Effondrement
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Effondrement
Note de lecture Etopia Effondrement Comment les sociétés choisissent d’échouer ou de survivre Jared Diamond, 2006, Gallimard - Résumé du prologue et des chapitres 14 et 16 Par Hugues Latteur, chercheur-associé à étopia Ttraduit par Louis Wyckmans Juin 2006 1 1 Le sujet Ce livre1 évoque les effondrements mystérieux des civilisations passées et ce que cela signifie pour notre avenir. Beaucoup de cultures se sont désintégrées à cause de crises environnementales et la plupart de ces crises venaient de raisons internes. Ceci est un voyage à travers l’histoire, de Haïti à la Nouvelle-Guinée, de l’Islande aux îles du Pacifique, … 2 P ro l o g u e Les indigènes du passé n’étaient pas fondamentalement différents des populations modernes européennes : la gestion des ressources environnementales a toujours été difficile, depuis que Homo Sapiens a développé l’inventivité moderne, l’efficacité, et ses talents de chasseur il y a 50 000 ans. Chaque colonisation par les hommes de terres auparavant dépourvues de présence humaine a été suivie par une vague d’extinction des grands animaux, qui avaient évolué sans la crainte de l’homme et étaient faciles à tuer, ou ont succombé à des modifications de leur habitat induites par l’homme, à l’introduction d’espèces nuisibles, et à des maladies. Spécialement pour les peuples analphabètes du passé qui ne pouvaient pas lire d’études de cas au sujet d’effondrement de sociétés, les dégâts écologiques constituaient une conséquence tragique, imprévue et involontaire de leurs efforts les plus grands, plutôt que d’un égoïsme moralement coupable, qu’il soit aveugle ou conscient. Les sociétés qui se sont anéanties de la sorte étaient parmi les plus créatives et avancées de leur temps, plutôt que stupides et primitives. Aucun effondrement de société ne peut être attribué seulement à des dommages environnementaux. Les 4 autres facteurs qui y contribuent sont : • • • • 1 le changement climatique ; l’augmentation des agressions de voisins hostiles (mais une société peut être capable de tenir ses ennemis en respect aussi longtemps qu’elle est forte, pour ne succomber que lorsqu’elle s’affaiblit pour l’une ou l’autre raison, comme des dommages environnementaux) ; un moindre soutien des partenaires commerciaux alliés : si votre partenaire commercial est affaibli pour quelque raison et ne peut plus fournir d’importations essentielles ou un lien culturel, votre propre société peut en conséquence en être affaiblie. Exemple : la dépendance de l’Occident par rapport au pétrole en provenance de pays du tiers monde écologiquement fragiles et politiquement instables (+ voir aussi les Norvégiens du Groenland, les insulaires de Pitcairn, …) le facteur le plus significatif, à savoir les réponses de la société à ses problèmes environnementaux. Des sociétés différentes réagissent différemment à des problèmes similaires. Par exemple, des problèmes de déforestation ont surgi pour beaucoup de sociétés anciennes, parmi lesquelles les hautes terres de NouvelleGuinée, le Japon, Tikopia et Tonga, qui ont développé avec succès des techniques de gestion forestière et ont continué à prospérer, tandis que l’île de Pâques, Mangareva et le Groenland norvégien ont échoué et en conséquence se sont effondrés. Collapse, How Societies Choose to Fail or Succeed, 2004. 1 2 3 C h a p it re 1 4 Pourquoi certaines sociétés réussissent-elles là où d’autres échouent ? Une partie de l’explication tient aux différences entre les environnements plutôt qu’entre les sociétés : le Groenland froid et isolé posait plus de défis que le sud de la Norvège et l’île de Pâques en posait également plus que Tahiti, arrosée, moins isolée, équatoriale et élevée. Cependant, des sociétés ont aussi achevé de se détruire elles-mêmes à cause de décisions désastreuses : même des sociétés complexes se sont effondrées de manière répétée par leur échec à gérer leurs ressources environnementales. Carnet de bord des facteurs contribuant aux échecs de la prise de décision dans une société. Quatre catégories : 1. Echec à anticiper le problème avant qu’il n’arrive réellement Parce qu’une société n’a pas d’expérience précédente de tels problèmes ; exemples : introduction en Australie de mammifères étrangers, renards et lapins d’Angleterre ; dans le Groenland norvégien, investissement dans la chasse aux morses dans le but d’exporter de l’ivoire en Europe ; les Mayas ne pouvaient prévoir que la déforestation des pentes des collines provoquerait l’érosion des sols. Parce qu’une expérience précédente s’est produite il y a si longtemps qu’elle a été oubliée. Nous aussi avons tendance à oublier les choses : la crise du pétrole du Golfe en 1973 par exemple. A cause de raisonnements basés sur des analogies erronées (avec de vieilles situations familières) : les Vikings qui immigrèrent en Islande arrivaient de Norvège et d’Angleterre qui ont des sols lourds, argileux, fertiles, rabotés par les glaciers. 2. Quand le problème survient réellement, le groupe peut échouer à le remarquer Parce que les prémisses du problèmes sont imperceptibles : il n’y avait aucun moyen pour les premières colonies d’Australie et de Mangareva de s’apercevoir du problème d’épuisement des sols en nutriments. A cause de gestionnaires trop éloignés : une des raisons pour lesquelles les Tikopiens et les habitants des hautes terres de Nouvelle-Guinée ont géré avec succès leurs ressources pendant plus de 1000 ans, est que chacun connaît bien l’entièreté du territoire duquel leur société dépend. Parce que le problème prend la forme d’une tendance lente dissimulée par de vastes fluctuations à la hausse et à la baisse. Exemple : le réchauffement global ; les Groenlandais du Moyen-âge avaient des difficultés similaires à reconnaître que leur climat devenait graduellement plus froid, et les Mayas et les Anasazi n’arrivaient pas à discerner que le leur devenait plus sec. Un autre exemple : l’oubli du paysage : qu’a dit le Pascuan en abattant le dernier palmier ? Graduellement, les arbres de l’île de Pâques sont devenus moins nombreux, plus petits, et moins importants : les changements du couvert forestier d’année en année étaient presque indétectables. 3. Lorsqu’ils l’ont remarqué, ils peuvent échouer à essayer de le résoudre (le cas le plus fréquent) 3.1. A cause du « comportement rationnel » issu de conflits d’intérêt entre les gens : le maintien du problème est positif pour certaines personnes. Ces personnes peuvent estimer avec raison qu’ils promeuvent leurs propres intérêts par un comportement nuisible à d’autres personnes, spécialement s’il n’y a pas de loi contre cela ou que la loi n’est pas appliquée. Typiquement, les auteurs de ces faits sont peu nombreux et 2 3 hautement motivés par la perspective d’engranger des profits importants, certains et immédiats, alors que les pertes sont réparties entre un grand nombre d’individus. Cela donne aux perdants peu de motivation pour se créer des ennuis en répliquant, car chaque perdant perd seulement un petit peu et ne recevrait que des profits faibles, incertains et éloignés dans le temps, même en réussissant à détruire l’emprise de la minorité. Exemples : de grandes sommes d’argent sont payées à des industries subventionnées qui ne seraient pas viables sans les subsides, comme beaucoup d’entreprises de pêche, de culture de canne à sucre et de coton : les perdants (ceux qui paient les taxes) ne se font pas entendre parce que les subsides proviennent juste d’une petite somme d’argent dissimulée dans la feuille d’impôts de chaque citoyen. Une forme particulière de conflit d’intérêts est connue sous le nom du « dilemme du prisonnier » : lorsque beaucoup de consommateurs récoltent une ressource détenue par l’ensemble de la communauté, tels les pêcheurs ou les bergers, si chacun récolte trop, la ressource sera épuisée et tous les consommateurs souffriront ; aussi longtemps qu’il n’y aura pas de régulation effective des quantités que chacun peut prélever, chaque consommateur aura raison en disant « si moi je n’attrape pas ces poissons, quelqu’un d’autre le fera, aussi cela n’a pas de sens pour moi de me priver de la possibilité de pêcher plus. » Trois arrangements alternatifs se sont développés pour préserver une ressource commune, tout en permettant encore une récolte durable : • l’application de quotas par les gouvernements, comme le faisaient les shoguns Tokugawa et les empereurs Incas ; • la privatisation des ressources : ceci divise la ressource en portions détenues individuellement, que chaque propriétaire aura intérêt à gérer prudemment (certaines ressources sont toutefois impossibles à diviser, comme le poisson) ; voir les forêts détenues par des villages pendant le règne des Tokugawa ; • les consommateurs reconnaissent leurs intérêts communs, établissent et respectent les quotas de récolte eux-mêmes : cela n’est possible que si ces consommateurs s’attendent à partager un avenir commun et à léguer ces ressources à leurs descendants, si les frontières des ressources sont bien définies, si le groupe perçoit son isolement. Voir les exemples des insulaires de Tikopia, ou des habitants des hautes terres de Nouvelle Guinée. Au travers de l’histoire connue, les actions ou inactions de rois, chefs et politiciens absorbés par eux-mêmes ont été une cause régulière des effondrements de sociétés, incluant ceux des rois Mayas, des chefs du Groenland norvégien, et des politiciens rwandais modernes. La force maîtresse affectant la folie politique est l’avidité pour le pouvoir. Le statut des chefs de l’île de Pâques et des rois Mayas dépendait de leur capacité à ériger des statues et des monuments plus imposants que ceux de leurs rivaux, ils étaient piégés dans une spirale de compétition. C’est un problème régulier que ces compétitions pour le prestige, qui sont jugées sur une courte période de temps. Les échecs à résoudre les problèmes détectés à cause de conflits d’intérêts entre l’élite et les masses sont beaucoup moins probables dans les sociétés où l’élite ne peut pas s’isoler des conséquences de ses actes. Exemples : 1/ la conscience environnementale élevée des Néerlandais, y compris de leurs politiciens : une planification du territoire idiote serait aux risques et périls des politiciens responsables. 2/ Les dignitaires des habitants des hautes terres en Nouvelle-Guinée vivent dans le même type de hutte que tous les autres et sont de ce fait très motivés à résoudre les besoins de leur société en gestion forestière durable. 3.2. A cause d’un comportement irrationnel : un comportement qui est nuisible pour tout le monde. Ceci intervient lorsque chacun de nous, individuellement, est déchiré par des conflits de valeurs : nous sommes réticents à abandonner une politique dans 3 4 laquelle nous avons déjà investi lourdement. Les valeurs religieuses tendent à être particulièrement profondément ancrées et sont par là la cause fréquente de comportements désastreux. Exemple : la plus grande partie de la déforestation de l’île de Pâques avait une motivation religieuse. Des valeurs auxquelles nous nous cramponnons, en des conditions où ces valeurs n’ont plus de sens, sont par exemple : l’esprit et l’identité pionniers au Montana, qui ont soutenu de lourdes industries minières polluantes, la tradition anglaise de l’élevage des moutons en Australie, l’idéal rwandais des familles nombreuses, … Une grande part de l’opposition rigide aux inquiétudes environnementales d’aujourd’hui provient des valeurs acquises plus tôt dans l’existence et jamais réexaminées depuis. C’est douloureux et difficile de décider d’abandonner certaines de ses valeurs centrales lorsqu’elles semblent devenir incompatibles avec la survie. A partir de quel point nous, individus, préférons-nous mourir plutôt que d’accepter un compromis et de vivre ? Toutes ces décisions impliquent des paris, parce que souvent l’on ne peut être certain que se cramponner à ces valeurs centrales sera fatal, ou que les abandonner assurera la survie. Voir les exemples de pays qui ont abandonné des valeurs chéries à la page 433. Les sociétés et les individus qui réussissent sont peut-être celles et ceux qui ont le courage de prendre ces décisions difficiles, et qui ont la chance de gagner leurs paris. 3.3. Parce que le public peut désavouer largement ceux qui perçoivent en premier le problème et s’en plaignent, comme le parti vert de Tasmanie, qui a protesté le premier contre l’introduction de renards en Tasmanie. 4. Ils peuvent essayer de le résoudre mais ne pas y arriver Le problème peut être impossible à résoudre, ou une solution existe bel et bien mais son coût est prohibitif, ou les efforts sont trop tardifs et trop peu importants. Conclusion Les dirigeants qui ont le courage d’anticiper un problème grandissant et de prendre des mesures pour le résoudre, avant qu’il ne se transforme en crise explosive, s’exposent à la critique ou au ridicule en agissant avant qu’il devienne évident pour quiconque qu’une action est nécessaire. Mais il y a eu beaucoup de ces dirigeants courageux, clairvoyants et forts qui méritent notre admiration. Parmi eux, les anciens shoguns Tokugawa qui ont freiné la déforestation bien avant qu’elle n’atteigne le niveau de celle de l’île de Pâques, Joaquin Balaguer, qui soutint fermement la sauvegarde environnementale du côté oriental dominicain de l’île d’Hispaniola, les chefs de Tikopia qui décidèrent d’exterminer les cochons qui détruisaient leur île en dépit de leur statut important, les dirigeants chinois qui ont ordonné la planification familiale bien avant que la surpopulation n’atteigne le niveau rwandais. Ces leaders admirables comprennent également le chancelier allemand Adenauer et d’autres dirigeants d’Europe de l’Ouest qui décidèrent après la seconde guerre mondiale de sacrifier les intérêts nationaux séparés et d’initier l’intégration de l’Europe en créant la Communauté Economique Européenne. 4 C h a p it re 1 6 Les problèmes environnementaux les plus sérieux rencontrés par les sociétés passées et présentes sont au nombre de douze. Huit des douze étaient déjà significatifs dans le passé, tandis que quatre sont devenus graves seulement récemment (incluant l’énergie et les changements atmosphériques). 4 5 Ci-dessous, une sélection des 9 problèmes les plus significatifs : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. La déforestation était le facteur majeur dans tous les effondrements de sociétés anciennes décrites dans ce livre. Si les stocks de poissons sauvages étaient gérés de manière appropriée, les niveaux des stocks pourraient être maintenus. Deux milliards de personnes, dont la plupart sont pauvres, dépendent de l’océan comme source de protéines. La grande majorité des zones de pêche valables sont déjà épuisées ou bien sont en déclin rapide. Les sociétés anciennes qui ont pratiqué la surpêche comprennent l’île de Pâques, Mangareva, et Henderson. La diminution de la biodiversité : certaines espèces, tels de grands animaux comestibles, ou des plantes avec des fruits comestibles ou du bon bois, sont d’une valeur évidente pour nous. Parmi les sociétés du passé qui se sont nui à elles-mêmes en exterminant de telles espèces, on retrouve les insulaires de Pâques et de Henderson. En ce qui concerne les petites espèces non comestibles : ils nous fournissent gratuitement des services qui seraient très coûteux et dans de nombreux cas impossibles à produire nous-mêmes : vers de terre régénérant le sol, bactéries du sol fixant l’azote - nutriment indispensable aux récoltes, abeilles et autres insectes pollinisateurs… Les sols des terres agricoles utilisés pour la culture sont lessivés par l’eau et l’érosion éolienne à des vitesses 10 à 40 fois supérieures à celles de la formation du sol, et 500 à 1000 fois supérieures à la vitesse de l’érosion lorsqu’il y a un couvert forestier. Les problèmes de sol ont contribué à l’effondrement de toutes les sociétés anciennes dont il est question dans le livre. L’énergie. Les nappes aquifères d’eau douce s’épuisent à des rythmes supérieurs à ceux auxquels elles sont naturellement réapprovisionnées. Les Anasazi et les Mayas sont parmi les sociétés du passé détruites par des problèmes d’eau. Des projections indiquent que nous utiliserons la majeure partie de la capacité mondiale de photosynthèse terrestre avant le milieu de ce siècle. Cela signifie que la plus grande partie de l’énergie issue du rayonnement solaire sera utilisée pour des activités humaines (récoltes, plantations d’arbres, terrains de golf, éclairage des routes), et il en restera peu pour soutenir la croissance des plantes naturelles, telles que les forêts. Le réchauffement global : les températures moyennes globales étaient « seulement » 5° plus fraîches à l’apogée de la dernière ère glaciaire, il y à 20.000 ans. A cette époque, le niveau des océans était 120 mètres plus bas et une couche de glace de quelques km recouvrait le nord de l'Europe. Quels bouleversements connaîtrons-nous lorsque la température moyenne aura augmenté de 5° dans le courant du 21eme siècle ? La population : le problème le plus important est l’augmentation de l’impact humain total, résultant de l’élévation du niveau de vie dans le tiers-monde, et de personnes issues du tiers-monde migrant en Occident et adoptant ses standards de vie. Si la population de la Chine atteignait le niveau de vie de l’Occident, le niveau de vie de toute autre personne demeurant constant, cela doublerait l’impact humain sur le monde. Si tous les habitants du tiers-monde atteignaient le niveau de vie de l’Occident, le niveau de vie de toute autre personne demeurant constant, cela multiplierait par 12 l’impact humain sur le monde. Il est impossible pour l’Occident de résoudre ce dilemme en bloquant les efforts du tiers-monde pour rattraper son retard. Qu’arriverat-il lorsqu’il apparaîtra finalement à toutes ces personnes dans le tiers-monde que le niveau de vie courant occidental est irréalisable pour elles, et que l’Occident refuse d’abandonner ces standards pour lui-même ? 5 6 Les problèmes de déforestation, de pénurie d’eau et de dégradation du sol dans le tiers-monde engendrent des guerres dans ces régions et conduisent des demandeurs d’asile légaux et des émigrants illégaux vers l’Occident. N’importe lequel de ces problèmes de développement non durable que nous avons résumés suffirait à réduire notre mode de vie pour plusieurs décennies à venir. N’importe lequel de ces douze problèmes, s’il n’est pas résolu, nous nuira de façon très grave. En réalité, ces problèmes seront résolus pendant la vie de nos enfants, soit d’une manière douce, de par nos choix, soit d’une manière moins douce, que nous ne choisirons pas : guerre, génocide, famine, épidémies, et effondrement de sociétés. Ces phénomènes sinistres ont été endémiques dans le passé mais leur fréquence augmente avec la dégradation de l’environnement, la pression de la population, la pauvreté et l’instabilité politique qui en résultent. Exemples : génocides au Rwanda, au Burundi et dans l’ancienne Yougoslavie ; guerre civile moderne au Soudan, aux Philippines, au Népal, et dans l’ancienne patrie des Mayas ; cannibalisme dans la préhistoire de l’île de Pâques et de Mangareva, et parmi les anciens Anasazi ; famine dans de nombreux pays africains modernes et pendant la préhistoire sur l’île de Pâques ; l’épidémie de sida déjà en Afrique ; l’effondrement du gouvernement central dans la Somalie moderne, les îles Salomon, Haïti, et parmi les anciens Mayas. Une issue moins drastique qu’un effondrement mondial pourrait être « simplement » l’extension de conditions de type haïtien ou rwandais à beaucoup plus de pays en voie de développement, tandis que nous, Occidentaux, conserverions la plupart de nos commodités mais ferions face à un futur peu agréable, assailli chroniquement par plus de terrorisme, de guerres et de maladies. Mais on peut douter de la capacité de l’Occident à maintenir son mode de vie isolé face aux vagues désespérées d’immigrants fuyant des pays du tiers-monde en plein effondrement, en nombre bien supérieur au flux irrépressible actuel. Voici quelques unes des « pensées simplistes » les plus communes avancées par certains pour minimiser l'importance des menaces liées à l'environnement; elles peuvent aisément être démontées : 1. « L’environnement doit être mis en balance avec l’économie » ; les préoccupations environnementales seraient un luxe. Mais les gâchis environnementaux nous coûtent d’énormes sommes d’argent à court terme et à long terme ; il est moins coûteux d’éviter de tomber malade que d’essayer de soigner une maladie lorsqu’elle s’est installée. Exemples : les dommages causés par les herbicides et pesticides, la valeur du temps perdu lorsque nous sommes coincés dans les bouchons, les coûts financiers résultant des maladies ou des décès dus à la toxicité de l’environnement, les coûts de nettoyage pour les produits chimiques toxiques, l’augmentation rapide du prix du poisson due à l’épuisement des stocks de poisson, la valeur de la terre agricole endommagée ou détruite par l’érosion ; la valeur d’ « une vie statistique » aux Etats-Unis ) – dépenses d’éducation et d’enseignement de quelqu’un décédant avant une vie complète de contribution à l’économie nationale – est estimée à $5 millions (voir la pollution de l’air). 2. « La technologie résoudra les problèmes ». Tous nos problèmes actuels sont des conséquences négatives non intentionnelles de notre technologie existante : les rapides progrès de la technologie pendant le XXème siècle ont créé de nouveaux et difficiles problèmes plus rapidement qu’ils n’ont résolu les anciens. Exemples d’effets secondaires nocifs des nouvelles technologies : les CFC, qui remplaçaient les gaz réfrigérants toxiques en cas de fuite des appareils, comme l’ammoniaque ; et les véhicules à moteur : les villes sont devenues merveilleusement propres et 6 7 tranquilles : fini les rues polluées par les crottins et l’urine des chevaux, fini le tapage constant des sabots de chevaux heurtant le pavé. 3. « Il n’y a pas un problème mondial de l’alimentation, nous avons juste besoin de résoudre le problème du transport pour distribuer cette nourriture là où elle est nécessaire ». Si les pays occidentaux choisissaient de payer sur une base régulière pour nourrir les milliards de citoyens du tiers-monde sans planification familiale efficace outremer, le résultat serait un dilemme malthusien, c’est-à-dire une augmentation de la population proportionnelle à une augmentation de la nourriture disponible. 4. « L’espérance de vie humaine, la santé et la richesse se sont améliorées depuis des décennies ». Notre prospérité est basée sur la dilapidation de notre capital environnemental (énergies non renouvelables, stocks de poisson, surface du sol, forêts…) ; le déclin des sociétés tend à suivre rapidement leur apogée : le déclin rapide d’une société peut commencer seulement une ou deux décennies après que la société ait atteint son niveau le plus élevé. 5. « Dans le passé, les sombres prédictions des environnementalistes se sont avérées fausses » (ex. les prévisions du Club de Rome en 1972). Mais regardez aussi les prévisions qui se sont avérées exactes, comme la prédiction exagérément optimiste que la révolution verte résoudrait le problème de la faim dans le monde. 6. « Le monde peut s’accommoder indéfiniment d’une croissance de la population humaine ». Les pays avec une population importante sont proportionnellement plus pauvres et les pays opulents ont une population proportionnellement plus faible et ont des taux de croissance relative de la population très faibles. 7. « Si ces problèmes environnementaux deviennent désespérés, ce sera après ma mort ». Au rythme actuel, la plupart ou la totalité des douze séries de problèmes environnementaux majeurs évoqués dans ce chapitre deviendront aigus pendant l’existence des jeunes adultes aujourd’hui vivants. Cela a-t-il du sens de payer pour l’éducation de nos enfants et de leur acheter des assurances-vie, tout cela dans le but de les aider à avoir une vie agréable dans 50 ans, tout en faisant simultanément des choses qui sapent le monde dans lequel ils vivront ? 8. « C’est ridicule de penser que l’effondrement de tous ces peuples anciens peut avoir beaucoup de pertinence aujourd’hui ». C’est vrai qu’il y a de grandes différences entre la situation de ces sociétés anciennes et notre monde moderne actuel : i) il y a beaucoup plus de monde aujourd’hui, ii) qui manipulent des technologies de loin plus puissantes qui ont un impact sur l’environnement (bulldozers, énergie nucléaire…). Cette différence augmente les risques que nous courons aujourd’hui. La liste des pays confrontés aux pires problèmes de stress environnemental ou de surpopulation ou les deux et la liste des endroits instables (guerre civile, effondrement du gouvernement central, …) comprennent les mêmes pays : Afghanistan, Bengladesh, Burundi, Haïti, Indonésie, Irak, Madagascar, Népal, Pakistan, Philippines, Somalie, … quand les gens sont désespérés, en proie à la malnutrition, ils blâment leur gouvernement, tentent d’émigrer, se battent pour la terre, s’entretuent, … ; iii) les problèmes de ces pays deviennent nos problèmes à cause de la globalisation : ils nous affectent, nous, nos routes commerciales, nos marchés et nos fournisseurs outremer. Nous sommes si dépendants du reste du monde. Les sociétés d’aujourd’hui sont tellement interconnectées que le risque que nous courons est celui d’un déclin à l’échelle mondiale. Les Néerlandais ont une grande conscience de leur environnement parce qu’ils ont appris au cours de l’histoire qu’ils vivent tous sur le même polder et que leur survie dépend de la survie de l’autre. « Nous sommes tous ensemble en bas sur les polders ». Ce serait différent si les riches vivaient en sécurité au sommet des digues et les pauvres 7 8 en bas dans les polders, sous le niveau de la mer. L’élite ne peut rester à l’abri des problèmes de la société autour d’elle : voir l’attitude de ces chefs du Groenland norvégien qui ont découvert qu’ils s’étaient purement et simplement acheté le privilège d’être les derniers à mourir de faim. Y a-t-il un quelconque espoir ? Une différence majeure entre les dangers environnementaux d’aujourd’hui et ceux rencontrés par les sociétés du passé provient de la globalisation. La globalisation rend un effondrement isolé impossible pour les sociétés modernes. Toute société perturbée aujourd’hui, quel que soit son éloignement (pensez à la Somalie ou à l’Afghanistan) peut provoquer des ennuis pour les sociétés prospères sur les autres continents. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous faisons face au risque d’un déclin global. Mais nous sommes également les premiers à bénéficier de l’opportunité de tirer rapidement des leçons des événements dans les sociétés n’importe où dans le monde d’aujourd’hui, et de ce qui s’est déroulé dans les sociétés du passé. Nous n’avons pas besoin de nouvelles technologies pour résoudre nos problèmes ; elles peuvent y contribuer mais nous avons tout particulièrement besoin d’une volonté politique pour appliquer des solutions déjà disponibles. Quels sont les choix que nous devons faire si nous voulons réussir ? Deux types de choix ont été cruciaux dans les sociétés du passé pour faire pencher la balance vers le succès. • • La planification à long terme : la capacité à prendre des décisions anticipatives à un moment où les problèmes deviennent perceptibles mais avant qu’ils n’aient atteint les proportions d’une crise. Les chefs de l’île de Pâques et de Mangareva ont succombé à leurs préoccupations immédiates, mais les shoguns Tokugawa, les empereurs Inca, les Néo-Guinéens des hautes terres, et les propriétaires terriens allemands du XVIème siècle ont adopté une vision à long terme et ont reboisé. La volonté de reconsidérer les valeurs centrales : les Norvégiens du Groenland ont refusé de se délester d’une partie de leur identité en tant que société pastorale, européenne et chrétienne et ils en sont morts. Par contre, les insulaires de Tikopia ont eu le courage d’éliminer leurs cochons écologiquement destructeurs, alors que les cochons étaient le seul grand animal domestique et un élément important du statut des sociétés mélanésiennes. L’Australie est maintenant en train de revoir son identité de société agricole anglaise. Le gouvernement chinois a restreint la traditionnelle liberté du choix individuel de reproduction, plutôt que de laisser les problèmes de population s’emballer sans contrôle. Combien de nos valeurs traditionnelles de consommation pouvons-nous nous permettre de conserver ? L’alternative de maintenir notre impact actuel est impossible. Combien des valeurs qui auparavant servaient la société avec bénéfice peuvent continuer à être maintenues alors que les circonstances se modifient ? Comme pour l’impact par personne, le monde pourrait même ne pas avoir à diminuer son rythme de consommation de produits forestiers ou marins : ce rythme pourrait être maintenu si les forêts et les zones de pêche du monde étaient correctement gérées. Aucune société du passé n’a jamais bénéficié de l’opportunité de tirer les leçons des erreurs des peuples lointains et des peuples du passé. Nos documentaires télévisés et nos livres nous montrent pourquoi les Pascuans, les Mayas classiques, et d’autres sociétés anciennes se sont effondrés. 8