issue 04 : touch LE SEXE ET LES CYBORGS

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issue 04 : touch LE SEXE ET LES CYBORGS
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CYBORGS:
P A Y S
D E S
I N T I M E S
PA R
S K AW E N N AT I
T R I C I A
F R A G N I T O
T R A D U I T
D A N I E L L E
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H E N R I P I N
Qu’ont en commun les phénomènes suivants : les caméras Web, les émissions de télé-réalité, un entretien
téléphonique qui se déroule à bord d’un autobus grâce à un cellulaire, les cartes de crédit employées « à des
fins d’identification seulement », les émissions-confessionnal telles que Gerry Springer, la vidéosurveillance, le
dépistage obligatoire de drogues et les « ordinateurs vestimentaires »? Tous brouillent la frontière qui existe
entre le public et le privé.
Un de mes livres de chevet est intitulé Sex Tips for Girls (Simon and Schuster, 1983), de Cynthia Heimel :
vous pourrez le trouver dans la section Humour de la librairie de grande surface de votre quartier. Je suis
d’accord avec Heimel, dont l’argument de base est que tout ce qu’on fait — travailler, manger du gâteau au
fromage, aller au cinéma (et même écrire ce texte!) — n’est qu’une manière de passer le temps en attendant
la prochaine relation sexuelle. En d’autres mots, notre but principal, c’est le sexe. Évidemment, Darwin affirmait à peu près la même chose dans sa théorie de l’évolution... Heimel le dit simplement avec un peu plus de
cran.
Et, tant qu’à parler de technologies intimes telles que les communications sans fil et les puces toujours plus
petites, peut-on passer à l’essentiel sans tarder et parler de l’effet que cette convergence du public et du privé
a sur notre vie sexuelle?
Une partie du problème de ce recoupement réside dans le fait que la ligne de démarcation entre public et privé
n’est pas la même pour tout le monde. Ma propre définition du privé est peut-être moins englobante que celle
des autres, mais je ne m’en suis rendu compte que lorsque j’ai commencé à faire des comparaisons. Prenez, à
titre d’exemple, la série de trois cartes postales que j’ai réalisée sous le titre Artist for the Ethical Treatment
of Humans : mon copain et moi étions les modèles dans cette campagne subvercitaire. Les images sont des
aperçus de moments intimes entre nous, dont le caractère va de la tendresse à la sexualité sans fard.
Ces cartes postales ont été diffusées par courriel et, dans le monde réel, par le réseau des Go-Cards (ces
présentoirs de cartes postales promotionnelles qu’on voit souvent dans les restaurants et les bars). Je glissais
mes cartes derrière celles qui présentaient les images suggestives les plus familières, afin que les collectionneurs, espérant mettre la main sur le corps le plus ferme, les lèvres les plus pulpeuses ou peut-être la poitrine
la plus dénudée, tombent plutôt sur nos images.
Mon copain n’était pas mal à l’aise. Mais quand j’ai donné une de ces cartes à quelqu’un qui connaissait un
de ses collègues, il s’est fâché. Il ne s’attendait pas à ce que son identité soit révélée et son anonymat compromis. La ligne de démarcation qu’il esquissait entre public et privé avait été franchie.
Les technologies intimes compromettent — ou, à tout le moins, brouillent — ces frontières. Il serait difficile
d’affirmer que des appareils tels que les téléphones cellulaires et les ordinateurs de poche n’ajoutent pas une
dimension de sécurité, d’organisation et même de plaisir à nos vies. Ainsi, je suis devenue une inconditionnelle
du cellulaire lorsque, perdue à San Francisco, je me suis laissée guider jusqu’à un parc de stationnement par
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un ami qui me parlait grâce à son cellulaire. Et je suis fière de posséder un tout petit ordinateur qui tient dans
la main et sur lequel je peux présenter, à qui veut bien le regarder, mon art vidéographique dans toute la splendeur des trente images par seconde que m’offre l’appareil. Mais, pour rigolos qu’ils soient, tous ces joujoux, en
fin de compte, ne servent qu’à passer le temps jusqu’à la prochaine fois où je pourrai faire l’amour.
Ma première expérience technosexuelle s’est déroulée dans un salon de clavardage. Avec mon interlocuteur
virtuel, j’ai échangé les formalités habituelles : a/s (pour âge et sexe), et il m’a invitée à l’accompagner dans
une pièce « privée ». Ceux d’entre vous qui connaissent le principe du clavardage savent qu’il s’agit d’un
espace dont on peut interdire l’accès aux autres. Tout ridicule qu’un pénis numérique animé puisse paraître, il
est encore mal vu d’en faire usage dans la partie publique d’un salon de clavardage.
Je ne me souviens plus dans le détail de ce qui s’est passé, mais je me rappelle très bien à quel point j’étais
excitée, assise là, à taper frénétiquement sur le clavier : « Oui, oui », « Mmmmmmmmmmmm » et « Je glisse
ma main le long de ta cuisse. »
Avec le temps, je suis devenue plus audacieuse, abordant effrontément (pour moi!) des interlocuteurs aussi
bien féminins que masculins, et prenant beaucoup de plaisir à pratiquer cette forme de sexe absolument sécuritaire, anonyme et sans attaches. C’était très amusant, mais j’ai fini par trouver cela frustrant, à la longue. Les
meilleures relations sexuelles, celles dont on rêve, ce sont des relations intimes. J’entends par là des relations
qui font appel à tous nos sens.
Il est maintenant banal de voir quelqu’un devant une attraction touristique, à un concert ou même à un
mariage, se promenant caméscope au poing, en train d’enregistrer un événement plutôt que de le vivre. Cette
image me fait penser au cyborg Steve Mann qui, pendant des années, a porté sur lui une caméra Web sans fil,
enregistrant chacune de ses interactions pour ensuite la télécharger sur le Web. Je me demande s’il portait
aussi sa webcam au lit?
Personnellement, je ne suis pas intéressée à partager mon lit avec des appareils (sauf peut-être un vibrateur,
à la rigueur). Un ordinateur vestimentaire pourrait-il améliorer la vie sexuelle de celui qui le porte? J’essaie
d’imaginer un logiciel de reconnaissance du plaisir :
« Un peu plus bas, chéri.
— Ici?
— Pas tout à fait…
— Là?
— Tu y es presque…
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— Ici?
—
OUI, OUI, OUI!
—
Ne bouge pas, je vais saisir les coordonnées et capturer l’image de ton visage.
Imaginez un peu : nos visages, saisis en pleine extase, puis téléchargés sur le Web afin que des partenaires
potentiels puissent les visionner sur leurs ordinateurs de poche. Mon copain aurait vraiment de quoi râler.
Skawennati Tricia Fragnito est une développeuse de contenu qui utilise les nouvelles technologies et des
techniques plus anciennes dans le cadre de sa production artistique, de la réalisation de ses œuvres écrites,
et de son travail de conservation. CyberPowWow et Imagining Indians in the 25th Century sont au nombre de
ses réalisations. Actuellement, elle s’amuse follement à préparer un juke-box de vidéoclips sur DVD intitulé 80
Minutes, 80 Movies, 80s Music. Pour plus de détails, consultez son site Web, www.skawennati.com
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