Liliom - Théâtre de l`Odéon
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Liliom - Théâtre de l`Odéon
28 mai - 28 juin 2015 Ateliers Berthier - 17e LILIOM ou La Vie et La Mort d’un vaurien de Ferenc Molnár mise en scène Jean Bellorini Location 01 44 85 40 40 / www.theatre-odeon.eu Tarifs de 6€ à 34€ (série unique) Horaires du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h relâche le lundi Odéon-Théâtre de l’Europe Ateliers Berthier 1 rue André Suarès (angle du boulevard Berthier) - Paris 17e Métro (ligne 13) et RER C Porte de Clichy Service de presse Lydie Debièvre, Jeanne Clavel 01 44 85 40 73 / [email protected] Dossier et photos également disponibles sur www.theatre-odeon.eu 28 mai - 28 juin 2015 Ateliers Berthier - 17e LILIOM ou La Vie et La Mort d’un vaurien de Ferenc Molnár mise en scène Jean Bellorini traduction Kristina Rády, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas scénographie et lumière Jean Bellorini costumes Laurianne Scimemi musique Jean Bellorini, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé avec Julien Bouanich Amandine Calsat Julien Cigana Delphine Cottu Jacques Hadjaje Clara Mayer Teddy Melis Marc Plas Lidwine de Royer Dupré Hugo Sablic Sébastien Trouvé Damien Vigouroux Liliom Marie un gendarme, l’inspecteur, un Détective du Ciel Madame Muscat Litzman, Mère Hollunder, le Secrétaire du Ciel Julie (puis Louise) un gendarme, l’inspecteur, un Détective du Ciel Dandy la harpiste l’homme pauvrement vêtu, batterie le Tourneur, piano Balthazar Beifeld, trompette production Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis coproduction Compagnie Air de Lune, Printemps des Comédiens – Montpellier, Odéon-Théâtre de l'Europe, Théâtre des Quartiers d'Ivry, La Criée – Théâtre national de Marseille avec l'aide de l'ADAMI et de la SPEDIDAM avec la collaboration de Philippe Davêque, Jessie Fabulet et du Bureau Formart texte publié aux éditions Théâtrales recréation au TGP - Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis le 25 septembre 2014 version plein air créée le 5 juin 2013 au Printemps des Comédiens – Montpellier Extrait Liliom - Toi... Julie... J’ai envie de te le dire... c’est comme au restaurant, quand on a fini de manger et qu’il est l’heure de payer... Alors, on fait l’addition... Je t’ai frappée... Pas parce que j’étais fâché, mais parce que je supporte pas qu’on pleure à cause de moi... t’as chialé... je connais que mon métier... je peux pas faire concierge... je retourne pas au manège pour tripoter les filles... je leur crache dessus... tu sais ? Julie - Je sais. Liliom - Et Hozlinger. Il s’y connait. La patronne n’a qu’à s’entendre avec lui... il raconte mes blagues à moi, et ça marche aussi bien... tant mieux...t’as rien eu de moi... pas de piaule, pas de cantine... je sais que tu me comprends pas... je suis qu’un salaud... mais je suis pas concierge... je pensais qu’on pouvait.. en Amérique... tu sais ? Julie - Oui. Liliom - Je veux pas demander pardon... ça non... mais, si tu veux, dis au gamin... Julie - Oui. Liliom - Dis au petit que j’étais un salaud, dis-lui si tu veux... J’ai essayé, j’ai pensé qu’en Amérique... mais ça te regarde pas... Je te demande pas pardon... la police peut venir maintenant... Si le gamin est un garçon.alors... Si c’est une fille, alors... Je vais peut-être voir Dieu ce soir... alors je lui dirai. Ma petite Julie. Qu’il me laisse m’approcher de lui... pas comme ici où on est bloqué à l’accueil... et si le tourneur revient, eh ben...épouse-le... si t’en as le courage... dis au gosse que c’est son père... il le croira hein ? Julie - Oui. Liliom - J’ai eu raison de te frapper. N’y pense pas tout le temps... c’est pas toujours toi qui a raison. Liliom peut bien avoir raison une fois... Moi ça m’est égal qui a raison... Je m’en fous... Personne n’a raison... tout le monde fait comme si personne n’en sait rien... Julie - Oui. Liliom - Tiens ma main bien fort. Julie - Je la tiens ta main, tout le temps. Ferenc Molnár, Liliom ou La Vie et La Mort d’un vaurien (traduction Kristina Rády, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas, Edtions Théâtrales) Liliom Dans une fête foraine, une jeune bonne à tout faire, Julie, tombe éperdument amoureuse d’un bonimenteur de foire, Liliom. Ils s’installent ensemble, mais Liliom, désormais au chômage, se comporte de plus en plus violemment avec elle. Quand elle se retrouve enceinte, il songe à la vie qu’il pourrait donner à son futur enfant s’il était plus riche. Il se laisse entraîner à commettre un braquage qui tourne mal et se suicide plutôt que d’être arrêté. Deux « Détectives de Dieu » l’emmènent dans un tribunal céleste où il est jugé pour avoir battu sa femme. Seize ans plus tard, il peut revenir sur terre pour une seule journée, quittant le purgatoire pour rencontrer sa fille et lui offrir quelque chose de beau. Le prenant pour un vagabond, elle refuse son cadeau. Désemparé, il la frappe... Il voudrait caresser, il frappe Liliom (ou la vie et la mort d'un vaurien) date de 1909 ; un an plus tard, la pièce est créée à Berlin par Max Reinhardt, qui devait peu après faire redécouvrir Woyzeck. De fait, la pièce de Molnár regarde à la fois vers Büchner et vers le Brecht de Baal ou le Horváth de Casimir et Caroline, voire au-delà, jusqu'à Sarah Kane ou Novarina. Et son alliage de mélo et de modernisme, de primitivisme naïf et d'écriture par télescopage de plans, lui ont valu de faire le tour du monde, au théâtre comme au cinéma (où Liliom a été adapté trois fois, notamment par Fritz Lang en 1934, avec Charles Boyer dans le rôle-titre). Qui est Liliom ? Un homme dont on ne sait presque rien, ni d'où il vient ni où il va. Il tourne en rond. Sur le manège de la fête foraine où il officie, où les jeunes femmes s'attardent volontiers pour se griser un peu plus longtemps de son charme canaille. La foire, lieu ephémère qu'un peu de toile et de bois fait surgir dans les zones équivoques entre ville et campagne, offre quelques heures de liberté illusoire au peuple qui le fréquente : l'occasion de flâner, de s'exposer aux rencontres, de boire un peu trop, de se laisser gentiment escroquer par les bonimenteurs. De rêver. Liliom fait partie de ce décor-là. Il prête son corps et sa belle gueule aux désirs tournoyants des demoiselles – mais à part ça, parce qu'il faut bien gagner son pain, il couche avec la patronne, Madame Muscat. La vie pourrait continuer ainsi, sans passé et avec encore moins d'avenir. Cette vie-là, l'existence ordinaire de Liliom, le spectateur ne la verra jamais. Elle a lieu avant. Quand la pièce commence, cette époque vient de finir, même si Liliom ne s'en doute pas encore. Quelque chose d'inouï a eu lieu : Madame Muscat s'est montrée jalouse et a chassé une petite bonne, Julie, de son manège, avec ordre de ne plus jamais y revenir. Que s'est-il passé ? Allez savoir. En tout cas, Liliom suit Julie et quitte tout pour elle. Le voilà sans situation. Est-ce donc de l'amour, est-ce un avenir qui s'ouvre ? Une fois encore, allez savoir. Cela y ressemble, mais Liliom et Julie ont autant de difficulté à trouver leurs mots qu'à y voir clair dans leurs sentiments. Quelque temps après, Julie est enceinte et Liliom, au chômage, se laisse tenter par un mauvais coup. Lui qui tournait en rond, le voilà qui tourne mal. C'est comme la loi de son être. Il voudrait caresser, il frappe. Il voudrait aimer, il blesse. Il est comme incarcéré en lui-même, fauve captif privé d'issue. Même le suicide n'en est pas une. Comme le lui dit une sorte d'ange-inspecteur de police, ce serait trop facile. Voilà Liliom dans l'audelà, car la pièce dont il est le héros, quoique sombre, a la fraîcheur enfantine d'un tableau de Chagall. Après seize ans dans les flammes du purgatoire, il lui faudra retourner sur terre. Il devra y voir sa fille afin d'accomplir enfin une seule bonne action, une action qu'il lui reste à inventer... Aide-toi, le Ciel t'aidera, dit le proverbe. Et si on ne sait pas ? Et si on a la malchance d'être à soimême sa propre cage ? L'histoire est émouvante et simple comme un vieux conte. Sa modernité théâtrale est restée intacte. Elle parle de pauvreté, de frustration, de malentendus destructeurs face aux autres et à soi-même. De ces malheureux êtres dont la dernière fierté reste celle de s'identifier à leur échec. Avec La Bonne âme du Se-Tchouan, qu'ils ont présentée à Berthier, Jean Bellorini et ses interprètes de la compagnie Air de Lune viennent d'aborder des questions analogues. Le chef-d'oeuvre de Molnar permet au nouveau directeur du TGP de Saint-Denis de les reprendre à un autre point de vue et avec d'autres couleurs, mais avec la même générosité – et toujours à sa manière, musicale et sensible. Pour un théâtre du présent Daniel Loayza : Nous avons au moins trois sujets à aborder : Liliom, votre prochain spectacle aux Ateliers Berthier ; vos impressions après une première saison à la tête du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis ; les liens de votre théâtre avec l'Odéon, notamment par le biais du programme Adolescence et territoire(s), auquel vous avez vous-même participé personnellement... Jean Bellorini : Commençons là où nous sommes ! Le théâtre est à cinquante mètres de la maison natale de Paul Éluard. Saint-Denis est une ville bouillonnante, populaire, pleine de vie. Il y a des chantiers un peu partout. Trouver le mode de présence et de permanence du théâtre dans des quartiers pareils, ce n'est pas simple. Liliom a été une très bonne entrée en matière. Le sujet même de la pièce, finalement, c'est le rapport à la langue. Et c'est la définition de ce que j'essaie d'impulser au TGP : l'éducation, le fait de pouvoir grandir à hauteur de ce que l'on est, impose une certaine attention de chacun à la langue qui est la sienne. D. L. : Que dire encore de Liliom plusieurs mois après la création ? J. B. : Au moment où nous répétions le spectacle, je ne pensais pas forcément que je parviendrais à faire partager à l'ensemble des spectateurs tout ce que la pièce me fait ressentir, même si j'espérais évidemment toucher certains jeunes. On avait mis l'accent sur les groupes scolaires, leur accueil était une priorité affirmée. Eh bien, ce sont ces publics-là qui ont donné au spectacle sa résonance juste, actuelle. La fable est extrêmement simple et claire. Beaucoup de jeunes spectateurs, tout particulièrement ici, m'ont dit qu'elle pourrait être la leur. Liliom est une pièce d'une grande âpreté. L'écriture donne à entendre ce qu'est une parole entravée, une personnalité poussée par ses difficultés à déborder violemment de soi-même. Et la poésie de la scène – la musique, l'incarnation un peu lunaire de ce Liliom perdu, cette espèce de détresse tendre – visait à faire ressentir cette violence plus profondément que si le protagoniste avait redoublé la cruauté des situations par sa propre brutalité. Il a fallu que les salles se remplissent de jeunes pour que cette âpreté poétique se déploie et qu'on l'éprouve physiquement. Nous avons ouvert notre projet au TGP avec un drame qui raconte à la fois la joie de la fête foraine et la misère d'un homme avec trop peu de mots, et j'ai l'impression que ma façon d'articuler les temps du théâtre a été partagée par le public : on vient dans la salle comme on est, avec son propre passé – sur le coup, on rit, on pleure – et puis on s'apprête à y repenser plus tard. L'émotion prépare et nourrit la réflexion. D. L. : Est-ce que ces jeunes spectateurs de Liliom reviennent au théâtre ? J. B. : Je l'espère, mais il faut être très honnête. Certains objectifs sont à très long terme, une génération ou plus. Dans la grande salle du TGP, le but est de proposer des spectacles qui seront de la matière à mémoire. D'offrir des moments qui soient des points de bascule possibles, où dans la salle les gens puissent se dire : si c'est ça, le théâtre, alors oui. Mais pourquoi, après tout ? Pour moi, le théâtre est l'art de remettre la parole au coeur de la société. Une arme douce qui rend leur force aux récits partagés, qui nous restitue la pluralité des sens et redonne à la parole sa valeur poétique en renversant la trivialité, en luttant contre les raccourcis permanents de notre société de slogans. Liliom montre cela en creux, par ellipses et sous-entendus. Notre «projet Horváth», Un fils de notre temps, le montre en relief, de façon très explicite. Mais les deux disent la même chose de ce que nous vivons : la langue de beaucoup d'entre nous est de plus en plus désarmée, dépossédée de ses ressources. Et cette histoire d'un pauvre type qui perd son emploi, rêve d'un ailleurs, puis ce fantasme d'une rédemption, cette soif de justice, cette liberté fantastique avec laquelle Molnár ose se demander avec nous ce qui se passe après la mort, sont autant d'aspects que les jeunes spectateurs reconnaissaient, qui leur parlaient directement, et qu'ils comprenaient, qu'ils «prenaient avec» eux. D. L. : Comme La Bonne âme du Se-Tchouan, que vous avez présenté aux Ateliers Berthier en 2013, la pièce a des résonances très actuelles... J. B. : Nous avons créé le projet, et notre adaptation de Horváth, bien avant les assassinats de janvier. Mais c'est vrai que la violence de Liliom, et celle du «fils de notre temps», résonnent avec notre époque. Liliom tombe dans la délinquance et finit par se détruire. Le héros de Horváth est un enfant perdu qui croit trouver le sens de la vie et sa place dans le monde en revêtant un uniforme pour servir une cause, et qui se rend compte trop tard que cette cause est abjecte... Dans les deux cas, les auteurs nous font toucher du doigt des vies dans l'impasse. Ces vies, beaucoup de jeunes dans le public les reconnaissent. Pourtant je n'ai pas l'intention de leur tendre un miroir. C'est même plutôt le contraire, j'ai toujours peur d'être trop dans le reflet de la situation. Je veux bien proposer un miroir, mais pas un miroir direct. La réalité sociale n'a pas à nous imposer quoi que ce soit. D. L. : Quels principes devraient donc guider votre programmation au TGP ? J. B. : J'ai l'impression qu'il faut raconter des histoires. J'éprouve le besoin, si tant est que je reflète quelque chose, d'être ou de redevenir le reflet d'une reconstruction. À la fois sensée et sensible. Et donc, dans mes choix de textes, si je prends deux de mes créations précédentes comme pôles entre lesquels je circule, je me sens en ce moment plus éloigné du pôle rabelaisien et plus proche du pôle hugolien. Pourtant, nous sommes dans une situation comparable à celle de Rabelais, nous nous tenons comme lui à une époque-charnière, au bord d'une transformation. Mais Rabelais était armé d'une langue formidable, vivante, érudite. Nous, non. C'est aussi cela que raconte Liliom : la pièce est un discours sur le peu de langue, l'histoire d'un coeur trop pauvre en mots. Ici, la richesse qu'est la langue ne se laisse deviner que par l'ombre poétique qu'elle laisse sur le plateau en se retirant... Mais justement, le plateau peut nous aider à réarmer notre langue. D. L. : Ce qui nous amène à Adolescence et territoire(s)... J. B. : C'est la même obsession, mais par un autre versant. Avec ma compagnie, j'ai participé à ce projet avant même d'être nommé à la tête du TGP : j'ai fait travailler 21 adolescents de Clichy, Saint-Denis, Saint-Ouen, Asnières et Paris autour de Dostoïevski – un auteur qui me passionne en ce moment, et qui est justement un excellent exemple de ces «raconteurs d'histoires face au chaos» dont je sens que la voix nous est aujourd'hui si nécessaire. Ma participation à Adolescence et territoire(s) s'expliquait par mes convictions, et elles n'ont pas changé : je souhaite que le TGP soit associé à cette action. Je crois d'ailleurs que l'Odéon et le TGP ont ici une occasion magnifique de travailler ensemble, de mettre en commun leurs forces si différentes, car cette différence même pourrait bien être une force de plus... Mais pour en revenir à Adolescence et territoire(s), j'ai la certitude que le plateau est un lieu irremplaçable pour ressaisir ce que l'on devient. C'est au plateau que les jeunes éprouvent consciemment qu'habiter la parole, c'est réhabiliter l'humain. La pratique théâtrale vous découvre, vous met à nu et vous libère. De ce point de vue, le théâtre est une entreprise de salut public. Et selon moi, le projet du TGP se joue aussi là. Je croise dans les ateliers, dans les classes théâtre, des talents, des personnalités magnifiques, d'une richesse humaine, d'une force, vraiment extraordinaires – et pour trop de ces jeunes il est encore impensable de dire à leurs parents, en rentrant à la maison, qu'ils voudraient tenter d'être comédiens ou artistes. Mécanicien, ça oui, c'est un vrai métier... On en est là. Le champ artistique, le champ culturel, il faut qu'ils se l'approprient, qu'ils s'en sentent le droit. C'est le principe qui préside à Adolescence et territoire(s), mais aussi à notre «Troupe éphémère» du TGP. Il faut qu'ils montent sur le plateau pour s'y sentir chez eux, en terrain familier, et qu'ils ressentent que le théâtre, ce trait d'union entre l'intime et le monde, leur appartient à eux aussi, et tout aussi entièrement. D. L. : Vous ne concevez décidément pas le travail théâtral sans une part pédagogique ! J. B. : La formation et la recherche, ce ne sont jamais que deux façons d'allumer la même étoile. Tout commence par le désir, qu'il faut faire naître ou renaître... Mon premier souci a donc été de construire une troupe «permanente» de jeunes – qu'on a appelée la troupe éphémère ! Ils viennent de Saint-Denis et de tout le département, la majeure partie des week-ends dans l'année. Nous préparons un spectacle qui est programmé dans la saison. La charge est lourde mais j'y attache beaucoup d'importance. C'est une question d'implication, de terrain – surtout pas de communication. Surtout pas ! Je suis là pour eux, qu'on le sache ou non, et à la limite, mieux vaut que ça ne se sache pas trop et que nous, nous nous fassions confiance et que nous sachions pourquoi nous sommes là. D. L. : Parfois, l'institution doit savoir rester invisible ? J. B. : C'est une vraie question. L'institution a quelque chose de monumental, d'inhibant. Et puis, quand on répète, on s'enferme, on s'isole – alors que le but final est toujours de donner à voir. Ici, à Saint-Denis, c'est une nécessité absolue d'exposer ce qui se passe à l'intérieur, de faire sentir qu'il n'y a rien de caché. De rendre le travail transparent sans se laisser enfermer ni dans une tour d'ivoire, ni dans un ghetto. L'institution doit savoir se faire discrète, voyageuse, et se faire voir là où on ne l'attend pas, là où personne d'autre ne la voit. C'est le cas avec Adolescence et territoire(s). Ce n'est pas du nomadisme pour le nomadisme : il s'agit de décloisonner, de faire circuler, de casser les frontières de banlieue à banlieue, et celles qui les séparent de Paris – et dans les deux sens: du TGP à l'Odéon et vice-versa ! C'est pareil avec les «petites formes» comme Un fils de notre temps, un spectacle conçu pour être joué n'importe où hors les murs. En une demi-journée, on monte un vrai petit théâtre, avec une boîte noire et des projecteurs. Par exemple à la maison de quartier, à Floréal. Là où les spectateurs ne connaissaient que des tables de ping-pong et des néons, ils ont découvert – le théâtre, avec son apparat. Et ce geste-là, cette irruption de la scène hors de sa coquille institutionnelle, a provoqué ce qui est pour moi la définition même du théâtre, qui pour moi est un humanisme : des hommes parlent aux hommes, ensemble ils réfléchissent, ensemble ils rêvent. Je ne suis pas sûr qu'on gagne immédiatement du public comme ça, mais ça n'en est pas moins salutaire. D. L. : Vous n'espérez même pas que ce genre d'actions améliore la fréquentation du TGP? J. B. : Le fait est que sur le plan de la fréquentation, tout se passe bien. Le public semble avoir adhéré aux propositions de la première saison, et nous en sommes tous très heureux. Mais de là à programmer des actions dans les quartiers pour gagner des spectateurs... Cela viendra peut-être, pas forcément tout de suite, mais ce n'est pas le but premier. Dans bien des théâtres, si ça se trouve, on pense trop à remplir la salle, à présenter des chiffres mirobolants, au risque que le public se sente instrumentalisé, et du coup, le rapport de confiance peut se renverser d'un seul coup. Le long terme sur tous les terrains, la constance dans l'engagement, sont au moins aussi importants que les variations immédiates de la fréquentation. D'ailleurs, les effets du théâtre ne sont pas tous mesurables. Sur quelle échelle apprécier, en termes de bénéfice social, la qualité d'un échange, le sentiment de ne pas être laissé pour compte ? Sentir qu'on a droit à la beauté, à l'émotion, à la réflexion, qu'on y a accès, et que ce droit est fait pour être partagé, c'est une grande fierté. Et je suis convaincu que tous devraient pouvoir l'éprouver. Propos recueillis par Daniel Loayza 26 février 2015 Repères biographiques Ferenc Molnár (1878-1952) Ferenc Molnár, de son vrai nom Ferenc Neumann, naît à Budapest en 1878 au sein d’une famille juive aisée et très cultivée. Il débute dans le journalisme avant d’étudier le droit à Budapest, puis à Genève. Après ses études, il fréquente les milieux artistiques, journalistiques et littéraires, publie des poèmes, des nouvelles, des romans et adopte le pseudonyme de Molnár. En 1907, son premier roman, Les Garçons de la Rue Pal, raconte l’affrontement de deux bandes de gamins dans les rues de Budapest au début du XXe siècle. Le roman connaît un important succès public et reste un classique de la littérature pour la jeunesse. Très vite il écrit pour le théâtre. Entre 1907 et 1933, il publie une trentaine de pièces (de 1907 – date de la création de sa première pièce, Le Diable – à 1933, il est l’auteur d’une trentaine de pièces destinées à la scène : Liliom (1909), Le Garde du corps, Le Cygne, Le Jeu au château, La Fée, La Riviera), qui le font reconnaître dans le monde entier. Il doit sa célébrité à des comédies de moeurs d’un réalisme féerique, d’un symbolisme souvent teinté de mysticisme. Liliom, la plus représentée, est créée en Allemagne par Max Reinhardt en 1910. La pièce connaîtra trois adaptations cinématographiques, dont la plus connue est celle de Fritz Lang avec Charles Boyer en 1934. Il est joué à Paris, Londres, Berlin, Vienne… et devient une figure prédominante du théâtre hongrois des années vingt. En 1945, Richard Rogers et Oscar Hammerstein font de Liliom la comédie musicale Carousel qui sera créée à Broadway. Liliom a été représenté à plusieurs reprises en France, notamment en 1923 à la Comédie des Champs-Élysées dans une mise en scène de Georges Pitoëff. Correspondant de guerre pendant la Première Guerre Mondiale, il quitte la Hongrie en 1937 devant la montée du fascisme. Il s’installe en France, puis en Suisse et s’établit aux États-Unis en 1940, où il travaille comme scénariste à Hollywood. Il meurt à New York en 1952. Jean Bellorini Jean Bellorini est né en 1981. Directeur artistique de la Compagnie Air de Lune, metteur en scène, compositeur, formateur, pédagogue, il entre dans la mise en scène en 2002 avec Piaf, l’Ombre de la Rue (Théâtre du Renard, Paris, festival d’Avignon et tournée). Un an après, alors qu’il commence à diriger les Auditions Promotionnelles de l’École Claude Mathieu (où il enseigne régulièrement depuis 2005), Jean Bellorini présente au Théâtre du Soleil La Mouette, de Tchekhov. Assisté de Marie Ballet, et toujours au Théâtre du Soleil, il met en scène en 2004 Yerma de García Lorca, dont il compose la musique, avant de revenir à Tchekhov avec Oncle Vania (Théâtre de la Faisanderie, Chantilly, 2006). En 2008, tout en intervenant au CRR pour le Jeune Choeur de Paris, il monte au Théâtre de la Cité Internationale, un acte de L’Opérette imaginaire de Valère Novarina. Mais c’est en 2010, avec Tempête sous un crâne, d’après Les Misérables de Victor Hugo, que la Compagnie Air de Lune se fait connaître d’un très large public : le spectacle, créé au Théâtre du Soleil, n’a pas cessé de tourner depuis. Deux ans plus tard, Jean Bellorini retrouve Camille de la Guillonnière pour signer une adaptation de Rabelais : Paroles gelées , dont il compose la musique. Le spectacle est créé au Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, puis présenté au TGP de Saint-Denis, où la Compagnie Air de Lune est en résidence jusqu’en 2013. Dernièrement, Jean Bellorini a présenté Liliom (ou La Vie et La Mort d’un vaurien), de Ferenc Molnár, dans le cadre du festival Printemps des Comédiens à Montpellier. Jean Bellorini, qui a entamé en 2009 une carrière de metteur en scène d’opéra (Barbe Bleue d’Offenbach, à l’Opéra de Fribourg), est artiste invité du Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées jusqu’à fin 2013. Il a reçu en 2012 le prix Jean-Jacques Gautier de la SACD ainsi que le prix de la révélation théâtrale (décerné par le Syndicat de la Critique). En 2013, il reçoit le prix de la mise en scène du Palmarès du Théâtre pour Paroles gelées. En 2013 il crée au TNT de Toulouse puis au Théâtre de l’Odéon, La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht. Il dirige le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, centre dramatique national de Saint-Denis depuis le 1er janvier 2014. En mai 2014, il reçoit le Molière de la mise en scène du théâtre public pour Paroles gelées et La Bonne Âme du Se-Tchouan. En novembre 2014, il crée Cupidon est malade de Pauline Sales, sa première mise en scène pour le jeune public. En janvier 2015, il met en scène Un fils de notre temps d’après le roman d’Ödön von Horváth, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, puis en itinérance en Île-de-France. En mai 2015, il met en scène de jeunes comédiens amateurs dans une comédie musicale, dans le cadre du projet La troupe éphémère du TGP.