Mode L`homme qui a décorseté les femmes par Guillemette Faure

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Mode L`homme qui a décorseté les femmes par Guillemette Faure
Mode
L’homme qui a décorseté les femmes
par Guillemette Faure
Article publié le 03/06/2007 sur RFi
Fancy Dress Costume, 1911. (Photo : «Metropolitan Museum
of Art», Achat, Irene Lewisohn Bequest, 1983)
Irudrée Dress, ca. 1923. (Photo : «Metropolitan Museum of
Art», Cadeau, Amis de «The Costume Institute Gifts», 2007.
C’est à un visionnaire que le Metropolitan Museum de New
york rend hommage, avec l'exposition qu'il consacre à Paul
Poiret. Au début du XXe siècle le couturier français a
révolutionné la silhouette féminine, en la débarrassant de ses
corsets. Son héritage est encore vivant dans la mode
d’aujourd’hui. Des tenues et un style très appréciés outreAtlantique où Paul Poiret faisait figure de King of Fashion (le
roi de la mode). C’est d’ailleurs ainsi que le Metropolitan
Museum a choisi d’intituler l’exposition qui lui est consacrée et
où figurent des pièces rares, jamais exposées, acquises lors
de la vente de la succession Poiret, en 2005 à Paris
Ironiquement ce sont derrière des nus grecs que se cachent
les femmes les plus habillées de New York. C’est là en effet
que le Metropolitan Museum a installé son exposition
consacrée au «King of Fashion» (roi de la mode), Paul Poiret.
Le musée a acheté 26 ensembles mis en vente par la petitefille de Denise Poiret, épouse et muse du couturier. D’autres
tenues ont été prêtées par des musées. L’ensemble de
l’exposition est surprenant de modernité.
Avant-garde
Au début du XXe siècle, Poiret débarrasse la femme de son corset
et conçoit de longues silhouettes fluides qui ne dépareraient pas
aujourd’hui dans les plus belles vitrines de Madison Avenue à
quelques centaines de mètres du musée. Contrairement à l’usage
dans sa profession, Poiret ne sait pas coudre. Ses vêtements
évoquent surtout des assemblages et tout est dans la façon de
draper, les coupes sont simplissimes. Une robe de soie, bordeaux
et marine, est composée de deux rectangles : un long vertical et un
court horizontal aux épaules. Des drapés semblent tenir par une
agrafe. Les couleurs saturées de certains ensembles évoquent les
débuts d’Yves Saint Laurent. Des imprimés psychédéliques
semblent surgir de la fin des «sixties». La mode est «world»
inspirée tour à tour par les kimonos japonais ou les tenues de
harem persan.
Poiret est également d’avant-garde par la façon dont il collabore avec des artistes : le peintre
fauve Raul Dufy est chargé de lui dessiner des textiles. Man Ray, alors inconnu,
photographie ses modèles.
Côté «marketing», même si on n’utilisait pas le mot à l’époque, il est aussi en avance sur son
temps : il comprend immédiatement le pouvoir de prescription des célébrités. À ses débuts, il
insiste pour habiller des stars de l’époque, comme l’actrice Sarah Bernhardt. À l’instar de
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Madonna chez Jean-Paul Gautier, d’autres stars
provocatrices d’alors comme la danseuse Isadora Duncan,
viendront ensuite acheter leurs tenues chez Paul Poiret.
Gloire et déclin
Afternoon Dress, ca. 1923. Paul Poiret (grand couturier
français, 1879–1944). (Photo : «Metropolitan Museum of
Art», cadeau de Mme Muriel Draper, 1943)
Mais son mannequin vedette, c’est sa femme Denise. Le
premier modèle exposé est de 1904, l’année de leur
mariage. La vie ne devait pas être désagréable pour
Denise Poiret, se dit-on, en passant non sans envie
devant ce qui fut sa garde-robe : déshabillés et tenues des
Mille et une nuits, chaussures de bal aux motifs brodés de
perles. On appréciera aussi les fonctions attribuées aux
vêtements : «manteau d’opéra», «manteau de voiture»…
En plus des robes, le Metropolitan Museum expose des
flacons, des accessoires… Car Poiret fut un des premiers
couturiers à comprendre qu’une marque pouvait se
décliner et lance les parfums Rosine, du nom d’une de ses
filles.
L’exposition se termine sur une robe qui n’est pas de
Poiret. Une robe en soie toute noire toute simple, comme
on en imaginerait aujourd’hui chez Agnes B ou Zara. Elle
est signée de Coco Chanel. Après la première guerre
mondiale, Chanel comprit que les femmes, plus investies
dans la vie de tous les jours, n’avaient plus envie d’avoir
les jambes ligotées par des longues robes et de se
déplacer dans des grands drapés. Cette dernière robe est
noire, tout comme celle que portait Coco Chanel le jour
où, dit l’anecdote, les deux couturiers se seraient croisés.
«Pour qui portez-vous le deuil, Madame ?» lui demande
Poiret. «Pour vous, Monsieur» lui aurait répondu Coco
Chanel, lui annonçant son déclin.
C’est effectivement à cette période qu’il se laisse dépasser
par son époque. Endetté, puis atteint de la maladie de
Parkinson, Poiret mourra (attention, mourir au futur) en 1944,
dans la pauvreté. Le Metropolitan Museum lui redonne la
place qui est la sienne.
Négligé, ca. 1920. Paul Poiret (Photo : «Metropolitan
Museum of Art», Catharine Breyer Van Bomel Foundation
Fund, 2005.
Jusqu’au 5 août au Metropolitan Museum de New York.
Les mots soulignés font référence au temps les mots
surlignés à la mode.
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