Le château de Saint-Clair-sur-Epte à l`époque du duché
Transcription
Le château de Saint-Clair-sur-Epte à l`époque du duché
Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 HAUTE-NORMANDIE ARCHÉOLOGIQUE BULLETIN N° 11 fascicule 2 2006 Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie - Société Normande d’Etudes Préhistoriques Hôtel des Sociétés Savantes, 190 rue Beauvoisine, 76000 Rouen 1 Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 3 SOMMAIRE Véronique LE BORGNE, Jean-Noël LE BORGNE, Gilles DUMONDELLE et Renée ROUSSEL : Trente ans de prospection aérienne au sein d’Archéo 27. La genèse d’une recherche, son aboutissement actuel : les cartes de communes informatisées p. 5 Véronique LE BORGNE, Jean-Noël LE BORGNE, Gilles DUMONDELLE : Bilan des activités de l’année 2006 de l’équipe de prospecteurs aériens (Archéo 27) dans le département de l’Eure p. 11 Christophe COLLIOU et François PEYRAT : Proposition et expérimentation d’un four de réduction de minerai de fer en ventilation naturelle p. 15 Dominique CLIQUET, Jean-Pierre LAUTRIDOU, Briagell HUET, Sébastien HEBERT : Le site du Long-Buisson, à Evreux (Eure) : une succession des Paléolithique inférieur et moyen p. 23 Dominique CLIQUET et Bruno AUBRY : Les stratégies de production sur le site paléolithique moyen de Mont-SaintAignan (Seine-Maritime) p. 37 Dominique CLIQUET et Jean-Pierre LAUTRIDOU : Une occupation de bord de berge il y a environ 350 000 ans à SaintPierre-lès-Elbeuf (Seine-Maritime) p. 49 Jean-Pierre WATTE et Gérard VAUDREL : Un polissoir fixe à Veulettes-sur-Mer (Seine-Maritime) p. 59 Jean-Pierre WATTÉ et Gérard VAUDREL : Une hache bipenne naviforme en Haute-Normandie, à Veulettes-sur-Mer (Seine-Maritime) p. 69 Vicenzo MUTARELLI : Le théâtre romain de Lillebonne à travers l’histoire : mutations d’un édifice de spectacle du Ier au XXIe siècle p. 75 Laurent GUYARD et Sandrine BERTAUDIERE : Le grand sanctuaire central du Vieil-Evreux (Eure) : résultats des fouilles 2005-2006 et perspectives 2007-2009 p. 83 Frédérique JIMENEZ, Florence CARRÉ, Serge LE MAHO : Une sépulture exceptionnelle à Louviers à la charnière des Ve et VIe siècles : réflexion autour de la restitution p. 95 Jean-Yves LANGLOIS : L’église mérovingienne et l’église abbatiale de moniales cisterciennes de Notre-Dame-deBondeville (Seine-Maritime, Haute-Normandie) p. 99 Nicolas ROUDIE et NICOLAS WARME : Léry (Eure), rue du 11 novembre et rue de Verdun. Bilan provisoire des fouilles de 2006 p. 109 Aude PAINCHAULT : Le château de la « Butte au Diable » à Maulévrier-Sainte-Gertrude (Seine-Maritime) Gilles DESHAYES, Sébastien LEFÈVRE, Jimmy MOUCHARD d’Harcourt » à Corneville-sur-Risle (Eure) p. 115 p. 111 avec la collaboration d'Erwan LECLERCQ : Le « Fort Bruno LEPEUPLE : Le château de Saint-Clair-sur-Epte à l’époque du duché de Normandie p. 119 Gilles DESHAYES et Bruno LEPEUPLE : La cave à cellules latérales du château de Hacqueville (Eure) p. 125 Jens Christian MOESGAARD : Découvertes de monnaies médiévales et modernes à Notre-Dame-de-Bondeville p.129 David JOUNEAU, Mark GUILLON, Rozenn COLLETER, Noémie ROLLAND, Nicolas KOCH : Le site de Saint-Crespin, à Romilly-sur-Andelle (Eure). Fouilles 2005-2006 p. 131 David JOUNEAU : Le site de Sainte-Radegonde (Eure). Fouilles 2006 p. 133 Patrick SOREL : Essai d’interprétation de vestiges archéologiques de moulins à eau : Saint-Wandrille-Rançon (SeineMaritime) et Pennedepie (Calvados) p. 137 Bruno DUVERNOIS : Harfleur (Seine-Maritime), la Porte de Rouen : sondages archéologiques et étude des élévations. Campagne 2006 p. 139 Alain ALEXANDRE : La sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine industriel. L’exemple de la vallée du Cailly (SeineMaritime) p. 141 En couverture : Notre-Dame de Bondeville, fouille de l’église mérovingienne (Jean-Yves Langlois, ce volume) Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 119 23 LE CHÂTEAU DE SAINT-CLAIR-SUR-EPTE À L’ÉPOQUE DU DUCHÉ DE NORMANDIE. Bruno LEPEUPLE Le village de Saint-Clair-sur-Epte est avant tout connu pour avoir accueilli, en 911, la rencontre entre Charles III le Simple et Rollon. À la suite de cette entrevue, acte de naissance de la Normandie, le Vexin a été séparé en deux, français à l’est et normand à l’ouest. Situé aux limites occidentales du Val-d’Oise, Saint-Clair-sur-Epte est une porte du Vexin français ; sa situation, en bordure de l’Epte, en fait également un carrefour important, à la rencontre de la rivière et de la voie antique Paris Rouen. Saint-Clair est même le centre du Vexin lorsqu’on le considère dans ses limites médiévales, encadré par les vallées de la Seine, de l’Andelle et de l’Oise, puis par la dénivellation de la falaise de Bray au nord. Fig. 1. Saint-Clair-sur-Epte. Le site du château vu du nord-ouest (cliché C. Toupet, SDAVO, 1994). Les descriptions du site sont souvent sommaires, à l’image des deux fragments de ruine visibles aujourd’hui. À une centaine de mètres du cours de l'Epte, en contrebas du village, dans une prairie humide drainée par de multiples canaux. On distingue deux éléments, une porte et une tour situées à 50 mètres de distance l'une de l'autre. De très légers mouvements de terrain signalent la présence de fossés vers le nord, mais ces traces sont trop fragmentaires pour restituer leur emprise complète. À l'ouest, la porte est constituée de deux murs parallèles de moellons de calcaire reliés par une voûte dans laquelle est ménagé un passage de herse. L’extérieur a été reparementé avec deux tourelles pleines hexagonales faites de pierres calcaires bien équarries. À l'est, la tour est de plan semi-circulaire et occupe quatre mètres de diamètre, elle possède deux départs de murs dans les directions est et ouest. La tour présente des matériaux tout à fait semblables à la porte, toute son élévation extérieure, vers le nord, est constituée de moellons de calcaires. Une seconde phase, caractérisée par le même appareil que les tourelles hexagonales, voit la fermeture de la tour vers l’intérieur. La première mention du château de Saint-Clair-sur-Epte remonte à l'année 1118, Orderic Vital nous rapporte que Henri Ier Beauclerc, roi d’Angleterre et duc de Normandie, a pris le château de Saint-Clair, l'a gardé longtemps contre Otmond de Chaumont en menant des pillages le long de la frontière et en infligeant de grosses pertes aux 24 Français . Des faits de guerre apparaissent encore au cours du XIIe siècle, mais le château n’est pas 23 Ce sujet a déjà fait l’objet d’une publication dans le Bulletin Archéologique du Vexin français : Lepeuple B., 2005, « Le château de Saint-Clair-sur-Epte dans le contexte frontalier franco-normand, Xe-XIIe siècles », B.A.V.F., n° 37, Centre de Recherches Archéologiques du Vexin Français, Guiry-en-Vexin, pp. 57-68. 24 Orderic Vital, Historia ecclesiastica, éd. et trad. Chibnall M., 6 tomes, Clarendon Press, Oxford, 1969–1980, livre XII, p. 184 : « Henricus autem castrum Sancti Clari sirripuit, diuque contra Odmundum aliosque collimitaneos predones tenuit, et Gallos multus grauauit. » 119 Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 120 explicitement cité. En septembre 1188, le comte Guillaume de Mandeville a brûlé Saint-Clair, le chroniqueur, 25 Raoul de Diceto, précise que le jardin que le roi de France y avait installé a été dévasté . Le château est donc antérieur à 1118 et est actif militairement au cours du XIIe siècle, il doit perdre de l’importance après 1193, quand le roi de France prend Château-sur-Epte et s’avance à travers le Vexin normand et le long de la Seine. La guerre 26 de Cent Ans entraîne la fin de la forteresse qui est détruite en 1431 . Au niveau de la porte, les datations avancées jusqu’à maintenant ne peuvent être plus précises, la seconde moitié du XIIe siècle est cependant privilégiée en raison du système de herse aménagé dès la première phase de construction et qui se répand sous cette forme à cette période. Les tourelles hexagonales, postérieures, sont semblables à un aménagement que 27 l'on voit à la Porte du Prévost, à Thouars, que Jean Mesqui date de la fin du XIIIe siècle . En outre, un arrêt du Parlement daté de 1267 évoque des constructions neuves à Saint-Clair-sur-Epte, dont des portes élevées par 28 Jean de Saint-Clair alors que l'interdiction lui en avait été faite . Rien ne prouve qu'il s'agit de la porte qui nous occupe, mais il est possible que son réaménagement rentre dans cette phase de construction évoquée en 1267. L’état actuel du site ne permet donc pas d’identifier les structures du château mentionné en 1118. Le site est cependant bien plus étendu que les deux éléments existants ne le laissent supposer. Lors de l’exposition Les châteaux normands de Guillaume le Conquérant à Richard Cœur de Lion et les châteaux français 29 qui leur font face , la présence d’une vaste enceinte fossoyée s’étendant vers le nord avait été signalée. Deux 30 campagnes de photographie aérienne ont de saisir l’étendue et la complexité du site. Un tracé rectiligne de 150 mètres de longueur, segment de la voie antique, apparaît entre le cours de l’Epte et les restes du château de pierre. Plusieurs fossés comblés apparaissent, de forme semi-circulaire autour des ruines, et deux grands arcs, vers le nord. À l’ouest, le cours de l’Epte emprunte trois trajectoires distinctes. À la hauteur de son contact avec le château, la rivière a été forcée sur une portion rectiligne de 200 mètres de long. Cette dérivation, associée à une chute artificielle aménagée sur la rivière, s’apparente à un bief. Reportés sur un plan, ces éléments s'accordent bien avec la trame parcellaire. L'un des deux arcs du fossé nord s'aligne avec le ru du Cudron qui forme un coude avant de rencontrer ce fossé, puis de rejoindre un bras de l'Epte. Ce ru, aujourd'hui large de 1,5 mètre, marque la limite de l'extension du village à l'ouest. Le demi-cercle qui contient les ruines maçonnées trouve un pendant sur son côté sud-est, les parcelles forment un arc fait de trois segments droits qui reproduisent le symétrique des formes observées en vue aérienne. Ces différentes données s’amalgament aisément pour restituer une partie des structures fossoyées du château. Une première enceinte circulaire, d’environ 85 mètres de diamètre d’un fossé à l’autre, prend place au plus près de la rivière, les maçonneries visibles sont toutes contenues dans son périmètre. Une vaste enceinte enveloppe la première sur ses flancs sud, est et nord ; on en perçoit une partie du tracé en U dont l’extension maximale est de 200 mètres. Cette enceinte est entourée d’un double fossé, son contact avec la rivière et son raccordement à la petite enceinte ne sont pas visibles. Quant à la voie, il faut remarquer qu'elle passe à l'intérieur des structures du château et est même vraisemblablement interrompue par la petite enceinte circulaire. Le retranchement a pour objectif évident de capter la voie et de contrôler le pont que l’on situe à la pointe de la grande île, à l’ouest du 31 village . Il apparaît évident que l’ensemble des traces visibles et décelables du château ne correspond pas à une seule et même phase d’aménagement même si on peut légitimement penser qu'elles ont connu une phase commune. Certains détails permettent d’établir une chronologie relative, au niveau des maçonneries, puis de leur rapport avec le tracé des enceintes. Le château de pierre est inscrit dans un cercle fossoyé, mais fossés et maçonneries s'accordent difficilement dans leurs plans, si le creusement avait été effectué dans le même temps que la construction du château de pierre, il aurait pris une forme polygonale qui aurait suivi le contour des maçonneries. Or, ce tracé est parfaitement circulaire et la plus grande probabilité est que l'on a édifié des murailles, à l'intérieur d'une enceinte préexistante en remplacement d’une palissade de bois. Quant aux fossés dans leur ensemble, ils ne laissent pas entrevoir de chronologie dans leurs aménagements. Textes et observations archéologiques plaident pour une première construction de pierre, dans une enceinte préexistante au cours de la seconde moitié du XIIe siècle. 25 Raoul de Diceto, Abbreviationes Chronicum, éd. Stubbs W., 2 tomes, Longman, Londres, 1876, tome II, p. 345 : « Eodem die comes Willelmus de Mandeville combussit villam de Sancto Claro, quae est de dominico regis Franciae, et vastavit virgultum pulcherrimum quem ipse rex plantaverat. » 26 Van Laethen G., 1972, : « Chronologie historique de Saint-Clair-sur-Epte », document dactylographié, ADVO. 27 Mesqui J., 1981, « La fortification des portes avant la guerre de Cent ans (Essai de typologie des défenses des ouvrages d’entrée avant1350) », Archéologie Médiévale XI, CNRS Éditions, Paris, pp. 203-229, p. 211. 28 Lévrier (Dom), 1871, Collection du Vexin, 14 volumes dont un de tables. ADVO (Reproduction du manuscrit conservé aux Archives Nationales), acte n° 1043 : « Conquerebatur Dominus Johannes de Sancto Claro de Baillivo Medante supra scripto quod idem Baillivus eidem diuerat portas suas sitas super Vicum Sancti Clari, et quasdam ecium alias portas suas quas habebat versisus campos dicte ville et petebat eas sibi restitui Baillivus vero dicebat quod ipsas portas diruerat quia cum Berengarius Rabot, tunc Baillivus Medante, inhibuisset per se vel permandatum suum, dicto Johanni velgentibus suis ne clauderet vel claudi faceret dictas portas sitas super vicum predictum, dictus Johannes cas clausit contra prohibitionem dicti Baillivi vel ejus mandati. » 29 Collectif, 1996, Les châteaux normands de Guillaume le Conquérant à Richard Cœur de Lion et les châteaux français qui leur font face, exposition du 31 mars au 29 septembre, Conseil général du Val-d’Oise, Musée archéologique départemental du Val-d’Oise, Cergy. 30 Les clichés sont de Christophe Toupet (SDAVO), ils ont été pris en 1994 et 2001. 31 Robert S., 2002, « Étude morphologique de la Chaussée Jules César dans le département du Val-d’Oise », Revue archéologique du Centre de la France, tome 41, pp. 173-186, p. 177. 120 Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 121 Fig. 2. Saint-Clair-sur-Epte. La trame parcellaire de 1813 confrontée au relevé des ruines et aux traces révélées par la photographie aérienne. Antérieure au château de pierre, la petite enceinte circulaire peut correspondre au château cité en 1118. Le contexte frontalier suggère même que la position existe dès la fin du XIe siècle : en 1096, Guillaume le Roux, roi 32 d’Angleterre, construit un château à Fuscelmont, qui deviendra Château-sur-Epte . La position en retrait du château normand par rapport au franchissement de la rivière à Saint-Clair, plus de 1500 mètres, indique que la place française était déjà fortifiée. La superposition de l’enceinte à la voie permet de supposer que le tracé en a été revu. C’est peut-être à cette période que la montée sur le plateau a été déviée vers le nord, pour éviter le 33 coteau très raide où les dernières hypothèses placent la voie antique . Le creusement du bief qui longe le château peut également être rapproché d’un texte daté de 1221, un procès qui oppose les religieux du prieuré de Saint-Clair au seigneur du lieu. Le désaccord portait sur un moulin neuf, 34 construit par Jean de Saint-Clair, au-dessus du moulin du prieur . Aucun document n'indique clairement la position de ces moulins. Néanmoins, le texte précise la localisation de l’ancien moulin « au-dessus de la chaussée ». Le nouveau moulin empêchait certainement le bon fonctionnement de celui du prieur en jouant sur le débit de la rivière ; aussi, on peut supposer qu’il s’est rapproché de la chaussée citée dans le texte, qui n’est autre que la voie antique, et donc du château. 32 Lepeuple B., 2006, « Un bourg castral du Vexin normand : Château-sur-Epte. » Château-Gaillard XXII, actes du colloque international de Voiron (Isère), 27 août – 4 septembre 2004, Publications du CRAHM, Caen, pp. 237-241, p. 238. 33 Robert S., 2002, pp. 176-177. 34 Legland-Lhomel I., 1988, « Monographie de l'église de Saint-Clair-sur-Epte en Vexin français », mémoire de maîtrise d'histoire de l'art et d'archéologie préparé sous la direction de M. Carol Heitz, Université de Paris X – Nanterre, p. 24, d'après AN S. 2351. 121 Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 122 Le grand tracé semi-elliptique est quant à lui beaucoup plus énigmatique car ses raccordements avec les autres parties du château ne sont pas évidents. Sa position, autour du point fort, pourrait indiquer une fonction de bassecour, mais les dimensions supérieures à ce que l’on rencontre habituellement sur les châteaux des XIe-XIIe siècles suggèrent de rester prudent sur la contemporanéité des deux enceintes. D’autre part, l’aménagement du bief, assez tardif, a pu effacer ces traces vers le sud-est ou encore en réaménageant les fossés existants. Le château de Saint-Clair peut être comparé à un autre site de la vallée de l’Epte qui apparaît dans les textes à la même période. À Gasny, le roi de France Louis VI le Gros a édifié un château contre lequel Henri Ier a construit 35 deux fortifications de siège dont celui de Malassy . Suger apporte quelques détails sur cet épisode et précise que Gasny, où se sont établies les troupes du roi de France, est entouré par le cours de l'Epte et présente en son 36 milieu un abri très sûr qui interdit tout passage en aval et en amont de la rivière . Ce texte fournit les éléments pour localiser le château de Gasny, à l'emplacement d'une anomalie parcellaire ovalaire, délimitée par le cours de l’Epte et coupée en son centre par la voie qui franchit la rivière, sa longueur est d’environ 200 mètres. Les formes et surtout le choix d'implantation de ce site présentent de nombreuses similitudes avec le château de Saint-Clair, ils sont tous deux situés en fond de vallée, directement accolés à la rivière qui fournit une défense supplémentaire et permet d'alimenter des fossés en eau, ils interceptent le chemin principal qui passe au travers de l'enceinte et enfin, ils présentent une extension maximale de 200 mètres. Les points de comparaison entre les deux sites sont frappants : position géographique, topographie et contexte historique. Ces deux sites ont en 37 commun d’avoir servi de refuge à des clercs qui fuyaient vers l’est devant les raids vikings . Saint-Clair-sur-Epte 38 a accueilli les reliques du saint qui ont donné son nom au village à la fin du IXe siècle . L’hypothèse d’un site qui présentait déjà une place sécurisante au haut Moyen Âge permet de jeter un regard neuf sur la rencontre entre Rollon et Charles le Simple en 911. Le texte de Dudon de Saint-Quentin indique clairement que l’entrevue s’est déroulée à Saint-Clair, que les armées franques et normandes étaient disposées 39 d'un côté et de l'autre de la rivière, et que seul leur chef a traversé pour rencontrer le roi franc . Il ne fait aucun doute que les Normands sont arrivés par la voie publique, depuis Rouen, et se sont arrêté devant l’espace occupé qui sera occupé par le château médiéval. L’hypothèse d’un retranchement carolingien antérieur à la datation retenue la plus haute, la fin du XIe siècle n’est pas à exclure. En dehors du château, un autre bâtiment important de Saint-Clair est le prieuré, de nombreux auteurs évoquent cette dépendance de l'abbaye de Saint-Denis en reprenant Michel Félibien qui en fait remonter l’origine au XIe 40 siècle . Il est traditionnellement situé à proximité de l’église, au sud-ouest. Le procès de 1221 qui l’oppose à Jean de Saint-Clair indique des droits qui lui ont été usurpés, dont deux tout à fait explicites : Jean a reçu à son moulin neuf des villageois alors que ceux-ci doivent se rendre à celui du prieur et il a occupé des « aires » ou emplacements près du château. À travers le prieuré, c’est donc l’abbaye de Saint-Denis qui possède des droits sur le lieu, y compris à proximité du château. Au-delà de Saint-Clair, c’est certainement d’un domaine qui s’étend sur les deux rives de l’Epte dont il s’agit, car le château normand de Château-sur-Epte est une terre dionysienne usurpée par les rois d’Angleterre. L’abbaye est momentanément dédommagée de cette perte : entre 1145 et 1161 le pouvoir normand abandonne plusieurs châteaux aux Capétiens dont Château-sur-Epte, un marché y est créé en 1154, les profits en sont 41 immédiatement reversés à Saint-Denis . La situation semble complexe car, dans les récits des guerres du XIIe siècle, sont évoqués la seigneurie de Chaumont en 1118 et le roi de France en 1188. Cela s’explique par le fait que le roi de France est ici le vassal de l’abbaye. Plusieurs textes de Suger évoquent ce fonctionnement pour le territoire du Vexin, décrit comme un fief propre de Saint-Denis, celui de son Œuvre administrative est explicite, il y 42 est dit que le roi n’y est considéré que comme le porte-étendard de l’abbaye . Quant au seigneur de Chaumont, il est ici le vassal du roi de France, chargé par lui de garder la forteresse. Une enquête sur les fiefs de Philippe Auguste indique que Saint-Clair rentre dans l’organisation de la châtellenie de Chaumont, au même titre que d’autres places ou des vestiges de châteaux sont visibles ou attestés entre les XIe et XIIIe siècles : Chaumont, Trie, Boury, Villarceaux, Lattainville. L’ensemble de ces fiefs montre une importante concentration de terres dans 35 Orderic Vital, livre XII, p. 186 : « Hoc uero rex Anglorum ut audiuit, illuc cum exercitu uelociter accessit, ibique duo castra firmauit quae hostilis derisio turpibus uocabulis infamauit. Unus enim Malassis et aliud nuncupatur Trulla leporis. » 36 Suger, Vie de Louis VI le Gros, éd. Waquet H., Paris, 1929, p. 186 : « ... publica via descendentes, ad villam que dicitur Vadum Nigasii, villam antiquam, patulum et gratum Francis prebere paratam ad Normannos accessum, que, Ette fluvio circum fluente, cum in medio sui tutum prebeat, extra inferius et superius longe prohibet transitum. » 37 Le Maho J., 1998, « Un exode de reliques dans les pays de la Basse Seine à la fin du IXe siècle », Bulletin de la commission départementale des antiquités de la Seine-Maritime, Rouen, pp. 137-188, p. 187. 38 Ibid., pp. 150-152. 39 Dudon de Saint-Quentin, « De moribus et actis primorum Normanniae ducum », éd. Lair J., 1858, M.S.A.N., tome XXIII, Caen, pp. 115-301, p. 168 : « Statuto idcirco tempore, venerunt ad determinatum locum qui dicitur ad Sanctum Clerum. Rollonis autem cis Eptae fluvium sedit exercitus, regis vero et Roberti altrinsecus ». 40 Félibien (M. Dom), 1706, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis en France, Éditions du Palais Royal, Paris, p. 195. 41 Lepeuple B., 2006, p. 238. 42 Suger, Œuvres, tome II, Gasparri F. (trad.), Les Belles Lettres, Paris, 2001, p. 66 : « Vilcassini siquidem, quod est inter Isaram et Ettam, nobilem comitatum, quem perhibent immunitates ecclesiae proprium beati Dyonisii feodum, quem etiam rex Francorum Ludovicus Philippi, …, in pleno capitulo beati Dyonisii professus est se ab eo habere et jure signiferi, …, hominium ei debere, hoc insequente incremento dominicaturam. » 122 Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 123 43 le quart nord-ouest du Vexin français, avec d’importants droits sur la forêt de Thelle . Le peu de temps qui sépare ce document de la conquête de la Normandie en 1204 suggère que ce schéma corresponde à la zone confiée à la seigneurie de Chaumont au cours des périodes de conflit. Cette approche ne permet pas de conclure de façon certaine sur l’origine du site. Néanmoins, la position du château, son contrôle de l’accès routier vers l’est apparaît fondamental dans le cadre de la confrontation franconormande. Cette frontière, une des plus nette du Moyen Âge occidental, n’est pas une opposition stricte de part et d’autre de la rivière : dans ce secteur de la vallée de l’Epte, la position clef est française. Le château de Saint-Clair n’a pas connu d’occupation dense après le Moyen Age, ce qui en fait un site au fort potentiel archéologique que l’on peut faire remonter à l’époque romaine avec la voie qui le traverse. Les caractéristiques du milieu, une prairie humide, sont d’autant plus intéressantes pour la conservation d’éléments périssables, en particulier le bois qui devait constituer la majeure partie des défenses du premier château. D’autre part, une intervention archéologique permettrait d’apporter des éléments à une problématique historique forte, l’organisation de la défense carolingienne face aux raids normands. Le caractère exceptionnel du site invite avant tout à rester vigilant sur sa conservation. Bruno Lepeuple GRHIS Université de Rouen 43 Delisle L., et al., 1876, « Scripta de feodis », Recueil des Historiens des Gaules et de la France, tome XXIII, Imprimerie Nationale, Paris, pp. 605-723, n° 77-79 : Castellania Calvi Montis. 123