"Folle (3e) journée", de Francesco Tristano à

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"Folle (3e) journée", de Francesco Tristano à
Date : 31/01/2015
Heure : 10:23:51
Journaliste : Bertrand Renard
culturebox.francetvinfo.fr
Pays : France
Dynamisme : 46
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"Folle (3e) journée", de Francesco Tristano à Richard Galliano
Richard Galliano Sextet joue Bach à Nantes
© Photopqr/Ouest France
Je ne vous raconterai aujourd'hui ni les enfants ni la ville de Nantes ni les coins de ciel bleu revenus. Mais
de la pure musique, du marathon bien musical. En six artistes.
Tristano et la techno
Le premier, Francesco Tristano. Veste noire, boucles brunes, chemise blanche, foulard noir négligemment
noué, il nous salue, les mains en position bouddhiste. Citoyen du monde. Né à Luxembourg, racines
italiennes, études à New-York, à Bruxelles, à Paris, à Riga. Prix du concours de piano contemporain
d'Orléans. Il s'appelait au début Francesco Tristano Schlimé.
Si la jeune génération de musiciens a évidemment des goûts musicaux éclectiques (rock, jazz, etc), lui les
applique. Joue avec le DJ Carl Cox, fait des interventions dans des soirées techno. Mais par ailleurs est un
fondu de Bach ou d'auteurs encore plus anciens. Son programme du jour (il est onze heures du matin) : une
« Wasserklavier » de Luciano Berio liquide, concise, poétique, étonnante. Une œuvre de lui, « Nach Wasser
noch Erde » qui relève de la musique répétitive : à la main droite une cellule mélodique variant parfois d'un
demi-ton, à la main gauche l'improvisation, la broderie dans toutes les parties du clavier. Beau et intelligent.
Un John Cage « In a landscape », paysage nu, dépouillé, réduit à quelques accords.
Au milieu une merveille, l'Adagio du 3e concerto de Bartok dans une version pour piano seul: Tristano y
dévoile ses dons, la poésie, la clarté de toucher, le sens des climats. Il remercie, s'en va, un léger sourire
aux lèvres, assez prince de la Renaissance.
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Francesco Tristano © EFE/Maxppp
Les amours malheureuses de Janacek
Le quatuor Prazak s'est spécialisé cette année dans les histoires tragiques: « 2e quatuor » de Janacek,
sous-titré: «Lettres intimes ». Les lettres musicales (les notes sont les lettres des musiciens, disait hier
Claire-Marie Le Guay aux enfants) d'un septuagénaire fou d'amour pour une jeunette de trente ans, Kamila
Stosslova, qui le dédaigne, évidemment. Un Janacek de fin de vie plus âpre, plus violent encore dans son
écriture, et désespéré et plein de colère.
La connexion tchèque de Janacek et des Prazak les rend plus convaincants qu'avec l'autre histoire qu'ils
nous racontent : l'amour, impossible aussi, de l'Autrichien Alban Berg, quadragénaire, pour la jeune Hanna
Fuchs, devenu cette « Suite lyrique » que j'ai toujours trouvée un peu longuette mais c'est son écriture
dodécaphonique qui fait sans doute qu'elle me touche moins. Ni les Prazak apparemment.
Un Schumann amoureux fou de Clara
Enfin une histoire heureuse. Celle des « Etudes symphoniques » (en fait un thème et des variations) d'un
Schumann amoureux fou lui aussi, de Clara. Bouquet de moments poétiques ou trépidants qui respirent le
parfum forestier des chevauchées d'automne. Laloum en maîtrise les moindres changements d'humeur, il
nous avait donné un disque Schumann magnifique il y a deux ans, on attend qu'il le renouvelle. Et toujours,
chez lui, cette touchante modestie, ce doute qui, probablement, le fait aussi avancer à pas de géant.
Le « Trio » de Tchaïkowsky, composé en hommage à son ami défunt Nikolaï Rubinstein (un « Tombeau »
aurait-on dit à l'époque baroque) La douleur du compositeur est si intense (et le résultat si poignant) qu'on
a soupçonné entre eux un peu plus que de l'amitié. Le résultat: un des plus longs trios du répertoire, une
invention mélodique incroyable, trois instruments qui pleurent ensemble ou à tour de rôle à leur manière et
un jeune violoniste russe, Ivan Pochekin, qui trouve sa place entre Boris Berezovsky et Henri Demarquette
dont la complicité n'a cessé de grandir depuis la mort de Brigitte Engerer, eux qui étaient ses partenaires
préférés.
« On veut Kremer »
Bach. Par Gidon Kremer. Enfin pas tout de suite. Dans le 1er concerto pour violon c'est Andras Keller qui s'y
colle. Keller est très bien mais on a envie de crier « On veut Kremer, on veut Kremer ». Le voilà enfin dans
une œuvre du Géorgien Giya Kancheli. Musique répétitive. La musique répétitive, on a l'impression qu'elle
ne démarre jamais. Puis une transcription d'un concerto pour clavier de Bach, et Kremer enfin en majesté au
milieu des cordes de son orchestre en pizzicatos bien sages et puis tout à coup grondantes, détimbrées, la
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première violon partant en vrille. Très gonflé mais Bach aurait aimé. Il aurait aimé aussi l'autorité de Kremer
et Keller dans le « Concerto pour deux violons » mais la partie principale n'est pas attribuée à Kremer. Ah!
ces stars qui refusent de l'être!
Un Richard Galliano concertiste classique !
Je ne suis pas spécialiste du jazz, je me réjouissais donc de découvrir Richard Galliano. Oui mais… je n'avais
pas lu : Galliano et Bach. Galliano entre avec son excellent Sextet et se met à jouer, lunettes sur le nez, le
même concerto pour violon (en plus je préfère nettement sa version à l'accordéon à celle de Keller avec
son vrai violon!), puis le «Concerto pour violon et hautbois » (l'accordéon fait le hautbois, Bertrand Cervera
tenant le violon) et diverses pièces de Bach dont deux hyper-célèbres avec un accornica (un harmonica
avec des touches d'accordéon !) Bref rien de jazz mais du Bach par des jazzmen de talent qui ont l'air tout
content (et ils ont bien raison) de se frotter à une autre forme de musique. Bach a toujours été une idole
chez les musiciens de jazz.
Plusieurs bis délicieux, tout de même, valse-musette, tango en hommage à son ami Nougaro (à qui Galliano
ressemble de plus en plus), « La javanaise » de Gainsbourg que nous reprenons en chœur. Et « Oblivion »
d'Astor Piazzola :là nous quittons enfin le grand monsieur à perruque en route pour l'église Saint-Thomas
pour nous retrouver dans une rue mal éclairée de Buenos Aires, derrière nous dans l'ombre le claquement
de talons hauts.
Après ces agapes musicales il est temps d'aller manger des huîtres.
Les concerts auxquels je n'aurai pas assisté ce vendredi : Anne Queffélec dans le 2e concerto de Chopin,
Ophélie Gaillard dans les suites pour violoncelle de Bach, le programme d' « Hommage à Glenn Gould »
de Gidon Kremer et de sa Kremerata Baltica. Et la visite du Quatuor Modigliani dans une maison de retraite
médicalisée de Nantes pour proposer aux pensionnaires un concert Haydn et Mozart. La «folle journée »
c'est aussi cela.
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