L`infographie filmique en Suisse

Transcription

L`infographie filmique en Suisse
RESUME L’infographie filmique en Suisse Animation 3D et effets visuels digitaux : marchés et formations Résumé d’un rapport dirigé par Michel Vust, assisté de Christine Bloch commandité par la section cinéma de l’Office fédéral de la culture Imaging the Future Symposium Passage Max‐de‐Meuron 6 2000 Neuchâtel + 41 (0) 32 730 50 33 [email protected] www.imagingthefuture.ch Sommaire
0. Préambule .......................................................................................................................... 3 1. Objets et objectifs de la recherche .................................................................................... 4 2. 1.1. Techniques et contexte .............................................................................................. 4 1.2. Filière, marché et champ de l’infographie suisse....................................................... 5 Les entreprises et leur(s) marché(s)................................................................................... 7 2.1. Les «métiers» des organisations ................................................................................ 7 2.2. Taille et structures des entreprises............................................................................ 7 2.3. Prestations, produits et clients .................................................................................. 8 2.4. Répartition des activités économiques...................................................................... 9 2.5. Stratégies entrepreneuriales.................................................................................... 10 2.6. Le champ : entre complémentarité, évitement et concurrence............................. 12 2.7. Concurrence potentielle........................................................................................... 12 2.8. Absence d’organisation corporative ........................................................................ 13 3. Les formations suisses en infographie filmique............................................................... 14 4. Perspectives ..................................................................................................................... 16 2
0. Préambule La recherche ici résumée est issue d’une volonté conjuguée de la section cinéma de l’Office fédéral de la culture et du symposium Imaging the Future de mieux connaître et faire connaître les professionnels actifs en Suisse dans deux domaines cousins qui renvoient à la génération et à la transformation informatiques d’images filmiques (en anglais, on parle communément de computer generated images ou CGI): l’animation digitale (particulièrement l’animation 3D) et ce qu’on appelle les effets visuels digitaux (souvent abrégés VFX ou DVFx). En français, on peut en simplifiant regrouper ces domaines sous le concept d’ «infographie filmique», compris comme la science de la représentation et de la manipulation informatiques de données graphiques filmiques. L’ambition de ce rapport n’est pas d’aborder ces domaines selon une perspective esthétique ou technique, mais selon un angle socio‐économique, c’est‐à‐dire de donner une première description du «champ» de l’infographie filmique en Suisse et d’indiquer la place de l’infographie dans la «filière filmique» nationale. Le présent texte propose un résumé relativement schématique des principaux résultats exposés en détails dans la version intégrale du rapport, prochainement disponible sur le site de l’Office fédéral de la culture. Cette synthèse en reprend la structure composée en premier lieu d’une présentation introductive des objets et objectifs de la recherche, suivie de la partie centrale consacrée aux entreprises suisses actives dans ces domaines (leurs «métiers», structures, marchés, stratégies et réseaux), puis d’un bref inventaire des différentes formations helvétiques ayant trait à l’infographie filmique. Enfin, un dernier point ouvre différentes perspectives ‐ pour la plupart soulevées par les acteurs eux‐mêmes ‐ concernant le développement futur du champ et d’éventuelles interventions de la Confédération. Il est important de mentionner que le rapport présenté ici a été pensé comme un work in progress pouvant être complété, prolongé, comme l’occasion de mettre en lumière ces activités, comme un premier mouvement institutionnel vers ces domaines encore méconnus. Basé sur des données encore très fragmentaires, il ne prétend pas à l’exactitude totale ni à l’exhaustivité, mais simplement à fournir un reflet pertinent de la situation actuelle, construit à partir de différents documents et d’entretiens menés avec des professionnels du domaine. Par ailleurs, une des ambitions de ce projet est de susciter la discussion ; toutes remarques et précisions sont donc les bienvenues et peuvent être adressées par courriel à [email protected]. 3
1. Objets et objectifs de la recherche 1.1. Techniques et contexte L’animation digitale et les effets visuels digitaux sont ici abordés comme des domaines génériques qui sont en fait chacun très complexes et multiples, pouvant inclure des opérations et des techniques très diverses, combiner des contenus analogiques et digitaux, 2D et 3D, prises de vue «réelles» ou images de synthèse. Ne constituant pas une analyse technologique ou esthétique, notre rapport ne fait que survoler les différentes techniques, outils et matières de l’animation 3D (modélisation, rigging, animation, rendu) et des effets visuels digitaux (retouche, compositing, rotoscopie, morphing, étalonnage...). L’histoire de ces techniques prend naissance durant les années 1950 dans des laboratoires de recherche nord‐américains principalement, puis connaît des avancées techniques, artistiques et professionnelles déterminantes dans les années 1970, avec notamment en 1974 la première conférence SIGGRAPH (Special Interest Group in Graphics de l’Association for Computing Machinery), l’événement mondial majeur en terme d’infographie, et la fondation en 1975 d’Industrial Light and Magic, dont le Computer Group (créé en 1979) réalisa les premières séquences cinématographiques entièrement générées par ordinateurs. Ces développements s'accélérèrent dans les années 1980 qui virent naître d’importants pourvoyeurs de hardware (Silicon Graphics en 1982) et de softwares spécialisés (Wavefront en 1981; Adobe, Softimage et Autodesk en 1982...), ainsi que de grands studios consacrés à l’animation digitale et aux effets visuels (aux Etats‐Unis: Tippett Studios en 1983, Pixar en 1985, Kleiser‐Walczak en 1985, Rythm and Hues en 1987; à Paris: Buff en 1985 et Mac Guff en 1986; au Japon : Toyo Links en 1982; à Londres: The Mill en 1990)1. Ce développement international touche alors également les universités, les écoles d’art et les laboratoires de recherche qui essaiment partout sur le continent nord‐américain, au Japon et en Europe, notamment en Suisse où Daniel Thalmann crée le Computer Graphics Lab à l’EPFL en 1988, et Nadia Magnenat‐Thalmann MIRAlab à l’Université de Genève en 1989. Deux laboratoires qui produiront des travaux novateurs comme Virtual Marilyn (une animation 3D créée en 1991 à partir d’un système permettant la reproduction des mouvements musculaires faciaux). Dans le même temps est produit Der Atem de Niklaus Schilling (1989), premier film suisse comportant des séquences d’animation digitale, réalisées toutefois dans un studio allemand. Quelques années plus tard, la Suisse se dote de formations artistiques spécialisées à l’Usine de Lausanne, issue d’une collaboration entre L’ECAL et l’EPFL, et au CSIA (Centro scolastico per le industrie artistiche) de Lugano; deux initiatives qui seront abandonnées à la fin de la décennie en raison de coûts jugés trop élevés et de leur inadéquation au marché suisse du travail. Si au cours des années 1990 de nombreux Suisses partent en effet se former et travailler à l’étranger, d’autres en revanche, qu’ils soient issus de ces formations, autodidactes ou venus de l’étranger, fondent les premières entreprises proposant la production de CGI ou intègrent cette activité à des 1
Sur la naissance et le développement de l’infographie filmique voir : Isaac KERLOW.The Art of 3D Computer animation and Effects, Hoboken : John Wiley inc., 2009.
4
entreprises déjà existantes. Ainsi, l’infographie commence à toucher la «filière» filmique suisse. En suivre l’évolution s’avère presque impossible faute de documents vraiment précis ; ce qui limite notre étude à une description de la situation actuelle qui d’ailleurs est en constant mouvement. 1.2. Filière, marché et champ de l’infographie suisse Le terme de « filière » est employé en économie pour désigner «un ensemble d’activités économiques intégrées par les marchés, les capitaux, et les technologies. [La filière] est composée d’une succession finalisée d’activités correspondant aux stades de développement d’un produit et de son accès au marché »2. Les activités et les produits qui nous importent ici renvoient non pas seulement au cinéma, mais au terme plus générique de film tel que l’entend la loi fédérale 443.1 sur la culture et la production cinématographiques3. Se limiter au cinéma indépendant proprement dit, qu’il s’agisse de long ou de court métrage, ne serait guère pertinent sachant qu’il ne représente qu’une moindre part de la production d’animation digitale et de VFX en Suisse; la plus grande partie consistant en ce que l’on définit comme des «films de commande». Comprise comme un ensemble d’activités économiques correspondant aux différents stades de développement d’un produit, la filière peut désigner à la fois «une modalité de découpage du système productif permettant de repérer les entreprises qui ont entre elles des relations intenses d’achat‐vente et d’identifier les logiques autour desquelles s’articulent les activités, de mettre en évidence la nature du produit final et des produits intermédiaires, la structure des marchés, ainsi que les liens qui s’établissent entre ces éléments»4. Aborder la place de l’infographie dans la filière filmique revient donc à •
identifier les entreprises, institutions et particuliers actifs dans ce domaine. •
décrire leurs activités, leurs modes d’organisation et les stratégies mises en place pour répondre au marché ou l’influencer. •
dresser une typologie de leurs commanditaires, des produits finaux auxquels ils contribuent et de leurs interventions particulières. •
décrire les relations (commerciales et sociales) que les différentes entités entretiennent les unes aux autres. •
décrire les éventuelles zones d’adhérences avec d’autres filières (graphisme, arts plastiques, multimédia...). •
identifier les formations existantes et les parcours des acteurs. 2
Laurent CRETON.- Economie du cinéma. Perspectives stratégiques, Paris : Nathan, 1994, p. 54.
« Par film on entend toute suite d’images enregistrées et structurées, sonorisées ou non, qui est destinée à la
reproduction et qui, lorsqu’elle est visionnée, donne l’impression d’un mouvement, quel que soit le procédé
technique de prise de vue ou de reproduction utilisé ou le support choisi ».
4
Laurent CRETON, idem
3
5
Ainsi, l’entrée «filière» permet de combiner l’analyse économique de la gestion entrepreneuriale et du marché suisse de l’infographie à des aspects sociologiques renvoyant à ce que Pierre Bourdieu a appelé un «champ»5, c’est‐à‐dire la structure sociale de positions, de relations et de répartition du travail dans un même domaine d’activités. Pour aborder ces domaines, devant l’absence de matériel statistique vraiment pertinent, nous avons privilégié une méthode dite qualitative, produisant nos données lors d’une quarantaine d’entretiens menés avec différents acteurs de la filière (chefs d’entreprises, techniciens, enseignants, producteurs, indépendants…). 5
Sur ce point, voir notamment Pierre Bourdieu.- Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire,
Paris : Le Seuil.
6
2. Les entreprises et leur(s) marché(s) 2.1. Les «métiers» des organisations Le champ suisse de l’infographie filmique se distingue par une forte hétérogénéité, la production suisse en images générées par ordinateurs étant répartie entre des entreprises, institutions et particuliers pouvant avoir des «métiers stratégiques» très divers. Par «métier», les analystes des stratégies entrepreneuriales entendent l’ensemble des savoir‐
faire maîtrisés et articulés nécessaires pour assurer la position compétitive de l’entreprise dans son environnement concurrentiel. A savoir, non seulement ce que fait l’entreprise, mais comment elle se définit et comment elle détermine son marché pertinent. Ainsi sur le marché suisse, on trouve des organisations se définissant comme : •
des entreprises spécialisées qu’on appellera studio d’infographie filmique •
des maisons de production audio‐visuelle •
des chaînes de télévision •
des laboratoires de postproduction •
des laboratoires de recherche •
des écoles •
des ateliers de graphisme ou de multimédia •
des prestataires indépendants (freelances), plus ou moins spécialisés Sont donc actifs sur le marché des organisations dont l’infographie filmique n’est pas le métier principal mais qui l’ont intégrée dans leur portefeuille d’activités (c’est‐à‐dire dans leur ensemble d’activités). Concernant les entreprises uniquement, tous métiers confondus, nous en avons au cours de nos recherches recensé 23 en Suisse romande et au Tessin et 32 en Suisse alémanique. Ces chiffres ne sont bien sûr qu’indicatifs et ne comptabilisent pas les prestataires indépendants de plus en plus nombreux. Il est ici à relever que notre rapport n’inclut que très partiellement les indépendants‐freelances et uniquement selon les perspectives entrepreneuriales : comment ils sont recrutés, sur quels critères et pour quels types de prestations. 2.2. Taille et structures des entreprises Parmi les entreprises examinées, 85 % sont des micro‐entreprises (comptant moins de 10 emplois). Ce qui correspond à la répartition entrepreneuriale suisse (selon l’Office fédéral de la statistique : 88% de micro‐entreprises / moyenne nationale : 11 emplois à plein temps). Parmi ces entreprises, on peut distinguer deux grands types de structures : 7
a) 1 à 3 associés employant 1 à 40 personnes (emplois du temps entre 50 à 100 %). b) 1 à 3 associés sans employés fixes. Ces chiffres doivent être complétés par les faits suivants : •
l’infographie n’est pas le métier de base des plus grandes entreprises recensées: c'est‐à‐dire des entreprises de production, postproduction, graphisme ou multimédia qui ne comptent que 1 à 5 postes dévolus à ce domaine. •
aucun studio spécialisé ne compte plus de 10 créateurs ou techniciens. Par conséquent, aucune structure ‐ quels que soient ses métiers ‐ ne compte plus de 10 infographistes en Suisse. A ce fait correspond un des traits majeurs de l’organisation du champ ; à savoir l’emploi important ‐ voire systématique pour les entreprises de type b) ‐ de mandataires externes, recrutés pour mener à bien des commandes particulière (de 1 à 20 personnes selon les projets et les entreprises). On a donc affaire là à des structures largement marquées par une organisation provisoire. 2.3. Prestations, produits et clients Les divers entreprises, institutions et indépendants se partagent un marché à la fois étroit et composite au niveau a) des prestations commandées •
effets visuels légers : plans à retoucher… •
effets visuels importants : « compositing » (et création d’éléments de compositing), habillage graphique animé, étalonnage digital… •
co‐réalisation : réalisation d’une partie du produit, par exemple d’une séquence animée insérée dans un film, d’un générique ou de la partie filmique d’une installation; cette partie peut avoir été déjà storyboardée par le commanditaire ou au contraire sa conception peut faire partie intégrante de la commande •
réalisation complète d’un projet déjà défini, écrit, storyboardé par le commanditaire •
conception globale d’un projet (live action ou/et animation) : du concept à la postproduction b) des types de commanditaires 8
•
maison de production audio‐visuelle •
chaîne de télévision •
agence de communication •
autre entreprise commerciale (sans l’intermédiaire d’une production ou d’une agence) •
institution, fondation ou association •
particulier (notamment des artistes plasticiens ou des metteurs en scène) c) des produits filmiques finaux •
film de cinéma, long ou court métrage •
film de télévision, série, long ou court métrage •
émission de télévision •
clip musical •
film publicitaire destiné à la diffusion à la télévision ou en salle de cinéma (i.e. format type) •
film d’entreprise ou film institutionnel destiné à d’autres types de diffusion (i.e. formats variables) •
installation audio‐visuelle (différents formats, usages généralement artistiques ‐ arts plastiques et arts de la scène ‐ ou muséaux). 2.4. Répartition des activités économiques La répartition des activités de telle entreprise ou institution selon ces différents types de produits, interventions et clients varie considérablement en fonction de ses métiers, son histoire, sa localisation géographique, ses réseaux. Certaines ne passent jamais par le truchement d’intermédiaires, d’autres toujours ; certaines n’acceptent de mandats que si elles sont en charge de tout le projet, d’autres réalisent tout la gamme des commandes et interventions; certaines travaillent presque uniquement pour des films publicitaires ou corporate, d’autres se partagent entre publicité, corporate et télévision, d’autres encore se spécialisent dans des domaines spécifiques comme le clip ou la vidéo d’art. Si ces répartitions défient toute généralisation pertinente, on peut toutefois avancer que le film publicitaire et le film corporate ou institutionnel représentent la part la plus importante du volume de commandes pour la plupart des entreprises (généralement entre 50 et 100%). Mais cette prépondérance de la publicité et du film d’entreprise est relative et c’est toutefois une certaine diversité tant des produits finaux que des opérations discrètes commandées qui prédomine. Ce qui en revanche ne soulève pas de doute est la prépondérance quasi exclusive du film dit de commande au détriment du cinéma indépendant proprement dit qui ne représente un 9
volume d’activité majoritaire que pour les laboratoires de postproduction. Pour les studios d’infographie, le cinéma (long ou court métrage) ne représente qu’un volume d’activité extrêmement faible, voire le plus souvent inexistant. Certains facteurs permettent d’expliquer cette importance moindre du cinéma: •
volume limité de la production cinématographique nationale •
tradition esthétique peu portée sur les effets visuels •
budgets accessibles aux films suisses ne permettant pas un usage important des effets visuels et de l’animation 3D qui sont des prestations coûteuses •
accaparement des commandes en postproduction cinématographique par un très petit nombre d’entreprises •
méconnaissance des entreprises suisses par les producteurs •
appréciation négative des entreprises suisses par les producteurs •
accords de co‐production défavorisant les professionnels suisses •
fuite subséquente des commandes à l’étranger •
création par les producteurs pour les besoins d’un projet de structures temporaires composées d’indépendants 2.5. Stratégies entrepreneuriales L’étroitesse et la disparité du marché suisse déterminent certains positionnements et repositionnements stratégiques, choisis en fonction des métiers de base de l’entreprise, de son insertion géographique, de sa situation particulière. Ces stratégies peuvent répondre à de véritables pensées stratégiques, où l’entreprise s’engage délibérément dans les voies stratégiques qu’elle a choisies, ou au contraire à des stratégies de survie, contraintes, qui résultent d’un positionnement défavorable et se caractérisent par une forte limitation des marges de liberté. Planification ou survie, les stratégies observables peuvent être regroupées, selon une typologie établie en économie de la gestion stratégique, sur 3 grands axes qui ne sont d’ailleurs pas exclusifs mais peuvent se combiner, et auxquels répondent des modes particuliers d’organisation interne. a) les stratégies d’intégration / par lesquelles une entreprise incorpore de nouvelles activités afin de constituer une entité plus complète. Concernant l’infographie filmique, cette dynamique d’intégration peut viser à inclure dans la même organisation toutes les étapes de la filière filmique, et ainsi à se constituer en « one stop shop », c’est‐à‐dire en une entité capable d’assurer toute une production filmique, sans sous‐traitance. L’intégration peut être permanente et déboucher sur un véritable «one stop 10
shop » intégré ; ou temporaire en fonction de mandats particuliers, on peut ici parler de « one stop shop virtuel ». L’intégration véritable est contraignante en termes de charges, alors que l’intégration virtuelle demande de reformer des équipes pour chaque projet. L’intégration de l’infographie filmique peut également toucher d’autres filières, comme la «filière multimédia». Ainsi il est relativement courant que des ateliers de graphisme ou de communication intègrent un ou plusieurs animateurs afin de fournir à leurs clients des solutions de communication plus complètes. b) les stratégies de diversification / qui se traduisent par un accroissement de la variété dans les activités de l’entreprise, par de nouveaux produits, de nouveaux marchés, de nouveaux savoir‐faire. Dans certains cas, l’infographie peut résulter d’une diversification, mais plus souvent elle en est le point de départ. Ainsi devant l’étroitesse et la fermeture du marché filmique, des entreprises et particuliers dont l’infographie filmique est le métier de base choisissent de diversifier leurs activités, par exemple en proposant des produits non‐filmiques (print, site web, dispositif interactif, multimédia ou, dans de rares cas, jeux vidéo), voire d’autres prestations et activités (enseignement dans des écoles, cours privés). c) les stratégies d’intensification / qui se fondent sur la recherche d’une plus grande compétitivité par le renforcement et l’amplification des atouts de l’entreprise dans ses domaines d’activités. Ces stratégies sont variées : elles peuvent aussi bien renvoyer à des positionnements de spécialisation que de différenciation par les coûts et la qualité. Les studios d’infographie filmique proprement dits affichent une relative spécialisation. Cette spécialisation permet de mettre en avant une distinction qualitative par rapport, d’une part, aux « one stop shops » généralistes et, d’autre part, aux freelances qui peuvent eux en revanche se distinguer par des tarifs moins élevés. En Suisse, la spécialisation des studios est toutefois relative, car ils tendent à développer une approche généraliste à l’intérieur de leur spécialisation, qui en fait des sortes de « one stop shops digitaux »; c’est‐à‐dire des entités à même de réaliser la plupart des prestations en animation digitale et/ou effets visuels digitaux. Cependant, certaines entreprises parviennent à fournir des prestations exclusives, notamment par l’acquisition et la maîtrise d’équipements et de savoir‐faire spécifiques (par exemple : techniques de motion capture ou d’étalonnage HD) D’un point de vue structurel, la spécialisation implique des collaborations régulières avec des entreprises complémentaires (par exemple entre studios de différente taille et spécialisation, ou entre studios spécialisés et maisons de production généralistes ayant des compétences en VFX et 3D restreintes ou inexistantes). Mais la dynamique de spécialisation des entreprises est passablement entravée par l’étroitesse du marché et la faible ampleur des projets. 11
2.6. Le champ : entre complémentarité, évitement et concurrence La définition stratégique des métiers de l’entreprise implique de fait des attitudes stratégiques envers les autres acteurs du champ : a) les stratégies de coopération / qui mettent en commun des moyens, favorisant l’interdépendance entre les entreprises. C’est donc un type de stratégies déterminant pour les entreprises les plus spécialisées, ainsi que lors de la mise sur pied de projets complexes. Cette stratégie dont l’avantage classique serait d’améliorer la qualité générale des productions et de favoriser le développement industriel d’une filière est ici endiguée par les limites du marché, le nombre peu élevé de projets importants et la tendance au « one stop shop ». b) les stratégies d’évitement / qui permettent de réduire les interactions avec les autres acteurs du champ. Même si le degré d’interconnaissance au sein du champ est élevé, les professionnels rencontrés affichent une tendance à éviter les contacts avec leurs pairs – ou du moins à en minimiser l’importance. Avéré ou pas, cet isolement apparaît quelque peu ambigu, en ce qu’il est souvent déclaré comme un choix assumé, mais également ‐et parfois par les mêmes interlocuteurs‐ comme une stratégie néfaste développée par les autres membres du champ. c) les stratégies d’affrontement / qui donnent lieu à des rivalités explicites entre les acteurs du champ. Il est difficile de saisir à quel point les rivalités entre entités peuvent être explicites notamment lors d’offres concurrentes soumises à un même client. En revanche, la rivalité discursive est forte entre des entreprises concurrentes mais de métiers différents, particulièrement entre les entreprises les plus spécialisées, les « one stop shops » et les freelances. 2.7. Concurrence potentielle Si certaines entités adoptent une stratégie systématique de coopération et que certaines commandes nécessitent la collaboration ainsi que certains transferts de mandats, la stratégie répandue du « one stop shop » incline les plus grosses structures à accepter même les plus petits mandats, alors que, en mettant en place des structures temporaires, les plus petites peuvent briguer des mandats relativement importants. Cette tendance au généralisme et à la spécialisation relative dessine donc une zone potentielle de concurrence généralisée. Cette situation de concurrence est encore amplifiée par la démocratisation radicale des moyens de production qui met sur le marché un nombre croissant d’indépendants et par la présence d’institutions, comme les laboratoires de recherche ou 12
certaines écoles, pouvant également réaliser certains mandats (en général dans la sphère institutionnelle : musées, associations, administration publique.) En raison de cette concurrence potentielle, des fréquentes affirmations d’évitement et malgré le fort degré d’interconnaissance au sein du champ, un certain sentiment d’isolement se dégage de notre recherche. Si cette situation est déjà accusée à l’intérieur de chaque région géolinguistique (particulièrement en Suisse romande), elle est écrasante d’une région à l’autre. A entendre les professionnels, la barrière linguistique semble quasi‐impénétrable : Romands et Alémaniques ne collaborent pas et ne fréquentent guère les mêmes événements. 2.8. Absence d’organisation corporative Au delà d’un certain isolement des parties, ce secteur d’activités souffre concrètement d’une absence de toute forme de regroupement ou d’organisation corporative. En raison du flou à la fois terminologique et juridique dominant les métiers en présence (le terme d’infographiste n’est pas officiellement enregistré en Suisse et on a en fait affaire ici à des professionnels issus de backgrounds particulièrement variés: réalisateurs, animateurs, informaticiens, concepteurs multimédia, architectes et à beaucoup d’autodidactes), sous quelle bannière se regrouper? Aussi, pour l’instant, contrairement à leurs cousins graphistes par exemple, réunis depuis 1983 dans l’Union suisse des graphistes, aucune démarche n’a été entreprise pour valoriser et défendre ces «nouveaux» métiers; et les praticiens de l’infographie filmique ne semblent par ailleurs guère enclins à intégrer les structures professionnelles existantes dans la branche cinématographique ‐ souvent ne s’y sentent‐ils pas particulièrement bienvenus. Cette absence de regroupement pose des problèmes très concrets comme une certaine indétermination et une forte variabilité relatives à la tarification des prestations réalisées et à la fixation des salaires des collaborateurs. Alors, la connaissance et la reconnaissance des spécificités du travail de ces professionnels doivent‐elles passer par une forme d’organisation corporative? En tout cas, ce flou relatif, cet éclatement des parties, cette disparité des activités ne sont pas sans lien avec les différentes formations dispensées en Suisse. 13
3. Les formations suisses en infographie filmique Une opinion répandue parmi les professionnels veut qu’il n’existe pas en Suisse de réelles formations en animation 3D et en VFX. Certes, le pays ne compte pas d’institutions comparables aux grandes écoles spécialisées françaises (Supinfocom, les Gobelins...), allemandes (la Filmakademie Baden‐Württemberg) ou anglaises (le Royal College of Art de Londres ou le National Centre for Computer Animation de l’Université de Bournemouth), mais il y existe différentes filières qui peuvent, au gré de choix personnels, mener à intégrer la profession. Ces filières sont passablement disparates et sont dispensées dans des institutions totalement différentes dans leurs statuts et dans leurs buts. Cette diversité provient en partie du fait que ces domaines d’activités sont à cheval sur la création artistique et la maîtrise et le développement d’outils technologiques relativement récents. En effet, la 3D peut concerner aussi bien la création filmique que la programmation informatique, l’architecture, la conception multimédia, la médecine ou l’ingénierie. Ainsi la formation suisse est éclatée en différents domaines et différentes institutions qu’on peut en ce qui concerne la création filmique regrouper ainsi : •
Ecoles de cinéma publiques et privées •
Ecoles de cinéma d’animation publiques et privées •
Universités et écoles polytechniques, filières informatiques •
Autres hautes écoles, filières communication visuelle ou ingénierie des médias •
Ecoles professionnelles ou de métiers •
Organismes de formation continue spécialisée Ces institutions fonctionnent donc à des niveaux différents (HES, universités, écoles professionnelles, écoles privées) et donnent accès à des titres variés (Bachelor et Master en arts, design ou sciences, Doctorat en sciences, Certificat Fédéral de Capacité (CFC) ou brevet de concepteur multimédia, diplômes divers) et dispensent des formations totalement différentes (de la sensibilisation très générale au VFX ou à l’animation 3D à des recherches de pointe, en passant par de relatives spécialisations acquises notamment à travers des stages professionnels, comme c’est le cas depuis peu à l’école d’art de Lucerne (HSLU), qui tant dans ses Bachelor et Major en réalisation que dans sa formation en animation est l’école la plus tournée vers l’apprentissage de l’infographie filmique). Ainsi une grande quantité de filières ont trait de plus ou moins près à l’infographie filmique et peuvent ainsi permettre d’y exercer ensuite une activité professionnelle. Mais ce n’est qu’au prix de choix personnels et d’un investissement individuel important, d’une autoformation solide parallèle à la formation scolaire, qu’un niveau suffisant peut être atteint. L’intégration aux entreprises exige un savoir‐faire devant obligatoirement dépasser les connaissances apprises dans les écoles de cinéma ou de métiers, qui selon les professionnels sont trop superficielles et généralistes. Faiblesse des formations qui rend le recrutement épineux et pousse les chefs d’entreprises à engager des collaborateurs venant de l’étranger; si ce reproche de généralisme et de superficialité est sans doute fondé, il reste 14
aujourd’hui légitime au vu de la structure du marché de s’interroger quelque peu sur la pertinence réelle de formations vraiment spécialisées. 15
4. Perspectives Le marché et la formation suisses sont donc caractérisés par une forte hétérogénéité, qui renvoie notamment à la multiplicité potentielle des applications graphiques de l’informatique. Cette double hétérogénéité suit une logique de fait et se répond en miroir, mais constitue également un frein au développement industriel et à l’organisation corporative du secteur. En ce qui concerne le cinéma proprement dit, il n’occupe une place significative que pour un très petit nombre de sociétés. Cependant, ce rôle assez faible ne signifie pas que la qualité et l’inventivité de la création suisse en infographie filmique en soient bridées. On trouve en Suisse des réalisations de très bonne qualité notamment dans des films institutionnels ou corporate. S’appuyant sur de nouveaux moyens de diffusion (internet, ordinateurs portables, bornes de diffusion…), des entreprises et institutions commanditent par exemple des projets de films qui peuvent échapper au format publicitaire standard pour s’apparenter à de véritables productions cinématographiques, au niveau tant des moyens de production que des orientations esthétiques. C’est sans doute dans ce domaine, comme dans la publicité classique, le clip vidéo et les installations dites multimédia, que la création suisse en infographie peut aujourd’hui réellement s’épanouir. Cet épanouissement reste toutefois fort artisanal, le fait de créateurs relativement isolés, rarement mis en valeur, disposant de moyens souvent limités et oeuvrant dans des cadres contraignants. Il y a aujourd’hui une correspondance logique certaine entre cet artisanat ‐ aussi remarquable puisse‐t‐il être ‐, les possibilités du marché, la structure de la filière et les formations accessibles. Cette situation qui voit les organisations provisoires se succéder, les créateurs aller de petits projets en petits projets, dans un champ peu articulé, pourrait sans doute être améliorée par différents biais. Les professionnels offrent eux‐mêmes certaines pistes : •
développer une organisation corporative, pour pouvoir notamment bénéficier de conseils juridiques, d’ordonnances fédérales. •
créer une base de données recensant les entreprises, les stagiaires, les freelances et les projets, voire archivant les réalisations. •
développer des filières de formation vraiment spécialisées, ou du moins mieux adaptées aux besoins des entreprises. •
organiser des actions (séminaires, rencontres…) permettant de faire mieux connaître les entreprises et leurs activités aux producteurs, réalisateurs, agences et entreprises commerciales, pour améliorer le workflow et rapatrier les mandats confiés à l’étranger. •
créer un prix qui promeuve ces métiers. •
favoriser des projets cinématographiques recourant de façon importante à l’infographie suisse et lui attribuant une part budgétaire adéquate. •
négocier des accords de co‐production favorisant l’infographie suisse. •
pouvoir bénéficier de bourses permettant de se perfectionner, d’effectuer de la recherche. 16
De telles idées pourraient sans doute être favorisées par la Confédération parfois directement – par exemple à travers des appels à projets particuliers ‐, le plus souvent indirectement car dans la plupart des cas l’initiative doit toutefois venir de la profession, à travers des demandes, des projets, des regroupements. A travers ce résumé, la situation actuelle peut à la fois sembler cohérente et passablement désordonnée; elle recèle également un potentiel important notamment en raison de développements techniques constants, d’une évolution récente de la formation, de contacts accrus entre certaines écoles et entreprises, de la présence en Suisse de créateurs expérimentés et de chercheurs en animation 3D mondialement réputés. Reste à déterminer les initiatives, les stratégies et les projets concrets pouvant permettre au secteur de se développer, aux acteurs de se réunir et notamment de jeter des ponts entre les différents domaines de la création et de la recherche appliquée. Michel Vust, directeur du symposium Imaging the Future Neuchâtel, le 25 août 2009 17