06 Toyland statement expo G. Bessiere
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06 Toyland statement expo G. Bessiere
Une exposition performée de Marc Lathuillière Galerie Georges Bessière, Noirmoutier - août 2008 Dans une pièce blanche, 22 photographies de la Thaïlande contemporaine réinterprètent les 22 arcanes du tarot de Marseille, aujourd’hui largement utilisé par les voyants de Bangkok. Dans une pièce noire, un augure reçoit en consultation privée, lisant l'avenir sur un tirage projeté des mêmes clichés. Derrière le jeu, cette exposition performée invite à explorer le rapport entre une image et son regardeur. A penser la force sémantique de la photographie, et sa versatilité. Dans la pièce blanche, les photos accrochées se donnent à lire comme une exposition conventionnelle : le visiteur découvre les œuvres, exprime sur elles un jugement esthétique, référencé ou critique. Dans la pièce noire, tout bascule : les images (quatre seulement) ne sont pas choisies par goût, mais tirées au hasard ; non plus exposées en cadres, mais projetées sur un mur. Un tirage aléatoire sur lequel l’artiste, costumé en créature monstrueuse, réalise une performance de voyance. De visiteur, vous, « le regardeur », êtes désormais devenu consultant. Lorsque vous ressortez de la pièce noire, vous ne pouvez plus voir les images de la pièce blanche comme avant. Quatre d’entre elles, au moins, vous parlent désormais de vous-même. Et ont commencé à livrer le secret de leur double couche : archaïque (les puissantes figures d’un tarot médiéval) et contemporaine (les clichés pop d’une Asie sur-exotisée). L’archéogenèse de Toyland Toyland revient de loin : au début de la saison des pluies de l’année 2007, lorsque, vivant à Bangkok, je me passais et me repassais les planches contacts des photos réalisées pendant l’année écoulée, je pensais sincèrement abandonner la série. Il y avait certes un peu de ce que j’avais, à l’origine, voulu y mettre : une Thaïlande de carte postale, pop et kitsch, et à travers elle la critique de l’imagerie médiatique qui véhicule ces poncifs sur « l’autre » exotique. Mais le dispositif choisi pour décaler ces clichés ne fonctionnait pas : visuellement, rien ne se passait entre les personnes qui, rencontrés aux quatre coins du pays, acceptaient de poser et l’objet que je leur demandais de tenir. Trop étrange, ce « toy » abstrait, symbole de croisée des possibles et des destins, était tout simplement nié par les Thaïlandais. Plus moyen, donc, de maintenir le jouet dans son rôle. De questionner à travers lui, comme je l’avais fait dans un précédent projet (Transkoreana), le rapport entre le photographe et son modèle. Il me fallut du temps, trois mois au moins, pour le comprendre : il pouvait par contre me servir de levier pour interroger le rapport, plus passionnant et bien moins exploré, entre la photographie et son regardeur. Pendant trois mois, donc, tous les jours je décidais d’abandonner la série - sans jamais m’y résoudre. Jusqu’à ce qu’un matin, subitement, vienne le déclic. Il y avait dans certaines images de la série une dimension qui me retenait de tout jeter au panier. Un ange, un diable, une figure de mort, le chaos de l’après-tsunami, ou encore un jeune moine à la croisée des destins… Sous les icônes de la Thaïlande contemporaine apparaissaient des figures archaïques, porteuses de questionnements à l’origine même de l’art : devenir, jeunesse, prospérité, amour, succès, ruine, décès, renaissance, départ pour un long voyage… Précisément l’univers du tarot divinatoire, celui que, dans sa version la plus connue, nous appelons « de Marseille ». Un jeu graphiquement pauvre, mais dont les images, porteuses de croyance, disposent d’une puissance sémantique bien supérieure à la plupart des œuvres d’art. Ainsi : peu de créations évoquant la mort auront autant d’effet sur vous que, lors d’un tirage de voyance, l’apparition de « l’arcane sans nom » (La Mort). Je l’ai alors découvert : sous le nom de pai jipsy (cartes gitanes), ce tarot est devenu l’outil de voyance le plus tendance chez les innombrables mo dou (devins) de Thaïlande. Saut spatiotemporel : des cartes inventées dans l’Europe médiévale servent aujourd’hui, entre les tours d’un Bangkok futuriste, à lire l’avenir de businessmen sino-thaïs et d’étudiantes éduquées sur les meilleurs campus du pays. Dans les images de Toyland, j’avais voulu ce même décalage spatial : « réfléchir » le regard occidental porté sur l’Asie. Cela avait ouvert une trappe temporelle : une Thaïlande de brochure glossy me plongeait dans les arcanes de questions vieilles comme l’humanité. Une destination me parlait de destin. Ainsi un petit marlou rencontré dans ma ruelle après une nuit blanche incarnait forcément Le Diable. Une vieille femme d’ethnie Lisu, herborisant dans les montagnes du Nord, devenait la Haute Prêtresse (ou Papesse). Et une autre, épouse de pêcheur musulman qui, sur une île du Sud, m’avait logé dans une maison si bien ordonnée, s’imposait comme la Tempérance. Ainsi, encore, une pop star saisie lors d’une kermesse de temple apparaissait comme l’Ange du jugement dernier, symbole de jeunesse, de renaissance et de nouvelle amplifiée. Pour réorganiser ainsi ma galerie de portraits, c’est le nom anglais des arcanes, tel qu’il est connu en Thaïlande, que j’ai utilisé. Et sur lequel je me suis basé pour réaliser les quatre figures manquant à mon tarot : « The Sun », deux jumelles miraculeusement rencontrées à Phuket, sur le cap le plus photographié du pays ; à Phuket encore, « Force », un pénitent du festival végétarien ; à Bangkok « The Emperor », un haut diplomate et homme d’affaires ; et enfin à Ayutthaya, « The Magician », acteur d’une troupe itinérante d’opéra chinois dont j’ai partagé le campement. « Toyland » procède donc par un emboîtement de signifiés. Une construction baroque qui, révélant les trompe-l’œil de la représentation photographique, est amplifiée par un dispositif de monstration qui s’est tout de suite imposé : auteur des images, je devais en être moi-même le voyant. Et ainsi, modifier, charger la relation entre les photographies et leurs regardeurs. Dans une pièce sombre, en faisant passer un jeu ancien dans le prisme d’un logiciel, vous faire basculer, vous, dans la croyance. Pour mieux vous inviter à la méfiance. Un véritable laboratoire : c’est dans la camera obscura de Toyland que se réfléchissent, aujourd’hui, tous mes futurs projets. Marc Lathuillière [email protected] M. 06 26 91 32 03 Le dispositif de voyance « Toyland » est également en ligne sur www.lathuilliere.com