les objectifs de la lecture litteraire au cycle iii

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les objectifs de la lecture litteraire au cycle iii
Université de Rouen
UFR des Sciences de l’Homme et de la société
Département des sciences de l'éducation
LES OBJECTIFS DE LA LECTURE LITTERAIRE AU CYCLE III
Mémoire de Master 1 en sciences de l’éducation
Vincent DUDEZ
Sous la direction de Micheline VINCENT
Juin 2010
Université de Rouen
UFR des Sciences de l’Homme et de la société
Département des sciences de l'éducation
LES OBJECTIFS DE LA LECTURE LITTERAIRE AU CYCLE III
Mémoire de Master 1 en sciences de l’éducation
Vincent DUDEZ
Sous la direction de Micheline VINCENT
Juin 2010
Remerciements
Je tiens à remercier les personnes qui m’ont permis d’aboutir à la réalisation de ce mémoire.
Madame Micheline Vincent pour l’attention qu’elle a portée à la rédaction de ce mémoire.
Les enseignants qui m’ont accueilli dans leur classe et ont accepté de répondre à mes questions.
Sommaire
SOMMAIRE .............................................................................................................................1
INTRODUCTION ....................................................................................................................2
1. LA LECTURE LITTERAIRE ............................................................................................4
1.1. DEFINITIONS .....................................................................................................................4
1.1.1. Le texte littéraire ......................................................................................................4
1.1.2. L'attitude du lecteur..................................................................................................6
1.1.3. Entre le texte et le lecteur, le maître.........................................................................8
1.2. DANS LES PROGRAMMES...................................................................................................9
1.2.1. La lecture..................................................................................................................9
1.2.2. La littérature...........................................................................................................11
1.2.3. Des pratiques, des outils.........................................................................................12
1.3. LES DISPOSITIFS EN CLASSE ............................................................................................14
1.3.1. Le débat interprétatif ..............................................................................................14
1.3.2. La mise en réseau ...................................................................................................16
1.3.3. Lecture à voix haute et écriture..............................................................................17
2. SUR LE TERRAIN ............................................................................................................19
2.1. PRESENTATION DE L'ENQUETE ........................................................................................19
2.1.1. Méthodologie ..........................................................................................................19
2.1.2. Echantillon..............................................................................................................21
2.1.3. Mise en place ..........................................................................................................22
2.2. LES RESULTATS DE L'ENQUETE .......................................................................................23
2.2.1.De la lecture à la littérature ....................................................................................23
2.2.2. Le texte littéraire ....................................................................................................26
2.2.3. Objectifs et pratiques..............................................................................................28
2.3. ANALYSE ........................................................................................................................30
2.3.1.Des pratiques pertinentes ........................................................................................30
2.3.2. Des connaissances implicites .................................................................................33
2.3.3. Origine de l'écart....................................................................................................35
CONCLUSION .......................................................................................................................40
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................42
SITOGRAPHIE ......................................................................................................................42
ANNEXES ...............................................................................................................................43
Introduction
Qu'est ce que la lecture ? Si cette dernière est, en un sens, une simple activité de
décodage des signes, elle ne se résume pas seulement à cette action. Le déchiffrage n'est pas
une fin en soi et s'il ne s'accompagne pas de la compréhension, l'activité de lecture perd son
sens. L'on peut alors se demander quelle est la place faite à la compréhension, au sens dans
l'activité de lecture.
En effet, lire c’est aussi comprendre. Mais que signifie comprendre un texte ? S’agit-il
de comprendre un sens prédéfini, préexistant à l’acte même de lecture ou peut-on dire que la
compréhension, le sens se construit dans et par cet acte. Il faut, en effet, prendre en compte le
fait qu'il puisse y avoir plusieurs compréhensions – ou incompréhensions – d'un même texte
car il y a plusieurs types de lecteurs et, selon leur sensibilité, leur environnement, leur
patrimoine culturel, plusieurs sens peuvent être accessibles ou non. Cette diversité de lecteurs
joue sur la diversité des interprétations, car comprendre n'est pas tout, il faut aussi apprendre à
interpréter le sens d'un texte selon son contexte et les références implicites auxquelles il fait
appel.
L'on voit ainsi qu'entre l'activité de décodage et la lecture interprétative il y a une
grande différence, différence d'action et d'enjeux: si l'une est sur un plan technique, l'autre
semble se situer sur un autre plan. C'est justement ce qui peut différencier la lecture littéraire :
en effet cette dernière dépasse l'activité de décodage mais aussi celle de compréhension ; elle
se place dans un autre niveau : celui de la réflexion, de l’analyse.
Ainsi, l'interprétation semble être l'aboutissement de l'activité de lecture. En apprenant
à lire, il ne s'agit pas seulement de déchiffrer ou de comprendre, avec la lecture littéraire, il
s'agit aussi d'analyser. Apprendre à lire c’est donc aussi apprendre à interpréter. Alors l’on
peut se demander à quel moment commencer cet apprentissage : cet aspect-là de la lecture
peut-il être pertinent à l’école primaire ? La littérature de jeunesse peut elle jouer un tel rôle ?
Lui accorde t'on toute la place nécessaire ?
En effet, l'on peut s’interroger sur la façon dont les enseignants perçoivent la lecture
littéraire, en particulier autour de la littérature de jeunesse, et comment ils la mettent en
pratique. Car il faut tenir compte que, tout comme les élèves, ils ont eux aussi différentes
sensibilités, dues à leur patrimoine culturel et leur parcours scolaire. C’est pourquoi il semble
important de se demander comment, en tant qu'enseignant, appréhender la lecture littéraire,
ses enjeux, ses supports et pratiques. La formation, telle qu’elle était pratiquée jusqu’à présent
dans les IUFM, était-elle suffisante pour armer les futurs professeurs des écoles ? Comment
ces derniers mettent-ils en pratique l'apprentissage de la lecture ? Avec quels objectifs ?
S'agit-il seulement d'appliquer les programmes ou bien conçoivent-ils tous les enjeux de cette
activité ?
Dans un premier temps, nous verrons ce qu'est vraiment la lecture littéraire au travers
des définitions de différents auteurs, par rapport aux programmes ainsi que par une approche
de pratiques pertinentes. Ensuite, nous tenterons, à l’aide d’une enquête qualitative,
d’appréhender différentes approches de l’enseignement de la lecture littéraire. Il s’agira
d’interroger des enseignants sur leurs définitions, pratiques, et objectifs de la lecture littéraire
au cycle des approfondissements de l’école primaire. Cette enquête prendra aussi en compte
leurs conditions d’enseignement – lieux, niveaux, ancienneté – et leur formation. Enfin,
l’analyse des résultats collectés lors de cette enquête aura pour but de faire apparaître les
objectifs de cet enseignement mais aussi les écarts ou les adéquations entre les théories des
didacticiens, les textes officiels et la pratique sur le terrain.
1. La lecture littéraire
1.1. Définitions
1.1.1. Le texte littéraire
Quelle est la définition de la lecture littéraire ? Nous allons tenter à travers la vision de
différents auteurs de cerner les spécificités de cette lecture, d'appréhender ce qui la démarque.
Il semblerait qu'il soit difficile de définir la lecture littéraire parce que, comme le dit Annie
Rouxel, « La lecture littéraire est en effet un objet à la fois banal et complexe - banal car il
appartient à l'expérience de chacun, complexe car il se dérobe aux définitions et qu'il est
aujourd'hui sujet de débats et de polémiques. »1. Néanmoins, pour Catherine Tauveron, elle
peut se définir de la sorte: « Je définirais volontiers la littérature comme le lieu textuel d’une
"incompréhensibilité programmé" (le mot est de Iser, 1985). Là me semble être sa spécificité
par rapport à toutes les autres formes de discours écrits, qui peuvent être incompréhensibles
à l’occasion mais n'ont pas le projet conscient de l’être. »2.
Tauveron, par cette définition de la littérature, de la lecture littéraire, nous éclaire sur
une des spécificités du texte littéraire : "l'incompréhensibilité programmée", notion qui nous
renvoie aux enjeux de la lecture littéraire. En effet, l'incompréhensibilité amène généralement
le questionnement et la quête de sens. C'est ainsi qu'avec Tauveron nous pouvons dire que :
« Lire de la littérature, c'est produire du sens (et non seulement le recueillir) en collaboration
avec le texte, c'est à dire dialoguer avec lui, en tenant compte de ce qu'il est »3. Ce dialogue
avec le texte se fait généralement lorsque le lecteur rencontre un obstacle.
En effet dans le texte littéraire "l'incompréhensibilité programmée" est souvent
provoquée par des obstacles mis en place délibérément par les auteurs: « Tout texte a ses
zones d'ombres, le code pénal comme la notice de montage. Mais la littérature "résistante"
que nous choisissons a ceci de particulier que la confusion y est délibérément orchestrée, que
l'opacité, le double sens y sont la marque d'un projet. »4. Ce sont ces obstacles qui vont
amener l'incompréhensibilité et la recherche de sens. En effet, certains textes offrent des
1
Rouxel A., « Qu'entend-on par lecture littéraire? », dans Tauveron C., (sd), La lecture et la culture littéraire au
cycle des approfondissements, Actes de l'université d'automne du 28 au 31 octobre 2002,
http://eduscol.education.fr, mis à jour le 06 mai 2004, consulté le 13/02/2010, p.12
2
Tauveron C., Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au delà, Paris, INRP, 2001, p.11
3
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi » dans Tauveron C., (sd), La lecture et la culture littéraire
au cycle des approfondissements, op.cit, p.27
4
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi » op.cit, p.24
solutions toutes faites aux lecteurs : l'intrigue est certes présente mais sa résolution est offerte
par l'auteur, l'action du lecteur se limite alors à la compréhension du texte. Catherine
Tauveron parle dans ce cas là de textes "lisibles" : « À n’offrir en pâture que des textes
"lisibles", on ne prépare pas les élèves à s’attendre à l’obstacle, à anticiper les moyens de le
franchir et, après l’avoir franchi, à se retourner pour goûter la finesse de son dispositif. »5. A
l'opposé, les obstacles crées par l'auteur font bel et bien partie d'un dispositif. Ce dernier vise
à rendre le texte, non pas incompréhensible mais plutôt moins lisible, plus compliqué à
déchiffrer. Par ce biais, l'auteur cherche à créer des résistances.
Les textes résistants contiennent des obstacles, ces derniers peuvent se traduire comme
l'explique Tauveron par des blancs, la pratique de l’ironie, la perturbation des valeurs ou,
dans les albums, des effets de contradiction entre les textes et les images. Ces obstacles sont,
pour les auteurs, des moyens par lesquels ils interrogent le lecteur, le mettent dans une
position inhabituelle et provoquent ainsi un questionnement du texte. Selon Tauveron, il
existe deux sortes de résistance : la "réticence" et la "prolifération". Elle définit "la réticence"
comme « ce qui enraye les automatismes de compréhension de l'intrigue ou en joue afin de
leurrer le lecteur inattentif. »6. Et de les opposer aux textes trop faciles ou facilitateurs pour
le lecteur: « A l’opposé des récits que j’ai appelé collaborationnistes parce qu’ils devancent
les difficultés de leurs lecteurs, il existe dans la littérature de jeunesse comme dans toutes les
littératures, des récits ainsi résistants et parmi ces récits résistants, des récits réticents. Au
sens propre, un texte réticent est un texte qui en dit moins que ce qu’il ne devrait dire, criblé
de béances qu’il reste à combler.»7. Ainsi, face au texte réticent, le lecteur doit être partie
prenante de la construction du sens, c'est à lui de combler les "blancs", les lacunes –
volontaires - du texte.
L'autre forme de résistance est la "prolifération" définie par le fait que « tout peut être
signifiant dans le texte [...] Est "proliférant" un texte qui se laisse déployer de manière
plurielle, parce que ses mots, ses phrases en plein, ses non-dits, ses ambiguïtés, ses
contradictions sont susceptibles d'une lecture conjecturale sinon polysémique. »8. Ici le
lecteur aussi doit être actif puisque le texte est volontairement pluriel et, partant, appelle
différentes interprétations.
5
Tauveron C., Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au delà, op.cit, p.13
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi » op.cit p.24
7
Tauveron C., Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au delà, op.cit, p.12
8
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi »,op.cit, p.25
6
L'on voit donc que la spécificité du texte littéraire est qu'il fait appel à l'activité du
lecteur, activité qui, au-delà de la simple compréhension, consiste à interpréter. Face à la
résistance du texte - qu'il s'agisse de réticence ou de prolifération selon la terminologie de
Tauveron - le lecteur se doit d'interpréter le texte. Cette activité ne naît pas de la simple
volonté du lecteur, elle est induite par la complexité des textes : comme le note Annie
Rouxel : « la littérature est un lieu d'interrogation et l'intérêt des textes complexes est
précisément d'impulser des démarches interprétatives »9 et d'ajouter : « le texte littéraire est
le lieu d'indéterminations qui vont stimuler l'activité interprétative du lecteur. »10. C'est donc
bien le texte qui '"impulse", "stimule" l'activité du lecteur.
Ainsi, le texte littéraire est un texte qui se caractérise par le fait qu'il pose question au
lecteur, qu'il l'oblige à trouver du, des sens et non pas simplement à recevoir le sens. A
l'opposé d'autres types de textes (descriptifs, explicatifs), le texte littéraire ne se fait pas
clairement comprendre. Il suppose une participation du lecteur qui va au-delà du déchiffrage
ou de la compréhension littérale. Voyons maintenant en quoi cette attitude du lecteur,
lorsqu'il lit un texte littéraire, se distingue de celle qu'il adopte pour lire d'autres types de
textes.
1.1.2. L'attitude du lecteur
En conséquence, face à un texte littéraire, le lecteur doit adopter une posture
différente, posture qui dépasse le fait de chercher simplement à comprendre ce qui est écrit.
Yves Reuter distingue ainsi "l'attitude compréhensive" et "l'attitude interprétative". L'attitude
compréhensive est celle qui consiste à chercher à comprendre le texte, ce qui signifie que le
texte a un sens et un seul, totalement préexistant à la lecture que peut en faire le lecteur. C'est
pourquoi Reuter « propose de considérer que l’attitude compréhensive se situe sous la
bannière des "droits du texte" auxquels se soumet le lecteur qui se donne pour tâche de
reconstituer/retrouver le(s) sens du texte »11. A cette attitude, soumise au texte, il oppose
l'attitude interprétative qui elle, « en revanche se situerait plutôt sous la bannière des « droits
du lecteur », ceux-ci restant cependant relativement contraints par le texte ( on ne peut pas
dire n’importe quoi). Le lecteur se donne pour tâche de construire le(s) sens (partiellement
9
Rouxel A., « Qu'entend-on par lecture littéraire? », op.cit p.17
Ibid, p.18
11
Y.Reuter, « Comprendre, interpréter en situation scolaire. Retour sur quelques problèmes », dans Tauveron C.,
(sd), Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au delà, op.cit, p.70
10
gisant) dans le texte. »12. Le lecteur, par son activité, participe alors à la construction du sens
du texte : il complète les blancs, met en relation avec d'autres textes, décèle l'ironie, se laisse
surprendre et déstabiliser pour le plaisir du jeu avec le texte.
Le texte littéraire en appelle donc au lecteur, à ses connaissances littéraires et, au-delà,
à sa capacité d'analyse. Cette relation entre le texte et le lecteur autour du questionnement et
du sens s'apparente à un jeu ; c'est cet aspect qui semble faire aussi la particularité de la
lecture littéraire. C'est pourquoi Tauveron dit que : « Le texte littéraire est un texte qui a du
jeu et le sens du jeu, ai je dit. Comme tel il se réclame un partenaire pour que se joue la
partie et que se parachève l’intention. »13, et d'ajouter : « Comme tel, il disperse sur sa trame
des obstacles pensés et légitimes, dans la mesure où leur présence est la condition du jeu et le
signal du début de la partie. »14.
Pour préciser la nature de ce jeu avec le texte que pratique le lecteur, Annie Rouxel se
réfère à l'approche psychanalytique de Michel Picard : « Pour décrire la réception des textes,
Picard se réfère au modèle du jeu qui peut se présenter sous deux formes : le "playing", qui
renvoie aux jeux de rôles ou de simulacre fondés sur l'identification à une figure imaginaire,
et le "game" qui désigne les jeux de stratégie, à caractère réflexif, comme le jeu
d'échecs. »15.Et de préciser que : « La lecture implique donc ces deux types de jeux,
identification et distanciation, toutes deux requises et cadrées par le texte. »16. Jeu avec le
texte donc, jeu créé par les aller-retours entre les propositions du texte et le sens que leur
donne le lecteur.
Ainsi, comme le dit Tauveron, texte et lecteur sont "partenaires" : « Ce jeu est d'abord
un jeu de stratégie, ce qui signifie que, comme dans tout jeu de stratégie, les deux partenaires
n'existent pas l'un sans l'autre : l'un et l'autre proposent et disposent et ce faisant
s"'altèrent". »17. Le texte est donc à la fois le lieu où s'exerce le jeu et le partenaire du jeu ; et
d'opposer une fois encore le texte littéraire aux textes lisses : « le texte a du jeu et le sens du
jeu. Un texte lisse n'invite qu'à la glissade. L'intérêt de la partie est à la mesure des défis
lancés par le texte, à la fois partenaire et terrain de jeu. »18. Ainsi, le jeu consiste à relever les
12
Ibid., p.71
Tauveron C., Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au delà, op.cit., p.11
14
Ibid., p.12
15
Rouxel A., « Qu'entend-on par lecture littéraire? », op.cit., p.15
16
Ibid. p.15
17
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi », op.cit., p.23
18
Ibid. p.24
13
défis que lance le texte. Mais comment s'y prendre ? Il s'agit maintenant de voir quelles
pratiques mettre en place et quels sont les écueils à éviter.
1.1.3. Entre le texte et le lecteur, le maître
Et d'abord l'un des écueils à éviter : si texte et lecteur sont partenaires, il s'agit de ne
pas éliminer l'un des deux, à savoir le texte. En effet, Tauveron souligne : « Une lecture dans
laquelle l'un des partenaires - le texte - serait neutralisé ne serait pas une lecture. C'est-àdire que le texte n'est pas prétexte à "faire parler" les élèves de manière lâche à propos de
l'une de ses thématiques »19. Le texte littéraire ne doit donc pas être compris comme un
support de langage, l'interprétation menée autour du texte doit être faite avec rigueur, c' « est
une activité créatrice contenue et régulée qui se déploie sur les lignes du texte, entre ses
lignes et hors de ses lignes. »20. Et Tauveron d'inviter à ne pas confondre « l'animation autour
du livre (ou à propos du livre) et la lecture du livre (ou propos sur le livre). »21. C'est
pourquoi il paraît nécessaire de préciser l’importance du maître.
En effet, pour réguler, contenir cette activité, il est nécessaire qu'en classe le maître
joue différents rôles: à la fois "croupier" (« il imagine des situations-problèmes fondées sur
des dispositifs de présentation astucieux ») "jardinier" (« il se donne les moyens de recueillir
les compréhensions et interprétations spontanées, toujours susceptibles d'être des
incompréhensions ou des mésinterprétations à dépasser »), "arbitre" (il « se doit d'arbitrer la
partie avec vigilance et de ne pas laisser dire, sans les relever, des interprétations abusives
qui contreviennent manifestement aux données du texte. »), c'est lui le "meneur de jeu"22.
Mais, s'il est meneur de jeu, il ne doit pas, pour autant, jouer la partie à la place des
élèves ; c'est pourquoi Tauveron insiste, à propos de la réticence, sur la nécessité qu'il y a à
ne pas orienter de façon trop directive les réponses des élèves : « En linguistique, la
réticence se caractérise, selon Michaele Prandi (1991), par une "non recouvrabilité des
contenus supprimés". Loin de faire appel à l’inférence, qui, elle, s’appuie sur le contexte,
elle oblige par abductions, à traduire en message un vide de signifié. Mais pour que le
lecteur entende qu’il y a du plein à mettre dans le vide, il faut qu’il soit conduit à saisir, sans
19
Ibid. p.23
Ibid. p.27
21
Ibid. p.24
22
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi » op.cit. p.27
20
indicateurs précis, à partir du seul dit, qu’il doit comprendre davantage qu’il n’entend. Il
doit donc se livrer à deux opérations : la détection et le remplissage, deux opérations que les
maîtres et les manuels opèrent traditionnellement à la place de l’élève par leur
questionnement. »23. Ainsi, le maître doit, tout en régulant, laisser toutes leurs places aux
interprétations des élèves. C’est à eux de parvenir à construire du sens avec le texte.
Au-delà, se pose aussi la question du choix des ouvrages : à propos de la liste officielle
proposée par le MEN, Tauveron oppose les auteurs « qui ont suivi une logique de
bibliothécaire (des ouvrages qui vont plaire et sur lesquels on va pouvoir "tenir une
conversation") »24 à ceux qui « on(t) opté pour une logique d'enseignant. »25. Le but de ces
derniers étant de « présenter aux élèves des textes qui leur lancent un défi [...] afin de leur
apprendre à apprivoiser un terrain accidenté, de leur rendre familiers les obstacles délibérés
conçus par les auteurs. »26.
Choix des ouvrages, activité interprétative de l’élève, rôle du maître, voyons
maintenant quelles sont, sur ces points et plus généralement en ce qui concerne la lecture au
cycle III, les préconisations des programmes.
1.2. Dans les programmes
1.2.1. La lecture
Le programme de lecture au cycle III consiste, comme le nom du cycle l'indique cycle des approfondissements - en une consolidation des connaissances déjà acquises lors des
précédents cycles. Cet approfondissement se fait au travers de l’étude de différents textes,
notamment des textes littéraires, et se fonde principalement sur la compréhension : « L'étude
des textes et en particulier des textes littéraires, vise à développer les capacités de
compréhension, et à soutenir l'apprentissage de la rédaction autonome. »27.
A partir du cycle III, les élèves sont confrontés à des textes de plus en plus complexes,
le nombre de supports augmente et se diversifie, et comme l'explique le BO la compréhension
se fait à de multiples niveaux : « compréhension de textes scolaires [...] compréhension de
23
Tauveron C., Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au delà, op.cit. p.12
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi » op.cit. p.24
25
Ibid. p.24
26
Tauveron C., « La lecture comme jeu à l'école aussi » op.cit. p.24
27
MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, BOHS n°3 du 19 juin 2008, p.21
24
textes informatifs et documentaires [...] compréhension de texte littéraires (récits,
descriptions, dialogues, poèmes). »28. Cette diversification des supports entraîne, partant, une
multiplication des compétences à acquérir en lecture et nécessite une analyse plus approfondie
des textes : « Cette compréhension s'appuie sur le repérage des principaux éléments du texte
[...] mais aussi sur son analyse précise. »29.
L'on voit ici que la lecture au cycle III semble se fonder principalement sur la
compréhension et l'analyse. Même si l'on peut considérer que cette dernière opération est un
approfondissement des compétences des élèves en lecture, il n'en demeure pas moins que
l'analyse des textes reste, à ce niveau, sur des opérations techniques à effectuer. En témoigne
le tableau des progressions et les compétences à acquérir par les élèves30:
-
-« Repérer dans un texte des informations explicites en s’appuyant en particulier sur
le titre, l’organisation […] le vocabulaire » (CE2)
-
« Adopter une stratégie pour parvenir à comprendre : repérer des mots inconnus et
incompris, relire, questionner, recourir au dictionnaire » (CE2)
-
« Repérer dans un texte des informations explicites et en inférer des informations
nouvelles (implicites) » (CM1)
-
« Saisir l'atmosphère ou le ton d'un texte descriptif, narratif ou poétique, en
s'appuyant en particulier sur son vocabulaire » (CM1)
-
« S’appuyer sur les mots de liaison et les expressions qui marquent les relations
logiques pour comprendre avec précision l’enchaînement d’une action ou d’un
raisonnement » (CM2)
-
« Repérer les effets de choix formels » (CM2)
Ces différentes compétences se situent dans le champ de la compréhension (littérale ou
fine) d'un texte et, si elles font partie du domaine de la lecture, elles ne semblent pas
néanmoins correspondre totalement aux compétences définies précédemment comme étant
celles de la lecture littéraire. Mais il existe aussi un programme de littérature pour
accompagner la lecture au cycle III : « La progression dans la maîtrise de la langue française
se fait selon un programme de lecture et d'écriture, et de vocabulaire, de grammaire, et
d'orthographe. Un programme de littérature vient soutenir l'autonomie en lecture et en
28
Ibid. p.21
Ibid. p.21
30
MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, op.cit. p.34
29
écriture de l'élève. »31. Voyons donc maintenant quels sont les enjeux de ce programme de
littérature.
1.2.2. La littérature
Ce programme a pour but l'acquisition d'un répertoire de références et la constitution
d'une culture littéraire commune. Il s’agit de donner à tous les élèves un capital d’œuvres lues
et de leur donner les moyens de s’en souvenir. Ainsi, dans le tableau des progressions32, nous
pouvons trouver les compétences suivantes :
-
pour l’année de CE2 : « Raconter de mémoire, ou en s’aidant de quelques images des
histoires lues dans les années ou les mois antérieurs ; connaître leur titre »
-
pour l’année de CM1 : « Se rappeler le titre et l’auteur des œuvres lues »
-
et en CM2 : « Raconter de mémoire une œuvre lue ; citer de mémoire un court extrait
caractéristique »
Si cette culture partagée semble intéressante dans le sens où elle offre aux élèves un
répertoire de références communes, cette appropriation n'est néanmoins pas une simple
accumulation de savoir, de références, elle doit s'accompagner d'une réelle pratique littéraire
qui permette aux élèves de puiser, d’utiliser cette culture. Ainsi, chaque élève doit être en
capacité de mettre à profit les œuvres étudiées précédemment, que se soit par rapport aux
thèmes, aux caractéristiques des personnages, aux auteurs : en effet, dès le CE2, les élèves
doivent être capables d’ « Etablir des relations entre des textes ou des œuvres : même auteur,
même thème, même personnage, etc. »33. C’est pourquoi il est nécessaire d’apprendre à
mobiliser cette culture.
Cependant, l’acquisition (et la mobilisation) d’une culture littéraire commune n'est pas
le seul objectif du programme de littérature. En effet, l'on peut lire dans le BO : « Chaque
année les élèves lisent intégralement des ouvrages relevant de divers genres et appartenant
aux classiques de l'enfance et à la bibliographie de littérature de jeunesse que le ministère de
l'éducation nationale publie régulièrement. Ces lectures cursives sont conduites avec le souci
de développer chez l'élève le plaisir de lire »34. Cette notion de plaisir associée à la lecture est
31
Ibid. p.21
MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, op.cit. p.34
33
Ibid. p.35
34
Ibid. p.21
32
fondamentale, en effet c'est la principale source de motivation chez l'élève. Si la partie lecture
des programmes est rattachée à la notion de compréhension et apparaît sous la forme de
compétences techniques à acquérir, il n'est pas anodin de retrouver la notion de plaisir dans la
partie littérature des programmes. En effet si l'on en revient à la définition des textes littéraires
évoquée plus avant ces derniers sont associés au jeu entre le lecteur et les textes. Le plaisir
peut donc se trouver dans la découverte des pièges, des obstacles – notion de "résistance" laissés par les auteurs ou bien dans la reconnaissance de références à d’autres textes lus
précédemment – notion d’"intertextualité". Le plaisir de lire semble donc pouvoir apparaître
lorsque la lecture n’est plus seulement un moyen de comprendre un texte mais lorsqu’elle
devient jeu entre le texte et le lecteur. Mais comment parvenir, dans le cadre de la classe, à
mettre en place cette activité ?
1.2.3. Des pratiques, des outils
Il faut donc donner aux élèves les moyens de mobiliser leur culture littéraire et de
trouver du plaisir à le faire ; cela passe par différents moyens, différentes compétences à
acquérir. Il s’agit d’abord d’apprendre à s’exprimer sur une œuvre lue : être capable de
raconter une œuvre lue mais aussi donner un avis personnel sur une œuvre : ainsi, dès le CE2,
l’élève doit être capable de « rendre compte des œuvres lues, donner son point de vue à leur
propos »35. Cet apprentissage se poursuit et s’approfondit tout au long du cycle puisqu’en
CM2, l’élève devra être capable d’« Expliciter des choix de lecture, des préférences. »36. Et, il
semblerait, en effet, que le premier pas vers le jeu avec le texte consiste dans cet
apprentissage à s’exprimer sur un texte lu. Néanmoins cette compétence, si nécessaire soitelle, ne semble pas suffisante pour parler de lecture littéraire. En effet, comme nous l’avons
vu avec Tauveron, la littérature ne doit pas être prétexte à faire parler les élèves sur un texte
ou une de ses thématiques (cf. 1.1.3).
C’est pourquoi il est nécessaire que ce travail sur le texte se nourrisse des textes lus ou
entendus précédemment : il s’agit d’apprendre à convoquer d’autres textes (du même auteur,
sur le même thème, du même genre) de relier ces textes entre eux, de les mettre en relation.
Ces mises en réseau (autour d’un thème, d’un personnage typique, d’un auteur) peuvent être
faites par le maître pour développer chez les élèves cette capacité. Néanmoins, ils doivent
35
36
MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, op.cit. p.35
Ibid. p.35
aussi apprendre à mobiliser seuls leurs connaissances littéraires puisque en CE2, l’élève doit
pouvoir « Etablir des relations entre des textes ou des œuvres : même auteur, même thème,
même personnages, etc. »37 ; compétence qui relève de l’oral en CE2 mais qui, en CM2,
s’étend à l’écrit puisqu’il s’agit d’être capable de « Rapprocher des œuvres littéraires à l’oral
et à l’écrit »38. Le plaisir naît ici de cette capacité à faire dialoguer les textes entre eux.
Au-delà, la mobilisation de cette culture commune permet aux élèves d’échanger entre
eux sur les œuvres lues : échange qui doit prendre la forme d’un débat argumenté. Cette
compétence apparaît en CM1 : « Participer à un débat sur une œuvre en confrontant son
point de vue à d’autres de manière argumentée. »39. Débat qui, dans un premier temps,
permet aux élèves de confronter leurs points de vue mais qui surtout leur fait prendre
conscience de la diversité des interprétations, des pièges tendus sur leurs parcours de lecteur.
Le texte littéraire n'est plus le seul interlocuteur de l'élève, en effet au travers du débat
interprétatif c'est toute la communauté des lecteurs qui est mise à contribution et, de ce fait,
c'est toute la richesse des textes qui est mise à jour. Par la pratique du débat, chaque texte peut
devenir, comme le dit Tauveron, un "terrain de jeu".
Mais, comme le souligne le Bulletin Officiel, toutes les interprétations ne sont pas
possibles : « Les interprétations diverses sont toujours rapportées aux éléments du texte qui
les autorisent ou au contraire, les rendent impossibles. »40. En effet, si le débat est possible
c’est que diverses interprétations sont possibles et à trouver, néanmoins, comme Tauveron le
souligne, il existe dans le jeu littéraire comme dans les autres jeux des règles à respecter. Et
l’une d’entre elles, c’est que le texte, comme partenaire de jeu, ne peut pas être nié.
S’il ne peut être nié, le texte doit aussi être un support de jeu adéquat. Ainsi, le MEN
publie une liste de références comprenant des œuvres de littérature de jeunesse patrimoniales,
classiques ou plus contemporaines. Si cette liste ne correspond pas totalement aux attentes de
certains auteurs (cf. Tauveron citée en 1.1.3 page 6), elle propose néanmoins une liste de 300
ouvrages – accessible sur Internet41 - divisée en 6 rubriques : albums, bandes dessinées,
contes et fables, poésie, romans et récits illustrés, théâtre.
37
MEN, Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, op.cit. p.35
Ibid. p.35
39
Ibid. p.35
40
Ibid. p.21.
41
MEN, Littérature à l’école, Liste de référence 2007 des œuvres de littérature pour le cycle III, 2007,
http://eduscol.education.fr, consulté le 17/02/2010
38
Ainsi, la lecture littéraire apparaît comme un jeu entre un texte et un lecteur. Jeu qui
peut se mettre en place dès lors que texte et lecteur en respectent les règles : texte non lisse
("résistant") et lecteur capable de mettre en relation, d’interpréter ce texte, de jouer le jeu des
aller-retours entre son interprétation et ce que propose le texte. "Jeu" qui semble devoir se
pratiquer à l’école primaire, au cycle III, "jeu" pour lequel les programmes, spécifiquement le
programme de littérature, donnent des pistes aux enseignants. Voyons donc maintenant
comment les enseignants peuvent concrètement mettre en place de telles activités dans leurs
classes.
1.3. Les dispositifs en classe
1.3.1. Le débat interprétatif
Maintenant que nous avons mieux défini ce qu'est la lecture littéraire nous allons voir
comment il est possible de la mettre en pratique.
Afin de la mettre en pratique, il s'agit avant tout de motiver les élèves, de les motiver à
lire. Poslaniec, dans son ouvrage Pratique de la littérature de jeunesse à l'école souligne ainsi
l'importance de la motivation des élèves. En effet, la mise en place d'activités doit permettre à
l'ensemble de la classe de participer :il s'agit de motiver tant le grand lecteur que le petit. Or le
rapport au livre et à la lecture est parfois difficile pour certains élèves en difficulté. L'auteur
nous donne ici quelques pistes pour motiver les élèves, par exemple les animations lecture :
Dans le cadre d'une animation lecture les enfants ne sont pas obligés de lire ; ils y sont
incités parce qu'on leur propose soit de jouer (motivation ludique), soit d'avoir un rôle social
(motivation responsabilisante). »42. Ainsi, il ne s'agit pas d'obliger mais d'inciter, de produire
un dispositif qui "donne envie". L'auteur nous propose différents types d'animations lecture: le
défi lecture qui consiste en une correspondance avec une autre classe ou bien la lecture à des
élèves plus jeunes. Ainsi, cette notion de motivation apparaît primordiale et doit permettre
d'impliquer l'ensemble de la classe, de faire appel à l'ensemble des compétences de la
communauté de lecteurs. C'est pourquoi il est primordial de mettre en place des dispositifs
fertiles.
42
Poslaniec C., Pratique de la littérature de jeunesse à l'école, Paris, Hachette éducation, 2009, p.42.
En effet, si « la lecture débouchant sur une compréhension du texte est l'objectif
premier »43, il n'en reste pas moins qu' « une réflexion collective débouchant sur des
propositions interprétatives est possible et nécessaire. »44. Cette réflexion collective ne peut
se faire qu'après lecture du texte, lecture qui peut, se faire de différentes façons ainsi que le
précise le document Une culture littéraire à l'école : lecture du maître, lecture silencieuse des
élèves, résumé partiel, ou lecture à voix haute des élèves. Et si « la principale difficulté réside
dans le travail de compréhension »45, il est nécessaire de faire aussi un travail d'interprétation.
Interprétation qui peut porter, dans le cas des albums ou des bandes dessinées, sur
l'image. Il s'agit d'apprendre aux élèves « comment l'image, tout autant que le texte, mais par
d'autres codes et effets, participe au travail d'élaboration de la signification »46.
Interprétation qui doit aussi se construire autour de "débats". Ainsi « dès les premiers
moments de lecture, en classe, des questionnements, des échanges, permettent de mieux
comprendre ce qui résiste à une interprétation immédiate »47. Le débat interprétatif apparaît
comme un dispositif qui permet de mettre en avant la lecture des élèves. Dans le débat
interprétatif, au delà de leur compréhension du texte, c'est la vision et la perception de l'œuvre
par l'élève qui est questionnée : « L'appropriation des œuvres littéraires appelle un travail sur
le sens. Elle interroge les histoires personnelles, les sensibilités, les connaissances sur le
monde, les références culturelles, les expériences des lecteurs. Elle crée l'opportunité
d'échanger ses impressions sur les émotions ressenties, d'élaborer des jugements esthétiques,
éthiques, philosophiques et de remettre en cause des préjugés. »48. Le débat interprétatif ne
porte pas seulement sur le texte mais aussi sur le ressenti des élèves, la mise en pratique de ce
dispositif nécessite une préparation de l'enseignant car celui ci ne doit pas influencer le débat
mais juste le mener, il se pose en arbitre lors de l'acceptation ou du rejet des hypothèses des
élèves. S'il n'est pas une explication de texte, il doit néanmoins permettre d'aller au-delà de
l'œuvre et d'entamer un questionnement.
Ainsi, l'une des activités proposées par Poslaniec est la mise en place du procès
littéraire. Les élèves jouent les différents personnages rencontrés dans un tribunal, procureur,
témoins, avocats de la défense ou de l'accusation, lors du procès d'une œuvre ou d'un
43
MEN, Une Culture littéraire à l'école, DGESCO, Mars 2008, http://eduscol.education.fr, p.2, consulté le
17/02/2010
44
Ibid. p.2
45
Ibid. p.3
46
Ibid. p.4
47
Ibid. p.5
48
Ibid. p.5
personnage. Cela nécessite de la part des élèves qu'ils connaissent l'œuvre mais aussi qu'ils
approfondissent leur travail sur l'œuvre et qu'ils jouent des différentes possibilités
d'interprétations, comme l'explique Poslaniec: « Son principal intérêt, outre qu'elle incite les
enfants à lire le livre mis en procès, consiste à mettre en évidence la notion d'interprétation
du texte. En effet, quel que soit le motif d'accusation fictif, on trouve toujours, dans le texte,
de quoi conforter à la fois l'accusation et la défense. »49.
1.3.2. La mise en réseau
Si le débat interprétatif s'appuie sur une œuvre ou un texte en particulier, il nécessite
aussi que les élèves possèdent une culture littéraire commune. Culture commune qui peut se
construire à travers un autre dispositif : la lecture en réseau. Cette dernière est orchestrée par
l'enseignant qui choisit et prépare une mise en réseau autour d'un thème, d'un auteur, d'un
personnage ou même de sentiments. Cette mise en relation des œuvres permet d'élargir
l'horizon littéraire des élèves et leur permet d'appréhender les différents styles, mécanismes
utilisés par les auteurs.
Mais avant tout la mise en réseau autour des textes pose question : « Ces mises en
réseau engendrent investigations et interrogations qui favorisent une nouvelle réception des
œuvres, de nouvelles interprétations, car celles-ci restent ouvertes. »50. Cette mise en réseau
peut s'appuyer sur plusieurs activités comme le montre Poslaniec. Ce dernier préconise par
exemple l'utilisation des points communs entre différents ouvrages, car lorsqu'on étudie un
thème l'on peut bien évidement faire référence à plusieurs œuvres: « En étudiant comment une
instance littéraire est traité à l'intérieur d'une œuvre, on peut ensuite la mettre en relation
avec d'autres livres qui utilisent un procédé similaire. »51. La mise en place de la recherche
d'un point commun entre différents livres peut être les prémices d'une mise en réseau de
même que le regroupement par thème des œuvres lues en classe sur l'année. Cela permet de
voir d'une part qu'il y a différents genres de littérature mais en plus qu'il existe des ponts entre
les œuvres.
Ce dernier aspect est principalement mis en avant par l'intertextualité. Quand un auteur
fait référence à des personnages connus dans d'autres ouvrages ou quand des titres interpellent
49
Poslaniec. C., Pratique de la littérature de jeunesse à l'école, Paris, Hachette éducation, 2009, p 103.
MEN, Une Culture littéraire à l'école, op.cit. p.6
51
Poslaniec C., Pratique de la littérature de jeunesse à l'école, op.cit. p.37.
50
la culture littéraire des élèves cela a du sens comme l'explique Poslaniec: « Car, il faut le
préciser, lorsqu'on lit, dans un livre, le titre ( ou une allusion qu'on identifie sans peine) d'un
autre livre connu, c'est comme si, à cet endroit, on insérait tout le contenu du livre connu (ou
de la fable ou du conte, ou du poème). [...] Or si ce phénomène se produit quand on lit, son
effet est prévu par l'auteur; ce n'est pas sans raison qu'il utilise ce procédé intertextuel : cela
a du sens dans la logique du récit. »52.
La mise en réseau est donc une pratique qui permet d'enrichir et surtout d'exploiter, de
faire appel à la culture littéraire des élèves. Cette pratique peut et doit s'appuyer sur toutes
sortes de supports que ce soit le roman, la bande dessinée ou bien la poésie : « Rappelons que,
dans cette programmation, l'enseignant vise à maintenir un équilibre entre les différents
genres (poésie, nouvelles et romans, théâtre, contes, albums, bandes dessinées et entre
classiques et œuvres contemporaines »53. Ainsi, l'un des outils que propose Poslaniec vis à vis
de la mise en réseau, est le mur de poésie. Cela consiste à regrouper des poèmes sur un thème
et à les afficher sur un mur. Cette opération est réalisée par chaque élève et tout poème choisi
est lu et est soumis à l'approbation de la classe. Ce dispositif permet ainsi une autre approche
de la poésie que celle de la traditionnelle récitation et semble propice à motiver les élèves
puisqu'ils choisissent et présentent à leurs camarades les poésies.
1.3.3. Lecture à voix haute et écriture
Au-delà, la poésie, si elle n'est pas simplement un support pour travailler la mémoire
des élèves, doit aussi se donner à entendre. Ainsi l'une des autres approches de la poésie mais
aussi des autres textes littéraires, est la mise en voix. Cette dernière permet un travail sur le
sens au travers des sentiments exprimés par le lecteur ou bien par un travail sur le respect de
la ponctuation. Elle est une autre pratique qui peut être mise en place autour des textes
littéraire comme le souligne le document Eduscol : « Si la lecture à haute voix est une
modalité du parcours des textes, elle peut être aussi une fin en soi. Il convient donc de donner
toute sa place à la lecture interprétative qui ajoute à l'émission intonative de base de la
lecture courante des valeurs expressives spécifiques (accents d'insistance, variations
rythmiques, jeu sur les intensités, etc.). A cet égard, la lecture à haute voix s'inscrit à coté de
la classique récitation d'un poème ou d'une saynète, dans l'ensemble des activités
52
53
Ibid. p.185.
MEN, Une Culture littéraire à l'école, op.cit. p.7
d'expression qui viennent soutenir et, souvent conclure le travail effectué sur une œuvre
littéraire. »54. Cette pratique est donc elle aussi importante dans l'approche des textes
littéraires. Elle peut s'utiliser aussi bien lors de l'étude de poèmes, que de pièces de théâtre ou
bien de romans, l'objectif est qu'elle permette aux élèves d'interpréter le texte, qu'elle leur
permette, par la mise en voix, de donner du sens.
Une autre pratique qui permet de donner du sens aux textes littéraires est l'écriture : en
effet « le plaisir d'écrire vient naturellement prolonger celui de lire »55. La pratique de
l'écriture peut être amenée par une activité de transposition des œuvres étudiées : comme
l'explique Poslaniec, cette action permet de mieux maîtriser les mécanismes des textes :
« L'avantage pédagogique de ce type d'activité, c'est que la transposition n'est possible que si
l'on maîtrise la structure de la forme initiale et celle de la forme finale.[...] Quand on propose
aux élèves de transposer un texte, ils le conçoivent comme un jeu-et c'en est un! Mais pour
réaliser cette activité, ils doivent réellement approfondir la composition de l'œuvre source, et
s'informer sur la structure de la forme qu'ils vont construire. »56. Cette opération d'écriture,
de réécriture est très importante tant pour la culture littéraire des élèves que pour développer
leur capacité d'interprétation des textes : en se faisant auteurs, ils découvrent toutes les
subtilités de l'écriture et donc des textes : « C'est au moment où il écrit que l'enfant peut
comprendre comment fonctionnent les systèmes énonciatifs des œuvres qu'il a lues: quelle est
la place du narrateur ? Quels sont les points de vues défendus dans le texte, dans l'image, et
dans leurs relations ? Il peut ainsi choisir consciemment entre les diverses positions possibles
du narrateur qu'il aura rencontrées dans ses lectures : narrateur omniscient, récit à
focalisation interne, récit à focalisation externe. »57.
L'on voit donc que la mise en pratique de la lecture littéraire peut s'appuyer à la fois
sur la richesse, la diversité des œuvres, mais aussi sur plusieurs dispositifs - débat, mise en
réseau, mise en voix, écriture - qui tous, ont pour but, de donner à questionner, à interpréter
les textes.
54
MEN, Une Culture littéraire à l'école, op.cit. p.7
Ibid. p.8
56
Poslaniec C., Pratique de la littérature de jeunesse à l'école, op.cit. p.97
57
MEN, Une Culture littéraire à l'école, op.cit. p.9
55
2. Sur le terrain
2.1. Présentation de l'enquête
2.1.1. Méthodologie
Pour savoir si les pratiques préconisées ci-dessus sont utilisées par les enseignants il
est nécessaire de pouvoir appréhender leurs connaissances et leurs usages de la littérature au
cycle III. Il nous est donc apparu essentiel de nous appuyer sur des informations collectées
directement auprès d'enseignants, et donc de créer un outil de collecte des données. Le choix
se porte ici sur une enquête qualitative, et ce, pour plusieurs raisons.
Premièrement, nous cherchons à vérifier une pratique, et donc, nous avons besoin de
connaître plus en détails la mise en œuvre de la littérature par les enseignants au cycle III.
Une enquête quantitative serait, d'une part, trop longue à mener, et d'autre part, ne permettrait
pas d'approfondir certains aspects de la thématique traitée; notamment la différence faite entre
lecture et littérature qui, si au vu de la première partie semble à présent plus claire, n'en reste
pas moins complexe quand il s'agit de l'expliquer. De plus, la mise en place d'une enquête
quantitative ne serait pas pertinente au vu de la multiplicité des critères à prendre en compte
pour l'analyse, tant au niveau du choix de l'échantillon – âge, expérience, formation, CSP
d'origine, sexe, niveau de la classe, classe unique ou multiple, zone rurale, zone urbaine,
nombre d'élèves dans la classe, infrastructures environnantes, etc. – que de la construction de
l'enquête – questionnaire à choix multiples, questions ouvertes, fermées ou mixtes, précisions
des questions et du vocabulaire employé –. C'est pourquoi nous opterons donc pour une
enquête qualitative.
Tout d'abord, une enquête qualitative nous permet une meilleure accessibilité aux
personnes composant notre échantillon et semble être la démarche la plus appropriée pour
recueillir des données. Ensuite, une enquête qualitative nous permet d'avoir une approche plus
ciblée, plus précise et plus compréhensive de la pratique de la lecture au cycle III des
enseignants.
Parmi les différentes formes d'enquêtes qualitatives à notre disposition, il semble que
la plus appropriée soit l'entretien individuel en face à face. Tout d'abord, « l'entretien révèle
souvent l'existence de discours et de représentations profondément inscrits dans l'esprit des
personnes interrogées et qui ne peuvent que rarement s'exprimer à travers un
questionnaire. »58: en effet, dans le cas de la distinction entre lecture et littérature, il semble
important de pouvoir repérer les connaissances et les représentations des enseignants au sujet
de la littérature et il est plus facile de revenir sur les propos des personnes interrogées afin de
leur faire préciser et approfondir leurs propos. Ensuite, nous pouvons considérer que
l'entretien est, vis à vis des enseignants, l'une des d'enquêtes les plus appropriées quand il
s'agit de recueillir des données sur leur travail. D'une part, parce qu'un questionnaire ne leur
paraîtrait pas forcément pertinent pour rendre compte de leur pratique ; d'autre part, parce que
l'entretien en face à face permet de témoigner une réelle prise en compte de leur travail et une
reconnaissance de leur pratique. La démarche de l'entretien semble donc assurer une meilleure
collecte des données tant en terme de spontanéité des réponses, de pertinence des propos que
de fiabilité.
Le choix d'un entretien individuel en face à face permet aux enseignants interrogés
d'être plus à l'aise dans leur réponses et de créer un climat plus neutre qu'un entretien de
groupe. Les réponses sont plus spontanées du fait de la confidentialité des propos, le jugement
que pourrait porter leurs collègues sur leurs réponses ne rentre pas en ligne de compte. De
plus, la régulière remise en question du travail des enseignants crée un climat de méfiance qui
pourrait être nuisible à une autre forme d'enquête d'ou la nécessité d'un entretien individuel
garantissant un cadre plus intime, plus sécurisant et donc plus propice à une parole libre et
spontanée.
La spontanéité de la parole nous amène au choix de la conduite d'entretien, en effet
trois techniques sont généralement utilisées : l'entretien directif qui correspond à un
questionnaire oral, l'entretien non directif qui laisse toute liberté à la personne interrogée et
l'entretien semi-directif. C'est sur cette dernière technique que se porte notre choix. En effet,
l'entretien semi-directif permet à la personne interrogée de s'exprimer librement et d'avoir une
parole non induite tout en permettant aussi à l'enquêteur de recadrer l'entretien sur les thèmes
qu'il veut aborder. Pour cela la création d'un guide d'entretien est nécessaire.
Ce dernier doit nous permettre au cours de l'entretien, de recentrer les propos des
enseignants et d'approfondir par des questions plus précises le thème de la lecture littéraire au
cycle III. Bien que dans un entretien semi-directif l'ordre des questions ne soit pas prédéfini il
semble toutefois nécessaire de garder une certaine cohérence dans la conduite de l'entretien.
58
CNED - Université Lyon 2 - Université de Rouen, Eneau J, Piperini MC, Simeone A., Méthodologie de
recherche , ISPEF Université Lyon 2, 2009, p.65
En effet la thématique de la littérature au cycle III est vaste et relève aussi de la lecture, une
des difficultés dans la conduite de l'entretien peut résider dans le degré de connaissance et de
pratique des enseignants interrogés. En fonction des enseignants, l'entretien sera plus ou
moins directif et l'une des difficultés sera aussi de ne pas être inductif, d'où le choix de
questions assez larges59.
Car l'objectif de l'enquête est avant tout de collecter des données pour pouvoir analyser
l'écart ou l'adéquation entre les conceptions, les connaissances et les pratiques des enseignants
en littérature au cycle III et la lecture littéraire telle que nous l'avons définie dans la première
partie. S'il y a adéquation, nous devrions voir apparaître au cours de l'entretien toutes les
nuances entre la littérature et la lecture, ainsi que l'utilisation des différents dispositif de mise
en pratique de l'apprentissage de la littérature au cycle III. Dans le cas contraire, l'objectif de
l'entretien sera de faire émerger leurs conceptions et leurs pratiques de la littérature.
2.1.2. Echantillon
La sélection de l'échantillon s'est faite sur plusieurs critères. Tout d'abord, le niveau
d'enseignement : il semble important que les personnes interrogées enseignent actuellement
en cycle III. Ensuite, il est important d'interroger des enseignants de chaque niveau du cycle
III, les objectifs des programmes évoluant suivant une progression, il semble naturel de
pouvoir faire appel à l'ensemble des ressources utilisées au cycle III. Enfin le choix des
personnes s'est fait aussi selon l'opportunité de mettre en place des entretiens. Voyons plus en
détails la composition de l'échantillon. Ce dernier se compose de cinq femmes et un homme.
Un premier groupe d'enseignants travaille en milieu urbain, en ZEP (Zone d'Education
Prioritaire) et chacun a une classe à niveau simple. La première enseignante enseigne en
CM2 : elle a trente deux ans d'expérience, a fait l'Ecole Normale et a une formation littéraire.
La deuxième, enseignante de CM1, a, elle aussi, plus de trente ans d'expérience, n'a fait
qu'une année de stage à l'Ecole Normale et a une formation littéraire. Enfin, la troisième
enseignante, qui a une classe de CE2 a six ans d'expérience, est issue de l'IUFM et a suivi des
études scientifiques.
59
cf. Annexe II
Le second groupe d'enseignants travaille en milieu rural et se compose d'enseignants
ayant plusieurs niveaux dans leurs classes et ayant tous fait l'IUFM. Une enseignante a un
triple niveau au cycle III (CE2-CM1-CM2), elle enseigne depuis neuf ans, est issue d'une
filière scientifique et a fait des études en psychologie. Une enseignante est TRS (Titulaire
Remplaçant de Secteur): elle a un triple niveau au cycle III et un double niveau CE1/CE2,
c'est sa première année d'exercice et elle est issue d'une filière scientifique. Enfin un
enseignant a un double niveau CM1/CM2, il enseigne depuis dix ans et a suivi des études
scientifiques.
Cet échantillon nous permet donc, tout en restant pertinent pour notre recherche, de
mettre en avant certains critères déterminants. En effet, s'il reste homogène, en terme
d'enseignement au cycle III, certaines particularités et différences peuvent nous fournir un
éclairage intéressant lors de l'analyse : la différence entre le milieu urbain et le milieu rural, le
fait qu'il y ait des triples, des doubles et des simples niveaux, le fait qu'il y ait des enseignants
plus "expérimentés" que d'autres, le fait que certains soient issus de l'Ecole Normale et
d'autres de l'IUFM. Au delà de ces diversités, il faut aussi prendre en compte la différence de
personnalité de chaque enseignant et s'adapter à chaque profil, que se soit lors de l'entretien ou
de la prise de contact. D'ou l'importance de la présentation de l'enquête.
2.1.3. Mise en place
Cette dernière peut se faire en deux temps. Dans un premier temps, une prise de
contact avec les enseignants afin de leur exposer l'objet de la recherche et la nécessité de faire
passer des entretiens. Cette démarche consiste à présenter le sujet de la recherche, la forme de
l'enquête et sa durée. Dans un deuxième temps, lors de l'entretien, un rappel du sujet de
l'entretien, du cadre dans lequel il s'effectue et notamment des conditions de confidentialité et
d'anonymat60. Enfin une présentation de son déroulement comprenant : la demande
d'autorisation d'enregistrer les propos et les différentes thématiques abordées : parcours
personnel, lecture et formation. Enfin, une mise au point sur l'enjeu des réponses, en stipulant
que ces dernières ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais constituent juste un point de vue à
prendre en compte pour la recherche. Cette dernière démarche permet de rassurer les
personnes qui sont soumises à l'entretien.
60
cf. Annexe I
Les conditions de l'entretien sont elles aussi importantes. En effet, il s'agit de créer
pour les personnes interrogées un cadre de confiance pour qu'elles puissent répondre aux
questions, mais aussi de faire en sorte, que les conditions de l'entretien soient, en terme
d'espace, de temps et de matériel, identiques pour chaque personne et favorables au bon
déroulement des entretiens. Pour cela les entretiens se dérouleront dans les classes des
enseignants. Outre l'aspect pratique du lieu, en terme de rencontre, l'on peut envisager que le
fait de réaliser l'entretien dans leur cadre de travail peut leur permettre d'être plus à l'aise que
sur un lieu extérieur. En terme de durée l'entretien devra se dérouler entre vingt et quarante
minutes pour avoir le temps de recueillir assez d'informations tout en évitant que l'entretien ne
soit trop lourd et ne devienne pesant pour les personnes interrogées.
L'ensemble des entretiens devra être réalisé de façon quasi identique, que ce soit en
terme de présentation, de lieu ou de contenu. Bien que l'approche qualitative ne puisse
totalement garantir une validité scientifique, nous veillerons dans le cadre de sa réalisation à
lui assurer une validité maximale. Les différents entretiens seront soumis à une grille
d'analyse textuelle61 des propos recueillis fondée sur plusieurs critères. La grille d'analyse se
fonde sur des connaissances précises en termes de littérature au cycle III : vocabulaire
employé, évocation technique des pratiques, références bibliographiques ou institutionnelles.
Elle permet aussi de mettre en relation les propos des enseignants avec nos connaissances et
de repérer les décalages ou les adéquations.
2.2. Les résultats de l'enquête
2.2.1.De la lecture à la littérature
Plusieurs questions du questionnaire avaient pour objectif d’amener les enseignants à
définir la lecture littéraire. Il s’agissait, avant tout de voir, en quoi et comment, la lecture
littéraire se différencie de la lecture. S’il ressort de l’enquête que, globalement, les
enseignants interrogés marquent tous une différence entre lecture et littérature, la définition de
la lecture littéraire n’est pas, pour autant, évidente. Les tableaux suivants donnent à voir leurs
définitions et leurs hésitations.
61
cf. Annexe III
Tableau 1: les définitions de la littérature comme genres littéraires et œuvre d'auteur.
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"tout écrit quel qu’il soit, un haïku, un
poème, une page de Balzac, une page
de Pennac, un, même de la BD moi je
l’associerais aussi enfin je dis que tout
type d’écrit à partir du moment où ça
permet une évasion"
2
"découvrir des œuvres on va dire
classiques […] en tout cas la
littérature de jeunesse […] y’a des
romans, y’a des contes"
3
"ça évoque les contes, ça évoque les
romans, euh la poésie"
4
"c’est la lecture d’œuvres intégrales
[…] j’essaye de travailler soit par
thème, soit sur un auteur […] on
travaille uniquement sur des œuvres
littéraires […] c’est une œuvre
littéraire qui a été écrite par un auteur,
y’a pas de, de la BD à la poésie, j’ai
pas de, pièce de théâtre"
5
"la littérature y’a une histoire avec un
auteur et disons tout un rituel qui va
avec les œuvres littéraires"
6
"les romans, les albums, la poésie, le
théâtre, la BD"
Commentaires
Evocation de différents genres
littéraires, d'auteurs
Rapport à l'imaginaire
Notions d'œuvre, d'auteur, référence à
la littérature classique, patrimoniale et
de jeunesse
Evocation de différents genres
littéraires
Conception de la littérature comme une
œuvre, comme un travail d'auteur et
comme un genre littéraire
Définition de la littérature par la notion
d'auteur, d'œuvre, de rituels
Evocation des différents genres
Ainsi, les enseignants définissent tous la littérature par rapport aux différents genres
littéraires: romans, contes, théâtre, bandes dessinés, poésie. Pour eux, la littérature c'est, avant
tout, une œuvre écrite par un auteur et appartenant à un genre littéraire spécifique. Mais leurs
propos mettent aussi en avant ce que n'est pas la littérature ainsi que nous pouvons le voir
dans le tableau suivant.
Tableau 2: la littérature par opposition à la lecture et à la lecture fonctionnelle
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"j'ai complètement dissocié ce qui était
des exercices d'entraînement à bien
lire là en cycle III [...] par contre le
livre donc on va l'utiliser sous des
formes complètement diverses [...]
donc le livre n'est maintenant qu'un
outil plaisir"
2
"en littérature avec les enfants [...] on
va s'interroger [...] sur de l'implicite et
sur de l'explicite tandis que quand ils
sont en lecture silencieuse on
Commentaires
Opposition lecture sous son aspect
méthodologique (déchiffrer,
comprendre) et littérature ("livre") sous
l'aspect plaisir
Opposition littérature (avec un travail
d'interrogation sur le sens) et lecture
3
4
5
6
n'échange pas là-dessus, en littérature
on échange sur de la compréhension,
de l'implicite"
"bon par exemple là on avait un
bulletin météo dans un texte [...] c'est
pas la même chose que quand c'est un
roman [...] tout ce qui a un rapport avec
les fiches techniques avec la science
c'est pas littéraire"
"Pour moi la lecture ça va être
d'avantage méthodologique"
"pour la lecture [...] je m'interroge pas
forcément sur les intentions de l'auteur"
"je dirais que la littérature [...] on peut
étendre la lecture à tout ce qui est
comme la lecture fonctionnelle [...] ce
qui va en opposition de la lecture
fonctionnelle le but c'est de transmettre
quelque chose"
"et la littérature pour moi c'est plus un
travail sur le, dans la lecture on peut
travailler sur, je reviens un peu sur la
lecture, [...] des documents du
quotidien des horaires, la lecture de
données que ce soit des horaires de
train, de car, des modes d'emploi des
recettes etc. la littérature c'est plus
quelque chose que j'utilise en lecture
suivie"
Opposition lecture de type
fonctionnelle (types d'écrits) et
littérature ("roman")
Opposition lecture définie sous l'aspect
méthodologique et littérature qui fait
référence à un auteur avec des
intentions
Opposition lecture fonctionnelle et
littérature qui a un but, un message à
transmettre
Opposition littérature, lecture d'œuvres
intégrales ("lecture suivie") et lecture
fonctionnelle
Ce tableau donne à voir un deuxième aspect dans la définition de la lecture littéraire,
de la littérature : ce qu'elle n'est pas. Si les enseignants semblent avoir parfois du mal à définir
ce qu'elle est - au-delà des genres littéraires - ils s’accordent tous sur ce qu'elle n'est pas. Elle
s'oppose, et à la lecture sous son aspect méthodologique (apprendre à déchiffrer, comprendre
ce qu'on lit), et à la lecture fonctionnelle qui est la lecture des différents types d'écrits
fonctionnels : fiches techniques, recettes, horaires de train. Il ne s'agit donc ni d'un support
technique, ni d'une activité purement méthodologique. C'est pourquoi son objectif ne réside
pas dans son utilité (au sens restreint du terme), et, ainsi que le met en avant le tableau
suivant, c'est dans la notion de plaisir qu'elle prend tout son sens.
Tableau 3 :la littérature: plaisir et partage
Enseignants Extraits d’entretiens :
Commentaires
1
"ça doit être quelque chose qui doit
La littérature comme source de plaisir
rester la littérature de l'ordre du
plaisir"
2
"avec l'idée de partager les livres qu'il a La littérature comme source de partage,
déjà lus et qu'il ait envie de faire
partager aux copains [...] ce qu'ils
vont avoir lu ils vont pouvoir en parler
ensemble [...] au travers de […] les
livres qu'on étudie et qu'ils y prennent
du plaisir [...]"
"il faut que la lecture ça reste un plaisir
[...] pour que ce soit principalement la
lecture plaisir et on parle ensemble en
classe, ça sur la littérature"
"la littérature n'a pas de but à part de
faire plaisir à celui qui lit [...] pour moi
la littérature ça doit rester un plaisir
c'est le but propre de la littérature c'est
le plaisir."
3
5
comme échange et comme plaisir
La lecture (littérature) définie comme
plaisir et échange
La littérature définie comme plaisir
Ici l'on voit que, pour plusieurs enseignants interrogés, la littérature se conçoit comme
une activité source de plaisir, d'échange, de partage. Ainsi sa finalité dépasse le cadre strict
des apprentissages : c'est une activité qui amène à l'échange et qui doit procurer du plaisir aux
élèves. Nous retrouvons ici une des préconisations du ministère : développer le plaisir de
lire62.
Nous pouvons donc voir que la définition de la littérature s'articule autour de trois
niveaux. D'abord, une définition en lien avec les notions de genres littéraire et d'auteur.
Ensuite, une définition par opposition à la lecture sous ses aspects méthodologiques et
fonctionnels. Enfin, sa finalité : plaisir et partage. Maintenant que nous avons vu comment les
enseignants interrogés définissent la littérature, voyons ce qu'ils disent précisément du texte
littéraire. En effet, comme nous l'avons vu dans la première partie, un texte, pour être
littéraire, doit répondre à certains critères.
2.2.2. Le texte littéraire
Les questions préparées dans le guide d'entretien avaient ainsi un double objectif :
obtenir, de la part des enseignants, une définition du texte littéraire, comparer cette définition
avec celle donnée en particulier par Tauveron et qui met en avant la notion de résistance63.
Nous avons vu que les enseignants définissent la littérature en référence aux genres littéraires
mais qu'en est-il précisément des textes et de leurs spécificités ? Il semble que définir le texte
62
63
cf. 1.2.2
cf. 1.1.1
littéraire leur pose problème, voyons leurs réponses à la question "qu'est-ce qu'un texte
littéraire pour vous ?".
Tableau 4: une définition difficile
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"il peut être de tout ordre"
2
"c'est une bonne question, pour moi,
oui, non, je ne saurais dire"
3
"ben alors là tu me poses un piège"
4
"ben c'est une œuvre littéraire qui a
été écrite par un auteur"
5
"aussi bien les albums que tout ce qui
est littérature"
6
"un texte littéraire, qu'est-ce qui le
caractérise?"
Commentaires
Réponse peu précise
Impossibilité à définir le texte littéraire,
hésitations
Impossibilité à définir ce qu'il est
Renvoi aux notions d'œuvre, d'auteur
Réponse peu précise, renvoi à la
définition de la littérature
Reprise de la question sans réponse
dans un premier temps
Ainsi, ce tableau met en évidence les difficultés que rencontrent les enseignants à
définir le texte littéraire. Difficultés énoncées clairement pour certains, ou qui se font sentir
par une définition vague, un renvoi à la notion de littérature. Mais nous allons voir à travers la
suite de leurs réponses que certains, comme pour la lecture littéraire, définissent le texte
littéraire par rapport à ce qu'il n'est pas. Voyons alors ce qu'il n'est pas pour eux.
Tableau 5: des définitions négatives
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"déjà moi quand j'avais des CP je
n'utilisais pas de livres parce que je
trouve que le livre de lecture de CP
[...] c'est fausser déjà complètement ce
qu'est un bouquin pour eux, déjà c'est
un bouquin qui est complètement
associé à l'apprentissage de sons"
3
"tout ce qui a rapport avec les fiches
techniques avec la science c'est pas
littéraire"
4
"c'est pas un texte qui a été créé pour
apprendre à lire spécifiquement,
comme on pouvait en voir avant au
CP"
5
"ce que n'est pas la lecture
fonctionnelle"
Commentaires
Opposition avec les textes de certains
manuels de cycle II, textes créés
spécifiquement pour entraîner au
déchiffrage, à l'étude des sons
Opposition du domaine littéraire et du
domaine scientifique et donc des textes
littéraires et des écrits scientifiques
Opposition avec les textes de certains
anciens manuels de CP, textes créés
spécifiquement pour apprendre à lire
Opposition à la lecture fonctionnelle
donc à d'autres types d'écrits
Ainsi il apparaît que, pour certains des enseignants interrogés, le texte littéraire se
définit avant tout par opposition à d'autres types de textes. Il n'est pas un texte créé
spécifiquement pour apprendre à lire – comme on pouvait en trouver dans certains anciens
manuels de CP – et il n'est pas non plus un texte relevant du domaine scientifique ou de la
lecture fonctionnelle. Seul un enseignant fournit finalement une définition du texte littéraire se
rapprochant de la définition de Tauveron.
Tableau 6: une définition positive
Enseignants Extraits d’entretiens :
6
"alors c'est un texte qui présente une
difficulté dans les lacunes qu'il
présente" "y'a une lacune qui doit être
comblée par le lecteur"
Commentaires
Notion de difficulté liée à une lacune,
un blanc du texte
Action du lecteur
Ici l'enseignant parvient à fournir une définition du texte littéraire comme un texte qui
présente des difficultés spécifiques, un texte résistant selon la définition de Tauveron. De
plus, c'est le seul à faire une référence claire à l'action du lecteur. Néanmoins, si seul un
enseignant formule clairement cette idée, nous allons voir à travers les pratiques et les
objectifs poursuivis par les autres que cette idée est, chez eux, sous-jacente.
2.2.3. Objectifs et pratiques
En effet, dans les tableaux qui suivent nous allons nous attacher à faire apparaître les
différents objectifs des enseignants interrogés et les pratiques utilisées permettant d'atteindre
ces objectifs. Il s'agit ici d'appréhender leurs réponses à l'aune des préconisations des
programmes et des différentes conceptions de la littérature et pratiques évoquées plus haut.
Tableau 7: les objectifs
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"et qui permet [...] de se détendre, de
rêver, d'imaginer, de construire, de se
faire des mondes"
"c'est aussi de se créer un patrimoine
culturel"
2
"qu'ils aient envie de lire"
"c'est quelque chose que les enfants
vont avoir en commun la littérature de
jeunesse"
3
"qu'ils aiment lire, de développer leur
goût"
"on peut imaginer plein de chose, c'est
ouvert"
4
"C'est vraiment pour s'interroger"
Ça va nous permettre d'aller en avant
Commentaires
Notion d'évasion, de patrimoine
culturel
Donner l'envie de lire, notion de
patrimoine culturel
Développement du goût de lire
Ouverture sur l'imaginaire
Recherche de sens
Interrogation du texte, recherche du
sens
5
6
dans le sens en fait"
"leur faire apprécier ce qu'ils lisent"
"il est vrai que la littérature c'est pas
quelque chose de figé, après chacun
interprète ce qu'il veut interpréter"
"déjà y'a l'apport culturel, qu'ils
connaissent les œuvres de certains
auteurs"
"qui renvoie à des tas de références
culturelles"
Goût de la lecture, notion
d'interprétation
Patrimoine, intertextualité
Ici apparaît la diversité des objectifs pour les enseignants en terme de lecture littéraire.
L'on peut constater que si ces derniers ne décrivent pas leurs objectifs avec le même lexique
que les programmes, ils sont cependant en accord avec ces derniers sur plusieurs points :
l'acquisition d'un patrimoine commun, le développement du goût de la lecture et la recherche
de sens. Voyons maintenant ce qu'il en est au niveau des pratiques.
Tableau 8: des pratiques
Enseignants Extraits d’entretiens :
2
"et donc voilà on discute autour des six
livres qu'on a et qu'on lit"
" en littérature avec les enfants [...]on
va lire à haute voix"
3
"être capable de retransmettre aux
autres ce qui a été lu et ce qu'on a
compris avec d'autres mots"
"un enfant préparait un chapitre qu'il lit
à haute voix aux autres"
"on fait la lecture aux CP CE1 et à la
classe de CLIS"
"ça fait partie de notre activité théâtre"
4
"je vais d'abord vérifier qu'ils ont bien
compris ce qu'ils ont lu [...] pour
pouvoir travailler après sur les
intentions de l'auteur"
"ça va être par exemple là sur Roald
Dahl on va essayer de voir un peu au
travers de toute son œuvre"
6
"C'est mettre en réseau les différentes
lectures"
"le fait qu'on le reprenne ensemble ça
permet de confronter les points de
vue, les divergences de
compréhension"
"qui renvoie à des tas de références
culturelles"
Commentaires
Discussion, débat
Lecture à voix haute
Reformulations
Lecture à haute voix
Lecture aux plus jeunes
Mise en voix, mise en scène ("activité
théâtre")
Compréhension, interprétation
Mise en réseau autour d'un auteur
Lecture en réseau
Echange, débat autour du texte
Intertextualité
Ce tableau nous permet de mettre en évidence que les différents enseignants ont, dans
le domaine de la littérature au cycle III, une pratique variée et inspirée des programmes et en
adéquation avec les auteurs cités plus avant. En effet l'on y retrouve plusieurs dispositifs tels
que : la lecture à voix haute, la mise en voix, la mise en réseau et l'échange, le débat
interprétatif.
Ainsi, à l'issue de l'enquête, deux faits apparemment contradictoires apparaissent. En
effet, les enseignants semblent éprouver des difficultés à définir précisément la littérature et
particulièrement les textes littéraires, néanmoins leurs objectifs et leurs pratiques de la
littérature au cycle III apparaissent pertinentes et en adéquation avec les préconisations des
programmes et des différents didacticiens. Il s'agit maintenant d'essayer de comprendre et
d'analyser cette contradiction.
2.3. Analyse
Comment expliquer le décalage entre une conception parfois hésitante du littéraire et
la pertinence de la mise en œuvre de son apprentissage ? Malgré un écart apparent entre
théorie et pratique il semble que la lecture littéraire chez les enseignants interrogés ne soit pas
mal connue, mais plutôt appréhendée de façon différente et avec d'autres mots. Voyons, dans
un premier temps, ce que révèle la pratique des enseignants interrogés.
2.3.1.Des pratiques pertinentes
Comme nous l'avons vu64 nous pouvons constater une adéquation entre les pratiques
préconisées par les programmes et les auteurs cités précédemment et celles des enseignants
interrogés. Certes les termes employés ne sont pas les mêmes et les objectifs liés aux
différentes pratiques ne sont pas toujours clairement définis, cependant nous pouvons
observer une réelle pertinence des différents dispositifs exploités par rapport à l'enseignement
de la littérature au cycle III.
En effet l'on retrouve la pratique de la mise en réseau chez plusieurs enseignants,
cependant ce dispositif n'est jamais (mis à part par l'enseignant numéro six), nommé comme
tel. Les enseignants parlent de thème, d'auteur mais n'utilisent pas le terme "mise en réseau".
64
cf. tableaux 7 et 8
De même un enseignant évoque l’intertextualité de certains ouvrages mais parle de « clins
d’œil ».
Tableau 9 : la mise en réseau
Enseignants Extraits d’entretiens :
4
"j'essaye de travailler soit par thème
soit par auteur »
« ça va être par exemple là sur Roald
Dahl on va essayer de voir un peu au
travers de toute son œuvre"
6
"et donc toujours sur le thème un petit
peu de la séparation et de l’abandon
[…] L’Enfant Océan qui est la
réécriture du Petit Poucet et qui permet
de mettre un lien entre les
personnages en plus dans l’Enfant
Océan on a plein de clins d’œil au Petit
Poucet"
"Anthony Browne qui met à chaque
fois des tas de clins d’œil"
Commentaires
Mise en réseau autour d’un auteur
Mise en réseau autour d’un thème
Intertextualité
Le phénomène est le même pour la pratique du débat interprétatif : lors des différents
entretiens, les enseignants expliquent qu'ils font "parler" leurs élèves à propos des œuvres lues
mais ils n'utilisent pas le terme de débat interprétatif ; seul un enseignant évoque le débat,
mais il le situe comme une exploitation du texte en instruction civique et non sur
l'interprétation du texte. Cependant, l'on retrouve bien dans les propos des enseignants une
volonté de faire débattre les élèves sur le sens des œuvres.
Tableau 10 : le débat interprétatif
Enseignants Extraits d’entretiens :
2
"on discute autour des livres qu’on a
lus"
5
"la littérature c’est pas quelque chose
de figé, après chacun interprète ce
qu’il veut"
6
"ça permet de confronter les points de
vue, les divergences de compréhension
qui ont pu apparaître pendant la
lecture"
"je m’en sers aussi assez souvent
comme source de débat je dirais un
petit peu pour le côté instruction
civique"
Commentaires
Discussion
Evocation de la pratique du débat
interprétatif
Confronter les points de vue donc
débattre
Le débat en tant que tel est associé à
l’instruction civique
Nous retrouvons aussi dans les réponses des enseignants la pratique de la lecture à
voix haute, et ce, sous différentes formes. Formes qui démontrent une réelle volonté de faire
explorer, de faire vivre les œuvres littéraires aux enfants. Néanmoins ces dispositifs sont
évoqués rapidement par les enseignants, sans que ces derniers ne relèvent l'importance
pédagogique de ces pratiques en littérature.
Tableau 11 : la mise en voix : différentes approches de la lecture à voix haute
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"je les aide toujours à rentrer dans un
texte […] c’est toujours moi qui lit
des débuts de bouquins (sic)"
2
"un enfant préparait un chapitre qu’il
lit à haute voix aux autres avec moi
en alternance"
3
"on fait la lecture aux CP-CE1 et à la
classe de CLIS"
"activité théâtre"
6
"je leur lis certains passages"
"on reprend ensemble par des lectures
collectives à voix haute"
Commentaires
Lecture à voix haute de l’enseignant
Lecture à voix haute accompagnée,
soutenue par l’enseignant
Lecture à voix haute aux plus jeunes
Mise en voix et mise en scène
Lecture à voix haute de l’enseignant,
des élèves
Par contre, il est à noter que les activités d’écriture autour des textes lus, pourtant
recommandés tant par les documents officiels que par les didacticiens n’apparaissent que peu.
Seules deux enseignantes témoignent de cette activité : la première par l’utilisation d’un
cahier mémoire permettant de garder une trace des œuvres lues, cahier dont elle semble
relativiser l’importance ; la seconde, quant à elle, fait part de la pratique de différents
exercices écrits.
Tableau 12 : les activités d’écriture autour du texte
Enseignants Extraits d’entretiens :
Commentaires
1
"on a un cahier de lecture mémoire
Trace des livres lus
bon mémoire de lecture c’est juste pour
se rappeler on met le titre, l’auteur etc.
et on a aimé on a pas aimé pourquoi
juste c’est tout point barre"
4
"pour travailler sur le sens un
Différents types d’exercices écrits
questionnaire rapide, ça peut être des
lectures puzzles, des textes à remettre
dans l’ordre pour repérer tous les
connecteurs logiques par exemple les
connecteurs temporels pour repérer le
déroulement de l’histoire."
Néanmoins apparaît une réelle volonté de faire toute sa place à la littérature et de
développer le goût de lire qui se traduit par la mise en place de pratiques originales et
motivantes comme la création de projets, la participation à des concours ou la mise en relation
de la littérature avec d’autres activités.
Tableau 13 : des pratiques motivantes : projets ou concours
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"on a un projet de bibliothèque qui
s’appelle Voyage Lecture […] et c’est
vrai que pour modifier le
comportement du lecteur"
2
"j’ai aussi inscrit mes élèves à un
concours entre guillemets national
c’est une association qui s’appelle Les
Incorruptibles […] et au mois de mai
on va voter sur Internet ils ont un site
on vote pour notre livre préféré"
3
"je participe avec l’OCCE à ce qui
s’appelle Ciné-Lecture"
"on va aussi à la BCD où les enfants
choisissent librement"
"une année on avait reçu un écrivain
[…] on avait reçu Marie Aude Murail"
6
"on a travaillé sur une adaptation
cinématographique des Misérables
donc essayer aussi de mettre en lien la
culture écrite qu’on peut trouver dans
la littérature et puis ce que l’on fait à
côté on va au cinéma ou ce genre de
choses"
Commentaires
Projet de lecture : motiver et modifier
les comportements des lecteurs
Participation à un concours :
motivation pour lire et s’exprimer sur
les livres lus
Projet qui associe un film et des livres
Motivation par le lien crée entre
cinéma et lecture
Choix : le livre n’est pas imposé, le
lecteur est libre de ce qu’il va lire
Accueil d’un auteur
Lien cinéma et ouvrage de littérature
Faire des ponts entre la culture de
l’écrit et d’autres activités
Nous pouvons donc constater que les pratiques des enseignants interrogés ont une
réelle pertinence dans l'enseignement de la littérature. Il semble qu'il y ait un réel savoir faire
technique et pédagogique. Et, si les termes techniques et les objectifs ne sont pas toujours
mentionnés explicitement par les enseignants, il n'en reste pas moins que ces derniers
appréhendent efficacement l'intérêt des différents dispositifs et maîtrisent leur mise en œuvre.
Il semble donc y avoir une connaissance implicite des objectifs et des dispositifs pour
l'apprentissage de la littérature au cycle III.
2.3.2. Des connaissances implicites
Ce caractère implicite semble se retrouver dans le décalage entre la définition de la
littérature et sa mise en pratique. En effet, nous pouvons constater que le vocabulaire utilisé
par les enseignants pour parler de la littérature, de ses objectifs et de ses dispositifs diffère de
celui utilisé chez Posnaliec ou Tauveron. En effet, il semble que les enseignants utilisent
souvent les termes "imaginer" et "ouvrir" à la place de celui d'interpréter. Si nous considérons
que le sens réel de leur propos concerne le phénomène d'interprétation, alors nous pouvons
supposer que les enseignants ont finalement une connaissance appropriée de l'apprentissage
de la littérature au cycle III.
Ce décalage sémantique peut aussi s'appliquer aux autres termes utilisés en littérature.
Ainsi, à chaque fois que les enseignants évoquent le partage, l'échange entre les enfants autour
d'une œuvre ou d'un auteur, nous pouvons penser qu'ils font référence à la mise en réseau, tout
comme ils évoquent la lecture à voix haute pour parler de mise en voix. Nous pouvons
considérer aussi que lorsqu'ils évoquent le fait de faire parler les élèves, de discuter des
œuvres, d'en parler, ils évoquent l'utilisation du débat interprétatif et la quête de sens. Ainsi,
qu’il s’agisse d’interpréter ou de débattre, nous retrouvons, sous d’autres mots, cette pratique
dans tous les questionnaires.
Tableau 14 : imaginer, parler, construire, s’interroger
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"d’imaginer, de construire, de se faire
des mondes"
2
"on discute » « en parler ensemble"
3
"on parle ensemble en classe"
"on peut imaginer plein de choses
c’est ouvert"
4
"faire travailler l’imaginaire"
"c’est vraiment pour s’interroger"
5
"c’est jamais quelque chose de figé"
6
"il y a aussi un travail à construire
autour de l’imaginaire, à construire sa
propre histoire en fait"
Commentaires
Le sens est à construire
Pratique du débat
Pratique du débat
Le texte est ouvert à l’interprétation du
lecteur
Travail sur le sens
Interrogation en commun sur le sens
Le sens n’est pas prédéfini, il est à
construire
Construction du sens
Ainsi, le travail sur le sens, le travail d’interprétation qui passe par l’activité du débat
interprétatif semble bien présent dans les classes des enseignants interrogés même s’il n’est
jamais mentionné en tant que tel. Néanmoins, il semble qu'il subsiste tout de même une
confusion entre compréhension et interprétation. S’il apparaît que les enseignants situent bien
la lecture au cycle III au-delà de l’activité de déchiffrage, s’ils font bien la différence entre
compréhension littérale et compréhension fine, l'interprétation, en tant que finalité de la
lecture littéraire, n'apparaît pas clairement dans leurs propos. S’ils parlent d'implicite, ils ne
mentionnent pas clairement le fait que le sens se construit par l’activité du lecteur.
Tableau 15 : comprendre plus que déchiffrer
Enseignants Extraits d’entretiens :
1
"savoir lire […] c’est comprendre,
c’est déchiffrer […] donc c’est
quand même d’abord la
compréhension"
2
"Ils déchiffrent, ils lisent mais […]
je crois que le cœur du problème
c’est comprendre ce qu’on lit"
5
6
Commentaires
Lire c’est plus que déchiffrer c’est
comprendre
Lire c’est en un sens déchiffrer mais
il faut aller au-delà il faut
comprendre
Compréhension pas seulement
littérale, mais aussi compréhension
fine
Au cycle III, lire c’est comprendre
"on échange sur de la
compréhension, sur de l’implicite"
"donc on a une part de déchiffrage
et une partie compréhension et c’est
vrai qu’au cycle III on va plus
s’orienter sur la compréhension"
"la lecture c’est avant tout la
Lire c’est comprendre
recherche de compréhension"
Ce tableau donne à voir le fait que les enseignants, dans leurs propos, s’attachent
principalement à la compréhension qui, pour eux, semble être la finalité, de la lecture
littéraire. Pourtant l'enquête nous indique que leurs pratiques, les activités qu’ils organisent
laissent place aussi à un travail d’interprétation. Ainsi nous pouvons noter une confusion entre
compréhension et interprétation. Confusion qui nous amène, dans un dernier temps, à essayer
d’appréhender l’origine des écarts constatés, écart entre didacticiens et praticiens, écart entre
pratique et description de la pratique.
2.3.3. Origine de l'écart
Il paraît tout d’abord important de souligner que si les enseignants évoquent largement
la notion de compréhension pour définir la lecture littéraire c’est parce que tous soulignent les
difficultés des élèves à ce niveau : difficultés dues à un lexique relativement pauvre et à une
incapacité à dépasser la littéralité du texte.
Tableau 16 : des difficultés
Enseignants Extraits d’entretiens :
Commentaires
1
"c’est quand même souvent une
Problème de vocabulaire
carence en vocabulaire[…] et donc du
coup bon ben ça limite souvent la
compréhension"
2
"y en a quand même une grande
Difficulté à interpréter, manque
3
4
5
6
majorité qui ont un problème avec le
sens, ils déchiffrent ils lisent mais […]
ils comprennent pas forcément ce
qu’ils lisent".
"Leur monde est réduit à des choses
très terre à terre et donc à partir du
moment où on est un peu dans le figuré
dans l’imaginaire ils ont beaucoup de
mal"
"très peu d’élèves ont de quoi exprimer
vraiment amplement tout ce qu’ils
veulent dire ils manquent de
vocabulaire"
"c’est extrêmement difficile pour eux
d’aller au delà de ce qui est A+B"
"je me suis rendu compte qu’il y en
avait très peu qui comprenaient ce
qu’ils lisaient"
"un manque de vocabulaire énorme
c’est la première difficulté ils
comprennent pas ils connaissent pas
des mots simples"
"Souvent ils restent collés au texte, il
font de la lecture […] ils ont du mal à
s’interroger sur l’auteur, qu’est ce
qu’il a voulu dire,[...] ils ont du mal à
se projeter en fait c’est ça la principale
difficulté."
"ils ont un problème de vocabulaire
qui est assez important y’a du
vocabulaire qu’ils ne comprennent pas
et puis y’a aussi ce côté aussi si on
parle par métaphore ils ne
comprennent pas donc c’est pas c’est
un côté qui est important aussi du coté
de la littérature on a pas mal de
métaphores, ça les gêne, ils sont
perturbés"
"y’a encore des élèves qui ont des
difficultés à déchiffrer"
"souvent les difficultés heu à faire le
lien entre les différentes dénominations
des personnages"
"y’en a qui ont des problèmes spatiotemporel"
"y’a aussi la question de la maîtrise du
vocabulaire du lexique"
d’imaginaire, et manque de vocabulaire
Manque de vocabulaire qui limite la
compréhension
Difficulté à aller au delà du texte
Difficulté avec le vocabulaire et les
tournures de phrases imagées.
Problèmes liés au vocabulaire, aux
personnages et aux repères spatiotemporels
Problème de vocabulaire, de lexique
Ainsi l’on voit qu’une des raisons qui expliquent la focalisation des enseignants sur la
compréhension, au détriment peut-être de l’aspect interprétatif, vient des difficultés que les
élèves rencontrent, difficultés d’ordre lexical notées par tous les enseignants.
Au-delà, nous pouvons supposer que l’écart constaté entre certaines préconisations
théoriques et les pratiques des enseignants s’explique aussi par le fait que les enseignants
s’expriment en tant que praticiens ; il s’agit, pour eux, d’expliquer ce qu’ils font dans leur
classe, non d’analyser leur pratique. Ainsi aux questions posées sur leurs références, leurs
ressources, leurs outils, ils répondent uniquement par des outils ou références pratiques.
Aucune source théorique n’apparaît dans leurs réponses.
Tableau 17: des ressources, des outils
Enseignants Extraits d’entretien :
1
"on a également dans la classe aussi
beaucoup de fichiers […] deux livres
qui s’appellent Bien lire à l’école de
Nicole Chevalier"
2
"Que d’histoires Magnard, par exemple
c’est un outil que j’utilise heu, y’a le
bibliobus…"
"ce que je vous cite ce sont des œuvres
qui sont dans les listes officielles"
3
"je travaille en français avec la
méthode qui s’appelle la Grammaire
autrement"
4
"Alors les outils enfin c’est moi qui les
construis"
"je vais utiliser des outils qui sont
fabriqués par des éditeurs, mais en
règle générale c’est moi qui les
fabrique."
"y’a les documents officiels déjà, qui
nous disent ce que les enfants sont
capables de faire"
5
"j’utilise la méthode qui s’appelle
« Que d’histoires » […] bien que de
temps en temps je m’en échappe"
6
"je me suis appuyé essentiellement sur
le document d’application qui avait
été mis en place euh qui s’appelait la
littérature"
"quand tu regardes sur Internet y a
toujours un enseignant qui a lu ce livre
là qui renvoie vers d’autres oeuvres"
Commentaires
Utilisation de fichiers de manuels.
Utilisation de manuels
Référence aux documents officiels
Utilisation d’une méthode
Pratique personnelle, manuels
Référence aux documents officiels
Utilisation d’une méthode
Utilisation des documents officiels, de
ressources multimédias
Ainsi, les ressources citées et utilisées sont essentiellement pratiques. Aucun
enseignant ne cite de sources, de références théoriques, sauf quelques références aux
documents officiels. Il semble qu’il s’agisse essentiellement, pour eux, de trouver, de mettre
en place concrètement des dispositifs fertiles. C’est pourquoi il semble opportun de
s’intéresser aussi à leurs difficultés, aux ressources dont ils disposent pour pratiquer la lecture
littéraire et à l’origine de ces ressources. Voyons pour cela ce qu’ils expriment à propos de la
formation qu’ils ont reçue. Formation forcément différente puisque tous n’ont pas la même
ancienneté.
Tableau 18: la formation
Enseignants Extraits d’entretien :
2
"à l’IUFM, tout ce qui est littérature
est très développé dans
l’enseignement l’année de formation
est beaucoup centrée là dessus"
3
"moi je me suis formée sur le tas
c’est en regardant un petit peu à
droite à gauche ce qui se faisait
donc on a eu aussi des formations
quelques formations pédagogiques
mais c’est surtout en échangeant
avec les uns et les autres on se
donne des idées"
"peut être pas assez formée sur ce
qu’on fait aujourd’hui sur la
littérature".
4
"j’ai eu la chance à l’IUFM d’avoir
été d’avoir un prof qu’était plutôt à
cheval, très intéressé par ce sujet"
5
"la formation est déjà assez rapide
faut dire ce qui est"
"on va résumer la formation de
lecture à l’IUFM, on nous a présenté
les manuels sans faire la distinction
entre littérature, lecture
fonctionnelle ça a duré deux heures
en nous disant tel manuel est bien
tel manuel est pas bien, en soi c’est
pas, ça a rien de, on peut pas dire
que ça nous aide énormément pour
travailler là-dessus après"
6
"Par rapport à ce que j’ai pu faire à
l’IUFM c’est assez restreint en
terme de formation y a pas grand
chose qui me revient"
"dans la formation reçue c’est pas le
black out mais presque"
"je me souviens qu’on avait une
prof qui nous a présenté un tas de
références effectivement"
Commentaires
Bon contenu de la formation
Pas de formation en littérature
Formation sur le terrain
Bon contenu de la formation lié au
professeur
Formation trop rapide, présentation
sommaire de la littérature
Formation peu marquante résumée a
une présentation de références
Nous pouvons noter que les réponses varient fortement en fonction des enseignants : si
certains font part d’une frustration quand au contenu de la formation qu’ils ont reçu, d’autres
semblent assez satisfaits. Même au sein du groupe d’enseignants ayant reçu une formation a
priori identique à l’IUFM, tous ne sont pas du même avis. Certains enseignants font référence
à une formation "sur le tas", formation qui finalement se fait par la pratique et l’échange de
pratiques entre collègues ; ces propos nous amènent, une fois de plus, à souligner
l’importance de la pratique pour les enseignants : leur savoir-faire se construit sur le terrain en
pratiquant la lecture littéraire avec leurs élèves, en testant les dispositifs, en échangeant avec
leurs collègues. Importance accordée au savoir-faire, au désavantage des références
théoriques, qui explique aussi le décalage noté plus avant entre les théories des didacticiens et
l’analyse des entretiens.
Conclusion
Nous avons vu que la lecture littéraire est difficile à définir du fait d’un large champ
conceptuel s’imbriquant dans celui de la lecture, et de par sa diversité de forme et sa
compréhension multiple par les auteurs, les didacticiens, les programmes, les enseignants ou
encore les élèves lecteurs. Sa mise en place peut être très diversifiée mais doit nécessairement
s’appuyer sur des dispositifs spécifiques.
Afin d’analyser les conceptions et pratiques des enseignants sur le terrain la mise en
place d’une enquête a paru nécessaire. Enquête, selon une méthodologie qualitative, qui a
révélé différents points. D’abord un décalage entre les conceptions des didacticiens et celles
des enseignants. Néanmoins, l’analyse plus approfondie de leurs propos et pratiques a
finalement montré que ce décalage est avant tout sémantique et que les pratiques des
enseignants sont pertinentes au regard des objectifs de la lecture littéraire au cycle III. Si
l’enquête fait ressortir assez peu de références théoriques, les enseignants ont néanmoins des
pratiques et des objectifs en accord avec les programmes et les théories des didacticiens.
L’écart constaté semble pouvoir s’expliquer par différents facteurs : différence sémantique,
des références pratiques et concrètes plus que théoriques, une formation initiale plus ou moins
pertinente qui semble toujours se compléter, s’enrichir d’une formation sur le terrain et, de ce
fait, pratique.
Au-delà de ce que nous venons de voir, l’enseignement de la littérature au cycle III
pose encore d’autres questions. Et principalement la question du temps et du lieu pour
apprendre la littérature. Et d’abord à l’école : quelle est la place réelle accordée à la littérature
dans l’ensemble des enseignements ? Ensuite, la question de sa place à la maison : en quoi
l’environnement facilite-t-il ou non cet apprentissage ? Apprentissage qui, nous l’avons
souligné, déborde le champ strictement scolaire puisqu’il s’agit aussi de développer le plaisir
de lire, de développer aussi l’imaginaire des enfants : si ce sont des objectifs de l’école, il
semble que les atteindre soit plus facile si l’environnement familial les partage. Alors,
comment aider les élèves pour qui seule l’école offre une acculturation ? Comment aider les
enfants qui ne lisent pas en dehors de l’école ?
Ainsi, enseigner la littérature, enseigner la lecture littéraire et former des élèves
lecteurs connaissant réellement l’enjeu de la lecture et pratiquant « le jeu » de la lecture
littéraire est un enjeu ambitieux. Enjeu que les enseignants semblent prêts à relever malgré les
difficultés auxquelles ils sont parfois, souvent, confrontés. Enjeu que la formation en IUFM
semblait globalement réussir. La réforme de la formation des enseignants prendra-t-elle toute
la mesure de cet apprentissage ? La formation que recevront les futurs professeurs des écoles
leur permettra-t-elle de mener à bien cet apprentissage ?
Bibliographie
•
Tauveron C., (sd), Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et au-delà, Paris,
INRP, 2001, 123 p.
•
Tauveron C., L’aventure littéraire dans la littérature de jeunesse : quand le livre,
l’auteur et le lecteur sont mis en scène dans le livre, Grenoble, CRDP, 2002, 139 p.
•
Reuter Y, Comprendre, interpréter en situation scolaire. Retour sur quelques
problèmes, dans Tauveron C., (sd), Comprendre et interpréter le littéraire à l’école et
au delà, Paris, INRP, 2001, 123p.
•
Poslaniec C., Pratique de la littérature de jeunesse à l'école, Paris, Hachette
éducation, 2009, 271 p.
•
Poslaniec C., Vous avez dit littérature ?, Paris, Hachette, 2002, 222 p.
•
Ministère de l’Education Nationale, Horaires et programmes d’enseignement de
l’école primaire, BOHS n°3 du 19 juin 2008, 40 p.
•
CNED - Université Lyon 2 - Université de Rouen, Eneau J, Piperini MC, Simeone A.,
Méthodologie de recherche , ISPEF Université Lyon 2, 2009, 261 p.
Sitographie
•
Tauveron C., La lecture comme jeu à l'école aussi dans Tauveron C., (sd), La lecture
et la culture littéraire au cycle des approfondissements, Actes de l'université
d'automne:, du 28 au 31 octobre 2002, http://eduscol.education.fr, mis à jour le 06 mai
2004, consulté le 13/02/2010, 144 p.
•
Rouxel A., Qu'entend-on par lecture littéraire?, dans Tauveron C., (sd), Actes de
l'université d'automne: La lecture et la culture littéraire au cycle des
approfondissements, du 28 au 31 octobre 2002, http://eduscol.education.fr, mis à jour
le 06 mai 2004, consulté le 13/02/2010, 144 p.
•
Ministère de l’Education Nationale, Une Culture littéraire à l'école, DGESCO, 2008,
http://eduscol.education, consulté le 17/02/2010, 11 p.
•
Ministère de l’Education Nationale, Littérature à l’école, Liste de référence 2007 des
œuvres de littérature pour le cycle III, 2007, http://eduscol.education.fr, consulté le
17/02/2010, 10 p.
Annexes
Annexe I : Présentation du guide d’entretien
 Cadre : mémoire de Master 1 en sciences de l’éducation.
Cet entretien s’inscrit dans le cadre d’une recherche universitaire et répond donc au code de
bonne conduite des chercheurs. Il garantit :
-
l’anonymat des personnes et des lieux,
-
la confidentialité des propos.
 Sujet : la littérature au cycle des approfondissements.
 Déroulement :
-
lieu : classe de l’enseignant,
-
durée : entre 20 et 40 minutes,
-
modalités : prise de note et enregistrement des propos qui donnera lieu à une
retranscription.
 Accès :
-
les enseignants qui le souhaitent pourront avoir accès au mémoire.
Annexe II : Guide d’entretien
I-
Contexte :
1.
2.
3.
4.
5.
II-
Quelle a été votre filière au lycée ?
Quelle a été votre filière à l’université ?
Depuis combien d’années êtes-vous en poste ?
Dans quels niveaux avez-vous enseigné ?
Quel est le niveau dans lequel vous enseignez cette année ?
Pratiques et connaissances :
6. Qu’est-ce que la lecture ?
7. Qu’est-ce que la littérature ?
8. Faîtes-vous une différence entre les deux ?
9. Pour vous, qu’est-ce qu’un texte littéraire ?
10. Qu’est-ce qui le différencie des autres textes ?
11. Quels sont vos objectifs lorsque vous faîtes étudier un texte littéraire ?
12. Quelles sont les difficultés rencontrées par les élèves ?
13. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez, en tant qu’enseignant, par rapport
aux textes littéraires ?
14. Quelles méthodes ou outils utilisez-vous pour approcher le texte littéraire avec les
élèves ?
15. D’où viennent-ils ? (références théoriques, documents officiels, sites officiels)
16. Quels auteurs pourriez-vous citer ?
III-
Formation :
17. D’où vient votre approche de la lecture ? de la littérature ? (programmes, IUFM,
personnelle)
18. Pensez-vous que vos études supérieures vous ont, ou non, servi dans votre
enseignement de la littérature ?
19. Pensez-vous avoir été assez formé à l’enseignement de la lecture ? de la
littérature ?
20. Avez-vous suivi ou aimeriez-vous suivre des formations en lien avec la lecture ? la
littérature ?
Annexe III : Grille d’analyse des propos
Domaines
Thèmes
Plaisir, envie
Imaginer
Patrimoine
Objectifs
culturel
Partage
Compréhension
Interprétation
Mise en réseau
Débat
Lecture à voix
Pratiques
haute
Activités
d’écriture
Lexique
Problèmes de
Difficultés
sens
Peur
Théoriques
Références
Officielles
Manuels
Personnelle
Formation
IUFM*
1
X
X
X
2
X
X
X
X
X
X
Enseignants
3
4
X
X
X
X
X
X
X
X
5
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
6
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
N
X (+)
X (+)
X (-)
X(-)
* N signifie :enseignant qui n’a pas été formé à l’IUFM
+ signifie : formation satisfaisante
- signifie : formation non satisfaisante
X
X
N
LES OBJECTIFS DE LA LECTURE LITTERAIRE AU CYCLE III
Résumé :
Au cycle des approfondissements de l’école primaire, l’enseignement de la littérature se révèle
être une activité complexe qui déborde le cadre de la lecture proprement dite. En effet, il s’agit de
faire pratiquer aux élèves la lecture littéraire. Ce qui implique plusieurs points : il s’agit d’abord
de leur donner à lire des textes littéraires garants d’une certaine complexité. Il s’agit ensuite de
leur apprendre à devenir des lecteurs actifs, lecteurs qui doivent savoir « jouer » avec le texte,
c’est-à-dire qui savent repérer les « résistances » du texte et les combler par une activité
d’interprétation. Il s’agit enfin de leur donner le goût de lire et d’échanger sur les livres afin
qu’ils se créent un patrimoine commun. Ces différents objectifs requièrent la mise en place de
pratiques spécifiques, propres au domaine de la littérature à l’école. La mise en place d’une
enquête qualitative nous a permis de recueillir des témoignages d’enseignants sur cette
problématique ; témoignages dont l’analyse a mis en avant à la fois des écarts et des adéquations
entre les théories des didacticiens et les pratiques des enseignants. D’abord, les enseignants
témoignent de leur pratique et, de ce fait, ne font que peu référence à des sources théoriques. De
plus, les difficultés auxquelles les élèves semblent confrontés en terme de lexique et de sens
semblent parfois les contenir dans des activités de compréhension au détriment d’activités
interprétatives. Néanmoins, les objectifs et les pratiques de ces derniers sont le plus souvent
pertinentes même si elles ne sont pas toujours décrites explicitement.
Mots clés :
Enseignement, cycle III, lecture littéraire, littérature, interprétation, objectifs, pratiques.