Préparer les professionnels de la santé à relever le défi des

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Préparer les professionnels de la santé à relever le défi des
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Répondre au défi
Préparer les professionnels
de la santé à relever le défi
des maladies chroniques
Sheri Pruitt et JoAnne Epping-Jordan
Les maladies chroniques continuent à croître. Le nombre de personnes atteintes de maladies
chroniques non transmissibles, notamment de diabète et de maladies cardiovasculaires, est en
hausse partout. Globalement, les maladies chroniques sont responsables de 35 millions – soit
un bon 60 % – des décès enregistrés en 2005. C’est deux fois plus que la somme des décès liés
aux maladies infectieuses, à la mauvaise santé des mères et à la malnutrition. En plus d’être
associées à un taux de décès élevé, les maladies chroniques sont responsables de près de la
moitié des invalidités. Malheureusement, les pays les plus touchés par ce défi pour la santé publique sont ceux dont les ressources sont les plus limitées. Sheri Pruitt et JoAnne Epping-Jordan
expliquent le changement de paradigme nécessaire pour former partout dans le monde des
professionnels de la santé capables de faire face à la tragique escalade des maladies chroniques et appellent à une réforme éducative visant à combler l’écart entre ce que nous savons et
ce que nous faisons réellement pour soigner les personnes atteintes de maladies chroniques.
Les différentes maladies chroniques entraînent des besoins similaires
prestataires de soins sont informés, motivés, préparés et travaillent main
en termes de soins de santé – indépendamment de la cause de la ma-
dans la main. Dans ce partenariat, les professionnels de la santé ont
ladie. En raison de leur développement à long terme et de leur nature
un rôle central à jouer : transmettre à ces personnes les informations
souvent complexe, de bons résultats ne sont possibles que lorsque les
essentielles et les compétences en matière de gestion autonome ainsi
personnes concernées et leur famille, leur entourage et les équipes de
qu’organiser et mettre en œuvre des traitements proactifs.
Mai 2008 | Volume 53 | Numéro spécial
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Les pays les plus touchés
par le manque de personnel
ont besoin de 4 millions de
professionnels de la santé.
blème est le décalage évident entre
les modèles de formation existants,
qui datent du début du siècle dernier,
et les demandes de soins propres au
21e siècle, de plus en plus dominées
par les maladies chroniques.
Le paradigme biomédical du siècle
dernier était un modèle de formation adéquat lorsque les maladies
infectieuses aiguës constituaient les
principaux problèmes de santé au
niveau mondial. Ce paradigme est
désormais dépassé ; nous avons à
présent besoin de modèles de for-
© WHO/P. Virot
mation élargis qui incluent bien sûr
La crise des professionnels de la santé
le diagnostic et le traitement des maladies aiguës mais qui vont
Le déséquilibre croissant des professionnels de la santé dans le
bien au-delà.
monde entraîne un manque criant de personnel de la santé dans
les pays à faibles revenus. D’après les estimations, les 57 pays
Une revue récente de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
qui subissent le manque de personnel le plus sévère – dont 36 en
a recommandé une réforme éducative pour toutes les disciplines
Afrique sub-saharienne – sont en attente de 4 millions de médecins,
du secteur de la santé à l’échelle mondiale. Cette réforme met
d’infirmiers, de sages-femmes et autres professionnels de la santé
l’accent sur un modèle de formation élargi basé sur un ensemble
supplémentaires. Dans de nombreux pays en développement,
de compétences fondamentales visant à restructurer la formation
la migration des prestataires de soins des zones rurales vers les
des professionnels de la santé. L’objectif est de garantir des soins
zones urbaines et des pays pauvres vers les pays riches crée des
efficaces aux personnes atteintes de maladies chroniques.2
obstacles considérables pour les systèmes de soins qui s’efforcent
de relever simultanément les défis des conditions infectieuses
La formation doit mettre l’accent
graves et des maladies chroniques.1
sur la prévention et la gestion des
conditions à long terme.
Décalage entre formation et besoins
aggravée par les inquiétudes relatives à la qualité de leur forma-
Compétences pour traiter les personnes
atteintes de maladies chroniques
tion, en particulier concernant les soins aux personnes atteintes
Pour préparer les prestataires de soins à prendre en charge les per-
de maladies chroniques. La qualité de la formation dispensée au
sonnes atteintes de maladies chroniques, il faut leur faire acquérir
personnel de la santé est un problème de dimension mondiale qui
un certain nombre de compétences et de capacités. La formation
ne se limite certainement pas aux pays à faibles revenus. Le pro-
actuelle doit donner la priorité à la prévention et à la gestion des
L’inquiétude concernant la quantité de prestataires de soins est
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conditions à long terme par rapport au diagnostic et au traitement
exemple, lorsqu’ils ont recours à des interventions ou à des processus
des crises et des complications. Cinq compétences fondamentales
destinés à améliorer la qualité, la sûreté et l’efficacité, ils doivent
(détaillées ci-dessous) peuvent soutenir ce changement conceptuel
être capables de mesurer les effets de ces changements. Lorsque
et servir de base à de nouveaux modèles de formations.
de nouvelles interventions sont décidées pour améliorer les soins,
3
ils doivent être préparés à intégrer ces processus et ces pratiques
Des soins centrés sur le patient
dans les soins quotidiens. En général, les prestataires de soins
Ce type de soins tient compte du point de vue de la personne qui
auront tout à gagner d’une attitude qui non seulement soit ouverte
vit la condition et écoute et respecte ses besoins, ses valeurs, ses
aux changements mais qui induise ces derniers pour améliorer la
différences et ses préférences. Le point de vue de la personne
santé des personnes atteintes de maladies chroniques.
prise en charge guide la gestion de sa maladie chronique. Les
revues systématiques indiquent que les soins centrés sur le patient
entraînent un meilleur suivi du traitement par le patient, réduisent
la morbidité et améliorent la qualité de vie.4
Un partenariat
Puisque la prise en charge des personnes atteintes de maladies
chroniques implique un travail en équipe (les personnes elles-mêmes, les professionnels de la santé et la famille), les prestataires
de soins doivent être formés à collaborer avec d’autres personnes.
A travers le partage des informations relatives aux objectifs du
traitement et aux résultats attendus, les personnes sont encouragées à assumer une plus grande part de responsabilité dans leur
propre prise en charge.
Les prestataires de soins doivent être
Etude de cas : améliorer les soins du diabète au
Mexique6
Au Mexique, le projet VIDA (Veracruz Initiative for Diabetes
Awareness) a formé des professionnels des soins primaires à
plusieurs compétences fondamentales visant à les aider à mieux
gérer les soins des personnes atteintes de diabète. Les équipes
des soins primaires ont été formées à la mise en œuvre d’un
certain nombre de nouvelles approches, notamment pour négocier les objectifs thérapeutiques, aider les personnes à gérer de
façon autonome leur condition, collaborer efficacement avec des
endocrinologues spécialisés de centres de référence et planifier
des consultations de suivi régulières. Surtout, les professionnels
de la santé ont également appris à évaluer l’efficacité de ces
changements et d’autres interventions à travers la mise en œuvre
d’une méthodologie centrée sur l’amélioration de la qualité.
préparés à intégrer les nouveaux processus
et pratiques dans les soins quotidiens.
Les professionnels de la santé ont également besoin de compétences permettant d’assurer une coordination efficace avec les autres
travailleurs de la santé impliqués dans la prise en charge de leur
patient, c’est-à-dire des compétences et des capacités en matière
de travail en équipe : coopération, communication et intégration
des soins entre prestataires de soins de différentes disciplines et de
différents environnements de soins. Il est également recommandé
de collaborer avec la communauté car les personnes atteintes de
maladies chroniques ayant un lien avec les ressources communautaires atteignent de meilleurs résultats.5
Amélioration qualitative
Former les prestataires de soins à l’amélioration qualitative continue
les aide à se montrer réceptifs aux améliorations et à améliorer
leur attitude face à la prise en charge des personnes atteintes de
maladies chroniques. Les prestataires de soins doivent être formés
à tester les changements et à mesurer les résultats de ceux-ci. Par
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Les résultats ont révélé l’efficacité de cette intervention multi-dimensionnelle. Le nombre de personnes atteintes de diabète dont
la glycémie est bien contrôlée est passé de 28 % à 39 % dans le
groupe soumis à l’intervention, tandis que chez les patients bénéficiant de soins standard, la progression était de 21 % à 28 %.
La formation aux soins des pieds atteignait 76 % au sein du
groupe soumis à l’intervention contre seulement 34 %.
Les chercheurs ont conclu que les résultats obtenus n’étaient pas
dus à une intervention unique mais à une approche systémique
basée sur une combinaison de facteurs, notamment la formation
interne des équipes de soins primaires. Ils ont également souligné
que la méthodologie utilisée dans le cadre du projet VIDA avait
motivé les équipes de soins primaires à identifier leurs problèmes
et à trouver eux-mêmes les solutions, qui nécessitaient généralement peu de ressources externes.
Face à ce succès, le projet de Veracruz est actuellement étendu
à d’autres sites au Costa Rica, au Salvador, au Guatemala, au
Honduras et au Nicaragua.
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Technologies de l’information et des communications
déjà plusieurs exemples dans des pays à faibles et moyens revenus
Les professionnels de la santé doivent être formés à l’utilisation
(voir l’étude de cas page 40).6
des systèmes d’information et de communication qui facilitent la
prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques.
La World Health Professionals Alliance (qui rassemble la World
Ces systèmes d’information vont des simples dossiers sur papier
Medical Association, le International Council of Nurses et la
reprenant les marqueurs de soins pertinents aux bases de données
International Pharmaceutical Federation) et la European Respiratory
électroniques hautement sophistiquées qui leur permettent de
Society soutiennent les compétences fondamentales définies par
mettre à jour les programmes de soins, de vérifier les soins reçus
l’OMS. La International Alliance of Patients’ Organizations soutient
à d’autres niveaux et de surveiller les résultats. Quel que soit le
également ces recommandations de réforme de la formation.
système d’information utilisé, l’objectif est l’organisation et le suivi
des soins. Les informations consignées dans ces systèmes doivent
Il est temps à présent de mettre en œuvre les compétences propo-
être communiquées aux autres prestataires de soins impliqués dans
sées pour améliorer les soins offerts à des millions de personnes.
la prise en charge du patient, où qu’ils se trouvent. Les systèmes
Cette réforme de la formation s’impose dans toutes les institutions
de communication permettant de partager les informations incluent
et dans tous les centres d’enseignement supérieur dédiés à la
les téléphones fixes, les appareils portables ou Internet.
formation des professionnels de la santé. Sans cette réforme,
l’écart entre ce que nous savons sur la façon d’améliorer la santé
Les professionnels de la santé ont besoin
des personnes atteintes de maladies chroniques et ce que nous
de compétences pour aborder le continuum
faisons pour ces personnes continuera de se creuser.
des soins complet, de la prévention des
maladies jusqu’aux soins palliatifs.
Point de vue de la santé publique
Les professionnels de la santé doivent élargir leur point de vue et
ne pas se limiter à la prise en charge d’une personne à la fois mais
tenir compte des soins offerts à toute une population – par exemple
les soins pris en charge par un prestataire de soins, une clinique
ou un système de santé spécifique. Le souci de rentabilité – cibler
les interventions sur les personnes les plus susceptibles d’en tirer
un bénéfice, développer des stratégies innovatrices pour offrir des
soins aux groupes de personnes qui ont des besoins similaires,
équilibrer la valeur et la qualité des soins par rapport à leurs coûts
Sheri Pruitt et JoAnne Epping-Jordan
Sheri Pruitt est psychologue clinicienne et directrice de
l’intégration des sciences du comportement pour The
Permanente Medical Group, Kaiser Permanente, Roseville,
Californie, Etats-Unis. Elle est l’auteur principal de deux rapports
de l’Organisation mondiale de la santé sur la prise en charge
des maladies chroniques.
JoAnne Epping-Jordan est consultante indépendante dans le
domaine de la santé en Suisse. Elle a coordonné les initiatives
mondiales de l’Organisation mondiale de la santé pour
l’amélioration de la prise en charge des maladies chroniques
de 2002 à 2005, et pour la sensibilisation et les communications
dans le domaine des maladies chroniques et de la promotion de
la santé de 2005 à 2007.
– doit faire partie intégrante de la prise de décisions quotidienne
Références
et des responsabilités individuelles envers les soins de santé. Les
1
W
orld Health Organization. World Health Report 2006:
Working Together for Health. WHO. Geneva, 2006.
2
W
orld Health Organization. Preparing a Health Care Workforce for the
21st Century: The Challenge of Chronic Conditions. WHO. Geneva, 2005.
3
P
ruitt SD, Epping-Jordan JE. Preparing the 21st century global
healthcare workforce. BMJ 2005; 330: 637-9.
4
M
ead N, Bower P. Patient centeredness: A conceptual framework and
review of the empirical literature. Soc Sci Med 2000; 51: 1087-110.
5
V
on Korff M, Gruman J, Schaefer J, et al. Collaborative management of
chronic illness: Essential elements. Ann Intern Med 1997; 127: 1097-102.
6
P
an American Health Organization. Veracruz Project for the Improvement
of Diabetes Care (VIDA): final report. PAHO. Washington DC, 2007.
professionnels de la santé ont besoin de compétences leur permettant
de sortir des murs de l’hôpital pour travailler avec les collectivités,
pour promouvoir et défendre la santé. Ils doivent être en mesure
d’aborder le continuum de soins complet depuis la prévention des
maladies et la réduction des risques jusqu’aux soins palliatifs.
Réforme éducative
Partout dans le monde, les professionnels de la santé, indépendamment du niveau de ressources disponibles de leur pays, ont
besoin d’une formation systématique qui vise au développement
de nouvelles compétences permettant d’améliorer la prise en
charge des personnes atteintes de maladies chroniques. Il existe
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