Mon père et Auguste sortent à nouveau, mais très vite je les vois revenir. La lumière s’était éteinte dans la cave mais mon père tient devant lui une lampe-torche. Je n’oublierai jamais son regard, ses yeux qui cherchent ceux de Maman, et sa pâleur. Dans un nuage de poussière, notre maison, à quelques centaines de mètres de notre abri, venait d’être anéantie. […] Un grand bruit de cavalcade (je l’ai encore, à soixante deux ans, dans les oreilles), des hurlements de douleur, des cris en allemand. Tout cela se passait dans la rue. En même temps, rentrait dans la cave une odeur de cendre et de poussière indescriptible mais que je sens encore aujourd’hui. Un officier allemand, […] fait irruption dans la cave par le trou que la déflagration de la bombe avait fait. […] Il allait, à l’aide de sa lampe, nous faire découvrir l’ampleur de notre peine. Maman était morte ou gravement touchée. Ma petite sœur ?… On ne savait pas non plus. Ma tante Françoise, elle, était bien morte. Je la vois, assise sur une chaise, les mains jointes. Elle devait prier tandis que les bombes pleuvaient. Elle avait une tache de sang sur la joue droite, et, en passant devant elle, je la secouai en la suppliant de me parler. Elle était bien morte, hélas ! et ma petite sœur aussi, je l’ai bien compris après. … …Là s’arrête mon enfance ! …..Papa nous dit que Maman avait été amenée à Maritime, mais que parmi les Allemands il y avait eu tant de victimes, morts ou blessés, que les civils, ils n’en voulaient pas. Aussi Maman avait-elle été dirigée vers Bodélio, vivante, mais dans un coma profond. Combien de temps sommes-nous restés sur les ruines ? Partout autour de nous çà fumait, les gens étaient atterrés. Et là, juste près de nous, horreur, un paquet avec une main coupée dont un doigt tenait la ficelle. […] Une voisine, madame le Luhandre, nous fit entrer chez elle. Sa maison n’avait pas été touchée. Pourtant le quartier n’était que ruines. […] Les gens fuyaient, emportant je ne sais où quelques affaires sorties des décombres. ….Où aller ? … […].Nous n’avions plus rien. Mon père ne possédait en tout et pour tout que le pantalon et la chemise qu’il portait lors du bombardement. Ma sœur et moi étions en pyjama. C’est en pyjama, du reste, que nos voisins nous ont fait traverser la ville pour trouver refuge rue Paul Bert. […] ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Témoignage de Mme Calloch, Spécial Cahiers du Faouëdic, n°5 21 Octobre 1942 Je travaillais au Port de Pêche, aux Ets LABIE qui géraient les magasins de quatre mareyeurs réfugiés de Dieppe. Le 21 octobre 1942, vers 13h55, en sortant de la Poste. […] J’entendis un bruit 2 énorme d’explosion que j’attribuai à une mine […]. Le bruit devenait de plus en plus intense, tout tremblait, et je me dis : « Ca y est ! C’est le débarquement » ! Si attendu et espéré. […] Je partis en courant vers le magasin, sous les morceaux de verre qui tombaient de la couverture de la criée. En arrivant au magasin, les employées apeurées me crièrent : « Jeanne, sauvez-nous ! – Oh, je ne suis pas Jeanne d’Arc et je ne peux pas repousser les bombes avec mon petit doigt ! – Non, mais ouvrez la porte ! ». Cette porte était celle donnant côté quai SNCF et que l’on fermait au cadenas dont j’avais la clef. Je prie celle-ci et passai par le magasin voisin ; en ouvrant la porte coulissante de celui-ci, je vis une bombe arriver droit sur les ateliers LE PAGE sis juste en face de nous. Elle devait être, à cet instant, à environ 10m. du toit de chez LE PAGE (je sus, près de 50 plus tard, qu’elle n’avait pas explosée et qu’on la fit sauter un peu après). Je refermai donc la porte « en vitesse » et courus dans notre magasin en criant : « Tout le monde au frigo ! ». (C’était un emplacement en béton ou ciment à l’intérieur du magasin, où étaient entreposées les caisses de poissons, glacées, prêtes à l’expédition). Puis je leur dis « Que celles qui sont croyantes disent leurs prières, parce que… ! ». Toutes tombèrent à genoux et nous récitâmes un acte de contrition ; tout cela sous le vacarme et en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Au bout de X temps, ce fut le silence, brutal. Nous sortîmes alors sous la criée et en voyant une fumée épaisse et noire s’élever au-dessus de la base, nous nous mîmes à rire en disant : « ça y est ! Les sous-marins sont touchés ! » […] Quelques minutes après nous sommes sorties sur le quai SNCF et avons vu arriver des gens […], plus ou moins hagards, qui couraient ou allaient vite en direction de la cale pour Locmiquélic. Parmi eux, un jeune garçon d’un peu plus de 14 ans, dont une oreille saignait l’air complètement affolé. C’était le neveu d’une des employées : « qu’est-ce que t’as Mabic ? Je sais pas ; c’est effroyable là-bas ! Je veux plus travailler, j’irai jamais plus ! Et il partit en courant pour rentrer chez lui à Riantec. Le 18 novembre 42, à peu près à la même heure, il était tué sur le « slip » lors du bombardement américain qui fit plusieurs victimes à Keroman, rue Brizeux. […] -----------------------------------------------------------------------------------------------------------Souvenirs de lycéen de Jacques Ilias, extraits de l’ouvrage Raids aériens sur la Bretagne durant la Seconde Guerre Mondiale, tome 1, Roland Bohn, 1997 18 Novembre 1942 Cette attaque, aussi soudaine que les précédentes, sans signal d’alerte, a eu lieu en fin de matinée de ce Mercredi. Les explosions de bombes qui semblent très proches nous arrachent à notre cours et nous dévalons les 4 étages du bâtiment, longeant les murs, pour nous rendre sans panique jusqu’aux caves sommairement aménagées et étayées où nous arrivons les derniers. […] La fin d’alerte retentit et une fois nos affaires personnelles récupérées, nous prenons le chemin de la maison. Nous croisons des véhicules de secours qui, venant de Keroman, se dirigent vers les Hôpitaux maritime et Bodélio. Nous en déduisons que la Base a été l’objectif des alliés. Nous apprenons aussi qu’un immeuble abritant des bureaux de l’Organisation Todt a été en partie détruit rue Brizeux à proximité du Boulevard de la Rade. Nous nous y rendons et constatons les dégâts important qu’a subi cet immeuble totalement en ruine, le parc entourant est bouleversé par les cratères de bombes. Un camarade des grandes classes de notre Lycée, volontaire de la Défense passive sort justement sur une remorque porte-brancard le cadavre d’une femme que les secouristes viennent d’extraire des décombres. […] Le lendemain, en arrivant au Lycée, nous apprenons par le Surveillant général que les cours sont interrompus pour une durée indéterminée. […] -------------------------------------------------------------------------------------------------------------Transcription d’une interview de Georgette Pouleriguen réalisée en 2001 à l’occasion de l’exposition Lorient 1 ville, 1000 visages, 100 ans de photographies J’allais à l’école, la petite école Sainte Anne. Je me souviens de bombardements pendant que j’étais à l’école. Je me souviens que dans la classe, on s’est précipité comme des petits poulets, vous 3 savez, les uns par-dessus les autres, tellement on avait peur de tout ce qui pouvait se passer. …L’école a dû fermer peu de temps après. On habitait au 3e étage rue de Merville, je venais juste d’avoir 6 ans. J’avais eu tellement peur. J’avais l’habitude de voir les bombardements. On descendait à la cave, on mettait une paire de chaussettes, une couverture. Et puis on commençait à trembler là-dessous. On tremblait comme des bouteilles. On était assez nombreux. Quand on est remonté au 3e, il y avait cette vue sur tout l’ensemble de Lorient, on voyait toutes les églises qui brûlaient, les gens qui hurlaient et mon père revenant de captivité et disant à ma mère « c’est pas possible, on ne peut pas la laisser ici, ça va continuer. » -------------------------------------------------------------------------------------------------------------Récit d’un aviateur de la Royal Air Force, Gordon Carter (Spécial Cahiers du Faouëdic, n°5) Zéro – 4 un 13 janvier Nous décollâmes à 18h20, le 13 février 1943, de la base de Graveley dans le Cambridgeshire, en direction du sud-ouest – Bombardier quadri-moteur Halifax, immatriculé TLB, du 35 Squadron (groupe) de la Pathfinder Force, l’unité chargée de repérer l’objectif et de le « marquer » pour la Main Force, les effectifs porteurs de bombes qui suivaient dans son sillage, soit la plupart des 466 avions engagés ce soir–là. Les 3 000 mètres atteints, nous traversâmes la Manche dans l’obscurité, […] et franchîmes la côte bretonne aux environs de Paimpol ; [...] Pas d’activité ennemie sur notre route[…] Les projecteurs de la défense anti-aérienne de Lorient balayaient le ciel bien avant notre arrivée sur les lieux, car l’offensive combinée de la RAF de nuit et des forteresses volantes de l’US Air Force de jour se poursuivait depuis un bon mois. […] […] La marche à suivre en approchant de l’objectif voulait que les tout premiers avions de la Pathfinder Force lancent à zéro–6 (zéro heure moins six minutes) des fusées qui éclairaient le sol comme en plein jour, permettant aux marqueurs dont nous étions, de placer à zéro-4 des cascades d’incendiaires aux couleurs vives sur le point de visée, en l’occurrence le port de Keroman. Le Blavet, qui brillait faiblement au clair d’une pâle lune, nous guida vers l’objectif, qui se détachait bien à la lueur des fusées. Ayant aligné l’avion sur la cible, le pilote passait le commandement au navigateurbombardier que j’étais, afin qu’il dicte au pilote les toutes dernières manœuvres avant de larguer la charge : ouverture de la soute à bombes, suivi de : « steady, steady… left… left… steady… bombs one » (fixe, fixe… gauche… gauche… fixe… bombes larguées), dans notre cas, quatre containers d’incendiaires vertes accompagnées de trois bombes de 450 kilos. Ce trajet parfaitement rectiligne, à part les retouches de quelques degrés à gauche ou à droite, s’effectuait dans un violent éblouissement de projecteurs de la D.C.A. et entouré d’explosions sourdes de la D.C.A. lourde et de rubans de balles traçantes qui serpentaient vers nous… cap que nous devions tenir jusqu’à ce que notre charge éclate au sol, afin que l’appareil photo du bord capte le point précis que nous avions touché. C’est à cet instant même qu’une brutale secousse se fit sentir – un obus de 88 mm sûrement – et que nous vîmes, ce que tout aviateur redoute le plus, le moteur interne gauche en feu. Notre pilote, un Canadien du nom de Thommy Thomas, enclencha l’extincteur, plongea plus vira sur l’aile pour à la fois chercher à étouffer l’incendie et regagner le nord, dans l’espoir bien mince de s’en tirer. Mais rien n’y fit et nous attendions dans l’angoisse qu’il nous intime l’ordre de sauter. C’est au-dessus de Landeleau que Tommy se décida enfin à ordonner : « bail bail out, bail out » (« sautez ! »). […], ouverture de la trappe sous mes pieds, accrochage du parachute […] arrachage du casque […], puis assis face à l’arrière sur le rebord de la trappe béante, les jambes pendant dans le vide, une main sur la poignée du parachute, […] en proie à une peur d’un autre âge devant l’imminence de disparaître dans ce gouffre noir… et soudain, emporté par l’appel d’air, la queue de l’avion entr’aperçue, la poignée du parachute arrachée, la secousse déchirante du parachute qui s’ouvre… puis plus rien qu’un léger balancement et un silence absolu. Il était 9h du soir, j’avais dix-neuf ans. ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 4 Extraits des Mémoires de Lucien Houé « J’ai vécu et vu tout cela, journal de Guerre 19381948, Histoire et mémoire n°1, Archives municipales de Lorient, 2009 Le 13 janvier au soir […] les sirènes se mirent à hurler. […] … Tout de suite, les avions survolaient la ville en lâchant pour la première fois des bombes incendiaires. Il en tombait partout, malgré la D.C.A. L’électricité était coupée, et ce fut à la lueur des bougies que nous nous sommes unis autour de la table pour prier. Ma tante égrenait son chapelet et nous récitions tous, avec beaucoup de ferveur, la prière implorant la sainte vierge de nous protéger. Cependant, j’étais inquiet pour ma mère et pour la maison. Malgré les supplications de ma tante qui voulait me garder chez elle, je partis sous ce bombardement infernal, en courant à travers la prairie. […] […] J’arrivai à la maison où tout le monde était sens dessus dessous. Mon frère Jean se trouvait là. Il était venu rendre visite à notre mère. Il me dit : « Regarde : L’hôpital Bodélio brûle ! » Or, au sanatorium de Bodélio … se trouvait notre sœur Odette. Malgré la pluie de bombes […] qui éclairait le ciel comme en plein jour, d’une lumière éblouissante comparable au flash de la photo, nous sommes partis, Jean et moi, dans l’espoir de récupérer Odette et de la ramener à la maison. Quelle pagaille à l’hôpital ! Des gens couraient partout, le grand bâtiment brûlait d’un bout à l’autre. Malgré nos recherches, pendant deux heures au moins, nous n’avons pas trouvé notre sœur. (Le lendemain elle reviendra à la maison après avoir été évacuée dans la soirée à Caudan.) […] Il était environ onze heures du soir quand je suis rentré traumatisé par cet incendie. Hélas ! Ce n’était pas fini, et pendant un mois, chaque soir, à la même heure, l’alerte était donnée. Les sirènes faisaient entendre un son lugubre qui vous glaçait la moelle des os. Les gens prirent très vite l’habitude de préparer et d’avoir à portée de la main, un sac contenant l’argent, les papiers, les bijoux pour ceux qui en possédaient, et dès les premiers hurlements des sirènes, ils se précipitaient vers les abris. […] L’évacuation vers ces abris était obligatoire. Les préposés à la défense passive y veillaient. Les lumières devaient impérativement être éteintes et le retour aux maisons, quand elles existaient encore, ne pouvait se faire que lorsque la fin de l’alerte sonnait. Quant à nous, nous venions au blockhaus qui se trouve toujours dans la propriété de St Jo, en face de la menuiserie. Nous traversions la cour de la ferme pour aboutir à ce blockhaus qui était, alors, presque enfoui dans la terre. Les gens de Kerfichant venaient nous rejoindre avec leurs sacs et objets précieux. Chaque bombe faisait sursauter l’ensemble des gens qui tremblaient à la pensée qu’une bombe explosive pourrait éclater à l’entrée du blockhaus. […] […] Un soir où le bombardement était particulièrement violent. […] Nous sommes montés au grenier, munis chacun d’une pelle creuse : chaque fois qu’une bombe traversait le toit pour atterrir sur le parquet du grenier, nous les ramassions avec la pelle pour la lancer dans le jardin. Jojo les comptait : Pendant les deux heures du bombardement, nous en avons lancé 72. […] ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------Témoignage de Xavier Allainguillaume, ancien marin pompier (Spécial Cahiers du Faouëdic, n°5) Je me souviens parfaitement de cette triste soirée : nous étions en intervention rue de la Comédie (Rue Auguste Nayel), à peu près à l’intersection de la rue Paul Bert, avec une moto-pompe de 30m³ en aspiration dans le bassin à flot. Soudain le mugissement des sirènes se fit entendre ; le temps de ranger la moto-pompe et déjà la D.C.A. donnait de la voix. Notre équipe se dirigea rapidement, dans l’obscurité totale, vers l’abri situé sous la Place Alsace-Lorraine… Pendant 2h30 ce fut un déluge de fer et de feu qui s’abattit sur la Cité : bombes explosives, bombes incendiaires dont certaines, paraît-il, au phosphore… rien ne lui fut épargné. Le fracas des explosions des bombes se mêlait au vacarme des tirs de la D.C.A. dans un concert assourdissant ; le sol, par 5 moments, semblait vaciller. Quand enfin les sirènes annoncèrent la fin de cette attaque, nous sortîmes de l’abri et là, un spectacle dantesque s’offrit à notre vue. Toutes les maisons de la Place Alsace-Lorraine étaient en feu, comme d’ailleurs celles des rues qui la desservaient : un vaste brasier. Pour rejoindre le bassin à flot, il nous fallut courir en pliant l’échine parmi les débris de toutes sortes, au milieu de la chaussée tant la chaleur était intense. Je crois que ce soir-là, j’ai compris ce qu’était une tempête de feu ! ------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 6 L’évacuation Témoignage du 7 avril 1943 de Paul Fontaine publié dans Les cahiers de l’Iroise, Décembre 1982 […] L'attaque du 14 janvier fut sévère, et pour la première fois des bombes incendiaires mirent le quartier de Merville en flammes. On crut que c'était fini, mais le lendemain ce fut la ville qui devint un brasier. [...] On crut encore cette fois que c'était fini et, de fait, le calme se rétablit pendant quelques jours ; mais, le samedi, attaque de jour des bombardiers américains. En moins de cinq minutes, la Poste est coupée en deux, les Contributions Indirectes sont écrasées, des maisons s'effondrent, deux bombes tombent à moins de quinze mètres de mon usine, soufflent le toit, crèvent les cloisons; l'une de mes dactylos est enfouie sous les décombres. On lutte pour les blessés, puis mon personnel prend la fuite. Je me cramponne à l'affaire, mais le soir, feu d'enfer; je décide de mettre ma famille à l'abri, car la situation devient intenable. Au matin, nous prenons rang dans la colonne et gagnons le manoir de Kerloudan, à 800 mètres de Ploemeur. Nous espérons qu'en pleins champs le risque est nul. Ce fut une erreur. Les bombardements se multiplièrent, et le 29 janvier j'étais incendié. Il y avait tant d'incendies que personne ne s'occupait plus de sauver quoi que ce soit. Le dimanche 7 février, nous étions, de nuit, attaqués à Ploemeur. le bourg est incendié, il éclaire notre manoir comme un projecteur, et nous voyons bientôt les torches incendiaires joncher le terrain autour de nous; le feu est à l'étable, dans la réserve de bois, dans les combles; nous éteignons les torches, délogeons le bétail qui, l'instant d'après, est tué par des bombes explosives; nous avons d'ailleurs eu le sentiment que le manoir s'effondrait. Le raid s'est prolongé trois heures ; ce fut le plus dur ; [...] L'horizon ne formait plus qu'une masse rouge. Au petit jour, nous avons pris la suite dans la caravane pour fuir cette fournaise et aller n'importe où : on fuit parce qu'il n'y a plus d'espoir; il ne reste rien, tout est écrasé, on ne reconnaît plus les rues, elles n'ont plus de façades ni de formes; tout flambe et le seul souci est d'éviter de se faire écraser sous un effondrement. De loin, j'aperçois ma propriété de la rue des Colonies qui flambe et, en gare, j’apprends que celle du Mir est détruite depuis deux jours ; mais il n’est question que de s’éloigner et on nous fourre dans un train qui part aussitôt plein. -------------------------------------------------------------------------Témoignage de Yvette Cagne, ancienne employée municipale au service des réfugiés […] Pour l’évacuation de Lorient, il y a eu deux départements décrétés d’office : la Mayenne et l’Indre-et-Loire. On va là où on vous dit d’aller quand on n’a pas de point de chute. On était mal logés bien sûr mais c’était mieux que chez nous où il n’y avait plus rien. En Seine-et-Marne, le conseil général a voté une motion pour venir au secours des Lorientais, c’était le cœur qui parlait. La Seine-et-Marne le faisait par générosité. Notre marraine à tous était restauratrice à Barbizon, le lieu des peintres, elle tenait un hôtel de réputation national. Elle emballait tout le monde et à la fin du repas, certains dimanche, elle organisait une loterie à l’Américaine comme on disait à l’époque, en faveur des Lorientais qui n’ont rien en mettant une de ses toiles aux enchères. Elle a décroché pas mal de tableaux de chez elle. […] Il y a eu les réfugiés Lorientais et après le rapatriement des prisonniers et des déportés. […] J’ai assisté à des choses terribles, je me rappelle du rapatriement des déportés. On s’occupait de leur hébergement, ils arrivaient à Fontainebleau. Il y avait les équipes de la Croix Rouge qui venaient pour les accueillir et les envoyer dans les hôpitaux militaires. On ne voulait pas les rendre à leurs familles dans l’état où ils étaient, ils se refaisaient une santé. -------------------------------------------------------------------------- 7 La vie dans les ruines Article de Janine Reigner dans le journal « Actu », sans doute un numéro de début décembre 1943 Pendant quelques jours, Lorient, rasée par le feu du ciel, son sol ravagé par d’énormes cratères de bombes, a dormi sous la cendre, aussi morte qu’Ys ensevelie sous l’océan. Mais déjà l’herbe repousse entre les herbes éboulées de ce qui fut demeure, statue ou clocher. Je viens de parcourir Lorient et j’écris ces notes, assise au bord d’un quai de gare. Le train que j’attends pour Quimper ne passera pas. Il y a encore eu un bombardement quelque part… Des femmes couronnées de la coiffe ailée des Lorientaises, des jeunes filles en imperméable et cheveux au vent errent, très lasses, avec des paquets sous le bras qu’elles n’osent poser à terre. Ici pas de salle d’attente ni de consigne. […] Pendant toute la matinée, c’est avec une de ces jeunes filles que je me suis promenée dans ce qu’on n’ose plus appeler une ville. […] Ma camarade est de pure souche lorientaise, fille de capitaine au long cours, petite fille de colonisateurs. […] Elle a été riche et gâtée, mais elle a tout perdu en une heure et, en riant, elle m’annonce qu’il ne lui reste plus que la robe qu’elle porte. -La plus laide, en cotonnade… …Et ses souliers de bois. … -Ici, le Rex, un cinéma ; là, un très riche hôtel particulier ; un peu plus loin, le « Louis XIV », le plus grand café de la ville… Comme il y a du monde, n’est-ce pas ? On ne dirait pas un lieu mort. En effet, à pied ou en carriole, on va et on vient. Des Lorientais réfugiés qui ont obtenu, comme Marie-Thérèse, la permission de fouiller une dernière fois « leurs » ruines personnelles, pressent le pas fiévreusement et rejoignent des ouvriers déversés par le train pour aller travailler au port ou à l’arsenal. -Prenons cette rue… Marie-Thérèse m’entraîne, tout en expliquant : la première fois que je suis revenue, tout de suite après la chose, les rues étaient impraticables ; personne n’aurait osé s’y aventurer, sauf les équipes de sauveteurs. Maintenant, tout est propre… …Notre maison… Ici sont ensevelies ma dot… et ma poupée !… …Cours de La Bôve, où Marie-Thérèse et ses amies retrouvaient leurs flirts – les brillants aspirants en escale avec qui elles dansaient, le soir, chez le vice-amiral – il ne reste plus que les bancs…. Pourtant on a délivré ces dernières semaines deux mille cartes d’alimentation. C’est qu’il existe de nouveau un Lorient, qui s’est reformé sur un point moins touché que les autres. Nous nous acheminons de ce côté-là. C’est un faubourg ouvrier que Marie-Thérèse connaît mal et où des bâtiments sont encore sur pied. Là, aussitôt après, on est revenu. Ceux que nous avons rencontrés nous ont dit qu’ils préfèrent vivre dans leur demeure entamée par le feu que dans celles des autres, fussent-elles entières… …Chaque jour le Secours National fait venir des environs, par le train, le ravitaillement de Lorient. Le jour, Lorient vit comme un clan primitif, ses membres serrés les uns contre les autres ; le soir la ville se vide, les habitants, sauf les rares privilégiés qui y ont leurs maisons, fuient vers la campagne tels des nomades. ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 8 La Poche Erich Grote, officier allemand. Extrait de ses mémoires écrits en 2007. (Traduites et publiées dans les Cahiers du Pays de Ploemeur) Au printemps 1943, je fus affecté […] à la base de sous-marins U-Boot de Lorient. […] J’ai été intégré à la IV. Brigade de DCA marine dont le poste de commandement se trouvait au Ter. J’ai été placé sous les ordres du commandant de la 817e section de DCA marine dont le PC se trouvait au château de Kerloudan. […] A chaque fois que la DCA était mise en alarme – ce qui arrivait fréquemment aussi bien de jour que de nuit – il fallait se dépêcher. J’utilisais donc la bicyclette pour atteindre mon poste au plus vite. Après l’achèvement du bunker de Kerloudan, des abris ont été construits dans des bunkers souterrains aux alentours du Château. L’ensemble de la position fut sécurisé par de vastes réseaux de barbelés et des champs de mines. Après l’invasion anglo-américaine en Normandie en juin 1944 et l’encerclement de la Poche de Lorient, un redéploiement de toutes les forces eut lieu pour assurer la défense. On m’a confié le commandement de la batterie 8/817 ; je devenais simultanément le 1er officier de garde du PC de Kerloudan. Venant de la mer, des avions de reconnaissance ennemis nous survolaient fréquemment et, de la terre, nous étions pris à intervalles réguliers sous le feu de l’artillerie, qui toutefois resta inefficace dans notre secteur. Un évènement triste survint dans le champs de mines. Deux soldats de ma batterie furent grièvement blessés lors de travaux d’entretien par l’explosion d’une mine. Au cours de la formation de la Poche, la précarité des approvisionnements nous a causé bien du souci. La récolte de pommes, de carottes, de betteraves et de choux, dans les environs de Kerloudan, furent pour nous d’une grande utilité. Ce n’est pas seulement la faim qui tourmentait chacun d’entre nous, mais aussi la fatigue morale. Les lignes de communications avec les familles vivant au pays avaient été interrompues. L’état-major ne réussissait que rarement à nous transmettre du courrier par voie aérienne. Parfois, un sous-marin à réussi à parvenir jusque nous. Cela ravitaillait la Poche quelque peu. Une chose me revient en mémoire. Cela concerne mon comptable qui possédait un petit chien. Un jour, ce petit chien gisait au milieu du champ de mines, ensanglanté et hurlant. D’un coup de fusil, je délivrai la petite bête de ses souffrances. Une autre fois, il y eut un message émanant de la sentinelle qui était de service sur une grande tour métallique construite par l’organisation Todt, et qui mesurait environ 10 m de haut. Cette tour se situait entre le bunker et le champ de mines camouflées parmi les arbres et servait à l’observation et à la transmission des ordres. La sentinelle avait aperçu une vache blessée dans le champs de mines. Il fallait faire vite. En respectant le plan du champ de mines, un de mes soldats, boucher de profession, se dirigea vers la vache, la dépeça méticuleusement et apporta les morceaux à la cambuse. Là, on prépara divers rôtis de fête pour la totalité de la compagnie. De plus, on avait mis sur pied à Kerloudan un ensemble musical qui, du commandant au simple soldat, nous divertit et nous redonna le moral à plusieurs reprises. […] ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Entretien avec Ange Coreller, fils d’agriculteur empoché à Kerlivio en Ploemeur. Propos recueillis par Catherine Guyon en 2005 Je travaillais à la ferme. Jusqu’à la fermeture de la Poche, on avait 16 vaches. Les Allemands en ont réquisitionné quinze pour la Poche et aussi un cheval. On n’a pas voulu partir pour conserver nos biens. Ceux qui partaient étaient pillés. Ceux qui étaient partis n’ont rien pu semer et n’ont rien eu en 45. Les informations disaient à la radio que les Américains approchaient. On avait une radio depuis 1933. On a entendu les combats vers Quéven puis plus rien. On a attendu en croyant que les 9 Américains allaient refaire une offensive plus tard, dans la nuit ou le lendemain mais il n’y avait plus de tirs, plus rien,… alors on a compris qu’on ne serait pas libérés. Au moment de la fermeture de la Poche, la moisson était rentrée. On n’avait pas beaucoup de travail du fait qu’il ne restait qu’une vache. On a tout de même semé du blé, arraché des betteraves et rentré des pommes de terre. Les Allemands n’étaient pas à Kerlivio. Il y avait parfois une chambre réquisitionnée pour un sous-officier. Il y avait des batteries à proximité. Les contacts n’étaient pas mauvais avec l’armée allemande. […] Le problème c’était plutôt les Russes. Ils pillaient la nuit. Un Russe a même tué un paysan, un autre a volé une vache,… […] Pour le quotidien, on se débrouillait. On ne manquait pas de nourriture. On fabriquait du « savon mou » avec de la soude et de la graisse. On avait de l’eau à une fontaine. Pour les déplacements, c’était à pied ou à vélo, tant que les vélos ont été en état. Les gens se connaissaient, s’aidaient, passaient un moment ensemble. Il n’y avait rien ou presque à échanger. Des pêcheurs de Groix venaient parfois chercher du cidre ou du blé mais ils payaient en argent, ils n’échangeait pas avec autre chose. On donnait un peu de légumes et de beurre à des gens de la ville qu’on connaissait. On avait réussi à avoir un petit cochon. Planqué dans une cave, on l’a engraissé et abattu. On ne manquait pas de sel et on a donc pu le saler et avoir ainsi de la viande tout le temps. Les gens se voyaient le dimanche à la messe de Keryado. La messe se tenait sous l’église dans une crypte. Une cinquantaine de personnes s’y retrouvait. Il y avait encore des bureaux de la mairie à Ploemeur pour certains papiers, les papiers de ravitaillement par exemple. Toutes les réquisitions faisaient l’objet d’un papier officiel, ce qui a permis d’être indemnisé après la guerre. Les Allemands n’étaient pas bien nourris. Ils mangeaient des choux tous les jours. Beaucoup étaient malades. Malgré les réquisitions, ils avaient peu de ravitaillement vu le nombre qu’ils étaient dans la Poche. A la Libération, on est allé en famille voir les Américains et les Résistants entrer dans Lorient. On a pu racheter des bêtes assez rapidement après la Libération : quinze jours après environ, car avant on n’avait pas le droit de bouger ; On est allés du côté de Pontivy. Les bêtes réquisitionnées par les Allemands étaient parquées à Lann-Bihoué. On a retrouvé notre cheval qui est rentré tout seul à l’écurie quand les bêtes ont été lâchées ! 10 La résistance Témoignage d’Henri Fénies, résistant J’avais 15 ans en 1940 quand j’ai commencé mes premiers sabotages contre le matériel des troupes d’occupation allemandes. J’étais élève à l’Ecole Primaire Supérieure de Lorient. Je menais mes études en section industrielle et en même temps la pratique technique dans un garage lorientais. Avec un camarade nous avions souvent à réparer des autos Citroën réquisitionnées par la Kriegsmarine ou la Wehrmacht. Notre méthode était d’introduire de la limaille d’acier dans la boite de direction… et de bien la refermer ; au bout de quelques jours, il suffisait d’un virage accentué ou pris un peu vite et le véhicule partait dans les décors. Après les bombardements de 1943 et l’évacuation de Lorient, je me suis trouvé « réfugié » au Faouët avec mes parents, mon père ouvrier à l’arsenal, ma mère ménagère. C’est là que j’ai fait la connaissance des résistants du Réseau « Libération Nord » dont le principal responsable était Jean Le Coutaller, alors instituteur, et qui allait devenir mon commandant quand j’ai rallié les FFI. Les parachutages d’armes et de munitions auxquels j’ai pris part m’ont permis d’être armé du fusil anglais Enfield, très sûr ! Et de grenades. Mon chef direct était Pierre Guillaume, autre instituteur ; son jeune frère marc et une douzaine d’autres « Maquisards » formaient notre groupe très déterminé, mobile. Après le débarquement des Alliés le 6 juin 1944 nous avons multiplié les actions capables de gêner au maximum les déplacements des troupes allemandes dès que les consignes, données par radio depuis Londres, nous parvenaient, notamment en coupant des lignes téléphoniques et en sabotant des voies ferrées, et toujours en assurant la réception d’armes et de munitions. Début juillet, avec deux camarades je circulais à l’avant-garde d’une patrouille d’autres FFI, le long de la voie Le Faouët-Gourin du petit train qu’on appelait le « train de patates » car il apportait à Lorient les pommes de terre de cette région. Notre patrouille de treize hommes avance en silence, aux aguets comme d’habitude. Un bruit devant nous, suspect. Chacun se gare et se prépare, puis voilà des casques allemands. Nous leur tombons dessus ; à leur surprise s’ajoute la peur « des Terroristes » ! La lutte est brève, après avoir eu deux blessés dont un Feldwebel ; ils crient « Kamarades » et se rendent, désarmés. -----------------------------------------------------------------------------------------------------------Lettre de Henri Conan, cheminot d’Auray fusillé. Le 30 avril 1942 Ma Chère Anna, Ma Chère petite Jacqueline Mes chéries, ainsi le sort en est jeté. Nous venons d’être avertis que cet après-midi nous serons fusillés. Oui cela sera dur pour vous, vous voilà seules sur la terre, sans beaucoup de ressources et toi ma chère Anna sans beaucoup de santé. Malgré tout, soigne toi bien pour rester le plus longtemps possible avec notre chère enfant, qui aura besoin de tant d’affection. Certes ce coup te sera terrible mais il faut réagir et reprendre le dessus, il ne faut pas te laisser abattre, il faut être forte, tu le dois pour notre chère Jacqueline. Nous venons de refuser les offices d’un prêtre qui nous a été gracieusement offert, c’est dire que je mourrai de la façon dont j’ai mené ma vie, qui je m’en flatte a toujours été honnête et loyale. Ma chère Anna tu n’auras pas à rougir de moi. Quoique je vais mourir de la mort des lâches, tu pourras circuler la tête haute, ton mari n’a jamais été un assassin, un traître, ni seulement u n voleur. J’ai toujours été un brave homme et je m’en flatte. Elève notre chère enfant dans le culte de son père et plus tard, quand elle sera grande tu lui diras pourquoi et comment je suis mort. Cette mort ne me fais pas peur, si elle est la mort des lâches elle est aussi la mort des héros. 11 Ceux qui s’en vont ne sont pas à plaindre. Ce sont ceux qui restent qui sont malheureux. C’est donc pour vous que j’aurai voulu continuer à vivre. Vous avez besoin de douceurs, de joies, d’amour, hélas tout cela va vous manquer. Maintenant parlons un peu de la façon dont je voudrais que Jacqueline soit élevée. Cette petite chérie ! Que je voudrais qu’elle soit l’être idéal que j’ai souvent rêvé ! Qu’elle soit bonne, charitable, qu’elle soit un modèle d’altruisme. Je voudrais aussi qu’elle soit instruite, car je pense qu’elle sera intelligente mais, cela le pourras-tu ? L’instruction n’est pas gratuite quoiqu’on en dise, enfin tout ce que tu feras sera bien fait, j’ai confiance en toi. Ma chérie, mon Anna adorée, parfois je t’ai fais enrager, pardonne moi et sache que ma dernière pensée sera pour toi ainsi que pour notre chère Jacqueline, ainsi d’ailleurs pour tous ceux qui me sont chers. Je termine en vous embrassant bien fort et de tout mon cœur. Votre cher Henri qui embrasse votre photo. Très chers tous (Armand, maman Madeleine et tous ce que j’aimais, tous parents et amis) Je vais mourir certes mais sachez que je serai brave, certes un léger tremblement agite ma main en vous écrivant, mais même ce léger tremblement sera dominé tout à l’heure. A vous Armand et Madeleine revient de droit la tutelle de Jacqueline. Je vous confie donc d’accord avec Anna (je pense que j’ai oublié d’en parler plus haut), mais certainement elle sera d’accord. Je vous confie, je le répète, l’éducation morale de Jacqueline. Je pense qu’avec vous et surtout avec toi mon cher Armand, tu lui fera oublier qu’elle n’a plus de papa. A toi ma chère maman, je te fais une peine de plus. Toi surtout qui ne m’a jamais compris, saches que je meurs pour une cause qui m’est chère entre toutes. J’en suis le seul responsable, n’accuse pas de tierces personnes. Je t’ai fait de la peine, je t’en demande pardon. Je vais terminer en disant que tout ce que je possède (pas grand chose malheureusement) doit aller à ma femme adorée et à ma petite Jacqueline chérie. Je vous embrasse tous de tout mon cœur. Je n’oublie pas monsieur et madame Raude et Georges à qui je souhaite un brillant succès pour son examen. Embrassez bien aussi tous mes amis d’Auray et d’ailleurs ainsi que leur famille. Je vous quitte définitivement en vous assurant que je vous ai toujours aimé. Votre cher Henri 12 La libération et les prisonniers de guerre Entretien avec Charles Carnac, propos recueillis par Catherine Guyon En août 1944, les ordres sont de faire des Allemands prisonniers. Les Allemands refluaient de partout sur Lorient et c’était la panique chez eux. Quand les résistants pouvaient en attraper, ils les donnaient aux Américains qui avaient les moyens de les garder. Au passage, ils leur piquaient des trucs en souvenir (des croix, des insignes…), comme des gosses ! En septembre, la Poche était encerclée. Avant cette date, il y avait des trous dans la ligne de front. La vie au front s’organise par période de 15 jours : 15 jours au front, puis repos de 15 jours en arrière, dans la région entre Brandérion et Languidic. La relève était assurée par des gars des Côtes d’Armor. L’hébergement était assuré par les fermiers. Ils étaient bien accueillis, souvent invités à manger des crêpes. Je me rappelle surtout qu’on était tous sales et qu’ils y avait des poux qui résistaient à tous les lavages et même aux gelées ! […] On avait creusé des tranchées et monté des « gourbis » pour se protéger. Le 1er mai 45 : il a neigé ! On était endurcis par les années de maquis. On rigolait bien… si on avait été mieux habillés, ça aurait été mieux. Pour ce qui est du ravitaillement, il était assuré par les Américains en grande partie. On faisait aussi des échanges avec eux : gnôle contre savon par exemple. -----------------------------------------------------------------------------------------------------------Mémoires du général Fahrmbacher [Wilhelm Fahrmbacher (25e corps d’armée allemand, par interim 84e corps d’armée) Promu commandant supérieur en Bretagne et replié dans la base de Keroman « Les tirs de l’adversaire augmentaient en volume de jour en jour, nous obligeant à nous confiner de plus en plus dans nos abris. Bientôt le printemps s’étendit sur le pays, mais toute la splendeur de la nature ne pouvait nous dissimuler que la fin approchait » […] « On n’avait plus que cinq jours de pain, deux semaines de graisse et à peine deux mois de viande, lorsqu’on se décida, le 7 mai, à entrer en pourparlers pour se rendre aussitôt que possible. On combattait déjà autour de Berlin. Une résistance sur l’Atlantique avait perdu toute signification. Un autre élément nous fit réfléchir : le commandement américain nous disait de proposer une zone où la population pourrait trouver refuge en cas de bombardement massif… » […] ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------Extraits des Mémoires de Lucien Houé « J’ai vécu et vu tout cela, journal de Guerre 19381948, Histoire et mémoire n°1, Archives municipales de Lorient, 2009 Nous avons chargé du matériel au port de pêche. En passant pour y aller, nous avons pu voir, place Jules-Ferry, les prisonniers allemands rassemblés sur cette grande place qui couvrait un hectare. […] Des tentes de fortune avaient été dressées. Heureusement que le temps était beau. Malgré moi j’éprouvais, vis-à-vis de ces hommes qui, pour beaucoup, étaient victimes d’une idéologie, de la pitié. Je me rappelais que, cinq ans plus tôt, je me trouvais dans les mêmes conditions. Ces prisonniers ne sont pas restés longtemps là. Ils ont été conduits dans des camps. […] Au quartier Frébault, ancienne caserne d’artillerie, qui se trouvait au bout du boulevard de Gaulle actuel, côté Larmor, un fort détachement avait été maintenu, car il fallait de la main-d’œuvre pour faire renaître la ville de ses dégâts et de son abandon. […] ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------Erich Grote, officier allemand. Réponse à un questionnaire de Jean-Yves Le Lan en 2007 pour la Société d’Histoire du pays de Ploemeur. […] Au château de Kerloudan cela a commencé de façon très paisible. En présence d’un gendarme français, on a déposé toutes les armes à feu et on s’est rendu au lieu de rassemblement du Ter. Là également, rien de spécial ne s’est passé. On a séparé les officiers des hommes de troupe. 13 Nous, les officiers, sommes partis ensuite pour Ploemeur. Là, on a contrôlé le paquetage que nous avions en notre possession et un commando français nous a encadrés. La destination suivante était le terrain de sports de Lorient. C’est là qu’a commencé notre chemin de croix. Sur le terrain de sports, venant de toutes les directions, se concentraient les soldats allemands faits prisonniers. Des soldats français qu’on pouvait reconnaître à leur brassard passé sur leurs vêtements civils et qui étaient armés de fusils entrèrent en action. Ils surveillaient tout le terrain de sports, donnaient des ordres et disaient comment nous devions nous comporter. On dormit à la belle étoile. Là, il fallait faire terriblement attention. On nous menaçait, on nous tourmentait et on nous volait. Pour la première fois cette pensée me traversa l’esprit, cette question : « Est-ce que les Conventions de Genève ont été abolies ? » Sur le chemin vers les différents camps de prisonniers, des scènes désagréables ont eu lieu. Il est ainsi arrivé qu’en entrant ou en quittant un wagon de marchandises servant au transport des prisonniers, des civils nous ont jeté des pierres ou nous ont battus à coup de ceintures de cuir sans que les soldats nous accompagnant essaient d’éviter ou d’interdire cela. Au début de notre détention, l’état dans lequel nous avons trouvé les camps était très misérable, et la façon dont nous étions traités très inhumaine. Ce n’est que petit à petit que, manifestement, on a cherché à modifier cela. Ceci était de la responsabilité de chaque commandant de camp. Nous souffrions tous de la faim et pas seulement les prisonniers. Par exemple, à ma libération en février 1958, je pesais 45 kg. Les Français souffraient également de la faim. Pour eux les conditions de vie à cette époque n’étaient pas simples. Mais surtout, tous étaient heureux d’avoir survécu. Un nouveau départ était devant nous. Un proverbe dit : on ne guérit qu’avec le temps. Il faut aussi pouvoir pardonner et oublier. […] ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------Maurice Le Bouhart, Lorientais résistant communiste déporté à Buchenwald. Extrait du serment prononcé par les rescapés dans l’enceinte du camp le 13 avril 1945 Nous, les détenus de BUCHENWALD, nous sommes venus, aujourd’hui, pour honorer les 56 000 prisonniers assassinés à Buchenwald et dans les Kommandos extérieurs par les brutes nazies et leurs complices. […] Nous, qui sommes restés en vie et qui sommes des témoins de la bestialité nazie, avons regardé avec une rage impuissante la mort de nos camarades. Si quelque chose nous a aidés à survivre, c’était l’idée que le jour de la justice arrivera. AUJOURD’HUI, NOUS SOMMES LIBRES. Nous remercions les armées alliées, les Américains, les Anglais, les Soviets et toutes les armées de Libération, qui luttent pour la Paix et la vie du monde entier. […] Nous, ceux de Buchenwald, Russes, Français, Polonais, Slovaques et Allemands, Espagnols, Italiens et Autrichiens, Belges et Hollandais, Luxembourgeois, Roumains, Yougoslaves et Hongrois, nous avons lutté en commun contre les S.S., contre les criminels nazis, pour notre libération. Une pensée nous anime : NOTRE CAUSE EST JUSTE. LA VICTOIRE SERA NOTRE. […] L’écrasement définitif du nazisme est notre tâche. Notre idéal est la construction d’un monde nouveau dans la Paix et la Liberté. Nous le devons à nos camarades tués et à leurs familles. Levez vos mains et jurez, pour démontrer que vous êtes prêts à la lutte 14