Les foulards et la République
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Les foulards et la République
ANNE-SOPHIE LAMINE Laboratoire “Cultures et sociétés en Europe” (UMR du CNRS n° 7043) Université Marc Bloch, Strasbourg < [email protected]> Les foulards et la République L ’ intensité conflictuelle des débats autour du voile est liée à la visibilité de ce signe d’altérité religieuse, touchant à la fois à l’image de la femme, à l’identité nationale, et à celle de l’islam, perçu très négativement dans l’imaginaire collectif, du fait du passé colonial mal digéré. Le foulard est souvent figuré à la fois comme une atteinte à la neutralité de l’espace public, un signe prosélyte, un symbole d’oppression de la femme et un signe de contestation politique. Comment sont apparues les « affaires de foulard » en France ? Quelle a été leur médiatisation, les réactions sociales et politiques ? La première partie de l’article décrira les différentes étapes de cette crise et les réponses politiques et juridiques qui y ont été apportées. Quels facteurs explicatifs peuvent éclairer cette crise et les controverses qui l’accompagnent ? La deuxième partie apportera des éléments sur le contexte politique et social, avec la montée de l’extrême-droite, la crise de l’école et son ethnicisation, ainsi que sur la perception de l’islam en France. Dans la troisième partie, nous aborderons la polysémie et les ambiguïtés du port du voile par les jeunes 154 filles. Enfin la quatrième partie montrera comment entre 1989 et 2004, on est passé d’une approche de la laïcité, juridiquement libérale, théoriquement apaisée mais contredisant l’attente sociale dominante, à une laïcité qui se perçoit comme assiégée et qui devient une valeur républicaine centrale pour l’identité française. De 1989 à 2004, les « affaires de foulard » en France ■ C’est à l’automne 1989 qu’éclate la première « affaire de foulard », alors que la France vient de célébrer en grande pompe le bicentenaire de sa Révolution dans une succession de colloques, expositions, concerts, banquets et défilé spectacle du 14 juillet. Ironie de l’histoire, c’est au milieu de cette première affaire de voile qu’aura lieu la chute du mur de Berlin, symbole de la fin du communisme1. Le 18 septembre 1989, une semaine après la rentrée scolaire, le principal du collège de Creil interdit à trois adolescentes musulmanes d’assister aux cours si elles persistent à porter leur foulard, Anne-Sophie Lamine qui était auparavant toléré2. Le quotidien Le Courrier Picard s’empare de l’affaire le 3 octobre. Le quotidien Libération reprend l’information le lendemain. Quelques jours plus tard, Le Nouvel Observateur titre en couverture « Fanatisme. La menace religieuse », sur fond de jeune fille voilée. Face à cette montée en puissance de l’affaire, le ministre de l’éducation nationale, Lionel Jospin, demande d’exercer la dissuasion par le dialogue et d’éviter les exclusions. Un compromis est obtenu avec les adolescentes de Creil, qui ôtent leur foulard dans les salles de cours et le gardent dans les autres lieux du collège. Des exclusions ont lieu dans deux autres établissements (lycées). Le débat est houleux au sein du monde enseignant et du monde associatif. La polémique prend une tournure politique et occupe une grande place dans les médias. Les affrontements ne suivent pas les frontières habituelles des camps : gauche-droite, féministes ou non, etc. Les titres de presse reflètent les peurs et les amalgames : l’école mise en danger, le voile comme instrument des intégristes, les articles se multiplient. À la fin du mois d’octobre, deux hebdomadaires font leur une avec des photos de jeunes filles voilées. L’Express titre « L’école laïque en danger. La stratégie des intégristes ». Le Nouvel Observateur annonce: « Profs, ne capitulons pas » et cinq intellectuels y signent un appel au ministre de l’éducation : « L’année du Bicentenaire aura-t-elle vu le Munich de l’école républicaine ? Négocier comme vous le faites en annonçant qu’on va céder, cela porte un nom : capituler »3. Au début du mois de novembre 1989, Jospin choisit de demander un avis au Conseil d’État en l’interrogeant : « le port de signes d’appartenance à une communauté religieuse est-il compatible avec le principe de laïcité ? Si oui, à quelles conditions des actes réglementaires pourraient-ils l’admettre ? Enfin, quelles sanctions peuvent-elles être prises à l’encontre de ceux qui violent une règle d’interdiction d’un tel insigne ? ». Une partie de la classe politique critique cette décision et considère qu’il se dérobe à ses responsabilités. Le débat politique et intellectuel se poursuit Les foulards et la République intensivement sur fond de chute du mur de Berlin (9 novembre). L’avis du Conseil d’État du 27 novembre 1989 est aussitôt rendu public, ce qui n’est pas fréquent. Il s’appuie sur des textes constitutionnels, des dispositions législatives régissant le rapport entre l’École et l’État ainsi que sur des traités internationaux ratifiés par la France. Il affirme que : « dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses ». Il fixe les limites à cette liberté en ajoutant que « cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public »4. La position du Conseil d’État est donc de considérer que les signes religieux ne sont pas en soi incompatibles avec la laïcité mais qu’il faut juger le comportement de l’élève et que chaque cas doit être traité individuellement. Il reconnaît aux élèves le droit de manifester leur appartenance religieuse et explicite clairement les limites de l’exercice de ce droit : prosélytisme, atteinte à la dignité d’autrui, risques pour la santé ou la sécurité, perturbations des activités d’enseignement et troubles à l’ordre public. L’avis du Conseil d’État est suivi d’une circulaire du ministre de l’éducation (12 décembre 1989), dont de nombreux passages valorisent la laïcité. Le ministre réitère l’incitation à entamer immédiatement un dialogue « lorsqu’un conflit surgit ». Il ajoute une précision qui n’est pas contenue dans l’avis : ce dialogue doit avoir lieu pour que « dans l’intérêt de l’élève et le souci du bon fonctionnement de l’école, il soit renoncé au port de ces signes ». Le ministre cherche à apaiser la vive tension qui règne au sein du monde enseignant, tension qu’un juriste, ancien responsable au ministère, qualifie de « déchirure causée par la remise en cause de certitudes, […] profondément perturbatrice et traumatisante pour les personnels enseignants et administratifs concernés » (Durand-Prinborgne, 1990 : 11). Comment l’école républicaine, qui a été au centre du combat contre l’« obscurantisme » religieux, qui a pour mission de former des citoyens libres et égaux, peut-elle tolérer un signe d’allégeance communautaire ? Des conflits ne tardent pas à éclater dans des établissements scolaires. Certains, comme à Montfermeil, ont intégré dans leur règlement intérieur l’interdiction générale et absolue de tout signe religieux. Des exclusions basées sur de tels règlements sont portées par les familles des élèves exclues devant les tribunaux administratifs qui les confirment, puis en appel devant le Conseil d’État qui les invalide. Le premier arrêt, pris en 1992, deviendra un élément important de la jurisprudence administrative en la matière5. Il concerne les exclusions de Montfermeil, basées sur l’article du règlement intérieur du collège stipulant « une interdiction générale et absolue » des signes religieux. L’arrêt demande la réintégration des élèves et annule l’article du règlement intérieur. Septembre 1994 voit de nouveau une période de tension politique autour de la laïcité scolaire6, accompagnée d’une forte demande d’enseignants et de directeurs d’établissements d’une « règle claire », évitant le recours au cas par cas pour juger si le voile est prosélyte et s’il trouble l’ordre scolaire. Le ministre de l’éducation, François Bayrou publie une nouvelle circulaire : « Port des signes ostentatoires dans les établissements scolaires ». Elle affirme rester dans la continuité juridique de la circulaire de 1989 (ni permissivité totale, ni interdiction totale), mais incite fortement les établissements à modifier leurs règlements intérieurs pour 155 proscrire « les signes ostentatoires, qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination », ce qui est contraire à l’avis du Conseil d’État. À la suite de cette publication, plusieurs dizaines d’exclusions sont prononcées. La majorité des élèves concernées sont d’origine marocaine et turque (Gaspard et Khosrokhavar, 1995 : 204). En 1994, au moment où la circulaire Bayrou provoque un regain de contentieux, Simone Weil, ministre des Affaires sociales, confie à Hanifa Cherifi, militante associative auprès de femmes immigrées, une mission de médiation auprès de l’Éducation nationale pour résoudre les conflits liés au port du foulard et tenter d’éviter les exclusions. Le dispositif se développe à deux niveaux, national et départemental. Il s’agit de convaincre les adolescentes que le voile leur est préjudiciable, et les empêchera ensuite de trouver un travail. On tente aussi d’éviter les décisions d’exclusion expéditives, basées sur le seul port de foulard et risquant d’être ensuite invalidées. Au cours de l’année 1995, cinq nouveaux arrêts pris par le Conseil d’État vont permettre de préciser la jurisprudence. Dans un cas, les adolescentes ont refusé d’enlever leur foulard pendant les activités d’éducation physique et une manifestation bruyante a été organisée devant les grilles du collège pendant la réunion qui statuait sur leur situation et à laquelle participait le père de l’une des élèves. Le Conseil confirme alors le jugement du tribunal administratif7. Selon la médiatrice, de 1994 à 1996, le nombre de cas de voiles passe de 2400 à 1 000 dont environ 100 gardés en classe. Parmi les 49 affaires contentieuses soumises au Conseil d’État entre 1992 et 1999, 41 débouchent sur l’annulation de la décision prise par l’administration à l’encontre de la jeune fille (HCI, 2001 : 50). Cependant, le Conseil confirme des sanctions pour absences répétées en cours de sport, pour tenues incompatibles avec le bon déroulement des cours ou pour prosélytisme. En 1999, deux affaires relancent le débat sur le voile à l’école. Il n’y a pas de recrudescence du port du voile, au contraire, elles sont environ 400 selon la médiatrice du ministère, qui estime cependant qu’il y a un durcissement des positions, des deux côtés. En effet, pour les acteurs du monde de l’enseignement, le fait que les jeunes filles soient informées de la jurisprudence, et considèrent qu’elles ont de ce fait le droit de le porter, est interprété comme un durcissement de leur position. De plus, certaines obtiennent le soutien d’organisations musulmanes « orthodoxes »8. À Flers, en Normandie, les enseignants se mettent en grève et deux collégiennes turques sont définitivement exclues du collège, pour port du foulard en cours de sport. Dans les Ardennes, une surveillante de collège est suspendue pour port de voile. En région parisienne, une fillette de 9 ans est exclue d’une école pour port de voile et refus de natation, puis réintégrée à la demande du ministère. Pendant les années 2000 à 2002, la situation est plus calme. D’ailleurs, en 2001, le Haut Conseil à l’Intégration, dans un rapport sur l’islam en France, souligne un certain nombre de difficultés auxquelles font face les musulmans de France dans l’exercice de leur religion et prend des positions assez modérées sur la question du foulard, en soulignant qu’il ne fallait pas exclure les jeunes filles mais engager un travail de fond sur les questions d’intégration9. Lorsqu’en février 2002 une lycéenne de 18 ans est de nouveau exclue pour port de voile, le rectorat demande sa réintégration sur la base d’un compromis sur un voile « discret et dégagé autour des oreilles ». En 2003, le débat sur la laïcité et sur le voile reprend en intensité. En janvier, le Premier ministre Raffarin réaffirme le principe de laïcité et le refus des communautarismes ainsi que son souci face à la persistance de propos et d’actes antisémites, au dîner annuel du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France. Les organisateurs y offrent à chaque convive un livre relatant des témoignages de difficultés auxquelles font face certains enseignants de banlieue pour enseigner l’histoire de la Shoah à des élèves d’origine maghrébine10. En mars, une nouvelle affaire de foulard défraye la chronique. Il s’agit plus précisément d’un bandana, ne couvrant ni le front, ni les oreilles et noué dans la nuque. Au lycée de la Duchère, un quartier populaire de Lyon, com- 156 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre” portant une forte population d’origine immigrée, une élève de seize ans porte ce bandana depuis le mois de ramadan et la plupart des professeurs ne l’acceptent plus en cours. Son cas est unique parmi les 2500 élèves. Suite au refus de l’autorité académique de mettre en route une procédure d’exclusion, 80 % des enseignants du lycée observent une journée de grève et manifestent devant le rectorat contre « la laïcité à géométrie variable » et demandent « une loi pour la République »11. C’est pourtant un autre événement qui va mettre le feu aux poudres. Le 19 avril 2003, le jour où Jean-Marie Le Pen risquait d’attirer les médias par son meeting annuel, le Ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy décide de prendre la parole à la rencontre annuelle de l’Union des Organisations Islamiques de France, au Bourget. Sa présence consacre aussi une période d’intenses négociations avec les représentants des diverses courants musulmans, en vue d’établir le Conseil Français du Culte Musulman, pour lesquelles il a déployé une grande énergie. Il a choisi de travailler avec l’ensemble des composantes de l’islam, au risque de se voir accusé de donner la part belle à ceux qu’on qualifie de « fondamentalistes », dont l’UOIF fait partie12. Il s’agit du plus grand rassemblement musulman national, qui attire des participants bien au-delà du rayonnement de l’UOIF, par un très grand nombre de stands et de conférences. Le ministre s’exprime devant quelque 10 000 personnes, affirme qu’il est venu « en ami », insiste sur l’égalité des musulmans avec les autres Français, reconnaît les peurs et les amalgames dont ils sont victimes et les invite à vivre une religion qui « respecte […] les valeurs de la République »13. Il est ovationné plusieurs fois. Puis au moment, où il mentionne que la loi impose que les photos des cartes nationales d’identités soient prises tête nue, pour les femmes musulmanes comme pour les religieuses catholiques, une partie des jeunes se mettent à le siffler. Il poursuit son discours et une fois son prêche républicain terminé, l’assistance lui offre une ovation debout. Pour les musulmans présents, l’essentiel est bien dans la reconnaissance manifestée par la pré- Anne-Sophie Lamine sence du Ministre. Mais la scène des sifflets est abondamment commentée dans toute la presse, et passe sur toutes les chaînes de télévision. La condamnation est absolue, on évoque rarement les ovations, et encore moins le fait que les sifflements n’étaient le fait que d’une partie de l’assistance, alors que les responsables montraient leur embarras. Aucun média ne mentionnera que le ministre de l’éducation, Luc Ferry, s’est fait bien plus copieusement sifflé, à plusieurs reprises, lorsqu’il est intervenu devant un grand rassemblement de jeunes catholiques (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) deux semaines plus tard14. Les sifflets du Bourget apparaissent bien comme la preuve qu’il existe en France un islam hostile à la laïcité qui gagne du terrain et s’oppose aux valeurs républicaines. Le débat sur l’opportunité d’une loi sur les signes religieux à l’école refait surface et plusieurs rapports et commissions se penchent sur la question de la laïcité. D’abord, le vice-président de l’Assemblée Nationale, François Baroin remet à la fin du mois de mai un rapport sur la laïcité au premier Ministre. Au même moment, une mission est constituée par Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale. Un mois plus tard, la commission Stasi est nommée par le président de la République. Le rapport Baroin15 affirme que la laïcité est « contestée […] par certaines populations immigrées, qui issues d’une culture non laïque et non démocratique, ne perçoivent pas le sens de ce principe ». Il impute la « crise de la laïcité » à la gauche qui a défendu les « différences culturelles » et le « communautarisme » et considère que l’avis du Conseil d’État laisse les enseignants dans un « état d’insécurité juridique ». Il ajoute que c’est une « erreur » de considérer le voile comme « un signe d’appartenance religieuse alors qu’il s’agit en fait d’un attribut des fondamentalistes qui s’inscrit dans une logique de société fondée sur une logique de ghetto et hostile aux valeurs de la démocratie ». Il considère que le « développement du communautarisme dans les banlieues » résulte de « l’action du prosélytisme des fondamentalistes » et que « le voile islamique » n’est « qu’une première étape ». L’objectif est bien une Les foulards et la République « reconquête des territoires perdus de la République », perdus par l’État et gagnés par le « communautarisme ». Le rapport préconise à la fois de réaffirmer la laïcité, de mieux reconnaître la place des religions, de « relancer l’intégration républicaine », par des moyens spécifiques d’éducation et en créant « de vraies élites républicaines issues de l’immigration ». Il recommande aussi de « proscrire le voile dans les établissements scolaires » et envisage même d’instaurer « le port d’uniformes » dans les quartiers difficiles. Le 27 mai 2003, le président de l’Assemblée Nationale met en place une « Mission parlementaire d’information sur les signes religieux à l’école », dont il est le président et le rapporteur. La mission auditionne plus de 120 personnes16 et rend le 4 décembre un rapport intitulé « La laïcité à l’école, un principe républicain à réaffirmer »17. Après avoir montré que le modèle français de laïcité est minoritaire en Europe, il souligne que la « réaffirmation » de la laïcité est d’autant plus nécessaire que la religion « tend à devenir un des facteurs dominants de l’instabilité du monde ». Il s’oppose à une « “nouvelle laïcité” dans laquelle l’affirmation du pluralisme prendrait le pas sur la neutralité de l’État » et considère que les affirmations identitaires et le port de signes religieux conduisent à une situation « proche de la sécularisation propre aux pays protestants » et donc au communautarisme. La laïcité doit « s’affirmer comme élément essentiel de l’intégration républicaine. […] L’espace scolaire doit être le lieu privilégié de cette réaffirmation ». Le rapport y préconise donc l’interdiction de « tout signe visible d’appartenance religieuse ou politique ». Le 3 juillet, le président Chirac, installe une commission sur « la laïcité dans la République » dont il a nommé les vingt membres et dont la présidence est confiée au médiateur de la République, Bernard Stasi. Elle se distingue de la Mission parlementaire (Debré) et montre une reprise en main du dossier par Jacques Chirac. Présentée comme une commission de « sages », neuf de ses membres sont universitaires, les autres viennent du monde politique, juridique, éducatif, associatif ou de l’entreprise. Elle travaille pendant six mois et auditionne plus de 150 personnes. Les délibérations sont largement relayées par les médias, la majorité des auditions sont publiques18. Elle produit un rapport de 68 pages, remis le 11 décembre qui est largement diffusé19. Le rapport analyse l’histoire de la laïcité. Il développe aussi les diverses « atteintes préoccupantes » à la laïcité à l’école, à l’hôpital ou dans le monde du travail. Il insiste fortement sur la laïcité comme « valeur républicaine » ou « valeur fondamentale de l’État ». Il préconise l’enseignement du fait religieux, la reconnaissance de la libre-pensée et des humanismes rationalistes comme « option spirituelle à part entière », une meilleure prise en compte de besoins religieux en matière funéraire, l’adoption de deux jours de congé supplémentaire pour le Kippour et l’Aïd et l’adoption d’une loi sur la laïcité, affirmant la neutralité du service public et interdisant « les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique » dans les établissements scolaires. Pendant cette période, le débat fait rage dans les médias. Les ministres de l’intérieur et de l’éducation qui étaient défavorables à la loi s’y rallient. Les prises de positions abondent, d’enseignants, de syndicalistes, de politiques, d’intellectuels, de religieux, des féministes, des militants associatifs et même de simples lecteurs. La position prohibitionniste domine nettement le débat, mais n’est à aucun moment exclusive. Hormis celle des leaders religieux, relativement unanime et non-prohibitionniste, la plupart des catégories se divisent20. Les termes sont vifs pour dénoncer la « dangerosité » du voile. Une intellectuelle écrira à propos de jeunes filles voilées : « Studieuses à l’école, tout en étant silencieusement reliées par leur voile à un dieu intérieur fanatisé, qui entrave leur liberté de jugement, elles risquent de demeurer étrangères au contenu principiel du savoir qu’on leur enseigne et de n’en retenir que les aspects utilitaires ou techniques : quelque chose comme une science sans conscience »21. Une nouvelle affaire éclate en banlieue parisienne, au mois d’octobre, très fortement médiatisée : deux lycéennes, dont 157 le père avocat est juif athée et la mère kabyle, sont exclues de leur lycée. La période de débat se clôt le 17 décembre avec le discours du président de la République, qui se prononce en faveur d’une loi interdisant les signes religieux ostensibles. La proposition de deux jours de congé pour fêtes juive et musulmane est écartée. Le projet de loi est ensuite discuté dans les deux chambres. Le texte de la « Loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux » stipule que : « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit »22. L’extrême-droite, les affaires de terrorisme, l’islam et l’école ■ Trois points sont importants pour analyser ces affaires de foulard. Nous évoquerons d’abord brièvement le contexte politique national et international. Nous verrons ensuite comment les affaires de foulard cristallisent le difficile rapport entre la France et l’islam, religion de l’immigration postcoloniale. Enfin, la question du foulard s’inscrit dans un climat de crise scolaire, consécutif à la massification de l’enseignement et à la difficulté de reconnaître les difficultés posées par les relations interethniques dans le monde de l’éducation. Lorsque la gauche passe au pouvoir en France en 1981, on observe progressivement une radicalisation d’une partie des discours politiques de droite sur le thème de l’immigration. Le Front National, qui mène campagne en s’appuyant surtout sur ce thème, gagne du terrain et atteint pour la première fois un score important à une élection nationale en 1984, avec le score de 11 % aux élections européennes. Il poursuit sa montée, lors d’élections locales, puis nationales. À partir de 1986 son score fluctue entre 10 et 15 % selon les élections. L’élection présidentielle de 2002 est pour la France un séisme politique : le président du FN arrive en seconde position à l’issue du premier tour des élections présidentielles23. À chaque crise du foulard, la montée du FN est dans les esprits de tous les acteurs politiques. Tolérer le foulard, c’est accorder une reconnaissance à l’islam, et donc inquiéter davantage des électeurs qui peuvent être séduits par les thèses du FN affirmant que le chômage et l’insécurité sont liés aux immigrés dont la présence met aussi en péril l’identité française. Cependant d’autres images sont présentes implicitement ou explicitement. En premier lieu, la révolution islamique d’Iran, qui a eu pour conséquence d’imposer aux Iraniennes le tchador, terme qui sera souvent repris par des médias ou des opposants au voile, malgré l’évidente différence. À cela, il faut ajouter la violence politique qui traverse l’Algérie depuis 1992, et la prise de Kaboul par les talibans en 1996. Pendant l’été 1995 puis en décembre 1996, la France est touchée par des attentats islamistes. Khaled Kelkal, qui a été élevé et scolarisé en France, et a plongé dans l’islamisme radical pendant un séjour en prison24, impliqué dans ces attentats et tué par la police lors d’une course-poursuite en 1995, devient emblématique de la dérive possible de certains jeunes de banlieue, convertis à l’islamisme. À l’automne 2000, le déclenchement de la seconde Intifada au Moyen-Orient a des répercussions immédiates. De nombreuses agressions, sont commises contre des personnes, des lieux de culte ou des établissements d’enseignement juifs : inscriptions antisémites, injures racistes, agressions physiques, appels téléphoniques anonymes, incendies25. D’après le ministère de l’Intérieur, les auteurs sont des jeunes délinquants, auteurs d’autres types de violence urbaine mais non des militants religieux ou politiques. Le nombre d’agissements diminue globalement, mais connaît de nouvelles augmentations à chaque regain de tension au ProcheOrient. Ainsi, en automne 2001, on observe une nouvelle augmentation des actes antijuifs (moins importante que celle de 2000). C’est à ce moment que le mouvement de protestation contre l’antisémitisme prend de l’ampleur et se politise, il fait aussi l’objet de nombreux articles de presse. Des con- 158 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre” troverses ont lieu sur l’ampleur de cet antisémitisme, sur sa prévalence parmi les jeunes d’origine maghrébine26, mais aussi sur le soutien implicite que lui apporteraient des militants de gauche de la « cause palestinienne ». Un autre facteur explicatif important est l’image de l’islam en France. Elle correspond largement à des stéréotypes négatifs. En 1989, après le début de la première affaire de foulard, une enquête demande aux sondés de choisir dans des couples de mots ce qui « correspond le mieux pour [eux] à l’islam » : entre paix et violence, 19 % choisissent paix, 60 % violence, entre tolérance et fanatisme, c’est 15 % contre 71 %27. L’islam est aussi associé à la soumission de la femme et à la non-modernité. Cette image de danger est si prégnante qu’un tribunal l’utilise pour statuer dans une affaire de foulard à l’école. En plus de juger que le foulard est « en soi » ostentatoire, les magistrats estiment qu’il est « un signe d’identification marquant l’appartenance à une obédience religieuse extrémiste d’origine étrangère […qui] se réclame d’une orientation particulièrement intolérante, refuse aux personnes de sexe féminin l’égalité que leur reconnaissent les institutions démocratiques de la France, cherche à faire obstacle à l’intégration des Français et étrangers de confession musulmane à la culture française en s’opposant au respect de la laïcité »28. Les musulmans et les non-musulmans ont de l’islam une image presque diamétralement opposée. Un nouveau sondage, mené en 2001, montre que 72 % des musulmans associent leur religion à une image de justice alors que pour l’ensemble des Français, ce chiffre s’élève à 21 %29. À l’inverse, l’image de fanatisme est de 6 % pour les musulmans face à 50 % pour l’ensemble de la population. La vision négative tend cependant à s’atténuer légèrement. En 1994, ces chiffres étaient respectivement de 56 % et de 10 % pour la justice et de 17 % et 67 % pour le fanatisme. Un troisième facteur explicatif est la question des relations interethniques en milieu scolaire. Celle-ci est rendue particulièrement délicate par la force de la norme verbale antiraciste et égalitaire qui y prévaut. Les enquêtes montrent cependant l’ambivalence des phénomè- Anne-Sophie Lamine Les foulards et la République nes ethniques en milieu scolaire où le soulignement de l’ethnicité peut tantôt conduire à la discrimination positive, tantôt à la stigmatisation et à l’essentialisation de la culture (Perroton, 2000 ; Lorcerie, 2003). Les enseignants tendent à expliquer les problèmes de certains enfants par les carences des familles et des différences culturelles insurmontables : « égorger un mouton sur le balcon, ça jamais on ne le fera », et par la généralisation de cas extrêmes de familles africaines musulmanes polygames : « ce père a deux femmes, il fait des petits, ça fait des alloc, et ça pousse comme ça peut » (Perroton, 2000 : 139). L’ethnicisation du milieu scolaire est évidemment très variable, selon les régions, les villes ou même les quartiers. Elle se combine avec un malaise plus général au sein du monde enseignant de collèges et de lycées, conséquente d’abord à la massification de l’enseignement et plus récemment à l’augmentation de conduites déviantes (Dubet, 2002). Le sentiment de crise, de dévalorisation de la fonction et de stress est fortement répandu chez les enseignants. Dans ce contexte, les restrictions en personnel non enseignant et la perspective d’une réforme des retraites ont d’ailleurs déclenché un mouvement de grève de plusieurs semaines au printemps 2003. Le port du voile : polysémie et ambiguïté ■ En Europe, et particulièrement en France, les discours dominants sur l’islam font une grande place au doute sur la compatibilité entre l’islam et les valeurs démocratiques. Dans ce contexte, les porteuses de voile sont perçues comme victimes de la pression des traditions et en particulier de l’oppression de la femme. Ces perceptions normatives concernant les musulmans font peu de cas de la diversité de ces acteurs religieux et des dynamiques à l’œuvre (Amiraux, 2003 : 88). Elles négligent en général à la fois les aspects générationnels de l’identification religieuse, le processus d’individualisation du sentiment religieux, les dynamiques de réinterprétation des traditions et les nouvelles formes d’appartenance religieuse propres aux jeunes musulmans nés ou socialisés en Europe. Les études sociologiques comme celle de Gaspard et Khosrokhavar (1995 : 204-212) montrent pourtant que le port du foulard chez les jeunes filles est loin d’être univoque. Ces auteurs distinguent trois types de voiles : celui des immigrées (mères ou grand-mères), celui des adolescentes (ou préadolescentes), imposé par les parents ou accepté et instrumentalisé pour devenir un outil de liberté, et enfin le voile revendiqué des post-adolescentes ou jeunes femmes, nées ou socialisées en France. Pour ces dernières, le voile n’est pas un « rejet de la citoyenneté française », mais une « volonté d’intégration sans assimilation, une volonté d’être françaises et musulmanes ». Le foulard peut alors être « l’expression d’une expérience religieuse qui ne se réduit pas uniquement au respect de commandements islamiques ». Comme d’autres auteurs, ces deux sociologues soulignent aussi que seule une minorité de ces jeunes filles est en lien avec des associations islamiques ou islamistes. Diverses études sur les jeunes musulmans montrent que leur religiosité est choisie, et non plus héritée (Khosrokhavar, 1997 ; Tietze, 2002). Ils se réapproprient leur religion sur un mode différent de leurs parents, et adoptent des comportements novateurs, en effectuant souvent un retour aux textes et en articulant leur vécu religieux ou leur vécu social, qu’il s’agisse d’une spiritualité plus intériorisée ou d’une pratique visible. Pour une partie de ces jeunes, ceux qui fréquentent les diverses associations islamiques, la dimension novatrice et individuelle de leur comportement est en tension avec les normes de socialisation de ces organisations (Amiraux, 2003 : 89). La diversité des formes de religiosité des jeunes musulmans est finement mise en évidence par Nancy Venel (2004). La distinction qu’elle propose, en quatre groupes, lui permet d’analyser les rapports à la religiosité et à la citoyenneté, l’engagement dans l’espace public et le sentiment d’appartenance nationale. Les « français pratiquants » ont une religiosité sans signes visibles, liée à la conscience individuelle et un fort référent national. Les « contractants » sont plus individualistes et plus indépendants, la croyance, quand elle est présente, est aussi une affaire privée. Les « accommodateurs » ont souvent une religiosité visible bien qu’individualisée. Ils nient la concurrence entre leur appartenance religieuse et leur appartenance citoyenne. Ces deux pôles se justifient mutuellement et sont reliés par leur engagement civil et par la recherche de convergences entre l’islam et les valeurs républicaines. Les « néocommunautaires » donnent priorité à la norme religieuse et revendiquent une identité collective. Leur identité musulmane est englobante alors qu’ils refusent une identité nationale. Ils affichent bien sûr leur religiosité. On peut retenir de cette approche qu’une religiosité visible, comme le port du voile, peut correspondre à deux approches extrêmement différentes de la citoyenneté, de l’appartenance nationale et du rapport à l’altérité, correspondant aux « accommodatrices » ou aux « néo-communautaires ». Malgré l’existence d’études sociologiques ou anthropologiques portant sur les pratiques des jeunes musulmans, il faut cependant souligner, comme le fait Simona Tersigni (2003), que les logiques qui amènent à « prendre le foulard » et le statut réel des femmes concernées ne suscitent aucun intérêt dans les débats et font l’objet de stéréotypes. Le foulard est avant tout perçu comme le symbole de la soumission féminine et de l’engagement islamiste. Pourtant, nombre de ces jeunes femmes entrent dans une réflexion et un débat à la fois avec musulmans et des non-musulmans sur le sens de leur pratique religieuse et de leur engagement citoyen. Saïda Kada est tout à fait emblématique de cette dynamique. Militante dans une association de femmes musulmanes et dans un collectif inter-associatif pour les droits de l’homme, elle est co-auteur d’un livre-débat sur le voile avec Dounia Bouzar, L’une voilée, l’autre pas, dans lequel elle affirme : « je voudrais bien qu’on me perçoive d’abord comme une femme française et que le détail de mon voile soit perçu de la même façon que la croix de ma copine » (Bouzar et Kada, 2003 : 69). Elle reconnaît 159 cependant volontiers que ce signe est récupéré par certains hommes musulmans qui considèrent que « celles qui sont voilées ne sont que des corps, celles qui sont voilées ne sont qu’un foulard » (Ibid : 56)30. Le voile est un signe d’individualisation de la pratique religieuse. Il est revendiqué comme un choix personnel, qui ne peut en aucun cas être imposé et doit être l’aboutissement (éventuel) d’un cheminement personnel. Ces jeunes femmes ont des amies voilées et non voilées31. Cette volonté d’appropriation personnelle et d’autonomie entre en tension à la fois avec les tendances musulmanes les plus orthodoxes et avec la grande majorité des interlocuteurs non musulmans, qui considèrent le voile antinomique à l’émancipation féminine. En outre, ce type d’articulation entre identité religieuse et identité citoyenne contredit l’accusation de communautarisme et de repli communautaire, tout en étant un marqueur particulièrement visible de l’identité, et donc d’une frontière symbolique. Laïcité apaisée ou laïcité assiégée : la laïcité comme valeur et comme identité ■ De 1989 à 2004, de l’avis du conseil d’État à la loi du 15 mars, on passe d’une interprétation libérale de la laïcité – même si elle était à l’évidence loin d’être unanimement partagée par la classe politique et par les acteurs de terrains – à une laïcité assiégée qui estime nécessaire de se faire plus autoritaire. Quels types de laïcité sont en œuvre et comment se jouent les tensions entre liberté religieuse, unité nationale et neutralité de l’État ? Le principe de laïcité recouvre la séparation du religieux et du politique, comme le stipule la loi du 9 décembre 1905, la liberté de conscience et de culte et l’impossibilité pour les cultes de recevoir un soutien de l’État. Le principe de laïcité est ensuite inscrit en 1946 dans la Constitution, qui sti- Daniel Depoutot : Poupées dominatrices, début du XXIe siècle. 160 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre” pule, dans son article 1 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». En 1958, l’article 2 reprend la même phrase et ajoute : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Notons cependant que les cultes peuvent bénéficier de modes spécifiques de reconnaissance de la part de l’État laïque, par le biais de dispositifs concernant la fiscalité ou encore le régime de retraite des ministres du culte. En ce qui concerne l’absence de financement, une exception est faite pour les dépenses relatives aux aumôneries, puisque ces dispositifs permettent d’assurer la liberté religieuse des individus dans des lieux fermés : hôpitaux, armées, prisons (Boyer, 2005 ; Rolland, 2005). Si le début de l’histoire de la laïcité est centré sur la séparation, et donc la « laïcité-combat », l’apaisement de la « guerre des deux France » (catholique et républicaine) donne plus de place à la dimension de neutralité. Cette laïcité Anne-Sophie Lamine apaisée permet même, comme on l’observe, à partir des années 1980, une certaine valorisation du rôle des religions dans la sphère publique, qui se traduit en particulier par la participation de représentants religieux dans divers comités, où ils apportent une contribution en matière d’éthique32. L’État laïque peut reconnaître une certaine utilité aux religions, surtout si elles sont capables de collaborer, comme contributrices de paix sociale, mais aussi comme ressources d’éthique et de sens. Marcel Gauchet souligne cette nouvelle vision des identités religieuses, dans un contexte de désenchantement du politique : « La mutation fondamentale de la politique démocratique tend à réinsuffler [aux identités religieuses] une dignité et une utilité nouvelles, en fonction des besoins même de la sphère publique, en tant que systèmes généraux de sens, ou doctrine globale des fins » (2001 : 135). Les prises de positions plurielles (sur l’éthique, sur la paix, sur le « vivre ensemble ») rassurent le public et ont plus d’impact, même s’il est nécessaire de nuancer selon les cas s’il s’agit de géopolitique, de social, d’éthique et d’en apprécier la pertinence, ainsi que les difficultés (Lamine 2004 et 2005). Cependant, ces « affaires de foulard » montrent une forme de retour à la « laïcité-combat », non suivant des options anti-cléricales, comme pendant la première moitié du XXe siècle, mais « selon des conceptions radicales révélant la difficulté de penser la pluralité culturelle. De plus en plus la laïcité est comprise non comme un principe de droit constitutionnel, mais comme une valeur de la République française » (Koubi, 1998 : 577). Le passage du principe de droit constitutionnel à une valeur constitutive de la République, une valeur centrale de l’identité nationale, face à la diversité culturelle, voilà ce qu’il nous faut maintenant expliciter. On a vu que la première « affaire de foulard » remonte à l’automne 1989, ce qui ne signifie pas que la question ne s’était pas posée avant, dans d’autres établissements scolaires, mais elle n’avait pas été médiatisée. Soulignons aussi que les médias ne mentionnent nullement que cette affaire est aussi liée Les foulards et la République à des négociations difficiles pour que des enfants juifs assistent aux cours du samedi matin. Cette première affaire de foulard se déclenche au moment où la France achève une année de célébration du bicentenaire de sa Révolution. On est alors au début d’une période d’« effervescence du débat public autour de l’identité nationale ». Le thème de l’intégration mis en avant par le gouvernement de gauche est « repris de façon critique et polémique, dans un discours référé à la “nation” et aux “valeurs de la république” » (Lorcerie, 1994 : 245). Dans ce débat, des intellectuels contribuent à réhabiliter un « nationalisme républicain » de gauche ou du centre. Dans ce contexte, l’avis du conseil d’État de 1989 apparaît comme décalé par rapport à une fraction importante des positions politiques, intellectuelles ainsi que de celles des acteurs concernés, le monde enseignant. Il « vient contredire la conception sociologiquement dominante du religieux dans la société » qui voudrait que la laïcité soit « l’appareil d’illégitimation de l’affirmation publique des appartenances religieuses en général et de la religion de l’autre en particulier » (Césari, 2001 : 128). De plus, la visibilité que peut prendre l’appartenance islamique bouscule la frontière entre privé et public. Un sondage publié le 30 octobre 1989 indique que 50% des Français ont peur de l’islam et que 60 % considèrent que l’affaire des foulards résulte d’« une manipulation des extrémistes islamiques »33. À la différence des enseignants, les élèves ne sont pas gênés par les signes religieux que peuvent porter leurs camarades. Un second sondage, réalisé auprès des 12-17 ans, montre que 72 % des adolescents (contre 24 %) ne trouvent pas choquante l’affirmation d’appartenance religieuse par des signes extérieurs, comme le foulard islamique, la croix ou la kippa34. À contre-courant de cette approche normative majoritaire, l’avis du Conseil d’État de 1989 propose une interprétation libérale de la laïcité et de sa mise en œuvre. Rappelons qu’il stipule que le principe de la liberté religieuse permet de porter des signes d’appartenance mais qu’aucun prosélytisme et aucun manquement à l’obligation scolaire ne peut être accepté. Il privilégie donc le cas par cas, et surtout le comportement de l’élève. David Kessler, membre du Conseil d’État, qui a eu la responsabilité au sein du Conseil de proposer une analyse de la situation, une solution aux questions posées et une formulation de l’avis, donne son appréciation sur le sens du foulard. Il affirme que : « fondée ou non, l’incrimination du foulard comme marque d’abaissement de la femme suppose une interprétation du signe religieux ». Il considère en cela que le foulard est différent de la croix gammée, dont le symbolisme est immédiat, et qui, du fait de l’histoire récente « est une provocation directe à la haine, que l’on est tout à fait fondé à interdire ». Il précise que « le foulard n’est ressenti comme une agression contre la dignité féminine que moyennant toute une reconstruction à partir de ce que l’on sait de la religion et de la civilisation islamique ». Il souligne encore qu’il lui paraît évident et que « c’est en tout cas l’avis du Conseil d’État que ni l’administration ni le juge ne peuvent s’immiscer dans de telles considérations » (Kessler, 1993). On a vu que pendant les années suivant cet avis, plusieurs arrêts permettent d’asseoir une jurisprudence. Cette période apparaît rétrospectivement, comme « un grand moment d’interprétation jurisprudentielle de la laïcité scolaire » (Lorcerie, 1996). Cette approche de la laïcité va être vigoureusement et régulièrement remise en cause, dans le débat public, par des propositions de projets de loi et surtout par la circulaire ministérielle de 1994. L’entrée de plus en plus visible de l’islam dans l’espace religieux français perturbe « un équilibre considéré jusque-là comme stable entre les trois grands principes qui sous-tendent la laïcité : l’unité républicaine, le respect du pluralisme et la liberté de conscience. Désormais la part accordée à chacun d’entre eux suscite débats et controverses » (Césari, 2001 : 130). Ces évolutions se jouent, comme on l’a vu, dans un contexte marqué politiquement par un poids important du parti d’extrême-droite, et socialement par la peur de l’islamisme, par le développement d’un « antisémitisme de banlieue » en écho au conflit israélo-palestinien et par un profond malaise du monde enseignant. Dans 161 un tel contexte, les signes religieux passent du statut de fait social à celui de problème politique. Le débat public, en particulier dans les médias, renvoie à la peur d’une religion inassimilable, d’un islam activiste qui gagnerait de plus en plus de terrain, ainsi qu’à la peur du repli identitaire. Les jeunes des banlieues, qui sont implicitement les jeunes Maghrébins et donc les jeunes musulmans, apparaissent comme une nouvelle classe dangereuse. La dénonciation de leurs déviances prend des proportions importantes et fait l’objet d’une généralisation inquiétante qui ne soulève que peu de discussion35. La République, l’unité nationale sont perçues comme mises en danger. Si le débat sur la laïcité reste avant tout centré sur l’école, il s’élargit et inclut le monde du travail et celui de l’hôpital. Par ailleurs, la demande d’une position juridique ferme, émanant du monde enseignant, qui vienne – au moins sur ce point – les soutenir dans leur autorité, est beaucoup moins coûteuse à satisfaire par le gouvernement que leurs autres revendications. L’évolution dans la perception de la laïcité peut encore être éclairée par la méthode de travail des deux commissions, Debré et Stasi, qui ont produit des rapports sur la laïcité, et dont les débats ont eu de larges échos dans les médias. Quelles sont les personnes qui ont été interviewées ? Qui prononce l’expertise ? Quels discours sont tenus sur la laïcité ? Les deux commissions sont très différentes dans leur composition : des députés dans la commission Debré et des « sages » dans la commission Stasi. La première est donc plus directement politique et la seconde plus savante. Les deux ont auditionné un grand nombre de personnes. Le choix des personnes de terrain est éloquent, l’une comme l’autre ont choisi de rencontrer des personnes ayant des difficultés et considérant qu’une législation autoritaire est nécessaire : en milieu scolaire mais aussi dans d’autres lieux comme l’hôpital, alors qu’aucune place n’était faite aux acteurs qui trouvaient des solutions, par la négociation, l’adaptation ou la réglementation. Notons que pendant cette période, suite à des articles de presse faisant état de difficultés dans le cadre hospitalier, lorsque certains époux musulmans refusent que leur femme soit soignée par un homme, des responsables hospitaliers ont réagi pour souligner le caractère exceptionnel de ces situations36. Dans ces commissions l’expertise sur l’islam est assurée par des spécialistes de l’islamisme politique ou par des acteurs de terrain, qui par leur position ont une vision très critique de toute pratique religieuse intensive, qu’il s’agisse de la médiatrice du ministère de l’éducation, ou encore de la présidente de l’association « Ni putes ni soumises », luttant contre la violence en banlieue. La commission Debré auditionne aussi longuement le directeur des Renseignements Généraux, qui tantôt affirme différencier les groupes « orthodoxes » des groupes extrémistes, tantôt joue sur l’ambiguïté, pour amalgamer les premiers aux seconds. Un membre de la commission met aussi sur le même plan la demande d’un jour de congé pour une fête religieuse et le non-respect d’un professeur juif, comme signe d’extrémisme37. En ce qui concerne la commission Stasi, il est surprenant que malgré la présence importante d’universitaires, les sages n’aient eu recours à aucune enquête préalable, afin d’obtenir des éléments chiffrés sur la fréquence des problèmes posés par les signes religieux dans les établissements scolaires, ou par des demandes spécifiques dans des hôpitaux. Aucune information ne permet d’analyser ces problèmes de manière un peu systématique, ni de voir de quelle manière d’autres établissements les ont résolus. Quant aux femmes voilées, elles ne sont reçues (deux) que lors de la dernière séance d’audition. Pourtant, dans les débats, leur voile pose problème bien au-delà du cadre scolaire, à l’hôpital, dans le monde du travail et même parfois dans les services publics. La lecture du rapport fait apparaître une rhétorique de laïcité apaisée « attentive aux sensibilités nouvelles », alors que de nombreux exemples ou allusions font état d’une laïcité mise en danger de multiples manières. Les termes « violence » et « menace » apparaissent alors fréquemment. Des groupes musulmans sont cités à de nombreuses reprises dans des termes comme « groupes communautaristes politico-religieux », « acti- 162 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre” vistes politico-religieux », « groupes organisés qui testent la résistance de la République », « minorités activistes » sans qu’ils ne soient jamais identifiés. Comme dans le rapport Debré, on ne distingue pas l’orthopraxie musulmane de l’extrémisme religieux, ni les faits isolés des faits répétés. Des situations dont on a pu savoir par ailleurs qu’elles étaient uniques ou se comptaient sur les doigts d’une main se trouvent présentées dans les deux rapports comme si elles étaient généralisées ou du moins nombreuses. Les deux rapports montrent bien une laïcité assiégée, qui ne peut plus être protégée que par le recours à une loi. Une telle loi pose cependant un certain nombre de questions. La première est la déscolarisation des jeunes filles, qui a peu été abordée dans les débats38 ainsi que le fait qu’à rigorisme religieux équivalent, seules les filles sont touchées, bien que l’égalité des sexes ait beaucoup été invoquée comme raison d’interdire le voile. Le risque de stigmatisation des musulmans est important, il a souvent été invoqué par les non-prohibitionnistes. Une autre conséquence de ces dispositions est de focaliser les organisations musulmanes orthodoxes sur l’orthopraxie et sur la défense des jeunes filles, au détriment de débats internes et avec la société. Enfin, le foulard détourne d’autres questions de société : les discriminations raciales et ethnico-religieuses. Alors qu’au moment de la première affaire de voile, en 1989, on célébrait la République avec le bicentenaire de la Révolution, le gouvernement ouvrait la porte à une conception libérale de la laïcité scolaire. Quinze ans plus tard, en 2004, la situation a complètement changé, on craint pour la laïcité, pour plusieurs raisons. D’abord, on se rend compte avec l’Europe que le modèle français n’est pas universel et qu’en plus, des contraintes pourraient lui être imposées par les dispositifs communautaires comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ensuite, l’intégration ne tient pas ses promesses, la ségrégation liée à l’habitat social produit des quartiers ethniques et des établissements scolaires ethniques. Dans un contexte de réaffirmation des identités religieuses, l’islam devient davantage un référent identitaire permettant Anne-Sophie Lamine de retourner le stigmate, le plus souvent en se pensant à la fois musulman et français, mais dans certains cas en repli sur un groupe communautaire et en opposition avec la société. Enfin, la pérennisation du conflit israélo-palestinien se transpose en France, renforcé par l’identification de certains jeunes musulmans aux Palestiniens et de l’attachement de nombreux juifs français à Israël. Ce conflit se transpose par des actes et des paroles antisémites d’un côté et par une condamnation globale des musulmans de l’autre côté. Dans ce contexte, la laïcité, qui était auparavant davantage un dispositif juridique de neutralité et d’égalité des cultes, devient la valeur républicaine par excellence et prend une place centrale dans l’identité française. Dès lors, montrer trop visiblement son appartenance religieuse devient équivalent à ne pas « respecter la laïcité » et est considéré comme une forme de mise en cause du « vivre ensemble républicain », quel que soit le degré d’attachement citoyen et national. 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Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkelkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler. En 2001, Jack Lang, ministre de l’éducation, demandera à R. Debray un rapport sur l’enseignement du fait religieux. 4. Revue Française de Science Politique, 41/1, 48-49 ou conseil-etat.fr/ce/rappor/index_ra_cg03_01.shtml (consulté le 06/10/05). 5. Arrêt « Kherroua et autres », 2 novembre 1992. Un arrêt semblable est rendu, « Yilmaz », le 14 mars 1994. 6. Entre septembre 1989 et septembre 1994, 5 propositions de lois relatives à la laïcité sont déposées au Sénat ou à l’Assemblée Nationale (Koubi, 1998 : 578). En 1993, la majorité passe à droite et le gouvernement change. 7. Arrêt Aoukili, 10 mars 1995. 8. Le terme « orthodoxe » est ici employé pour désigner les organisations religieuses ayant une pratique intensive de la religion, mais membres du Conseil Français du Culte Musulman (comme l’UOIF et la FNMF). Les prohibitionnistes les qualifient d’intégristes ou de fondamentalistes. 9. HCI, 2001. Le rapport mentionne néanmoins que « l’inégalité sexuelle que dénote implicitement le port du foulard est en désaccord avec la norme sociale en vigueur dans notre pays » (p. 77). 10.Emmanuel Brenner, Les territoires perdus de la république, 2002, Paris, Mille et une nuits. 11.Le recteur considère que le conflit était mené par « un groupe d’une vingtaine d’enseignants très engagés, du côté de l’ultra-gauche, voire au-delà, qui n’étaient pas fâchés de mettre l’institution en difficulté sur ce sujet » (Audition, La laïcité à l’école, Rapport de la Mission parlementaire sur les signes religieux, t.2, 2003, p. 51). 12.Les élections du Conseil Français du Culte Musulman ont eu lieu peu avant, les 6 et 13 avril, et ont été un succès pour les organisations les plus « orthodoxes », la FNMF arrivant en premier et l’UOIF en second, alors que la mosquée de Paris qui était auparavant considérée comme l’interlocuteur officiel n’arrive qu’en troisième. 13.Texte du discours sur http://religioscope.info/article_143.shtml (consulté le 06/10/05). 14.Paris, Palais Omnisport de Bercy, 03/05/03 (observation). 15.Pour une nouvelle laïcité, 24 pages, www.dialogue-initiative.com/site/dossiers (consulté le 06/10/05) ; publié in extenso par le Le Figaro Magazine, le 24/05/03. 16.Elle organise 24 séances d’auditions entre le 11 juin et le 19 novembre. 17.Assemblée Nationale, 2003 (t. 1, 172 p. et t. 2, 658 p. avec transcription des auditions) et www.assemblee-nationale. fr/12/dossiers/laicite.asp#haut (consulté le 06/10/05). 18.Entre le 9 septembre et le 8 décembre, la commission Stasi organise 17 séances d’auditions publiques pendant lesquelles elle entend 91 personnes, et 8 séances à huis clos (64 personnes). 19.Supplément de 8 pages dans Le Monde ; http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000725 /0000.pdf (consulté le 06/10/05) et sous forme de livre (Commission présidée par Bernard Stasi, 2004). 20.Trois jours avant la remise du rapport Stasi, des représentants catholiques, protestants et orthodoxes adressent au Président Chirac un appel commun contre une loi sur les signes religieux, en plus de prises de positions spécifiques d’autorités catholiques et protestantes. Le grand rabbin de France affirme que « la loi, le règlement [est] un moyen bien médiocre de traiter la laïcité ». Divers responsables musulmans s’expriment aussi contre le projet de faire une loi et le CFCM publie une lettre ouverte pour exprimer « sa vive inquiétude » devant les « dispositions discriminatoires à l’égard des musulmans ». Au moment où des manifestations de rue ont eu lieu contre le projet de loi, les organisations musulmanes n’ont pas manifesté d’engagement collectif, à l’exception d’un groupuscule alsacien. D’une manière générale, les responsables évitent le conflit avec les pouvoirs publics. 21.Elisabeth Roudinesco (psychanalyste et directrice de recherche à l’Université de Paris VII), « Le foulard à l’école, étouffoir de l’altérité », Libération, 27/05/03. 164 Revue des Sciences Sociales, 2006, n° 35, “Nouvelles figures de la guerre” 22.www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/laicite.asp (consulté le 06/10/05). 23.Pour la première fois un candidat d’extrême-droite (J.-M. Le Pen) se qualifie pour le second tour de l’élection avec 16,8 % des suffrages exprimés face à J. Chirac (19,9 %). Cet événement suscite une forte mobilisation républicaine qui se traduit par de nombreuses manifestations (le 1er mai, près d’un million et demi de personnes défilent dans les rues contre Le Pen). Au second tour, le Président sortant est réélu avec 82,2 % des suffrages (avec un fort report des votes des électeurs de gauche) contre 17,8 % pour Le Pen. 24.Il ne sera pas le seul. Les prisons sont un lieu de diffusion de l’islamisme radical. L’absence d’institution centralisée de l’islam en France est la raison invoquée pour ne pas embaucher d’aumôniers musulmans, mais laisse le champ libre à des extrémistes. Les aumôniers musulmans seraient 44, dont seulement 4 à temps plein, contre 460 catholiques, alors que la population carcérale d’origine maghrébine serait de l’ordre de 50% des détenus (Le Monde, 31/10/01, voir aussi Khosrokhavar, 2004) 25.Au plus fort de la crise, l’Observatoire du Monde Juif recense 120 actes pour le seul mois d’octobre 2000. 26.La majorité des actes et propos sont le fait de jeunes d’origine maghrébine. On ne peut cependant pas en déduire que ces jeunes partagent globalement une image négative du judaïsme. En effet, un sondage a montré que les jeunes d’origine maghrébine ne sont pas plus antisémites que la moyenne des français (sondage SOFRES-Nouveau Mensuel, 2000, www.tns-sofres.com/ etudes/pol/120302_juifs_n.htm, page consultée le 06/10/05). 95% d’entre eux considèrent même que les juifs ont le droit de vivre leurs coutumes sans risquer d’être pris à parti, contre seulement 88% de l’ensemble des jeunes ; ils condamnent les actes de dégradation des lieux réservés au juifs quasi-unanimement (86% contre seulement 75% au sein de l’ensemble des 15-24 ans). A contrario, les jeunes originaires du Maghreb sont «tout à fait ou plutôt d’accord» à 35%, 38% et 24% pour affirmer que les juifs ont trop d’influence respectivement dans les domaines de l’économie, des médias et de la politique, contre seulement 22%, 21% et 18% pour l’ensemble des jeunes. 27.Sondage IFOP- Le Monde - La Vie – RTL, « Le rejet de l’islam et l’attrait de la France », Le Monde, 30/11/89. Anne-Sophie Lamine 28.« À Clermont-Ferrand, le foulard islamique est jugé en soi ostentatoire », N. Herzberg, Le Monde, 08/04/95. 29.Sondage IFOP – Le Monde – Le Point – Europe 1 paru le 05/10/01, réalisé auprès de deux échantillons de 940 personnes pour le 1er groupe (population française) et de 548 personnes pour le 2e groupe (de familles d’origine musulmane et habitant en France) (www. ifop.com/europe/sondages/OPINIONF/ islam.asp, consulté le 06/10/05). 30.S. Kada est présidente de Femmes Françaises Musulmanes et Engagées (assurant des cours aux adolescentes déscolarisées) et membre du collectif lyonnais DiverCité. D. Bouzar est chargée de mission de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, anthropologue, et ancienne membre nommée du Conseil Français du Culte Musulman dont elle a démissionné en janvier 2005. 31.Elles correspondent aux « accommodatrices » de N. Venel. Les foulards et la République 32.Comité National d’Ethique et des sciences de la vie (1983), Comité national du sida (1989), Haut Conseil à l’intégration (1990). En outre, l’État a fait appel à trois représentants (catholique, protestant, franc-maçon), pour une mission de médiation en Nouvelle-Calédonie (1988). 33.Sondage IPSOS – Le Point, « L’opinion des Français », Le Monde, 31/10/89. 34.Sondage IPSOS – Le Journal du Dimanche, ibid. 35.Le livre déjà cité (note 11) comportant des témoignages de professeurs ayant de grandes difficultés à enseigner la Shoah à des jeunes d’origine maghrébine est tout à fait emblématique de ce mouvement. Ce livre révèle des difficultés graves et inquiétantes, du point de vue des relations interethniques et des affirmations identitaires. Cependant les commentaires concernant les jeunes relèvent d’un discours d’incompatibilité essentielle de ces jeunes avec l’espace républicain. Un tel essai aurait pu susciter des enquêtes pour quantifier l’ampleur de ce phénomène, ses diverses modalités ainsi que pour analyser les réactions éducatives et les expériences visant à l’éviter. Or, il est apparu comme une étude de référence pour divers acteurs de ce débat sur la laïcité. 36.« Selon les médecins de Bichat, les cas sans solution sont assez rares », Libération, 19/12/03. 37.2e partie du tome II, p. 83 sq. 38.De plus, nombre d’entre elles ont eu des difficultés pour s’inscrire au Centre National d’Enseignement à Distance, sans mentionner la difficulté des études solitaires. 165