Au-delà de l`adversité

Transcription

Au-delà de l`adversité
L E
D E V O I R ,
L E
V E N D R E D I
7
A O Û T
B 5
2 0 1 5
W E E K- E N D M U S I Q U E
L A V ITRINE
DU DISQUE
POP-SOUL
AMERICANA
BLOOD
PULLING YOUR SWORD
OUT OF THE DEVIL’S BACK
Lianne La Havas
Warner
Il y a déjà presque quatre ans que l’on a fait la rencontre de la
jeune Anglaise Lianne La Havas, guitare en main en première
partie de Bon Iver. Jadis, on avait bien aimé la pop de la récente protégée de Prince, la jugeant par contre « un brin trop
générique ». Et maintenant ? C’est aussi beau, mais sans vraiment davantage de signature. La Havas, 25 ans, d’origine
gréco-jamaïcaine, n’est pas qu’interprète, et a du goût pour une
musique pop très soul, souvent jouée à la guitare acoustique.
Vocalement, on lui trouve des airs de Beyoncé, mais musicalement, on est plus proche de ce que fait Feist ou même
Solange, la sœur de « Queen B ». Blood, qui aborde entre
autres les thèmes de la famille et du temps qui file, navigue à
travers différentes époques, du son sixties (Unstoppable) à la
pop très 1990 (la basse de Tokyo…). Mais outre quelques
belles audaces comme Grow, La Havas s’embourbe, et ne réussit pas à nous happer pour de bon. Au Corona le 29 septembre.
Philippe Papineau
Brock Zeman
Busted Flat Records
Pour un type de Carleton Place (pas loin d’Ottawa), ce Zeman
a des histoires à grandeur de continent, et plus de sables
bitumineux dans le fond de la gorge que toute l’Alberta : ses
textes coulent en un tel flot qu’on dirait un oléoduc qui fuit.
Mine de rien, c’est le onzième album du rude gaillard, le
troisième à sa propre enseigne : Brock sillonne l’Amérique
depuis une quinzaine d’années avec les Steve Earle, Fred Eaglesmith et son pote guitariste Blair Hogan, ce qui lui fait un
sacré lot d’expériences, qu’il débite en chansons comme autant de chapitres et d’étapes, avec le rythme d’un poète beat,
les inflexions juteuses d’un Dr John, le raclage de vérités pas
nettoyées d’un Tom Waits. À l’aise en folk mi-chanté mi-parlé
(Walking in the Dark) autant qu’en rock rugueux (Sweat),
mais tout aussi capable d’écrire un succès prêt-à-entonner
(Everbody Loves Elvis), en voilà un que la capitale canadienne
n’aura pas fait taire.
Sylvain Cormier
REGGAE-SOUL
CLASSIQUE
WATER FOR YOUR SOUL
MOZART
Joss Stone
Stone’d Records
Concertos nos 20 et 21. Alon
Goldstein (piano), Fine Arts
Quartet. Naxos 8.573398.
Concertos nos 18 et 20. Leonardo
Miucci (piano) et trio. Dynamic
CDS 7723.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR
On savait Joss Stone prompte à des libertés de ton, sa voix puissante passant aisément du funk au pop au R’n’B. Douze ans
après The Soul Sessions, l’Anglaise s’est laissée entraîner en
d’autres rythmes par Damian Marley, le fils de l’autre, rencontré lors de sa collaboration avec le groupe SuperHeavy en 2011.
Vous devinez déjà: son virage est reggae, hip-hop et world, un
glissement plutôt logique sachant son ambition d’«explorer le
langage universel de la musique». Bien que Water for Your Soul
ne fera pas l’histoire, tout aimanté qu’il est par la tangente pop
de Stone, il faut admettre que la chanteuse sait communier
avec les beats africains, le gospel et l’exploration de sons, notamment espagnols. Sur Wake Up, Way Oh et Molly Town, la
frappe acidulée de son reggae convainc. Sur Star et This Ain’t
Love, Stone perd en vitesse et retrouve sa fibre soul, encore intacte malgré cette résurrection hippie post-voyage. À écouter
patiemment avec une oreille diligente, pour les subtilités.
Geneviève Tremblay
Effroyable ? Inaudible ? Comment qualifier le disque hideux publié par Dynamic ? Le sujet est pourtant passionnant : réduire des concertos à la musique de chambre,
pour en faire de la Hausmusik (musique à domicile) à une
époque où le disque n’existait pas. Dynamic et Naxos choisissent des œuvres similaires mais des voies opposées.
Chez Dynamic, dans la transcription de Hummel, les instruments anciens émaciés (un pianoforte sans son) mènent à une archidomination de la flûte, instrument que
Mozart détestait. Il faut en rester à la version Shiraga
(Bis), sur instruments modernes, agréable et nettement
mieux balancée. Par opposition, le CD Naxos est très
réussi, avec, en première mondiale, une mer veilleuse
transcription d’Ignaz Lachner (1807-1895) pour piano, quatuor et contrebasse jouée par de fins musiciens. Plébiscite
pour cette parution !
Christophe Huss
TRAD NORDIQUE
CLASSIQUE
THE SECRET NORTH LIVE
HONEGGER
JEANNE D’ARC
The Secret North
Go’ (Danemark)
Révélés au festival Celtic Connections de Glasgow en 2014,
ces six musiciens de qualité se sont réunis pour composer à
partir des traditions nordiques. Ils viennent d’univers différents et pourtant proches : l’Écosse, l’Irlande, la Suède et le
Danemark. Ils ont fait leur marque au sein de très bons
groupes actuels, dont The Outside Track et Dreamers Circus. Et avec la harpe, le cistre, le violon, la flûte, le bodhrán,
le concertina et le piano, ils ont l’art des dialogues. Ils sont
dans la lignée des traditions nordiques, mais ils s’accordent
la liberté, tout acoustiques qu’ils soient, de construire des
musiques instrumentales progressives à partir de moments
intimes et mélancoliques, de lentes montées et d’attaques
fougueuses. Ils intègrent des passages plus classiques, folk,
improvisés et contemporains. Ils sont très allumés et on peut
écouter des extraits de leur disque à
http://www.cdroots.com/go-0515.html.
Yves Bernard
AU BÛCHER
Marion Cotillard, Xavier Gallais,
Yann Beuron, Orchestre national
de Catalogne, Marc Soustrot.
Alpha 709.
Au moment où Kent Nagano avait programmé Jeanne d’Arc
au bûcher en concert à Montréal, avec Carole Bouquet, totalement à côté de la plaque dans l’un de ses pires rôles, commençait à circuler une vidéo captée à Barcelone sous la direction d’un solide chef de bien moindre réputation, Marc Soustrot. Le Français tient parfaitement les forces catalanes (excellents chœurs), et une distribution vocale très satisfaisante
menée par le grand ténor français Yann Beuron. Le miracle
absolu de cette représentation était l’élément de distribution
qui avait échappé à Montréal : une grande Jeanne d’Arc. Ce
que Marion Cotillard accomplit ce soir de novembre 2012 à
Barcelone est tout simplement ce que l’on nomme l’état de
grâce. Elle est Jeanne. Point. Et la chose est documentée.
Pour en profiter encore davantage, n’hésitez pas à acquérir la
parution en DVD, chez le même éditeur sous la référence
EDV 1857.
Christophe Huss
JAZZ
CLASSIQUE
DAKAR
SCHUMANN
CONCER TO POUR
TRIO OP. 110
John Coltrane
Prestige/RVG
VIOLON.
Isabelle Faust, Jean-Guihen Queyras, Alexander Melnikov, Orchestre baroque de Fribourg, Pablo
Heras-Casado.
Cet album du per fectionniste du saxophone est une rareté. On ne l’a pratiquement jamais vu dans les bacs des
disquaires. En clair, il faut le commander pour obtenir
cette galette qui devrait séduire les amateurs de jazz en
général et ravir les fans de Coltrane en par ticulier. Tout
d’abord, il y a l’architecture sonore choisie par le souffleur de Philadelphie : deux bar ytons et non des moindres puisqu’il s’agit de Pepper Adams et Cecil Payne.
Ensuite ? Ce disque a été enregistré en avril 1957, soit
juste en pleine mutation. Ici, c’est Coltrane au début de
la maturité, soit juste avant qu’il ne complète son apprentissage avec Miles Davis. Celui plus précisément de
Kind of Blue. En d’autres termes, Dakar est d’une
grande impor tance historique.
Serge Truffaut
La violoniste Isabelle Faust, artiste à la grande culture esthétique et stylistique, est l’une des personnalités artistiques
que nous aimons suivre. Ce projet Schumann n’a rien de facile, car il se penche sur le Schumann de la fin, écorché et
psychologiquement tourmenté. Les tensions harmoniques
créées par Faust et Heras-Casado accentuent ces fêlures intérieures quasiment jusqu’à l’insoutenable. Ce n’est pas « aimable » (le Concerto pour violon de Schumann l’a-t-il jamais
été ?) mais c’est véridique. Le choix de l’Orchestre baroque
de Fribourg, qui n’enrobe rien, permet plus de transparence.
Dès la première mesure on sait que le Trio opus 110 sera de
la même eau, mais plus austère, plus désespéré encore. Je ne
pense pas que Schumann soit si aride, si dénué de vibrato.
Ce n’est donc pas ma vision mais je la respecte infiniment
pour son jusqu’au-boutisme dans la lassitude exsangue.
Christophe Huss
Vous pouvez entendre un extrait des disques marqués du symbole
sur ledevoir.com/culture/musique
Carlos Araya et Oscar Souto comptent 26 ans de carrière au sein
du groupe de trash métal Anonymus.
Au-delà
de l’adversité
Le groupe de trash métal Anonymus par ticipe au festival
Heavy Montréal qui se tient toute la fin de semaine au parc
Jean-Drapeau. Une occasion pour le quatuor québécois de
lancer son 7e album, le 4e en français, Envers et contre tous.
ARNAUD STOPA
e vous fiez pas à la photo :
N
les membres d’Anonymus
sont des boute-en-train. « Le
métal, c’est un peu comme ça :
la façade, c’est toujours le look,
le sérieux, lance Carlos Araya,
batteur du groupe. Mais quand
tu abordes une tournée, il n’y a
que des rires et des ah ah ah ! Le
seul moment où on rit pas, c’est
justement sur les photos. »
Le Chilien à la barbichette
grisonnante est accompagné
d’Oscar Souto, menu chanteur
et bassiste. Attablés au café Atomik, ces jeunes quarantenaires
ont gardé leur âme d’adolescente et leur complicité d’antan.
Au compteur, 26 ans de carrière. Sur leur route, un nouvel
opus, Envers et contre tous.
Mais contre qui, exactement?
« Contre personne, répond
Oscar Souto. Peut-être contre
nous. Envers et contre tous, ça
veut dire croire en quelque
chose ou foncer malgré toute
l’adversité, tout ce que les gens
nous disent. “ Pourquoi vous
faites ça, après 26 ans ? Est-ce
que ça vaut la peine ? ” Oui,
parce que ça nous apporte un
bonheur personnel à chacun.
Moi, si je n’avais pas Anonymus, je serais malheureux. »
Les fans du groupe ne seront pas dépaysés. Le quatuor
revient à un style plus incisif et
agressif que l’a été État brute,
il y a quatre ans. Le contexte
de l’écriture a été particulier
puisque l’auteur a dû affronter
des problèmes personnels.
« J’ai reçu des coups d’uppercut,
pis ça m’a pris du courage pour
me relever, confesse le chanteur. Pour moi, les paroles, c’est
pour m’extérioriser, m’aider à
avancer. C’est l’exutoire. »
Ça parle de prosélytisme radical dans Dieu seul le sait —
« Tu leur promets la libération
/ sans mentionner la pire des
punitions. » D’« un avenir incertain / un futur si obscur » de
notre société aux multiples
problèmes sur Carambolage.
Ou encore d’austérité sur Tou-
jours plus toujours moins. On
est loin des chansons légères
qui passent à la radio.
« J’avoue, mes textes sont très
négatifs, poursuit-il. Mais vers
la fin, je me suis dit “ arrête
d’être aussi négatif ! ” Dans les
chansons que j’ai composées
vers la fin, qu’il y a un peu plus
de positivisme, comme sur
Chaque seconde compte. »
En français, s’il vous plaît!
Dans un milieu monopolisé
par l’anglais, il est étonnant de
voir un groupe de trash métal
chanter dans la langue de Gaston Miron. D’autant plus qu’outre Carlos, Oscar et Daniel, son
frère et guitariste de l’ensemble, sont d’origine espagnole.
Seul Jef Fortin, le guitariste, est
Québécois « pur laine ». « On
s’est rendu compte que les gens
qui écoutent Anonymus, ce sont
des gens qui parlent français,
alors pourquoi ne pas leur faire
plaisir et nous faire plaisir »,
indique Oscar. Carlos abonde
dans son sens. « Le fait de chanter dans la langue qu’on utilise
tous les jours, on est capable
d’aller chercher le bon accent, la
manière de bien amener les
mots. […] Si tu écris en anglais,
une langue seconde, tes sujets
vont être plus légers, tu vas aller
moins profondément dans
ton sujet. »
Leur insistance à chanter en
français leur a mis des bâtons
dans leurs roues, selon eux.
«Ça nous démarque. [Mais c’est
quand] on a fait l’album majoritairement en anglais que ça
nous a ouvert des portes, dont
celles de la France», ironise Carlos. Mais ils en gardent une
fier té qui les pousse à continuer. Envers et contre tous.
Le Devoir
ENVERS ET CONTRE TOUS
Anonymus
Boîte à Musique/DEP
Anonymus sera sur la scène
Molson Canadian ce vendredi
à 14 h 15.
Nos choix
Lofofara (fusion — France)
pour sa façon d’être le pendant français d’Anonymus —
même âge, même rage.
Arch Enemy (death —
Suède), pour le talent unique
de la chanteuse montréalaise
Alissa White-Gluz.
Korn (nu — Californie), pour
avoir eu la bonne idée de ne
jouer que leur album
éponyme — le reste a en-
corné leur crédibilité.
Gojira (death — France)
pour leurs prestations à la
précision chirurgicale.
Insomnium (death — Finlande), pour leur inspiration
issue des mélodies traditionnelles finnoises.
Ihsahn (black — Norvège)
pour avoir su transposer
avec brio Nietzsche en
chanson.