Les foulards et la République

Transcription

Les foulards et la République
ANNE-SOPHIE LAMINE
Laboratoire “Cultures et sociétés en Europe”
(UMR du CNRS n° 7043)
Université Marc Bloch, Strasbourg
< [email protected]>
Les foulards
et la République
L
’ intensité conflictuelle des débats
autour du voile est liée à la visibilité de ce signe d’altérité religieuse, touchant à la fois à l’image
de la femme, à l’identité nationale,
et à celle de l’islam, perçu très négativement dans l’imaginaire collectif,
du fait du passé colonial mal digéré.
Le foulard est souvent figuré à la fois
comme une atteinte à la neutralité de
l’espace public, un signe prosélyte, un
symbole d’oppression de la femme
et un signe de contestation politique.
Comment sont apparues les « affaires
de foulard » en France ? Quelle a été
leur médiatisation, les réactions sociales et politiques ? La première partie de
l’article décrira les différentes étapes
de cette crise et les réponses politiques
et juridiques qui y ont été apportées.
Quels facteurs explicatifs peuvent
éclairer cette crise et les controverses
qui l’accompagnent ? La deuxième
partie apportera des éléments sur le
contexte politique et social, avec la
montée de l’extrême-droite, la crise
de l’école et son ethnicisation, ainsi
que sur la perception de l’islam en
France. Dans la troisième partie, nous
aborderons la polysémie et les ambiguïtés du port du voile par les jeunes
154
filles. Enfin la quatrième partie montrera comment entre 1989 et 2004, on
est passé d’une approche de la laïcité,
juridiquement libérale, théoriquement
apaisée mais contredisant l’attente
sociale dominante, à une laïcité qui se
perçoit comme assiégée et qui devient
une valeur républicaine centrale pour
l’identité française.
De 1989 à 2004,
les « affaires de foulard »
en France
■
C’est à l’automne 1989 qu’éclate la
première « affaire de foulard », alors
que la France vient de célébrer en
grande pompe le bicentenaire de sa
Révolution dans une succession de
colloques, expositions, concerts, banquets et défilé spectacle du 14 juillet.
Ironie de l’histoire, c’est au milieu de
cette première affaire de voile qu’aura
lieu la chute du mur de Berlin, symbole de la fin du communisme1. Le 18
septembre 1989, une semaine après la
rentrée scolaire, le principal du collège
de Creil interdit à trois adolescentes
musulmanes d’assister aux cours si
elles persistent à porter leur foulard,
Anne-Sophie Lamine
qui était auparavant toléré2. Le quotidien Le Courrier Picard s’empare
de l’affaire le 3 octobre. Le quotidien
Libération reprend l’information le lendemain. Quelques jours plus tard, Le
Nouvel Observateur titre en couverture
« Fanatisme. La menace religieuse »,
sur fond de jeune fille voilée. Face à
cette montée en puissance de l’affaire,
le ministre de l’éducation nationale,
Lionel Jospin, demande d’exercer la
dissuasion par le dialogue et d’éviter les exclusions. Un compromis est
obtenu avec les adolescentes de Creil,
qui ôtent leur foulard dans les salles de
cours et le gardent dans les autres lieux
du collège. Des exclusions ont lieu dans
deux autres établissements (lycées).
Le débat est houleux au sein du
monde enseignant et du monde associatif. La polémique prend une tournure
politique et occupe une grande place
dans les médias. Les affrontements ne
suivent pas les frontières habituelles
des camps : gauche-droite, féministes ou non, etc. Les titres de presse
reflètent les peurs et les amalgames :
l’école mise en danger, le voile comme
instrument des intégristes, les articles
se multiplient. À la fin du mois d’octobre, deux hebdomadaires font leur une
avec des photos de jeunes filles voilées.
L’Express titre « L’école laïque en danger. La stratégie des intégristes ». Le
Nouvel Observateur annonce: « Profs,
ne capitulons pas » et cinq intellectuels y signent un appel au ministre de
l’éducation : « L’année du Bicentenaire
aura-t-elle vu le Munich de l’école
républicaine ? Négocier comme vous
le faites en annonçant qu’on va céder,
cela porte un nom : capituler »3.
Au début du mois de novembre 1989,
Jospin choisit de demander un avis au
Conseil d’État en l’interrogeant : « le
port de signes d’appartenance à une
communauté religieuse est-il compatible avec le principe de laïcité ? Si oui, à
quelles conditions des actes réglementaires pourraient-ils l’admettre ? Enfin,
quelles sanctions peuvent-elles être prises à l’encontre de ceux qui violent une
règle d’interdiction d’un tel insigne ? ».
Une partie de la classe politique critique cette décision et considère qu’il se
dérobe à ses responsabilités. Le débat
politique et intellectuel se poursuit
Les foulards et la République
intensivement sur fond de chute du mur
de Berlin (9 novembre).
L’avis du Conseil d’État du 27
novembre 1989 est aussitôt rendu
public, ce qui n’est pas fréquent. Il
s’appuie sur des textes constitutionnels,
des dispositions législatives régissant le
rapport entre l’École et l’État ainsi que
sur des traités internationaux ratifiés
par la France. Il affirme que : « dans
les établissements scolaires, le port par
les élèves de signes par lesquels ils
entendent manifester leur appartenance
à une religion n’est pas par lui-même
incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue
l’exercice de la liberté d’expression et
de manifestation de croyances religieuses ». Il fixe les limites à cette liberté
en ajoutant que « cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des
signes d’appartenance religieuse qui,
par leur nature, par les conditions dans
lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur
caractère ostentatoire ou revendicatif,
constitueraient un acte de pression, de
provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres
membres de la communauté éducative,
compromettraient leur santé ou leur
sécurité, perturberaient le déroulement
des activités d’enseignement et le rôle
éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou
le fonctionnement normal du service
public »4. La position du Conseil d’État
est donc de considérer que les signes
religieux ne sont pas en soi incompatibles avec la laïcité mais qu’il faut
juger le comportement de l’élève et que
chaque cas doit être traité individuellement. Il reconnaît aux élèves le droit de
manifester leur appartenance religieuse
et explicite clairement les limites de
l’exercice de ce droit : prosélytisme,
atteinte à la dignité d’autrui, risques
pour la santé ou la sécurité, perturbations des activités d’enseignement et
troubles à l’ordre public.
L’avis du Conseil d’État est suivi
d’une circulaire du ministre de l’éducation (12 décembre 1989), dont de nombreux passages valorisent la laïcité. Le
ministre réitère l’incitation à entamer
immédiatement un dialogue « lorsqu’un
conflit surgit ». Il ajoute une précision
qui n’est pas contenue dans l’avis : ce
dialogue doit avoir lieu pour que « dans
l’intérêt de l’élève et le souci du bon
fonctionnement de l’école, il soit renoncé au port de ces signes ». Le ministre
cherche à apaiser la vive tension qui
règne au sein du monde enseignant,
tension qu’un juriste, ancien responsable au ministère, qualifie de « déchirure
causée par la remise en cause de certitudes, […] profondément perturbatrice
et traumatisante pour les personnels
enseignants et administratifs concernés » (Durand-Prinborgne, 1990 : 11).
Comment l’école républicaine, qui a été
au centre du combat contre l’« obscurantisme » religieux, qui a pour mission
de former des citoyens libres et égaux,
peut-elle tolérer un signe d’allégeance
communautaire ?
Des conflits ne tardent pas à éclater dans des établissements scolaires.
Certains, comme à Montfermeil, ont
intégré dans leur règlement intérieur
l’interdiction générale et absolue de
tout signe religieux. Des exclusions
basées sur de tels règlements sont portées par les familles des élèves exclues
devant les tribunaux administratifs qui
les confirment, puis en appel devant le
Conseil d’État qui les invalide. Le premier arrêt, pris en 1992, deviendra un
élément important de la jurisprudence
administrative en la matière5. Il concerne les exclusions de Montfermeil,
basées sur l’article du règlement intérieur du collège stipulant « une interdiction générale et absolue » des signes
religieux. L’arrêt demande la réintégration des élèves et annule l’article du
règlement intérieur.
Septembre 1994 voit de nouveau
une période de tension politique autour
de la laïcité scolaire6, accompagnée
d’une forte demande d’enseignants et
de directeurs d’établissements d’une
« règle claire », évitant le recours au
cas par cas pour juger si le voile est
prosélyte et s’il trouble l’ordre scolaire.
Le ministre de l’éducation, François
Bayrou publie une nouvelle circulaire :
« Port des signes ostentatoires dans les
établissements scolaires ». Elle affirme
rester dans la continuité juridique de la
circulaire de 1989 (ni permissivité totale, ni interdiction totale), mais incite
fortement les établissements à modifier leurs règlements intérieurs pour
155
proscrire « les signes ostentatoires, qui
constituent en eux-mêmes des éléments
de prosélytisme ou de discrimination »,
ce qui est contraire à l’avis du Conseil
d’État. À la suite de cette publication,
plusieurs dizaines d’exclusions sont
prononcées. La majorité des élèves
concernées sont d’origine marocaine
et turque (Gaspard et Khosrokhavar,
1995 : 204). En 1994, au moment où la
circulaire Bayrou provoque un regain
de contentieux, Simone Weil, ministre
des Affaires sociales, confie à Hanifa
Cherifi, militante associative auprès de
femmes immigrées, une mission de
médiation auprès de l’Éducation nationale pour résoudre les conflits liés au
port du foulard et tenter d’éviter les
exclusions. Le dispositif se développe à
deux niveaux, national et départemental.
Il s’agit de convaincre les adolescentes
que le voile leur est préjudiciable, et les
empêchera ensuite de trouver un travail.
On tente aussi d’éviter les décisions
d’exclusion expéditives, basées sur le
seul port de foulard et risquant d’être
ensuite invalidées.
Au cours de l’année 1995, cinq nouveaux arrêts pris par le Conseil d’État
vont permettre de préciser la jurisprudence. Dans un cas, les adolescentes
ont refusé d’enlever leur foulard pendant les activités d’éducation physique
et une manifestation bruyante a été
organisée devant les grilles du collège pendant la réunion qui statuait sur
leur situation et à laquelle participait
le père de l’une des élèves. Le Conseil
confirme alors le jugement du tribunal
administratif7. Selon la médiatrice, de
1994 à 1996, le nombre de cas de voiles
passe de 2400 à 1 000 dont environ 100
gardés en classe. Parmi les 49 affaires contentieuses soumises au Conseil
d’État entre 1992 et 1999, 41 débouchent sur l’annulation de la décision
prise par l’administration à l’encontre de la jeune fille (HCI, 2001 : 50).
Cependant, le Conseil confirme des
sanctions pour absences répétées en
cours de sport, pour tenues incompatibles avec le bon déroulement des cours
ou pour prosélytisme.
En 1999, deux affaires relancent le
débat sur le voile à l’école. Il n’y a pas
de recrudescence du port du voile, au
contraire, elles sont environ 400 selon
la médiatrice du ministère, qui estime
cependant qu’il y a un durcissement des
positions, des deux côtés. En effet, pour
les acteurs du monde de l’enseignement, le fait que les jeunes filles soient
informées de la jurisprudence, et considèrent qu’elles ont de ce fait le droit
de le porter, est interprété comme un
durcissement de leur position. De plus,
certaines obtiennent le soutien d’organisations musulmanes « orthodoxes »8.
À Flers, en Normandie, les enseignants
se mettent en grève et deux collégiennes
turques sont définitivement exclues du
collège, pour port du foulard en cours
de sport. Dans les Ardennes, une surveillante de collège est suspendue pour
port de voile. En région parisienne, une
fillette de 9 ans est exclue d’une école
pour port de voile et refus de natation,
puis réintégrée à la demande du ministère. Pendant les années 2000 à 2002,
la situation est plus calme. D’ailleurs,
en 2001, le Haut Conseil à l’Intégration, dans un rapport sur l’islam en
France, souligne un certain nombre
de difficultés auxquelles font face les
musulmans de France dans l’exercice
de leur religion et prend des positions
assez modérées sur la question du foulard, en soulignant qu’il ne fallait pas
exclure les jeunes filles mais engager
un travail de fond sur les questions
d’intégration9. Lorsqu’en février 2002
une lycéenne de 18 ans est de nouveau
exclue pour port de voile, le rectorat
demande sa réintégration sur la base
d’un compromis sur un voile « discret
et dégagé autour des oreilles ».
En 2003, le débat sur la laïcité et sur
le voile reprend en intensité. En janvier, le Premier ministre Raffarin réaffirme le principe de laïcité et le refus
des communautarismes ainsi que son
souci face à la persistance de propos et
d’actes antisémites, au dîner annuel du
Conseil Représentatif des Institutions
Juives de France. Les organisateurs y
offrent à chaque convive un livre relatant des témoignages de difficultés auxquelles font face certains enseignants
de banlieue pour enseigner l’histoire de
la Shoah à des élèves d’origine maghrébine10. En mars, une nouvelle affaire de
foulard défraye la chronique. Il s’agit
plus précisément d’un bandana, ne couvrant ni le front, ni les oreilles et noué
dans la nuque. Au lycée de la Duchère,
un quartier populaire de Lyon, com-
156 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
portant une forte population d’origine
immigrée, une élève de seize ans porte
ce bandana depuis le mois de ramadan
et la plupart des professeurs ne l’acceptent plus en cours. Son cas est unique
parmi les 2500 élèves. Suite au refus
de l’autorité académique de mettre en
route une procédure d’exclusion, 80 %
des enseignants du lycée observent une
journée de grève et manifestent devant
le rectorat contre « la laïcité à géométrie variable » et demandent « une loi
pour la République »11.
C’est pourtant un autre événement
qui va mettre le feu aux poudres. Le
19 avril 2003, le jour où Jean-Marie Le
Pen risquait d’attirer les médias par son
meeting annuel, le Ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy décide de prendre la parole à la rencontre annuelle de
l’Union des Organisations Islamiques
de France, au Bourget. Sa présence
consacre aussi une période d’intenses négociations avec les représentants
des diverses courants musulmans, en
vue d’établir le Conseil Français du
Culte Musulman, pour lesquelles il a
déployé une grande énergie. Il a choisi
de travailler avec l’ensemble des composantes de l’islam, au risque de se
voir accusé de donner la part belle à
ceux qu’on qualifie de « fondamentalistes », dont l’UOIF fait partie12. Il
s’agit du plus grand rassemblement
musulman national, qui attire des participants bien au-delà du rayonnement
de l’UOIF, par un très grand nombre
de stands et de conférences. Le ministre s’exprime devant quelque 10 000
personnes, affirme qu’il est venu « en
ami », insiste sur l’égalité des musulmans avec les autres Français, reconnaît les peurs et les amalgames dont ils
sont victimes et les invite à vivre une
religion qui « respecte […] les valeurs
de la République »13. Il est ovationné
plusieurs fois. Puis au moment, où il
mentionne que la loi impose que les
photos des cartes nationales d’identités
soient prises tête nue, pour les femmes
musulmanes comme pour les religieuses catholiques, une partie des jeunes
se mettent à le siffler. Il poursuit son
discours et une fois son prêche républicain terminé, l’assistance lui offre une
ovation debout. Pour les musulmans
présents, l’essentiel est bien dans la
reconnaissance manifestée par la pré-
Anne-Sophie Lamine
sence du Ministre. Mais la scène des
sifflets est abondamment commentée
dans toute la presse, et passe sur toutes
les chaînes de télévision. La condamnation est absolue, on évoque rarement les
ovations, et encore moins le fait que les
sifflements n’étaient le fait que d’une
partie de l’assistance, alors que les
responsables montraient leur embarras. Aucun média ne mentionnera que
le ministre de l’éducation, Luc Ferry,
s’est fait bien plus copieusement sifflé,
à plusieurs reprises, lorsqu’il est intervenu devant un grand rassemblement de
jeunes catholiques (Jeunesse Ouvrière
Chrétienne) deux semaines plus tard14.
Les sifflets du Bourget apparaissent
bien comme la preuve qu’il existe en
France un islam hostile à la laïcité
qui gagne du terrain et s’oppose aux
valeurs républicaines.
Le débat sur l’opportunité d’une loi
sur les signes religieux à l’école refait
surface et plusieurs rapports et commissions se penchent sur la question de
la laïcité. D’abord, le vice-président de
l’Assemblée Nationale, François Baroin
remet à la fin du mois de mai un rapport
sur la laïcité au premier Ministre. Au
même moment, une mission est constituée par Jean-Louis Debré, président
de l’Assemblée nationale. Un mois plus
tard, la commission Stasi est nommée
par le président de la République.
Le rapport Baroin15 affirme que la
laïcité est « contestée […] par certaines populations immigrées, qui issues
d’une culture non laïque et non démocratique, ne perçoivent pas le sens de
ce principe ». Il impute la « crise de la
laïcité » à la gauche qui a défendu les
« différences culturelles » et le « communautarisme » et considère que l’avis
du Conseil d’État laisse les enseignants
dans un « état d’insécurité juridique ».
Il ajoute que c’est une « erreur » de
considérer le voile comme « un signe
d’appartenance religieuse alors qu’il
s’agit en fait d’un attribut des fondamentalistes qui s’inscrit dans une logique de société fondée sur une logique
de ghetto et hostile aux valeurs de la
démocratie ». Il considère que le « développement du communautarisme dans
les banlieues » résulte de « l’action du
prosélytisme des fondamentalistes » et
que « le voile islamique » n’est « qu’une
première étape ». L’objectif est bien une
Les foulards et la République
« reconquête des territoires perdus de
la République », perdus par l’État et
gagnés par le « communautarisme ». Le
rapport préconise à la fois de réaffirmer
la laïcité, de mieux reconnaître la place
des religions, de « relancer l’intégration
républicaine », par des moyens spécifiques d’éducation et en créant « de
vraies élites républicaines issues de
l’immigration ». Il recommande aussi
de « proscrire le voile dans les établissements scolaires » et envisage même
d’instaurer « le port d’uniformes » dans
les quartiers difficiles.
Le 27 mai 2003, le président de l’Assemblée Nationale met en place une
« Mission parlementaire d’information
sur les signes religieux à l’école », dont
il est le président et le rapporteur. La
mission auditionne plus de 120 personnes16 et rend le 4 décembre un rapport
intitulé « La laïcité à l’école, un principe républicain à réaffirmer »17. Après
avoir montré que le modèle français
de laïcité est minoritaire en Europe,
il souligne que la « réaffirmation » de
la laïcité est d’autant plus nécessaire
que la religion « tend à devenir un des
facteurs dominants de l’instabilité du
monde ». Il s’oppose à une « “nouvelle laïcité” dans laquelle l’affirmation
du pluralisme prendrait le pas sur la
neutralité de l’État » et considère que
les affirmations identitaires et le port
de signes religieux conduisent à une
situation « proche de la sécularisation
propre aux pays protestants » et donc
au communautarisme. La laïcité doit
« s’affirmer comme élément essentiel
de l’intégration républicaine. […] L’espace scolaire doit être le lieu privilégié
de cette réaffirmation ». Le rapport y
préconise donc l’interdiction de « tout
signe visible d’appartenance religieuse
ou politique ».
Le 3 juillet, le président Chirac, installe une commission sur « la laïcité
dans la République » dont il a nommé
les vingt membres et dont la présidence
est confiée au médiateur de la République, Bernard Stasi. Elle se distingue
de la Mission parlementaire (Debré) et
montre une reprise en main du dossier
par Jacques Chirac. Présentée comme
une commission de « sages », neuf de
ses membres sont universitaires, les
autres viennent du monde politique,
juridique, éducatif, associatif ou de
l’entreprise. Elle travaille pendant six
mois et auditionne plus de 150 personnes. Les délibérations sont largement
relayées par les médias, la majorité
des auditions sont publiques18. Elle
produit un rapport de 68 pages, remis
le 11 décembre qui est largement diffusé19. Le rapport analyse l’histoire
de la laïcité. Il développe aussi les
diverses « atteintes préoccupantes » à
la laïcité à l’école, à l’hôpital ou dans
le monde du travail. Il insiste fortement
sur la laïcité comme « valeur républicaine » ou « valeur fondamentale de
l’État ». Il préconise l’enseignement du
fait religieux, la reconnaissance de la
libre-pensée et des humanismes rationalistes comme « option spirituelle à
part entière », une meilleure prise en
compte de besoins religieux en matière
funéraire, l’adoption de deux jours de
congé supplémentaire pour le Kippour
et l’Aïd et l’adoption d’une loi sur la
laïcité, affirmant la neutralité du service public et interdisant « les tenues et
signes manifestant une appartenance
religieuse ou politique » dans les établissements scolaires.
Pendant cette période, le débat fait
rage dans les médias. Les ministres de
l’intérieur et de l’éducation qui étaient
défavorables à la loi s’y rallient. Les
prises de positions abondent, d’enseignants, de syndicalistes, de politiques,
d’intellectuels, de religieux, des féministes, des militants associatifs et même
de simples lecteurs. La position prohibitionniste domine nettement le débat,
mais n’est à aucun moment exclusive.
Hormis celle des leaders religieux,
relativement unanime et non-prohibitionniste, la plupart des catégories se
divisent20. Les termes sont vifs pour
dénoncer la « dangerosité » du voile.
Une intellectuelle écrira à propos de
jeunes filles voilées : « Studieuses à
l’école, tout en étant silencieusement
reliées par leur voile à un dieu intérieur fanatisé, qui entrave leur liberté
de jugement, elles risquent de demeurer étrangères au contenu principiel
du savoir qu’on leur enseigne et de
n’en retenir que les aspects utilitaires
ou techniques : quelque chose comme
une science sans conscience »21. Une
nouvelle affaire éclate en banlieue parisienne, au mois d’octobre, très fortement médiatisée : deux lycéennes, dont
157
le père avocat est juif athée et la mère
kabyle, sont exclues de leur lycée. La
période de débat se clôt le 17 décembre avec le discours du président de la
République, qui se prononce en faveur
d’une loi interdisant les signes religieux ostensibles. La proposition de
deux jours de congé pour fêtes juive et
musulmane est écartée. Le projet de loi
est ensuite discuté dans les deux chambres. Le texte de la « Loi du 15 mars
2004 sur les signes religieux » stipule
que : « dans les écoles, les collèges et
les lycées publics, le port de signes ou
tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance
religieuse est interdit »22.
L’extrême-droite,
les affaires de
terrorisme,
l’islam et l’école
■
Trois points sont importants pour
analyser ces affaires de foulard. Nous
évoquerons d’abord brièvement le contexte politique national et international. Nous verrons ensuite comment
les affaires de foulard cristallisent le
difficile rapport entre la France et l’islam, religion de l’immigration postcoloniale. Enfin, la question du foulard
s’inscrit dans un climat de crise scolaire, consécutif à la massification de
l’enseignement et à la difficulté de
reconnaître les difficultés posées par les
relations interethniques dans le monde
de l’éducation.
Lorsque la gauche passe au pouvoir
en France en 1981, on observe progressivement une radicalisation d’une
partie des discours politiques de droite
sur le thème de l’immigration. Le Front
National, qui mène campagne en s’appuyant surtout sur ce thème, gagne du
terrain et atteint pour la première fois
un score important à une élection nationale en 1984, avec le score de 11 % aux
élections européennes. Il poursuit sa
montée, lors d’élections locales, puis
nationales. À partir de 1986 son score
fluctue entre 10 et 15 % selon les élections. L’élection présidentielle de 2002
est pour la France un séisme politique :
le président du FN arrive en seconde
position à l’issue du premier tour des
élections présidentielles23. À chaque
crise du foulard, la montée du FN est
dans les esprits de tous les acteurs politiques. Tolérer le foulard, c’est accorder
une reconnaissance à l’islam, et donc
inquiéter davantage des électeurs qui
peuvent être séduits par les thèses du
FN affirmant que le chômage et l’insécurité sont liés aux immigrés dont la
présence met aussi en péril l’identité
française.
Cependant d’autres images sont
présentes implicitement ou explicitement. En premier lieu, la révolution
islamique d’Iran, qui a eu pour conséquence d’imposer aux Iraniennes le
tchador, terme qui sera souvent repris
par des médias ou des opposants au
voile, malgré l’évidente différence. À
cela, il faut ajouter la violence politique qui traverse l’Algérie depuis 1992,
et la prise de Kaboul par les talibans
en 1996. Pendant l’été 1995 puis en
décembre 1996, la France est touchée
par des attentats islamistes. Khaled
Kelkal, qui a été élevé et scolarisé en
France, et a plongé dans l’islamisme
radical pendant un séjour en prison24,
impliqué dans ces attentats et tué par
la police lors d’une course-poursuite
en 1995, devient emblématique de la
dérive possible de certains jeunes de
banlieue, convertis à l’islamisme.
À l’automne 2000, le déclenchement
de la seconde Intifada au Moyen-Orient
a des répercussions immédiates. De
nombreuses agressions, sont commises
contre des personnes, des lieux de culte
ou des établissements d’enseignement
juifs : inscriptions antisémites, injures
racistes, agressions physiques, appels
téléphoniques anonymes, incendies25.
D’après le ministère de l’Intérieur, les
auteurs sont des jeunes délinquants,
auteurs d’autres types de violence
urbaine mais non des militants religieux ou politiques. Le nombre d’agissements diminue globalement, mais
connaît de nouvelles augmentations à
chaque regain de tension au ProcheOrient. Ainsi, en automne 2001, on
observe une nouvelle augmentation des
actes antijuifs (moins importante que
celle de 2000). C’est à ce moment que
le mouvement de protestation contre
l’antisémitisme prend de l’ampleur
et se politise, il fait aussi l’objet de
nombreux articles de presse. Des con-
158 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
troverses ont lieu sur l’ampleur de cet
antisémitisme, sur sa prévalence parmi
les jeunes d’origine maghrébine26, mais
aussi sur le soutien implicite que lui
apporteraient des militants de gauche
de la « cause palestinienne ».
Un autre facteur explicatif important
est l’image de l’islam en France. Elle
correspond largement à des stéréotypes
négatifs. En 1989, après le début de la
première affaire de foulard, une enquête
demande aux sondés de choisir dans
des couples de mots ce qui « correspond
le mieux pour [eux] à l’islam » : entre
paix et violence, 19 % choisissent paix,
60 % violence, entre tolérance et fanatisme, c’est 15 % contre 71 %27. L’islam
est aussi associé à la soumission de la
femme et à la non-modernité. Cette
image de danger est si prégnante qu’un
tribunal l’utilise pour statuer dans une
affaire de foulard à l’école. En plus de
juger que le foulard est « en soi » ostentatoire, les magistrats estiment qu’il
est « un signe d’identification marquant
l’appartenance à une obédience religieuse extrémiste d’origine étrangère
[…qui] se réclame d’une orientation
particulièrement intolérante, refuse aux
personnes de sexe féminin l’égalité que
leur reconnaissent les institutions démocratiques de la France, cherche à faire
obstacle à l’intégration des Français et
étrangers de confession musulmane à la
culture française en s’opposant au respect de la laïcité »28. Les musulmans et
les non-musulmans ont de l’islam une
image presque diamétralement opposée. Un nouveau sondage, mené en
2001, montre que 72 % des musulmans
associent leur religion à une image de
justice alors que pour l’ensemble des
Français, ce chiffre s’élève à 21 %29.
À l’inverse, l’image de fanatisme est
de 6 % pour les musulmans face à 50
% pour l’ensemble de la population.
La vision négative tend cependant à
s’atténuer légèrement. En 1994, ces
chiffres étaient respectivement de 56 %
et de 10 % pour la justice et de 17 % et
67 % pour le fanatisme.
Un troisième facteur explicatif est la
question des relations interethniques en
milieu scolaire. Celle-ci est rendue particulièrement délicate par la force de la
norme verbale antiraciste et égalitaire
qui y prévaut. Les enquêtes montrent
cependant l’ambivalence des phénomè-
Anne-Sophie Lamine
Les foulards et la République
nes ethniques en milieu scolaire où le
soulignement de l’ethnicité peut tantôt
conduire à la discrimination positive,
tantôt à la stigmatisation et à l’essentialisation de la culture (Perroton,
2000 ; Lorcerie, 2003). Les enseignants
tendent à expliquer les problèmes de
certains enfants par les carences des
familles et des différences culturelles
insurmontables : « égorger un mouton
sur le balcon, ça jamais on ne le fera »,
et par la généralisation de cas extrêmes de familles africaines musulmanes
polygames : « ce père a deux femmes,
il fait des petits, ça fait des alloc, et
ça pousse comme ça peut » (Perroton,
2000 : 139). L’ethnicisation du milieu
scolaire est évidemment très variable,
selon les régions, les villes ou même
les quartiers. Elle se combine avec un
malaise plus général au sein du monde
enseignant de collèges et de lycées,
conséquente d’abord à la massification
de l’enseignement et plus récemment à
l’augmentation de conduites déviantes
(Dubet, 2002). Le sentiment de crise,
de dévalorisation de la fonction et de
stress est fortement répandu chez les
enseignants. Dans ce contexte, les restrictions en personnel non enseignant et
la perspective d’une réforme des retraites ont d’ailleurs déclenché un mouvement de grève de plusieurs semaines au
printemps 2003.
Le port du voile :
polysémie
et ambiguïté
■
En Europe, et particulièrement en
France, les discours dominants sur l’islam font une grande place au doute
sur la compatibilité entre l’islam et
les valeurs démocratiques. Dans ce
contexte, les porteuses de voile sont
perçues comme victimes de la pression
des traditions et en particulier de l’oppression de la femme. Ces perceptions
normatives concernant les musulmans
font peu de cas de la diversité de ces
acteurs religieux et des dynamiques
à l’œuvre (Amiraux, 2003 : 88). Elles
négligent en général à la fois les aspects
générationnels de l’identification religieuse, le processus d’individualisation
du sentiment religieux, les dynamiques
de réinterprétation des traditions et les
nouvelles formes d’appartenance religieuse propres aux jeunes musulmans
nés ou socialisés en Europe.
Les études sociologiques comme
celle de Gaspard et Khosrokhavar
(1995 : 204-212) montrent pourtant que
le port du foulard chez les jeunes filles
est loin d’être univoque. Ces auteurs
distinguent trois types de voiles : celui
des immigrées (mères ou grand-mères),
celui des adolescentes (ou préadolescentes), imposé par les parents ou
accepté et instrumentalisé pour devenir un outil de liberté, et enfin le voile
revendiqué des post-adolescentes ou
jeunes femmes, nées ou socialisées en
France. Pour ces dernières, le voile
n’est pas un « rejet de la citoyenneté
française », mais une « volonté d’intégration sans assimilation, une volonté
d’être françaises et musulmanes ». Le
foulard peut alors être « l’expression
d’une expérience religieuse qui ne se
réduit pas uniquement au respect de
commandements islamiques ». Comme
d’autres auteurs, ces deux sociologues
soulignent aussi que seule une minorité
de ces jeunes filles est en lien avec des
associations islamiques ou islamistes.
Diverses études sur les jeunes
musulmans montrent que leur religiosité est choisie, et non plus héritée
(Khosrokhavar, 1997 ; Tietze, 2002).
Ils se réapproprient leur religion sur
un mode différent de leurs parents, et
adoptent des comportements novateurs,
en effectuant souvent un retour aux
textes et en articulant leur vécu religieux ou leur vécu social, qu’il s’agisse
d’une spiritualité plus intériorisée ou
d’une pratique visible. Pour une partie
de ces jeunes, ceux qui fréquentent
les diverses associations islamiques,
la dimension novatrice et individuelle
de leur comportement est en tension
avec les normes de socialisation de ces
organisations (Amiraux, 2003 : 89). La
diversité des formes de religiosité des
jeunes musulmans est finement mise en
évidence par Nancy Venel (2004). La
distinction qu’elle propose, en quatre
groupes, lui permet d’analyser les rapports à la religiosité et à la citoyenneté,
l’engagement dans l’espace public et
le sentiment d’appartenance nationale.
Les « français pratiquants » ont une
religiosité sans signes visibles, liée à
la conscience individuelle et un fort
référent national. Les « contractants »
sont plus individualistes et plus indépendants, la croyance, quand elle est
présente, est aussi une affaire privée.
Les « accommodateurs » ont souvent
une religiosité visible bien qu’individualisée. Ils nient la concurrence
entre leur appartenance religieuse et
leur appartenance citoyenne. Ces deux
pôles se justifient mutuellement et sont
reliés par leur engagement civil et par la
recherche de convergences entre l’islam
et les valeurs républicaines. Les « néocommunautaires » donnent priorité à
la norme religieuse et revendiquent
une identité collective. Leur identité
musulmane est englobante alors qu’ils
refusent une identité nationale. Ils affichent bien sûr leur religiosité. On peut
retenir de cette approche qu’une religiosité visible, comme le port du voile,
peut correspondre à deux approches
extrêmement différentes de la citoyenneté, de l’appartenance nationale et du
rapport à l’altérité, correspondant aux
« accommodatrices » ou aux « néo-communautaires ».
Malgré l’existence d’études sociologiques ou anthropologiques portant sur
les pratiques des jeunes musulmans, il
faut cependant souligner, comme le
fait Simona Tersigni (2003), que les
logiques qui amènent à « prendre le
foulard » et le statut réel des femmes
concernées ne suscitent aucun intérêt
dans les débats et font l’objet de stéréotypes. Le foulard est avant tout perçu
comme le symbole de la soumission
féminine et de l’engagement islamiste.
Pourtant, nombre de ces jeunes
femmes entrent dans une réflexion et
un débat à la fois avec musulmans et
des non-musulmans sur le sens de leur
pratique religieuse et de leur engagement citoyen. Saïda Kada est tout à
fait emblématique de cette dynamique. Militante dans une association de
femmes musulmanes et dans un collectif inter-associatif pour les droits
de l’homme, elle est co-auteur d’un
livre-débat sur le voile avec Dounia
Bouzar, L’une voilée, l’autre pas, dans
lequel elle affirme : « je voudrais bien
qu’on me perçoive d’abord comme
une femme française et que le détail
de mon voile soit perçu de la même
façon que la croix de ma copine » (Bouzar et Kada, 2003 : 69). Elle reconnaît
159
cependant volontiers que ce signe est
récupéré par certains hommes musulmans qui considèrent que « celles qui
sont voilées ne sont que des corps,
celles qui sont voilées ne sont qu’un
foulard » (Ibid : 56)30. Le voile est un
signe d’individualisation de la pratique
religieuse. Il est revendiqué comme un
choix personnel, qui ne peut en aucun
cas être imposé et doit être l’aboutissement (éventuel) d’un cheminement
personnel. Ces jeunes femmes ont des
amies voilées et non voilées31. Cette
volonté d’appropriation personnelle et
d’autonomie entre en tension à la fois
avec les tendances musulmanes les plus
orthodoxes et avec la grande majorité des interlocuteurs non musulmans,
qui considèrent le voile antinomique à
l’émancipation féminine. En outre, ce
type d’articulation entre identité religieuse et identité citoyenne contredit
l’accusation de communautarisme et
de repli communautaire, tout en étant
un marqueur particulièrement visible
de l’identité, et donc d’une frontière
symbolique.
Laïcité apaisée
ou laïcité assiégée :
la laïcité comme valeur
et comme identité
■
De 1989 à 2004, de l’avis du conseil
d’État à la loi du 15 mars, on passe
d’une interprétation libérale de la laïcité – même si elle était à l’évidence
loin d’être unanimement partagée par la
classe politique et par les acteurs de terrains – à une laïcité assiégée qui estime
nécessaire de se faire plus autoritaire.
Quels types de laïcité sont en œuvre et
comment se jouent les tensions entre
liberté religieuse, unité nationale et
neutralité de l’État ?
Le principe de laïcité recouvre la
séparation du religieux et du politique,
comme le stipule la loi du 9 décembre
1905, la liberté de conscience et de
culte et l’impossibilité pour les cultes
de recevoir un soutien de l’État. Le
principe de laïcité est ensuite inscrit
en 1946 dans la Constitution, qui sti-
Daniel Depoutot : Poupées dominatrices, début du XXIe siècle.
160 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
pule, dans son article 1 : « La France
est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale ». En 1958,
l’article 2 reprend la même phrase et
ajoute : « Elle assure l’égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances ».
Notons cependant que les cultes peuvent bénéficier de modes spécifiques
de reconnaissance de la part de l’État
laïque, par le biais de dispositifs concernant la fiscalité ou encore le régime
de retraite des ministres du culte. En ce
qui concerne l’absence de financement,
une exception est faite pour les dépenses relatives aux aumôneries, puisque
ces dispositifs permettent d’assurer la
liberté religieuse des individus dans des
lieux fermés : hôpitaux, armées, prisons
(Boyer, 2005 ; Rolland, 2005).
Si le début de l’histoire de la laïcité
est centré sur la séparation, et donc la
« laïcité-combat », l’apaisement de la
« guerre des deux France » (catholique
et républicaine) donne plus de place à
la dimension de neutralité. Cette laïcité
Anne-Sophie Lamine
apaisée permet même, comme on l’observe, à partir des années 1980, une certaine valorisation du rôle des religions
dans la sphère publique, qui se traduit
en particulier par la participation de
représentants religieux dans divers
comités, où ils apportent une contribution en matière d’éthique32. L’État
laïque peut reconnaître une certaine utilité aux religions, surtout si elles sont
capables de collaborer, comme contributrices de paix sociale, mais aussi
comme ressources d’éthique et de sens.
Marcel Gauchet souligne cette nouvelle
vision des identités religieuses, dans
un contexte de désenchantement du
politique : « La mutation fondamentale
de la politique démocratique tend à
réinsuffler [aux identités religieuses]
une dignité et une utilité nouvelles,
en fonction des besoins même de la
sphère publique, en tant que systèmes
généraux de sens, ou doctrine globale
des fins » (2001 : 135). Les prises de
positions plurielles (sur l’éthique, sur
la paix, sur le « vivre ensemble ») rassurent le public et ont plus d’impact,
même s’il est nécessaire de nuancer
selon les cas s’il s’agit de géopolitique,
de social, d’éthique et d’en apprécier
la pertinence, ainsi que les difficultés
(Lamine 2004 et 2005).
Cependant, ces « affaires de foulard » montrent une forme de retour à
la « laïcité-combat », non suivant des
options anti-cléricales, comme pendant
la première moitié du XXe siècle, mais
« selon des conceptions radicales révélant la difficulté de penser la pluralité
culturelle. De plus en plus la laïcité
est comprise non comme un principe
de droit constitutionnel, mais comme
une valeur de la République française » (Koubi, 1998 : 577). Le passage
du principe de droit constitutionnel à
une valeur constitutive de la République, une valeur centrale de l’identité
nationale, face à la diversité culturelle,
voilà ce qu’il nous faut maintenant
expliciter.
On a vu que la première « affaire de
foulard » remonte à l’automne 1989, ce
qui ne signifie pas que la question ne
s’était pas posée avant, dans d’autres
établissements scolaires, mais elle
n’avait pas été médiatisée. Soulignons
aussi que les médias ne mentionnent
nullement que cette affaire est aussi liée
Les foulards et la République
à des négociations difficiles pour que
des enfants juifs assistent aux cours du
samedi matin. Cette première affaire de
foulard se déclenche au moment où la
France achève une année de célébration
du bicentenaire de sa Révolution. On
est alors au début d’une période d’« effervescence du débat public autour de
l’identité nationale ». Le thème de l’intégration mis en avant par le gouvernement de gauche est « repris de façon
critique et polémique, dans un discours
référé à la “nation” et aux “valeurs de
la république” » (Lorcerie, 1994 : 245).
Dans ce débat, des intellectuels contribuent à réhabiliter un « nationalisme
républicain » de gauche ou du centre.
Dans ce contexte, l’avis du conseil
d’État de 1989 apparaît comme décalé
par rapport à une fraction importante
des positions politiques, intellectuelles
ainsi que de celles des acteurs concernés, le monde enseignant. Il « vient contredire la conception sociologiquement
dominante du religieux dans la société »
qui voudrait que la laïcité soit « l’appareil d’illégitimation de l’affirmation
publique des appartenances religieuses
en général et de la religion de l’autre
en particulier » (Césari, 2001 : 128). De
plus, la visibilité que peut prendre l’appartenance islamique bouscule la frontière entre privé et public. Un sondage
publié le 30 octobre 1989 indique que
50% des Français ont peur de l’islam et
que 60 % considèrent que l’affaire des
foulards résulte d’« une manipulation
des extrémistes islamiques »33. À la différence des enseignants, les élèves ne
sont pas gênés par les signes religieux
que peuvent porter leurs camarades.
Un second sondage, réalisé auprès des
12-17 ans, montre que 72 % des adolescents (contre 24 %) ne trouvent pas
choquante l’affirmation d’appartenance
religieuse par des signes extérieurs,
comme le foulard islamique, la croix
ou la kippa34.
À contre-courant de cette approche
normative majoritaire, l’avis du Conseil
d’État de 1989 propose une interprétation libérale de la laïcité et de sa mise
en œuvre. Rappelons qu’il stipule que
le principe de la liberté religieuse permet de porter des signes d’appartenance mais qu’aucun prosélytisme et aucun
manquement à l’obligation scolaire ne
peut être accepté. Il privilégie donc le
cas par cas, et surtout le comportement
de l’élève. David Kessler, membre du
Conseil d’État, qui a eu la responsabilité au sein du Conseil de proposer une
analyse de la situation, une solution aux
questions posées et une formulation de
l’avis, donne son appréciation sur le
sens du foulard. Il affirme que : « fondée ou non, l’incrimination du foulard
comme marque d’abaissement de la
femme suppose une interprétation du
signe religieux ». Il considère en cela
que le foulard est différent de la croix
gammée, dont le symbolisme est immédiat, et qui, du fait de l’histoire récente
« est une provocation directe à la haine,
que l’on est tout à fait fondé à interdire ». Il précise que « le foulard n’est
ressenti comme une agression contre la
dignité féminine que moyennant toute
une reconstruction à partir de ce que
l’on sait de la religion et de la civilisation islamique ». Il souligne encore
qu’il lui paraît évident et que « c’est en
tout cas l’avis du Conseil d’État que ni
l’administration ni le juge ne peuvent
s’immiscer dans de telles considérations » (Kessler, 1993). On a vu que
pendant les années suivant cet avis, plusieurs arrêts permettent d’asseoir une
jurisprudence. Cette période apparaît
rétrospectivement, comme « un grand
moment d’interprétation jurisprudentielle de la laïcité scolaire » (Lorcerie,
1996). Cette approche de la laïcité va
être vigoureusement et régulièrement
remise en cause, dans le débat public,
par des propositions de projets de loi et
surtout par la circulaire ministérielle de
1994. L’entrée de plus en plus visible
de l’islam dans l’espace religieux français perturbe « un équilibre considéré
jusque-là comme stable entre les trois
grands principes qui sous-tendent la
laïcité : l’unité républicaine, le respect
du pluralisme et la liberté de conscience. Désormais la part accordée à
chacun d’entre eux suscite débats et
controverses » (Césari, 2001 : 130).
Ces évolutions se jouent, comme
on l’a vu, dans un contexte marqué
politiquement par un poids important
du parti d’extrême-droite, et socialement par la peur de l’islamisme, par
le développement d’un « antisémitisme de banlieue » en écho au conflit
israélo-palestinien et par un profond
malaise du monde enseignant. Dans
161
un tel contexte, les signes religieux
passent du statut de fait social à celui
de problème politique. Le débat public,
en particulier dans les médias, renvoie
à la peur d’une religion inassimilable,
d’un islam activiste qui gagnerait de
plus en plus de terrain, ainsi qu’à la
peur du repli identitaire. Les jeunes des
banlieues, qui sont implicitement les
jeunes Maghrébins et donc les jeunes
musulmans, apparaissent comme une
nouvelle classe dangereuse. La dénonciation de leurs déviances prend des
proportions importantes et fait l’objet
d’une généralisation inquiétante qui
ne soulève que peu de discussion35.
La République, l’unité nationale sont
perçues comme mises en danger. Si
le débat sur la laïcité reste avant tout
centré sur l’école, il s’élargit et inclut
le monde du travail et celui de l’hôpital. Par ailleurs, la demande d’une
position juridique ferme, émanant du
monde enseignant, qui vienne – au
moins sur ce point – les soutenir dans
leur autorité, est beaucoup moins coûteuse à satisfaire par le gouvernement
que leurs autres revendications.
L’évolution dans la perception de la
laïcité peut encore être éclairée par la
méthode de travail des deux commissions, Debré et Stasi, qui ont produit des
rapports sur la laïcité, et dont les débats
ont eu de larges échos dans les médias.
Quelles sont les personnes qui ont été
interviewées ? Qui prononce l’expertise ? Quels discours sont tenus sur la
laïcité ? Les deux commissions sont très
différentes dans leur composition : des
députés dans la commission Debré et
des « sages » dans la commission Stasi.
La première est donc plus directement
politique et la seconde plus savante. Les
deux ont auditionné un grand nombre
de personnes. Le choix des personnes
de terrain est éloquent, l’une comme
l’autre ont choisi de rencontrer des
personnes ayant des difficultés et considérant qu’une législation autoritaire
est nécessaire : en milieu scolaire mais
aussi dans d’autres lieux comme l’hôpital, alors qu’aucune place n’était faite
aux acteurs qui trouvaient des solutions, par la négociation, l’adaptation
ou la réglementation. Notons que pendant cette période, suite à des articles
de presse faisant état de difficultés dans
le cadre hospitalier, lorsque certains
époux musulmans refusent que leur
femme soit soignée par un homme, des
responsables hospitaliers ont réagi pour
souligner le caractère exceptionnel de
ces situations36. Dans ces commissions
l’expertise sur l’islam est assurée par
des spécialistes de l’islamisme politique ou par des acteurs de terrain, qui
par leur position ont une vision très
critique de toute pratique religieuse
intensive, qu’il s’agisse de la médiatrice du ministère de l’éducation, ou
encore de la présidente de l’association
« Ni putes ni soumises », luttant contre
la violence en banlieue. La commission
Debré auditionne aussi longuement le
directeur des Renseignements Généraux, qui tantôt affirme différencier
les groupes « orthodoxes » des groupes
extrémistes, tantôt joue sur l’ambiguïté, pour amalgamer les premiers aux
seconds. Un membre de la commission
met aussi sur le même plan la demande
d’un jour de congé pour une fête religieuse et le non-respect d’un professeur
juif, comme signe d’extrémisme37.
En ce qui concerne la commission
Stasi, il est surprenant que malgré la
présence importante d’universitaires,
les sages n’aient eu recours à aucune
enquête préalable, afin d’obtenir des
éléments chiffrés sur la fréquence des
problèmes posés par les signes religieux dans les établissements scolaires,
ou par des demandes spécifiques dans
des hôpitaux. Aucune information ne
permet d’analyser ces problèmes de
manière un peu systématique, ni de
voir de quelle manière d’autres établissements les ont résolus. Quant aux
femmes voilées, elles ne sont reçues
(deux) que lors de la dernière séance
d’audition. Pourtant, dans les débats,
leur voile pose problème bien au-delà
du cadre scolaire, à l’hôpital, dans le
monde du travail et même parfois dans
les services publics. La lecture du rapport fait apparaître une rhétorique de
laïcité apaisée « attentive aux sensibilités nouvelles », alors que de nombreux
exemples ou allusions font état d’une
laïcité mise en danger de multiples
manières. Les termes « violence » et
« menace » apparaissent alors fréquemment. Des groupes musulmans sont
cités à de nombreuses reprises dans
des termes comme « groupes communautaristes politico-religieux », « acti-
162 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
vistes politico-religieux », « groupes
organisés qui testent la résistance de la
République », « minorités activistes »
sans qu’ils ne soient jamais identifiés.
Comme dans le rapport Debré, on ne
distingue pas l’orthopraxie musulmane
de l’extrémisme religieux, ni les faits
isolés des faits répétés. Des situations
dont on a pu savoir par ailleurs qu’elles
étaient uniques ou se comptaient sur les
doigts d’une main se trouvent présentées dans les deux rapports comme si
elles étaient généralisées ou du moins
nombreuses. Les deux rapports montrent bien une laïcité assiégée, qui
ne peut plus être protégée que par le
recours à une loi. Une telle loi pose
cependant un certain nombre de questions. La première est la déscolarisation
des jeunes filles, qui a peu été abordée
dans les débats38 ainsi que le fait qu’à
rigorisme religieux équivalent, seules
les filles sont touchées, bien que l’égalité des sexes ait beaucoup été invoquée
comme raison d’interdire le voile. Le
risque de stigmatisation des musulmans
est important, il a souvent été invoqué
par les non-prohibitionnistes. Une autre
conséquence de ces dispositions est de
focaliser les organisations musulmanes
orthodoxes sur l’orthopraxie et sur la
défense des jeunes filles, au détriment
de débats internes et avec la société.
Enfin, le foulard détourne d’autres
questions de société : les discriminations raciales et ethnico-religieuses.
Alors qu’au moment de la première
affaire de voile, en 1989, on célébrait
la République avec le bicentenaire de
la Révolution, le gouvernement ouvrait
la porte à une conception libérale de la
laïcité scolaire. Quinze ans plus tard,
en 2004, la situation a complètement
changé, on craint pour la laïcité, pour
plusieurs raisons. D’abord, on se rend
compte avec l’Europe que le modèle
français n’est pas universel et qu’en
plus, des contraintes pourraient lui être
imposées par les dispositifs communautaires comme la Cour Européenne
des Droits de l’Homme. Ensuite, l’intégration ne tient pas ses promesses, la
ségrégation liée à l’habitat social produit des quartiers ethniques et des établissements scolaires ethniques. Dans
un contexte de réaffirmation des identités religieuses, l’islam devient davantage un référent identitaire permettant
Anne-Sophie Lamine
de retourner le stigmate, le plus souvent en se pensant à la fois musulman
et français, mais dans certains cas en
repli sur un groupe communautaire et
en opposition avec la société. Enfin, la
pérennisation du conflit israélo-palestinien se transpose en France, renforcé
par l’identification de certains jeunes
musulmans aux Palestiniens et de l’attachement de nombreux juifs français
à Israël. Ce conflit se transpose par des
actes et des paroles antisémites d’un
côté et par une condamnation globale
des musulmans de l’autre côté. Dans
ce contexte, la laïcité, qui était auparavant davantage un dispositif juridique
de neutralité et d’égalité des cultes,
devient la valeur républicaine par
excellence et prend une place centrale
dans l’identité française. Dès lors, montrer trop visiblement son appartenance
religieuse devient équivalent à ne pas
« respecter la laïcité » et est considéré
comme une forme de mise en cause
du « vivre ensemble républicain », quel
que soit le degré d’attachement citoyen
et national.
Les foulards et la République
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l’identité féminine », Archives de Sciences
Sociales des Religions, 95, p. 133-141.
William Jean-Claude, 1991, « Le conseil d’État
et la laïcité : propos sur l’avis du 27 novembre 1990 », Revue Française de science
politique, 41/1, p. 28-44.
163
Notes
* Cet article est la version française remaniée et actualisée d’un article paru en
allemand sous le titre : « Die Republik,
die Schule und die Kopftücher », Religion-Staat-Gesellschaft, 5/2, 2004,
p. 229-251.
1. Après la guerre froide, c’est à partir
de 1993 la thèse de S. Huntington sur
le choc des civilisations, de l’islam et
de l’occident, qui inspire de nombreux
pourfendeurs d’un islam monolithique,
menace pour l’Europe.
2. Ernest Chenières sera élu député (droite) en 1993, et continuera son combat
dans le champ politique.
3. Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain
Finkelkraut, Elisabeth de Fontenay et
Catherine Kintzler. En 2001, Jack Lang,
ministre de l’éducation, demandera à R.
Debray un rapport sur l’enseignement
du fait religieux.
4. Revue Française de Science Politique,
41/1, 48-49 ou conseil-etat.fr/ce/rappor/index_ra_cg03_01.shtml (consulté
le 06/10/05).
5. Arrêt « Kherroua et autres », 2 novembre 1992. Un arrêt semblable est rendu,
« Yilmaz », le 14 mars 1994.
6. Entre septembre 1989 et septembre
1994, 5 propositions de lois relatives
à la laïcité sont déposées au Sénat ou à
l’Assemblée Nationale (Koubi, 1998 :
578). En 1993, la majorité passe à droite et le gouvernement change.
7. Arrêt Aoukili, 10 mars 1995.
8. Le terme « orthodoxe » est ici employé
pour désigner les organisations religieuses ayant une pratique intensive de
la religion, mais membres du Conseil
Français du Culte Musulman (comme
l’UOIF et la FNMF). Les prohibitionnistes les qualifient d’intégristes ou de
fondamentalistes.
9. HCI, 2001. Le rapport mentionne néanmoins que « l’inégalité sexuelle que
dénote implicitement le port du foulard
est en désaccord avec la norme sociale
en vigueur dans notre pays » (p. 77).
10.Emmanuel Brenner, Les territoires perdus de la république, 2002, Paris, Mille
et une nuits.
11.Le recteur considère que le conflit était
mené par « un groupe d’une vingtaine
d’enseignants très engagés, du côté
de l’ultra-gauche, voire au-delà, qui
n’étaient pas fâchés de mettre l’institution en difficulté sur ce sujet » (Audition, La laïcité à l’école, Rapport de la
Mission parlementaire sur les signes
religieux, t.2, 2003, p. 51).
12.Les élections du Conseil Français du
Culte Musulman ont eu lieu peu avant,
les 6 et 13 avril, et ont été un succès
pour les organisations les plus « orthodoxes », la FNMF arrivant en premier et
l’UOIF en second, alors que la mosquée
de Paris qui était auparavant considérée
comme l’interlocuteur officiel n’arrive
qu’en troisième.
13.Texte du discours sur http://religioscope.info/article_143.shtml (consulté le
06/10/05).
14.Paris, Palais Omnisport de Bercy,
03/05/03 (observation).
15.Pour une nouvelle laïcité, 24 pages,
www.dialogue-initiative.com/site/dossiers (consulté le 06/10/05) ; publié in
extenso par le Le Figaro Magazine, le
24/05/03.
16.Elle organise 24 séances d’auditions
entre le 11 juin et le 19 novembre.
17.Assemblée Nationale, 2003 (t. 1, 172 p.
et t. 2, 658 p. avec transcription des
auditions) et www.assemblee-nationale.
fr/12/dossiers/laicite.asp#haut (consulté
le 06/10/05).
18.Entre le 9 septembre et le 8 décembre, la commission Stasi organise 17
séances d’auditions publiques pendant
lesquelles elle entend 91 personnes, et
8 séances à huis clos (64 personnes).
19.Supplément de 8 pages dans Le Monde ;
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000725 /0000.pdf
(consulté le 06/10/05) et sous forme de
livre (Commission présidée par Bernard Stasi, 2004).
20.Trois jours avant la remise du rapport
Stasi, des représentants catholiques,
protestants et orthodoxes adressent au
Président Chirac un appel commun
contre une loi sur les signes religieux,
en plus de prises de positions spécifiques d’autorités catholiques et protestantes. Le grand rabbin de France
affirme que « la loi, le règlement [est]
un moyen bien médiocre de traiter la
laïcité ». Divers responsables musulmans s’expriment aussi contre le projet
de faire une loi et le CFCM publie une
lettre ouverte pour exprimer « sa vive
inquiétude » devant les « dispositions
discriminatoires à l’égard des musulmans ». Au moment où des manifestations de rue ont eu lieu contre le projet
de loi, les organisations musulmanes
n’ont pas manifesté d’engagement collectif, à l’exception d’un groupuscule
alsacien. D’une manière générale, les
responsables évitent le conflit avec les
pouvoirs publics.
21.Elisabeth Roudinesco (psychanalyste
et directrice de recherche à l’Université
de Paris VII), « Le foulard à l’école,
étouffoir de l’altérité », Libération,
27/05/03.
164 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre”
22.www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/laicite.asp (consulté le 06/10/05).
23.Pour la première fois un candidat d’extrême-droite (J.-M. Le Pen) se qualifie
pour le second tour de l’élection avec
16,8 % des suffrages exprimés face à
J. Chirac (19,9 %). Cet événement suscite une forte mobilisation républicaine
qui se traduit par de nombreuses manifestations (le 1er mai, près d’un million
et demi de personnes défilent dans les
rues contre Le Pen). Au second tour, le
Président sortant est réélu avec 82,2 %
des suffrages (avec un fort report des
votes des électeurs de gauche) contre
17,8 % pour Le Pen.
24.Il ne sera pas le seul. Les prisons sont
un lieu de diffusion de l’islamisme radical. L’absence d’institution centralisée
de l’islam en France est la raison invoquée pour ne pas embaucher d’aumôniers musulmans, mais laisse le champ
libre à des extrémistes. Les aumôniers
musulmans seraient 44, dont seulement
4 à temps plein, contre 460 catholiques,
alors que la population carcérale d’origine maghrébine serait de l’ordre de
50% des détenus (Le Monde, 31/10/01,
voir aussi Khosrokhavar, 2004)
25.Au plus fort de la crise, l’Observatoire
du Monde Juif recense 120 actes pour
le seul mois d’octobre 2000.
26.La majorité des actes et propos sont le
fait de jeunes d’origine maghrébine.
On ne peut cependant pas en déduire
que ces jeunes partagent globalement
une image négative du judaïsme. En
effet, un sondage a montré que les jeunes d’origine maghrébine ne sont pas
plus antisémites que la moyenne des
français (sondage SOFRES-Nouveau
Mensuel, 2000, www.tns-sofres.com/
etudes/pol/120302_juifs_n.htm, page
consultée le 06/10/05). 95% d’entre
eux considèrent même que les juifs ont
le droit de vivre leurs coutumes sans
risquer d’être pris à parti, contre seulement 88% de l’ensemble des jeunes ;
ils condamnent les actes de dégradation
des lieux réservés au juifs quasi-unanimement (86% contre seulement 75%
au sein de l’ensemble des 15-24 ans).
A contrario, les jeunes originaires du
Maghreb sont «tout à fait ou plutôt
d’accord» à 35%, 38% et 24% pour
affirmer que les juifs ont trop d’influence respectivement dans les domaines de l’économie, des médias et de la
politique, contre seulement 22%, 21%
et 18% pour l’ensemble des jeunes.
27.Sondage IFOP- Le Monde - La Vie
– RTL, « Le rejet de l’islam et l’attrait
de la France », Le Monde, 30/11/89.
Anne-Sophie Lamine
28.« À Clermont-Ferrand, le foulard islamique est jugé en soi ostentatoire »,
N. Herzberg, Le Monde, 08/04/95.
29.Sondage IFOP – Le Monde – Le Point
– Europe 1 paru le 05/10/01, réalisé
auprès de deux échantillons de 940 personnes pour le 1er groupe (population
française) et de 548 personnes pour le
2e groupe (de familles d’origine musulmane et habitant en France) (www.
ifop.com/europe/sondages/OPINIONF/
islam.asp, consulté le 06/10/05).
30.S. Kada est présidente de Femmes
Françaises Musulmanes et Engagées
(assurant des cours aux adolescentes
déscolarisées) et membre du collectif
lyonnais DiverCité. D. Bouzar est chargée de mission de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, anthropologue, et
ancienne membre nommée du Conseil
Français du Culte Musulman dont elle
a démissionné en janvier 2005.
31.Elles correspondent aux « accommodatrices » de N. Venel.
Les foulards et la République
32.Comité National d’Ethique et des sciences de la vie (1983), Comité national du
sida (1989), Haut Conseil à l’intégration (1990). En outre, l’État a fait appel
à trois représentants (catholique, protestant, franc-maçon), pour une mission
de médiation en Nouvelle-Calédonie
(1988).
33.Sondage IPSOS – Le Point, « L’opinion
des Français », Le Monde, 31/10/89.
34.Sondage IPSOS – Le Journal du Dimanche, ibid.
35.Le livre déjà cité (note 11) comportant
des témoignages de professeurs ayant
de grandes difficultés à enseigner la
Shoah à des jeunes d’origine maghrébine est tout à fait emblématique de ce
mouvement. Ce livre révèle des difficultés graves et inquiétantes, du point
de vue des relations interethniques et
des affirmations identitaires. Cependant les commentaires concernant les
jeunes relèvent d’un discours d’incompatibilité essentielle de ces jeunes
avec l’espace républicain. Un tel essai
aurait pu susciter des enquêtes pour
quantifier l’ampleur de ce phénomène,
ses diverses modalités ainsi que pour
analyser les réactions éducatives et les
expériences visant à l’éviter. Or, il est
apparu comme une étude de référence
pour divers acteurs de ce débat sur la
laïcité.
36.« Selon les médecins de Bichat, les cas
sans solution sont assez rares », Libération, 19/12/03.
37.2e partie du tome II, p. 83 sq.
38.De plus, nombre d’entre elles ont eu
des difficultés pour s’inscrire au Centre
National d’Enseignement à Distance,
sans mentionner la difficulté des études
solitaires.
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