T - Dauphilo | De l`enseignement, de la philosophie, de l

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Introduction à la philosophie : textes
1
Bertrand Russell (1872/1970) Problèmes de philosophie
Celui qui n'a aucune teinture de philosophie traverse l'existence, prisonnier de préjugés dérivés
du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont
grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison. Pour un tel individu, le monde
tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les
possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser
conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons [...] que même les choses les plus
ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses
très incomplètes.
La philosophie, bien qu'elle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la réponse aux
doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des possibilités qui élargissent le
champ de notre pensée et délivrent celle-ci de la tyrannie de l'habitude. Tout en ébranlant notre
certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre
connaissance d'une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu
arrogant de ceux qui n'ont jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre
sentiment d'émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.
Platon, TPlaton Théétète, 174a,
Il [Thalès] observait les astres et. comme il
avait les yeux au ciel, il tomba dans un
puits. Une servante de Thrace, fine et
spirituelle, le railla, diton, en disant
qu'il s'évertuait à savoir ce qui se passait
dans le ciel, et qu'il ne prenait pas garde à
ce qui était devant lui et à ses pieds. La
même plaisanterie s'applique à tous ceux qui
passent leur vie à philosopher. Il est
certain, en effet, qu'un tel homme ne
connaît ni proche, ni voisin ; il ne sait pas ce
qu'ils font, sait à peine si ce sont des
hommes ou des créatures d'une autre espèce
; mais qu'est-ce que peut être l'homme et
qu'est-ce qu'une telle nature doit faire ou
supporter qui la distingue des autres êtres,
voilà ce qu'il cherche et prend peine à
découvrir.
Aristote, Politique, I, XI
Voyez l'histoire de Thalès de Milet.
Voici la combinaison financière qu'il
inventa, et bien qu'elle lui soit attribuée à
lui personnellement, en raison de sa
réputation d'habileté, elle est d'une
portée tout à fait universelle. Comme on
lui reprochait sa pauvreté qui attestait
l'inutilité de la philosophie, il tira, diton,
de ses observations astronomiques, la
conclusion que la prochaine récolte
d'olives serait fort abondante; aussi, alors
qu'on était encore en hiver, consacra-t-il le
peu d'argent qu'il possédait à s'assurer la
location de tous les pressoirs de Milet et de
Chio, qu'il obtint à bas prix, n'ayant contre lui
aucun enchérisseur. Quand l'occasion
survint, une soudaine et forte demande se
fit sur'les pressoirs; il les sous-loua aux
conditions qu'il voulut, et la fortune qu'il
en retira lui permit de montrer qu'il est aisé
aux philosophes de s'enrichir, pour peu
qu'ils le désirent, mais que ce n'est point
vers ce but que tendent leurs vertueux
efforts.
Introduction à la philosophie : textes
2
Aristote MÉTAPHYSIQUE, A, 2.
Ce fut, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux
spéculations philosophiques. Au début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les
frappèrent, puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils cherchèrent à résoudre des problèmes plus
importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Etoiles, enfin la genèse
de l'Univers. Apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance (et
c'est pourquoi aimer les mythes est, en quelque manière se montrer philosophe, car le mythe
est composé de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut pour échapper à l'ignorance que les
premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu'ils poursuivaient la science en
vue de connaître et non pour une fin utilitaire. Ce qui s'est passé en réalité en fournit la preuve
: presque tous les arts qui s'appliquent aux nécessités, et ceux qui s'intéressent au bien-être et à
l'agrément de la vie, étaient déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline de
ce genre. Il est donc évident que nous n'avons en vue, dans la philosophie, aucun intérêt
étranger.
(…)
Le commencement de toutes les sciences, avons-nous dit, c'est l'étonnement de ce que les
choses sont ce qu'elles sont : telles les marionnettes qui se meuvent d'elles-mêmes, aux
regards de ceux qui n'en ont pas encore examiné la cause, les solstices ou
l'incommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré : il semble, au premier abord,
étonnant à tout le monde qu'une quantité ne puisse être mesurée même par l'unité la plus
petite. Or nous devons finir par l'étonnement contraire et, selon le proverbe, par ce qui est
meilleur, comme il arrive, dans ces exemples, dès qu'on est instruit de la cause : rien, en effet,
n'étonnerait autant un géomètre que si la diagonale devenait commensurable
Platon, Apologie de Socrate, 20d- 22b, Ed Garnier-Flanunarion, 1965, pp. 31-3
Lorsque j'eus appris cette réponse de l'oracle, je me mis à réfléchir en moi-même: "que veut
dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles? Car moi, j'ai conscience de n'être sage ni peu ni
prou. Que veut-il donc dire quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment
ertainement pas; cela ne lui est pas permis. " Pendant longtemps je me demandai quelle était
son idée; enfin je me décidai, quoique à grand-peine, à m' en éclaircir de la façon suivante: je
me rendis chez un de ceux qui passent pour être des sages, pensant que je ne pouvais, mieux
que là, contrôler l' oracle et lui déclarer: "Cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu m '
as proclamé le plus sage".
.
J' examinai donc cet homme à fond; je n'ai pas besoin de dire son nom, mais c'était un de nos
hommes d'Etat, qui, à l'épreuve, me fit l'impression dont je vais vous parler. Il me parut en
effet, en causant avec lui, que cet homme semblait sage à beaucoup d'autres et surtout à
lui-même, mais qu 'il ne l' était point. J'essayai alors de lui montrer qu 'il n ' avait pas la
sagesse qu 'il croyait avoir. Par là, je me fis des ennemis de lui et de plusieurs des assistants.
Tout en m 'en allant, je me disais en moi-même: " Je suis plus sage que cet homme-là; il se
peut qu' aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon; mais lui croit savoir que1que
chose, a1ors qu'il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir.
Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais
pas, je ne pense pas non plus le savoir ”.
Introduction à la philosophie : textes
3
PLATON: PHEDRE 275 D
SOCRATE : L'écriture présente, mon cher Phèdre, un grave inconvénient, qui se retrouve du reste dans
la peinture. En effet, les êtres qu'enfante celle-ci ont l'apparence de la vie; mais qu'on leur pose une
question, ils gardent dignement le silence. La même chose a lieu pour les discours écrits : on pourrait
croire qu'ils parlent comme des êtres sensés; mais si l'on les interroge avec l'intention de comprendre
ce qu'ils disent, ils se bornent à signifier une seule chose, toujours la même. Une fois écrit, chaque
discours s'en va rouler de tous côtés, et passe indifféremment à ceux qui s'y connaissent et à ceux qui
n'ont rien à en faire; il ignore à qui il doit ou ne doit pas s'adresser. Si des voix discordantes se font
entendre à son sujet, s'il est injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père. A lui seul,
en effet, il est incapable de repousser une attaque et de se défendre lui-même.
.
PLATON : Théétète, 150 a-c.
SOCRATE —
Voilà donc jusqu'où va le rôle des accoucheuses ; bien supérieure est ma fonction. Il ne se
rencontre point, en effet, que les femmes parfois accouchent d'une vaine apparence et, d'autres fois,
d'un fruit réel, et qu'on ait quelque peine à faire le discernement. Si cela se rencontrait, le plus gros et
le plus beau travail des accoucheuses serait de faire le départ de ce qui est réel et de ce qui ne l'est
point. N'es-tu pas de cet avis ?
THEETETE — Si fait.
SOCRATE — Mon art de maïeutique a mêmes attributions générales que le leur. La différence est qu'il
délivre les hommes et non les femmes et que c'est les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement,
non point les corps. Mais le plus grand privilège de l'art que, moi, je pratique est qu'il sait faire
l'épreuve et discerner, en toute rigueur, si c'est apparence vaine et mensongère qu'enfante la réflexion
du jeune homme, ou si c'est fruit de vie et de vérité. J'ai, en effet, même impuissance que les
accoucheuses. Enfanter en sagesse n'est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m'ont
fait opprobre, qu'aux autres posant questions je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et
que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause la voici :
accoucher les autres est contrainte que le dieu m'impose ; procréer est puissance dont il m'a écarté.

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