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MERCREDI 30 MARS 2016 72E ANNÉE – NO 22147 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Scandale des abattoirs : l’industrie de la cruauté envers les animaux ▶ Après les cas de maltrai- ▶ Une vidéo saisissante ▶ L’association L214, qui ▶ Les viandes de cet abat- tance animale dans le Gard, au Vigan et à Alès, l’abattoir de MauléonLicharre, au Pays basque, est désormais sur la sellette en caméra cachée montre des agneaux saignés qui se débattent encore, des bêtes encore vivantes dont on découpe les pattes ou la tête a diffusé cette nouvelle vidéo, s’appuie sur l’article du code rural qui reconnaît les animaux comme des « êtres sensibles » toir sont en partie classées Label rouge et certifiées bio, le chef Alain Ducasse compte parmi ses clients PLANÈTE – LIR E PAGE 7 Que révèle la polémique Kamel Daoud ? L’article de l’écrivain algérien sur les agressions de Cologne et le rapport des musulmans à la sexualité n’en finit pas de susciter la controverse. Trois nouveaux points de vue DÉBATS – LIR E PAGE S 2 2 - 2 3 Cinéma HOLLANDE AU RISQUE DE L’ISOLEMENT Téchiné, loin d’une « France rassise » « Quand on a 17 ans », se penche sur cet « âge assez radical » de deux garçons, dans les somptueuses montagnes des Pyrénées ▶ Coupure avec le pays, perte d’habileté politique : des proches du président s’inquiètent ▶ Qui sont les visiteurs du soir à l’Elysée ? ▶ Les conseillers économique et Afrique s’apprêtent à quitter le palais CULTURE – LIR E PAGE S 1 6 - 1 7 Brésil Le plaidoyer de Lula LIR E PAGE 6 FRANCE –LIR E PAGE S 8 - 9 1 ÉD ITO R IAL SYRIE : LA PRISE DE PALMYRE, ET APRÈS Le chef de l’Etat à mi-mandat, en février 2015, à l’Elysée. LI R E P 24 ÉRIC FEFERBERG/AFP SCIENCE & MÉDECINE CHRONIQUE FRANCE Sarkozy et l’effet Tefal Imaginer le confort par GÉRARD COURTOIS Le spadassin de Valéry Giscard d’Estaing était assassin. Au début de la campagne présidentielle de 1974, qui allait conduire « VGE » à l’Elysée, Michel Poniatowski décocha ce trait meurtrier contre Jacques Chaban-Delmas, candidat de l’armada gaulliste qu’il fallait couler au plus vite : « Les risques sont si sérieux que c’est vérita- blement un candidat sans fragilités qu’il faut opposer à François Mitterrand », alors candidat de la gauche. Les fragilités en question renvoyaient à plusieurs affaires qui avaient écorné le crédit d’un Chaban-Delmas méchamment « chabanisé ». → LIR E THE INNOVATORS OF COMFORT™ (1) L A S U IT E PAGE 2 4 LE REGARD DE PLANTU ▶ L’accès aux mé- dicaments dans les pays émergents se heurte aux brevets des laboratoires NOUVEAU ! Choisissez votre piétement Economie Nouvelle crise probable, pour un ex-banquier central LIR E LE C A HIER É CO PAGE 4 RCS Pau 351 150 859 - (1)Les innovateurs du confort SUPPLÉMENT Signature Fabriqué en Norvège Depuis 1934 Classic Étoile www.stressless.fr Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2| INTERNATIONAL 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Arrivés à Lesbos, des réfugiés attendent d’être transférés au camp de Moria, le 22 mars. FABIO BUCCIARELLI/AFP « A Lesbos, c’est l’opération grand nettoyage » La Grèce attend les agents européens censés aider à relocaliser les migrants ou à les renvoyer en Turquie lesbos (grèce) - envoyée spéciale L esbos sans réfugiés. Lesbos tenue par les gardesfrontières… Sur le port de Mytilène, la capitale, le patron du gril Magros Kokoras se prend à rêver que son île aux 11 millions d’oliviers retrouve bientôt son visage d’avant la crise migratoire. Et même mieux ! Il imagine l’arrivée de ferries remplis de Turcs, une fois qu’ils n’auront plus besoin de visas pour entrer en Europe. Ces touristes remplaceraient avantageusement, à ses yeux, les « gilets fluo » des humanitaires et des bénévoles internationaux, qui ne sont manifestement pas ses clients préférés, même s’ils remplissent sa caisse toute l’année. Esquissé en pointillé par l’accord signé, vendredi 18 mars, entre l’Union européenne (UE) et la Turquie, qui autorise la Grèce à renvoyer tous les migrants accostant sur ses îles, ce « Lesbos Nouveau » reste pourtant une chimère. Beaucoup en rigolent en sirotant leur café, sous les casquet- 30 000 « Le maire nous a dit qu’avec l’accord turc, on n’avait plus besoin de camp » YANNIS ANAGNOSTOU psychologue à la tête d’un collectif de bénévoles tes, déjà de mise au mois de mars. Dans cette île, sous domination turque jusqu’en 1912, on se méfie toujours du voisin d’en face. « Erdogan est bien plus malin que les technocrates de Bruxelles. Les arrivées de migrants vont se calmer, il va empocher l’argent ; le bazar recommencera, et il demandera une rallonge », observe Babbis Vournouxouzis, un hôtelier. Le compte n’y est pas Pourtant, l’heure n’est plus à la critique de l’accord, mais bien à sa mise en œuvre. Et sur ce point, la Grèce a besoin d’un sérieux coup de main pour mettre en personnes relocalisées en France d’ici à 2017 Dans le cadre des accords de relocalisation, Paris s’est engagé à accueillir 30 000 personnes d’ici à la fin 2017, sur un objectif européen de 160 000. Mardi 29 mars, 96 Erythréens, en provenance d’Italie, devaient arriver en France. Mille autres réfugiés en provenance de Grèce sont attendus entre avril et mai. Les réinstallations vont aussi s’accélérer : en effet, les réfugiés sélectionnés par le Haut Commissariat comme personnes vulnérables ne viendront plus seulement de Jordanie, du Liban et d’Egypte, mais aussi de Turquie. L’accord du 18 mars contient une clause qui oblige l’Union européenne à réinstaller en Europe un Syrien de Turquie pour chaque ressortissant syrien renvoyé depuis la Grèce, à hauteur de 72 000 personnes. œuvre ce dispositif nécessitant 4 000 agents, selon la Commission européenne. Sur le port, l’arrivée de quelques policiers hollandais a fait croire un instant à un renfort rapide. En fait, « sur un total de 1 500 escorteurs demandés par Frontex, 492 officiers ont été confirmés par 19 Etats membres », explique Fabrice Leggeri, le directeur de Frontex, au Monde, lundi 28 mars. Le directeur de l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne ajoutait que « certains grands Etats membres ont annoncé des chiffres très ambitieux, mais n’ont toujours pas confirmé la mise à disposition ». Même si, à ses yeux, ce retard peut s’expliquer par le nécessaire renforcement de la sécurité intérieure après les attentats de Bruxelles, le compte n’y est pas. En revanche, sur les cinquante experts en réadmission qui lui sont nécessaires, quarante-sept ont déjà été officiellement confirmés. La France, elle, se dit prête. « A la fin de cette semaine, ou au début de la suivante, deux cents officiers seront envoyés avec des missions d’escorteurs », rappelle-t-on dans l’entourage du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Sur ce point, Français et Allemands produiront le même effort, comme pour les cent fonctionnaires que fournira chacun des deux Etats. La France mettra l’accent sur les traducteurs, dont l’agence européenne de l’asile manque cruellement et enverra quelques juges aussi, précise-t-on place Beauvau. Un appel à volontaires a été lancé au sein de la fonction publique parmi les actifs et les retraités. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides devrait envoyer vingt officiers début avril, pour la relocalisation de réfugiés. L’Office français de l’immigration et de l’intégration vient, lui, d’envoyer une première personne, lundi 28 mars, à Athènes. « Et nous monterons progressivement en puissance », promet Didier Leschi, son directeur, qui dispose déjà « d’agents prêts à partir ». Un autre coordinateur a rejoint Athènes depuis la Direction générale des étrangers de France, accompagné d’un représentant de la Sécurité civile. Des camps complets Selon une source directement impliquée, le travail dans les îles aurait déjà pu démarrer, mais « les pays sont dans l’attente d’une définition précise des besoins des Grecs. Les ministères n’ont pas envie d’envoyer des gens sans savoir quelles missions leur seront confiées ». En l’absence de réponse et pour avancer, chaque grand pays impliqué devrait prendre la responsabilité globale d’une tâche. Ainsi, l’Allemagne devrait chapeauter les renvois vers la Turquie, mission sur laquelle les Etats ne se sont pas précipités. La France, elle, n’interviendra pas sur les mesures contestées de l’accord, mais devrait s’occuper des relocalisations vers tous les pays d’Europe qui ont donné leur aval. Mais, au train où vont les choses, le centre de Moria, le lieu de rétention de Lesbos, pourrait afficher complet avant que l’Europe n’ait fini de s’organiser. Depuis le dimanche 20 mars, aucun Syrien ou Afghan qui y entre n’en ressort. Or, les arrivées ont beau être moins nombreuses, chaque jour un ou deux canots d’une soixantaine de personnes arrivent encore. Même si cela ne leur libère aucune place de rétention, les autorités profitent aussi du moment pour inciter ceux qui ont accosté avant le 20 mars (et sont donc libres) à rejoindre le continent. Une bonne centaine attend dans le camp municipal de Kara Tepe « que la situation s’améliore à Athènes », comme l’explique Brahim, un maçon syrien de Damas, en montrant sur son téléphone des photos de tentes entassées au Pirée. Dans le camp autogéré de Pikpa, qui accueille une centaine de migrants très vulnérables, c’est la consternation. « Le maire vient de nous demander d’évacuer ce lieu qui fonctionnait sans argent public, juste sur des dons et sur la mobilisation locale », se désole Yannis Anagnostou, un psychologue à la tête d’un collectif de bénévoles. « Il nous a dit qu’avec l’accord turc on n’avait plus besoin de camp. » Essentiellement syriens, les locataires du lieu sont tous arrivés avant le 20 mars, mais ils sont malades et n’ont nulle part où aller. Mohamed vient de Damas. Il a perdu un œil, et sa blessure, due à des éclats métalliques, n’est pas encore stabilisée. Ahmed, lui, « Sur un total de 1 500 escorteurs demandés par Frontex, 492 officiers ont été confirmés par 19 Etats » FABRICE LEGGERI directeur de Frontex vient d’Alep et marche difficilement. Il lui faudrait de la chirurgie. « J’attends d’être relocalisé. J’ai fait mon dossier », précise-t-il, en espérant qu’un pays voudra bien de lui avant qu’on ne ferme le camp. « Ici, on a des dialysés, des personnes atteintes de maladies chroniques. On leur offre des petites cabanes de bois, c’est le minimum. On ne peut pas fermer ce camp avant que le sort du dernier ne soit réglé », répète M. Anagnostou. Mais le maire, qui rêvait depuis un an de reprendre cet ancien centre de loisirs, a saisi l’occasion. Prisonniers de l’île Une même menace plane sur un autre campement : celui d’une centaine de Pakistanais et d’une vingtaine de Marocains, installés au bord de la plage. Tous aimeraient s’embarquer pour Athènes, mais n’ont pas droit aux laissez-passer. Ils sont prisonniers de l’île. « La police est venue nous sommer deux fois de quitter le lieu. On sera renvoyés, tôt ou tard », se lamente un jeune garçon, qui ne peut se résoudre à la honte de rentrer chez lui. Il lui reste juste un espoir ténu, qu’il est bien décidé à exploiter… Chaque jour, à la montée dans le ferry, quelques Pakistanais passent le filtre du contrôle, munis d’un faux laissez-passer. « Ce sera peut-être moi aujourd’hui », ajoute-t-il, ragaillardi à cette idée. Juan Placa, un bénévole espagnol qui les aide depuis deux semaines, s’inquiète : « Depuis l’accord, le vent a tourné et c’est l’opération grand nettoyage dans l’île. Ils ne veulent plus de migrants. La vraie question, c’est de savoir si elle se remplira à nouveau. » p maryline baumard international | 3 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Le ministre de l’intérieur belge contesté ÉGY PT E Prise d’otages sur un vol d’EgyptAir Un avion de ligne de la compagnie aérienne EgyptAir effectuant la liaison entre Alexandrie et Le Caire, avec 81 passagers à son bord, a été détourné sur l’aéroport de Larnaca, à Chypre, sous la menace d’un passager qui a dit porter sur lui une ceinture d’explosifs, mardi 29 mars au matin. Des négociations ont permis d’obtenir la libération rapide des 81 passagers, à l’exception de l’équipage et de quatre étrangers, a annoncé la compagnie, sans préciser leur nationalité. – (AFP.) Jan Jambon est critiqué pour les failles de l’enquête et la gestion de l’après-attentats bruxelles - correspondance L’ homme au chapeau repéré par les caméras de vidéosurveillance de l’aéroport de Zaventem, peu avant l’attentat du mardi 22 mars, n’était pas Fayçal Cheffou, ce journaliste indépendant que des témoins avaient aussi repéré aux abords de la station de métro Maelbeek, où a eu lieu un autre attentat-suicide. Fayçal Cheffou, la seule personne mise en examen pour un lien présumé direct avec ces attaques – dont le bilan est passé à 35 morts, lundi 29 mars –, a été libéré sans condition lundi. Con- PROFIL Jan Jambon Le vice-premier ministre et ministre de l’intérieur belge, âgé de 55 ans, est un proche du président du Parti nationaliste flamand (NVA), Bart de Wever. Il a fait polémique en fermant en février une partie de la frontière franco-belge pour éviter la venue de migrants depuis Calais. formément à la procédure, il reste inculpé pour participation aux activités d’un groupe terroriste, mais la police belge, qui a mis en ligne la vidéo de l’aéroport lundi, recherche manifestement un autre homme. Cet épisode, qui a surpris, est une autre déconvenue pour le ministre de l’intérieur, Jan Jambon, membre du parti nationaliste flamand NVA (Alliance néoflamande), alors qu’il est au centre des polémiques sur les failles des enquêteurs belges dans la lutte contre les mouvements djihadistes. Une guerre des mots l’a opposé, depuis dimanche 27 mars, au bourgmestre (PS) de Bruxelles, Yvan Mayeur, après que des groupes de supporteurs de clubs de football ont perturbé une cérémonie d’hommage aux victimes, au cœur de la capitale belge. Ces hommes habillés de noir, regroupés sous une bannière « Hooligans belges contre le terrorisme », ont investi les marches de la Bourse, piétinant les fleurs déposées sur le sol et distribuant quelques coups. M. Mayeur s’est dit « scandalisé » par les propos du ministre, qui a affirmé que Bruxelles avait reçu les renforts nécessaires pour faire face à cette situation. « Les policiers étaient présents pour se prémunir d’une autre menace », a indiqué le maire. La grande manifestation prévue avait en effet été annulée à la demande des autorités fédérales en raison des menaces pour la sécurité et de la surcharge de travail des policiers. Le parti nationaliste flamand NVA découvre la difficulté d’exercer le pouvoir Yvan Mayeur désigne comme principal responsable Jan Jambon, qui exerce la tutelle sur la police des chemins de fer. Celle-ci aurait dû, dit-il, empêcher les supporteurs d’embarquer dans des trains à destination de Bruxelles. Le ministère de l’intérieur maintient que M. Mayeur avait été alerté, dès le vendredi 25 mars, sur le risque de voir cette action se dérouler sur le territoire de sa ville. La polémique s’est envenimée avec le refus de la NVA – le parti de M. Jambon – de signer un communiqué des autres partis flamands condamnant les incidents de dimanche. Bart De Wever, le maire d’Anvers et président de la formation nationaliste, ne voulait pas « donner trop d’importance aux hooligans ». « On aurait pu stopper Bakraoui » Ce parti adepte de « la loi et l’ordre » découvre la difficulté d’exercer le pouvoir. Il n’avait pas non plus pris officiellement position, à la fin de la semaine dernière, quand un adjoint au maire d’Alost, en Flandre, avait posté sur Facebook une affiche pétainiste agrémentée du slogan « On les aura ! » et invitant à réagir face à « cette bande de singes à barbe ». L’intéressé, affilié à la NVA, est un ancien membre du parti d’extrême droite Vlaams Belang. M. Jambon, qui avait été mis en cause au début de son mandat en 2014 pour ses accointances avec un groupe de réflexion lié au Vlaams Belang, est sur la sellette. Il pourrait être interrogé par une commission parlementaire d’enquête sur les décisions qu’il a prises, ou n’a pas prises, après l’attentat de Zaventem, survenu peu avant 8 heures. Il affirme avoir demandé à 8 h 50 (21 minutes avant l’explosion à la station de métro Maelbeek) la fermeture des gares et des lignes de métro. Infrabel, la société qui gère le réseau des chemins de fer, et la Société des transports intercommunaux de Bruxelles (STIB) contredisent toutefois ses propos. La porte-parole de la STIB a indiqué, samedi 26 mars, que la compagnie n’avait reçu aucune demande du gouvernement fédéral. Infrabel affirme avoir décidé seule de la fermeture de la ligne vers Zaventem, puis des gares de Bruxelles. Le Centre de crise du ministère de l’intérieur pourrait bien être mis en cause : il n’aurait ouvert ses portes qu’à 9 heures… Le mystère entoure, par ailleurs, l’épisode concernant Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes de l’aéroport. C’est le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a révélé, la semaine dernière, que cet individu en liberté conditionnelle avait été repéré et arrêté dans le sud de la Turquie à l’été 2015, alors qu’il tentait de gagner la Syrie. Il avait été extradé à sa demande vers les Pays-Bas mais l’information a été transmise aux autorités belges et néerlandaises. Lors d’une audition au parlement, vendredi 25 mars, Jan Jambon a clairement rejeté la faute sur l’officier de liaison de la police belge, installé dans l’ambassade d’Istanbul. Au cours de ce week-end, le ministre a affirmé, sur un plateau de télévision, que « l’on aurait pu stopper El Bakraoui ». Il rejette toujours la faute sur l’officier de liaison. Un syndicat policier parle de « sale petit jeu politique ». Mercredi 23 mars, M. Jambon a présenté symboliquement sa démission au premier ministre, Charles Michel, qui l’a refusée. Pure stratégie, destinée à placer également le ministre de la justice, Koen Geens, membre du parti chrétien démocrate flamand CD & V, devant ses responsabilités ? L’entourage de M. Jambon réfute cet argument, comme il conteste l’idée que ce dernier cherche à dégager sa responsabilité en recherchant des boucs émissaires. Sa chute entraînerait vraisemblablement celle de la coalition de M. Michel. D’où le fait que ce dernier ait, la semaine dernière, refusé une démission qui aurait totalement déstabilisé son équipe… et un pays qui vit des heures noires. p AN GOL A 17 activistes condamnés pour rébellion Dix-sept opposants ont été condamnés, lundi 28 mars, à Luanda, à des peines allant de 2 à 8 ans de prison. Les accusés, dont le rappeur Luaty Beirao et le journaliste Domingos da Cruz, avaient demandé le départ du président dos Santos. Leurs avocats ont annoncé leur intention de faire appel de ce verdict « scandaleux », selon des organisations de défense des droits de l’homme. – (AFP.) ETATS - U N I S Panique au Capitole Un homme a été blessé et arrêté après avoir sorti une arme, lundi 28 mars, à l’une des entrées du Capitole, le siège du Congrès à Washington. Le bâtiment a été brièvement bouclé, de même que la Maison Blanche. Selon le chef de la police du Capitole, « le suspect est connu de [ses] services ». – (AFP.) jean-pierre stroobants Polémique en Israël après l’exécution d’un Palestinien par un soldat $# "% $! Benyamin Nétanyahou a exprimé sa solidarité avec le militaire L e 24 mars à Hébron, en Cisjordanie, un soldat israélien a abattu d’une balle dans la tête, à quelques mètres de distance, un Palestinien gisant déjà à terre. Celui-ci avait, peu avant, commis une agression au couteau contre un militaire, avec un autre homme. Ils avaient été atteints par balle en réponse. Une vidéo, tournée par un militant de l’ONG B’Tselem, montre l’absence de menace directe pour l’auteur du coup de feu fatal, l’immobilité de l’agresseur à terre, la présence d’autres soldats, tranquilles, à proximité. Le militaire incriminé a été arrêté. Pourtant, les réactions outrancières que cet événement a suscitées traduisent l’impossibilité de débattre, en Israël, du coût humain et moral de l’occupation en Cisjordanie. Depuis le début de la nouvelle vague de violences palestiniennes, en octobre 2015, 28 Israéliens et près de 190 Palestiniens – dont une bonne partie d’agresseurs avérés ou supposés – ont été tués. Or, selon les responsables palestiniens et certaines ONG, plusieurs cas d’exécutions sommaires de suspects palestiniens ont été constatées, sans toutefois être confirmées de façon aussi éclatante, par une vidéo. L’acte d’Hébron est « horrible, immoral et inique » selon Nikolaï Mladenov, envoyé spécial des Nations unies pour le processus de paix. Amnesty International, de son côté, évoque « un crime de guerre potentiel ». Il s’est passé de longues minutes entre le moment où l’agression palestinienne a eu lieu et celui où Abed Al-Fatah Al-Sharif a été achevé. Trois officiers ont été mis en cause par la hiérarchie pour ne pas avoir porté secours à l’homme à terre, alors que la situation était sous contrôle. Selon les premiers éléments de l’enquête, rapportés par la presse, le soldat qui a abattu le Palestinien avait expliqué au préalable à ses camarades que celui-ci « devait mourir », parce qu’il avait agressé au couteau l’un de ses amis en uniforme. Contrairement à ce qu’a prétendu l’avocat du mis en cause, rien n’indiquait que l’homme à terre pouvait porter une veste d’explosifs. Extrémiste notoire Une nouvelle vidéo diffusée dimanche soir par le quotidien Haaretz montre le soldat, auteur du coup de feu, serrant la main d’un extrémiste juif notoire, juste derrière le cordon de sécurité, alors que le corps était évacué. Cet extrémiste est Baruch Marzel, disciple du rabbin Meir Kahane, fondateur du mouvement raciste Kach, interdit en Israël en 1994. Arrêté à de nombreuses reprises, Baruch Marzel est une célébrité dans les milieux d’extrême droite, en raison de ses appels à la haine et de ses actions violentes. Les organisations non gouvernementales documentant l’occupation en Cisjordanie ont exprimé une condamnation unanime après cet assassinat. Mais le débat a surtout eu lieu au-dessus de leur tête, entre l’extrême Le débat a surtout eu lieu entre l’extrême droite, bien représentée au gouvernement, et l’armée droite, solidement représentée au sein du gouvernement, et l’institution militaire, qui a des règles d’engagement et des procédures disciplinaires. Or, la première fait semblant de minorer, voire d’ignorer ces procédures, au nom de la « guerre » qui serait engagée contre le terrorisme palestinien. Les hauts gradés, eux, redoutent tout dérapage individuel pouvant conduire à un embrasement. Une campagne a été initiée sur les réseaux sociaux pour attaquer une nouvelle fois les ONG, dites de gauche, comme B’TSelem, mais aussi l’état-major et les responsables politiques, jugés trop mous. Dans un premier temps, jeudi 24 mars, Benyamin Nétanyahou avait estimé que cet incident grave « ne reflétait pas les valeurs de l’armée ». Mais il a fait marche arrière, sentant qu’une partie de sa formation, le Likoud, et la base nationaliste exprimaient une solidarité décomplexée avec le soldat. « Toute mise en cause de la moralité de l’armée est révoltante et inacceptable », a dit le premier ministre dimanche. Le ministre de l’éducation, Naftali Bennett, leader du parti extrémiste Le Foyer juif, a eu une algarade lors du conseil des ministres avec Benyamin Nétanyahou, selon la presse. Il lui a reproché de ne pas soutenir les soldats. Le ministre refuse toute mise en cause du soldat pour « meurtre » et évoque un simple « incident opérationnel en territoire dangereux ». Son collègue à la défense, Moshe Yaalon, lui a répondu sans le citer. « Toute personne encourageant la violation de la loi pour contenter une minorité extrême et violente pourrait nous conduire à l’anarchie. » Dès jeudi, il avait promis « la plus grande sévérité » dans l’enquête. p piotr smolar Tous les mercredis à 23h La série événement 100% québécoise débarque chez vous ce soir ! Une série de Sphère Média Plus et Écho Média, diffusée par Radio-Canada. En savoir plus et à (re)voir sur tv5monde.com/19deux Réagissez sur @TV5MONDE avec #19deux Photo © Véro Boncompagni jérusalem - correspondant La chaîne culturelle francophone mondiale Canal 34 Canal 71 Canal 41 Canal 79 Canal 55 Canal 36 Canal 33 4 | international 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Après la reprise de Palmyre, la reconstruction en question D’après les archéologues, certaines parties du site antique détruites par l’EI seront difficiles à restaurer A près la reconquête, dimanche 27 mars, de Palmyre par les troupes gouvernementales syriennes, appuyées par l’aviation russe, l’heure est à l’évaluation des dégâts causés par dix mois d’occupation de la cité antique par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI). Selon Maamoun Abdulkarim, le directeur des antiquités et musées de Syrie (DGAM), joint par téléphone à Damas, « 80 % de l’architecture du site archéologique n’ont pas été touchés : la colonnade, l’agora, le théâtre, les ruines des bains [de l’empereur Dioclétien], les temples de Nébo et d’Allat », comme le montre une vue aérienne prise par un drone russe. « Après les destructions des temples de Bêl et de Baalshamin [en août 2015], de l’Arc de triomphe et d’une dizaine de tours funéraires, la cinquantaine de fonctionnaires restés sur place ont mobilisé la population, affirme le directeur, pour faire savoir à Daech [acronyme arabe de l’EI] qu’il y aurait des manifestations si les destructions continuaient. Elles se sont arrêtées. » Archéologue lui-même, M. Abdulkarim ajoute que « la destruction du temple de Bêl a désolé les Palmyréniens. Je n’étais pas seul dans ce combat, un combat culturel pour la sauvegarde de l’héritage de tous les Syriens, patrimoine de l’humanité. » Il n’empêche : après les destructions, les pillages ont continué, reconnaît-il. « Il y a eu beaucoup de fouilles clandestines, les tombeaux ont été pillés, mais nous n’avons pas de détails. » Outre la citadelle arabe qui a été endommagée dans les combats, le musée archéologique a été saccagé. Quatre cents sculptures avaient été évacuées avant l’arrivée de l’EI. Intransportables car trop lourds, les statues et hautsreliefs ont été renversés, les têtes coupées, les visages martelés, à la manière du saccage perpétré au Musée de Mossoul, en Irak, début 2015. « C’est dramatique, le musée est dans un état lamentable », se désole Michel Al-Maqdissi, le responsable des fouilles et des études archéologiques de Syrie de 2000 à 2012, qui travaillait encore dans l’enceinte du temple de Bêl en 2011. Opulent commerce caravanier Oasis en plein désert, entre l’Euphrate et la Méditerranée, l’ancienne Tadmor biblique était devenue, au tournant de notre ère, du Ier siècle avant J.-C. au IIe siècle après J.-C., une cité Des pièces très endommagées dans le musée archéologique de Palmyre, le 27 mars. SANA/REUTERS « 80 % de l’architecture du site n’a pas été touchée » MAAMOUN ABDULKARIM directeur des antiquités et musées de Syrie prospère. Sur les marches de l’empire romain d’Orient, Palmyre était la plaque tournante d’un opulent commerce caravanier, comme Hatra en Irak, détruite par l’EI en 2015. Les tribus sémitiques, à la tête de caravanes de centaines de dromadaires – comme en témoignent les dessins sur le vif de Louis-François Cassas, en 1785, premier Français à s’aventurer dans ce désert –, convoyaient la soie, les épices, les pierres précieuses venues de Chine et d’Inde, et l’encens d’Arabie qui s’arrachaient à prix d’or à Rome. Ce sont les tribus palmyréniennes qui financèrent la construction en pierre de taille de l’antique cité, mariant le vocabulaire grécoromain aux codes sémitiques. Peut-on parler, déjà, de reconstruction ? L’heure est au déminage du site. « On voit des explosifs un peu partout », rapporte M. AlMaqdissi. L’état des édifices dictera la suite. Le Lion, énorme pièce de 15 tonnes qui trônait dans le jardin du musée, a été renversé, mais tous les éléments sont là, prêts à être remontés. C’est le cas, aussi, de l’Arc de triomphe. Pour les deux principaux sanctuaires, Bêl et Baalshamin, c’est une autre affaire. L’archéologue se fait prudent : « Cela va prendre un temps fou. Il faut se donner le Un djihadiste accusé de crime de guerre pour avoir détruit des mausolées à Tombouctou L e Touareg malien Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi, plus connu sous le nom d’Abou Tourab, a été renvoyé en procès par les juges de la Cour pénale internationale (CPI) jeudi 24 mars. Livré le 26 septembre 2015 par le Niger, où il était détenu, ce djihadiste du groupe armé Ansar Eddine devrait plaider coupable de crime de guerre pour la destruction de neuf mausolées et de la porte de la mosquée Sidi Yahia à Tombouctou, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012. La date du procès n’a pas encore été fixée. Après s’être emparés de la « cité des 333 saints », le 1er avril 2012, les djihadistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Eddine soumettaient la population et détruisaient les mausolées à coups de pioche et de barre de fer. Chef de la Hesbah, la brigade des mœurs chargée de « réprimer tout comportement contraire à la vertu », M. Al-Faqi Al-Mahdi aurait « joué un rôle crucial », selon la Cour, dans la destruction des bâtiments placés sous la protection de l’Unesco et dont certains étaient inscrits au patrimoine mondial. Ce n’est pas la première fois que la justice internationale s’empare de tels crimes. Le tribunal pour l’ex-Yougoslavie avait condamné un général serbe à huit ans de prison pour le pilonnage de la vieille ville de Dubrovnik, en 1991, elle aussi classée au patrimoine mondial. Mais après la destruction par l’Etat islamique du musée de Mossoul en Irak en février 2015, du site gréco-romain de Palmyre en Syrie l’été suivant, et d’autres lieux historiques ou religieux, la procureure espère faire un exemple de cette première affaire dans l’enquête sur les crimes commis au Mali, ouverte à la demande de Bamako en janvier 2013. « C’est l’identité et la dignité mêmes de la ville et de ses habitants qui ont été touchées, les sites attaqués étaient le symbole de Tombouctou et étaient perçus comme un moyen spirituel de protection de la ville », déclarait le procureur dans un document remis aux juges. Selon le dossier, la décision de détruire avait été prise par Le chef de la brigade des mœurs avait expliqué aux habitants qu’il agissait tel que l’avait ordonné « le Messager » Iyad Ag Ghaly, le chef d’Ansar Eddine. Considéré par l’accusation comme le « fil rouge » de l’opération, « chargé d’organiser l’attaque contre les mausolées et de superviser les opérations », Ahmed Al-Faqi Al-Mahdi, « érudit en religion », avait non seulement participé à la décision, mais aussi fourni les outils, sélectionné les hommes et conduit l’attaque. Le chef de la brigade des mœurs avait alors expliqué à la population agir tel que l’avait ordonné « le Messager », et avait écrit le sermon lu lors de la prière du vendredi, la veille de l’attaque. Une tonne d’armement Cette première affaire de la Cour dans le dossier malien ne porte que sur la destruction des mausolées, et non sur les crimes ciblant directement la population de Tombouctou. La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) avait d’ailleurs regretté le caractère partiel des accusations. L’organisation a porté plainte, en collaboration avec plusieurs associations maliennes, pour crimes contre l’humanité devant la justice malienne contre Al-Mahdi et plusieurs djihadistes d’AQMI et d’Ansar Eddine, après des viols, des tortures et des détentions arbitraires. Longtemps fonctionnaire au ministère malien de l’éducation, « Voir les choses avec sagesse » M. Al-Maqdissi rappelle que, dans les années 1930, pendant le mandat français, l’architecte Robert Amy avait restauré, sous la conduite d’Henri Seyrig – père de l’actrice Delphine Seyrig et grand archéologue –, la cella, qui était alors debout. « Et cela a pris dix ans. Palmyre, ce ne sont pas les mausolées de Tombouctou en brique crue [détruits par les djihadistes d’Ansar Eddine en 2012]. C’est comme les Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan [détruits en 2001 par les talibans], on ne peut les reconstruire. Il faut voir les choses très tranquillement, avec sagesse. L’Unesco va-t-elle envoyer des experts et trouver l’argent pour réaliser ce programme ? », interroge l’archéologue. Maamoun Abdulkarim, lui, avance un délai de cinq ans pour la reconstruction. Mais il reconnaît les limites de l’exercice. « Dans le cas des deux temples de Bêl et Baalshamin, on va évaluer le pourcentage de pierres réutilisables et les blocs à remplacer, dit-il. La porte du temple de Bêl est debout, comme le podium. On verra jusqu’à quel niveau reconstruire les édifices. C’est le travail des experts, avec la ratification de la commission scientifique. » Une réunion est déjà prévue à Paris, en sa présence, à l’Unesco, le 1er avril. p florence evin Fidel Castro refuse la main tendue du « frère Obama » C’ Ahmed Al-Mahdi avait rejoint Tombouctou, sa région natale, dès la prise de la ville par les groupes djihadistes, avant de la fuir en janvier 2013 face à la progression des forces françaises de l’opération « Serval ». Mais en octobre 2014, il avait été blessé lors de son arrestation au Niger par la force Barkhane, à 30 kilomètres de la frontière nigéro-algérienne et à bord d’un convoi transportant plus d’une tonne d’armement du Sud libyen vers le Mali. Le Niger l’avait remis à la CPI en septembre 2015. En janvier, l’Emirat du Sahara, une branche d’AQMI, a exigé la libération de combattants détenus au Mali et celle d’Al-Faqi Al-Mahdi en échange de la religieuse suisse Béatrice Stockly, enlevée dans la nuit du 7 au 8 janvier au Mali pour la seconde fois. Sur la vidéo de revendication, on peut voir la photo de l’ancien chef de la brigade des mœurs, accompagné d’une voix off demandant sa libération. En bas de l’image, en incrustation, on peut aussi lire qu’« un musulman est le frère d’un autre musulman, il ne l’opprime point et ne le dénonce point ». Selon une source à la Cour, il pourrait s’agir d’un message à l’adresse du détenu. Depuis, la CPI a pris de nouvelles mesures de sécurité. p est le coup de pied de l’âne : six jours après la fin de la visite historique du président américain, Fidel Castro s’est acquitté du « devoir élémentaire de répondre au discours d’Obama au Gran Teatro de La Havane ». Lundi 28 mars, sa réplique est à la « une » de Granma, l’organe officiel du comité central du Parti communiste de Cuba : Barack Obama a « utilisé les mots les plus sirupeux » pour inviter à tourner la page de la guerre froide. « Chacun de nous a failli avoir un infarctus en écoutant le président des Etats-Unis », avoue Fidel Castro, bientôt nonagénaire. Contrairement à d’autres dirigeants politiques et religieux, le président américain n’avait pas jugé utile de rendre visite au grand malade. Fidèle à sa légende, l’ancien « Lider Maximo » emprunte une longue digression historique, ironiquement inDANS SA LONGUE titulée « le frère Obama ». Il remonte DIGRESSION jusqu’aux conquistadors, plus ou moins comparés au déferlement des HISTORIQUE, touristes. Vient ensuite la rituelle évocation de José Marti, le patriarche de LE LIDER MAXIMO l’indépendance, et la geste des expédiÉNUMÈRE LES MÉFAITS tionnaires cubains en Angola en 1975, commandés personnellement par FiDE « L’EMPIRE » del Castro depuis La Havane pour battre l’Afrique du Sud avant que le régime de l’apartheid utilise ses bombes atomiques. Entre les deux, une énumération des agressions et méfaits commis par l’impérialisme contre « le premier territoire libre des Amériques », sans oublier le « blocus » – l’embargo américain. La digression africaine s’expliquerait, si on suit le raisonnement sinueux de l’auteur, parce que « le frère Obama » a oublié de dire que la Révolution a balayé la discrimination raciale. Un point de vue que la rue cubaine, majoritairement noire et métisse, partagera difficilement. Face au premier président noir des Etats-Unis, le castrisme ne fait pas le poids avec son seul dirigeant afro-cubain, Esteban Lazo, qui se limite à faire de la figuration. Refusant la main tendue par M. Obama, Castro écrit enfin une phrase ciselée pour Twitter : « Nous n’avons pas besoin de cadeaux de l’empire. » « Nous sommes capables de produire les aliments et les richesses matérielles dont nous avons besoin », assure-t-il. Cuba importe pourtant 80 % des denrées, en provenance notamment des Etats-Unis, en dépit de l’embargo. p stéphanie maupas paulo a. paranagua Abou Tourab, membre d’Ansar Eddine, sera jugé par la Cour pénale internationale la haye - correspondance temps de la réflexion, faire l’inventaire et l’état des lieux. » Reconstruire la cella – l’édifice dédié au culte – du temple de Bêl ? « Impossible, répond-il. C’est une folie, elle a explosé. » Les djihadistes avaient tellement bourré le temple de dynamite que l’explosion a réduit en morceaux le saint des saints dédié à Bêl, le Seigneur. 6 | international 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Lula en mission séduction pour défendre Dilma La présidente brésilienne pourrait être lâchée par le parti centriste PMDB, son principal allié au gouvernement sao paulo - correspondante « La démocratie est trop sacrée pour jouer avec. Mais je crois au bon sens des députés » P lusieurs fois, il a tapé du poing sur la table, a ému la salle, puis l’a fait rire, employant ses habituelles métaphores footballistiques donnant à la situation délicate du Brésil des airs plus légers. Lundi 28 mars, à Sao Paulo, devant un parterre de journalistes de la presse étrangère, Luiz Inacio Lula da Silva, président de 2003 à 2010, a emprunté à sa verve d’ancien syndicaliste et à son charme naturel pour porter à nouveau secours à Dilma Rousseff, sa successeure, menacée de destitution (impeachment). « Laissez cette femme gouverner le pays », a-t-il presque supplié. « Un président a besoin de tranquillité pour penser au futur », il ne doit pas avoir à « se préoccuper de sa survie ». Une opération séduction adressée notamment à des médias français, allemands, américains, argentins et même chinois, pour faire entendre son plaidoyer, que la presse brésilienne, en particulier la chaîne Globo, accusée d’être biaisée et acharnée contre lui, ne voudrait pas relayer. Lula, qui a quitté le pouvoir auréolé de plus de 80 % de popularité, laissant un Brésil prospère et prometteur, est aujourd’hui un homme abîmé. Des soupçons de corruption planent sur l’ancien président maladroitement convoqué par une Dilma Rousseff aux abois pour faire partie de son gouvernement. L’initiative a choqué. L’homme veut aujourd’hui faire oublier l’idée qu’en tant que ministre il tenterait d’échapper à la justice. Son entrée en fonctions est, LUIZ INACIO LULA DA SILVA ancien président du Brésil Lula, lors d’une conférence de presse, le 28 mars, à Sao Paulo. LUDOVIC CARÈME/POUR « LE MONDE » pour le moment, suspendue. « Je ne veux pas jouer les intrus. » S’il a accepté de servir l’Etat, c’est pour redresser une économie en profonde récession, ne plus parler de coupes budgétaires mais d’investissements. Le voilà prêt à rejouer pour les Brésiliens le « Lulinha paz et amor » (« petit Lula, paix et Israël renonce à faire d’un colon son ambassadeur à Brasilia Israël a fini, lundi 28 mars, par renoncer à faire de Dani Dayan, figure de la colonisation, son nouvel ambassadeur au Brésil après un bras de fer de plusieurs mois avec Brasilia. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou, également ministre des affaires étrangères, a décidé de le nommer consul général à New York. Sa nomination à Brasilia était dans l’impasse depuis qu’elle avait été décidée à l’été 2015. Sans porter la querelle sur la place publique, le Brésil refusait le choix de cet entrepreneur d’origine argentine, qui a dirigé entre 2007 et 2013 le Conseil de Yesha, principale organisation de colons dans les territoires palestiniens occupés. Fauteuils & Canapés Club Haut de Gamme amour »), slogan de la campagne de 2002 qui s’était traduite par deux mandats synonymes d’un enrichissement des Brésiliens. Le pays s’enfièvre et se déchire La nostalgie peut-elle fonctionner ? Les manifestations appelant au départ « immédiat » de la présidente et à l’emprisonnement de Lula se succèdent depuis des mois, suivies de presque autant de contre-manifestations plus modestes en soutien à Dilma Rousseff, à l’ancien président et au Parti des travailleurs (PT, gauche), la formation présidentielle. La foule crie tantôt « Fora Dilma » (« dégage Dilma »), tantôt « não vai ter golpe » (« il n’y aura pas de coup d’Etat »). Le pays s’enfièvre et se déchire, opposant deux camps caricaturés : les « coxinhas », des fritures au poulet symbolisant la bourgeoisie qui exige le départ du PT, face aux « mangeurs de mortadelle », censés incarner la classe populaire. Lula assiste, désolé, à ce spectacle, lui qui se revendique l’auteur d’une « révolution sociale » ayant permis à des dizaines de millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté, sans même que soit dégainé un « pistolet à eau ». Le septuagénaire est agacé. Hier défenseur de la procédure de destitution prévue dans la Constitution, il use aujourd’hui lui aussi de cette rhétorique du coup d’Etat pour dénoncer un processus sans fondement juridique à ses yeux. Pour qu’il y ait l’impeachment, il faut qu’il y ait crime de responsabilité. Or, de crime, Dilma Rousseff n’en a pas commis, assure-t-il. On reproche à la présidente d’avoir maquillé les comptes publics en ayant recours à un « péda- lage budgétaire », une astuce permettant de minimiser les dépenses d’une année en les reportant sur l’année suivante grâce à des emprunts publics. D’autres chefs d’Etat ont usé de cette tactique mais dans une moindre ampleur. La présidente est aussi accusée par l’Ordre des avocats du Brésil (OAB), qui a déposé lundi une nouvelle demande de destitution, d’avoir fait obstruction à la justice. « Prétexte », balaie Lula, sûr qu’il s’agit d’une manœuvre visant à servir une opposition qui n’a jamais digéré d’avoir perdu en 2014. Ce jeu est dangereux, pense-t-il. La « démocratie est trop sacrée pour jouer avec. Mais je suis optimiste. Je crois au bon sens des députés ». L’impeachment n’est pas la seule menace qui plane sur sa protégée. Le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), principal allié du PT au sein de la coalition gouvernementale, envisage d’abandonner la présidente, qui bat des records d’impopularité. Sans son appui, trouver une majorité au Congrès afin d’empêcher la destitution et d’exercer le pouvoir relèverait de la prouesse. Lundi, le ministre du tourisme, Henrique Eduardo Alves (PMDB), a le premier présenté sa démission « par cohérence », pour s’engager dans une « lutte pour un Brésil meilleur ». Cette attitude remplit Lula de « tristesse », sans l’abattre : « En 2003, le PMDB ne m’a pas appuyé. Le gouvernement va construire une nouvelle alliance. » Les soupçons de corruption contre lui sont vite évacués, Lula préférant laisser ses avocats gérer sa défense. Mais l’homme ne manque pas d’épingler celui qu’il décrit comme un fanfaron aux méthodes de cow-boy, grisé de sa soudaine notoriété : le juge Sergio Moro. Ce magistrat de Curitiba, chargé de l’enquête « Lava Jato », qui a mis au jour le scandale de corruption liant le groupe pétrolier Petrobras à de grandes entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) et impliquant une multitude de dirigeants politiques, l’irrite. « Le juge n’a pas été correct », souligne l’ex-président, qui s’est senti « offensé » lorsque M. Moro a rendu publiques des écoutes téléphoniques personnelles. Sergio Moro est « intelligent et compétent », reconnaît-il, avant d’attaquer celui qui aurait transformé une enquête judiciaire en un cirque médiatique et un spectacle « pyrotechnique ». D’ici peu, Lula en est persuadé, on lui « demandera des excuses ». p claire gatinois Mystérieuse pétition contre Xi Jinping Pékin recherche les auteurs d’un texte visant le président, publié sur un site chinois TOUS LES F AUTEUILS CLUB A 9 9 0€ En cuir basan e de mouto n colori mie l Jusqu’au 5 Avril 20 16 L’indémodable fauteuil CLUB , plus de 80 ans et toujours plus de succès ! Cuir mouton ciré, patiné, vieilli, suspension et ressorts. Plus de 30 modèles en exposition. 80, rue Claude-Bernard - 75005 PARIS Tél. : 01.45.35.08.69 www.decoractuel.com pékin - correspondant M ystérieusement apparue sur un site chinois malgré la censure, une pétition anonyme au vitriol contre la politique du président Xi Jinping met la police dans tous ses états. Au moins deux journalistes en exil, l’un aux Etats-Unis, Wen Yunchao (alias Bei Feng) et l’autre en Allemagne, Chang Ping, ont déclaré ces derniers jours que des membres de leur famille en Chine avaient été interpellés par les autorités afin de les pousser à collaborer à l’enquête. Signée de « membres loyaux du Parti communiste », la pétition demandait la démission du numéro un chinois, auquel les mystérieux auteurs reprochent une « concentration excessive du pouvoir ». Ils dressent ensuite une liste très argumentée de griefs à l’encontre des méthodes de M. Xi – dont un culte grandissant de la personnalité. Cette lettre serait sans doute passée inaperçue si elle n’était apparue le 4 mars, sans doute à l’instigation d’un pirate informatique, sur le site d’information Watching (« Wujie » en chinois), un nouveau média de la galaxie « libérale » chinoise soumis, comme toute la Depuis Bonn, le dissident et ex-journaliste Chang Ping s’est alarmé des pressions sur sa famille, en Chine presse, à un contrôle étroit de son contenu. Elle avait simultanément été mise en ligne sur des sites connus de la dissidence en exil, où ce genre de texte n’est pas rare, et envoyée à de nombreuses personnalités en exil. Le raté de la censure a d’abord suscité moult railleries sur les réseaux sociaux chinois – sans compter qu’il intervenait la veille de l’ouverture d’une session parlementaire marquée justement par une fronde sur les excès du contrôle des médias. Puis, il a vite entraîné une réaction disproportionnée de l’appareil policier : outre le fait qu’une grande partie de la rédaction de Wujie est toujours détenue à ce stade, un blogueur chinois, Jia Jia, « disparaissait » à l’aéroport de Pékin le 15 mars. Il avait été le premier à prévenir le rédacteur en chef de Wujie de l’apparition à son insu de la lettre sur son site. Jia Jia, dont l’arrestation a provoqué un choc, a été libéré par la police vendredi 25 mars et ne s’est pas exprimé depuis. A New York, Wen Yunchao, un célèbre blogueur de Canton et ancien journaliste en exil, a appris ce même jour que ses parents et son frère avaient été arrêtés le 22 mars. Ils sont toujours en détention, a-t-il confirmé au Monde lundi. « La police leur a dit savoir que je n’étais pas l’auteur de la pétition, mais que celui qui l’a écrite me l’aurait confiée pour que je la publie. Ils [les autorités] m’exempteront de toute responsabilité si je révèle l’identité de l’auteur », précise-t-il. Or, Wen Yunchao affirme n’avoir rien à voir avec la pétition, même s’il a été le premier à révéler sur Twitter sa mise en ligne sur le site Wujie. Et d’ajouter : « Je n’ai pas à reconnaître quelque chose que je n’ai pas fait. » Machine policière susceptible Depuis Bonn, le dissident Chang Ping, un ex-journaliste très connu qui a fui la Chine et écrit régulièrement pour la chaîne Deutsche Welle, s’est, lui aussi, alarmé de pressions sur sa famille en Chine. Deux frères et une sœur ont été arrêtés le 27 mars et servent depuis d’intermédiaires maladroits pour des requêtes très précises de la police concernant ses activités : « Ils ne semblent pas soupçonner que j’ai quoi que ce soit à voir avec la lettre », dit-il. Mais les policiers exigent qu’il cesse de « publier des articles et des commentaires critiquant le gouvernement chinois », et retire du site de la Deutsche Welle son article sur l’arrestation du blogueur Jia Jia. Une requête qu’il a publiquement rejetée lundi 28 mars. « C’est comme si la police cherchait à se venger des dissidents qui les gênent le plus », estime une journaliste chinoise sous couvert d’anonymat. Ce nouvel excès de zèle qui vire à la mauvaise farce confirme la susceptibilité extrême de la machine policière chinoise, déjà empêtrée dans l’imbroglio de l’enlèvement d’éditeurs hongkongais critiques envers le chef de l’Etat. « Je pense que si les autorités en font tant, estime le dissident en exil Hu Ping, c’est que Xi Jinping est vraiment inquiet d’une résistance contre lui au sein du parti. » p brice pedroletti planète | 7 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Nouveaux cas de cruauté dans un abattoir français Une entreprise basque mettant en avant le bio et le Label rouge est accusée de graves maltraitances animales C’ est un scandale qui jette un peu plus l’opprobre sur le milieu des abattoirs. Un mois après les actes de cruauté filmés dans l’établissement du Vigan (Gard) et cinq mois après ceux perpétrés à Alès, qui avaient suscité l’indignation, l’association L214 dévoile de nouveaux cas de maltraitance animale. Cette fois, les faits se déroulent au sein d’une entreprise de découpe de viande mettant en avant le bio et le Label rouge : l’abattoir intercommunal de Soule, dans la petite ville de Mauléon-Licharre (Pyrénées-Atlantiques), au Pays basque. Filmée en caméra cachée en mars, la vidéo, à laquelle Le Monde a eu accès en exclusivité, témoigne de pratiques d’abattage choquantes et manifestement illégales de bovins, de veaux et surtout d’agneaux de lait – des ovins de moins de 45 jours, pas encore sevrés –, au lendemain de la fête de Pâques. L214 devait déposer une plainte, mardi 29 mars, devant le procureur de Pau pour faits de maltraitance, de sévices graves et d’actes de cruauté. Comme dans les abattoirs du Vigan ou d’Alès, on y voit des animaux qui reprennent conscience et se débattent violemment alors qu’ils sont suspendus pour la saignée ; des employés qui commencent les opérations de découpe des pattes et de la tête sur des bêtes encore vivantes ; des salariés qui frappent ou assomment à l’aide de crochets des ovins pas complètement étourdis ; d’autres qui poussent des bovins en leur assénant des coups d’aiguillon électrique sur la tête ; des animaux tombant de la chaîne d’abattage face à un personnel indifférent et débordé par les cadences ; ou encore un agneau écartelé vivant, pris entre deux crochets en l’absence de l’opérateur. « Inadéquate et violente » Si la mort d’animaux d’élevage n’est jamais douce, elle est encadrée. Le code rural français et un règlement européen de 2009 stipulent que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort ». Les abattages conventionnels prévoient notamment un étourdissement des bêtes (avec une deuxième tentative si la première a échoué), afin de leur éviter d’être conscientes au « S’ils sont confirmés, ces faits sont inacceptables » PATRICK DEHAUMONT directeur général de l’alimentation Capture d’écran de la vidéo publiée par l’association L214 dans l’abattoir de Soule, à MauléonLicharre (64). L214 Comme dans les abattoirs du Vigan ou d’Alès, les vidéos montrent des pratiques choquantes moment de leur mort. « L’abattoir de Mauléon-Licharre viole plusieurs articles de la réglementation, causant ainsi douleurs et souffrances évitables aux ovins abattus, juge Gilbert Mouthon, vétérinaire et expert auprès des tribunaux, dans un rapport remis à L214, après le visionnage de deux vidéos de quarante-huit minutes. La manipulation des animaux est inadéquate et violente. » Pourtant, cette fois encore, ces sévices sont perpétrés dans un établissement à taille humaine et en apparence irréprochable : l’abattoir emploie trente-trois salariés et se décrit comme « résolument tourné vers l’abattage de qualité ». Il tue chaque année, selon la direction, 35 000 agneaux et 40 000 bo- vins, soit exploite 3 000 tonnes de viande ; 40 % de son activité provient de bêtes élevées dans la vallée de Soule, notamment par la coopérative Axuria, fleuron de la gastronomie locale. Les viandes qui y sont débitées sont pour partie certifiées Label rouge et classées sous le régime européen des indications géographiques protégées (IGP). L’établissement possède également la certification Ecocert pour l’agriculture biologique – même si le cahier des charges ne prévoit pas de spécificités pour l’abattage. Parmi ses 460 clients, on trouve des particuliers en vente directe, des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) et quelques grandes tables parisiennes et chefs étoilés, comme le boucher-star Yves-Marie Le Bourdonnec ou le chef Alain Ducasse. Une activité qui connaît un pic à la période des fêtes pascales. « Je suis effondré, catastrophé, réagit, après le visionnage des vidéos, Gérard Clémente, directeur de l’abattoir depuis quarante ans, à deux mois de la retraite. Je suis très souvent dans mon abattoir, j’ai essayé d’améliorer les conditions d’abattage depuis des années, et là, on tourne le dos, et des employés frappent les bêtes. On est cuits. » L’homme assure qu’il va congédier les salariés, tout en incriminant les cadences de travail : « Il faut tuer 15 000 agneaux en quinze jours pour Pâques. Si on travaillait plus sereinement, ils ne commettraient pas ce type d’action. » « S’ils sont confirmés, ces faits sont inacceptables, et entraîneront une enquête judiciaire et administrative, avance Patrick Dehaumont, directeur général de l’alimentation, qui dépend du ministère de l’agriculture, avant d’avoir pu voir les images. S’il y a bien une nouvelle dérive, nous ne pourrons pas en rester là : il faudra renforcer les contrôles, avec une présence d’agents plus fréquente et peut-être une pose de caméras. » « Les scandales se suivent et se ressemblent. Après les discours rassurants à la suite d’Alès et du Vigan, rien n’a changé dans la pratique », dénonce la porte-parole de L214, Brigitte Gothière, alors que les deux établissements du Gard, toujours sous le coup d’enquêtes judi- ciaires et administratives, ont rouvert un et deux mois après leur fermeture à titre conservatoire. « Les abattoirs, qui tuent en France plus d’un milliard d’animaux par an, poursuit-elle, continuent de leur infliger impunément d’atroces souffrances, dans le silence complice des autorités et des services vétérinaires. » « Aucune surveillance par le service d’inspection vétérinaire n’apparaît sur les images de Mauléon-Licharre : il n’intervient à aucun moment pour corriger et sanctionner les infractions constatées », confirme Gilbert Mouthon. L214 doit déposer dans la semaine un référé expertise devant le tribunal administratif de Pau, visant à caractériser les défaillances des services vétérinaires. Effectifs d’inspecteurs en baisse La réglementation impose un contrôle continu des pratiques d’abattage par les services vétérinaires. Ainsi, 1 400 agents de la direction générale de l’alimentation sont constamment présents dans les 260 abattoirs de boucherie français, le maillon le plus sensible de la chaîne alimentaire. Mais leurs effectifs sont en baisse (– 19 % en dix ans, malgré la création de nouveaux postes depuis 2015) et leur rôle est plus tourné vers l’inspection sanitaire que vers la maltraitance animale. « La grande majorité des agents sont affectés à l’inspection sanitaire des bêtes vivantes, lorsqu’elles entrent à l’abattoir. L’inspection lors des phases d’étourdissement ou de saignée n’est pas obligatoire », précise Patrick Dehaumont. Face à ces « carences » et à « l’absence de suivi et de sanctions dissuasives », L214 lance une nouvelle pétition, adressée au premier ministre, pour demander une « transparence effective des abattoirs par la mise en place d’outils qui permettent aux ONG et aux citoyens d’exercer un droit de regard ». Parmi les requêtes des militants : la publication des rapports d’inspection et des mises en demeure des services vétérinaires à l’encontre des abattoirs ; un libre accès de ces établissements aux associations de défense des animaux ; la pose de caméras « sur les postes de déchargement, d’attente, d’amenée et d’abattage des animaux » avec accès libre des ONG aux images. Sous la pression des associations et de nombreux citoyens, l’Assemblée nationale a également créé, le 22 mars, une commission d’enquête parlementaire « sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français ». La commission, qui devrait être présidée par le député (RRDP) Olivier Falorni, sera composée de trente députés et devra rendre un rapport dans six mois. « L’objectif est de lutter contre la maltraitance animale, tout en garantissant le respect des règles élémentaires d’hygiène, de sécurité alimentaire et de traçabilité de la production, avance M. Falorni, à l’origine de l’initiative. Comme l’a dit Gandhi, “on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux”. » p audrey garric L214, des militants végans et une méthode de dénonciation choc L’association, fondée en 2008, souhaite l’abolition de toute exploitation animale, des élevages et des abattoirs, industriels comme familiaux I ls se sont fait une spécialité de dévoiler l’intérieur des abattoirs ou des élevages industriels à coups de vidéos chocs. A l’inverse, découvrir l’environnement de travail de l’association L214, qui lutte contre la maltraitance animale, est plus malaisé. « On travaille essentiellement à la maison, comme la plupart de nos militants. Je suis un peu casanière », sourit Brigitte Gothière, 43 ans, porte-parole et cofondatrice de l’association, basée à Lyon. Dans le petit local parisien qu’ils occupent depuis février, au fond du 19e arrondissement, des étagères de livres et de brochures côtoient des pancartes, des tonnelles et un comptoir mobile pour leurs actions. « Toutes les semaines, nous sommes sur le terrain pour sensibiliser le public », explique Isis, qui coordonne la section de la capitale. Mais, si l’association s’est véritablement fait connaître au-delà des cercles végétariens et écolos, c’est grâce à ses actions en ligne. La vidéo dévoilant des actes de cruauté perpétrés à l’abattoir du Vigan (Gard), publiée en février, a été vue 1,8 million de fois. Celle tournée à l’abattoir d’Alès, en octobre, 2,3 millions. Les images, suscitant une vague d’indignation, ont été à l’origine de la fermeture provisoire des deux établissements et de l’ouverture de plusieurs enquêtes. Forte de ces coups médiatiques, L214 emploie désormais treize salariés et enregistre douze mille adhérents, avec un budget de fonctionnement de 600 000 euros en 2015, issus à 95 % des cotisations et des dons des adhérents. Surtout, avec 470 000 abonnés sur Facebook, elle s’avère une des ONG de protection de l’environnement les plus « likées » (« aimées ») dans l’Hexagone, devant Greenpeace France et le WWF France. Tout a commencé en 1993. Cette année-là, Brigitte Gothière et son compagnon, Sébastien Arsac, alors étudiants, décident du jour au lendemain d’arrêter de manger de la viande. Puis du poisson. Et, enfin, des œufs, du lait et tout produit d’origine animale. La décision n’a pourtant rien d’une évidence dans leur petit village de Haute-Loire, en Auvergne. A cette époque, à la campagne, les végétariens ne sont pas légion, encore moins les végans. Surtout, les grands-parents de Sébastien officient comme éleveurs et bouchers. « Tous les ans en février, on saignait le cochon afin de remplir le congélateur, raconte-t-il. C’était censé être un moment convivial, mais c’est devenu de plus en plus insupportable à mes yeux. » Le couple emménage à Lyon, où Brigitte Gothière enseigne la physique appliquée. C’est là qu’ils rencontrent pour la première fois des végétariens engagés. « Ce fut un Les images sont tournées dans les abattoirs, et les élevages par des militants infiltrés ou par des salariés tournant, avec la découverte de l’antispécisme, c’est-à-dire la lutte contre les discriminations fondées sur l’espèce et la supériorité supposée des humains », poursuit Sébastien Arsac. L’essai du philosophe Peter Singer, La Libération animale, qui popularise le concept, devient son livre de chevet. Jusqu’à six vidéos par an En 2003, les deux compagnons montent, avec une poignée de militants, le collectif Stop gavage, engagé contre la production de foie gras. Ils y fourbissent leurs armes : apprennent à chercher des informations sur la filière, à communiquer auprès des médias, et tournent leurs premières vidéos en caméra cachée. En 2008, les activistes élargissent leurs actions à l’ensemble des productions animales et fondent l’association L214. Une référence à l’article L214-1 du code rural, qui reconnaît pour la première fois, en 1976, les animaux comme des « êtres sensibles ». Leur credo est radical : ils souhaitent l’abolition de toute exploitation animale, donc des élevages et des abattoirs, industriels comme familiaux. A raison de cinq ou six vidéos par an, L214 dénonce aussi bien les actes de maltraitance dans les abattoirs que le broyage des poussins mâles, la production de foie gras, l’élevage en cage des poules pondeuses ou « l’horreur » d’un élevage de lapins. Les images sont tournées par des militants infiltrés (qui se font embaucher) ou par des salariés. Un succès en entraîne un autre. « On reçoit des centaines de messages tous les jours, dont de nouveaux témoignages d’actes de cruauté, explique Sébastien Arsac. Il y a un changement des mentalités. » La place de l’abolitionniste L214, qui évite au maximum le contact avec les industriels, n’était pas évidente à trouver, dans un milieu de la protection animale déjà bien investi, entre les traditionnelles Fondation Brigitte Bardot, SPA et 30 millions d’amis, et les associations plus spécifiques sur les animaux d’élevage, comme Welfarm ou l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). « Nos stratégies sont complémentaires, assure Frédéric Freund, le directeur de l’OABA. Le choc des images permet une mobilisation immédiate, mais les consommateurs ne remettent pas durablement en cause leurs habitudes alimentaires. Il faut alors également travailler en concertation avec les éleveurs et les abattoirs pour faire évoluer leurs pratiques. » Du côté de la filière, les méthodes de L214 font grincer des dents. « Cette association, au lieu d’alerter les services de l’Etat pour faire cesser des pratiques inadmissibles, préfère garder ses images plusieurs semaines ou mois, et les sortir à des moments médiatiques, dénonce Marc Pagès, le directeur d’Interbev, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. C’est un processus de culpabilisation des citoyens, pour les faire arrêter de manger de la viande. » Une finalité que l’association L214 n’a jamais cachée. p audrey garric 8| FRANCE 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 É LY S É E François Hollande, le piège de l’isolement Coupure avec le pays, perte d’habileté politique… « Il écoute, mais n’entend pas », s’inquiètent les proches du chef de l’Etat L e président de la République serait-il en passe de perdre son flair ? A la veille du quatrième anniversaire de son élection, parmi les ministres, les parlementaires et ses amis de longue date, beaucoup s’interrogent. Comme si François Hollande, dont personne ne niait jusqu’ici la capacité à comprendre le pays nonobstant un certain nombre d’erreurs politiques, avait vu ses réflexes émoussés. Par les murs épais du palais de l’Elysée. Et par la certitude, classique somme toute pour un président en fin de mandat, d’avoir raison envers et contre tous. Un de ses intimes confirme : « Il ne fait plus confiance à personne. Il a réussi à dézinguer tout cadre de discussion collective. Il est tout seul et se prend pour omniscient. » Un pilier du groupe socialiste à l’Assemblée nationale confirme : « C’est quelqu’un qui a toujours senti les choses sur le plan politique. Mais on dirait qu’il a complètement perdu le contact et qu’il est déconnecté. J’ose espérer qu’il lui reste un peu de sens politique… » Longtemps, François Hollande s’est levé avec des capteurs. Sentant la société française, ses tendances, ses inclinations. Connaissant dans les moindres détails, en professionnel éprouvé du suffrage universel, ses résultats électoraux, canton par canton. Recevant de la part de multiples sources – proches, élus, conseillers divers et variés – des idées, avis et analyses, souvent par SMS. « Quand il était premier secrétaire du PS, il était ultraconnecté au terrain, très politique dans sa façon de gérer les choses. Mais il n’arrive plus à sentir le parti ni le groupe socialiste », s’inquiète ce député, qui voit dans les mésaventures de la révision constitutionnelle et de la réforme du code du travail deux « plantages révélateurs ». Un ministre n’en revient toujours pas : « On termine en fanfare ! En making of de politique publique, je me demande comment on a pu faire ça. C’est surréaliste, hallucinant… » « C’EST DE L’À-PEU-PRÈS » Ces errements pointés jusque dans son entourage proche étonnent d’autant plus que M. Hollande, après les attaques terroristes du 13 novembre 2015, avait reconquis un capital significatif dans l’opinion, tôt dilapidé. Un vieux complice s’en exaspère : « Il avait repris une crédibilité forte après les attentats mais, au lieu de s’en servir, il fait n’importe quoi. C’est de l’à-peu-près. » L’un de ses conseillers, pourtant, rappelle qu’« il voit encore pas mal d’élus ». M. Hollande est ainsi toujours destinataire de comptes rendus et de notes rédigés par ses conseillers chargés des relations avec les élus, Bernard Combes, Bernard Poignant et Bernard Rullier, par son conseiller chargé des études d’opinion, Adrien Abecassis, ou par les responsables du service courrier, auxquels il demande des synthèses régulières. Le chef de l’Etat garde également le contact avec les « hollandais » du canal historique, qu’il invitait encore, mercredi 16 mars, à dîner à l’Elysée. Y participaient, entre autres, les ministres de la défense et de l’agriculture, Jean-Yves Le Drian et Stéphane Le Foll, le maire de Dijon, François Rebsamen, sa chef de cabinet, Isabelle Sima, et, une fois n’est pas coutume, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal. M. Hollande continue également de passer aux apéritifs organisés, à l’Elysée, avec des petits groupes de parlementaires. Mais sans grand effet, regrette l’un d’eux : « Il écoute, mais n’entend pas. Cela n’imprime plus. » Une tendance plus structurelle que personnelle, selon son conseiller Bernard Poignant : « Il a une connaissance parfaite de l’opinion, qui est très cruelle. Il n’est pas coupé de tout ça. Mais, à l’Elysée, même quand il pleut, vous n’avez pas à vous occuper de votre parapluie », estime M. Poignant, pour qui « l’Elysée est l’un des lieux les mieux informés de France. Mais c’est aussi l’un des lieux les plus enfermés de France ». « ON S’EST BIEN DÉBROUILLÉS, HEIN ? » François Hollande, coupé du monde… Le président, qui se rendra à Washington, jeudi et vendredi, à un sommet sur la sécurité nucléaire pour y parler terrorisme, pourrait avoir un entretien bilatéral avec Barack Obama sur ce sujet. Après un conseil des ministres franco-allemand, le 7 avril, à Metz, il se déplacera les 16 et 17 en Egypte et en Jordanie, le 22 à New York pour la signature de l’accord de la COP21, puis les 26 et 27 mai au sommet du G7, au Japon. L’agenda international et sécuritaire absorbe toujours l’essentiel des journées présidentielles. Et c’est paradoxalement à l’occasion de ces escapades diplomatiques, loin du théâtre national, que le chef de l’Etat prend aujourd’hui le plus de plaisir à sa fonction. Il l’a confié à un ami : « Pendant les V.O. [voyages officiels], je n’ai pas de compte à rendre. A personne ! » Voilà qui interroge sur l’exact degré de « vista politique » du chef de l’Etat à François Hollande dans son bureau, au palais de l’Elysée, le 1er octobre 2014. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « M LE MAGAZINE » « PENDANT LES VOYAGES OFFICIELS, JE N’AI PAS DE COMPTE À RENDRE. À PERSONNE ! » FRANÇOIS HOLLANDE l’automne du quinquennat. Le 11 février, au soir d’un remaniement considéré comme profondément « politicien », il se fendait de ce SMS à un proche : « On s’est bien débrouillés, hein ? » Défense de sa garde rapprochée : « De son point de vue, ce remaniement, sur lequel il avait d’ailleurs parfaitement anticipé les commentaires négatifs, était réussi. Qui peut aujourd’hui lui contester sérieusement le leadership à gauche ? » De bonne guerre, les siens nient évidemment toute perte de lucidité, même momentanée. Et jurent que le président n’a rien perdu de son lien avec le pays, arguant de ses nombreux déplacements « off », sans presse, en particulier dans le monde de la culture. Ces derniers jours, on l’a ainsi vu au cinéma Le Balzac pour écouter Michel Legrand, au Salon du livre, au Théâtre du Rond-Point ou à la librairie Le Temps de lire pour un hommage à l’ancien maire d’Aubervilliers (SeineSaint-Denis), Jacques Salvator. Le 23 mars, il dînait au Café de la Gare, où l’on donnait un spectacle de tango ; deux jours plus tard, il assistait au concert d’Alain Chamfort à l’Olympia. Suffisant pour garantir un lien avec le pays ? « Je ne crois pas qu’il était génialissime il y a six mois et qu’il aurait soudainement tout perdu, dément un proche. Il voit énormément de gens, sort tout le temps et échange vraiment beaucoup. Il est d’une extrême lucidité dans l’analyse, avec une sorte de froideur clinique, qu’il s’applique à lui-même et à son propre camp. » Chacun pourra en juger lors des prochains épisodes : une expression « solennelle et courte », mardi 29 ou mercredi 30 mars, dans l’affaire de la déchéance de nationalité, « des prises de parole plus régulières », notamment dans la presse quotidienne régionale à l’occasion de déplacements en province ou encore, côté audiovisuel, des émissions privilégiant « l’échange avec des citoyens », dans la deuxième quinzaine d’avril sur France 2, puis dans la matinale d’Europe 1. Mais un de ses conseillers n’y croit plus guère. Et « ne comprend pas » comment, en quelques semaines, « tout s’est déglingué ». p david revault d’allonnes Des « communicants » en nombre parmi les visiteurs du soir à l’Elysée mais qui parle vraiment, en cette fin de quinquennat, à l’oreille du président ? « Il voit un nombre incroyable de personnes. C’est son mode de réflexion. Il est beaucoup dans l’écoute et c’est ainsi qu’il forge ses convictions », vante un conseiller. Beaucoup de monde, donc, et pas forcément les mêmes qu’au début du mandat. Mais il n’est pas forcément plus aisé, dans la petite géopolitique de la cour élyséenne, de s’y retrouver. Il y a d’abord les politiques, ministres et/ou fidèles de longue date. Comme Stéphane Le Foll et Julien Dray, qui se révèle l’un des visiteurs du week-end les plus assidus. Ancien fabiusien, Guillaume Bachelay, député de Seine-Maritime et numéro deux du PS, s’est installé comme un invité régulier. Les sondeurs, aussi : le président reçoit fréquemment Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Mais aussi, de temps en temps, François Miquet-Marty, président de Viavoice, ou encore Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP. Un nombre incalculable de journalistes, enfin, qu’il accueille dans son bureau ou invite à partager son repas à l’Elysée. Tous les deux mois environ, il déjeune ainsi régulièrement avec le trio constitué par le politologue Jérôme Jaffré, et les éditorialistes Jean-Marie Colombani et Alain Duhamel. Jusqu’aux plumes de la presse footballistique, qu’il a reçues pour évoquer l’Euro 2016… Mais, et c’est moins connu, les communicants sont aussi nombreux à graviter dans l’orbite présidentielle. Le plus assidu : Robert Zarader, avec lequel François Hollande entretient une relation amicale. Tout comme avec Philippe Grangeon, directeur de la communication de Capgemini, qu’il a connu à HEC et qui lui rend visite régulièrement. Ancien d’Euro RSCG, patron de la société de communication Balises et auteur du livre L’Homme sans com (Seuil, 2013), consacré à… M. Hollande, Denis Pingaud fut un temps l’un des plus présents. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Légion d’honneur Depuis l’été 2014, Philippe Buisson, maire de Libourne (Gironde) et ancien secrétaire national du PS chargé des médias, officie comme chargé de mission – « bénévole », tient-on à préciser à l’Elysée – auprès de Gaspard Gantzer, le conseiller en communication de M. Hollande. Il vient une fois tous les quinze jours à l’Elysée pour « apporter un regard différent », y indique-t-on. D’un peu plus loin, Natalie Rastoin, présidente du groupe Ogilvy France, qui fut très active dans la campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2006-2007, conseille également le président. Tout comme Marie-France Lavarini, chargée de la communication de Lionel Jospin pendant la campagne présidentielle de 2002. Cette ancienne dirigeante de l’agence TBWA, qui a créé en 2012 la société Ella Factory, organise épisodiquement des dîners où est convié le président. Elle vient tout juste de bénéficier de la promotion de Pâques de la Légion d’honneur, publiée le 27 mars au Journal officiel. « Les conseillers du soir ont remplacé les élus », s’agace un député, pointant l’influence supposée grandissante de ces communicants au détriment de celle des politiques. Ce serait néanmoins oublier une constante essentielle du hollandisme : personne n’a le monopole de l’oreille présidentielle. « Tout ceci reste occasionnel, et c’est d’abord l’amitié qui est importante dans ces relations », assure un habitué de l’Elysée. Un peu trop, sans doute : « Il ne faut pas compter sur ces conseillers pour mettre une énorme taloche à Hollande, estime une professionnelle de la communication. Alors que de temps en temps, cela ne lui ferait pas de mal. » p d. r. a. france | 9 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 AP-HP: baroud d’honneur syndical contre la réforme du temps de travail Une grève était prévue mardi, avant l’application de l’accord le 1er avril P lusieurs syndicats de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (AP-HP) appelaient à la grève, mardi 29 mars, pour s’opposer à la réforme du temps de travail des 75 000 salariés nonmédecins du groupe. Un mouvement qui pourrait bien n’être qu’un baroud d’honneur face à une direction déterminée à tirer avantage d’une mobilisation en constante baisse depuis mai 2015. Après la tenue d’un comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) mardi, puis d’un comité technique d’établissement (CTE) mercredi 30 mars, rien ne s’opposera plus légalement à l’entrée en vigueur de l’accord signé le 27 octobre 2015 avec la seule CFDT, troisième syndicat du groupe hospitalier. Dès le 1er avril, une première partie de la réforme sera « d’application immédiate », annonce au Monde Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP. Des journées de repos extralégales seront ainsi supprimées. La réforme des rythmes de travail proprement dite, qui prévoit notamment que les personnels perdent entre deux à six jours de RTT par an, devrait entrer en vigueur au 1er septembre, le temps que les 38 hôpitaux du groupe transposent chacun en interne ces changements. « Le directeur général met sa réforme en place avant même que les instances centrales ne se soient réunies », regrette Jean-Marc Devauchelle, le secrétaire général de SUD-Santé de l’AP-HP. Pour le responsable syndical, les changements annoncés ne représentent « qu’une détérioration de nos conditions de travail et de nos conditions de vie en dehors du travail ; tout cela au détriment du patient ». « Proposer des contreparties » La tenue du CHSCT mardi 29 mars va cependant donner lieu à quelques propositions de la part de la direction du groupe hospitalier, notamment sur un renforcement de la médecine du travail ou sur un engagement à mieux remplacer les congés maternité et les congés maladie longue durée. Des évolutions proposées en réponse aux expertises commandées par les syndicats sur la réforme. Très critique, l’étude réalisée par le cabinet Secafi fait valoir que la « balance » entre les gains attendus et le coût quant aux conditions de travail « paraît très déséquilibrée ». Il « semble indispensable d’accepter de discuter emplois et de proposer des contreparties en personnels si l’objectif de la direction est de revoir l’organisation du temps de travail », écrivent notamment les auteurs du rapport. « Ces études disent que nous sommes bénéficiaires, mais l’AP-HP est toujours déficitaire en exploitation », répond M. Hirsch, pour qui seules « les marges de manœuvre dégagées par la réforme permettront d’éviter de supprimer des emplois ». C’est pour ne pas avoir à faire disparaître « environ 4 000 emplois » sur cinq ans que le directeur général de l’AP-HP avait souhaité en mai « revisiter les modalités » de l’accord conclu en 2002 sur les 35 heures. p françois béguin Avant la présidentielle, des conseillers de l’Elysée se recasent Jean-Jacques Barberis, conseiller économique, va rejoindre une filiale du Crédit agricole I l n’y aura bientôt plus de conseiller économique à l’Elysée. Jean-Jacques Barberis, qui y occupe le titre de conseiller aux affaires économiques et financières nationales et européennes, devrait quitter l’équipe du président de la République d’ici à cet été. Cet énarque d’allure juvénile et adepte du costume trois-pièces, ancien membre du cabinet de Pierre Moscovici à Bercy, âgé de 36 ans, rejoindra en juin l’entreprise de gestion d’actifs Amundi, filiale du Crédit agricole, où il s’occupera de la clientèle des fonds souverains et des banques centrales. « Un job par définition très international, qui n’a donc rien à voir avec son carnet d’adresses », indique un bon connaisseur du dossier, pour qui M. Barberis est une « super-mécanique intellectuelle. Il est mieux pour la France qu’il rejoigne une grande institution française, premier gestionnaire d’actifs européen, qu’une banque américaine. » Sans rancune aucune du côté de la présidence de la République, donc. « Il a vraiment fait du bon boulot, a acquis un maximum de responsabilités. Le président l’aime vraiment beaucoup, ils se recroiseront », confie un habitué de l’Elysée. Ce départ interviendra après celui de Laurence Boone, conseillère spéciale du chef de l’Etat chargée des sujets économiques. Mme Boone, qui avait intégré l’Ely- sée en remplacement d’Emmanuel Macron, en juin 2014, vient de rejoindre l’assureur Axa. Elle y occupe le poste d’économiste en chef du groupe et de responsable de la recherche d’Axa Investment Managers. Dernière année moins chargée Il ne semble pas, à ce stade, que la présidence de la République ait l’intention de recruter un nouveau conseiller économique, alors que la dernière année du quinquennat, par nature, sera nettement moins chargée en réformes. Le suivi des dossiers économiques à l’Elysée reposerait donc sur le secrétaire général adjoint, Boris Vallaud, ainsi que sur Julien Pouget, le conseiller industrie et numérique, et Rodolphe Gintz, le spécialiste budgétaire, ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault à Matignon. Les mouvements de postes, à un plus d’un an de l’élection présidentielle de 2017, suivent donc leur cours. Un autre départ concerne la cellule diplomatique : la conseillère Afrique, Hélène Le Gal, quittera elle aussi le cabinet cet été. Elle pourrait se voir attribuer le poste d’ambassadrice à Jérusalem, un an après qu’Emmanuel Bonne, l’ancien conseiller de François Hollande chargé de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l’Elysée, a été nommé ambassadeur au Liban. p isabelle chaperon et d. r. a. Crédit Coopératif – Société coopérative anonyme de Banque Populaire à capital variable – RCS Nanterre 349 974 931 01213 – APE 6419 Z – N° ORIAS 07 005 463 – 12, boulevard Pesaro – CS 10002 – 92024 Nanterre cedex – Illustration : Artus – L A S U I T E & C O UNE AUTRE BANQUE EST POSSIBLE #UneAutreBanque 10 | france EMPLOI Rebsamen n’attend pas de « miracle » du projet de loi travail L’ex-ministre du travail, François Rebsamen, estime qu’il ne faut pas attendre de « miracle » du projet de réforme du code du travail présenté par Myriam El Khomri, qui lui a succédé rue de Grenelle. « Les corrections apportées ont permis de rééquilibrer le texte (…) mais il ne faut pas attendre de miracle », a-t-il déclaré dans une interview publiée, lundi 28 mars, sur le site Internet des Echos. Pour M. Rebsamen, « c’est bien, mais c’est plus une loi travail qu’une loi emploi ». FAI T D I VERS 53 kilos de cocaïne saisis en Guyane Vers une nouvelle loi contre la corruption Le texte « Sapin II » entend mettre la France aux standards de la lutte anticorruption V ingt-trois ans après la première loi portant son nom, Michel Sapin va présenter au conseil des ministres, mercredi 30 mars, un nouveau projet de loi pour la lutte contre la corruption, dit « Sapin II ». Avec ce texte, la France entend se mettre aux standards de la lutte anticorruption, notamment dans les opérations commerciales transnationales. Elle est certes signataire de la convention internationale de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) entrée en vigueur en 1999, pour laquelle elle a fortement œuvré et qui est censée être appliquée par 41 pays. Pourtant, « jamais une entreprise n’y a été condamnée de manière définitive pour corruption d’agents publics étrangers », rappelait récemment le chef de la division anticorruption de l’OCDE, Patrick Moulette, lors de la réunion, à Paris, d’une cinquantaine de ministres pour faire le bilan de son application. En 2014, l’OCDE avait adressé un sévère rappel à la France pour qu’elle se mette en conformité avec la convention, la pressant de « poursuivre les réformes annoncées et toujours nécessaires ». « L’absence de condamnations en France pour versements, en particulier, de pots-de-vin a créé un climat de soupçon envers notre pays que je juge infamant », reconnaissait M. Sapin dans un entretien au Journal du dimanche, le 27 mars. Dans le classement de l’ONG Transparency International en 2015, la France figurait au 23e rang en matière de lutte contre la corruption, sur 104 pays notés. « Le système actuel n’est pas efficace », constate le ministre des finances. Le projet de loi doit permettre de combler les lacunes mises en évidence par la condamnation à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, de grandes entreprises françaises. Le texte présenté en conseil des «Je ne vois pas de mal à être lobbyiste, mais il faut que ce soit transparent » MICHEL SAPIN ministre des finances et des comptes publics ministres crée une agence de prévention et de détection de la corruption, qui se substitue au service central de prévention de la corruption, instauré par la loi Sapin I, qui n’avait pas de pouvoir d’enquête. Cette agence sera placée sous l’autorité conjointe des ministres des finances et de la justice. Ce n’est pas une autorité administrative indépendante mais un service de l’Etat. Elle pourra à la fois conseiller, contrôler et enquê- © FNH Trois valises contenant chacune 17 kilos de cocaïne ont été saisies, dimanche 27 mars, à l’aéroport Félix-Eboué de Matoury, dans les bagages de trois passagers originaires de Marseille, voyageant pour Paris, a annoncé, lundi, le procureur de la République de Cayenne. Au total, « 53 kilos de cocaïne » ont été saisis. Une enquête a été confiée à la police judiciaire de Guyane. 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 ter sur les procédures mises en œuvre par les acteurs publics et privés pour prévenir la corruption. La nouvelle agence devra ainsi veiller à ce que toute entreprise de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros soit dotée d’un programme de prévention de faits de corruption ou de trafic d’influence, sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à un million d’euros pour les personnes morales et 200 000 euros pour les personnes physiques. La poursuite de faits de corruption d’agents publics commis à l’étranger sera rendue possible et sanctionnée pénalement. Le projet de loi prévoit un délai de prescription de trois ans pour l’action de l’agence. Un délai que certaines ONG jugent trop court, souhaitant le porter à six ans. Règles déontologiques Le texte met également en place une protection des lanceurs d’alerte. L’agence pourra recueillir leurs renseignements, les signalements seront anonymisés. Dès lors que leurs déclarations auront été retenues, l’agence pourra prendre en charge leur défense en cas d’éventuelles représailles et assumer les frais de justice. Le projet de loi devrait encore évoluer vers un statut unique de protection pour tous les lanceurs d’alerte en fonction des recommandations que le gouvernement a demandé au Conseil d’Etat de lui faire. S’appuyant sur les propositions du rapport remis début 2015 à François Hollande par Jean-Louis Nadal, le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le projet de loi prévoit la mise en place d’un registre des représentants d’intérêt. L’inscription des lobbyistes à ce registre sera rendue obligatoire et les informations seront publiques, sur un site en ligne. La loi fixera également des règles déontologiques, et la HATVP pourra sanctionner les manquements les plus graves par des mises en demeure ou des amendes pouvant aller jusqu’à 30 000 euros. « Je ne vois pas de mal à être lobbyiste, mais il faut que ce soit transparent et il faut respecter un certain nombre de principes éthiques », soutient M. Sapin. Enfin, le projet de loi met la législation en matière de délit ou de manquement d’initié en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 18 mars 2015 sur une question prioritaire de constitutionnalité concernant EADS, avait estimé que les mêmes faits ne pouvaient donner lieu à une double poursuite par l’Autorité des marchés financiers et la justice pénale, au nom du principe « non bis in idem ». Le Conseil avait reporté au 1er septembre 2016 la date d’abrogation des dispositions actuelles pour permettre au gouvernement de promouvoir une nouvelle législation. Le texte prévoit donc que chaque procédure sera exclusive de l’autre. Le « Sapin II » inclut également des dispositions que le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, prévoyait de présenter dans son texte sur les « nouvelles opportunités économiques » et qui ont finalement été regroupées avec celui du ministre des finances. p patrick roger Michel Sapin rengaine l’arme de la transaction pénale 6!+05%/-$5%,74%6!-2>#7%6! ,835%--3,,3/!=37,"!.8:(8 47#36%-8*63, !*/32! 1 5%,74 "* 6*4"7 %* )!4"/!"7 '8 < (8 * 4 , ! 5 2 - " &% ) % 4 # ! négocier une amende pour s’éviter un procès : la mesure était présentée comme l’arme qui aurait permis à la France d’aller au-delà des proclamations de bonne foi dans la lutte contre la corruption internationale. Mais le Conseil d’Etat, dans un avis transmis au gouvernement jeudi 24 mars, a exprimé des réticences qui ont amené le ministre des finances, Michel Sapin, à retirer de son projet de loi sur la transparence de la vie économique les dispositions permettant au parquet de proposer aux entreprises une transaction pénale en lieu et place de poursuites judiciaires longues et incertaines. C’est un coup dur pour le gouvernement alors que la France est régulièrement critiquée, notamment par l’OCDE, pour son inefficacité en la matière. Une seule entreprise a été condamnée en quinze ans : Total, en février, à 750 000 euros d’amende dans le scandale « pétrole contre nourriture » en Irak. Et encore, cette condamnation n’est pas définitive, et demeure suspendue à un pourvoi en cassation. Les Etats-Unis, eux, sanctionnent régulièrement des entreprises françaises pour corruption, avec des amendes autrement plus dissuasives : 772 millions de dollars (690 millions d’euros) à l’encontre d’Alstom en décembre 2014, 245 millions de dollars contre Total en mai 2013. Reprenant une proposition défendue par l’association Transparency International, qui a acquis une légitimité sur ce terrain, le gouvernement souhaitait introduire une « convention de compensation d’intérêt public » inspirée de la pratique américaine. Le procureur aurait pu proposer, si l’entreprise reconnaît les faits, cette transaction pénale avec une amende pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires. Un programme de mise en place de procédures de contrôle anticorruption devait être imposé et surveillé sur trois ans. En échange de cette transaction, homologuée par un juge après une audience publique, et à l’issue de la période d’observation de trois ans, la société échappait aux poursuites judiciaires et à la déclaration de culpabilité. « Outil supplémentaire » Cette mesure, dans laquelle Eliane Houlette, qui dirige le parquet national financier, voit un « outil supplémentaire » pour renforcer l’efficacité du système répressif, soulève pourtant de fortes oppositions. Un collectif d’associations, regroupant notamment Anticor, Oxfam et le Syndicat de la magistrature, dénonce une mesure de dépénalisation au profit des grandes entreprises. Pour Eric Alt, vice-président d’Anticor, « l’inefficacité de la lutte contre la corruption en France est un problème de moyen et de compétence des services d’enquête, pas un manque d’outil juridique ». Le débat promettait d’être enflammé au Parlement. Michel Sapin veut croire que le dispositif pourra revenir sous forme d’amendement parlementaire, en tenant compte des préventions du Conseil d’Etat. Elles portent principalement sur deux points : le fait que cette transaction ad hoc soit réservée aux personnes morales, et qu’elle s’applique aussi bien à la corruption en France qu’à l’étranger (alors que sa justification vient de la longueur des enquêtes internationales). Le débat n’est pas clos. p jean-baptiste jacquin france | 11 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Polémique sur la « centaine » de Molenbeek français Les propos du ministre de la ville, Patrick Kanner, divisent à gauche et suscitent les critiques de chercheurs I l y a aujourd’hui, on le sait, une centaine de quartiers en France qui présentent des similitudes potentielles avec ce qui s’est passé à Molenbeek », la ville de banlieue bruxelloise foyer d’un grand nombre de djihadistes. Les propos du ministre de la ville, Patrick Kanner, dimanche 27 mars, lors du Grand Rendez-Vous Europe1-Le Mondei-Télé, ont aussitôt suscité la polémique. Jugé « lucide » par les Républicains Eric Ciotti et Hervé Mariton, ou par le frontiste Florian Philippot, le socialiste a été sévèrement critiqué par le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, « parce que c’est le genre de formule qui mutile le débat politique français ». Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a aussi regretté une « stigmatisation » des quartiers tandis que Julien Dray, conseiller régional PS d’Ile-de-France a considéré que « par les formules, on ne résout aucun problème, on cède aux facilités de la communication, ça ne livre aucune information réelle ». Pour Patrick Kanner, « Molenbeek (…), c’est une concentration énorme de pauvreté et de chômage, c’est un système ultracommunautariste, c’est un système mafieux avec une économie souterraine, c’est un système où les services publics ont quasiment disparu, c’est un système où les élus ont baissé les bras ». Il y aurait donc « une centaine » de quartiers regroupant ces caractéristiques en France. D’où sort ce chiffre ? Il ne renvoie à aucune étude précise. Au ministère de la ville, on laisse entendre qu’il s’agit des endroits cumulant « les handicaps sociaux », figurant à la fois au rang des 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville, des 150 REP +, le noyau dur de l’éducation prioritaire, ou encore des 80 zones de sécurité prioritaire. Sont-ils pour autant des viviers terroristes en puissance ? François Pupponi, président de l’Agence nationale de rénovation urbaine, y croit : « La France et la Belgique ont créé des ghettos sociaux, communautaires et ethniques. A l’intérieur de ces ghettos, l’Etat islamique a compris qu’il y avait quelques dizaines d’individus qui pouvaient devenir des bombes humaines. C’est ni plus ni moins ce qu’a dit Manuel Valls lorsqu’il a parlé de politique d’apartheid. » « Comme des menaces » Cette lecture est loin de mettre tout le monde d’accord. D’abord, elle résiste peu devant la variété sociologique des jeunes partis de France pour le djihad en Syrie, issus des classes moyennes, récemment convertis à l’islam ou originaires de communes rurales. Pour Renaud Epstein, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nantes, « Le basculement djihadiste n’est pas spécifique aux cités HLM » MARIE-NOËLLE LIENEMANN vice-présidente de l’Union sociale pour l’habitat « parler de quartiers comme Molenbeek n’a pas de sens ». Lui y voit un discours d’opportunité politique qui dénote « une stigmatisation des quartiers comme des menaces pour la République ». « On peut comparer les quartiers sur la base de leurs caractéristiques sociales mais on ne peut pas dire que ces caractéristiques sont des facteurs prédictifs du terrorisme », ajoute Antoine Jardin, chercheur et co-auteur de Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français. Le sociologue Mohamed AliAdraoui abonde : « Ce sont davantage des groupes de pairs, des fratries qui se radicalisent. Le point commun entre Mohammed Atta, le coordonnateur des attentats du 11-Septembre, et Salah Abdeslam, ce n’est pas leur origine sociale, c’est leur imaginaire religieux et politique. » L’auteur de Du Golfe aux banlieues : le salafisme mondialisé (PUF, 2013) critique en outre la « figure imposée » du communautarisme. Selon lui, le djihadisme est au contraire un « hyperindividualisme ». M. Kanner pourrait avoir amalgamé deux problématiques que lui a exposées l’Union sociale pour l’habitat : celle des quartiers où la délinquance est telle que la vie est devenue difficile pour les habitants, et celle des villes où la présence salafiste inquiète. L’organisation représentative des HLM a ainsi répertorié depuis trois ans 60 quartiers de logements sociaux gangrenés par le trafic de drogue et l’économie parallèle. Elle a par ailleurs mis en place un groupe de travail depuis mi-2015 sur les problèmes rencontrés par ses agents confrontés au prosélytisme religieux dans certaines cités. « Nous n’avons jamais lié les deux », assure Béatrice Morra, directrice du service des politiques urbaines et sociales. « Le basculement djihadiste n’est pas spécifique aux cités HLM. Nous avons signalé 60 quartiers qui ont de gros problèmes de sécurité mais ce n’est pas la même chose ! », renchérit Marie-Noëlle Lienemann, viceprésidente de l’Union sociale pour l’habitat. Lundi, le ministère de l’intérieur ne souhaitait pas commenter les propos de Patrick Kanner. Idem du côté du secrétariat d’Etat à la ville : « On n’est pas à l’aise parce que ce n’est pas notre ligne », y expliquait-on. p julia pascual et sylvia zappi « Tony l’Anguille », 76 ans, de retour au tribunal Figure du banditisme reconverti dans le polar, il est jugé pour un projet de braquage #entre « Voyou avec passion » La même enquête conduit les policiers viennois dans un appartement du centre de la capitale autrichienne loué par un prétendu émissaire du Vatican, Mgr Pierro de la Rosa, inconnu à Rome. Dans cette « planque » où seront saisis deux détonateurs, les enquêteurs ont identifié sur trois chemises ecclésiastiques l’ADN d’Antoine Cossu, reconnu aussi par le propriétaire des lieux comme l’envoyé du Saint-Siège. Au juge d’instruction, en mai 2015, « Tony » martèle : « Moi je n’étais pas sur ce coup ! On exagère. Le procureur de là-bas [à Vienne], il m’a dit : “Chez vous, vous êtes Al Capone.” » Les autorités autrichiennes ont dénoncé les faits à la justice française et, au total, six hommes sont jugés par le tribunal correctionnel de Marseille pour association de malfaiteurs. Tous fichés au grand banditisme. Installé à côté de Sète depuis sa sortie de prison en 2009, Antoine Cossu assure avoir changé de vie. « Je suis à la retraite et j’écris des luc leroux pour e r d n e pr so s future s n o i t ra s géné e l r u po rendre p e r t n #e #entre #ENTREPRENDRE POUR transformer la SO C IÉ T É Suivez-nous @franceactive www.franceactive.org +22(*),')3/1* - 43)&'1$ T ony l’Anguille » est de nouveau face à la justice. Antoine Cossu, figure mythique du grand banditisme méridional, a gagné son surnom au gré de nombreuses et rocambolesques évasions. Beau-frère et homme de confiance du parrain marseillais Francis Vanverberghe, alias « le Belge », assassiné en 2000, « l’Anguille » s’est reconvertie, après trente ans de prison, en auteur de polars et en peintre amateur. Las ; il doit être jugé, mercredi 30 mars, à presque 76 ans, pour un projet d’attaque d’un fourgon de transport de fonds près de Vienne, en Autriche. Alertés par leurs homologues marseillais, les policiers autrichiens interpellaient, le 4 juin 2014, quatre Français qui s’apprêtaient, cagoulés, à dérober un poids lourd pouvant servir de « bélier » contre l’un des véhicules de la société de transport de fonds Loomis. Ils avaient au préalable pris soin de chronométrer les trajets et de surveiller les habitudes de circulation des fourgons entre le centre-fort de Graz et Vienne. bouquins », répond-il aux juges auxquels il fait parvenir des exemplaires dédicacés. C’est grâce à un contrat avec Plon, son éditeur, et avec l’aide d’un journaliste, qu’il bénéficiera d’une libération conditionnelle. Lorsqu’il obtient, en 2010, le prix Intramuros du festival Polar & Co de Cognac pour Taxi pour un ange, il se livre auprès des journalistes : « J’ai été un voyou avec passion. Je serai écrivain avec passion. » Deux ans plus tard, « Tony l’Anguille » fait partie du jury du même festival aux côtés de l’ancien juge d’instruction Gilbert Thiel. S’il est à Vienne au printemps 2014, explique-t-il, c’est justement pour écrire un roman. « Quand je leur ai dit que j’écrivais un livre, les policiers, ça les a fait rire. » C’est aussi pour « des contacts commerciaux » avec la société Red Bull en vue d’importer la boisson énergisante en France. Mais il refuse de donner le nom de son contact chez Red Bull : « C’est un monsieur qui a une position un peu établie, j’ai pas envie d’emmerder les gens. » Pour cette escapade autrichienne, Antoine Cossu a connu la détention durant huit mois. « Je suis fatigué d’être en prison », soupire-t-il auprès du juge d’instruction. « Ce qui le caractérise, c’est la force de vie qu’il a au fond de luimême, dit son avocat Me Frédéric Monneret. Au début de chaque longue peine [quinze ans pour un braquage commis en 1965, dix-huit ans, en 2006, pour un trafic international de drogue], il se disait : “Un jour, je vais sortir.” » En cellule, il écrit sur des petits carnets – « Le temps passait autrement dans mon cachot » – et il peint. Au-delà des toiles au fusain sur lesquelles il s’est représenté avec « le Belge » et qui ornent les murs des cabinets de ses avocats, Antoine Cossu a réalisé quelques expositions dans des galeries niçoises. Le tribunal dira s’il est ou non l’énigmatique Mgr de la Rosa mais pour « Tony l’Anguille », ce procès devrait être l’occasion de tirer sa révérence : « Au point de vue du banditisme, je n’ai rien à me reprocher ni ici ni là-bas. Je vis tranquille à la campagne, je m’occupe de ma peinture et de mes livres. Qu’est-ce que je vais m’embêter à mon âge avec cela ? » p tendre n e e r i fa our se p e r d tier r pren e a r t u n q e # n 0*.'%$ /""$,) .', 2$ *(../,) # !5'23*')3/1 - marseille – correspondant mploi e ’ l r u e po prendr 12 | france 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 DÉMANTÈLEMENT DE LA « CELLULE DE VERVIERS » ATTENTATS DE PARIS ET SAINT-DENIS 15 JANVIER 2015 13 NOVEMBRE 2015 Français Cache rue du Corbillon à Saint-Denis SAINTDENIS Français Français Français 10è 11è Marocain Assaut le 18 novembre 2 km PARIS Néerlandais Jawad BENDAOUD et Mohamed SOUMA, les logeurs Belge 28 ans, Belge Mohamed HAJNI 27 ans Souhaib EL ABDI 26 ans, Belge BRUXELLES BATAC Sofiane AMGHAR Khalid BEN LARBI Marouane EL BALI Brahim ABDESLAM Samy AMIMOUR LAN Considérée comme démantelée depuis janvier 2015 Belge T E R R AS S E S Abdelhamid ABAAOUD CELLULE DE VERVIERS Chakib AKROUH Ismaël Omar MOSTEFAÏ EXÉCUTANTS DES ATTENTATS 29 ans, Français 26 ans 31 ans, Français Abdelhamid ABAAOUD 28 ans, Français Salah ABDESLAM 23 ans, Français 26 ans, Français VERVIERS FRANCE Omar DAMACHE 33 ans, Algérien Français, relâché à la suite d’une erreur, en fuite Athènes Deux appartements fouillés 20 ans, Français STA SOUTIEN LOGISTIQUE ? GRÈCE Bilal HADFI E Walid HAMAM Identités inconnues, présentés par l’EI comme irakiens NC PARIS DE Khalid EL BAKRAOUI Il loue une cache à Charleroi avant les attentats Verviers, « cellule souche » des attentats de Paris et Bruxelles La galaxie djihadiste des attaques naît d’un réseau créé par Abaaoud, démantelé le 15 janvier 2015 T prêtait à commettre des attentats, le lendemain, à Bruxelles. L’assaut est d’une rare violence. Deux suspects sont tués, un troisième arrêté. Deux jours plus tard, dans un appartement d’Athènes, la police grecque interpelle Omar Damache, un Algérien soupçonné d’avoir aidé Abdelhamid Abaaoud – futur instigateur des attentats du 13 novembre – à superviser ce projet terroriste. Dans l’appartement, les enquêteurs mettent la main sur l’ordinateur d’Abaaoud, dont certaines données semblent, déjà, préfigurer les attentats de Bruxelles. Sur le disque dur : des notes représentant des plans d’attaque dans un aéroport. Abaaoud se vantera, quelques mois plus tard, dans le magazine de propagande de l’EI Dabiq, d’avoir échappé au coup de filet de Verviers. Il passera les mois suivant à mettre sur pied son nouveau projet : les attentats simultanés de Paris. RA LES SOUTIENS LOGISTIQUES TURQUIE ? F DE Mohamed BELKAID alias Samir Bouzid, 35 ans, Algérien Soutien logistique et coordination, avec Laachraoui, des attentats de Paris depuis Bruxelles ATHÈNES out part d’une « cellule souche », Verviers, et de son créateur, Abdelhamid Abaaoud. Un réseau en partie détruit par la police belge, le 15 janvier 2015, qui renaîtra quelques mois plus tard pour frapper Paris en son cœur, puis Bruxelles. Une hydre de Lerne djihadiste, dont les membres se régénèrent pour préparer l’attaque suivante. L’organisation Etat islamique (EI) l’a froidement calculé : un kamikaze ne sert qu’une fois. Le logisticien d’un attentat est le martyre en puissance de sa réplique. Une semaine après la tuerie du 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo, la Belgique découvre, stupéfaite, qu’un projet terroriste se prépare sur son sol. Le 15 janvier, à la nuit tombante, la police belge lance l’assaut contre une maison de Verviers, où conspirent trois djihadistes de retour de Syrie. Des écoutes téléphoniques ont révélé que la cellule s’ap- Chakib AKROUH 25 ans, Belgo-Marocain Foued MOHAMED-AGGAD BELGIQUE Abdelhamid ABAAOUD DEVIENNENT EXÉCUTANTS Najim LAACHRAOUI alias Soufiane Kayal Soupçonné d’être l’artificier des attentats de Paris, et d’avoir coordonné par téléphone avec Belkaid, les attentats de Paris depuis Bruxelles Ahmed DAHMANI Arrêté le 16 novembre en Turquie et condamné pour trafic de migrants Mohamed BAKKALI Mohammed ABRINI Arrêté en Belgique. Suspecté d’avoir loué un appartement utilisé pour préparer les explosifs, on a retrouvé chez lui une vidéo, récupérée par les frères El Bakraoui, montrant le domicile d’un cadre d’une centrale nucléaire belge 30 ans, Belge Il accompagne les commandos à Paris, rentre en Belgique, puis disparaît le 13 novembre. Visé par un mandat d’arrêt international Multipliant les voyages entre la Syrie et la Grèce, ce cadre de l’EMNI – l’organe de sécurité intérieure de l’EI – va s’atteler à reconstituer une nouvelle cellule autour d’un noyau de copains de quartier, originaires, comme lui, de Molenbeek. A cette colonne vertébrale s’agrègent quelques Français – Salah Abdeslam, qui a aussi grandi à Molenbeek, et les trois kamikazes du Bataclan –, ainsi que des combattants étrangers recrutés en Syrie. Plusieurs membres de ce réseau ont accosté sur l’île grecque de Leros à l’automne 2015, en se mêlant au flux de migrants avec de faux passeports syriens. C’est le cas des deux kamikazes irakiens du Stade de France, et de deux suspects des attentats de Bruxelles : Sofiane Ayari, alias Mounir Ahmed Alaaj, interpellé le 18 mars, et l’homme avec qui il est arrivé en Grèce, Naim Al-Hamed, dont on ignore la véritable identité, toujours recherché. D’autres, comme Najim Laa- chraoui et Mohamed Belkaid – qui ont coordonné les attaques de Paris par téléphone depuis Bruxelles –, voyagent sous de fausses identités belges, ce qui ralentira considérablement leur identification. Durant les mois qui précèdent les attaques, la nouvelle équipe d’Abaaoud traverse ainsi l’Europe – certains seront contrôlés en Grèce, en Hongrie, en Autriche ou en Allemagne – sans être démasquée. Les logisticiens-kamikazes Abaaoud a réussi à reconstituer un réseau de logisticiens et de candidats au martyre. Le soir du 13 novembre, sept kamikazes se font exploser à Paris. Le huitième – dont l’existence sera révélée le lendemain par un communiqué de l’EI – n’a jamais actionné sa ceinture : il s’agit vraisemblablement de Salah Abdeslam. Abaaoud et Chakib Akrouh, qui ont participé au massacre des terrasses, trouveront la mort cinq jours plus tard lors d’un assaut du RAID contre un appartement de Saint-Denis. Des dix terroristes présents à Paris, la nuit du 13 novembre, neuf sont morts, le dernier, Salah Abdeslam, est en cavale. Mais les enquêteurs découvrent rapidement qu’ils ont bénéficié de nombreuses complicités : l’Algérien Mohamed Belkaid et le Belge Najim Laachraoui – que les policiers ne connaissent alors que sous leurs identités d’emprunt – ont coordonné les attaques à distance. D’autres, comme Khalid El Bakraoui, ont loué des appartements ayant servi de planque aux commandos. Ce qui frappe dans la dynamique de cette cellule reconstituée sur les cendres de Verviers, c’est sa plasticité. Elle se joue autant des frontières que des rôles assignés. Tandis que les enquêteurs traquent les personnages secondaires des attentats de Paris – Mohamed Belkaid, Najim Laachraoui et Khalid El Bakraoui –, ces derniers mettent sur pied leur propre opération martyre. Elle aura pour cible Bruxelles, la ville où tout a commencé. Le mardi 22 mars, vers 8 heures du matin, deux kamikazes se font exploser à l’aéroport de Zaventem : Najim Laachraoui et Ibrahim El Bakraoui. Un peu plus d’une heure plus tard, Khalid, le frère d’Ibrahim, déclenche sa ceinture à la station de métro Maelbeek. Mohamed Belkaid a été tué quelques jours plus tôt lors d’une opération de police dans le quartier de Forest. Salah Abdeslam et Sofiane Ayari, connu des enquêteurs sous l’identité d’emprunt de Mounir Ahmed Alaaj, sont parvenus à s’enfuir. Ils seront interpellés le 18 mars à Molenbeek. Les enquêteurs soupçonnent les trois hommes d’avoir constitué un troisième commando censé frapper Bruxelles le 22 mars. p soren seelow france | 13 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 COMMENT LIRE CETTE INFOGRAPHIE ? Chaque point représente un terroriste impliqué dans les attaques de Paris ou de Bruxelles. ARRESTATION DE SALAH ABDESLAM Infiltré parmi les migrants avec un faux passeport syrien En fuite Passage en Syrie 18 MARS 2016 En prison Véhicule Cache Mort Attentat 2 MolenbeekSaint-Jean Schaerbeek 1b ATTENTATS DE BRUXELLES BRUXELLES 1a 2 km Cache no 1 Rue du Dries à Forest Nouvelle cache Rue des Quatre-Vents à Molenbeek 1a 1b 8 heures Deux explosions à l’aéroport de BruxellesZaventem Bilan provisoire BRUXELLES Fuite d’Abdeslam vers la Belgique le 14 novembre Assaut le 15 mars Lazez ABRAIMI 22 MARS 2016 Forest Arrestation le 18 mars 2016 9 h 11 15 MORTS Une explosion à la station de métro Maelbeek Bilan provisoire Aéroport 20 MORTS Hamza ATTOU Salah ABDESLAM Salah ABDESLAM Les trois kamikazes de Bruxelles, tous de nationalité belge, faisaient partie des suspects les plus recherchés dans le cadre de l’enquête sur les attaques du 13 novembre dont le noyau s’était formé il y a plus d’un an autour de la figure d’Abdelhamid Abaaoud Métro Maelbeek Salah ABDESLAM Abdellah CHOUAA Ali OULKADI Mohamed AMRI Sofiane AYARI, alias Amine Choukri ou Mounir Ahmed Alaaj Sofiane AYARI Ont aidé Salah Abdeslam dans sa fuite 2 km Mohamed BELKAID Abid ABERKAN Il meurt durant l’assaut M É T RO Ami de la famille, il loge S. Abdeslam ; également arrêté le 18 mars Khalid EL BAKRAOUI Il loue la cache de Forest Khalid EL BAKRAOUI 27 ans, Belge Najim LAACHRAOUI Najim LAACHRAOUI Ibrahim EL BAKRAOUI Naim AL-HAMED Fausse identité, ses empreintes digitales ont été retrouvées dans la cache alias Soufiane Kayal, 24 ans, Belge Arrivés sur l’île de Leros le 20 septembre, et accueillis par Salah Abdeslam en Allemagne. Suspecté par les enquêteurs d’être « l’homme au chapeau », le troisième terroriste de l’aéroport. ? EXÉCUTANTS DES ATTENTATS Toujours recherché Identité inconnue Ibrahim EL BAKRAOUI 29 ans, Belge « L’homme au chapeau » A É R O P O RT Filmé par la vidéosurveillance de l’aéroport, il a déposé un sac bourré d’explosifs avant de disparaître. ? Toujours recherché ? Toujours recherché ? Toujours recherché 2 Cache no 2 de Schaerbeek qui abrite les auteurs des attentats de l’aéroport Zaventem Mohammed ABRINI SOURCES : AFP, REUTERS, LE MONDE INFOGRAPHIE : CLARA DEALBERTO, FRANCESCA FATTORI, JULES GRANDIN, DELPHINE PAPIN 14 | enquête 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 L’alchimie verte de l’or noir Depuis 1969, la Norvège vit des rentes du pétrole, au point de disposer du premier fonds souverain au monde. Que faire de ce « tas d’or » ? Après la baisse des cours, le réveil est brutal. Oslo mise sur une transition plus « verte ». Mais la reconversion est difficile olivier truc stavanger (norvège) - envoyé spécial E n cette mi-mars 2016, le « Terminal des possibilités » a un petit arrière-goût amer… Ce bâtiment moderne donne sur la mer, en plein cœur de Stavanger, la flamboyante capitale norvégienne du pétrole, dans le sud du pays. Depuis octobre 2015, l’un de ses demi-étages a été transformé en une annexe de… l’agence pour l’emploi, créée pour accueillir les bataillons d’employés du secteur pétrolier qui ont perdu leur travail. Ce vendredi matin, ils sont encore peu nombreux. Face à eux, par les grandes baies vitrées qui donnent sur le port, on aperçoit trois énormes vaisseaux de soutien logistique destinés aux plates-formes de la mer du Nord. Aucun signe de vie sur les navires. « Ça pourrait être à cause de la mauvaise météo en mer, mais là, c’est parce qu’il n’y a plus de travail », lance Ketil Volland, ingénieur mécanique de 44 ans, fraîchement licencié du groupe Schlumberger. Son père travaillait dans le pétrole, il a suivi la voie. « C’était un choix naturel », dit-il. Le « choix naturel » est devenu une question existentielle pour le pays du prix Nobel de la paix. Le moment semble venu de commencer cette mue tant évoquée lors des dernières élections législatives, en 2013, où la nécessaire diversification de l’économie norvégienne, au centre des débats, a favorisé la victoire du « bloc bourgeois » (droite) au détriment des « rouges-verts » (gauche). LE RÉVEIL BRUTAL DE LA PÉTROMONARCHIE Depuis la découverte du gisement d’Ekofisk au large de Stavanger en 1969, la Norvège vit au rythme de l’or noir. Ce pays de 5 millions d’habitants s’est transformé en pétromonarchie. Le secteur des hydrocarbures y compte pour 39 % des exportations et 15 % du produit intérieur brut (PIB). Citoyens du troisième pays le plus riche du monde en PIB par habitant (selon le FMI en 2015), septième exportateur mondial de pétrole et troisième de gaz, les Norvégiens vivent sur un nuage. La crise de 2008 ? « On lisait ça dans les pages internationales des journaux », raconte Franck (prénom d’emprunt), cadre supérieur dans une filiale d’Aker Solutions, un gros équipementier de l’offshore qu’il a quitté fin décembre 2015. Aujourd’hui, le réveil est brutal. Ketil Volland est au chômage depuis janvier. Franck, fin 2015, touchait un salaire annuel de 1,1 million de couronnes (116 000 euros) comme responsable des opérations, gérant plusieurs milliards de couronnes. En janvier, Aker lui propose un poste de contrôleur de gestion à 750 000 couronnes (79 000 euros), pour traiter de projets à quelques millions. « Une mise au placard, dit-il, alors que je pouvais occuper d’autres postes et étais prêt à m’expatrier. J’ai été choqué, déçu. » Il comprend le message et part chercher ailleurs, comme beaucoup d’autres qui ont vu leur salaire réduit. YASMINE GATEAU Dans la région du Rogaland, dont Stavanger est la capitale, le taux de chômage a bondi de 67 % en un an. En février, il était de 4,9 %, contre 3,3 % à l’échelle du pays. Une hécatombe au Rogaland, qui compte 14 000 chômeurs. Les plus jeunes n’osent pas parler. « Ils se sentent gênés d’avoir acheté une maison après avoir travaillé deux ou trois ans seulement, dès leur premier salaire, raconte Elisabeth Kvinnesland, de Nito, un syndicat d’ingénieurs. Ils s’en veulent de ne pas avoir été plus prudents. Ils sont obligés de vendre maintenant, et perdent de l’argent. » Lors de la conférence annuelle sur le pétrole, à Oslo, le 10 mars, l’organisation patronale Norog, qui fédère le secteur, a annoncé quelque 50 000 pertes d’emplois d’ici à 2018. Mais elle table sur un retournement de conjoncture qui permettra de recommencer à embaucher, jusqu’à 22 000 personnes dans les deux ans selon les prévisions de l’institut de recherche IRIS. Le fonds du pétrole, créé en 1990 par la Norvège pour engranger la majeure partie des revenus tirés des hydrocarbures, est devenu le plus gros fonds souverain au monde, atteignant 750 milliards d’euros. Même s’il a fondu d’une quarantaine de milliards entre fin 2015 et la mi-mars – 97 % du fonds sont placés en actions et obligations sur les bourses du monde entier –, il reste un extraordinaire amortisseur dans lequel le gouvernement puise pour équilibrer son budget. Et investir dans d’autres domaines pour préparer le pays à l’après-pétrole. « Nous allons effectuer une transition verte, et nous allons insister sur la recherche, l’éducation et le transport », a annoncé, en août 2015, la première ministre conservatrice Erna Solberg. Même si l’utilisation d’une partie du fonds dans l’économie norvégienne est sujette à débat. Gros émetteur de gaz à effet de serre avec ses plates-formes pétrolières de mer du Nord, le royaume s’efforce de redorer son blason « vert ». Le fonds du pétrole a commencé à se désengager du charbon, se retirant de 50 à 75 compagnies (sur les 9 000 dans lesquelles il a Mer de Norvège NORVÈGE SUÈDE Stavanger investi) pour un total de 35 à 40 milliards de couronnes. Pour atténuer l’addiction à l’or noir, trois secteurs sont privilégiés : le transport, les traditionnelles ressources de la mer et l’essor du numérique. Le plan national pour le transport 20182029, présenté le 29 février, s’est fixé un objectif ambitieux : réduire de 50 % les émissions de CO2 liées au transport d’ici à 2030. En misant par exemple sur la voiture électrique, qui représente aujourd’hui 3 % des 2,5 millions de véhicules en circulation dans le pays. Oslo compte multiplier par dix le nombre de véhicules électriques d’ici à 2020. La capitale a installé des bornes de recharge à tous les coins de rue. Et accordé des incitations financières et réglementaires (exonération de TVA, gratuité des péages ou des parkings municipaux…), qui pourraient toutefois être supprimées cette année en raison de leur coût élevé. OSTRACISME Oslo DANEMARK 500 km Dans le numérique, le pays nordique dispose d’un atout géographique. Ainsi, le datacenter de Green Moutain, installé sur l’île de Rennesoy, dans un ancien dépôt de munitions de l’OTAN, tourne à 100 % à l’énergie hydraulique (renouvelable) et est refroidi par l’eau du fjord. Autant de pistes sur lesquelles nombre d’ingénieurs du pétrole comptent rebondir. Non sans difficulté. « Les entreprises exigent beaucoup de garanties de la part des candidats qui viennent du secteur pétrolier », note Sasha Elvik, de l’agence de l’emploi NAV. Ketil Volland témoigne de l’ostracisme dont sont victimes, comme lui, les travailleurs du pétrole : dans l’esprit des Norvégiens, ils sont tous très bien payés, avec quantité d’avantages. « Ça vaut pour ceux qui travaillent offshore, mais c’est une minorité », souligne le jeune chômeur, qui « cherche maintenant un travail en dehors du secteur pétrolier. Ça ne reviendra jamais au niveau d’avant. Ce monde-là est trop brutal. Et je ne suis pas seul… » Même son de cloche chez Dag Helge Trodahl, ex-Schlumberger lui aussi : « Comme je viens du pétrole, les compagnies que je démarche dans d’autres secteurs craignent que, dès que les affaires reprendront en mer du Nord, je reparte aussitôt, pour retrouver mon ancien salaire. » Car les industriels des hydrocarbures veulent croire à un redémarrage. « Ceux qui commenceront leur formation dans le secteur à l’automne 2016 seront vraisemblablement accueillis à bras ouverts par l’industrie pétrolière et gazière à l’issue de leur école », assurait, le 10 mars, à Oslo, Karl Eirik Schjott-Pedersen, directeur de Norog. Erna Solberg elle-même l’a promis ce jour-là : le pétrole va demeurer une industrie importante pour les décennies à venir. Franck n’y croit guère : « En Norvège, le discours social est roi, mais dès que la crise frappe, tout ça est oublié, et chacun ne voit que son intérêt. » Comment en est-on arrivé là, dans cet Etat-providence qui se targue du bon esprit de coopération entre gouvernement, patronat et syndicat ? Pour Bjorn Vidar Leroen, conseiller à Norog, la crise a démarré bien avant la baisse des cours du brut : « Depuis 2000, la production de pétrole sur le socle [continental] norvégien a chuté de 50 % et, dans le même temps, les coûts de production et les salaires ont considérablement augmenté. Ajoutez à cela que la nouvelle génération de responsables politiques norvégiens réclame de l’énergie propre. Alors qu’il y a vingt ans, chaque découverte d’un gisement était accueillie comme une bénédiction pour le royaume, ce n’est plus le cas. Le contexte a complètement changé. » En 2012, les carnets de commandes sont pleins, les compagnies embauchent par centaines techniciens et ingénieurs. Les syndicats mettent la pression : pas moins de trois grèves en quelques mois. Statoil dit stop. La compagnie publique, détenue à 67 % par l’Etat norvégien, a développé des technologies sous-marines innovantes mais chères. Le pétrole norvégien est le plus coûteux à produire dans le monde. Les conditions généreuses des travailleurs offshore – deux semaines en mer suivies de quatre semaines à la maison, avec des salaires un tiers plus élevés qu’à terre – ne passent plus. En 2013, Statoil présente un programme de réductions de coûts de 20 % à 30 %, avec un effet domino sur l’ensemble du secteur : des contrats jusque-là réservés aux sous-traitants norvégiens partent en Asie. La chute des prix du baril, amorcée à l’été 2014 au niveau mondial, accélère celle des investissements sur le socle norvégien (– 14,7 % en 2015, – 13,5 % prévus en 2016). Les rêves de voir l’Arctique prendre le relais de la mer du Nord s’envolent. Certes, ce 13 mars, le groupe italien Eni a démarré l’exploitation de Goliat, premier gisement en mer de Barents, mais avec deux ans de retard et des dépassements de budget considérables. Les autres projets sont au point mort. La chasse aux coûts fait le jeu de start-up innovantes comme Robotic Drilling Systems. A Sandnes, non loin de Stavanger, son fondateur Lars Raunholt montre ses gigantesques robots destinés à automatiser complètement les opérations de forage, qui remplaceront six à huit techniciens sur une plate-forme. « Nous proposons ce que l’industrie réclame : plus de sécurité, plus d’efficacité et une baisse des coûts. Cela met peut-être des techniciens au chômage, mais si on n’en passe pas par là, nous serons tous au chômage », prévient-il. Safe, un syndicat qui revendique 10 000 travailleurs du pétrole (dont 2 000 sont au chômage) est circonspect quant au discours volontariste des industriels et du gouvernement : « Ce que l’on craint, c’est ce qui va se passer avec les jeunes, qui représentaient l’avenir de la profession. Ils ont été les premiers à être licenciés. Qu’arrivera-t-il quand les affaires reprendront, alors qu’ils auront trouvé du travail dans d’autres industries ? Prendront-ils le risque de revenir dans un secteur qu’ils savent désormais cyclique ? » « Toute une génération d’ingénieurs va disparaître, et avec elle une compétence énorme, prévient Ketil Volland. Dans les emplois que je cherche dans les autres industries, les gens me disent que je ne serai pas capable de m’adapter à une vie normale, avec un salaire plus bas. J’en arrive au point où, dans mon CV, j’évite les mots qui renvoient à l’industrie pétrolière ! » p disparitions & carnet | 15 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Les administrateurs de la Maison de Poésie-Fondation Émile Blémont Stéphane Monclaire Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Spécialiste du Brésil Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg. cppkxgtucktgu fg octkcig Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. rtqlgevkqpu/ffidcvu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht PANTHÉON SORBONNE AU CARNET DU «MONDE» S téphane Monclaire, mort lundi 21 mars à Cuiaba (Etat brésilien du Mato Grosso), à 58 ans, avait une spécialité rare dans les universités françaises : il était un fin connaisseur du Brésil, et tout particulièrement de ses mœurs politiques. Sa découverte remontait aux années d’incertitude, au cours desquelles les Brésiliens sortaient progressivement de la dictature militaire (1964-1985) et faisaient leurs premiers pas dans la vie démocratique, comme un enfant qui peine à trouver l’équilibre sur ses jambes. Beaucoup ont apprécié, de 1998 à 2006, ses chroniques mensuelles dans le bulletin Info Brésil, une publication parisienne – comme lui qui était né dans le 15e arrondissement, le 6 avril 1957 – nourrie des solidarités et amitiés franco-brésiliennes nouées pendant les « années de plomb ». Stéphane Monclaire y évoquait la vie politique sans la moindre concession aux clichés militants. Il développait un regard très pointu, à la fois factuel et analytique, avec un talent et un goût prononcés pour la sociologie électorale, une approche rendue particulièrement ardue par les impositions du régime militaire. Au lieu de fermer le Congrès et de suspendre tous les scrutins, les généraux-présidents avaient autorisé des élections conditionnées, avec deux partis politiques seulement. Autant dire que toutes les cartes étaient rebattues et qu’il fallait beaucoup de ténacité et d’ingéniosité pour déceler des tendances et interpréter les résultats. Un personnage atypique Stéphane Monclaire a été ravi de se pencher sur l’Assemblée constituante de 1987, ce qui l’a amené à consolider sa familiarité avec le droit. Ses études supérieures se complètent d’une expérience sans cesse renouvelée du territoire, l’érudition vient combler une curiosité toujours éveillée, et l’entregent vient faire le reste. Avec l’exigence de ses collaborations gracieuses à Info Brésil, il se prête aux fréquentes interviews sur les ondes de Radio France Internationale et aux sollicitations d’autres médias, que ce soit Le Monde, Le Figaro ou Mediapart. Maître de conférences en science politique à l’université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, il a commencé à enseigner en 1984. Il appartient au Centre de recherche et de documentation sur l’Amérique latine (Credal) et au Centre de 6 AVRIL 1957 Naissance à Paris 1984 Enseigne à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne 1998 Début de ses chroniques mensuelles dans le bulletin Info Brésil 21 MARS 2016 Mort à Cuiaba (Brésil) recherches politiques de la Sorbonne (CRPS). Parlant couramment le portugais, il a été plusieurs fois professeur invité dans des universités brésiliennes. En France et au Brésil, il a publié des études sur les institutions brésiliennes, sur la transition démocratique, sur la nouvelle Constitution de 1988, et sur les partis politiques. Mais il s’intéressait aussi au football comme facteur d’affirmation nationale et au charisme de Luiz Inacio Lula da Silva, dirigeant syndical sous les militaires, puis fondateur du Parti des travailleurs (PT, gauche), enfin président de la République (2003-2010). Après une jeunesse rebelle, il était passé par une sorte d’ascèse, habité par la volonté de rigueur, de précision et de maîtrise dans son domaine de connaissance, sans pour autant cesser d’être un personnage atypique, peu formaté, qui réservait souvent des surprises à ses amis et à sa famille. Le cinéma et les arts l’avaient attiré à une époque, comme en témoigne le portrait qu’a fait de lui, en 1979, Gérard Courant dans son Cinématon, série consacrée aux figures underground ou alternatives (disponible sur YouTube). Il a gardé de cette période généreuse une disponibilité qui lui a permis de multiplier les relations amicales, de tisser des réseaux universitaires et d’organiser des colloques scientifiques. « Il était le meilleur spécialiste français du Brésil politique », assure Alfredo Valladao, ancien journaliste à Libération et professeur à Sciences Po Paris. Du Brésil, il revenait à chaque fois avec des valises et des poches pleines de livres, qu’il dénichait et dévorait. Inlassable arpenteur de bibliothèques, il était aussi un infatigable explorateur de terrain. Il faut croire que sa passion lui a joué un sale tour, que le corps n’a pas voulu se plier aux exigences de l’esprit, car il est mort sans doute d’épuisement, à un moment où son cher Brésil connaît un vent de folie et fait chavirer les têtes et les cœurs les plus solides. p paulo a. paranagua Naissance Gonzague LESORT, en communion avec Maggy LESORT († 2012), ses arrière-grands-parents, Olivier LESORT et Marie-Cécile CLOîTRE, Paulo et Francesca SOLINAS, ses grands-parents, Mathieu LESORT et Laura SOLINAS, ses parents, ont la grande joie de faire part de la naissance de Candy, le 25 mars 2016, à Bruxelles. Décès Pascal Boucheny, François et Claudie Boucheny, ses enfants, Christian et Sabrina Boucheny, Loic et Nezhla Boucheny, ses petits-enfants, Mina Boucheny, son arrière-petite-ille, ont la tristesse de faire part du décès de Colette BOUCHENY-MANTELET, survenu le 23 mars 2016 et y associent le souvenir de son mari, René Charles (†), ancien administrateur de la France d’Outre-Mer et de son ils, Jean Luc (†). Une cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 1er avril, à 11 heures, au temple protestant, 53, rue Erlanger, Paris 16e. Cet avis tient lieu de faire-part. Biarritz. Sébastien et Mathilde Castéran, ses enfants, Solène, Angèle et Marius Castéran, ses petits-enfants, Corinne et Claude Castéran, sa sœur et son frère Et leurs familles, ont la douleur et la tristesse de faire part du décès de M. Christian CASTÉRAN, journaliste, survenu le 21 mars 2016. Ses obsèques ont été célébrées le samedi 26 mars, à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Le présent avis tient lieu de faire-part. 17, avenue de Londres, 64200 Biarritz. ont la tristesse de faire part du décès de leur ami et président, Jacques CHARPENTREAU, survenu le 8 mars 2016, à Paris. Conformément au vœu du défunt, l’inhumation a eu lieu dans la stricte intimité familiale. Une messe sera célébrée le samedi 2 avril, à 12 heures, en l’église de la Compassion, place du Général-Kœnig, Paris 17e (métro porte Maillot). Jacqueline Gepner, née Mayer, son épouse, Patrick Gepner et Sophie, Cédric, Lauriane et Fabrice, Danièle Gepner-Spira, Agnès Gepner et Rémy, Jessica et Frédéric, Cyrielle, Anaëlle et Hugo, Bruno Gepner et Carole, Jonathan, Ruben et Clara, ses enfants et petits-enfants, Nathan et Hannah, ses arrière-petits-enfants, Myriam et Ernst Leblin, Sacha et Eva Gepner, Liliane et Bertrand Kempf, son frère, sa sœur, ses beaux-frères et belles-sœurs, Cécilia, ont la douleur de faire part du décès de Armand GEPNER, survenu le 26 mars 2016. Alice Kojitsky, son épouse, Nadine et Gilles Lazimi, ses enfants, Julie Lazimi, Sacha Lazimi, Charlotte et Harry Lazimi Nataf, ses petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès de Raymond KOJITSKY, résistant Pivert au FTP-MOI, chevalier de la Légion d’honneur, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Les obsèques ont eu lieu le vendredi 25 mars, à 14 h 30, au cimetière parisien de Bagneux. Annyck Levée-Le Borgne et Pierre Le Borgne, Valérie, Serge et Enaelle Le Borgne, Olivier Verhaegen, Ses amis Et sa famille, La troupe et l’équipe du Théâtre de la Ville, ont la douleur de faire part de la disparition de Une célébration en la mémoire d’Olivier a eu lieu le mercredi 23 mars, à 16 heures, en l’église Saint-Roch, Paris 1er. survenu le 23 mars 2016, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Ses obsèques religieuses auront lieu ce mardi 29 mars, à 15 heures, en l’église de Cunin. Condoléances sur registre. Louis Jouve et Martine Breuil, Grégoire Jouve, Hubert Jouve, Antoine Jouve, Claire Jouve (†), Dominique Jouve et Malou Brageul, Jean-Baptiste Jouve et Marie-Cécile Hac, ses enfants, Jérémy Pineau et Catherine, Hélène Pineau et Christophe, William Jouve et Gwénola, Julien Jouve, Ronan Jouve, Tangi Jouve, Charlie Jouve, Arthur Jouve, Coraline Jouve, Boris Jouve, ses petits-enfants, Maëva, Louise, Maëlys, Manoé, ses arrière-petits-enfants Et ses beaux-frères et belles-sœurs, cousins et cousines, neveux et nièces des familles Fallou, Libert, Bouttier, Chemouilli, Hallaire, Jouve, Georges et Le Fur, Colin, Daude, Brunhes, font part du décès de Bernadette JOUVE, née BOUTTIER, bibliothécaire (h) de l’université Rennes 2, dans sa quatre-vingt douzième année, le samedi de Pâques 26 mars 2016, munie du sacrement des malades. La cérémonie religieuse sera célébrée en l’église Saint-Hélier de Rennes, le vendredi 1 er avril, à 14 h 30, suivie de l’inhumation dans le caveau familial au cimetière de l’Est, auprès de son époux, Bernard JOUVE (1923 -1997) et de leur ille, Claire (1954-2011). La Fondation de France salue la mémoire de M. Roger MOULIN, décédé le 9 avril 2015, dans les Hauts-de-Seine et exprime toute sa reconnaissance pour son généreux legs. Conférence Musée d’Orsay Auditorium, vendredi 1er avril 2016, à 12 heures, Un hommage lui sera rendu dans les semaines à venir, au Théâtre de la Ville de Paris. conférence inaugurale, présentation de l’exposition « Le Douanier Rousseau. L’innocence archaïque », par les commissaires. ont la tristesse de faire part de la disparition de M. Robert JANIN, Hommage Les funérailles ont eu lieu le samedi 26 mars, à Hénon (Côtes-d’Armor). Cunin (Aube). ont la tristesse de faire part du décès de une messe sera célébrée en sa mémoire, le samedi 2 avril 2016, à 19 heures, en la chapelle Notre-Dame-du-SaintSacrement, 20, rue Cortambert, Paris 16e. le 18 mars 2016. Jacqueline Gepner, 18, rue Tisserand, 92100 Boulogne-Billancourt. Huguette Janin, son épouse, Jean-François et Anne Janin, Marie-Christine Janin, ses enfants, Marianne et Gilles Dupuis, Cécile et Jean de Bayser, Camille et Ludovic Velasco, Mathilde Janin et Sylvain Ianeselli, ses petits-enfants, Amélie, Anaïs, Clément, Jérémy, Elise, Alicia, Mattéo, Elodie et Eloïse, ses arrière-petits-enfants Et toute la famille, Patrice VIAL, Olivier LE BORGNE, Marie-France Paillard, Anne Paillard, Michel Paillard, Marie-Christine Paillard et Jean-Marc Deshayes, ses enfants, Ses petits-enfants Et arrière petits-enfants, Ses neveux et nièces, Les obsèques auront lieu le jeudi 31 mars, à 11 heures, au cimetière de Passy, Paris 16e. Pour le premier anniversaire du rappel à Dieu de musee-orsay.fr Tarif : 6 € / 4,50 € Débat Mme Bernard PAILLARD, née Jeannine DEVEAUX, survenue à Dole, le jour de Pâques, dans sa quatre-vingt-dix-huitième année. La cérémonie religieuse aura lieu en la collégiale Notre-Dame de Dole, le jeudi 31 mars, à 14 heures. Suzanne Quiers, son épouse, Florence, sa ille, et Guy Pourcet, son époux, Pierre-Julien, son ils, et Séverine Vanel, sa compagne, Delphine, Théo et Eliott, ses petits-enfants, Corinne Laurent Et toute sa famille Et ses amis, ont la douleur d’annoncer le décès de Francis Jean QUIERS, Les Mardis de Curie : Epigénétique et thérapie cellulaire La reprogrammation permet de transformer n’importe quelle cellule du corps en une cellule souche, qui peut alors se différencier pour donner tous les types de cellules. Le point sur la thérapie cellulaire avec deux chercheuses de l’Institut Curie Déborah Bourc’his et Edith Heard, également professeure au collège de France le 5 avril 2016, de 18 h 30 à 20 heures, Institut Curie, Amphithéâtre Constant-Burg, 12, rue Lhomond, Paris 5e. Inscription obligatoire sur www.curie.fr Communications diverses économiste, ancien président-directeur général de Kodak France, chevalier de la Légion d’honneur, survenu le 25 mars 2016, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. La cérémonie religieuse aura lieu le mercredi 30 mars, à 15 heures, en l’église Saint-François-Xavier, Paris 7e. Une bénédiction sera donnée le vendredi 1er avril, à 15 heures, en l’église de Vicsur-Cère (Cantal), suivie de l’inhumation au cimetière. Anniversaires de décès Patrick FIOLE, 26 décembre 1949 - 30 mars 2011. Sa famille Et ses amis ne cessent de penser à lui. Dominique MONJARDET nous a quittés, il y a dix ans, il nous manque. Ses amis sont invités à se retrouver le 3 avril 2016, de 11 heures à 16 heures, 6, rue Baudin, à Ivry-sur-Seine. Panoramiques 3 ans de créations cinéma au Fresnoy vendredi 1er et samedi 2 avril 2016, de 15 heures à 21 heures, rencontres avec Alain Fleischer, directeur du Fresnoy, François Bonenfant, coordinateur pédagogique, les cinéastes, Vincent Dieutre, João Pedro Rodrigues, Bernard Faucon. Films de clôture en présence des cinéastes vendredi 1er avril, à 19 heures, Trilogie de nos vies défaites, ilm de Vincent Dieutre, France, 2012, coul., 1 h 20, samedi 2 avril, à 20 heures, La dernière fois que j’ai vu Macao, ilm de João Pedro Rodrigues, France/ Portugal, 2012, coul., 1 h 25. Entrée libre inscription citechaillot.fr # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. 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L’occasion est belle de rappeler, avec la sortie en salles de Quand on a 17 ans, que le confort de cette rente autorale ne va pas au teint du cinéaste. Enfant du Tarn-et-Garonne, doté d’une grande inquiétude et d’une vive intelligence, André Téchiné n’a cessé au cours d’une MARIANNE DENICOURT ADÈLE HAENEL EMMANUEL SALINGER MISE EN SCÈNE carrière en forme de montagnes russes de varier les formats et de fomenter des intrigues passionnelles dont l’architecture intimiste révèle une constante interrogation sur l’altérité sociale, ethnique, sexuelle. Rien de moins normé, en somme, que le cinéma de ce septuagénaire, qui se ressource aujourd’hui à la verdeur de la nature et de l’adolescence. Vous n’aviez plus abordé l’adolescence depuis Les Roseaux sauvages, sorti en 1994. Quel désir vous y a poussé ? Après plusieurs films de commande successifs, je voulais revenir à un sujet original. La question de base, dans ce cas, c’est ce qui me tient à cœur. J’avais envie de ce mélange entre expérience rêvée et expérience vécue qui caractérise l’adolescence, contrairement à l’âge adulte, où on est beaucoup plus dans l’épreuve du OLD TIMES DE HAROLD PINTER BENOIT GIROS SCÉNOGRAPHIE ALEXANDRE DE DARDEL LUMIÈRE BERTRAND COUDERC SON ET VIDÉO ROMAIN VUILLET COSTUMES SARAH LETERRIER DRAMATURGE DENIS LACHAUD CONSEILLER MUSICAL VINCENT LETERME TEXTE FRANÇAIS DE SÉVERINE MAGOIS @ L’ARCHE EDITEUR WWW.ARCHE-EDITEUR.COM DESIGN : AUDE PERRIER / PHOTO : PHILIPPE GARCIA A ENTRETIEN réel et dans la stratégie. C’est un âge assez radical, qui échappe à la famille et à l’institution. Vous savez, c’est difficile de dire pourquoi l’esprit est occupé par telle ou telle idée. J’avais simplement des images dans la tête, insistantes : un rite de passage, deux adolescents qui se battent, un portrait de femme heureuse, les montagnes des Pyrénées, un personnage métissé dans la neige, quelqu’un qui hurle dans la nuit après la mort d’un être cher. Avec Céline Sciamma, on ne savait pas très bien où ça allait nous mener, à part que nous voulions une sorte de minimalisme, avec beaucoup d’action et de physique. Et puis tout ça s’est noué autour de l’idée de mettre en miroir la violence adolescente, qui peut déboucher sur la reconnaissance du désir de l’autre, et la violence du monde adulte, la vraie guerre, qui se révèle fatale. Vous mentionnez votre scénariste, Céline Sciamma, qui prend chez vous la suite de Pascal Bonitzer, Olivier Assayas, Xavier Beauvois ou Gilles Taurand. Pourquoi l’avez-vous choisie ? Comme cinéaste, je trouvais qu’elle avait su récemment apporter un regard neuf sur l’adolescence [avec les films Naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles]. Mais il se trouve qu’au moment où je l’ai contactée elle voulait justement sortir de ça. C’est aussi pour cette raison qu’on n’a pas vraiment programmé une histoire avec Céline, nous voulions surtout nous laisser surprendre. Comment avez-vous trouvé vos acteurs ? Pour les deux garçons, j’ai longtemps voulu les trouver dans la région toulousaine et qu’ils aient un accent à couper au couteau. J’ai dû renoncer à cela. Ce que j’ai surtout travaillé avec Kacey Mot- « Loin d’une France rassise, je voulais montrer que la vie, c’est aussi l’échange de solidarités minuscules » tet Klein et Corentin Fila, c’est la relation du couple qu’ils forment. L’un n’allait pas sans l’autre. L’interaction était très tendue entre les personnages, il me fallait des acteurs avec beaucoup de réactivité. Quant au personnage de Sandrine Kiberlain, il est maternel et sexy à la fois, il a la force du roseau. Le décor naturel est splendide : où avez-vous tourné ? Dans l’Ariège et la Haute-Garonne, ce sont des endroits assez déshérités, rarement visités par le cinéma. C’est une part de la France qu’on n’a pas l’habitude de regarder. J’y ai d’ailleurs fait un gros travail d’enquête sur le terrain. Notamment dans les lycées et dans les fermes. Beaucoup d’acteurs du film sont dans leur élément naturel. Il y a quelque chose de généreux dans le film, avec des personnages qui s’ouvrent largement au monde et à la différence. A l’heure, justement, où tout semble se refermer dans notre monde… Oui, c’est sans doute un désir, profond, d’apaisement. Une lassitude, pour ne pas dire une colère, à montrer toujours une France rassise. Je voulais qu’on se dise que, même dans un coin aussi reculé, l’hospitalité était possible, souhaitable. Que la violence entre deux jeunes gens pouvait aussi déboucher, quelquefois, sur la mutuelle délicatesse. Si une mère dans la situation du personnage de Sandrine Kiberlain voyait le film, eh bien, ça ne pourrait pas être mal, ça pourrait être bienfaisant. Montrer que la vie, c’est aussi l’échange de solidarités minuscules. Cela dit sans illusion sur la capacité du cinéma à changer le monde. Mais, vous savez, cette détestation chez moi du naturalisme cinématographique à la française remonte à ma propre adolescence dans l’après-guerre. Ces personnages étaient d’une noirceur dans laquelle je ne pouvais pas me reconnaître. Découvrir, à côté, des comédies musicales avec Fred Astaire, mais quel bonheur ! Votre carrière, commencée dans les années 1970, vous donne un point de vue incomparable sur l’écosystème du cinéma français. Comment y avez-vous tenu et évolué ? J’espère surtout ne pas y gérer une signature auteuriste qui ferait qu’on m’y épingle comme un papillon. Je suis donc protéiforme de manière délibérée. Tantôt je prends les risques du film de commande, tantôt je me lance dans des projets plus intimes. J’ai tenté de durer comme ça, et ça m’a plutôt réussi. J’ai tout de même l’impression d’avoir passé plus de temps à travailler sur des sujets qui n’ont jamais vu le jour que sur quoi que ce soit d’autre. Ce n’est un mystère pour personne que le cinéma d’expérimentation est aujourd’hui de plus en plus séparé de l’industrie lourde du cinéma. Que les « films du milieu », comme les a nommés Pascale Ferran, sont plus difficiles à réaliser. Il faut donc jouer avec les interstices, s’adapter en permanence, ne pas trop se plaindre tant qu’on peut tourner… p propos recueillis par jacques mandelbaum André Téchiné, le 25 mars. AUDOIN DESFORGES POUR « LE MONDE » de Tennessee Williams traduction de l’anglais Isabelle Famchon mise en scène Daniel Jeanneteau du 31 mars au 28 avril 2016 www.colline.fr 01 44 62 52 52 par la compagnie L’In-quarto texte Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos très librement inspiré par le film La Maman et la Putain de Jean Eustache mise en scène Julie Duclos du 7 au 22 avril 2016 culture | 17 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER Etre punk à Budapest, retour vers le « no future » Une adolescence pleine de grâce et de fureur Sur fond de montagne, l’histoire de Tom et Damien, rivaux et amants. Un film entièrement tourné vers la vie QUAND ON A 17 ANS pppv C DATES André Téchiné a plus souvent porté son attention sur l’entrée de jeunes gens dans le monde adulte que sur l’adolescence. Deux films sur cette tranche d’âge peuvent toutefois lui être comptés. 1987 Le Lieu du crime La vie de Thomas (Nicolas Giraudi), adolescent secret de 14 ans, verra sa vie bouleversée par l’arrivée de Martin, mauvais garçon qui séduit sa mère. 1994 Les Roseaux sauvages La formation sentimentale de deux adolescents (interprétés par Gaël Morel et Elodie Bouchez) dans le sud-ouest de la France, au début des années 1960, sur fond de guerre d’Algérie et de tensions politiques. e sont des garçons modernes, connectés, encapuchonnés. Tom et Damien sont aussi des créatures de conte, l’un vit en haut d’une montagne enneigée, l’autre aux pieds d’une belle femme – sa mère – qui attend le retour de son époux parti en guerre. Quand on a 17 ans, qui signale le retour d’André Téchiné au sommet du cinéma français, explore un territoire fabuleux, l’adolescence, pour en exalter l’ardeur, pour cristalliser ce moment où la sensation d’être unique au monde est si forte qu’elle en devient vraie. Dans les salles de classe du lycée d’une petite ville des Pyrénées, au gymnase, sur les trottoirs de la ville, Tom (Corentin Fila) et Damien (Kacey Mottet Klein) se croisent et se heurtent. Le scénario d’André Téchiné et Céline Sciamma emprunte à la comédie romantique la figure de l’hostilité initiale qui se mue en passion. Plutôt que les dialogues, c’est la mise en scène qui dessine l’opposition entre les deux garçons. Damien porte la part de disgrâce qui échoit à tant d’adolescents. Kacey Mottet Klein, que l’on avait vu dans les films d’Ursula Meier – Home et L’Enfant d’en haut –, appartient désormais à ce groupe d’acteurs (Jodie Foster ou JeanPierre Léaud) que l’on a vus grandir à l’écran. Ici, son personnage s’efforce d’accélérer son entrée dans l’âge d’homme en prenant des cours de combat rapproché chez un voisin, militaire à la retraite, substitut d’un père officier envoyé sur tous les théâtres d’opération de l’armée française. Tom est un enfant de la nature. Métis, adopté par un couple de paysans, il parcourt des kilomètres à pied dans la neige pour arriver à l’arrêt du bus de ramassage scolaire. Il jouit de cette singularité, qui lui autorise une intimité et un rapport d’égalité avec ses parents que lui envierait la majorité de ses camarades. De l’hostilité à la rivalité La prise de contact avec les personnages établit nettement la tonalité de ce film tout entier tourné vers la vie : ces adolescents cherchent toutes les armes, tous les outils qui lui permettront de la dompter, de la plier à leurs désirs et à leurs espoirs. Si Damien est conscient de son désir pour Tom, ce dernier le refuse, sans doute effrayé de ce qu’il pourrait éveiller Plutôt que les dialogues, c’est la mise en scène qui dessine l’opposition entre les deux garçons en lui. La vague hostilité des premières scènes cède bientôt la place à une rivalité physique. Le duo qu’esquissent les premières séquences se mue en triangle lorsque Marianne (Sandrine Kiberlain) prend toute sa place. Inconsciente de la rivalité entre les deux garçons, la mère de Damien invite le fils de la montagne à s’installer dans la vallée, pour mieux réviser son baccalauréat. Sandrine Kiberlain illumine le film d’un éclat très doux. Quand il s’agit de figures maternelles, le cinéma français penche d’habitude du côté de Folcoche. Celle que montre Quand on a 17 ans est singulièrement attachante : un peu malvoyante (comme tous les parents), mais d’une infinie bienveillance. On ressent presque comme une cruauté ce qui survient à la fin du film, faisant voler en éclats ce roc de confiance. La violence de ce malheur, né de la marche du monde, est sans doute nécessaire pour donner l’échelle de la passion, des pulsions, qui circulent entre Tom et Damien. On sent que le point de vue de Téchiné est finalement celui de l’enfant de la vallée : il filme Tom en jeune divinité de la nature, capable de plonger dans un lac glacé en plein hiver. Les efforts frénétiques de Damien pour faire admettre la légitimité de son désir n’en sont que plus beaux, plus héroïques. Quand on a 17 ans est parcouru d’une telle énergie, d’une envie de filmer – les visages, les corps, la montagne – si forte que l’on a peine à croire que ce film est l’œuvre d’un cinéaste septuagénaire, qui semblait s’être un peu égaré entre les îles de la lagune vénitienne (Impardonnables) et les plages de la Côte d’Azur (L’Homme qu’on aimait trop). Et l’on saluera la sagesse du calendrier des sorties qui fait coïncider cette renaissance avec le printemps. p thomas sotinel Film français d’André Téchiné, avec Kacey Mottet Klein, Corentin Fila, Sandrine Kiberlain. (1 h 54). Un documentaire explore un univers musical et politique désabusé EAST PUNK MEMORIES ppvv A u début des années 1980, une poignée de jeunes punks mettait le feu aux murs gris de Budapest. Leurs groupes s’appelaient Kretens, QSS, Die Trottel, CPG, Mosoï, Modells, Marina Revue. Leurs hymnes faisaient trembler les murs des caves. Leurs iroquoises colorées, leurs oreilles percées d’épingles à nourrice, leurs vêtements savamment déchirés effrayaient les passants, inquiétaient la police, qui les harcelait en retour. Débarquée avec sa caméra 16 mm, une jeune Française, étudiante aux Arts déco, folle de rock et de cinéma américain, les a immortalisés sur pellicule. Les images, splendides, qu’elle a tournées alors, célèbrent le panache de ces jeunes gens modernes qui avaient découvert les Sex Pistols, les Ramones, les Dead Kennedys sur les ondes de Radio Free Europe. Des demi-dieux qui trouvaient dans l’artifice du punk la seule manière digne de se tenir dans un monde qui ne leur promettait rien de mieux que cette vie morne et sans relief qui faisait crever leurs parents à petit feu. Connue aujourd’hui d’un petit cercle cinéphile pour des films comme Violent Days, Léone ou L’Amertume du chocolat, Lucile Chaufour n’aime rien tant que naviguer en eaux troubles en confrontant la puissance de l’imaginaire, du mythe, du style, à un quo- Ces demi-dieux trouvaient dans l’artifice du punk une manière de se tenir dans un monde qui ne promettait rien tidien prosaïque menacé de putréfaction. Pour qu’elle intègre ces images tournées il y a près de trente ans à un long-métrage, il aura fallu que tombe le mur de Berlin, que s’installe, à Budapest l’empire d’un nouvel ordre mondialisé. Il aura fallu qu’elle retrouve ses héros de jeunesse, qu’elle découvre à quoi a fini par ressembler ce futur dont ils ne voulaient pas entendre parler. Chaos idéologique Avant que leurs souvenirs ne se dissipent dans les vapeurs de l’oubli, elle s’est plongée avec eux dans ses images pour en retrouver l’histoire, et en explorer les zones d’ombre et recomposer le nuancier idéologique complexe, largement masqué, à l’époque, par une commune détestation du pouvoir communiste, sur lequel se répartissait cette petite communauté. Le punk de l’Est avait de fait une coloration droitière, loin de celle qui prédominait alors à l’Ouest. Mais, entre l’idéal libertaire tendance anarchiste qui animait certains acteurs de la scène (aujourd’hui posi- tionnés à gauche) et l’obsession nationaliste, ouvertement teintée de racisme et d’antisémitisme, que d’autres revendiquaient, le spectre était large. Cette manière qu’a le film de creuser le flou, ruinant les certitudes des spectateurs, explique pourquoi il a mis si longtemps à trouver le chemin des salles – il a été réalisé en 2012. En révélant la confusion qui régnait déjà à cette époque, il apporte pourtant un éclairage passionnant sur le « chaos idéologique actuel » où, comme le disent plusieurs personnages du film, la gauche est devenue le parti de la classe bourgeoise, et l’extrême droite celui du prolétariat. Le vide du communisme a cédé le pas au néant capitaliste, mais les raisons d’espérer ne sont guère plus nombreuses qu’elles ne l’étaient à Budapest au début des années 1980. Dans sa séquence finale, East Punk Memories s’attarde sur un vieux punk dont la silhouette chancelante se découpe sur fond de panneaux publicitaires géants, ânonnant face à la caméra des propos décousus. Dernier spectre de la génération « no future », qui condense à lui seul toute la tristesse des perdants de l’Histoire, sa seule présence continue d’affirmer, dans un couinement que rien ne pourra faire taire : « Punk is not dead ». p isabelle regnier Documentaire français de Lucile Chaufour (1 h 20). L’amour plus fort que la guerre Le Croate Dalibor Matanic fait rimer comme un poème trois histoires à vingt ans d’intervalle dans les Balkans SOLEIL DE PLOMB pppv A u bord d’un lac au soleil, un trompettiste solitaire envoie de jolies notes ricocher sur l’eau. La caméra s’approche, il n’est plus seul : un visage de jeune femme rieuse émerge de l’herbe. Une certaine idée du bonheur – fragile sinon impossible, car la charmante scène a lieu en temps de guerre, et que l’un est croate et l’autre serbe. Dans les Balkans, en 1991, les hommes se sont armés et attendent sous un soleil de plomb que le conflit commence. Si le temps, consent à suspendre un moment son cours, ce ne sera que pour permettre au spectateur d’aimer ces beaux amants de fiction et de s’attacher à leur sort. On les retrouvera deux fois à dix ans d’intervalle. En 2001 et 2011, ils ne portent pas le même nom, ne vivent pas la même histoire, mais ce sont les mêmes acteurs et c’est le même couple, au sens où tous les jeunes couples pris dans le feu du premier amour se ressemblent. Le paysage change, les maisons sont détruites, puis restaurées. L’Histoire bouge. 2001, c’est l’immédiat après-guerre, 2011, presque le présent : le temps de mesurer ce qui demeure des souvenirs de mort, et ce qui s’en dissipe. La terre reste identique, le soleil brûle avec la même intensité sur ces trois couples d’amants de 20 ans qui se ressemblent sans le savoir. Des jeux d’échos Sélectionné pour Un certain regard au dernier Festival de Cannes et récompensé du Prix du jury, Soleil de plomb, du réalisateur croate Dalibor Matanic, est un bijou de construction et d’écriture, mais pensé pour parler aux sens avant d’inviter les esprits à affronter la grande Histoire dans les trois petites qu’il présente. Comme un poème. De même que les rimes et les rythmes chantent à l’oreille juste avant que la signification des mots ne touche au cœur, Soleil de plomb offre à l’œil et à l’ouïe ses figures avant que les enjeux terribles qui les innervent les empè- sent d’un sens. Ce sont des jeux d’échos passant d’une histoire à l’autre : le tic d’intranquillité de la jeune femme, des vivants morts, un possible lien de cause à effet entre un instant d’amour et une naissance, le lac, où depuis vingt ans, les jeunes gens se baignent. Libre au spectateur de faire à sa façon la part des coïncidences et des correspondances : on n’y distinguera jamais vraiment entre mémoire individuelle et inconscient collectif, c’est bien pour cela, d’ailleurs, que les mêmes acteurs reviennent lorsque les prénoms changent – on a encore moins le loisir, en temps de guerre, d’être uniquement soi. Que garde-t-on de la petite histoire et de la grande ? Que perd-on ? Qu’a-t-on eu tort de perdre ? Le cinéaste, lui, scande en réponse la même conclusion que le poète : « Ils ont aimé ! » p noémie luciani Film croate, serbe et slovène de Dalibor Matanic, avec Tihana Lazovic, Goran Markovic, Nives Ivankovic, Dado Cosic… (2 h 03). 2h de musique, de culture et d’infos La matinale de Vincent Josse du lundi au vendredi de 7h à 9h Ce monde a besoin de musique ! francemusique.fr 18 | culture 0123 Le metteur en scène Terence Davies quitte les villes pour les landes et les champs dans « Sunset Song » et en rapporte un film d’une beauté classique saisissante Modèle d’économie Dès ces premières séquences, Terence Davies atteint un équilibre délicat entre la violence des situations, et l’harmonie de la terre qui les entoure. On est un peu surpris de découvrir chez un cinéaste qui a chanté jusqu’ici le smog et les pavés luisants une telle facilité à mettre en scène les forces qui meuvent la vie des paysans au début du XXe siècle – les caprices des saisons, les avancées techniques, les rites anciens (les danses, le soir venu) ou nouveaux (les examens scolaires des enfants). Le récit est animé par une pulsation ample, entre le malheur le plus abject – qui frappe très tôt – et des moments de joie pure. A ce moment, Agyness Deyn, qui n’a d’abord convaincu que par sa beauté (elle n’est actrice que depuis peu, après avoir fait une carrière de top model), trouve les ressources nécessaires pour donner plus qu’une stature à son personnage, de la chair. De toute façon, Terence Davies est un directeur d’acteurs remarquable. Ce n’est pas la première fois, par exemple, que Peter Mullan incarne un père inique (il l’a fait dans Tyrannosaur, Cheval de guerre ou Top of the Lake), mais il n’a sans doute jamais déployé de nuances aussi fines, sur un registre qui ne leur laisse pourtant pas beaucoup de place. La violence du fermier ne masque pas son intelligence, ses talents d’innovateur, ni même son amour monstrueux pour son épouse et sa fille. La mélodie de Sunset Song est interrompue par l’irruption de la guerre, en 1914. Chris, qui s’est mariée avec un jeune et beau fer- thomas sotinel Film britannique de Terence Davies. Avec Agyness Deyn, Peter Mullan, Kevin Guthrie (2 h 12). D E F I L M S T erence Davies est un homme de la ville, de Liverpool, où il est né en 1945. Son œuvre – trois courtsmétrages, cinq longs-métrages de fiction et un documentaire, réalisés entre 1976 et 2011 – se divise entre souvenirs autobiographiques et adaptations littéraires. Sur les bords de la Mersey, de la Tamise ou de l’Hudson, mais presque toujours dans des rues pavées, des intérieurs confinés. Et puis est arrivé l’an 2015, qui a vu la présentation de deux longsmétrages de ce cinéaste jusqu’alors si parcimonieux. On découvrira plus tard A Quiet Passion, portrait de la poétesse américaine Emily Dickinson, présenté au dernier Festival de Berlin. Pour l’instant, on succombera à l’enchantement qu’est Sunset Song, incursion lyrique dans les landes écossaises, adaptation d’un roman de Lewis Grassic Gibbon paru en 1932. La caméra caresse un champ de blé mûr au soleil, des épis émerge la silhouette d’une femme, qu’une illusion d’optique fait d’abord passer pour une géante. Chris Guthrie (Agyness Deyn) n’est qu’une fille de fermier, plus K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr (édition abonnés) ppvv À VOIR Kung Fu Panda 3 Film d’animation américain et chinois de Jennifer Yuh et Alessandro Carloni (1 h 35). La saga de Dreamworks affiche une forme olympique. p n. lu. Voyages de rêve Cinq courts-métrages animés, indien, tchèque, français et suisse de Gitanjali Rao, Jakub Kouril, Anne-Céline Phanphengdy, Mélanie Vialaneix, Anete Melece, Stéfan Le Lay (43 min). Cinq petits films un brin mélancoliques. p n. lu. pvvv POURQUOI PAS mier, le voit partir, puis revenir, méconnaissable. La façon dont Terence Davies laisse entrevoir les conflits qui ont déchiré toutes les sociétés britanniques, puis la vie au front est un modèle d’économie – chacune des maigres ressources du film (si on le compare, par exemple, à Cheval de guerre, avec lequel il partage un interprète et un jeu de ressorts narratifs) est employée à cerner et à exacerber les émotions des personnages. Terence Davies est tout sauf un moderniste (son magnifique documentaire sur Liverpool, Of Time and the City, était un manifeste contre la transformation de la ville), et il emploie délibérément des procédés auxquels tous les autres metteurs en scène ont renoncé. Mais il y met une telle ferveur, que portent ses acteurs, son équipe, qu’il est impossible de ne pas y succomber. Ces paysans écossais qui vivent dans un monde que les deux guerres mondiales ont englouti, il en fait des êtres de légende qui pourraient être nos parents. p A U T R E S pppv Le récit est animé par une pulsation ample entre le malheur le plus abject et des moments de joie pure L E S SUNSET SONG dégourdie que ses camarades de classe, qui rêve de devenir institutrice. Elle partage avec d’autres personnages des films de Terence Davies la condition d’animal pris au piège, en l’occurrence d’une famille de paysans dominée par un père tyrannique (Peter Mullan). La beauté et l’intelligence de Christy ne lui seront d’aucune utilité tant que le clan sera soumis à la loi du patriarche, que la mère sera forcée, par les coups s’il le faut, de procréer chaque année. L A Elégie pour les paysans d’Ecosse par un enfant de Liverpool S E M A I N E MERCREDI 30 MARS 2016 13 Hours Film américain de Michael Bay (2 h 30). Ce film, qui prétend relater l’épisode dans lequel l’ambassadeur américain J. Christopher Stevens a été tué en 2012 en Libye, est ce que l’on pouvait attendre du réalisateur de Transformers : un déluge de feu, une poignée de héros qui s’opposent à des hordes barbares. p t.s. Le Sanctuaire Film britannique et irlandais de Corin Hardy (1 h 37). Ce premier long-métrage se distingue du tout-venant du cinéma d’horreur, par son emprunt au folklore irlandais, son propos écologique et sa facture artisanale. p m.m. Shadow Days Film chinois de Zhao Dayong (1 h 35). Entre chronique méditative et œuvre d’intervention. p j.m. Good Luck Algeria Film français de Farid Bentoumi (1 h 30). Deux petits fabricants de skis français au bord de la faillite. Une idée germe : envoyer l’un, qui a la double nationalité, disputer les Jeux olympiques sous les couleurs de l’Algérie. p j.m. Le Cœur régulier Film belge, français et canadien de Vanja d’Alcantara (1 h 35). Un rôle pour Isabelle Carré, mais un tableau du Japon japonais un peu trop compassé. p n. lu. Taklub Film philippin de Brillante Mendoza (1 h 37). Une fiction dans les ruines de la ville de Tacloban, alors que ses habitants s’échinent à renouer avec la vie après le passage du typhon Haiyan. p i. r. Volta a terra Documentaire portugais de Joao Pedro Placido (1 h 18). Dans les montagnes du nord du Portugal, un hameau de paysans ignore tout de la technologie. p i. r. «Isabelle Huppert magnifique.» LE MONDE CHARLES GILLIBERT PRÉSENTE ISABELLE HUPPERT L’AVE NIR UN FILM DE MIA HANSEN-LØVE ANDRÉ MARCON, ROMAN KOLINKA, EDITH SCOB Design : Benjamin Seznec / TROIKA • Photo : Ludovic Bergery AVEC D V D Marseille entre deux tours L’adieu électrique de Cassavetes Love Streams (1984) est le dernier long-métrage de John Cassavetes (19291989) et sans doute le seul film américain à avoir poussé aussi loin l’idée de personnage, dont les lambeaux de présence et la brûlure existentielle constituent à la fois la matière et l’unique objet. D’un côté, Robert Harmon (Cassavetes), écrivain célèbre, toujours entre deux verres et la horde de greluches qui peuplent sa maison, devant garder pour un week-end un fils qu’il n’a jamais connu. De l’autre, Sarah Lawson (Gena Rowlands), femme à la dérive, rejetée par son mari et par sa fille, se refusant pourtant à cesser de les aimer. Le sujet réside dans ce qui les relie, et ne se résume pas à la parenté qui ne sera dévoilée que très tard, incidemment. Cette connexion n’a d’abord pas de nom ni d’état civil : c’est un partage insulaire du sensible, une zone désertée de l’existence. Cassavetes filme ses personnages comme à travers le prisme de leurs névroses respectives. Love Streams avance par fragments arrachés au présent. Le film ne raconte rien et ne vise aucune autre forme de continuité que cette électricité affective. Tout est à la fois grandiose et minable, vif et désespéré. Cassavetes se savait condamné et organisait probablement un rituel d’adieu intense et cabossé à Gena Rowlands, son épouse et bien plus qu’une muse. p Documentaire français de Jean-Louis Comolli, Michel Samson et Jean-Louis Porte (1 h 30). Plutôt que de suivre les péripéties de l’élection municipale de 2014, les auteurs font parler chercheurs et créateurs. p t. s. vvvv ON PEUT ÉVITER Five Film français d’Igor Gotesman (1 h 42). Le quotidien de la jeunesse, selon les études de marché qui ont probablement présidé à la conception de ce film. p t. s. Mise à l’épreuve 2 Film américain de Tim Story (1 h 42). Une comédie policière poussive, fonctionnant sur des gags laborieux. p j.-f.r. La Passion d’Augustine Film canadien (Québec), de Léa Pool (1 h 43). Dans les années 1960, au moment où le Québec rompt avec les institutions catholiques, une mère abbesse se bat pour la survie de son pensionnat. Ce grand succès là-bas peine à entremêler les fils d’une intrigue ordinaire. p t.s. NOUS N'AVONS PAS PU VOIR Mariage à la grecque 2 Film américain de Kirk Jones (1 h 35). Le Festin de Pierre Film français d’Eric Bu (1 h 24). Jean-Christophe LAGARDE Invité de Mercredi 30 mars à 20h30 Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA Avec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ mathieu macheret LE 6 AVRIL Film américain de et avec John Cassavetes (1984), Gena Rowlands, Diane Abbott. 1 DVD-Blu-Ray + livre, Wild Side. sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay. www.lcpan.fr culture | 19 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Quand Hippocrate rencontre Kafka, au Mexique Rodrigo Pla dénonce, sous la forme d’un thriller, l’injustice d’un système de santé en régime ultralibéral UN MONSTRE À MILLE TÊTES Toute l’affaire est enlevée en une heure et quatorze minutes, mais bien frappées pppv D epuis qu’il fait des films, l’ami Rodrigo Pla ne rigole pas vraiment avec le monde néolibéral avancé, sous lequel tout porte à croire qu’il subodore la requalification sournoise de la bonne vieille loi de la jungle. A-t-il tort, a-t-il raison ? Il ne nous appartient pas de le dire. En tout état de cause, le monde qu’il dépeint depuis une dizaine d’années dans ses longs-métrages (depuis La Zona jusqu’à La Demora) n’est pas très beau à voir, il s’y exprime, depuis cette terre mexicaine où rôde l’ombre de Luis Buñuel, une cruauté et une injustice qui font dresser les cheveux sur la tête. Un monstre à mille têtes, son nouveau film, n’hésitons pas à le dire, est le meilleur qu’il ait donné. Un parti pris esthétique très fort, presque conceptuel, un sujet universel, une rage qui fait mouche, une touche d’humour noir font la différence. Notez que toute l’affaire est enlevée en une heure et quatorze minutes, mais bien frappées, qui en donnent pour son argent. Imaginons maintenant la situation de départ : un homme, tombé du lit conjugal, qui geint dans la nuit. Urgences. Diagnostic. Le cancer dont il souffre est en train d’empirer gravement. Un traitement, particulier et onéreux, existe, il faut vite se le procurer. Calembour féroce Le film commence à proprement parler ici, le lendemain matin, avec l’image de sa femme affolée qui tente de contacter le docteur Villarba, médecin-coordinateur de l’assurance couvrant le couple, et seul habilité à délivrer l’autorisation de se procurer les médicaments. Dans l’impossibilité de le joindre, elle va tenter, accompagnée de son fils adolescent, de lui parler directement à son bureau au siège de la compagnie, dans un hall d’attente gigantesque. Une Jana Raluy dans « Un monstre à mille têtes ». MEMENTO FILMS heure plus tard, nonobstant l’urgence dont elle se réclame, une secrétaire rébarbative finit par lui dire qu’il est parti. Mais le voilà justement qui revient au pas de course, car il a oublié quelque chose. Il éconduit la femme cependant, prétextant un emploi du temps chargé, et lui demandant de prendre rendez-vous. Elle le suit jusqu’au parking, le suppliant de lire la lettre de l’urgentiste. Il refuse de nouveau, s’engouffre dans sa voiture. Hors d’elle, la voici qui hèle un taxi et qui le suit jusqu’à son domicile. Le bon docteur Villarba se prépare en vérité à aller jouer au squash avec une huile de la compagnie. Quelle n’est donc pas sa surprise de voir surgir à son domi- cile (c’est sa femme qui a ouvert) la demi-folle qui le poursuit depuis le matin. La conversation, cette fois, tourne franchement à l’aigre. Sous le regard halluciné de son fils, la femme sort alors un pistolet de belle taille et braque ni plus ni moins ce disciple d’Hippocrate vendu à une conception decomplexée de la médecine à deux vitesses, le commun des mortels ayant vocation à avaler sa chique et le riche à payer sa survie. Encore n’a-t-on encore rien vu, encore n’est-ce là que le début. En vertu d’un scénario qui ménage habilement ses effets, plusieurs signatures, qui remontent jusqu’à l’actionnariat de l’entreprise, sont en effet nécessaires pour décider de l’administration du médica- Rodrigo Pla : « Il n’y a rien à sauver » ENTRETIEN Révélé par « la zona », thriller social sur fond de « gated communities », ces propriétés privées cachées derrière des murs et protégées par des gardiens en armes au sein desquelles de riches familles cultivent un entre-soi malsain, Rodrigo Pla était à Paris à la mimars pour accompagner la sortie d’Un monstre à mille têtes, son quatrième long-métrage. Vos films sont tous travaillés par un questionnement politique, ou du moins une interrogation sociale. Votre conception de votre métier de cinéaste passe-t-elle par là ? Tous les films sont porteurs d’une idéologie. Ma femme, Laura, qui écrit les scénarios, et moi sommes des enfants d’exilés politiques uruguayens. Nous sommes le produit de cet exil. Une œuvre reflète nécessairement l’identité de son auteur. Cette histoire de compagnie d’assurance-santé qui demande à ses employés de refuser arbitrairement une certaine proportion des requêtes de ses clients, ce qui provoque l’entrée en guerre du personnage principal, est-elle tirée d’un fait divers ? Le film ne s’inspire d’aucune histoire en particulier. Il est nourri de lectures sur le sujet des sociétés anonymes, de films aussi, comme The Corporation (2003), un documentaire canadien de Jennifer Abbott, sur le fonctionnement de ces grandes multinationales… Laura aime beaucoup aller sur les forums en ligne, aussi. C’est ainsi qu’elle a découvert l’histoire d’un homme qui, en Uruguay, souffrait d’un cancer du côlon jusqu’à ce qu’il trouve un médicament, très cher, qui améliorait considérablement son existence. Mais la sécurité sociale a refusé de le lui rembourser. Du coup, il a intenté un procès à l’Etat. Pouvez-vous décrire le système de protection sociale mexicain ? Au Mexique, nous avons une sécurité sociale, mais elle n’est pas suffisamment performante pour assurer une bonne santé à tout le monde. Il n’y a pas assez de médecins, pas assez de médicaments… A l’hôpital public, il y a tellement de monde que vous ne pouvez pas être sûr qu’on ne va pas vous couper la jambe droite au lieu de la gauche. Les plus riches ont des mutuelles très chères, mais c’est à peine 8 % de la population. Les franchises sont extrêmement élevées. Elles ne couvrent pas les frais de médecins. Elles ne servent qu’à vous éviter d’hypothéquer votre maison le jour où vous avez une maladie très grave. Ce n’est pas une solution. Les films mexicains qui nous arrivent en France, que ce soient ceux de Carlos Reygadas, d’Amat Escalante, de Michel Franco, ou le vôtre, sont très violents… Le Mexique est un pays violent. On dénombre 30 000 disparus, plus de 100 000 personnes décédées de mort violente ces huit dernières années, et qui ne sont pas tous des narcotrafiquants. C’est une guerre, qui fait beaucoup de victimes collatérales. Avec ce film, j’ai essayé de faire un tableau de tout cela, la plus grande violence étant pour moi l’absence de l’Etat, sa soumission à l’avidité des sociétés anonymes. On a le sentiment d’être seuls. De La Zona à Un monstre à mille têtes, votre style a changé. Alors que le premier s’inscrivait dans un cinéma de genre, le second adopte une esthétique plus naturaliste, proche du documentaire, même s’il reste assez stylisé… Chaque film exige, selon moi, un nouveau style de narration. Dans La Zona, on jouait avec le genre, oui. Mais on ne voulait pas faire un thriller à l’américaine, où il y a toujours cette idée qu’il suffit d’extirper l’élément corrompu pour que les choses reprennent leur cours normal. Nous estimons au contraire que c’est la société dans son ensemble qui est corrompue, en tant que système. Il n’y a rien à sauver. Avec Un monstre à mille têtes, nous avons renoué avec le style intimiste de La Demora, mon film précédent. Nous n’avions pas l’intention, au départ, d’en faire un film de genre. L’introduction du thriller s’est faite de manière organique, au fil du processus de création. p propos recueillis par isabelle regnier ment. De son côté, la femme, qui veut sauver quoi qu’il en coûte son mari, est décidée à aller jusqu’au bout de son geste. Le kidnapping va donc se prolonger, changer de main, suivre une longue chaîne d’indifférences et de délégations de responsabilités, prendre à mesure que le temps passe une dimension à la fois grotesque et épique. Tout cela, qui tient à la fois du thriller, du film de vengeance et de la chronique sociale, est mis en scène avec un art qui fait, très intelligemment, de la mise à distance une condition nécessaire à la compréhension de la brutalité de l’action. Point de vue lointain, flou de la vision, fragmentation du cadre, morcellement des personnages, dilution des prises de décision, flash forward (« flash-back ») d’un procès qui n’y changera rien, témoignent ainsi d’un monde où la valeur de la personne humaine comme la responsabilité des actes commis par les individus se trouvent considérablement amoindris. Monde opaque, qui semble obéir à une loi inique, secrète, que personne ne veut ni ne peut plus assumer. Le passage à l’acte, la violence apparaissent dans ce cadre, sinon comme une réponse légitime, du moins comme un calembour féroce qui répondrait à cette question sous-jacente : « Comment se soigner efficacement en régime ultralibéral ? » p jacques mandelbaum Film mexicain de Rodrigo Pla. Avec Jana Raluy, Sebastian Aguire Boëda, Hugo Albores (1 h 14). 20 | télévisions 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Un Adolf Hitler dilettante mais sachant s’entourer VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Fabien Vinçon signe un portrait du Führer à contre-courant et dépeint avec précision les institutions du régime nazi M6 MERCREDI 30 – 20 H 55 DOCUMENTAIRE d’Auschwitz-Birkenau, le docteur Josef Mengele ainsi que l’architecte du IIIe Reich, Albert Speer. Ce dernier, accédant aux désirs mégalomanes du Führer de voir s’élever une nouvelle capitale à travers le projet pharaonique « Germania », réussira à intégrer le premier cercle. Cercle dont Hitler n’aura de cesse de stimuler l’esprit de compétition, à coup de grâce et de disgrâce – on pense en particulier au duo Goebbels-Göring. A quelques mois des célébrations du 70e anniversaire du procès de Nuremberg (20 novembre 1945-1er octobre 1946), M6 anticipe le mouvement en proposant une soirée spéciale avec deux documentaires, dont l’un, inédit, se veut un portrait d’Hitler « à contre-courant » du mythe de l’homme tout-puissant, travailleur acharné, élaboré par la propagande officielle afin de mobiliser l’ensemble des Allemands autour de sa personne. Dès l’introduction, la ligne est fixée à travers deux excellents historiens, spécialistes du nazisme, que sont Johann Chapoutot – auteur de La Loi du sang. Penser et agir en nazi (Gallimard, 2014) – et Christian Ingrao. Ceux-ci dépeignent Hitler en dilettante et paresseux, ne supportant « pas l’effort intellectuel de longue haleine », mais sachant parfaitement s’entourer. Sans recourir à la thèse contestée du « dictateur faible » d’Hans Mommsen, qui fut, avec Martin Broszat, parmi les pionniers de la thèse fonctionnaliste, c’est bien à ce courant mettant en évidence la « polycratie nazie » que se rattache le documentaire de Fabien Vinçon. Adolf Hitler et l‘architecte Albert Speer. NARA En « bon gestionnaire des ressources humaines », ainsi que le qualifie Johann Chapoutot, Adolf Hitler, au fil de son ascension, recrute ceux qui vont constituer sa garde rapprochée, avec un art consommé des contraires. Comme l’illustrent les hommes qui la composent, à commencer par Hermann Göring. Héros de la première guerre mondiale, opportu- niste, extravagant et extraverti, amateur d’art et drogué à la suite d’une blessure lors du putsch manqué d’Hitler en 1923, créateur de la Gestapo, il est l’organisateur de la machine de guerre nazie. Joseph Goebbels, écrivain raté et petit homme claudiquant, aussi complexé qu’affamé de reconnaissance, tiendra tout au long de la guerre les rênes de la propa- gande. Enfin, Heinrich Himmler, bourgeois froid et lisse, n’aimant guère les militants de base nazis, va fonder « un club plus chic », la SS, avec laquelle il entend mener un projet politique d’envergure : l’établissement d’une société nouvelle fondée sur une race pure. A ce premier cercle va s’adjoindre un second, où figurent Rudolf Hoess, commandant du camp Concurrence dans l’horreur Bien plus que les portraits brossés à grands traits de ces responsables nazis et de leur influence sur Hitler, l’intérêt de ce documentaire, illustré d’archives – rares pour certaines – et colorisées pour la plupart, avec lesquelles alternent les analyses d’historiens français et allemands et les témoignages de proches, est de dessiner aussi précisément que l’autorise un film « grand public » le fonctionnement d’un régime et de ses différentes institutions. Et, surtout, de mettre en lumière la manière dont elles se sont concurrencées, entraînant une « radicalisation cumulative » vers l’horreur. p christine rousseau Hitler et les apôtres du mal, de Fabien Vinçon (Fr. 2016, 90 min). Suivi d’« Hitler, la folie d’un homme » (GB, 2005, 90 min). Plongée édifiante dans le monde de l’autisme Grâce à plusieurs comédiens d’âges différents, le docu-fiction raconte la vie d’Hugo, un pianiste en grande souffrance FRANCE 2 MERCREDI 30 – 23 H 25 DOCU-FICTION L e mélange des genres, en matière documentaire, est un exercice périlleux. A partir des divers ingrédients employés – images d’archives, scènes de fiction, témoignages, récit –, il faut construire un ensemble homogène, dans lequel rien n’est gratuit mais où, au contraire, chaque élément vient rehausser le tout. Sophie Révil excelle. Après Un cœur qui bat, docu-fiction consa- cré à la transplantation cardiaque, voici Le Cerveau d’Hugo. On y retrouve la même exigence dans les registres explorés et la même finesse au montage. La fiction est dans le rôle-titre. Autiste de type Asperger, Hugo est un pianiste génial mais en grande souffrance dans sa relation avec le monde extérieur. Le film nous raconte sa vie grâce à plusieurs comédiens de différents âges, dont le remarquable Thomas Coumans. Hugo est un personnage inventé, mais les scènes où il apparaît sont inspirées des témoignages de celles et ceux qui partagent sa différence. Un redoutable effet miroir Très documenté, Le Cerveau d’Hugo conte l’histoire de ce trouble du développement cérébral et de sa prise en charge, encore bien déficiente. Dans la longue et vive bataille entre théories psychanalytiques et méthodes comportementalistes, le film prend clairement parti pour ces dernières. Si l’on découvre là le monde de l’autisme, il faut s’attendre à être confronté à un redoutable effet miroir au travers duquel les plus faibles et les plus démunis ne sont pas ceux que l’on croit. Rejetés – parfois très brutalement – depuis leur enfance, considérés comme des « simples d’esprit » alors qu’ils n’ont vraiment rien à envier à personne sur le terrain de l’intelligence, celles et ceux qui témoignent ici parlent autant de nous, les « neurotypiques », que d’euxmêmes. Cherchant à percer les mystères des discriminations dont ils sont l’objet, certains d’entre eux ont entrepris de passer en revue nos codes sociaux. Ayant ap- pris sept langues étrangères, Josef Schovanec était bien armé pour examiner ces étranges serrures. Son témoignage, d’un humour mordant et d’une honnêteté vertigineuse – qui lui a valu, comprend-on, quelques déboires –, ce diplômé de Sciences Po, qui fut jadis jugé inapte à entrer en cours préparatoire, observe en détail notre façon d’être autant que la sienne. p jean-baptiste de montvalon Le Cerveau d’Hugo, de Sophie Révil (France, 2012, 100 minutes). M E RCR E D I 30 M ARS TF1 20.55 Grey’s Anatomy Série créée par Shonda Rhimes. Avec Patrick Dempsey, Ellen Pompeo (EU, saison 11, ép. 9 et 10/24). 22.40 Les Mystères de Laura Série développée par Jeff Rake, Carlos Vila et Javier Holgado. Avec Debra Messing, Josh Lucas (EU, S1, ép. 13 à 14/22). France 2 20.55 Presque comme les autres Téléfilm de Renaud Bertrand. Avec Julie-Marie Parmentier, Marie-Anne Chazel, Bernard Campan (Fr., 2016, 85 min). 23.25 Le Cerveau d’Hugo Documentaire de Sophie Révil (Fr., 2012, 100 min). France 3 20.55 Des racines et des ailes Sur les rives de la Charente. Magazine présenté par Carole Gaessler. Canal+ 21.00 Connasse, princesse des cœurs Comédie de Noémie Saglio et Eloïse Lang. Avec Camille Cottin, Cécile Boland (Fr., 2015, 85 min). 22.20 God save connasse Documentaire de François-Régis Jeanne (Fr., 2015, 57 min). France 5 20.40 Pluie de météorites sur l’Oural Documentaire d’Andrew Barron (EU, 2013, 52 min). 21.35 Navire en détresse Documentaire britannico-allemand réalisé par Christopher Amess (GB-All., 2012, 52 min). Arte 20.55 Belle de jour Drame de Luis Buñuel. Avec Catherine Deneuve, Jean Sorel, Michel Piccoli (Fr.-Ital., 1966, 101 min). 22.30 Dans l’œil de Buñuel Documentaire de François Lévy-Kuentz (Fr., 2013, 52 min). M6 20.55 Hitler et les apôtres du mal Documentaire de Fabien Vinçon (Fr., 2016, 90 min). 22.30 Hitler, la folie d’un homme Documentaire de David Baty, Serge de Sampigny et Amandine Chambelland. (Fr., 2005, 90 min). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 076 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII I. Au présent ou au passé, il prend les causes en compte. II. Donnent sans discuter. A permis l’installation de l’euro. III. L’anglaise n’est pas la plus plate. Zone de libre-échange. Evitons de tomber dessus. IV. Guindons. A pris des vacances après un Jour de fête. V. Venus de la Grèce antique. Incapable de maintenir la paix dans le monde. VI. Démonstratif. Fit disparaître sous les yeux du public. VII. Du vert sous les rayons du soleil. Ouvre la gamme. Du chêne pour faire la peau. VIII. Fabrique de cadres. Bien dégager. Mesure prise ailleurs. IX. Quand l’agréable passe toujours après. X. Total abandon. VERTICALEMENT VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 075 HORIZONTALEMENT I. Déboutonnage. II. Enrôlé. Silex. III. CSA. MST. Me. IV. Roda. Sagesse. V. Oléifères. Il. VI. Tes. Erin. Ill. VII. Ti. Arénicole. VIII. Oligo. Sta. On. IX. Illico. Amant. X. Rassembleuse. VERTICALEMENT 1. Décrottoir. 2. Ensoleilla. 3. Brades. Ils. 4. Oô. Aï. Agis. 5. Ulm. Féroce. 6. Tessère. Om. 7. Tarins. 8. NS. Génital. 9. Nîmes. Camé. 10. Ales. Io. Au. 11. Gé. Sillons. 12. Excellente. 1. Protège et met en valeur les devants. 2. Toujours prête à rendre service. 3. Acte de la pensée. Graisse animale. 4. Article. Le premier est le papa de Ramsès II. Patron normand. 5. Entre le jéjunum et le gros. En bon état. 6. Pour tirer droit. Trois points sur quatre. Raccourci pour faire court. 7. La Reine morte. Coupai du monde. 8. Met de côté. Prendra parti. 9. Gros fumeur sicilien. Se marre. 10. Négation. Canton de la Somme. Forme d’accord. 11. Participation individuelle. Suédoise qui regarde Copenhague. 12. Portugais chez les Romains. SUDOKU N°16-076 du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. 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SEAN GALLUP/ Carturesti, une boutique hybride entre la FNAC et Colette, à Lipscani. GETTY IMAGES/AFP 2015 COSMINDRAGOMIR 72 heures à bucarest O VOYAGE Rue Stirbei Bucarest Place de la Révolution Jardin Cismigiu 4 3 a Boulevard Regina Elisabet A v e nue Vic to 6 Centre historique 7 riei i scan Rue Lip ta vi bo Parc Izvor m 14 heures : bol d’art On remonte vers la place Victoriei pour visiter le Musée national des a Vod Da Midi : fantaisie militaire On continue sur la calea Victoriei jusqu’au palais du Cercle militaire (4) – institution culturelle de l’armée roumaine. Cet étonnant bâtiment néoclassique, inauguré en 1923, en impose. Sandwich en terrasse ou repas assis (menus à partir de 5 euros) dans un intérieur ultra-kitsch, avec lustres imposants et dorures omniprésentes. 2 5 De l’aéroport, le taxi met environ trois quarts d’heure pour atteindre le centre-ville, pour la somme maximale de 40 lei, soit 8 euros. L’alternative reste le bus Express 783 – 1,50 euro l’aller-retour. 10 heures : luxe et volupté La première impression de Bucarest est troublante : la cité est livrée aux promoteurs et aux grues. Une vraie ville de l’Est, après la chute du Mur. Les bâtiments se suivent et sont loin de se ressembler. Le long de la calea Victoriei, les hôtels de chaîne internationale jouxtent des églises orthodoxes des XVIIIe et XIXe siècles, comme le très bel édifice blanc dédié à saint Nicolas (1). Les bâtiments néoclassiques du début du XXe côtoient les tours en béton. Quoi qu’il en soit, c’est sûrement l’une des artères les plus animées de la ville, longée de boutiques de luxe. En allant vers la vieille ville, l’Athénée roumain (2) attire l’œil. Si vous n’avez pas la chance d’aller y écouter un concert, suivez le guide (2 euros) pour découvrir une salle de concerts à l’acoustique exceptionnelle, décorée d’une fresque circulaire racontant l’histoire de la Roumanie. Au sortir de la visite, on se laisse tenter par les éclairs de French Revolution (3). Un peu plus loin, place de la Révolution, s’élève la Maison de l’Association des architectes roumains (4), curieux mélange de verre, d’acier et d’hôtel particulier XIXe. 1 atianu C. Br d Ion levar Bou JOUR 1 Vers le Musée du village et le Musée du paysan roumain ctor iei nue Vi Ave n la surnomme « le petit Paris des Balkans ». Si elle n’a pas tous les charmes de la Ville Lumière, Bucarest vaut grandement le détour. Les jeunes créateurs y sont nombreux, des designers de talent y ont installé leur quartier général, les concept stores et les cafés originaux pullulent. La vieille ville, en dépit de multiples travaux, a des allures de SoHo, avec des galeries et même quelques boutiques de luxe. Dernier argument, et non des moindres : Bucarest est la moins chère des capitales européennes. Longtemps poursuivie par sa mauvaise image, la capitale roumaine s’éveille et marche sur les traces de Prague ou de Berlin. Entre patrimoine historique et quartiers « créatifs » Bucarest Palais du Parlement 8 Boulevard Unir i 200 m positeur, chef d’orchestre, mort à Paris en 1955, Enescu est l’une des personnalités les plus célèbres de la Roumanie. Le musée est installé dans le palais Cantacuzino, l’un des plus beaux bâtiments de Bucarest – l’entrée est surmontée d’un superbe auvent de style Art nouveau. JOUR 2 10 heures : beau sens paysan Pour ce deuxième jour, plongée dans l’histoire du pays. L’aventure commence au Musée du paysan roumain, au nord de la ville. Un marché artisanal très animé s’y tient les samedis et dimanches. Pour la petite histoire, ce musée, dans un premier temps consacré à l’art sous Carol II, est devenu par la suite le Musée du Parti communiste roumain avant d’être complètement consacré à l’artisanat, à l’architecture, au folklore roumain. Pour déjeuner, le café situé derrière propose une très bonne cuisine traditionnelle. resti (7), boutique hybride sur trois étages entre la FNAC et Colette avec un café au dernier étage. Beaucoup de pubs, restaurants et discothèques sont malheureusement en chantier : après l’incendie mortel d’une discothèque au mois de novembre 2015, les autorités ont contraint les gérants de bar à mettre leurs établissements aux normes de sécurité. On peut tout de même déjeuner en terrasse chez Hanul lui Manuc (8), dont la grande cour fermée rappelle les caravansérails du Moyen-Orient. 14 heures : folie des grandeurs Peut-on dire que l’on a gardé le meilleur pour la fin ? Pas sûr ! Mais aller à Bucarest sans visiter l’imposant palais du Parlement, construit en 1984 sur ordre de Ceaucescu, est inconcevable. La visite en français est à 14 heures. Il s’agit du deuxième plus grand bâtiment administratif au monde, après le Pentagone – 86 mètres de haut, 5 000 pièces, l’équivalent de trois arrondissements parisiens rayés du plan de la ville pour satisfaire les désirs mégalomaniaques du dictateur, qui ne verra d’ailleurs jamais le palais achevé. Pour l’anecdote, depuis le balcon du bâtiment, Michael Jackson a salué… Budapest. 20 heures : « Top Chef » local Dîner fin chez Joseph by Joseph Hadad (9). L’une des meilleures tables de Bucarest, à un prix défiant toute concurrence. Ancien juré du « Top Chef » roumain, célébrité locale née à Jérusalem, Joseph Hadad sert une cuisine méditerranéenne savoureuse. De quoi clore avec goût ces vacances roumaines. p françois bostnavaron Air France dessert Bucarest à raison de trois vols par jour à partir de 240 euros aller-retour. Le voyagiste Bonjour Roumanie s’est spécialisé depuis 2008 sur cette seule destination. www.bonjour-roumanie.com 14 heures : grandeur nature La balade « historique » et bucolique se poursuit au Musée du village roumain. Edifié en 1936, c’est un peu l’ancêtre de nos écomusées. Sur plus de 14 hectares, en bordure du lac Herastrau, plus de 300 maisons de village sont réunies. Un challenge : retrouver la maison représentée sur le billet de 10 lei… Retour vers le centre-ville par le boulevard Aviatorilor, longée de très belles villas modernes et Art déco. L’Athénée roumain, une salle de concerts. MEL LONGHURST/ANDIA arts (5). Installé dans une aile de l’ancien palais, l’édifice a beaucoup souffert durant la révolution de 1989 : l’extérieur mais aussi l’intérieur, avec plusieurs centaines d’œuvres volées ou détruites. Il n’en reste pas moins de très belles collections, dont plusieurs salles consacrées à l’art médiéval, avec de superbes portes d’iconostases. La galerie consacrée à l’art moderne roumain est surprenante. 16 heures : groupie du pianiste En continuant de remonter l’avenue, on arrive au numéro 141, siège du Musée national GeorgeEnescu. Pianiste, violoniste, com- LA VIEILLE VILLE, EN DÉPIT DE MULTIPLES TRAVAUX, A DES ALLURES DE SOHO, AVEC DES GALERIES ET MÊME QUELQUES BOUTIQUES DE LUXE 20 heures : taverne à touristes Le Caru’cu Bere (« la charrette à bière ») (6) figure dans tous les guides touristiques, mais il ne faut pas le bouder pour autant. L’endroit tient de la taverne bavaroise mâtinée de néogothique anglais, la nourriture y est plutôt bonne et, surtout, toujours abordable. JOUR 3 10 heures : balade branchée Lipscani : à Bucarest, tout le monde n’a que ce mot à la bouche. Il est donc temps d’aller explorer ce quartier historique et désormais branché, rempli de bars, boutiques, concept stores, etc. On déambule entre la strada Lipscani et les ruelles piétonnes alentour. En veine de shopping ? Mieux vaut délaisser les boutiques de souvenirs et faire un tour chez Cartu- Faire de la culture votre voyage www.artsetvie.com IMMATRICULATION N° : IM075110169 DÉBATS & ANALYSES 22 | 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Les articles de Kamel Daoud après les agressions à Cologne la nuit du Nouvel An ont suscité une controverse sur le rapport des musulmans à la sexualité, qui divise intellectuels arabes et chercheurs occidentaux Que révèle la polémique Kamel Daoud ? Cette intelligentsia qui pourfend les dissidents Des écrivains progressistes issus du monde musulman sont critiqués par une certaine gauche occidentale, qui reproduit les erreurs idéologiques de l’époque du communisme Par PAUL BERMAN ET MICHAEL WALZER L e mois dernier, l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud a surpris les lecteurs du Monde en annonçant qu’il renonçait au journalisme (21 et 22 février), non par crainte des islamistes qui sévissent dans son pays, bien qu’une fatwa ait été lancée contre lui, mais pour une autre raison, plus consternante encore. Condamné par une partie de la classe intellectuelle occidentale, le silence lui a semblé être la réponse la plus appropriée. Les accusations dont il a fait l’objet représentent un phénomène inquiétant. Doublement inquiétant, parce que ces accusations obéissent à un schéma qui commence à devenir familier. En voici la logique : un écrivain progressiste de tradition musulmane, ou vivant peut-être même dans un pays musulman, se fait connaître. Cet écrivain propose une critique de l’islam tel qu’il est pratiqué ou de la répression sexuelle par le pouvoir islamique (un thème majeur) ou encore une critique du mouvement islamiste. Ces critiques sont jugées blasphématoires par les islamistes et les imams réactionnaires, qui répondent de la manière qu’on leur connaît. Dans les pays occidentaux, les intellectuels, qui se considèrent pour la plupart comme des progressistes, mènent leur enquête sur l’écrivain et ses idées. Ils espèrent trouver le genre de criti- KAMEL DAOUD A RAPPELÉ QU’À L’INVERSE DE SES DÉTRACTEURS LUI VIVAIT EN ALGÉRIE ET CONNAISSAIT LA RÉALITÉ DE CE PAYS ques confuses et réticentes qu’eux-mêmes produisent. Or, ils découvrent autre chose : des critiques plus emportées, plus véhémentes, ou plus radicales et plus directes. Les intellectuels occidentaux, certains d’entre eux au moins, s’étranglent alors, consternés. Et, surmontant soudain leur réticence caractéristique, ils dressent à leur tour leur propre condamnation de l’écrivain fautif, non pas sur la base d’une accusation de blasphème, mais d’après une logique qui se prétend de gauche. Les intellectuels occidentaux accusent le progressiste du monde musulman d’être raciste envers les musulmans, d’être un islamophobe, un « informateur autochtone », voire un instrument de l’impérialisme. Parfois aussi, ils accusent le progressiste du monde musulman de manquer d’intelligence ou de talent. C’est ce qu’a enduré Salman Rushdie dans les années qui ont suivi la parution des Versets sataniques en 1988. La façon dont fut traitée l’écrivaine et femme politique néerlando-somalienne Ayaan Hirsi Ali en offre probablement l’exemple le plus célèbre et le plus commenté après le cas Rushdie. Mais le schéma que suit la condamnation occidentale s’observe aussi bien dans de nombreux autres cas, contre différents types d’écrivains progressistes aux opinions différentes : auteurs d’essais politiques, de Mémoires, de critiques littéraires, journalistes ou romanciers originaires de pays aussi différents que l’Egypte, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. Le confrère algérien de Daoud, le romancier Boualem Sansal, qui a reçu, l’an dernier, le Grand Prix du roman de l’Académie française, a subi le même genre de condamnation. A présent, le schéma se répète contre Daoud lui-même. Un collectif de 19 universitaires dressa un réquisitoire contre Daoud l’accusant de toute une série de crimes idéologiques : « clichés orientalistes », « essentialisme », « paternalisme colonialiste », et autres erreurs équivalant à du racisme et à de l’islamophobie (Le Monde 12 février). Puis vint une seconde dénonciation dans une lettre rédigée par le journaliste littéraire américain Adam Shatz (Le Monde, 21 et 22 février). Dans sa lettre, Shatz ne cache pas son affection pour Daoud. Il prétend ne l’accuser de rien : « Je ne dis pas que tu l’as fait exprès, ou même que tu joues le jeu des “impérialistes”. Non, je ne t’accuse de rien. Sauf de ne pas y penser, et de tomber dans des pièges étranges et peut-être dangereux » – ce qui revient à dire la même chose que les 19 universitaires, mais en le prenant en plus pour un imbécile. Daoud publia cette correspondance pour montrer à quoi il était confronté. Mais il rappela dans sa réponse que, à l’inverse de ses détracteurs, lui vivait en Algérie et connaissait la réalité de ce pays. Il releva le ton stalinien des attaques dirigées contre lui. Puis, dans ce qui apparaît comme un pur accès de rage, il déclara qu’il allait toutefois faire ce que ses détracteurs attendaient de lui. Il allait arrêter le journalisme. Nous rédigeons cet article pour attirer l’attention sur un second schéma à l’œuvre dans ces condamnations, qui remonte à l’époque du communisme soviétique. Quiconque a en mémoire l’histoire du XXe siècle sait que sur toute une période allant des années 1920 aux années 1980, des dissidents courageux et éloquents dans le bloc soviétique se sont relayés pour adresser un message à l’opinion publique occidentale et l’avertir de la nature de l’oppression communiste – des messages précieux parce que émanant de témoins directs du régime soviétique et de ses Etats satellites. IRONIE DE LA SITUATION Et à chaque fois, une grande partie de l’intelligentsia occidentale a protesté en s’écriant : « Oh ! Vous ne pouvez pas dire une chose pareille ! Vous allez encourager les réactionnaires ! » Ou alors elle répondait : « Vous devez être vousmême réactionnaire, un instrument de l’impérialisme. » Les intellectuels qui réagissaient ainsi étaient parfois des communistes ayant juré fidélité au régime, parfois simplement des compagnons de route qui défendaient l’Union soviétique sans avoir pourtant pris aucun engagement. Mais, parfois aussi, il ne s’agissait que de gens inquiets pour leur propre société, qui craignaient que les critiques à l’encontre de l’Union soviétique ne bénéficient inévitablement aux fanatiques d’extrême droite en Occident. Ces gens considéraient qu’en dénonçant les dissidents soviétiques ils préservaient la possibilité d’un débat lucide et progressiste dans leur propre pays. Mais c’était une erreur. En dénonçant les dissidents, les intellectuels occidentaux n’ont réussi qu’à obscurcir la réalité soviétique. Et ils ont paré le régime soviétique de leur propre prestige ; autrement dit, au lieu d’être les ennemis de l’oppression, ils ont fini par devenir les alliés de l’oppression. Les intellectuels progressistes n’avaient pas tort de s’inquiéter du fanatisme d’extrême droite dans leurs propres pays, mais ils auraient dû reconnaître que le débat politique a parfois besoin d’être complexifié. Ils auraient dû savoir s’opposer aux fanatiques d’extrême droite en Occident tout en défendant les dissidents soviétiques. Ils auraient dû défendre deux points de vue en même temps. De trop nombreux intellectuels progressistes tombent aujourd’hui dans le piège de cette logique fallacieuse d’hier. Ils ont raison de s’inquiéter des sectarismes antimusulmans qui sévissent dans les pays occidentaux. Mais en se faisant eux-mêmes les ennemis de toute une classe d’écrivains progressistes d’origine musulmane, ils produisent précisément l’effet inverse à celui qu’ils recherchaient. Ils veulent combattre le racisme. Mais ils finissent par tracer des distinctions injustes entre les gens comme eux, qui seraient libres d’adresser les critiques les plus virulentes à leur propre culture et à leur propre société, et les intellectuels du monde musulman, qui devraient se mordre la langue. Ils veulent défendre la lucidité. Mais ils obscurcissent des réalités en étouffant les témoignages des écrivains progressistes. Ils veulent réfréner la montée de haines irrationnelles en Occident. Mais ils contribuent à alimenter la haine à l’encontre de ces auteurs progressistes. Ils veulent témoigner de la sympathie envers le monde arabo-musulman, mais ils blâment leurs écrivains les plus talentueux. Ils veulent promouvoir le progrès, mais ils donnent du poids aux condamnations des islamistes. Par sa protestation éloquente, Daoud a montré l’ironie de la situation. Nous l’en félicitons, comme nous félicitons les journaux qui l’ont publiée. Et nous espérons que, ayant fait valoir son point de vue, il se remettra bien vite à la tâche qui a toujours été la sienne : nous faire penser. p (Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria). Cet article est initialement paru en anglais dans Tablet Magazine,tabletmag.com. ¶ Paul Berman est un écrivain et essayiste américain qui étudie l’histoire de la gauche. Michael Walzer est philosophe, professeur émérite de sciences sociales à Princeton (New Jersey) Nous n’avons pas besoin de rééducation sexuelle ! Kamel Daoud a tort d’enterrer les révolutions arabes, qui ont fait émerger de nouvelles relations entre les sexes et qui perdurent malgré les abominations de l’organisation Etat islamique et celles de Bachar Al-Assad Par MOHAMMED SHA’BAN M es critiques ne sont pas dirigées contre Kamel Daoud. Elles s’attaquent à ses idées. Je souhaite que Kamel Daoud continue à écrire pour que nous puissions continuer à débattre aussi librement que possible, et je le félicite d’avoir gagné ce procès contre cet imam qui l’a menacé de mort. Mais est-ce que ses articles nous permettent de bien comprendre ce qui est en jeu dans « le monde d’Allah » (je préfère parler des pays arabes, et ainsi restituer le pluriel car notre réalité est multiple et se conjugue mal au singulier) ? D’abord, il aurait sans doute été préférable d’attendre les conclusions de l’enquête allemande avant de publier un article qui établit un lien direct entre réfugiés, agressions sexuelles, culture arabe, révolutions et islamisme. Car en réalité, il s’est avéré que seuls trois réfugiés faisaient partie des agresseurs lors du Nouvel An à Cologne. Les autres étaient immigrés. Suffi- rait-il, comme le sous-entend Kamel Daoud, que ces hommes se libèrent de leur « arabité » et de leur « islamité » pour que cessent les agressions sexuelles ? Comment alors comprendre les tristes violences sexuelles répétées et perpétrées non par des arabes ou des musulmans, mais bien par des Occidentaux ? Me vient à l’esprit le triste souvenir des violences sexuelles perpétrées par des Américains contre des Irakiens dans la prison d’Abou Ghraïb. En incriminant d’abord la culture ou la religion, en parlant de façon si générale, parvient-on vraiment à saisir les enjeux de pouvoir (et d’abus de pouvoir) en réalité à l’œuvre dans tous ces cas ? Bien tristement, Kamel Daoud enterre également les révolutions arabes. En majorité, elles n’auraient laissé place qu’à l’islamisme et à la perpétuation de la domination des corps et des âmes. Les révolutions auraient donc échoué dans le sens où elles n’auraient « pas touché les idées, la culture, la religion ou les normes sociales, notamment celles qui ont trait à la sexualité ». Palestinien de Syrie, réfugié à Paris, je peux dire, crier même combien ces révolutions nous ont changés. Elles ont tout bouleversé, mais peut-être Kamel Daoud est-il trop loin et peu conscient depuis l’Algérie de tous ces courants, idées, pensées qui nous travaillent à l’intérieur. Peut-être faudrait-il l’inviter à sortir de la coquille où il s’est réfugié, à raison, pour se protéger, après des années de guerre civile en Algérie. Mais a-t-il jamais pris le temps de rencontrer des réfugiés syriens en Algérie ? Ils sont si nombreux. S’il le prenait, certains lui parleraient peut-être des viols systématiques utilisées comme arme dont ont été victimes ceux qui participaient aux manifestations pacifiques, non pas d’abord par des islamistes, mais par le régime de Bachar Al-Assad. L’HISTOIRE EST MOUVEMENT Comment effacer d’un seul geste, ou plutôt en quelques lignes, tout le courage qu’a signifié de sortir dans la rue et de s’opposer à un régime dont les formes de répression et de surveillance sont quasi totalitaires ? Et récemment encore à Alep, des femmes et des hommes prenaient le risque de sortir dans la rue pour manifester, comme au premier jour de la révolution, pour dire leur opposition à la fois à Bachar Al-Assad et à l’organisation Etat islamique. Peut-être n’avez-vous pas conscience de ce que le fait de sortir à la vue et au su de tous, afin d’exprimer une opposi- tion, a signifié pour notre génération ? Nous osions enfin exiger une liberté politique. Une liberté sexuelle aussi. Beaucoup, parmi les activistes, ont alors fait l’expérience d’une vie amoureuse débridée. Car c’est toutes les formes d’autorité, parentale, familiale, gouvernementale que cette révolution défiait. Quand je pense à la révolution égyptienne, celle qui, avec la révolution tunisienne, nous a tant inspirés, j’ai à l’esprit ces images de femmes manifestant dans la rue, et de ces hommes qui, à certains endroits, faisaient barrage aux agresseurs sexuels qui profitaient de la foule pour s’en prendre aux femmes présentes. Je me souviens de ces activistes égyptiens qui dénonçaient des crimes politiques, accusant le gouvernement égyptien d’utiliser le viol comme arme de dissuasion à la participation aux manifestations. Et ceux mêmes qui auraient dû les protéger, recevoir leur plainte, la police par exemple, leur faisaient parfois subir des tests de virginité. Place Tahrir, dans cet espace investi, recréé, revendiqué, des jeunes femmes et hommes, qui campaient là toute la nuit pour parler politique, s’arrachaient des baisers entre deux poèmes composés. Je sais que Kamel Daoud est du côté de la liberté. Mais il se trompe et simplifie. Il oublie que l’Histoire est mouvement. Prenez l’exemple de la Révolution française. A l’époque de la Terreur, on aurait pu déses- pérer. Mais d’autres régimes sont nés ensuite. C’est le temps long de l’Histoire qui nous révélera la force de ces révolutions, ce qu’elles ont réussi à faire naître chez chacun de nous, dans la douleur certes. Ce n’est pas d’un programme de rééducation sexuelle dont nous avons besoin après tant de chemin parcouru pour continuer à vivre, à apprendre, à rêver, à aimer. C’est de la possibilité d’être accueillis, avec ouverture et bienveillance, sans éternels jugements ou préjugés sur notre culture, notre religion ou nos relations aux femmes. Je ne nie pas les problèmes qui existent dans les pays arabes. Moi et tant d’autres rejetons cette culture patriarcale qui enferme les femmes tout autant qu’elle nous enferme, nous les hommes. Mais n’enterrez pas trop vite nos révolutions . p Traduit de l’arabe par Dorothée Myriam Kellou. Retrouvez l’intégralité du texte sur Lemonde.fr ¶ Mohammed Sha’ban a été journaliste pendant la révolution syrienne et a travaillé pour plusieurs publications arabes comme « Al Hayat » et « Al Moudoun ». Contraint de quitter la Syrie, il a reçu le statut de réfugié politique en France. Il vient de commencer ses études de master à l’EHESS débats & analyses | 23 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Le dangereux mirage du risque zéro Analyse jean-baptiste jacquin Aux société arabes de réformer leurs écoles Au lieu d’expliquer les effets de l’islam comme moteur de la domination masculine, regardons du côté des déficiences des systèmes d’éducation Par ISHAC DIWAN ET EL MOUHOUB MOUHOUD P our sortir du débat manichéen – pro contre antiDaoud –, nous souhaitons proposer une analyse fondée sur les travaux empiriques récents utilisant des bases de données de grandes enquêtes d’opinion menées dans de nombreux pays. Sans prétendre nous substituer aux travaux des chercheurs, nous pouvons apporter des précisions grâce aux données d’enquêtes d’opinion. Lancée en 2012-2013 auprès de 130 000 personnes, dont 25 000 dans les pays arabes, l’enquête de la World Value Survey est instructive. Si l’on n’appréhende pas directement la question de la frustration sexuelle, on s’en approche en s’intéressant à la question de l’opinion que les personnes interrogées peuvent avoir à l’égard du patriarcat défini comme un système familial. Un indicateur composite évalue l’adhésion des personnes interrogées à ce système, à partir de trois questionsréponses : « Lorsque les emplois sont rares, les hommes doiventils être prioritaires sur les femmes pour occuper un emploi ? » ; « Les hommes sont-ils de meilleurs leaders politiques que les femmes ? » ; « Les études supérieures sont-elles plus importantes pour un homme que pour une femme ? » Il apparaît que c’est bien dans les pays arabes que les valeurs patriarcales sont les plus affirmées. Ensuite, les femmes n’acceptent pas les valeurs patriarcales dans les pays arabes comme dans la plupart des régions du monde. Le patriarcat s’exerce davantage par la coercition et la violence à l’égard des femmes. Enfin, si l’on observe bien un biais favorable au patriarcat dans les pays musulmans, son importance est quatre fois moindre que dans les pays arabes, qui ont la particularité d’avoir été presque tous gérés par des régimes autoritaires depuis leur indépendance. Il s’agit donc moins d’un problème lié à l’islam qu’à des éléments politiques marqués par l’emprise d’un système fondé sur la domination. ENDOCTRINEMENT Enfin, dans la plupart des pays du monde, ce sont les gens les plus éduqués qui supportent le moins le système du patriarcat. L’école et l’enseignement supérieur ont joué un rôle-clé dans l’émancipation des femmes et leur ont permis de s’engager dans des luttes féministes. Les hommes se libèrent aussi grâce au savoir et à la critique des schémas de reproduction patriarcaux. Les résultats de ces enquêtes montrent surtout que, dans les pays arabes, les personnes les plus éduquées sont à peine plus émancipées que les personnes moins éduquées. Le gain d’émancipation par l’éducation y est trois fois plus faible que pour la moyenne mondiale. Et c’est là le point-clé qui devrait occuper les débats. Au lieu d’émanciper les citoyens, les systèmes d’éducation dans les pays arabes reproduisent les valeurs conservatrices et les rapports de domination homme-femme. On pourrait s’en tenir à une explication en termes de mauvaise qualité de l’éducation en dépit des efforts quantitatifs consentis. En réalité, l’analyse du contenu pédagogique des programmes scolaires dans les pays arabes révèle l’existence d’éléments d’endoctrinement des élèves – peu d’intérêt pour les compétences analytiques, hyper-focalisation sur les valeurs religieuses, découragement de l’expression personnelle au profit du conformisme conduisant à favoriser à outrance les valeurs d’obéissance (au père, au maître…) et à décourager la contestation de l’autorité. Les régimes arabes ont mis en œuvre des pratiques d’ingénierie sociale dans la poursuite des objectifs de survie des élites au pouvoir. AU SERVICE DES ÉLITES Comme le montrait Pierre Bourdieu, les institutions, au premier plan, l’école, ont pour but la survie du système de domination des élites. C’est bien ce qui s’est passé dans les pays arabes : après la parenthèse du lendemain de la décolonisation qui ont vu la promotion des valeurs nationalistes, d’autodétermination des peuples et de révolution anti-impérialiste, à partir des années 1970-1980, l’éducation est devenue un instrument aux mains des élites au pouvoir pour mater le désir d’émancipation politique des jeunes séduits par les mouvements de gauche en introduisant l’islam dans les programmes scolaires, avant de redoubler cet effort dans les années 1990 pour contrer la montée des islamistes en leur faisant concurrence sur leur terrain. Plutôt que de privilégier l’explication des effets de l’islam comme moteur de la domination masculine, il faut s’interroger sur les déficiences des systèmes d’éducation et leur rôle d’instrument de domination qui utilisent l’islam au service de la survie et de la reproduction des régimes autoritaires qui sévissent dans le monde arabe. Pour préparer un futur plus radieux, aussi bien sur les questions de genre que d’émancipation, il faudrait que les franges progressistes de la société civile dans le monde arabe arrivent déjà à arracher des progrès significatifs dans les politiques d’éducation pour préparer leurs jeunes aux défis d’un monde qui puisse fonctionner sans patriarche dominateur. p ¶ Ishac Diwan dirige la chaire Monde arabe à l’université de recherche Paris sciences et lettres. El Mouhoub Mouhoud est professeur d’économie à Paris Dauphine-Paris sciences et lettres. Ils sont tous les deux chercheurs associés à l’Economic Research Forum (Le Caire) Service France P our conjurer la peur, certains s’en remettent à Dieu, d’autres aux autorités politiques, militaires ou civiles. Mais aucun de ces recours n’est en mesure d’assurer le risque zéro susceptible d’apaiser. Ce qui n’empêche pas d’entretenir cette dangereuse quête. Courir derrière une illusion, un mirage, est nécessairement sans fin. Cette course aveugle détourne d’autres objectifs, fait faire des erreurs et tomber dans des chausse-trapes. Face à la menace du terrorisme djihadiste, la classe politique est obligée de réagir sur tous les fronts : sécurisation des populations et des installations, répression, prévention et renseignement. Mais, à défaut de pouvoir faire s’évanouir une telle menace protéiforme, la tentation est grande de prendre des dispositions sans grand discernement, en espérant qu’elles seront d’une aide, même minime, dans ce combat. Depuis vingt ans, la France a décidé de judiciariser les préparatifs d’actes terroristes criminels. Depuis la loi de 1996 est considéré aussi comme un acte de terrorisme « le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ». Le terrorisme a provoqué une entaille dans la frontière entre prévention et répression. Cette entaille n’a cessé de s’élargir depuis. En droit, une tentative n’est punissable qu’à la condition que le crime ou le délit projeté se soit manifesté par un « commencement d’exécution ». Par volonté de mieux prévenir le risque terroriste, le législateur a progressivement déplacé les curseurs en amont. Ainsi, en 2014, la loi a créé le délit d’« entreprise individuelle de terrorisme », qui permet de ratisser très large, au point que la Commission nationale consultative des droits de l’homme y voit la possibilité d’« incriminer la préparation de la préparation d’un délit ». LE BÉNÉFICE DU DOUTE DISPARAÎT Mercredi 23 mars, le tribunal correctionnel de Paris a condamné à des peines allant de trois ans d’emprisonnement, dont un avec sursis, à cinq ans ferme quatre jeunes Français de 19 à 24 ans qui se sont embarqués en voiture quelques jours après les attentats de janvier 2015 pour rejoindre la Syrie. Leur voyage s’est fortuitement arrêté en Turquie à la suite d’un accident de la route, mais l’intention d’atteindre la région aux mains de l’organisation Etat islamique (EI) était là. Auraient-ils rejoint ensuite ces djihadistes que l’EI renvoie semer la mort en Europe ? Peut-être. Ou pas. La question n’est pas là. Avec le terrorisme, le bénéfice du doute disparaît de la procédure pénale. Il ne s’agit pas d’être naïf. Mais ce n’est pas la même chose que de surveiller des personnes que l’on pense potentiellement dangereuses, ou de les enfermer. Plus que jamais, la prévention et le renseignement sont des outils sur lesquels il faut investir. La prison, elle, est censée venir une fois qu’il est trop tard, pour punir, non pour prévenir. Le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme et le crime organisé et sur la procédure pénale, en discussion au Sénat les 29, 30 et 31 mars, va au-delà. Pour se prémunir d’un risque, malheureusement bien réel, on introduit dans le droit des mesures privatives de libertés à l’encontre de personnes contre lesquelles il n’existe même pas ces indices qui permettent de « judiciariser » un dossier, c’est-à-dire d’ouvrir une enquête préliminaire. Une assignation à résidence, certes dans des conditions plus légères que sous l’état d’urgence, en étant limitée à 8 heures par jour et à un mois dans le projet gouvernemental (portée à deux mois par la commission des lois du Sénat), pourra être décidée par le ministère de l’intérieur à l’encontre d’une personne dont on a de « sérieuses raisons de penser » qu’elle a tenté de se rendre sur un « théâtre d’opérations de groupements terroristes ». « On entre dans l’ère des suspects », pour reprendre le mot du Défenseur des droits, Jacques Toubon. La justice n’a plus son mot à dire, le procureur est seulement « informé ». Ne pas prendre ces mesures de précaution serait considéré comme coupable. LA PRESSION DE L’OPINION Cette dérive nous amène à entraver les libertés par précaution. Appliquée à d’autres domaines que le terrorisme, la recherche du risque zéro choquerait. On ne va pas emprisonner tous ceux qui, hantés par la haine, ont songé à tuer leur chef, leur voisin ou leur conjoint. Pourtant, cela aurait peut-être un impact sur le nombre d’homicides. Ou pas… Sous la pression de l’opinion, les pratiques évoluent déjà. Les députés ont, par exemple, voté cet hiver à l’unanimité le projet de loi, corrigé depuis par le Sénat, qui aurait permis aux procureurs d’alerter l’éducation nationale dès la garde à vue ou même l’audition libre d’une personne soupçonnée de pédophilie. Un fléau criminel qu’il convient de mieux réprimer et prévenir. Mais en quoi prendre le risque de sanctionner des innocents et de les montrer à la vindicte populaire réduirait la fréquence de tels crimes ? Les sénateurs n’ont autorisé la transmission d’informations qu’à partir de la mise en examen. Ce qui n’exclut pas définitivement les innocents, mais réduit considérablement le champ. Une société démocratique forte doit pouvoir affronter sereinement ce dilemme : prendre le risque d’enfermer un innocent ou de laisser libre, mais peut-être sous surveillance, un individu dont on subodore qu’il aurait envie de commettre un délit ou un crime. Le gouvernement, la majorité et l’opposition sont hantés par le risque de devoir répondre à la question « qu’avez-vous fait ? », si l’horreur du 13 novembre devait se reproduire en France. Mais l’Etat, en agissant aussi aveuglément, crée d’autres victimes qui, elles aussi, seront légitimes à demander des comptes. p ON NE VA PAS EMPRISONNER TOUS CEUX QUI, HANTÉS PAR LA HAINE, ONT SONGÉ À TUER LEUR CHEF, LEUR VOISIN OU LEUR CONJOINT [email protected] Interminable « affaire Dominici » Le livre R arement affaire judiciaire aura suscité autant de passion et d’intérêt médiatique que celle du triple crime de Lurs. Dans cette petite commune des Basses-Alpes – Alpes-de-HauteProvence depuis 1970 – au matin du 5 août 1952, la découverte de trois corps sans vie suscite l’effroi. Un couple de citoyens britanniques, Anne et Jack Drummond, et leur fillette, Elizabeth, sont retrouvés sauvagement assassinés sur le bord de la nationale 96, où ils s’étaient arrêtés camper pour la nuit. Très vite, les soupçons se portent sur les habitants de la maison la plus proche du lieu du crime, la Grand Terre, où vivent les Dominici. Seule pièce à conviction, l’arme du crime, une carabine Rock-Ola dont les tirs ont tué les parents, et la crosse fracassé le crâne de l’enfant. La personnalité de Sir Drummond, conseiller scientifique du ministère de l’alimentation durant la guerre dont les travaux jouent un rôle éminent dans la remise en ordre d’une Europe en pénurie, mais aussi la rivalité des enquêteurs – police et gendarmerie –, et la fièvre entretenue par la presse peu soucieuse d’un secret de l’instruction encore mal admis concourent à échauffer les esprits. Et le commentaire de ténors tels que Me Maurice Garçon dans Le Monde ou la présence au procès du patriarche Gaston Dominici des académiciens Goncourt Jean Giono et Armand Salacrou achèvent de donner à l’affaire une résonance particulière. Ce qui permit à Orson Wells, qui ébaucha un documentaire sur le crime de Lurs, de reconnaître le caractère exceptionnel du fait divers : « Des personnages comme les Dominici ne peuvent naître dans l’esprit d’un romancier. Il faut les voir pour les croire. » MENSONGES ET FAUSSES PISTES Le cinéma, le théâtre, la bande dessinée même, récemment, s’emparèrent d’un drame où, après maints revirements et mutismes têtus, les fils s’entendent pour accuser leur père. Condamné à mort sans preuve tangible en novembre 1954, le vieux Gaston échappa à la guillotine, peine commuée par le président Coty, grâce accordée plus tard par Charles de Gaulle, avant de s’éteindre en avril 1965. Mais les certitudes restent minces et, si le clan est indubitablement impliqué, le scénario exact reste à établir. Ce qu’a tenté de faire Jean-Louis Vincent, commissaire divisionnaire en retraite aujourd’hui. Au terme d’une contre-enquête minutieuse, menée sur plus de douze ans et où le goût de l’archive est si maniaque qu’il n’épargne rien au lecteur – mais quel meilleur moyen de le laisser libre de ses conclusions dans une affaire où les indices s’organisent en faisceaux mais où aucune preuve matérielle ne permet de confondre un coupable ? –, le policier déroule avec une rigueur implacable le fil des événements, de mensonges vite éventés en vains coups de théâtre, de fausses pistes en requalification fantaisiste en feuilleton d’espionnage… Bref, une impitoyable mise à nu des faiblesses de l’enquête et des partis pris de la justice qui, par-delà le temps, interroge encore le citoyen d’aujourd’hui. p philippe-jean catinchi AFFAIRE DOMINICI, LA CONTRE-ENQUÊTE de Jean-Louis Vincent Vendémiaire, collection « Chroniques », 672 pages, 25 euros 24 | 0123 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 FRANCE | CHRONIQUE SYRIE : LA PRISE DE PALMYRE ET APRÈS par gé r ar d co urtois Sarkozy et l’effet Tefal suite de la première page Lequel de ses concurrents à l’investiture de la droite pour la présidentielle de 2017 aura l’audace d’adresser le même genre de mise en garde à Nicolas Sarkozy ? Lequel osera lui suggérer que ses embarras judiciaires répétés nuisent à son camp, autant qu’à lui-même ? Pour l’heure, aucun. Du moins en public. Au-delà même de l’invocation du principe de la présomption d’innocence, la cote d’amour de l’ancien président auprès des adhérents des Républicains reste assez forte pour dissuader quiconque de se risquer sur ce terrain. On l’avait déjà constaté au lendemain de sa mise en examen, le 16 février, pour financement illégal de sa campagne de 2012 ; Alain Juppé s’était même fendu d’un message qui se voulait amical à l’endroit de M. Sarkozy. La même retenue a été de mise au lendemain de la décision de la Cour de cassation, le 22 mars, validant les écoutes téléphoniques qui avaient conduit à sa mise en examen pour trafic d’influence et corruption en juillet 2014. Dans cette affaire, il est susceptible d’être renvoyé en correctionnelle avec, à la clef, une possible peine d’inéligibilité. BATMAN V SUPERMAN: DAWN OF JUSTICE and all related characters and elements © & ™ DC Comics and Warner Bros. Entertainment Inc. CE N’EST PAS PARCE QUE L’ON SORT INDEMNE DES CHICANES JUDICIAIRES QUE L’ON N’EST PAS POLITIQUEMENT FRAGILISÉ L’adversité est, chez Nicolas Sarkozy, un puissant stimulant. Sa réaction, cette fois encore, n’est donc pas surprenante. « Depuis quatre ans, je me suis fait une raison : être calomnié puis, à chaque fois, en sortir blanchi. Au fur et à mesure, tous les dossiers montés se sont effondrés. Il en sera pour ce dossier comme pour les autres. Je suis serein parce que je sais que je n’ai rien à me reprocher », vient-il de déclarer à La Croix, avec ce mélange d’abnégation et de détermination dont il s’est blindé. L’usure du temps L’ancien président s’est toujours voulu une publicité vivante pour les poêles Tefal : avec lui, rien n’accroche !, ne cessent de se réjouir ses amis. Lui-même a fait de sa capacité à écarter les menaces judiciaires la preuve de l’acharnement dont il s’estime victime et de son invulnérabilité, puisque aucune des affaires où il a été cité ne s’est soldée par une condamnation. Mais, s’il lui est jamais arrivé de se faire cuire deux œufs, il devrait savoir qu’aucune poêle antiadhésive ne résiste à l’usure du temps. Elle finit toujours, quelque précaution que l’on prenne, par accrocher. C’est ce qui se passe désormais. Ce n’est pas parce que l’on sort indemne des chicanes judiciaires que l’on n’est pas politiquement fragilisé. Ainsi, qu’il s’agisse de son image ou de son attractivité électorale, Nicolas Sarkozy souffre de handicaps de plus en plus sérieux. Depuis quinze mois, il n’a tiré bénéfice ni de son élection à la présidence de l’UMP en novembre 2014, ni de la réorganisation du parti et de la création des Républicains au printemps 2015. Au contraire. Selon le dernier baromètre d’Ipsos, il recueille 30 % d’opinions favorables et, selon la Sofres, 21 % des Français souhaitent lui voir jouer un rôle important à l’avenir. Depuis janvier 2015, l’érosion est très nette, respectivement de 10 et de 14 points. Quant aux premières enquêtes (Ipsos ou Odoxa) d’intentions de vote pour la primaire de la droite, elles témoignent qu’il est largement distancé par Alain Juppé et qu’il perd encore du terrain depuis le début de l’année, y compris chez les sympathisants de la droite et du centre. Enfin, selon un sondage de l’IFOP, réalisé pour la Fondation Concorde devant laquelle M. Sarkozy intervenait le 23 mars, ses qualités (69 % des sondés le jugent dynamique et 68 % lui reconnaissent de l’autorité) sont contrebattues par ses défauts : 23 % des Français estiment qu’il tient ses engagements et qu’il inspire confiance, et 19 % le jugent « honnête ». Le président des Républicains a bien pu s’agacer, ce jour-là : « Si on gouvernait la France avec les sondages, on ne gouvernerait rien du tout ! » Il n’empêche, ces enquêtes, dont il fut si friand, n’en constituent pas moins un miroir, cruel en l’occurrence. Car si les « casseroles » judiciaires que Nicolas Sarkozy traîne derrière lui sont loin d’expliquer, à elles seules, la mauvaise passe dans laquelle il est engagé, elles y contribuent évidemment. Comme elles contribuent à la dégradation, toujours plus alarmante, du jugement que les Français portent sur les hommes politiques. Selon une enquête d’Ipsos (Le Monde du 12 mars), 77 % considèrent que la plupart d’entre eux « sont corrompus » (+ 11 points en un an). Parmi d’autres, l’incessant feuilleton judiciaire dont Nicolas Sarkozy est le personnage central nourrit cette défiance et explique ce divorce. Avant d’être complètement discrédité et « chabanisé », le président des Républicains devrait prendre la mesure d’une situation dont le seul bénéficiaire, hélas, est le FN. p [email protected] G râce à la Russie, l’antique cité de Palmyre a donc été libérée du joug des barbares de l’organisation dite « Etat islamique ». Un pas important dans la lutte générale contre l’EI a été accompli, à plus d’un titre. C’est une bonne nouvelle pour une population de 200 000 personnes, abandonnée par l’armée syrienne qui a fui la ville lors de l’entrée des djihadistes en mai 2015. Les gens de Palmyre ont connu le lot de ceux qui vivent sous la botte de l’EI : exécutions de masse, notamment de jeunes hommes fonctionnaires de l’Etat, destructions et sujétion à un ordre islamicoreligieux totalitaire. Hélas, dans son délire destructeur de tout ce qui n’est pas conforme à leur vision de l’islam, la soldatesque du « calife » Abou Bakr AlBaghdadi a saccagé nombre de sites antiques, qui faisaient le rayonnement de l’oasis dans le monde entier. Il en va ainsi partout où sévit le djihadisme, de l’Afghanistan à la Ninive irakienne, en passant par le Musée de Mossoul et les mausolées de Tombouctou. C’est une bonne nouvelle aussi dans la lutte contre l’EI. Sous les frappes décisives de l’aviation russe, quelques milliers de soldats de l’armée syrienne, appuyés par des milices chiites – d’abord, le Hezbollah libanais mais aussi les gardiens de la révolution ira- niens –, sont venus à bout, le 27 mars, des djihadistes. On dira que Palmyre n’a pas forcément une importance stratégique. A tort. Chaque défaite de l’EI entame son aura d’invincibilité, cette image d’une série ininterrompue de victoires empochées par les colonnes de 4 × 4 des hommes au drapeau noir. Une partie de l’attractivité de l’EI auprès des jeunes musulmans d’Europe vient de cette légende d’une « reconquête » inarrêtable, entretenue à coups de vidéos guerrières. La reprise de Palmyre est un succès pour Poutine. Après avoir consacré l’essentiel de ses interventions à cibler l’opposition armée au régime de Damas, l’aviation russe s’est enfin attaquée à l’EI. Le président russe consolide son allié local, Bachar Al-Assad, au moment où s’ouvre peut-être l’esquisse d’une négociation sur la guerre civile en Syrie. Simultanément, les Etats-Unis, appuyant les milices kurdes syriennes, accentuent la pression sur le fief de l’EI en Syrie, Rakka. Il en va de même en Irak, où les Etats-Unis, à l’aide de frappes aériennes mais aussi d’un engagement au sol, contribuent à préparer une offensive de l’armée irakienne contre la vraie place forte de l’EI, Mossoul, deuxième ville d’Irak. En un an, l’EI a perdu plus du quart des territoires dont il s’est emparé en Syrie et en Irak depuis le printemps 2014. Il est sur la défensive, il recule. Il n’est pas exclu que sa structure paraétatique, construite autour de Rakka et Mossoul, soit largement démantelée en janvier 2017, quand un nouveau président américain entrera en fonctions. Hélas, l’EI recruterait toujours, et le phénomène djihadiste ne disparaîtra pas de sitôt. Il existera, sous la forme de l’EI ou une autre, tant que ne se reconstruiront pas des Etats disposant d’un minimum de légitimité auprès de toutes les communautés composant ces pays complexes que sont la Syrie et l’Irak. Ce n’est pas pour demain. p Tirage du Monde daté mardi 29 mars : 225 610 exemplaires D E S T I N AT I O N GOT H A M CI T Y L E 2 3 M A R S A U C I N É M A # F LY T O G O T H A M Les investissements d’avenir manquent en partie leur cible Le cri d’alarme d’un ancien banquier central ▶ Le premier rapport d’évaluation de ce programme met en évidence le peu de soutien accordé aux entreprises innovantes U n essai encore à transformer ». Le premier chapitre du rapport d’évaluation du programme d’investissements d’avenir (PIA) donne le ton. Remis, mardi 29 mars, à Louis Schweitzer, le commissaire général à l’investissement, le document dresse un bilan à mi-parcours de ce programme d’investissements décennal, pensé pour londres - correspondance « augmenter les perspectives de croissance à long terme de notre économie ». Alimenté par deux tranches de crédits, de 35 milliards d’euros, en 2010, et de 12 milliards, en 2013, le dispositif doit être complété par un volet de 10 milliards d’euros, avait annoncé François Hollande à l’automne 2015. Alors que plusieurs députés plaident déjà pour une rallonge is- sue de la (relative) avance de Bercy sur ses prévisions budgétaires, il devenait urgent d’en évaluer l’efficacité. « Les [deux premiers] PIA ont fait bouger les lignes dans l’enseignement supérieur et la recherche, qui concentrent la moitié des crédits », apprécie Philippe Maystadt, président de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui a piloté un comité de sept experts pour France stratégie, organisme rattaché à Matignon. Il cite une dizaine d’universités régionales de recherche (dont Bordeaux, Strasbourg et AixMarseille) susceptibles de prétendre, à terme, à un rayonnement mondial. Pourquoi Gameloft refuse de plier devant Bolloré audrey tonnelier → LIR E L A S U IT E PAGE 3 ▶ « Les idées de Vivendi ne font pas rêver », estime Michel Guillemot pour justifier son refus de l’OPA lancée par le conglomérat ▶ Une reprise par le groupe de Vincent Bolloré causerait, selon l’éditeur de jeux vidéo, un retour « vingt ans en arrière » → LIR E PAGE 6 Michel Guillemot dans les bureaux londoniens de Gameloft, vendredi 25 mars. PHILIPP EBELING → LIR E PAGE 8 PLEIN CADRE LA RÉSURRECTION FRAGILE DE L’ÉCONOMIE CHYPRIOTE → LIR E PAGE 2 j CAC 40 | 4 366 PTS + 0,85 % j DOW JONES | 17 535 PTS + 0,11 % j EURO-DOLLAR | 1,1181 J PÉTROLE | 39,84 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,49 % VALEURS AU 29 MARS À 9 H 30 PERTES & PROFITS | PSA 633 NAUX RCHAND DE JOUR CHEZ VOTRE MA Le butin du général Tavares A vec les giboulées de mars revient le temps des polémiques sur le salaire des patrons. La parution du rapport financier annuel de PSA ouvre la saison avec la publication du montant officiel de la rémunération de son président du directoire, Carlos Tavares. Sa rétribution a doublé en 2015, à 5,24 millions d’euros. Emotion compréhensible. Peu de salariés auront dans leur vie cette chance d’une accélération si spectaculaire de leurs revenus, surtout à un tel niveau. L’Etat, actionnaire, indique qu’il s’est opposé à cette augmentation, rappelant sa doctrine de modération salariale et de baisse des salaires des grands patrons. Cette douce pluie d’or tombée sur les épaules du patron de PSA n’est pourtant pas une surprise. Elle découle directement des règles édictées par les actionnaires eux-mêmes : un salaire fixe relativement modeste pour un patron du CAC 40, 1,3 million d’euros, et une part variable, y compris en actions, conditionnée à l’obtention d’objectifs déterminés avec le conseil de surveillance. La surprise vient du fait qu’ils ont été atteints avec trois ans d’avance, que ce soit en termes de trésorerie disponible ou de marge de la division automobile. L’attitude de l’Etat est un tantinet hypocrite puisqu’il a participé à l’élaboration des règles du jeu. La famille Peugeot, à l’origine du recrutement de Carlos Tavares, aura beau jeu de lui rappeler que, sans une incitation financière forte, l’entreprise aurait eu du mal à recruter un patron de sa trempe. Et, en bons capitalistes, Cahier du « Monde » No 22147 daté Mercredi 30 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément ils ajouteront que les actionnaires, dont l’Etat, ont largement gagné au redressement spectaculaire du constructeur. Depuis l’arrivée de son nouveau patron, la valeur boursière de la société a été multipliée par trois. Une affaire de mesure Il est donc normal qu’il soit récompensé à sa juste mesure, comme l’étaient les généraux romains au retour de leurs campagnes victorieuses. Mais déjà, à cette époque, deux conditions étaient fixées par le Sénat : que les conquêtes agrandissent et sécurisent le territoire de la République et que la victoire n’ait pas été acquise contre d’autres Romains. C’est le même problème qui se pose au capitalisme du XXIe siècle qu’à la Rome du Ier. Celui du gain à long terme pour la société. Une affaire de mesure, comme l’a souligné le leader de la CFDT, Laurent Berger, en posant la question de la menace sur la cohésion sociale qui se cache derrière les émoluments extravagants des grands patrons. Car leurs rémunérations, en moyenne autour de 5 millions pour les patrons du CAC 40, trois à quatre fois plus aux EtatsUnis, tirent celles de toutes les directions générales de ces entreprises, accentuant le fossé qui les sépare du reste de la population, souvent contrainte par les gels de salaires. On constate en ce moment en Amérique, pays le plus inégalitaire du monde, avec les succès de Donald Trump et Bernie Sanders, les effets que peut produire, à long terme, une telle situation. p philippe escande & CIV ILIS ATI ONS LE FBI RÉUSSIT À « CRAQUER » L’IPHONE SANS L’AIDE D’APPLE eric albert → LIR E L A S U IT E PAGE 4 C’EST LE MONTANT, EN MILLIARDS D’EUROS, DE DETTES PUBLIQUES RACHETÉES ENTRE FIN MARS 2015 ET MI-MARS 2016 PAR LA BCE POUR « LE MONDE » TECHNOLOGIE L’ homme a été aux premières loges de la crise financière. Gouverneur de la Banque d’Angleterre de 2003 à 2013, Mervyn King parle peu et évite de faire de l’ombre à son successeur, le Canadien Mark Carney. Pourtant, c’est un cri d’alarme sur l’état de l’économie mondiale que lance l’ex-banquier central dans un livre publié outreManche (The End of Alchemy, édition Little, Brown, 2016). L’ouvrage, paru début mars, est une tentative de remettre à plat les problèmes économiques mondiaux. Il en ressort un constat très pessimiste. « Nous ne savons pas d’où elle viendra, mais une nouvelle crise financière est probable », explique M. King dans un entretien au Monde. L’économiste de formation souligne en particulier l’impuissance croissante des banques centrales. En mars 2009, M. King a pourtant été parmi les premiers à lancer un programme de « quantitative easing » (QE), une technique qui consiste pour une banque centrale à créer de la monnaie en rachetant des titres de dette publique. Entre fin mars 2015 et mimars 2016, la BCE a ainsi injecté 633 milliards d’euros dans l’économie européenne. N° 16 AVRIL 2016 NS & CIVILISATIO BATA´ILLE DE LEPANTE LA GRANDE DÉFAITE DES TURCS L’EMPEREUR AKBAR L’INDE RÊVÉE OL DU GRAND MOGH SAINT MEARTIN TOUT CE QU LA GAULE LUI DOIT -MAÇONS FRANCS NT DE L’OMBRE ILS SORTE IÈRES AU SIÈCLE DES LUM FASCINANTS HIÉROGLYPHES ENTRE SCIENCE ET OCCULTISME Chaque mois, un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde 2 | plein cadre 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Dans un café du centre de Nicosie, en 2014. G. KOILAKOS/INVISION-REA I l respire enfin. Lorsque la crise bancaire a frappé son pays, en 2013, Phanos Demetriou venait à peine de créer Opium Works, une agence de marketing digital. « Soudain, tout s’est arrêté : mon chiffre d’affaires a plongé de 60 % », raconte ce trentenaire vivant à Nicosie, la capitale de la République de Chypre. Pendant un temps, il envisage de tout plaquer pour émigrer à Londres. Mais il décide finalement de rester. Pour se battre. En 2014, son chiffre d’affaires augmente de 75 %. Avant de doubler l’année suivante. « Passés quelques mois très durs, les clients sont revenus, se félicite-t-il. Nous sommes tombés très bas mais nous avons rebondi tout aussi vite : comme notre pays, en somme. » Jeudi 31 mars, Chypre sortira officiellement du plan d’aide de la « troïka » (Fonds monétaire international, Union européenne, Banque centrale européenne) où elle est entrée en 2013. C’est deux mois plus tôt que prévu. Mieux : l’île n’a utilisé que 7,5 milliards d’euros des 10 milliards prêtés par ses partenaires. « Ce plan d’aide a été un succès », s’est réjoui le commissaire européen aux affaires économiques, Pierre Moscovici, le 7 mars, lorsque Nicosie a annoncé sa sortie anticipée. « Le programme a permis à l’économie d’enregistrer un retournement impressionnant », a applaudi de son côté Christine Lagarde, la directrice générale du FMI. Aux yeux de la « troïka », l’île d’Aphrodite est l’un des meilleurs élèves parmi les Etats entrés sous assistance pendant la crise (Irlande, Portugal, Grèce, Espagne, Chypre). A demi-mot, le FMI n’hésite d’ailleurs pas à souligner le contraste avec Athènes, seule capitale encore sous tutelle. Et où l’économie continue de sombrer… Et dire qu’il y a trois ans, les économistes prédisaient à Chypre une interminable récession ! Il est vrai qu’à l’époque, le tableau semblait bien sombre. En mars 2013, l’explosion du système bancaire hypertrophié, grand comme six fois le produit intérieur brut (PIB), a contraint l’île à solliciter l’aide de ses partenaires. En échange d’un prêt de 10 milliards d’euros, le secteur fut restructuré. La banque Laiki fut liquidée : tous les dépôts de moins de 100 000 euros, garantis, furent transférés à la Bank of Cyprus. LE BON ÉLÈVE DE LA « TROÏKA » Cette dernière fut renflouée à l’aide des dépôts supérieurs à 100 000 euros, appartenant pour la plupart à des oligarques russes, qui ont été transformés en fonds propres. « La zone euro a testé avec Chypre les règles du renflouement interne des banques (le “bail-in”) aujourd’hui appliquées à tous les membres », résume Sofronis Clerides, économiste à l’université de Chypre. Une « expérimentation » qui a laissé un goût amer à de nombreux Chypriotes. La suite ? Une potion d’austérité semblable à celle avalée par tous les pays passés sous assistance : réformes drastiques, coupes de La délicate renaissance de l’économie chypriote Avec deux mois d’avance, Chypre sortira, jeudi 31 mars, du plan d’assistance européen lancé en 2013. La résilience de l’économie a été spectaculaire, mais les Chypriotes ont souffert de l’austérité. 25 000 ont émigré 15 % à 30 % dans les salaires, privatisations, etc. Le PIB a reculé de 5,4 % en 2013, le déficit a grimpé à 8,9 % du PIB en 2014 et la dette a culminé, cette année-là, à 108 % du PIB. La petite île redoutait alors que son modèle de croissance ne s’en remette jamais. « Nous avions tort : notre économie s’est révélée bien plus résiliente que nous ne l’imaginions », explique Michael S. Michael, économiste à l’université de Chypre. De fait, la croissance a rebondi de 1,5 % en 2015, tandis que le déficit est tombé à 1 % du PIB. « Recapitalisé, le système bancaire est aujourd’hui plus solide », ajoute Fiona Mullen, de Sapienta Economics. Et le pays se finance à nouveau seul sur les marchés. Le secret de cette résilience ? En dépit de la violence de la crise, l’île a su conserver un secteur de services aux entreprises dynamique : comptabilité, gestion financière, conseils légaux, etc. Son taux d’imposition sur les sociétés ultra-compétitives (12,5 %) et sa main-d’œuvre qualifiée à bas coût continuent de séduire. Mais pas seulement. En plus de quatre-vingts ans de présence britannique (1878-1960), Chypre a appris les codes du business anglo-saxon. Et en a fait l’une de ses cartes maîtresses. « Sans cela, notre économie serait moins solide », explique Eugenios Eugeniou, patron de la branche chypriote de PriceWaterhouseCoopers. L’île a également musclé son secteur touristique. Loin d’avoir déserté le pays, comme le prédisaient certains économistes, les Russes y restent très présents. En partie parce qu’ils partagent un lien culturel fort avec les Chypriotes, notamment lié au LA COMPARAISON AVEC LA GRÈCE N’A PAS BEAUCOUP DE SENS : BULLE BANCAIRE À NICOSIE, MAUVAIS PILOTAGE DES FINANCES PUBLIQUES ET DE L’ÉCONOMIE À ATHÈNES culte orthodoxe. Mais aussi parce qu’ils sont, depuis 2013, les premiers actionnaires des banques… « A cause de la chute du rouble, ils sont tout de même moins nombreux à venir sur nos plages depuis deux ans », note Angelos Loizou, à la tête de l’agence pour le tourisme de Chypre. Mais en se positionnant comme une destination sûre et riche en sites historiques, l’île a réussi à attirer plus d’Européens et d’Israéliens. Si bien qu’en 2015, le nombre de visiteurs a bondi de 8,9 % (2,65 millions de touristes au total). Pas étonnant que la « troïka » soit tentée de faire de Chypre son élève modèle. A y regarder de près, la comparaison avec la Grèce n’a pourtant pas beaucoup de sens. D’abord, parce que la nature de la crise y fut différente : bulle bancaire à Nicosie, mauvais pilotage des finances publiques et de l’économie à Athènes. « Nous savions tous que les abus du passé étaient de notre responsabilité : voilà pourquoi le gouvernement a rapidement appliqué les mesures d’austérité, sans que cela déclenche de mouvements sociaux », ajoute M. Michael. CRÉANCES DOUTEUSES Le succès tient aussi à l’administration chypriote, calquée sur le modèle britannique : elle fonctionne bien mieux qu’en Grèce. « Culturellement comme administrativement, Chypre est le Nord du Sud : nous sommes des Méditerranéens anglo-saxons », résume Hubert Faustmann, professeur de sciences politiques au think tank Friedrich Ebert Stiftung, à Nicosie. Mais surtout, la récession chypriote a été plus courte et moins profonde qu’en Grèce. « Je suis bien placé pour le mesurer », témoigne Tilemachos Kokoras, Chyprio-Grec installé à Nicosie, alors que ses parents vivent à Athènes. « Ils ont vu leurs salaires s’effondrer brutalement et les impôts flamber : la crise n’a pas été aussi destructrice ici », raconte ce trentenaire, graphiste chez Ikea. Avant de nuancer son propos : « Le redressement de notre économie s’est tout de même fait à un coût social élevé. » De fait, tout n’est pas rose sur l’île d’Aphrodite. « La troïka résume un peu trop son succès au retour du pays sur les marchés », regrette Eric Dor, économiste à l’Iéseg. Or, selon Eurostat, le PIB par habitant de Chypre est aujourd’hui de 18 points inférieur à celui de l’ensemble de l’Union européenne, alors qu’il était supérieur de 6 points en 2009. Et le taux de chômage culmine toujours à 15,3 %, dont 35 % pour les moins de 25 ans. Un taux qui serait aujourd’hui plus élevé encore si les jeunes diplômés n’avaient pas émigré en masse vers le Royaume-Uni : depuis 2013, 25 000 personnes ont quitté l’île, qui compte aujourd’hui 847 000 habitants. De même, la hausse de la pauvreté sur l’île a été atténuée par les solidarités familiales, très fortes dans le pays. « Je vis chez mes parents, comme la plupart des jeunes chômeurs qui n’ont pas encore fait leurs valises, témoigne Christos Hadjioannou, docteur en philosophie de 36 ans. Sans cela, nous serions à la rue. » Enfin, les banques restent pénalisées par un niveau élevé de créances douteuses (50 %). Ce qui handicape la distribution de nouveaux crédits. « Ici, inutile d’espérer un prêt bancaire : les PME se débrouillent toutes seules », témoigne M. Demetriou, le patron d’Opium Works. « Il faudra quelques années au secteur pour purger le problème », juge M. Clerides. Lui s’inquiète surtout de la trop forte dépendance de l’économie chypriote aux services, qui pèsent 80 % du PIB. L’exploitation de l’immense gisement de gaz découvert dans les eaux territoriales du pays, en 2011, permettra-t-il de diversifier les revenus ? Peutêtre. Mais pas avant une dizaine d’années, jugent prudemment les économistes. Les Chypriotes, eux, portent l’essentiel de leurs espoirs sur la réunification de l’île. En 1974, la Turquie a envahi la partie nord, où se trouvaient 70 % des capacités de production. L’élection de Mustafa Akinci en avril 2015, dans la zone turque, a relancé les négociations sur le rapprochement. Mais aujourd’hui elles patinent, parasitées par les discussions entre Ankara et l’Union européenne autour de la gestion des réfugiés. « Dans tous les cas, rien ne se passera avant les législatives chypriotes de mai », juge M. Faustmann. Sa plus grande crainte : que la réunification n’aboutisse pas. Et que son pays échoue à renouer avec une croissance suffisamment forte pour convaincre les jeunes Chypriotes partis pour Londres de revenir au pays… p marie charrel économie & entreprise | 3 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Bilan mitigé pour les investissements d’avenir Ce programme de 47 milliards d’euros de crédits lancé en 2010 a peu profité aux entreprises innovantes suite de la première page Un effet PIA « inattendu » alors que les « candidats naturels à l’excellence », regroupés autour de Normale Sup et des grandes écoles d’ingénieurs à Saclay, peinent à se distinguer. Autre point positif : le transfert de technologies vers le privé, et notamment l’industrie, pour lequel l’effet d’entraînement des fonds publics a bien fonctionné. « Pour 200 millions d’euros engagés au titre du PIA, plus de 340 millions sont venus s’ajouter en provenance du privé à fin juin 2015 », souligne M. Maystadt. « Saupoudrage » En revanche, le soutien aux entreprises innovantes, troisième axe des PIA, présente un bilan plus mitigé. Certes, le dispositif a permis la création de nouveaux fonds destinés à l’industrialisation de projets dans les nouvelles technologies, « ce que ne faisaient ni Bpifrance ni les fonds privés, compte tenu du haut niveau de risque », note le rapport. Mais le document déplore les effets de « substitution budgétaire », qui ont consisté à faire passer dans l’enveloppe des PIA des crédits qui auraient de toute façon été alloués. « Les avances remboursables pour l’A350 ou le financement de réacteurs nucléaires n’ont pas at- Les subsides des projets d’aide à la réindustrialisation ont souvent été utilisés pour tenter de sauver, en vain, des entreprises moribondes tendu les PIA pour être décidés ! Dans un contexte de consolidation budgétaire, le gouvernement a cédé à la tentation d’inclure dans le PIA des dépenses auparavant financées par des crédits budgétaires classiques », observe M. Maystadt. Un grief déjà relevé par la Cour des comptes fin 2015 : les magistrats avaient comptabilisé jusqu’à 20 % de crédits ne répondant pas à la vocation des PIA. Le rapport de M. Maystadt critique également les projets d’aide à la réindustrialisation, qui visaient à soutenir les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) souhaitant relocaliser des activités en France, et donc créer des emplois. Faute de projets suffisants, les subsides ont souvent été utilisés pour tenter, en vain, de sauver des entreprises moribondes. L’agroalimentaire a créé 4 300 emplois en 2015 Premier employeur industriel de France, le secteur pâtit d’une guerre des prix L’ industrie agroalimentaire est de nouveau créatrice d’emplois en France. C’est l’un des enseignements du bilan de ce secteur industriel présenté par l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) mardi 29 mars. Elle affiche un solde net en progression de 4 332 emplois en 2015, à 440 926 emplois. Ce qui conforte sa place de premier employeur industriel en France. La résistance de ce secteur s’explique par une nouvelle décrue du nombre de faillites. En 2015, l’ANIA a dénombré 251 défaillances d’entreprises, soit 8 % de moins qu’en 2014 – on en avait recensé 376 en 2013. Au total, l’agroalimentaire, qui a la particularité d’être constitué à 98 % de PME et de TPE disséminées sur tout le territoire national, compte aujourd’hui 16 218 sociétés. Pour autant, l’ANIA continue de relever des signaux alarmants. Elle agite le chiffon rouge de la guerre des prix à laquelle se livrent les grandes enseignes de distribution pour gagner des parts de marché, et dénonce la pression déflationniste qui s’est encore accrue, alors que le nombre de centrales d’achats s’est réduit après des opérations de fusion. Une situation qu’elle juge destructrice de valeur. L’association estime la déflation des produits alimentaires à 1,2 % en 2014, portant la baisse cumulée à 2,3 % sur deux ans. Hors produits frais, le recul des prix est toutefois limité à 0,2 % en 2015, et à 0,3 % en cumulé sur deux ans. L’ANIA estime que cette guerre des prix n’a pas d’effet dopant sur l’appétit des clients. Selon elle, la consommation de produits alimentaires n’a progressé que de 1,1 %. Ce qui se traduit globalement pour l’industrie agroalimentaire par un chiffre d’affaires stable, à 170 milliards d’euros en 2015. Et les industriels affirment que leurs marges restent sous pression même si le contexte leur a été plus que favorable. Ils ont bénéficié des faibles taux d’intérêt, de la forte chute du prix du pétrole et, surtout, du repli marqué des cours des matières premières agricoles, comme le lait, le sucre et les céréales. Un repli qui pèse lourdement sur les éleveurs. Les producteurs de lait, de viande porcine et bovine n’ont eu de cesse depuis près d’un an de dénoncer les prix non rémunérateurs auxquels ils vendent leurs produits. Leurs charges et le remboursement des investissements plombant leur situation financière. Moins d’innovation Sur le volet investissement justement, l’ANIA fait part de son inquiétude. Les industriels, préoccupés par l’état de leurs relations avec la distribution, sont réticents à mettre la main à la poche pour financer de nouveaux projets. Alors qu’en juin 2015, les chefs d’entreprise sondés tablaient sur une progression de leurs investissements de 9 %, ils ont finalement contracté ce poste de dépense de 7 % sur l’ensemble de l’année. Ce qui conduit le syndicat professionnel à s’interroger sur les capacités de ce secteur à continuer à innover et exporter. L’innovation est justement l’un des leviers exercés par les entreprises pour tenter de sortir de la spirale déflationniste : avec un nouveau produit, la négociation tarifaire peut s’engager sur de nouvelles bases. Quant à l’exportation, elle reste un point de fort de l’industrie alimentaire, qui se targue d’un excédent commercial de 8,1 milliards d’euros, en progression de 5 %. Une performance qui doit d’abord au succès des ventes de vins et spiritueux, champagne, cognac et vins de Bordeaux en tête. Hors boissons et tabac, le solde reste négatif à – 3,3 milliards d’euros. p laurence girard Principale conséquence de ces dysfonctionnements : « Le taux d’investissement public a reculé en France entre 2010 et 2015 », note le rapport, chutant d’encore 5 % l’an dernier, à 75,3 milliards d‘euros selon l’Insee. Un bémol de taille, qui s’explique en partie par des raisons de nomenclature – certains crédits ne sont pas comptabilisés comme des investissements – et par la montée en puissance des PIA : sur les 47 milliards d’euros des deux programmes, seuls 13,9 milliards ont été décaissés en six ans. Il n’empêche. « Le PIA n’a pas empêché le taux d’investissement public en France de tomber au niveau le plus faible enregistré au cours des dernières décennies, à 3,5 % du PIB », note le rapport. Au final, M. Maystadt regrette le manque de données pour évaluer l’impact des PIA : « Nous aurions aimé disposer des chiffres par entreprise bénéficiaire, par exemple pour savoir si l’objectif de soutien aux PME a été atteint », précise-t-il. Dans l’optique du troisième PIA et face à un trop grand « saupoudrage » des moyens, les auteurs préconisent de se focaliser sur certains grands projets, en évitant les actions qui doublonneraient avec d’autres financements. « Le contexte économique a changé : grâce à l’action de la Banque centrale européenne, la liquidité est aujourd’hui abondante dans certains domaines, comme le numérique », illustre M. Maystadt. Troisième volet Alors que les grands axes du troisième PIA ont été détaillés début mars (enseignement, recherche et numérique mais aussi agroalimentaire et tourisme), ce rapport sera-t-il de nature à les modifier ? « Je partage ces observations, qui valident à mes yeux la bonne exécution des deux premiers PIA, même si certaines dépenses n’étaient effectivement pas justifiées », commente M. Schweitzer. Confirmé début mars en conseil des minis- tres, le troisième volet n’a pas encore été voté. Des voix s’élèvent pour gonfler les 10 milliards prévus. « Une urgence pour stopper la hausse du chômage », a plaidé Valérie Rabault, la rapporteure générale du budget, dans Le JDD du 27 mars. M. Maystadt n’est pas de cet avis. « Le PIA n’est pas un instrument de soutien à la reprise en cours. Il a été conçu pour améliorer le potentiel de long terme de la croissance française, en soutenant sa capacité de recherche et d’innovation. S’il n’a pas financé un plus grand volume d’investissements publics, il a eu le mérite d’orienter les crédits vers les secteurs importants pour l’avenir », résume-t-il. p audrey tonnelier Affectation par secteur EN MILLIONS D’EUROS 576 Formation en alternance 840 Education et jeunesse 1 707 Urbanisme et cohésion sociale 3 000 Santé et biotechnologies 3 680 Valorisation de la recherche 3 836 Economie numérique Centres d’excellence 15 805 13 672 Industrie, transports, défense 3 850 Economie circulaire SOURCE : COMMISSARIAT GÉNÉRAL À L’INVESTISSEMENT 4 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 « Une nouvelle crise financière est probable » Ex-gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King pointe l’impuissance croissante des banques centrales suite de la première page Sept ans plus tard, cette politique s’est répandue dans le monde entier, de la Banque centrale européenne (BCE) à celle du Japon. « Nous avons apporté le plus important stimulus monétaire que le monde a jamais connu. Et pourtant, la reprise économique mondiale est très faible, s’inquiète le diplômé de Cambridge. Cela veut peut-être dire que la réponse au problème n’est pas de rajouter encore plus de relance monétaire. » Les banques centrales sont-elles à court de munitions ? « Elles sont plutôt comme un cycliste, qui doit pédaler de plus en plus vite juste pour maintenir la même vitesse, face à une côte toujours plus raide. » Venant de l’un des architectes du QE, l’aveu est de taille… M. King voit également d’un œil très sceptique les taux d’intérêt négatifs utilisés par la BCE ou la Banque du Japon (BoJ). « Si quelqu’un arrivait de la planète Mars et voyait que le taux d’intérêt des obligations japonaises à dix ans est négatif, il dirait que c’est complètement fou », résume-t-il. Selon lui, la politique monétaire extrême de ces dernières années ne sert qu’à gagner du temps. « C’est comme un analgésique qu’on administre à un patient qui hurle de douleur. Cela marche. Mais un bon docteur ne va pas ensuite partir en se disant : c’est bon, le patient ne crie plus. Il va s’intéresser aux causes sous-jacentes », veut croire M. King. Profonds déséquilibres A l’écouter, ces causes sont à chercher dans les profonds déséquilibres entre les pays qui engrangent des surplus gigantesques de leur balance des paiements (Allemagne, Chine…) et ceux qui enregistrent d’énormes déficits (EtatsUnis, Royaume-Uni, pays périphériques de la zone euro…). Le problème est identifié depuis Mervyn King, le 15 mars, à Londres. EUAN CHERRY/ NURPHOTO AFP longtemps, et faisait l’objet de nombreuses discussions bien avant la crise financière. Mais rien n’a été fait, et les déséquilibres se sont accentués, selon M. King. Pour l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, l’une des façons les plus simples de rééquilibrer l’économie mondiale serait de laisser les devises flotter librement. Un pays en surplus verrait alors sa monnaie se renchérir, ce qui réduirait sa compétitivité à l’exportation et inciterait ses habitants à consommer plus, limitant ainsi le surplus. Cette logique explique que M. King réserve ses mots les plus durs à la zone euro. « L’Allemagne ÉN ER GI E HÔT ELLER I E Abengoa obtient un nouveau délai pour éviter la faillite Anbang améliore son offre sur Starwood pour contrer Marriott Le géant des énergies renouvelables Abengoa a obtenu, lundi 28 mars, un nouveau répit de sept mois de la part de ses créanciers pour se réorganiser et éviter la faillite, qui serait la plus importante d’Espagne. L’entreprise andalouse, en difficulté depuis des mois, s’est déjà engagée à réduire sa lourde dette, fruit d’investissements tous azimuts, notamment à l’étranger. – (AFP.) Le groupe chinois Anbang a annoncé, lundi 28 mars, qu’il était prêt à débourser 14 milliards de dollars (12,5 milliards d’euros) pour mettre la main sur le groupe hôtelier américain Starwood. La dernière offre d’Anbang est supérieure aux 13,6 milliards offerts par l’américain Marriott le 21 mars. Fondé en 2004, Anbang gère 253 milliards de dollars d’actifs. – (Bloomberg.) #& '.)$,(!+"& '& -%.)* %* 3*2%6 )* ($2%/$%6 7 ,!#" )($& 462&$2+ 06/$+. 51*/2)36-+$ )* '12%$ avec L’une des façons les plus simples de rééquilibrer l’économie mondiale serait de laisser les devises flotter a un surplus de 8 % de son PIB. C’est de la folie », tance l’ex-professeur à la London School of Economics. Prudent politiquement, il n’appelle pas ouvertement à la fin de la monnaie unique. Mais il laisse clairement entendre qu’il pense que c’est nécessaire. M. King prend l’exemple de la Finlande, un pays autrefois « vertueux », mais qui a souffert d’un double choc économique : la crise russe, qui réduit ses exportations, et la chute de Nokia, un poids lourd de l’industrie du pays. « Normalement, son taux de change aurait dû baisser. Mais ce n’est pas possible avec l’euro. La Finlande a donc perdu cet absorbeur de choc, note le baron de Lothbury. Dans ces conditions, il n’y a malheureusement pas de solution facile. » Selon M. King, les tensions créées par la zone euro ne peuvent que faciliter la montée de partis populistes surfant sur la crise économique. « Quand j’étais gouverneur, j’ai prévenu le gouvernement britannique que, s’il continuait à soutenir ouvertement la monnaie unique, il ne ferait que renforcer les partis extrêmes. C’était en 2010. » La suite lui a donné raison. L’une des solutions aux problèmes de la zone euro serait de mettre en place une sorte de gouvernement économique centralisé, qui prendrait les grandes décisions budgétaires, estime-t-il. « Mais cette option n’a pas le soutien du peuple. Comment imaginer qu’un électeur espagnol soit prêt à appuyer un groupe de bureaucra- tes non élus à Bruxelles pour décider des dépenses budgétaires ? » Selon lui, aucune réponse économique ne sera satisfaisante tant que la zone euro restera unie. « Il faut que les pays qui ont un surplus comprennent qu’il s’agit d’un partenariat. Pour rééquilibrer l’économie, il faut une coordination » avec les pays en déficit, martèlet-il. Comprenez : la balle est dans le camp de Berlin et d’Angela Merkel. M. King est moins sévère sur la Chine, mais reste très inquiet. « Ce pays a beaucoup trop investi. Les institutions financières qui ont apporté les prêts qui ont financé cela risquent de souffrir. » Il souligne que HSBC et Standard Chartered, deux banques britanniques qui ont bien résisté à la crise financière de 2008, sont particulièrement exposées à l’Asie. De même, il se montre dubitatif sur l’action de Christine Lagarde à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Selon lui, l’ex-ministre française de l’économie n’a pas fait assez pour pousser les grands pays à rééquilibrer l’économie mondiale. « Le seul moment où on a vraiment vu une coopération internationale, c’était fin 2008 et début 2009. L’ironie est que Dominique Strauss-Kahn est la seule personne qui a vraiment apporté le leadership nécessaire. » Sa remplaçante, en comparaison, n’aurait pas repris le flambeau. « Il n’y a pas de leadership intellectuel. (…) Le FMI n’est pas assez déterminé face à des surplus de 8 % du PIB » comme en Allemagne, note-t-il. Face à ce tableau très sombre, M. King en appelle à « l’audace du pessimisme » : il espère que la crise actuelle poussera une nouvelle génération d’hommes politiques à réellement s’attaquer aux problèmes sous-jacents de l’économie mondiale, en imaginant une nouvelle coopération mondiale. Mais d’ici là, pense-t-il, de nouvelles crises majeures sont inévitables. p eric albert Le premier ministre japonais envisagerait un nouveau report de la hausse de la TVA A trois mois du scrutin sénatorial, de nouvelles mesures de relance sont à l’étude tokyo - correspondance L a réduction de la dette attendra. Soucieux de sortir l’économie japonaise de ses difficultés – PIB en recul de 1,1 % sur un an au dernier trimestre 2015, inflation quasi-nulle – et confronté à d’importantes échéances électorales, le gouvernement nippon envisage de recourir à de nouveaux plans de relance. Selon des informations diffusées le 29 mars par la presse nippone, l’administration du premier ministre Shinzo Abe pourrait débloquer au moins 5 000 milliards de yens (39,6 milliards d’euros) pour soutenir la consommation. Les fonds iraient principalement aux foyers modestes de personnes âgées et de travailleurs précaires, qui recevraient directement des bons d’achat. Dans le même temps, le gouvernement pourrait reporter la hausse de la TVA de 8 % à 10 %. Décidée en 2012, la mesure devait intervenir en octobre 2015. M. Abe avait décidé en 2014 de la reporter à avril 2017. Le ministre des finances Taro Aso défend sa mise en œuvre, notamment parce que la dette nippone a dépassé en 2015 le million de milliards de yens (près de 8 000 milliards d’euros) et atteint 240 % du PIB. Le Japon a peu de chances de respecter son engagement de rame- ner la balance primaire (hors service de la dette) à l’équilibre en 2020. Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) de juillet 2015, « les politiques menées rendent la dette actuelle intenable ». Mais les conseillers économiques de Shinzo Abe, Koichi Hamada et Etsuro Honda, plaident pour le report, tout comme plusieurs économistes américains consultés dans la perspective du sommet du G7, organisé au Japon les 26 et 27 mai. Moins d’austérité Le 22 mars, le Prix Nobel d’économie Paul Krugman s’est exprimé dans ce sens, tout comme Dale Jorgenson, de Harvard, pourtant favorable à une telle augmentation. Mi-mars, Joseph Stiglitz, de l’université américaine Columbia et également Nobel d’économie, avait fait de même. « Dans un contexte économique affaibli, soulignait l’ancien conseiller du président Bill Clinton, augmenter la TVA n’est pas la meilleure chose à faire ». M. Stiglitz recommande au gouvernement japonais d’explorer d’autres pistes pour la fiscalité notamment celles susceptibles de soutenir l’activité. Il a évoqué « une taxe carbone, à même de dynamiser la demande car elle oblige les entreprises à investir ». Il a également suggéré un système de taxation variable selon les ni- En 2014, le Japon avait mal vécu la précédente augmentation de 5 à 8 %, qui l’avait fait plonger dans la récession veaux d’investissements des entreprises, voire une hausse des impôts sur les successions. Le report de la hausse de la TVA interviendrait dans un contexte international moins enclin à l’austérité. Lors de la réunion des responsables des finances du G20 en février à Shanghaï (Chine), le message fut que « les politiques monétaires seules ne suffisent pas pour une reprise économique durable ». Or le Japon vit déjà une politique monétaire des plus accommodantes, la Banque du Japon ayant décidé en janvier de s’orienter vers les taux négatifs. Enfin, la troisième économie mondiale a mal vécu le passage de la TVA de 5 % à 8 % en avril 2014. Cette hausse l’avait fait plonger dans la récession et avait ruiné les timides progrès observés en 2013 avec l’instauration des deux premières « flèches » – plans de relance et assouplissement moné- taire – des « Abenomics », les mesures du gouvernement Abe. Selon la presse nippone, le premier ministre prévoirait de convaincre ses partenaires du G7 du bien-fondé de sa politique, avant d’annoncer officiellement sa décision en juin. Un tel choix ne serait pas dénué d’arrière-pensées politiciennes. Des élections sénatoriales sont prévues en juillet et M. Abe pourrait organiser des législatives anticipées à la même date. Il transformerait la campagne en référendum sur le report de la hausse de la TVA. Selon un sondage du 27 mars de l’agence Kyodo, 65,4 % des Japonais sont contre l’augmentation de cette taxe. M. Abe avait fait la même chose en 2014, avec succès. Une nouvelle victoire lui permettrait de rester au pouvoir jusqu’aux Jeux olympiques de 2020 et surtout d’engager le véritable objectif de son action, à savoir la réforme de la Constitution. En 2014, il avait fait campagne sur le report de la hausse de la TVA et sur la relance de l’économie. Une fois le scrutin passé, il s’était concentré sur l’adoption des législations sécuritaires, qui autorisent le Japon à s’engager dans des alliances militaires à l’international. Ces textes très critiqués ont été votés en septembre 2015 et sont entrés en vigueur le 29 mars. p philippe mesmer économie & entreprise | 5 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Les fonds lorgnent de nouveau les entreprises françaises T Ce bon en avant n’est néanmoins pas suffisant, estiment les professionnels. « Nous sommes loin des 20 milliards d’euros investis chaque année par les Britanniques dans les entreprises non cotées », précise M. Chabanel, qui déplore : « il n’y a aucune raison que nous représentions seulement la moitié du marché britannique. » Et d’appeler à un « meilleur fléchage de l’épargne longue (…) vers l’investissement dans l’économie réelle, créatrice des emplois de demain ». Des rendements performants Plusieurs facteurs expliquent cette embellie. Le timide retour de la croissance en France et l’amélioration des perspectives économiques ailleurs dynamisent l’ensemble des secteurs, même les plus traditionnels, et pas seulement la très en vue French Tech. L’industrie et la chimie ont ainsi capté l’année dernière 2,6 milliards d’euros de capitaux, soit le double de 2014, à égalité avec les services et transports. L’informatique et le numérique ont, tout de même, drainé 1,8 milliard d’euros, soit près de 4 fois le montant injecté en 2014. Pour investir, encore faut-il disposer de munitions. Autre bonne nouvelle de 2015, les fonds français continuent à attirer des capitaux en masse. En 2015, 77 sociétés de capital-investissement établies en France ont levé 9,7 mil- L’informatique et le numérique ont drainé 1,8 milliard d’euros, près de quatre fois le montant de 2014 liards d’euros. C’est moins que les 10,1 milliards de 2014, mais le millésime précédent avait été marqué par une imposante levée de PAI Partners (3,3 milliards). En 2015, aucune enveloppe n’a été supérieure à 1 milliard d’euros. Mais les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, Sofinnova Partners, le spécialiste des sciences de la vie, a rassemblé 300 millions d’euros, le lyonnais Siparex a collecté 243 millions d’euros… Les fonds ciblant le numérique ont également été nombreux à reconstituer leur trésor de guerre : 370 millions d’euros pour le fonds de développement de Partech, l’un des leaders du marché, ou encore 75 millions pour Isaï, cofondé notamment par Pierre Kosciusko-Morizet (Price Minister) et Stéphane Treppoz (Sarenza). La grande crispation qui avait suivi l’élection de François Hollande et ses décisions fiscales controversées semble désormais L loin. « Nos fonds attirent de plus en plus d’investisseurs étrangers », souligne M. Chabanel, qui pointe toutefois un « frein » : ces grands pourvoyeurs de capitaux souhaitent souvent investir de gros tickets, ce qui exclut les petits fonds, compte tenu des règles imposées en matière de partage des risques. Cela explique pourquoi les 13 sociétés de gestion qui ont réuni en 2015 plus de 200 millions d’euros chacune ont pu attirer un tiers de leurs investisseurs à l’étranger, contre 15 % pour les autres. Heureusement, Bpifrance a répondu présent. Selon les données de l’AFIC, le secteur public français a apporté quelque 2 milliards d’euros aux acteurs domestiques du capital-investissement, contre 1,4 milliard en 2014. Les personnes physiques ou les « family office » qui gèrent la fortune des Bettencourt, Norbert Dentressangle et autres ont fourni une manne de 1,8 milliard d’euros, également en hausse. Il faut dire que le capital-investissement reste l’un des rares secteurs de la finance à ne pas être pénalisé par les taux nuls, au contraire. Son rendement net annuel calculé sur dix ans, qui atteignait 11,3 % à la fin 2014, selon les dernières données publiées par l’AFIC en juin 2015, n’en paraît que plus intéressant. p es livraisons aéroportées par drone envisagées par Amazon et Google vous paraissent chimériques ? Celles opérées par un drone qui roule sur la terre ferme vont peutêtre vous sembler plus crédibles. A défaut de faire l’objet d’expérimentations top secret, la livraison de colis par robot terrestre a débuté en test grandeur nature depuis le 10 mars au Royaume-Uni, plus précisément dans la localité de Greenwich. Au croisement du drone et du véhicule autonome, ce projet est porté par Starship Technologies, une société créée par les cofondateurs de Skype, Janus Friis et Ahti Heinla. Avec ce concept, il s’agit de couvrir ce que l’on appelle la « logistique du dernier kilomètre », autrement dit la partie finale de la livraison au client, l’opération la plus délicate à gérer et la plus énergivore lorsqu’on la rapporte à chaque article livré. Starship Technologies a mis au point un robot totalement autonome qui trace sa route sur les trottoirs et non sur la chaussée. Ce drone à six roues dispose de nombreux capteurs et d’un guidage GPS qui lui permettent de se repérer LE CLIENT REÇOIT dans un quartier (il s’agit d’effectuer UN CODE QUI LUI des livraisons de proximité) et d’éviter les obstacles. Cet engin, préviennent PERMET D’ACCÉDER ses concepteurs, se déplace lentement, AU COFFRE DU ROBOT pour des raisons de sécurité. Il est destiné à « prendre le chemin le plus sûr, LIVREUR ET DOIT pas le plus rapide ». L’objectif de l’expérience engagée à PAYER UN EURO Greenwich est de réaliser les livraisons en moins de trente minutes. Il ne s’agit donc pas de confier à ce véhicule des opérations urgentes mais le transport de petits colis, de produits d’épicerie ou de plats cuisinés, par exemple. Le client reçoit un code qui lui permet d’accéder au coffre du drone livreur et doit s’acquitter d’un prix de l’ordre d’un euro. Starship Technologies indique être en pourparlers avec de grosses sociétés mais aussi des commerces locaux afin de développer son service de livraison. Le principe mis en avant est de pouvoir adapter l’horaire de livraison non pas au livreur mais à la personne qui est livrée. D’autres expériences sont prévues dans les six prochains mois en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, voire aux Etats-Unis. « Nous supposons que les gens toléreront davantage de croiser des robots livreurs sur le trottoir que de voir passer au-dessus de leur tête des drones transportant de gros paquets », estime l’un des concepteurs du projet de livraison autonome. Starship Technologies n’a pas encore donné de nom à son petit robot. La société suggère au public de faire des propositions. p isabelle chaperon jean-michel normand En 2015, 10,7 milliards d’euros ont été investis dans les sociétés tricolores par des acteurs financiers, un niveau jamais atteint depuis 2008 ous les compteurs sont au vert. Le capital-investissement français a signé un excellent millésime 2015, selon une étude présentée mardi 29 mars par l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC) et le cabinet Grant Thornton. « Cette tendance devrait se poursuivre en 2016. Le marché reste très actif », se félicite Michel Chabanel, président de l’AFIC. Pour la première fois depuis 2008, la barre des 10 milliards d’euros investis par les acteurs français du capital-investissement a été franchie en 2015, troisième année de reprise depuis le creux de 2012. Au total, 10,7 milliards d’euros ont été injectés au capital de 1 645 TPE, PME et autres entreprises de taille intermédiaire (ETI), un montant 23 % supérieur à celui de 2014. Plus de 50 % des entreprises soutenues ont reçu moins de 1 million d’euros. Pas un jour ne se passe sans l’annonce d’une transaction impliquant un fonds, que ce soit l’entrée de Meeschaert Capital Développement au capital de la société lancée par l’ancien ministre Renaud Dutreil pour développer l’eau de source Fontaine Jolival, ou la prise de participation de Sagard chez Prosol, qui possède l’enseigne Grand Frais. « Le marché est très compétitif », assure M. Chabanel. Bientôt un drone-livreur à votre porte Bercy assouplit les règles de la finance participative Pour favoriser l’essor du secteur, Emmanuel Macron annonce que les sites de crowdfunding pourront désormais lever 2,5 millions d’euros adapter les règles », explique-t-on au sein du cabinet de M. Macron. Première mesure, les entreprises qui recueillent des fonds auprès des internautes via un site de crowdfunding pourront lever jusqu’à 2,5 millions d’euros (contre 1 million aujourd’hui) sans avoir à rédiger un prospectus, ce long document visé par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les sites pourront aussi intermédier, en plus des actions et des obligations, d’autres types de titres, comme les titres participatifs qui permettent de financer les coopératives. Les plates-formes qui se sont spécialisées dans le crédit aux entreprises n’ont pas été oubliées. Jusqu’à présent, les particuliers ne pouvaient pas prêter plus de 1 000 euros par dossier, afin d’éviter qu’ils prennent des risques inconsidérés. M. Macron double la mise en fixant un nouveau seuil de 2 000 euros. Si le site souhaite permettre à ses membres de prêter des sommes plus importantes, il pourra le faire grâce à des « minibons ». Le gouvernement va, en effet, créer cette sorte d’obligation simplifiée en dépoussiérant les bons de caisse – un produit qui s’apparente à une reconnaissance de dette et dont les grandes règles datent de… 1937. Un statut régulé par l’AMF En quoi cela concerne la finance participative ? Plusieurs sites utilisent déjà les bons de caisse pour contourner le seuil des 1 000 euros. Ce ne sera plus possible à l’avenir. Et ceux qui proposeront ces mini-bons devront montrer patte blanche, en obtenant le statut de conseiller en investissement participatif, qui est régulé ;$ " *06@>?% &B(:106$- $< $.(>14@0@3B >$ #>*44$=$<3 /<@0$641= +25, &*<4 ;$ 9:<&$ !(: ) $<36$86@4$7 (BPI) sur le modèle britannique en seront pour leurs frais. « Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a pris plusieurs mesures, qui ont crédibilisé le secteur et facilité son essor. Elle a investi 100 millions de livres sur les platesformes en abondant auprès des investisseurs et contraint les banques à orienter les TPE vers des sites de crowdfunding lorsqu’elles refusent de leur accorder un prêt », explique Hubert de Vauplane, associé au cabinet Kramer Levin. Des options qui ne sont pas à l’ordre du jour. p frédéric cazenave TIVE EM RAC P T T YERS LO )#, #1+-#/-5,#, .*5 "01+ -7'#- 3#, 6+*$5(1+, par l’AMF. Un garde-fou essentiel. « C’est une bonne solution qui permet de soutenir l’activité des plates-formes, tout en garantissant aux particuliers prêteurs une certaine protection », estime Grégoire Dupont, le secrétaire général de l’Orias. Entre le relèvement des plafonds et ces mini-bons, le gouvernement répond, en partie, aux revendications des acteurs du secteur, pour qui ces seuils bridaient leur croissance. En revanche, ceux qui espéraient une implication de la banque publique d’investissement MOST A L e secteur de la finance participative, qui se réunit mardi 29 mars au ministère de l’économie, espérait beaucoup de son invité vedette, Emmanuel Macron. Il ne devrait pas être déçu. Dans son intervention, prévue en fin de matinée, le ministre de l’économie et des finances devait multiplier les annonces. Objectif : faire évoluer le cadre réglementaire, fixé en octobre 2014, pour favoriser l’essor du crowdfunding. « Nous disposons désormais d’un recul suffisant pour voir quels modèles fonctionnent et donc pour FRANCE 2016 ?&*3B &1 ' *06@> +25, *15'#-,*2!30&(34%02 6 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 « Avec Vivendi, nous reviendrions vingt ans en arrière » Gameloft est la cible d’une OPA hostile lancée par le conglomérat français. Michel Guillemot, président de l’éditeur de jeux mobiles, s’explique sur ce bras de fer L ENTRETIEN e 21 mars, Vivendi a lancé une OPA sur le capital de l’éditeur de jeux pour téléphones mobiles Gameloft, dont il a déjà acquis 30 %. Le groupe présidé par Vincent Bolloré est passé devant la famille Guillemot, qui détient 21 % des titres de la société. Le président de Gameloft, Michel Guillemot, explique pourquoi ses actionnaires n’ont pas intérêt à apporter leurs titres à l’offre de l’homme d’affaires breton. Que dites-vous aux actionnaires qui pourraient être tentés par l’offre de Vincent Bolloré ? Vivendi est arrivé en octobre, à un moment où les dépenses, du fait d’importants investissements, étaient élevées, et les résultats assez bas. Cela leur a permis de développer une rhétorique selon laquelle Gameloft ne rapportait rien. Je dis aux actionnaires d’opter pour le plan d’affaires que nous avons présenté le 22 mars, afin de pouvoir transformer leurs investissements en ré- « Si Gameloft était rachetée, il y a des chances que les créatifs quittent l’entreprise » sultat. L’OPA les priverait de plusvalue que Gameloft va créer. Où en est le développement de Gameloft, qui a connu d’importantes pertes en 2015 ? En 2013, le jeu mobile a vu émerger le « freemium » : le jeu est gratuit, l’achat de contenus supplémentaires payant. Ce mode de financement ne repose que sur un petit pourcentage de payeurs. J’ai donc choisi, en 2014-2015, de créer notre propre régie publicitaire « programmatique » (automatisée) pour le compléter. Elle peut générer 150 millions d’euros de revenus supplémentaires par an. Avez-vous été en contact avec Vincent Bolloré ou Arnaud de Puyfontaine, le président du directoire de Vivendi ? Arnaud de Puyfontaine m’a contacté une seule fois en décembre, une semaine après m’avoir lancé un ultimatum. On ne discute pas avec un pistolet sur la tempe et, de toute façon, je n’ai pas le droit d’aller négocier en catimini avec un actionnaire pour lui donner des avantages qui n’iraient pas forcément dans le sens des autres actionnaires. Mais ne devez-vous pas écouter tous les actionnaires ? Je ne dois favoriser ni les uns ni les autres. Vivendi explique qu’il va nous aider à nous développer à l’international, c’est déjà 96 % de notre chiffre d’affaires ! Ils veulent nous donner du cash, nous en avons déjà. Tout ce dont la société a besoin, c’est de laisser le plus de liberté possible à ses développeurs. Cela ne fonctionne pas dans un conglomérat. On passerait d’une société qui travaille pour les grandes plateformes, Google, Apple, Facebook, à un éditeur qui crée des jeux pour des opérateurs Michel Guillemot, PDG de Gameloft, à Londres, vendredi 25 mars. PHILIPP EBELING POUR « LE MONDE » comme Telecom Italia [dont Vivendi est actionnaire]. L’opérateur italien ne représente que 0,3 % de notre chiffre d’affaires. Vivendi ne dit pas vouloir tout remettre en cause… Vivendi dit qu’il ne veut rien demander. Mais regardez ce qui s’est passé chez Canal+, Dailymotion, Telecom Italia. Que reste-t-il du management ? Depuis vingt ans, la méthode de Vincent Bolloré n’a pas changé. Nous ne sommes pas naïfs. Virer le fondateur d’une société de technologies, qui nécessite un haut niveau de confiance entre ses salariés et son management, est un bon moyen de la tuer. Pourriez-vous faire entrer de nouveaux actionnaires au capital de Gameloft ? Nous avons beaucoup de partenaires en Asie, où nous avons mené une importante restructuration. Nous avons fermé nos studios en Corée, au Japon et en Chine pour travailler avec des partenaires locaux. Ces acteurs ont les moyens d’investir. Mais nous ne les démarchons pas, même si la réputation de Gameloft est élevée. Votre concurrent King a été racheté par Activision, Supercell CETTE SEMAINE EXCEPTIONNELLEMENT « LE MONDE DES LIVRES » PARAÎT DEMAIN P A la une : Mémoire de fille, d’Annie Ernaux P Deux pages spéciales « Quai du polar » RETROUVEZ LE SUPPLÉMENT DU « MONDE DES LIVRES », EN VENTE DÈS MERCREDI. par SoftBank. Un éditeur mobile peut-il conserver son indépendance ? Ces sociétés continuent d’avoir leur autonomie. Aucune n’a été absorbée. Si Gameloft était rachetée et passait à un management de la terreur, il y a des chances que les créatifs, qui n’ont que la rue à traverser pour travailler ailleurs, quittent l’entreprise. La perte de valeur potentielle est considérable. Selon des analystes, Vivendi viserait Gameloft pour obliger Ubisoft, dont il détient 15 %, à négocier, en créant des divisions dans votre famille… Avec mes frères, nous ne sommes pas du tout divisés. Mais nos deux sociétés sont gérées de façon indépendante et dans l’intérêt de leurs actionnaires respectifs. On a reproché à Ubisoft de ne pas protéger Gameloft, mais si un jour Ubisoft rachetait Gameloft, ce serait uniquement dans l’intérêt des actionnaires des deux sociétés. Ce scénario n’est pas à l’étude aujourd’hui. Avec Yves [le patron d’Ubisoft], nous sommes d’accord pour dire qu’il y a incompatibilité. Instrumentaliser Gameloft au service d’un groupe de médias n’a aucun sens. Je ne serais pas ravi que Ga- meloft arrête de créer ses jeux qui cartonnent pour faire des extensions de films. Nous reviendrions vingt ans en arrière. Plus personne ne fait de jeux pour les films, à part pour des univers permanents comme Star Wars ou Les Minions. Les idées de Vivendi ne font pas rêver. Allez-vous continuer de vous renforcer au capital ? Mes quatre frères et moi possédons 20 % chacun du holding Guillemot Brothers, qui a une participation dans Gameloft et dans Ubisoft. Grâce à nos partenaires bancaires, nous sommes montés de 22 % à 29 % en droits de vote de Gameloft. Nous pourrions continuer. Nous sommes peu endettés. Vous avez déjà été attaqués par Electronic Arts, pourquoi ne pas avoir mieux protégé le capital de Gameloft ? Nous avons choisi de réinvestir tous les bénéfices dans la société, alors que nous aurions pu racheter des actions pour nous renforcer au capital. J’aurais pu arrêter d’investir. Mais Gameloft aurait valu deux fois moins cher dans trois ans. p propos recueillis par sandrine cassini Une guerre de Bretons qui tourne mal Fondateurs de Gameloft et d’Ubisoft, les Guillemot refusent la mainmise de Vincent Bolloré sur leur empire L a guerre des nerfs entre Vincent Bolloré et les dirigeants de Gameloft se poursuit. Vivendi, le groupe présidé par l’homme d’affaires breton, a lancé le 21 mars une offre publique d’achat (OPA) sur l’éditeur de jeux mobile. M. Bolloré avait racheté progressivement des actions sur le marché, sans prévenir les principaux intéressés, Michel Guillemot et ses quatre frères, fondateurs de l’entreprise et eux aussi bretons. Puis, lorsqu’il a franchi la barre des 30 % du capital, Vivendi a lancé une offre de reprise sur la totalité du capital. Le tycoon des médias n’a pas choisi Gameloft au hasard. Le capital de la société était très disséminé : en décembre, les frères Guillemot, jusque-là premiers actionnaires de l’éditeur de jeux, ne détenaient que 15 % des actions, faisant de Gameloft une proie idéale pour un raider financier. Pour résister, les cinq frères ont depuis emprunté pour racheter des titres et se renforcer au capital. Mais la démarche s’est avérée insuffisante pour résister au prédateur. Le 22 mars, Michel Guillemot a présenté devant les investisseurs de nouvelles perspectives de croissance pour les années à venir. Objectif : convaincre les actionnaires de ne pas apporter leurs titres à l’OPA. Bien accueillies, ces annonces ont plutôt conforté les investisseurs dans l’idée que M. Bolloré finira par relever son offre, dans la mesure où « les objectifs 2018 sont prometteurs », indique une note de la banque Bryan Garnier & Co. Une plainte déposée Pour repousser l’assaut de Vivendi, Michel Guillemot continue d’agiter le chiffon rouge. Ainsi, le dirigeant alerte sur l’inquiétude des salariés et sur une fuite des partenaires de Gameloft, dans l’hypothèse où M. Bolloré réussirait à prendre le pouvoir. « Une prise de contrôle pourrait entraîner la fin de certains contrats de licences par certains partenaires, comme Disney », a expliqué la société à l’Autorité des marchés financiers. En parallèle, le dirigeant a déposé une plainte devant la Cour d’appel de Paris contre l’action menée par l’homme d’affaires breton. « Vivendi aurait dû lancer une OPA dès le 6 octobre, lors de l’annonce de son entrée au capital. Les actionnaires qui ont vendu leurs titres à ce moment-là n’ont pas pu profiter de l’offre et ont perdu entre 60 et 80 millions d’euros », explique Michel Guillemot, qui se désole du départ d’importants actionnaires. En attendant, le fondateur de l’entreprise s’est félicité du soutien public apporté par Axelle Lemaire. « L’indépendance [de Gameloft et d’Ubisoft] doit à tout prix être préservée », a déclaré la secrétaire d’Etat au numérique à Challenges. En visant Gameloft, Vincent Bolloré a visiblement une autre cible en tête : Ubisoft, grande sœur de l’éditeur de jeux mobiles, également fondée par les frères Guillemot, dont Vivendi a aussi acquis 15 % du capital. Par rapport à Gameloft, qui pèse 617 millions d’euros en Bourse, Ubisoft, valorisée 3 milliards d’euros, est une proie plus importante. Pour le moment, M. Bolloré n’a pas lancé d’OPA. Les experts croient plutôt à une opération « amicale ». Mais, à ce jour, une réconciliation entre des frères farouchement attachés à leur indépendance et un prédateur habitué à installer des proches aux commandes de ses entreprises paraît hors d’atteinte. p sa. c. idées | 7 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 LETTRE DE WALL STREET | par st ép hane l auer Finalement, il y a une vie après la finance B on courage. » Ce sont les seules paroles dont Erin Callan se souvient avant son entrée dans l’arène. De faux encouragements avant la mise à mort. Une formule toute faite qu’elle entend, mais qu’elle n’écoute pas, tellement elle est en décalage avec la situation qui l’attend. Nous sommes le 18 mars, il y a tout juste huit ans. Quelques mois auparavant, Mme Callan vient d’être propulsée directrice financière de la banque d’affaires Lehman Brothers. La veille, le 17 mars, l’un de ses principaux concurrents, Bear Stearns, au bord de la faillite, vient d’être racheté pour une poignée de dollars par JPMorgan Chase. Alors que les rumeurs sur l’exposition de Lehman à l’effondrement des subprimes s’intensifient, la frêle jeune femme doit présenter les résultats de la banque au cours d’une conférence téléphonique. Seule, elle s’apprête à affronter le scepticisme des investisseurs, avec, pour tout soutien, quelques arguments préparés par les juristes du groupe et ce « bon courage » de son patron, Dick Fuld. Comme elle aurait aimé, à l’époque, pouvoir répondre à la supplique de son petit ami, un pompier de New York, qui lui avait demandé si, la veille, elle pourrait venir le voir défiler en uniforme sur la Ve Avenue, à l’occasion de la parade de la Saint-Patrick, la dernière fois, sans doute, avant qu’il ne prenne sa retraite. « C’était proprement impossible, mais il n’en avait pas la moindre idée », écrit Mme Callan, dans un livre qui vient de paraître, Full Circle : A Memoir of Leaning in Too Far and the Journey Back (Triple M Press, 224 p., publié à compte d’auteur, 24,99 dollars). Car, une fois encore, le devoir l’appelait. Mais, pour elle aussi, ce serait l’une des dernières fois. « J’AI CONFONDU SUCCÈS ET PASSION » La suite, on la connaît. L’exercice d’équilibriste qu’on lui demandait ne visait qu’à gagner du temps avant que le château de cartes s’écroule. A elle le mauvais rôle d’être soupçonnée d’avoir travesti la situation réelle de la banque. « Au cours de tous les litiges et les enquêtes dans lesquels j’ai été impliquée lors des quatre dernières années, j’ai entendu dire que Dick [Fuld] et Joe [Gregory, le directeur d’exploitation de Lehman] ont tous deux laissé entendre qu’ils ne se souvenaient pas d’avoir lu le discours des résultats avant la conférence, ni même de l’avoir vraiment écouté », raconte Mme Callan. Elle a dû attendre plus de six ans pour que M. Fuld décroche enfin son téléphone afin de s’excuser de sa lâcheté, de l’avoir laissée seule affronter l’adversité, et lui dire que ce qui était arrivé en 2008 n’était pas de sa faute. C’est « tout ce que je voulais entendre depuis de si nombreuses années », soupire-t-elle. HISTOIRE Le « chômeur », une catégorie née au XIXe siècle par pierre-cyrille hautcœur A la fin du XIXe siècle, une longue stagnation économique touche l’Europe de l’Ouest en raison d’une série de crises financières et du développement agricole et minier des pays émergents de l’époque, les Etats-Unis et certains pays d’Amérique du Sud. Les contemporains constatent la multiplication et l’allongement des périodes de chômage de travailleurs licenciés par les grandes entreprises industrielles, mais aussi d’artisans ou de travailleurs à domicile, alors plus nombreux que les premiers dans les rangs des actifs, ou encore de paysans ruinés qui ont émigré en ville. Le paradoxe de voir des travailleurs qualifiés, désireux de travailler mais dans l’incapacité de trouver une activité ou un emploi, n’est pas accepté sans réticences par la société. Le sociologue et historien Christian Topalov (Ecole des hautes études en sciences sociales) a décrit en détail comment le chômage au sens moderne est alors inventé comme une réalité résultant d’abord de la conjoncture, mais indépendante des caractéristiques des individus et de leur moralité, à l’encontre de l’interprétation spontanée des patrons comme des économistes d’alors (Naissance du chômeur, 1880-1910, Albin Michel, 1994). Cette invention, qui a lieu simultanément dans tous les grands pays industriels, va déboucher sur une définition et une mesure statistique (elle apparaît en France en 1896) qui vont peu à peu faire du chômage un objet politique et de science. Au lendemain de la Grande Guerre, la création du Bureau international du travail est l’aboutissement des efforts d’une nébuleuse réformiste disséminée dans toute l’Europe, permettant l’harmonisation des concepts et des mesures. Des années 1930 aux années 1960, le concept de chômage est au centre de l’édification de la macroéconomie comme science économique, reliant les agrégats statistiques sans ¶ Pierre-Cyrille Hautcœur est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales recourir aux justifications par les comportements individuels. L’existence même du chômage est donc, autant que de la diffusion du salariat, le résultat d’efforts théoriques et empiriques de générations de sociologues, d’économistes, de statisticiens, mais aussi de juristes et d’hommes politiques. Depuis les années 1980, la tendance à la généralisation du salariat durable et à temps complet – qui semblait jusque-là inéluctable – est remise en question avec la multiplication de nouvelles formes d’emploi et de travail. Dans le même temps, le principe de la macroéconomie est contesté au nom d’arguments épistémologiques, selon lesquels une meilleure exploitation des bases de données individuelles permet d’expliquer les agrégats par la compréhension des logiques individuelles. Les progrès des méthodes d’observation et d’analyse de données font espérer, notamment avec la révolution du big data, que l’on puisse individualiser les diagnostics et les solutions, ce qui n’est pas sans lancer un défi aux manières de faire du législateur comme du régulateur. VAIN AFFRONTEMENT Mais, curieusement, la plupart des microéconomistes qui analysent aujourd’hui le marché du travail appliquent des catégories proches de celles de leurs ancêtres du XIXe siècle (offre et demande de travail, incitation ou désincitation à l’emploi, prix et productivité), sans envisager les transformations structurelles qui résultent de la montée des qualifications, des transformations des modes de vie et des aspirations des individus. Tant que l’économie ne parviendra pas à s’allier à l’anthropologie, à la psychologie et à la sociologie, elle ne pourra pas construire des typologies de comportements pertinentes pour la décision, publique comme privée. Elle laisse ainsi la place au vain affrontement entre microéconomistes, aux outils conceptuels datés, négligeant les externalités et les effets de composition, et macroéconomistes, dont les outils sont de moins en moins efficaces face à un monde en transformation rapide. Le chômage n’existera plus quand cet affrontement aura été remplacé par une nouvelle conception du travail, que des signes préliminaires annoncent enfin. Il est temps, car nos contemporains supportent de moins en moins l’absence de sens sur ce qui constitue toujours le centre de leur vie. p Mais le but de son livre ne consiste pas seulement à montrer les coulisses de la crise financière. Il s’agit surtout d’un ouvrage où l’auteure se livre à une introspection sur son erreur d’avoir fait passer sa carrière avant sa vie privée, quel qu’en soit le prix. De ce point de vue, Full Circle est quelque part un contrepoint au livre de Sheryl Sandberg, la numéro deux de Facebook, En avant toutes (Editions JC Lattès, 2013), sorte de vade-mecum pour les femmes qui veulent mener à bien une carrière sans renier leur épanouissement personnel, les encourageant à prendre confiance en elles et à prendre des risques. Mme Callan, elle, met en garde justement contre l’excès de confiance et la prise de risques systématique. Sa parole est d’or. Car, après avoir tout donné pour sa carrière, plus dure a été la chute. Après avoir démissionné en juin 2008, trois mois avant la faillite de Lehman, Mme Callan avait fait une tentative de suicide à la veille du Noël suivant. Elle ne devra la vie qu’à son pompier. Depuis, ils se sont mariés (d’où son nouveau nom, Callan Montella), et ils ont eu une petite fille. Sur la photo de la couverture du livre, elle la porte comme un trophée, en l’embrassant avec l’océan en toile de fond. Une image de bonheur comme les publicitaires en fabriquent à la pelle, loin de la grisaille des buildings de Wall Street. De sa descente aux enfers, elle a tiré des leçons. D’abord, ne pas faire quelque chose sous prétexte qu’on est doué pour cela. « J’ai confondu succès et passion », avoue-t-elle, regrettant de s’être dévouée corps et âme pour une carrière qui a fini par tout balayer sur son passage. Sa vie privée comme sa propre identité. Celle-ci s’est diluée dans une ambition sans bornes au point de perdre de vue le sens de sa quête existentielle. C’est la deuxième leçon : foncer peut avoir des vertus, à condition de savoir où l’on va. Enfin, toujours garder le contrôle, ne pas se laisser griser par la réussite. Alors qu’elle ne cessait de monter dans la hiérarchie, elle se sentait de plus en plus vulnérable. Son éviction puis le divorce de son premier mari sont là pour illustrer ce paradoxe. Cela ne consolera pas les millions de victimes de la crise, mais Mme Callan n’a touché aucun chèque de départ. Elle est même passée à deux doigts de la faillite personnelle pour régler ses frais d’avocat. Quant à son livre, il est publié à compte d’auteur. Elle explique qu’avoir donné enfin un sens à sa vie est sa plus belle récompense. Une prise de conscience bien tardive, après avoir participé à un système qui a contribué à broyer des millions d’autres vies. p [email protected] L’EX-DIRECTRICE FINANCIÈRE DE LEHMAN BROTHERS REGRETTE DE S’ÊTRE DÉVOUÉE CORPS ET ÂME POUR UNE CARRIÈRE QUI A BALAYÉ SA VIE PRIVÉE COMME SON IDENTITÉ L’Etat doit combattre la fraude digitale Les technologies numériques facilitent l’explosion des faux documents et des usurpations d’identité. L’administration et la justice doivent s’y adapter par jean-françois doucede et olivier goy I l ne fait plus tellement de doute que notre quotidien, notamment financier, est en train de basculer vers une expérience 100 % digitale. L’ouverture de comptes bancaires, la souscription d’assurances, le virement d’argent et même la réalisation de prêts en ligne deviennent des pratiques courantes pour de plus en plus de particuliers et, surtout, d’entreprises. Des obligations importantes et légitimes reposent sur les opérateurs de ces services, qu’ils soient du « nouveau monde » numérique ou de l’ancien. Le KYC (Know Your Customer, « connaissez votre client ») et l’AML (Anti Money Laundering, « lutte contre le blanchiment d’argent ») sont des termes bien connus des banquiers et des assureurs. Dans leurs missions de vérification, les opérateurs du numérique s’appuient euxmêmes sur des sources de premier rang, comme les greffes des tribunaux de commerce, délégataires de la puissance publique de l’Etat, ou le Fichier bancaire des entreprises (Fiben) de la Banque de France. Ces sources sont d’autant plus importantes à l’heure où la fraude documentaire et la cybercriminalité explosent partout en France. Mais force est de constater qu’elles ne sont aujourd’hui plus suffisamment fiables, car dépassées par une fraude documentaire désormais démocratisée et même facilitée par la montée en puissance de l’informatique. Il n’a jamais été aussi simple de POUR ENREGISTRER LA CRÉATION D’UNE ENTREPRISE, LES FRAUDEURS ONT TOUT INTÉRÊT À UTILISER UN FAUX TITRE DE SÉJOUR, PUISQUE LEUR EXISTENCE NE PEUT ÊTRE VÉRIFIÉE produire sous Photoshop une fausse attestation, d’usurper un RIB ou de falsifier des comptes, voire une pièce d’identité, pour profiter des failles du système. Vous n’êtes pas convaincus ? Voici deux exemples édifiants… Lors des créations de sociétés par action (SA et SAS par exemple), une attestation de dépôt des fonds est obligatoirement fournie au greffe du tribunal de commerce, mais sous un format non standardisé, propre à chaque banque. Le greffier a l’obligation d’en vérifier la réalité, mais n’a aucun moyen légal de s’interconnecter avec les comptes bancaires de l’entreprise en création : il juge sur la seule cohérence du document. C’est pourtant une information fondamentale – la réalité du capital social, gage des créanciers – qui fera qu’une entreprise frauduleuse sera d’autant plus crédible pour poursuivre son larcin. DÉVELOPPER LES INTERCONNEXIONS De même, l’enregistrement de la création d’une entreprise repose sur la vérification de l’identité des dirigeants. Ce contrôle est effectué par le greffier du tribunal de commerce, qui vérifie le casier judiciaire puis l’état civil des personnes fournissant un passeport français. Mais aucune vérification n’est possible pour tous les résidents européens ou les personnes disposant d’un titre de séjour n’ayant pas commis de délits sur le territoire français. Dans certains départements, 30 % des créations d’entreprise sont le fait de dirigeants non nationaux. Les greffes des tribunaux de commerce n’ont aucun moyen légal de s’interconnecter, par exemple, avec l’état civil allemand, ou de vérifier que le titre de séjour français a bien été délivré par l’Etat. Or, fournir une copie certifiée conforme d’un vrai passeport français appartenant à une vraie personne ayant un casier judiciaire vierge n’est pas compliqué. Ces failles sont bien connues des fraudeurs, qui ont tout intérêt à utiliser un faux titre de séjour, puisque leur existence ne peut être vérifiée. Il existe pourtant des solutions. L’Etat pourrait mettre en place des flux électroniques entre les banques et les greffes des tribunaux de commerce afin de vérifier la réalité des comptes bancaires ouverts au nom des entreprises (dans sa déclaration au Registre du commerce et des sociétés, le chef d’entreprise n’indiquerait que le nom de la banque et son numéro de compte). De même, le ministère de l’intérieur a mis en place depuis 1993 un fichier, l’Agdref, qui recense les titres de séjour : il suffirait d’autoriser les greffes des tribunaux de commerce à s’interfacer avec cet outil pour s’assurer de la réalité des titres présentés lors de la création d’une entreprise. Par ailleurs, on pourrait imaginer que le greffier puisse, par interrogation en appel vidéo, s’assurer que la personne présentant des pièces d’identité françaises ou étrangères en est bien l’utilisateur final. Cette mesure permettrait de proposer une identité du dirigeant certifiée par le greffier et, ainsi, de faire chuter drastiquement les usurpations d’identité. Plus généralement, dans un monde digitalisé, les documents papiers (ou scannés) n’ont plus de raison d’être. Les tuyaux doivent s’interconnecter directement sans laisser l’occasion aux fraudeurs de s’interposer. La réponse actuelle à la fraude est trop souvent d’exiger plus de contrôles, alors qu’il faut au contraire des contrôles plus efficaces. Effectuer des KYC dès le premier euro de transaction ou faire des dénonciations à Tracfin dès qu’un virement est réalisé vers une destination suspecte n’a jamais fait baisser le niveau de la fraude − cela sert uniquement à cacher les vrais fraudeurs dans une meule de foin. Il devient urgent de recenser toutes les failles du système et de les combler au plus vite. C’est même la condition indispensable pour créer des échanges en confiance entre les acteurs économiques. C’est aussi un moyen simple pour récupérer les quelques milliards d’euros que l’Etat se fait voler chaque année (fraude à la TVA, fraude aux subventions et aux aides publiques…) par une myriade de sociétés fictives, qui ne savent que trop bien exploiter les failles d’un système hérité de l’ère prédigitale. Nous en appelons à l’Etat pour se saisir dans les meilleurs délais du sujet, en recensant, avec l’aide des professionnels, les lacunes existantes et en apportant des réponses parfois simples, dont le retour sur investissement serait spectaculaire. p ¶ Jean-François Doucede est greffier associé du tribunal de commerce de Bobigny. Olivier Goy est fondateur de Lendix et trésorier de France Fintech. 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 MERCREDI 30 MARS 2016 Al-Jazira dans l’étau politique et budgétaire Le groupe audiovisuel, propriété du Qatar, va supprimer 20 % de ses effectifs beyrouth - correspondant L a fête est finie dans l’empire audiovisuel qatari. Vingt après son décollage foudroyant, le réseau AlJazira, devenu l’une des marques les plus en vue du paysage médiatique international, fait face à des difficultés croissantes, qui l’obligent à réduire la voilure. Dans un communiqué diffusé dimanche 27 mars, le groupe, qui est la propriété de l’émirat du Qatar, a annoncé le licenciement de 500 employés à travers le monde, dont une majorité à Doha, où se trouve son siège. La plupart de ces départs concernent des techniciens et des personnels administratifs, mais les entités du réseau qui seront touchées ne sont pas connues. A la chaîne d’information en arabe, fondée en novembre 1996 par l’ancien émir, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani, se sont ajoutées, au fil des années, plusieurs déclinaisons, en anglais (Al-Jazira English), turc (Al-Jazira Türk) et serbo-croate (Al-Jazira Balkans), ainsi qu’un canal dédié à la couverture en direct des événements du monde arabe (Al-Jazira Moubasher). Une stratégie d’internationalisation qui a subi un violent coup d’arrêt, avec le récent naufrage d’Al-Jazira America. La voix du groupe aux Etats-Unis, lancée en fanfare en 2013 pour pallier le refus des opérateurs de câble et de satellite américains d’intégrer Al-Jazira English dans leur offre, cessera d’émettre fin avril, faute d’avoir su trouver son public. Ses sept cents employés seront également congédiés, ce qui portera la réduction d’effectifs au sein du groupe à 1 200 personnes sur un total de 5 200, soit 20 % du personnel. La hiérarchie d’Al-Jazira est restée silencieuse sur les causes profondes de cette cure d’amaigrissement sans précédent. Le directeur général par intérim, Moustafa Saouag, s’est contenté d’affirmer que ces mesures étaient destinées à « optimiser » la productivité et « faire évoluer le travail [de la chaîne] afin qu’elle conserve une position de leader ». Mais il ne fait aucun doute que cet accès d’austérité est lié à l’effondrement du cours des hydrocarbures, qui frappe de plein fouet les pétromonarchies du golfe Arabo-Persique. Des milliers d’emplois ont été supprimés ces vingt derniers mois à Qatar Petroleum, le bras pétrolier de l’émirat, le résultat d’un plan de restructuration, préparé de longue date mais accéléré par la dégringolade des prix du brut, qui a perdu 70 % de sa valeur depuis l’été 2014. Le Qatar prévoit un déficit budgétaire de plus 12 milliards de dollars en 2016 (10,71 milliards d’euros), le premier en quinze ans. Signe de ce retournement de tendance, Doha a dû emprunter auprès de banques japonaises pour s’acquitter, en décembre, de la première tranche du contrat d’achat de 24 avions Rafale, signé en mai 2015 avec la France. Réalignement de Doha Ces derniers mois, d’autres organismes publics, comme le centre médical Hamad, le principal hôpital de Doha, et le Musée d’art islamique, fierté de l’émirat, ont fait état de coupes budgétaires. Même l’industrie gazière, la locomotive du développement qatari, est touchée. Pour beaucoup d’observateurs, les restrictions budgétaires qui pèsent sur Al-Jazira ont un parfum aussi politique. Le cheikh Tamim a mis en sourdine la politique extérieure tapageuse mise en place par son père et dont Al-Jazira était la caisse de résonance. Le réseau paye le prix de la désillusion causée par l’échec des révolutions arabes Un interventionnisme débridé, favorable aux Frères musulmans, qui a culminé durant les « printemps arabes » et généré de nombreux accès de tension entre Doha et ses voisins, notamment l’Arabie saoudite. Le choc que constitua le renversement du président égyptien Mohamed Morsi, issu de la confrérie, en juillet 2013, quelques jours après l’arrivée au pouvoir du nouvel émir, a servi de catalyseur à un recentrage du pays sur les questions intérieures. « Al-Jazira n’est plus la priorité du Qatar. Le grand projet de l’émir, actuellement, c’est la réfection de la corniche de Doha », confie un ancien de la chaîne sur un ton narquois. « Cheikh Tamim ne veut pas être aspiré par les conflits de la région, estime un ex-diplomate cité par l’agence Reuters. La nouvelle approche est moins bruyante, plus prudente. » Ce profil bas, marqué par un réalignement de Doha sur les positions saoudiennes, s’est accompagné d’une chute de l’image d’Al-Jazira. Le réseau paye le prix du désenchantement causé par l’échec des révolutions arabes dont il avait été le porte-drapeau. Le sentiment que l’âge d’or est révolu domine au sein des rédactions. « Il y a cinq ou six ans, les gens faisaient la queue pour rentrer à Al-Jazira, témoigne un journaliste qui a récemment démissionné. Aujourd’hui, plus personne ne veut y aller et ceux qui partent ne sont pas remplacés. C’est la fin d’une époque. » p benjamin barthe WEB Yahoo! espère des offres de rachat rapides Le groupe Internet américain a informé les candidats potentiels au rachat de certains de ses actifs qu’ils avaient jusqu’au 11 avril pour présenter leurs offres préliminaires, a affirmé le Wall Street Journal, lundi 28 mars. Yahoo! demande aux candidats de détailler les actifs qui les intéresseraient, la manière dont ils financeraient l’opération et les conditions qui y seraient attachées. Le site a mis en place un comité indépendant pour évaluer les meilleures options. – (AFP.) I N FOR MAT I QU E Dell vend trois filiales de services pour 3 milliards de dollars Le japonais NTT Data a annoncé, lundi 28 mars, le rachat pour 3 milliards de dollars (2,68 milliards d’euros) des sociétés Dell Systems Corporations, Dell Technology & Solutions Limited et Dell Services. Ces entités sont essentiellement implantées aux Etats-Unis, ce qui devrait permettre à NTT d’élargir sa clientèle hors du Japon. – (AFP.) Le FBI abandonne ses poursuites contre Apple L’agence annonce avoir déverrouillé l’iPhone de l’un des terroristes de San Bernardino C’ est un coup dur pour la firme à la pomme. Le FBI a annoncé, lundi 28 mars, avoir réussi à débloquer l’iPhone d’un des auteurs de l’attentat de San Bernardino (Californie), sans avoir eu recours à l’aide d’Apple. Dans un document transmis à la justice par les autorités américaines, le FBI précise avoir « accédé avec succès aux données stockées sur l’iPhone de [Syed] Farook et n’a donc plus besoin de l’assistance d’Apple ». Cet épilogue met fin au feuilleton qui oppose la firme à la pomme au gouvernement américain depuis le 16 février. Conséquence de ce rebondissement : l’injonction judiciaire à l’encontre d’Apple est annulée. « Notre décision de mettre fin à la procédure est basée seulement sur le fait qu’avec l’assistance récente d’un tiers nous sommes maintenant capables de débloquer cet iPhone sans compromettre les informations dans le téléphone », a précisé la procureure fédérale du centre de la Californie, Eileen Decker, dans un communiqué. Depuis mi-février, la marque à la pomme était au cœur d’une violente polémique, car elle refusait de se plier aux injonctions du FBI. L’agence fédérale américaine l’exhortait à lui fournir un logiciel permettant de contourner les protections dont sont dotés les iPhone pour déverrouiller un téléphone chiffré ayant appartenu à l’un des terroristes présumés de l’attentat de San Bernardino, qui avait fait 14 morts le 2 décembre 2015. La firme de Cupertino se refusait à satisfaire cette demande, arguant que celle-ci allait « au-delà de l’affaire concernée » et risquait de créer un précédent dangereux pour garantir la sécurité des données privées de ses clients. Le PDG d’Apple, Tim Cook, s’était même autorisé à commenter ce duel judiciaire, lundi 21 mars, lors de la keynote de présentation du nouvel iPhone SE. « L’iPhone est un objet extrêmement personnel. C’est une extension de nous-mêmes. Nous avons une responsabilité envers nos utilisateurs et envers notre pays. Nous ne la fuirons pas », avait-il précisé. Apple avait notamment reçu le soutien d’autres géants du secteur, à l’instar de Google ou Facebook. Un débat ouvert en France Le FBI se sera finalement passé de son aide. « Dès le début, nous nous sommes opposés à la demande du FBI (…) parce que nous pensions que c’était mal et que cela aurait constitué un dangereux précédent. Ce procès n’aurait jamais dû être intenté », a déclaré Apple dans un communiqué lundi soir. Si le déblocage de l’iPhone, qui met en avant une faille, pourrait lui nuire, Apple garde la satisfaction d’être resté ferme sur ses positions. Le mystère qui entoure le déblocage du smartphone par le FBI reste, lui, entier. Le 21 mars, l’agence fédérale américaine avait indiqué qu’une « tierce partie » avait fait aux enquêteurs la démonstration d’une « autre méthode pour déverrouiller l’iPhone ». Le nom d’une entreprise israélienne, Cellebrite, spécialisée dans l’extraction de données sur mobiles, comme possible partenaire du FBI pour hacker l’iPhone, avait été évoqué par la presse, sans qu’il y ait confirmation. En France, le débat sur la protection des données privées est également ouvert. Dans le cadre du projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme, l’Assemblée nationale a adopté en mars un amendement du député Philippe Goujon (LR) contraignant les fabricants de téléphone à déchiffrer leurs appareils sur demande de la justice et punissant de cinq ans de prison et 350 000 euros d’amende ceux qui s’y refuseraient. Le Sénat devrait l’examiner cette semaine. p zeliha chaffin CETTE SEMAINE LA FORMATION CONTINUE EN GRANDE MUTATION P Un changement radical de modèle économique dans les établissements P Les universités et écoles de Strasbourg, Aix-Marseille et Toulouse innovent P Portrait : Christopher Cripps, chercheur de partenariats à Paris Sciences et lettres Dans « Le Monde » du mercredi 30 daté jeudi 31 mars CHAQUE MERCREDI, LES ÉTUDIANTS ONT RENDEZ-VOUS DANS « LE MONDE » Retrouvez aussi toute l’actualité lycéenne et étudiante sur Lemonde.fr/campus ARCHÉOLOGIE PORTRAIT ÉTHOLOGIE UN TEEN-AGER DU XVIIE SIÈCLE « RÉINCARNÉ » NEIL TUROK, COSMOLOGISTE DANS LA GALAXIE AFRICAINE QUAND LES POULES N’ONT PAS LES CROCS PAGE 2 PAGE 7 PAGE 3 Les géants du Sud face au défi de l’accès aux médicaments Brésiliens, Sud-Africains et Indiens ne bénéficient pas toujours des traitements disponibles, protégés par des brevets. Pourtant, ces pays émergents disposent de leurs propres capacités pharmaceutiques, certains sont même champions des génériques. Enquête sur trois continents. PAGES 4-5 LUDOVIC ALUSSI POUR « LE MONDE » Généalogie de la matière A carte blanche Roland Lehoucq Astrophysicien, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (PHOTO: MARC CHAUMEIL) u cours du XXe siècle, les scientifiques ont compris que les atomes constitutifs de la matière qui nous entoure n’ont pas toujours été présents. Il y a 13,8 milliards d’années, l’Univers ne contenait qu’un mélange de lumière et de particules élémentaires, notamment des protons et des neutrons, briques de base des noyaux atomiques. Sous l’effet de l’expansion de l’Univers, ce mélange s’est dilué et refroidi, autorisant la formation des premiers noyaux. Cette nucléosynthèse primordiale cesse en quelques minutes et ne produit que les noyaux les plus légers, hydrogène et hélium majoritairement, mais aussi deutérium et lithium. Pour construire des noyaux plus lourds (c’est-à-dire ayant un plus grand nombre de protons et neutrons), il faut attendre l’apparition des premières étoiles, quelques centaines de millions d’années plus tard. Les réactions thermonucléaires qui se déroulent dans leur cœur dense et chaud assemblent deux noyaux légers en un noyau plus lourd. Cette nucléosynthèse stellaire forme une grande partie des noyaux moins lourds que le fer, dont le carbone et l’oxygène, indispensables Cahier du « Monde » No 22147 daté Mercredi 30 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément à la vie sur Terre. Ces réactions produisent aussi l’énergie qui permet aux étoiles de briller durablement. Mais pour que les noyaux formés au cœur des étoiles modifient la composition cosmique pour aboutir à celle que nous constatons aujourd’hui, encore faut-il qu’ils se répandent dans le milieu interstellaire. Cela ne se produit que pour les étoiles les plus massives, dont la masse est à peu près dix fois supérieure à celle du Soleil, qui finissent leur évolution en une formidable explosion, une supernova. Cette explosion provoque une autre forme de nucléosynthèse qui produit la plupart des noyaux plus lourds que le fer. C’est l’ensemble de ces processus qui explique la démographie nucléaire que nous observons dans l’Univers. Pour se familiariser avec ces processus, deux informaticiens ont créé Fe[26] (http://dimit.me/Fe26/), dont le mécanisme, inspiré du fameux jeu 2048, permet de jouer avec le Lego nucléaire qui aboutit à la formation d’atomes de fer ! On a longtemps cru que les supernovae offraient, au moment de leur explosion, les bonnes conditions pour former les noyaux plus lourds que le fer lorsque les noyaux produit par la nucléosynthèse stellaire sont exposés à un flux intense de neutrons. Mais des modèles développés ces dix dernières années suggèrent que les éléments les plus lourds, comme l’or ou le plomb, ont une formation plus subtile qui résulte de l’évolution catastrophique d’un système de deux étoiles à neutrons. Chacune de ces étoiles est le fruit de l’effondrement du cœur de fer d’une étoile massive juste avant son explosion en supernova. Quand deux étoiles à neutrons forment un système binaire, elles se rapprochent graduellement l’une de l’autre par émission d’ondes gravitationnelles. La coalescence qui en résulte émet une bouffée d’ondes gravitationnelles comme celle récemment détectée par LIGO. Elle provoque aussi une nucléosynthèse explosive très efficace pour former tous les noyaux plus lourds que le fer. Elle se traduit enfin par la formation d’un trou noir et l’émission d’une intense bouffée de lumière de très haute énergie appelée « sursaut gamma », si puissante qu’on peut l’observer jusqu’aux confins de l’Univers. Ces flashs de rayons gamma observés par centaines chaque année nous rappellent que de l’or se fabrique aussi dans les galaxies les plus lointaines. p 2| 0123 Mercredi 30 mars 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É Un ado de l’an 1636 à visage découvert | Mort de la peste au XVIIe siècle, un jeune noble Anglais reprend forme humaine, trente ans après la découverte de sa dépouille dans un sarcophage à Saint-Maurice (Val-de-Marne) archéologie francis gouge L e 2 septembre 1986, des ouvriers travaillant dans le sous-sol du conservatoire de musique de Saint-Maurice découvraient fortuitement un cercueil de plomb parfaitement conservé. Alerté, Philippe Andrieux, directeur du service départemental d’archéologie du Val-de-Marne, aujourd’hui retraité, lançait une fouille de sauvetage afin de dégager ce sarcophage anthropomorphe sur lequel une plaque de métal cuivré avait été clouée. Une épitaphe en latin y était inscrite, où on pouvait lire notamment : « Dans ce cercueil repose (…) Thomas Craven, très noble jeune Anglais (…). Les ministres de l’Eglise réformée de Paris ont voulu par une faveur exceptionnelle que, en souvenir de sa piété, son cercueil fût placé dans ce temple (…). Il est mort à 18 ans et quelques mois, à Paris, à l’académie de M. de Benjamin, le vingtième jour du mois de novembre de l’an 1636. » Les archéologues n’imaginaient pas qu’ils allaient vivre une si longue aventure scientifique qui allait permettre de faire diverses découvertes et aussi de soulever des questions dont certaines, aujourd’hui encore, demeurent sans réponse. « Pourquoi un jeune noble anglais, protestant de surcroît, est-il venu étudier à Paris la catholique, probablement à la Sorbonne, alors qu’il existait dans son pays des universités tout aussi prestigieuses comme Oxford ou Cambridge ? », s’interrogent-ils. Entièrement enveloppé dans un tissu maintenu par une cordelette, le corps de Thomas Craven est d’abord transporté à la morgue de Valenton, dans le Val-de-Marne, où il est conservé à 4 °C. Par ailleurs, l’épitaphe étant peu explicite sur sa vie et encore moins sur les causes de son décès, des recherches archivistiques sont lancées. Elles ne fournissent que l’ascendant du défunt, mais on découvre alors que son père était lord-maire de Londres. Pendant trente ans, la dépouille fait l’objet d’une succession d’analyses (anatomo-pathologiques, scanographiques, tomographiques et paléopathologiques). Dans les années 1990 elle Aujourd’hui, tout corps découvert lors de fouilles dont l’état civil est connu peut être réinhumé est entièrement scannée. Il apparaît que sa boîte crânienne a été découpée « comme cela se pratiquait au Moyen Age lors d’autopsies », précise l’archéologue Djillali Hadjouis, qui a coordonné les recherches. Tout son corps, de la tête aux pieds, était rempli d’une bourre confondue avec de la terre. « Alors qu’au commencement de nos investigations, note-t-il, on pensait que la pratique de l’embaumement de Thomas Craven était simple et modeste, on a constaté qu’elle était d’une grande qualité. » Il s’est avéré, entre Après trois mois de travail, le jeune Thomas Craven tel qu’il devait être il y a trois cent quatre-vingts ans. 2015-PHILIPPE FROESCH VISUALFORENSIC UFR/UVSQ autres, que la bourre était composée d’un mélange sophistiqué de diverses plantes où dominent l’armoise absinthe et la marjolaine. L’étude de ses os révélait que, ses épiphyses – l’extrémité des os longs – n’étant pas soudées, il ne pouvait pas avoir « 18 ans et quelques mois », mais tout au plus 16 ou 17 ans. Pourquoi alors avoir mentionné un âge erroné ? Restait à déterminer la cause du décès. En 19951996, les analyses du squelette n’ayant révélé aucune affection particulière, de très forts soupçons se portèrent sur Yersinia pestis, le bacille de la peste. En effet, l’Europe connut pendant tout le XVIIe siècle des épidémies de peste, ce qui faisait du bacille un coupable possible. Mais ce tueur ne laissant pas de traces sur les os, la preuve de son crime ne peut être décelée que dans la pulpe dentaire. Or, dans les années 1990, ce type d’analyse biomoléculaire n’était pas encore mis en œuvre, ce qui explique le premier échec. En 2005, l’Institut de recherches archéologiques préventives (Inrap), lors de fouilles menées à Saint-Maurice en collaboration avec le laboratoire départemental d’archéologie, retrouve l’emplacement du fameux temple huguenot dit « de Charenton » (les deux villes ne formaient autrefois qu’une seule commune), qui était à l’époque le plus grand du royaume, ainsi que les traces d’un important cimetière protestant du XVIIe siècle. Le protocole de recherche, qui prend l’ADN en compte, ayant été mis au point par une équipe de la faculté de médecine de Marseille, des prélèvements sont effectués de façon aléatoire sur six des 163 corps découverts sur le site, et deux dents sont prélevées sur le squelette de Thomas Craven pour être étudiées. Résultat : pour trois des six individus, la peste est certaine, elle est probable pour un quatrième. Pour ce qui concerne Thomas Craven, son décès est bien dû à Yersinia pestis. Selon Djillali Hadjouis, « nous pouvons considérer qu’il représente le premier individu pestiféré identifié par les combinaisons de données anthropologiques, historiques et paléomicrobiologiques ». Réincarnation, mode d’emploi Pour reconstituer le visage de Thomas Craven, le plasticien Philippe Froesch s’est appuyé sur des méthodes médico-légales créées par des services de police : « Grâce à des équations complexes, on retrouve la structure du nez, la position des yeux, celle des commissures des lèvres… » Les rapports d’odontologie, la formation des mâchoires permettent de redessiner la bouche. Avec la hauteur de l’émail des incisives on recalcule l’épaisseur des lèvres. Le volume maximum des chairs est obtenu en disposant une trentaine de petits cylindres sur le visage. Pour la couleur des yeux, Philippe Froesch s’est appuyé sur des portraits de famille ; il peut être fait appel à des analyses d’ADN. Le brun des cheveux a été reconstitué à partir de ses sourcils et de poils pubiens. Pour les trente ans de la découverte du sarcophage du jeune Anglais, l’archéologue a demandé à Philippe Froesch, qui a déjà reconstitué en 3D les visages d’Agnès Sorel, d’Henri IV et de Robespierre, de restituer celui de Thomas Craven. Mâchoire aiguë, faciès légèrement asymétrique, lèvres charnues couronnées d’un léger duvet, nez cassé sur la partie supérieure, pommettes prononcées, cheveux longs, il apparaît, après trois mois de travail, tel qu’il devait être il y a trois cent quatre-vingts ans. Avec cette « réincarnation » s’achèvent trente années de recherches, mais l’aventure post mortem de l’adolescent anglais n’est pas terminée. En effet, aujourd’hui, tout corps découvert lors de fouilles dont l’état civil est connu peut, grâce à l’existence de textes légaux, être réinhumé. Dans le cas de Thomas Craven, les archives paroissiales ont certes brûlé lors de la destruction du temple en 1686, à la suite à la révocation de l’édit de Nantes. Mais son identité ayant pu être connue grâce à la plaque mortuaire, il pourra faire l’objet d’un nouvel enterrement. Compte tenu de la dégradation avancée de sa dépouille, Djillali Hadjouis et Bernard Poirier, chef du service départemental d’archéologie du Val-de-Marne, proposent de le réinhumer rapidement, tandis qu’une monographie complète sur son cas sera publiée dans les prochains mois. Ainsi un point final serat-il mis à une enquête scientifique qui aura duré trois décennies. p La fragilité, force insoupçonnée du noyau des cellules La surprenante rupture de l’enveloppe protectrice de l’ADN ouvre des perspectives inédites pour comprendre les maladies S i la tête passe, tout passe. Le dicton bien connu à propos du faufilement d’un chat à travers un trou de souris, est-il valable pour les cellules du corps humain ? Telle est la surprenante question étudiée par deux équipes et dont les réponses indépendantes publiées dans Science du 25 mars renversent des certitudes bien établies en biologie. C’est peu connu, mais les milliards de cellules qui constituent notre corps bougent sans cesse. Ces petits sacs mous de quelques dizaines de micromètres de diamètre contenant notamment nos chromosomes sont certes moins agiles qu’un chat mais elles se déplacent : les cellules de la peau pour former des tissus, les cellules immunitaires pour repérer et isoler des corps étrangers, les métastases qui attaquent d’autres organes… Toutes doivent se faufiler, à la vitesse de sénateur de quelques micromètres par minute, entre leurs consœurs et pour cela elles font montre de sacrées capacités de contorsionnistes, en passant par des trous vingt fois moins larges qu’elles. Problème, la « tête » de ces cellules est souvent plus grosse que ces trous. Par « tête », on entend le noyau de la cellule, un compartiment interne qui contient les chromosomes et qui est un vrai coffre-fort, protégé par une double membrane (alors que la cellule n’en a qu’une) assez rigide. Or, contrairement à ce que tout le monde pensait, cette forteresse est en fait très fragile. La double enveloppe peut se rompre sous l’effet du fort confinement mécanique et permettre à la cellule de mieux se déformer pour passer. C’est ce qu’a observé pour la première fois l’équipe de Jan Lammerding – université Cornell (Ithaca, New York) et Centre de génomique du cancer des Pays-Bas – ainsi que celle de Mathieu Piel – Institut Curie, université Pierre-et-Marie-Curie, CNRS et Inserm. Elles ont étudié respectivement des cellules cancéreuses et des cellules immunitaires passant à travers des conduits artificiels gravés dans du plastique. Elles ont constaté que des protéines présentes exclusivement dans le noyau se retrouvent dans toute la cellule. Et inversement que des molécules hors du noyau se collent à l’ADN. Cela n’avait jamais été vu, sauf dans la phase de division cellulaire (mitose). C’est pour le moins surprenant car « tout le monde aurait pensé que cela serait fatal à une cellule », souligne Jan Lammerding. En effet, l’enveloppe protège l’ADN des agressions « extérieures », notamment du système qui s’en prend, hors du noyau, à l’ADN de virus et qui pourrait se retourner contre les chromosomes. Nouveau concept En outre, la cellule fonctionne aussi grâce au contrôle des concentrations chimiques entre l’intérieur du noyau et son extérieur (le cytoplasme). Que l’enveloppe du noyau vienne à casser et tout cet équilibre s’effondre, menaçant a priori la cellule. Sauf que les chercheurs n’ont pas observé ces effets catastrophiques. Au contraire, ils ont constaté qu’au bout de quelques minutes l’enveloppe se répare ! « Se rendre compte que cette barrière entre le noyau et le cytoplasme est fragile et doit être constamment entretenue et réparée est tout à fait nouveau en biologie », se réjouit Mathieu Piel. « Etant donné le nombre de ruptures du noyau que nous observons, nous restons intrigués par la manière dont les cellules tolèrent ces dégâts », explique Jan Lammerding. De quoi ouvrir de nouvelles pistes de recherche autour d’un phénomène somme toute fréquent. Ces ruptures ne seraientelles pas impliquées dans des réponses inflammatoires, des maladies auto-immunes ou le vieillissement prématuré des cellules ? En effet, la mise en contact rapide du cytoplasme avec l’ADN peut conduire à de tels effets délétères en conduisant la cellule à surréagir ou à multiplier les atteintes aux chromosomes. Autre suggestion, « tuer les cellules qui migrent, c’est peut-être une bonne idée pour lutter contre le cancer », imagine Mathieu Piel en songeant aux cellules métastatiques. Il faudrait les cibler en bloquant leur système de réparation par exemple, tout en n’atteignant pas celui d’autres cellules saines comme les cellules immunitaires. Jan Lammerding a reçu un financement pour explorer cette nouvelle voie. Quoi qu’il en soit, la nature semble avoir trouvé un moyen de résoudre un dilemme. Si le noyau adoptait une structure souple, les cellules se faufileraient facilement mais les chromosomes seraient trop secoués et risqueraient des mutations. S’il était trop dur, l’ADN serait protégé mais le mouvement entravé. La solution ? Un noyau dur mais cassant, capable de se réparer. Le chat retombe sur ses pattes. p david larousserie AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Phobie alimentaire : les poules aussi | En élevage, les gallinacés boudent leur mangeoire lorsque leur alimentation change. Des chercheurs de l’INRA tentent de comprendre et corriger ce comportement éthologie nathalie picard D es épluchures, quelques graines, des vers et du pain dur : en matière de régime alimentaire, la poule domestique n’est pas bien difficile. D’ailleurs, de plus en plus de particuliers l’adoptent pour se débarrasser de leurs déchets. Mais, en élevage, l’alimentation des volailles est une tout autre histoire. Des granulés qui changent de forme ou de couleur, et les voilà qui rechignent à manger. De quel mal souffrent donc ces gallinacés ? « Elles ont peur des nouveaux aliments, indique Aline Bertin, éthologue spécialiste du comportement des oiseaux à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Nouzilly (Indre-et-Loire). C’est une réaction émotionnelle normale chez les animaux, il s’agit même d’un de leurs principaux traits de tempérament. » Dans la nature, la peur face à la nouveauté permet aux oiseaux de se protéger du danger et de s’adapter à leur environnement. Mais, en élevage, cet avantage adaptatif devient un inconvénient. Les volailles reçoivent un aliment complet, sous forme de granulés, qui évolue au fil de leur croissance. « Lorsque les granulés changent, les volailles les observent puis les touchent avec leur bec, décrit Isabelle Bouvarel, directrice scientifique de l’Institut technique de l’aviculture Dans la nature, la peur face à la nouveauté permet aux oiseaux de se protéger du danger et de s’adapter à leur environnement (Itavi). Elles les évaluent avant de les consommer. » Une période de transition qui peut causer une baisse, voire un arrêt complet de l’alimentation. En grève de la faim, les volailles sont perturbées : « Elles se mettent à piquer la litière ou leurs excréments, ce qui peut engendrer des risques sanitaires. » Face à ce fléau, l’éleveur, parfois, n’a d’autre solution que de changer d’aliment. C’est pourquoi l’Itavi et l’INRA de Nouzilly se sont penchés sur la 0123 Mercredi 30 mars 2016 |3 télescope Fraude scientifique Le chirurgien Paolo Macchiarini renvoyé par l’Institut Karolinska Pionnier des transplantations de trachées, le chirurgien italien Paolo Macchiarini a été démis de ses fonctions par l’Institut Karolinska de Stockholm le 23 mars. Le même jour, l’Académie royale des sciences de Suède publiait dans The Lancet une mise en garde contre une étude de l’équipe de Paolo Macchiarini parue en 2011 dans ce journal médical : les résultats présentés déformaient gravement le réel état de santé du patient, décédé depuis. Plusieurs membres de la direction de l’institut, qui avaient défendu le chirurgien vedette, ont déjà démissionné, tandis que les soupçons de fraude scientifique s’étendent à ses activités en Russie, plusieurs patients étant morts après ses interventions. Médecine Le toxoplasme, un parasite enrageant Des poules goûtent leur nouveau menu, quand d’autres font la grève de la faim : pourquoi ? OLIVIER CULMANN/TENDANCE FLOUE question. D’abord, en examinant à la loupe la nourriture donnée aux gallinacés. « Grâce à une technique d’analyse d’images, nous avons caractérisé la taille, la texture, la couleur et la dureté des aliments. Nous avons ensuite observé la réaction des volailles en faisant varier ces paramètres », explique la directrice scientifique. Résultat, c’est le changement dans l’aspect visuel des aliments qui perturbe le plus les volailles, et ensuite leur dureté. « Aujourd’hui, nous sensibilisons les fabricants afin qu’ils prennent en compte ces données dans la formulation et la fabrication des aliments. » Une seconde approche, complémentaire, consiste à étudier le comportement de l’animal. Pourquoi certaines poules arrivent-elles à dépasser leur peur et à goûter leur nouvelle nourriture, tandis que d’autres, de génome pourtant identique, s’obstinent dans le refus ? Un problème qu’Aline Bertin tente de résoudre. « Déjà, les études menées après l’éclosion montrent que diversifier l’environnement et l’alimentation du poussin dès sa naissance permettrait de limiter les comportements néophobes. » D’ailleurs, la néophobie pose surtout des difficultés dans les élevages où les animaux vivent dans un milieu peu diversifié. Et, dans ce type d’élevages, ces préconisations sont peu réalistes, estime la chercheuse. Dès lors, comment prévenir la néophobie avant même la naissance du poussin ? Quel rôle pourrait jouer l’environnement de la mère lors de la formation de l’œuf ? En plaçant les poules dans différentes conditions d’élevage, les chercheurs de l’INRA analysent l’impact sur les œufs et la descendance. « Prenons l’exemple d’une chaleur modérée. En élevant des poules à une température ambiante de 30 °C (en comparaison au standard de 21 °C), les œufs pondus et les jaunes sont plus légers, et les concentrations en hormones d’origine maternelle dans les jaunes plus élevées. Ces résultats sont typiques d’une réaction de stress maternel », analyse la chercheuse. Stress maternel dont l’équipe a aussi étudié l’effet sur la descendance. Après une heure sans manger, on propose aux poussins soit leur nourriture habituelle, soit un aliment inconnu. Dans le premier cas, ils se ruent vers la mangeoire et poussent des petits cris de plaisir : ils « tweetent ». Avec l’aliment inconnu, les poussins restent à distance. Ils poussent des cris d’appel stridents : des « trilles de peur ». Plus ils sont néophobes, plus ils crient, plus ils attendent avant de se décider à manger et moins ils y consacrent de temps. La chaleur induit des différences significatives : les cris d’appel sont moins fréquents chez les poussins issus de poules élevées à 30 °C. « Dans ce cas, les poussins semblent moins peureux. Mais l’inverse pourrait se produire dans d’autres conditions, note Aline Bertin. Les influences maternelles sont des processus complexes, et tout reste à découvrir. » L’équipe de chercheurs étudie justement un autre facteur de stress : la présence humaine. Car, malgré de multiples sélections et des siècles de domestication, la poule reste craintive vis-à-vis de l’homme. Cette fois-ci, des poules pondeuses sont élevées en deux lots. Dans le premier, des conditions standards, et, dans l’autre, des méthodes plus délicates : l’expérimentateur frappe à la porte avant d’entrer dans le poulailler, il s’y déplace lentement, accorde une attention particulière à chaque poule et les pèse chaque semaine avec précaution. L’objectif : analyser les conséquences de ce traitement de faveur sur la qualité des œufs, puis sur les poussins en termes de néophobie. Défenseuse des oiseaux, l’éthologue Aline Bertin espère aussi démontrer scientifiquement que la poule domestique est douée d’une « grande sensibilité ». p Les liaisons dangereuses entre la toxoplasmose – infection parasitaire transmise par les chats ou certains aliments – et les maladies psychiatriques se confirment. Selon une étude américaine auprès de 358 adultes, ceux qui présentent des troubles explosifs intermittents (forte impulsivité, avec colères, voire violence) ont beaucoup plus souvent des anticorps contre les toxoplasmes que les témoins sains : 22 % contre 9 %. Le taux était de 16 % chez les patients atteints de divers troubles psychiatriques. Des travaux précédents ont montré que la toxoplasmose est deux à trois fois plus fréquente chez les personnes atteintes de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de troubles obsessionnels compulsifs que dans la population générale. Une inflammation chronique au niveau cérébral pourrait être en cause, mais le lien de causalité reste à prouver. > Emil Coccaro, « Journal of Clinical Psychiatry », 23 mars. 10 Les personnes qui font peu ou pas d’exercice physique auront un déclin cognitif équivalent à dix années de vieillissement par rapport aux personnes qui pratiquent un exercice modéré à intense. C’est ce que montre une étude d’observation publiée dans 23 mars dans l’édition en ligne de Neurology, revue médicale de l’Académie américaine de neurologie. L’étude a porté sur 876 personnes de 65 ans de la cohorte « Manhattan Nord », qui ont déclaré combien de temps et de fois elles avaient fait une activité sportive au cours des deux précédentes semaines. Sept ans plus tard, puis cinq ans après, des tests de mémoire et cognitifs et une IRM du cerveau ont été effectués. La jeune Lune a-t-elle roulé sur son axe ? Des chercheurs affirment que notre satellite a basculé il y a 3,5 milliards d’années C’ est une bizarrerie des pôles Nord et Sud de la Lune. Un paradoxe des terres sélénites boréales et australes. Alors que ces régions sont les plus froides de notre satellite, qu’elles présentent des conditions de température et d’ensoleillement idéales pour la conservation de l’eau à l’état solide, les dépôts de glace lunaire les plus importants se trouveraient ailleurs. Probablement dans deux zones bien délimitées de l’hémisphère Nord et de l’hémisphère Sud, placées exactement aux antipodes l’une de l’autre. Une équipe américano-japonaise pense avoir compris pourquoi. Matt Siegler, de l’Institut de science planétaire à Tucson (Arizona), et ses collègues ont combiné les données de plusieurs missions spatiales, dont celles de la sonde de la NASA Lunar Prospector, lancée en 1998. Ils affirment, dans la revue Nature du 24 mars, que ce décalage entre les positions des pôles et des gisements de glace est dû à un « basculement » de la Lune, survenu voici 3,5 milliards d’années. Un mouvement de rotation qui, en faisant tourner le satellite sur lui-même de 5,5 degrés, aurait déplacé les calottes polaires de quelque 150 kilomètres jusqu’à leurs emplacements actuels ! Eléments radioactifs Les planètes et leurs cortèges de satellites sont des objets agités. La direction de leur axe de rotation peut changer. Leurs mouvements de toupie peuvent être accélérés ou ralentis. Leurs pôles magnétiques être inversés… A la suite d’un changement dans la répartition des masses qui les constituent, ces corps célestes peuvent également « rouler » sur eux-mêmes. Ce « basculement » se traduit par une migration de certaines régions vers le nord et d’autres vers le sud. Un peu comme si, sur Terre, Paris se déplaçait jusqu’à la latitude de Stockholm ou de Madrid ! En étudiant en détail les relevés de la mission Lunar Prospector, le groupe de Matt Siegler s’est rendu compte que cette forme de chamboulement était à même d’expliquer la répartition actuelle des glaces à la surface de la Lune. Ces chercheurs ont passé en revue divers scénarios afin d’identifier ce qui aurait pu provoquer le phénomène. Selon eux, celui-ci pourrait avoir eu pour origine la radioactivité. Les données de la sonde Lunar Prospector ont, en effet, mis en évidence une abondance d’éléments radioactifs au cœur d’un ancien bassin volcanique connu sous le nom d’océan des Tempêtes. Ceux-ci auraient chauffé et dilaté les matériaux du sol à cet endroit, réduit localement la densité de la croûte, et ainsi déséquilibré l’en- semble du satellite. « En envisageant qu’un basculement ait déplacé les calottes polaires jusqu’à leurs positions actuelles, cette étude apporte un élément convaincant. Mais le scénario proposé doit être étayé par des preuves supplémentaires », estime David Baratoux, de l’université Paul-Sabatier à Toulouse, qui, au sein de l’équipe de Sylvain Bouley, a proposé un mécanisme comparable pour Mars. « Ce travail est très intéressant en ce sens qu’il revisite, avec un certain succès, sur la base des observations récentes concernant la distribution de dépôts d’hydrogène à haute latitude, des hypothèses basées sur des travaux théoriques formulés voici trente ou quarante ans sur l’existence de paléopoles lunaires », juge pour sa part Patrick Pinet, directeur adjoint de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie à Toulouse. p vahé ter minassian Dans l’ êt de la science mathieu vidard arré la tête au c 14 :00 -15 :00 avec, tous les mardis, la chronique de Pierre Barthélémy 4| 0123 Mercredi 30 mars 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT Médicaments Les pays émergents malades des brevets médecine Au Brésil, comme dans d’autres grands pays du Sud, la propriété intellectuelle fait obstacle à l’accès de tous à certains nouveaux traitements essentiels paul benkimoun L Sao Paulo, Brasilia, Rio de Janeiro (Brésil) es ravages de la pandémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH/sida) ont mis sur la place publique la question de l’accès aux médicaments et des inégalités de santé : des traitements efficaces – les trithérapies – sont disponibles au Nord, mais leur coût élevé les rendaient inaccessibles au Sud, là où se trouvent l’immense majorité des malades. Au début des années 2000, la bataille menée au Brésil, en Afrique du Sud ou en Thaïlande pour faire passer la santé avant les profits,a amené l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à reconnaître la légitimité du recours à des flexibilités prévues dans ses accords sur la propriété intellectuelle. A cette époque, le Brésil faisait figure de modèle avec la fourniture gratuite de traitements contre le VIH. Une quinzaine d’années plus tard, le principe de la couverture universelle des patients vivant avec VIH, le virus des hépatites ou d’autres maladies graves est toujours d’actualité. Mais les critiques se font vives et évoquent une régression dans l’accès aux médicaments innovants. Exit l’affrontement avec les industriels, l’heure est aux partenariats. Une évolution que les autorités brésiliennes expliquent par une modification du rapport de force, mais qui résulte aussi d’une pression moins forte de la société civile. Pour Pedro Villardi, l’un des responsables de l’Association brésilienne interdisciplinaire sur le sida (ABIA) et coordinateur du Groupe de travail sur la propriété intellectuelle (GTPI), « le mouvement des ONG contre le sida a été très bien organisé jusqu’à fin 2010. Les autorités ont estimé que le sida était sous contrôle. Le ministère de la santé et le programme “sida et hépatites” ont incorporé beaucoup d’organisations de la société civile dans leur sphère d’influence. Nous faisons figure d’exception et menons une critique politique, notamment sur les brevets ». « Auparavant, dès qu’il y avait un obstacle dans l’accès à un traitement contre le VIH, le ministère de la santé et le gouvernement se battaient contre lui, constate pour sa part Felipe Carvalho, de Médecins sans frontières (MSF). Aujourd’hui, pour l’hépatite C, le gouvernement accepte que des patients ne reçoivent pas les nouveaux traitements, pourtant plus efficaces et mieux tolérés. » Au Brésil, les critiques évoquent une régression dans l’accès aux médicaments innovants « Le trastuzumab n’a été admis dans le secteur public pour traiter les cancers métastatiques du sein qu’en 2014, plus de dix ans après son autorisation de mise sur le marché [AMM], s’indigne le docteur Daniel Tabak, cancérologue à Rio, qui a quitté l’Institut national du cancer. Le rituximab, disponible depuis 1998, n’est arrivé au Brésil qu’en 2009, lorsque la présidente Dilma Rousseff, souffrant d’un lymphome a été traitée avant même que le médicament ait reçu son AMM ici, en 2014. La capécitabine, une chimiothéra- pie orale pour traiter certains cancers digestifs, n’a été autorisée qu’en 2014, soit une dizaine d’années après l’Europe. » Ces exemples font tache dans un pays dont la constitution de 1988 reconnaît le droit à la santé et qui a fait mettre en place le système unique de santé (SUS), avec un accès gratuit au service public ou parapublic. En outre, en 1996, la loi Sarney a mis en avant le principe de l’accès universel aux antirétroviraux contre le VIH. La même année, un programme de copie de ces médicaments était mis en route au laboratoire pharmaceutique fédéral Farmanguinhos, à Rio de Janeiro, une loi de 1945 interdisant de breveter des produits pharmaceutiques. Mais l’adoption d’une nouvelle loi, toujours en 1996, reconnaissant la validité des brevets, risquait d’y mettre un terme. « En 1996, la loi a reconnu les brevets alors que le Brésil était soumis à de fortes pressions de l’industrie pharmaceutique et des Etats-Unis. C’était un mauvais choix pour la santé publique et une bonne nouvelle pour les industriels. Nous avions une faille : nous n’avons pas eu de développement d’une industrie pharmaceutique publique forte », analyse Jorge Bermudez, vice-président production et innovation en santé à la Fondation OswaldoCruz (Fiocruz), rattachée au ministère de la santé, qui regroupe des activités de recherche, de soins et de production pharmaceutique (Farmanguinhos). Les accords de l’OMC incluent une flexibilité pour passer outre un brevet : la licence obligatoire. Un gouvernement peut importer une version générique d’un médicament depuis un pays où il n’est pas couvert par un brevet ou bien le produire localement, sans l’autorisation du détenteur du brevet, qui reçoit une compensation. Plusieurs fois brandie sous la présidence de Lula (20032010), l’arme n’a servi qu’une seule fois, en mai 2007, pour un antirétroviral du laboratoire Merck, l’éfavirenz (EFV), couramment utilisé dans les trithérapies. En février 2009, les premiers lots d’une version bioéquivalente de l’EFV sortaient des chaînes de production de Farmanguinhos. Responsable du programme national « Sida et hépatites », Fabio Mesquita estime que « la situation a totalement changé. Il y a dix ans, Lula était quasi unanimement soutenu et pouvait faire passer n’importe quel projet. Le soutien à Dilma est beaucoup plus faible, elle est minoritaire au Congrès et même son parti vote contre elle. Pour combattre les En Inde, de coûteux génériques et de dangereuses contrefaçons L’ Inde, qui a gagné le surnom de « pharmacie des pays en développement » grâce à la puissance de son industrie générique, est aussi un pays où la moitié de la population n’a pas accès aux médicaments d’importance vitale. Chaque année, 63 millions de patients tombent sous le seuil de pauvreté lorsqu’ils doivent se soigner. « Le coût de l’accès aux soins est l’une des premières causes de l’appauvrissement de la population, comme jamais auparavant », s’alarme le dernier rapport en date sur la santé publique, publié en décembre 2014 par le gouvernement indien. Avec une sécurité sociale quasi inexistante et des assurances médicales privées peu répandues, surtout dans les campagnes, l’achat de médicaments incombe au patient. « La part des dépenses personnelles dans l’accès aux médicaments et aux diagnostics est l’une des plus élevées du monde », indique le même rapport. En 2012, les frais de santé s’élevaient en moyenne à 6,9 % des dépenses d’un foyer en milieu rural, et à 5,5 % dans les zones urbaines. Dans le même temps, l’Inde représente 20 % de la « charge mondiale de morbidité », un indice de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui calcule le nombre d’années de vie perdues du fait d’une mortalité prématurée ou de la maladie. Les prix des médicaments dits « essentiels » sont pourtant encadrés par une agence gouvernementale. Mais, dans un jugement rendu en 2015, la Cour suprême a estimé que la politique de fixation des prix était « irraisonnable et irrationnelle », après avoir constaté qu’ils étaient beaucoup trop élevés pour une grande majorité de patients. Plutôt que de fixer luimême les prix, le gouvernement indien préfère faire confiance à la compétition entre laboratoires pour baisser les tarifs. En Inde, où les médicaments protégés par des brevets sont rares, la distinction se fait entre génériques de marque, et sans marque. Les fabricants indiens de génériques vendent ainsi la même molécule sous des marques et à des prix différents ! Et contrairement à l’usage aux Etats-Unis ou en l’Europe, la grande majorité des génériques vendus ne sont pas les moins chers mais ceux dont la marque inspire confiance. Médecins sous influence « Ce qui est déconcertant, c’est que le leader du marché sur un segment thérapeutique est aussi le plus cher, ou parmi les plus chers », constatent Anurag Bhargava et SP Kalantri dans un article intitulé « La crise dans l’accès aux médicaments essentiels en Inde : les questions-clés qui exigent une action », paru en 2013 dans la revue Economic and Political Weekly. « On aboutit à cette situation du fait que les patients paient sans décider, alors que les médecins – largement sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques – décident mais ne paient pas », poursuivent les auteurs. L’attrait pour des génériques de marque, plus coûteux, est l’une des conséquences de la présence de contrefaçons. Si le gouvernement indien était capable de garantir la qualité de tous les médicaments commercialisés en Inde, les génériques les moins chers auraient davantage de succès. Or, selon l’étude « Fake and Counterfeit Drugs in India. Booming Biz », publiée en 2014 par l’Association des chambres de commerce en Inde (Assocham), les contrefaçons occuperaient le quart du marché indien. Avec seulement 300 inspecteurs pour contrôler la qualité de la production de 10 000 laboratoires, le pays parvient difficilement à combattre la contrefaçon. Il suffit de se rendre à Chandni Chowk, un vieux quartier en plein cœur de Delhi, pour s’approvisionner facilement en produits contrefaits, dont certains sont exportés vers l’Afrique subsaharienne. Quand les médicaments ne sont pas des contrefaçons, ils sont tout simplement de mauvaise qualité. Sur les 2 000 produits testés en 2013, 180 étaient d’une qualité inférieure aux standards exigés et ont été retirés de la vente. Cette même année, l’Inde découvrait qu’en l’espace de cinq ans 7 800 patients de l’hôpital public de l’Etat du Jammu-et-Cachemire, dans le nord du pays, étaient morts 48 heures après leur admission à cause de l’ingestion de faux médicaments qui leur avaient été prescrits. L’accès aux médicaments est un autre problème. Environ 80 % d’entre eux se vendent dans des pharmacies privées. Les centres médicaux publics sont souvent dépourvus de médicaments de base et les prix sont relativement élevés. Il n’y a guère que l’Etat du Tamil Nadu, dans le sud du pays, qui parvienne à commercialiser des médicaments à bas prix grâce à sa centrale d’achat. Les pharmacies se concentrent dans les zones urbaines à forte densité et sont rares dans les zones rurales, où vivent les deux tiers de la population. L’absence d’électricité complique la conservation des médicaments à faible température. Fin février, le gouvernement a promis d’accorder aux familles les plus pauvres une assurance pouvant couvrir les frais de santé à hauteur de 1 300 euros. Mais, dans le même temps, il a réduit ses dépenses dans le secteur de la santé, qui ne représentent plus que 1 % du PIB. p julien bouissou (new delhi, correspondance) ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 30 mars 2016 |5 L’Afrique du Sud dans l’attente P armi ses fiches médicaments, c’est celle qu’elle sort en premier. « Prenons le cas du trastuzumab », choisit Catherine Tomlinson. « En Afrique du Sud, ce médicament de lutte contre une forme agressive du cancer du sein ne pourra pas être disponible en générique avant au moins 2033, alors qu’il est déjà en vente en Inde et en Corée du Sud », déplore la chercheuse de Médecins sans frontières (MSF) à Johannesburg. Selon l’organisation humanitaire, grâce à cette déclassification, il est vendu l’équivalent de 8 850 euros en Inde pour un traitement d’un an, contre 28 400 euros en Afrique du Sud, dans les cliniques privées. Les hôpitaux publics bénéficieraient d’un prix un peu moins élevé, mais ces établissements pâtissent d’un manque de moyens. Sida, cancer, diabète, épilepsie, hépatite, tuberculose ultrarésistante, la liste des maladies dont les remèdes sont protégés par des brevets est longue. « Le problème ici est que les autorités sont trop laxistes dans l’octroi de nouveaux brevets, juge Lotti Rutter, de l’ONG Treatment Action Campaign (TAC). Les compagnies pharmaceutiques font une petite modification sur leurs produits et obtiennent automatiquement un nouveau brevet avec des droits exclusifs pour vingt ans, ce qui bloque l’émergence de la concurrence qui ferait baisser les prix. » Une étude de l’université de Pretoria de 2011 avait estimé que 80 % des brevets n’auraient pas été accordés si les demandes avaient été minutieusement examinées. Selon un relevé de TAC, l’Afrique du Sud a octroyé 2 442 brevets en 2008, alors qu’au Brésil il n’y en a eu que 278 obtenus de 2003 à 2008. Les fabricants indiens de génériques peuvent vendre une même molécule sous des marques et à des prix différents. RAFIQMAQBOOL/AP laboratoires pharmaceutiques, il faut du pouvoir au Congrès et dans le peuple. Des conditions impossibles à réunir actuellement, notamment pour de nouvelles licences obligatoires. Il faut faire avec le réel. Nous négocions les prix et développons une importante politique de transfert de technologie ». Très prisés par les autorités sanitaires brésiliennes, les partenariats pour le développement productif (PDP) se multiplient entre laboratoires pharmaceutiques locaux, qui produisent un produit de santé, et entreprises étrangères qui en transfèrent la technologie. Ce type d’accord concerne des médicaments jugés prioritaires par le gouvernement. Le SUS achète en grandes quantités les médicaments élaborés dans ce cadre, sans appel d’offres, à un prix inférieur aux médicaments importés. Outre l’accès privilégié au marché brésilien, l’entreprise étrangère bénéficie d’exonérations fiscales et de financements publics. Plus d’une centaine de partenariats ont été signés, dont un bon tiers avec la Fiocruz. « C’est ce type d’accord qui a été signé en 2009 avec GlaxoSmithKline [GSK] pour le vaccin contre le pneumocoque, précise Felipe Carvalho. Le Brésil n’achète donc pas celui de la société concurrente, Pfizer, et produit uniquement pour le marché national. » Depuis des années, un projet de réforme assouplissant la loi de 1996 sur les brevets au bénéfice de la santé publique est en gestation. Très investie dans la lutte contre le VIH, la députée PT (Parti des travailleurs) du district fédéral (Brasilia), Erika Kokay, en déplore l’enlisement alors que « le projet prévoit de limiter la durée des brevets et d’éviter leur prolongation abusive ». « L’industrie pharmaceutique pèse beaucoup dans le pays et au Parlement, s’inquiète-t-elle. Le paiement de campagnes électorales par les entreprises et la corruption sont fréquents. Certains parlementaires, d’abord favorables ont changé leur position… » Erika Kokay estime que, pour « les nouveaux traitements de l’hépatite C, une licence obligatoire est possible. Beaucoup d’unités de fabrication et de projets de production existent. Le gouvernement devrait affronter davantage l’industrie pharmaceutique quand elle a un comportement abusif ». Fabio Mesquita prône une autre voie : « Pour l’hépatite C, nous avons l’objectif de traiter 90 000 patients dans les deux ans et demi. Nous avons finalisé un premier contrat portant sur 30 000 traitements [de douze semaines] et négocions un nouveau contrat pour 45 000 autres. Le Brésil est le seul pays en développement à assurer un traitement universel pour les hépatites depuis les quatorze dernières années. Le prix du traitement complet pour nous est de 6 500 dollars. C’est un coût que nous pouvons assumer. » Infectiologue à Sao Paulo, le docteur Artur Timerman dresse un tableau plus contrasté : « Limiter l’accès aux nouveaux traitements, qui apportent une guérison, aux formes les « Avec une licence obligatoire et un générique, il serait possible de traiter tous les malades » arair azambuja président du Mouvement brésilien de lutte contre les hépatites virales plus graves est plus que discutable. Pour les autres malades, il est en pratique impossible d’y accéder. A Sao Paulo, quatre patients ont obtenu par décision de justice que leur assurance privée finance leur traitement par les antiviraux d’action directe. Il y a une judiciarisation de la médecine. » Président du Mouvement brésilien de lutte contre les hépatites virales, Arair Azambuja abonde dans le même sens. Il ne décolère pas de voir les nouveaux médicaments de l’hépatite C parvenir au compte-gouttes : « L’Etat de Sao Paulo, où 18 000 personnes attendent ces traitements, n’en a reçu que 1 498. Celui de Maranhao en a obtenu 16, alors que 390 patients les espèrent. » D’où les procédures judiciaires. « Mais il n’y a pas un accès égal au système judiciaire, ce qui renforce les inégalités vis-à-vis de ceux qui ne peuvent se payer une assurance privée. Avec une licence obligatoire et un générique, il serait possible de traiter tous les malades », ajoute-t-il. Le cancérologue Daniel Tabak observe, lui aussi, ces recours à la justice pour des médicaments anticancéreux non disponibles dans le SUS. « Certains laboratoires importent ainsi un traitement pour un patient donné, et cela peut se chiffrer à 100 000 dollars par an. Dans le secteur public, un médecin qui prescrirait un médicament non autorisé sans une décision de justice serait puni. Certains avocats se spécialisent dans ce genre d’affaires, ce qui accroît les inégalités. » La racine du mal, selon Marcela Vieira, d’ABIA, coordinatrice du GTPI, réside dans le sous-financement du système de santé public : « Les achats de médicaments, à 90 % couverts par des brevets, représentent un coût croissant. Le climat politique dégradé au Congrès et l’intense lobbying des industriels des différents secteurs industriels concernés font craindre que le projet de réforme de la loi sur les brevets n’aille dans une mauvaise direction et empire les choses pour la santé publique. Il faudrait réfléchir à une réforme spécifique pour la santé. » « Il faut revoir le système des brevets sur les produits de santé, affirme Eloan dos Santos Pinheiro, ancienne directrice exécutive de Farmanguinhos. Il ne devrait porter que sur le procédé de fabrication et non sur le médicament lui-même, exclure de la brevetabilité les principes actifs des traitements de maladie ayant un taux de mortalité pandémique ou des taux de morbidité élevés. » Au-delà des frontières brésiliennes, une ouverture s’est produite. Les ministres de la santé de l’Union des nations sud-américaines se sont mis d’accord en septembre 2015 pour créer un comité international destiné à négocier de manière conjointe les prix auprès des laboratoires pharmaceutiques pour les médicaments onéreux. Dans un premier temps seraient concernés les traitements contre le VIH et contre l’hépatite C. p Retour sur investissement Une coalition de dix-huit associations de la société civile, dont MSF et TAC, militent pour une révision du système. Leur mobilisation semblait avoir payé. Fin 2013, le ministère sud-africain du commerce présentait une réforme du droit de la propriété intellectuelle, renforçant les contrôles sur l’octroi de brevets et facilitant la fabrication de génériques. Mais le projet de loi n’a toujours pas été finalisé. « Nous sommes encore en train de consulter », indique Sidwell Medupe, représentant du ministère. La pression de l’industrie pharmaceutique serait-elle à l’origine de l’enlisement de ce texte ? « Nous ne subissons aucune pression », assure le porte-parole. Début 2014, l’hebdomadaire sud-africain Mail & Guardian avait révélé un projet de campagne de lobbying des industriels pour s’opposer en sous-main à la réforme. Le ministre de la santé, Aaron Motsoaledi, avait alors vivement dénoncé un complot pour préserver les intérêts des entreprises pharmaceutiques aux dépens de la santé de la population. « Ceci est un génocide », n’avait-il pas hésité à affirmer. A la tête de l’association Ipasa, qui représente les filiales sud-africaines des grands laboratoires mondiaux, Konji Sebati réfute ces accusations. Elle avance la nécessité d’un retour sur investissement pour l’industrie : « La recherche et développement nous coûte une fortune, c’est pourtant la clé pour que les Sud-Africains puissent avoir des médicaments toujours plus efficaces. » Avant de mettre en garde : « Un environnement moins favorable dans ce secteur pourrait coûter de nombreux emplois à l’Afrique du Sud. » Les Etats-Unis et l’Union européenne, dont sont originaires la plupart des compagnies pharmaceutiques, ont soumis au gouvernement sud-africain des contributions en faveur du maintien d’une application stricte du droit à la propriété intellectuelle. « Ce combat, qui se passe dans le pays le plus touché du monde par l’épidémie de sida, a une portée symbolique pour toutes les nations du Sud », rappelle Catherine Tomlinson, de MSF. En 2001, le gouvernement sud-africain avait en effet remporté une victoire historique contre 39 laboratoires qui s’opposaient à une loi facilitant l’entrée des génériques dans le pays. Grâce à la politique volontariste du président Jacob Zuma, 3,4 millions des 6,4 millions de Sud-Africains séropositifs bénéficient désormais d’un accès gratuit aux antirétroviraux. L’espérance de vie, tombée à 51 ans en 2005, atteint aujourd’hui 61 ans. p sébastien hervieu (johannesburg, correspondance) 6| 0123 Mercredi 30 mars 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | Sexe et self-control sont-ils compatibles ? Le monde quantique en bulles la bande dessinée La naissance d’une des plus fascinantes théories de la nature racontée en BD david larousserie E st-il possible que le regard d’une souris puisse changer considérablement l’Univers ? », s’interrogeait Albert Einstein, en pensant bien que non. C’est autour de telles phrases énigmatiques et d’une théorie physique pour le moins complexe que s’articule Le Mystère du monde quantique. A la manœuvre, Thibault Damour, physicien spécialiste d’Einstein et de la relativité générale, et le dessinateur Mathieu Burniat, auteur de la BD humoristique Shrimp. Bien que le principe narratif soit assez simple – un ignorant rencontre des spécialistes qui lui expliquent la nature – et que le sujet, la mécanique quantique, soit déjà bien couvert par la vulgarisation, l’album mérite le détour. Soit, donc, un candide ressemblant à un Tintin rondouillard, affublé d’un pseudoMilou au poil non bouclé, qui se met en tête de comprendre les mystères du monde quantique. Son initiation passera par des sauts dans le temps lui permettant de rencontrer les meilleures sources en la matière, Max Planck, Albert Einstein, Louis de Broglie, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger… Rien de plus classique a priori. Sauf que les auteurs n’infantilisent pas leur lecteur et ont bien l’intention de lui faire avaler des concepts difficiles tels que la quantification, la dualité onde-corpuscule, la probabilité ou la fonction d’onde… Le héros découvre en fait la théorie en train de se construire et les débats, quasi métaphysiques, qu’elle suscite. Réalités multiples Les auteurs réussissent la prouesse de donner quantité d’informations nouvelles et pointues, tout en restant parcimonieux dans le propos comme dans le graphisme, qui frappe par son esthétique mêlant poésie et information. A noter, aussi, la belle idée de colorer, dans cette BD en noir et blanc, certains éléments comme la fonction psi ou la constante de Planck h, fil rouge du récit. Cette dernière est d’ailleurs omniprésente dans le décor même, comme autant de clins d’œil à son importance. En revanche, les transitions temporelles pour passer d’un savant à l’autre sont parfois un peu tirées par les cheveux. La fin, par les développements autour de la fameuse expérience de pensée du chat à la fois mort et vivant, laissera sans doute le lecteur aussi perplexe que le héros. Les auteurs y exposent une vision particulière de la mécanique quantique : nous vivons dans un univers qui serait une superposition de réalités multiples… On regrettera qu’un deuxième tome ne soit pas déjà là. En effet, l’histoire des mystères quantiques est loin d’être terminée avec des expériences toujours plus déroutantes (téléportation, calcul ultrarapide, action instantanée à distance…), à même d’alimenter débats et rebondissements narratifs. p Le Mystère du monde quantique, de Thibault Damour et Mathieu Burniat (Dargaud, 160 p., 19,99 €). Agenda Conférences 2e Journée des troubles bipolaires Depuis 2015, le 30 mars est la Journée mondiale des troubles bipolaires. Conférences, ateliers, témoignages… De nombreuses manifestations sont organisées à travers la France (à Paris, Lyon, Clermont-Ferrand, Lille-Roubaix, Nancy, Poitiers, Grenoble) et à Monaco par l’association Argos 2001. Objectifs : sensibiliser le grand public sur cette maladie mentale qui touche de 1 à 2 % de la population générale, et informer les malades, leurs proches et le corps médical. > Inscriptions sur le site www.troubles-bipolaires.org RENDEZ-VOUS improbablologie Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur Passeurdesciences.blog.lemonde.fr C’ est un petit monument de la science improbable qui fête ses 10 ans. En 2006 donc, deux membres d’éminentes institutions américaines de la recherche, Dan Ariely (Massachusetts Institute of Technology) et George Loewenstein (université Carnegie-Mellon à Pittsburgh, Pennsylvanie), publiaient dans le Journal of Behavioral Decision Making une étude consacrée à l’influence de l’excitation sexuelle, chez de jeunes hommes, sur les décisions qu’ils sont prêts à prendre dans le feu de l’action. Les auteurs voulaient déterminer quel impact la frénésie de l’embrasement pouvait avoir sur trois points : la préférence pour telle ou telle activité sexuelle ; le choix de comportements moralement douteux pour obtenir une « gratification » ; l’oubli du « sortez couvert ». Toute la difficulté de l’exercice, on s’en doute, consistait à élaborer un protocole fiable et contrôlable sur un sujet qui touche à l’intime. Nos deux chercheurs ont donc fait preuve d’une ingéniosité remarquable pour mettre au point leur expérience, en demandant notamment aux participants de prendre un peu les choses en main, si l’on peut dire. Quelques dizaines de volontaires se virent confier un ordinateur portable doté d’un clavier très simplifié ne comptant que quelques touches, dont l’étude précise qu’il était « facilement utilisable avec la main non dominante », étant donné que l’autre main servait d’excitateur « exogène » – sauf pour les membres du groupe témoin dont l’excitatiomètre devait rester à zéro. Pour les vrais cobayes, l’écran était divisé en trois parties : à gauche, un grand espace affichant des photos coquines ; à droite une barre contenant un « thermomètre de l’excitation » avec un curseur à déplacer à l’aide de deux touches du clavier, du bleu (je reste de glace) au rouge (l’ambiance est très chaude tout à coup) ; en bas, un espace où défilaient des questions auxquelles on devait là encore répondre en bougeant un curseur. On pouvait ainsi passer du « non catégorique » au « oui franc et massif » avec, entre, toutes les nuances du « peut-être ». L’empire des sens On demandait aux sujets s’ils étaient attirés par les chaussures de femmes, les nymphettes de 12 ans, les animaux, les hommes, les obèses, les femmes de 40, 50 ou 60 ans, si une expérience de triolisme les tentait, s’ils apprécieraient une fessée, s’ils étaient prêts à droguer une femme pour abuser d’elle ou à lui dire « je t’aime » sans en penser un traître mot, etc. Bref des questions normales pour des mecs. Rappelons que lesdits mâles devaient répondre à ces questions en regardant des images osées et en se tirlipotant le schmilblick, pour reprendre une expression chère à Coluche. Au cas où ils auraient perdu le contrôle manuel, ils devaient presser la touche « tab », ce qui mettait fin à l’expérience. Les mouchoirs en papier n’étaient pas fournis. Les résultats sont édifiants et de nature à ébranler les certitudes quant à la force du self control. Pour le dire clairement, les hommes excités se révélaient bien plus que les autres prêts à faire n’importe quoi pour avoir un rapport sexuel, quelle qu’en fût la nature. On imagine que certains auraient même été d’accord pour se faire fouetter, attachés à un âne, par une femme obèse, après l’avoir droguée, le tout sans préservatif. Les auteurs soulignent que la magnitude de l’effet mise en évidence est « frappante ». Et le principe de réalité les oblige à dire qu’en appeler au sangfroid des hommes pour qu’ils se contrôlent quand ils se trouvent sous l’empire des sens est une stratégie dramatiquement risquée. p Un poissonzèbre en Technicolor CHEN-HUI CHEN/ DUKE UNIVERSITY affaire de logique Comment étudier la régénération d’un tissu, cellule par cellule, sur de longues périodes de temps ? Une équipe de l’université Duke (Durham, Caroline du Nord) propose d’utiliser un modèle de poisson génétiquement modifié pour que chacune des cellules de sa peau exprime une combinaison de trois protéines fluorescentes (bleue, rouge et verte), ce qui offre une palette d’environ 70 coloris discernables au microscope. Chen-Hui Chen et ses collègues ont aussi conçu un logiciel qui permet de reconstituer l’évolution de tissus cicatriciels grâce à ce code coloré unique. La lignée de ces poissons-zèbres multicolores a été baptisée skinbow (contraction de « peau » et « arc-en-ciel »), une allusion à la technique d’imagerie des neurones Brainbow mise au point en 2007, notamment par le Français Jean Livet. p RENDEZ-VOUS | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 30 mars 2016 |7 Les plumes ont de la grammaire zoologie clémentine thiberge A Neil Turok, directeur de l’institut de physique théorique Périmètre, basé à Waterloo (Ontario), au Canada. PETRER POWER Neil Turok, un cosmologiste engagé | Le chercheur sud-africain a bâti un réseau de centres de formation d’excellence en Afrique et œuvre pour rapprocher théorie et expérience en physique portrait david larousserie Q ue pourrais-tu faire pour ton pays ? » La question de son père, en 2001, a décontenancé Neil Turok, alors âgé de 43 ans. Que pourrait en effet faire un cosmologiste, certes reconnu, pour l’Afrique du Sud, son pays d’origine, dix ans après la fin de l’apartheid ? Alors qu’il est parti depuis belle lurette faire carrière en GrandeBretagne, aux Etats-Unis et au Canada ? Mais la question paternelle se devait d’avoir une réponse à la hauteur de l’engagement de ses deux parents. Membres blancs du Congrès national africain (ANC), le parti de Nelson Mandela, dans les années 1970, ils connurent la prison, jusqu’à trois ans et demi pour Ben, le père, et le départ forcé en Tanzanie et au Kenya, avant de partir pour le Royaume-Uni en 1968. Neil avait alors 10 ans. Face à ce lourd héritage, Neil Turok, actuel directeur de l’Institut Périmètre, centre de recherche privé en physique théorique à Waterloo (Canada), a trouvé : engendrer une sorte de big bang éducatif. Autrement dit, créer des centres de formation d’excellence pour les jeunes talents de toute l’Afrique et les « exposer aux possibilités de la science », les mathématiques notamment. Le premier ouvre en septembre 2003, pour 26 jeunes, dans un ancien hôtel du Cap acheté aux enchères 20 000 dollars. Dans ce lieu, baptisé AIMS, pour African Institute for Mathematical Science, des chercheurs reconnus viennent faire cours pour des sessions de trois semaines. « C’était une sacrée expérience sociologique », se souvient Neil Turok en évoquant les mélanges « explosifs » dans la promotion pionnière, entre chrétiens et musulmans, hommes et femmes, ou ethnies différentes en conflit. Puis le chercheur s’est transformé en collecteur de fonds afin de financer son projet à long terme. « Cette activité a été une révélation. La clé, c’est de tout calculer. En fait, ça ressemble à de la physique théorique ! », explique le physicien-entrepreneur, amusé. Il récupère alors des financements de Mastercard, de Google mais surtout 20 millions de dollars du gouvernement canadien, ce qui permet en 2011 d’ouvrir un nouveau centre au Sénégal, près de Dakar, puis au Cameroun, au Ghana, en Tanzanie… En septembre, ce sera la rentrée dans un sixième institut au Rwanda, à Kigali. Dix autres devraient suivre. « Je ne pensais pas que cela irait si loin ! », salue Vincent Rivasseau, professeur à l’université ParisSud-Orsay et principal artisan de la création de AIMS au Sénégal. « Neil est comme le joueur de flûte de Hamelin, très entraînant », ironise le physicien – même si l’histoire ne se termine pas aussi mal que le conte. Il est trop tôt pour savoir si ces lieux répondent au souhait initial de son père, mais Neil est déjà satisfait : « Lorsqu’un gouvernement visite un centre, ça change ses idées sur l’importance de la science. » Un millier d’étudiants, dont le tiers de femmes, sont passés depuis 2003 par les formations atypiques des AIMS, non sans frictions avec les universités locales. Argent privé (mais aussi public pour le fonctionnement), sélection d’une élite (qui ne paie rien), pédagogie innovante, absence de diplômes… sont des caractéristiques contraires aux mœurs académiques. Conscients de ces tensions, ces lieux d’élite nouent peu à peu des liens avec les campus publics. Il fait parler de lui avec un nouveau modèle d’Univers, dit ekpyrotique, qui serait comme sans fin Cette foi en la science, « le plus précieux des biens, qui plus est gratuit », Neil Turok l’a eue très jeune. Un livre de 300 expériences à faire à la maison a bercé son enfance auprès de sa grand-mère. Puis il s’est passionné pour les collections d’insectes au point de devenir, à 13 ans, membre d’une vénérable société britannique d’entomologie et d’histoire naturelle. Les spécimens de sa collection rapportés d’Afrique avaient de quoi faire pâlir d’envie les naturalistes locaux. A 17 ans, il revient en Afrique, au Lesotho, pour enseigner bénévolement dans une école. Là, il est choqué de voir des enfants brillants sans guère de perspectives. Au début de sa scolarité universitaire à Cambridge, il s’oriente vers la biologie mathématique, mais « la biologie est trop compliquée. Impossible de prévoir quoi que ce soit, contrairement à la physique », se souvient le chercheur, qui opte alors pour la cosmologie. Avec un certain succès, mais dans la veine spéculative, c’est-à-dire en suivant des idées un peu folles, difficiles à vérifier expérimentalement. Et susceptibles de frapper aussi l’opinion, quitte à ce que les succès médiatiques rencontrés irritent ses collègues. Dès sa thèse, il creuse le concept de corde cosmique, une sorte de défaut de l’Univers encore jamais détecté. A Cambridge il est voisin de bureau de Stephen Hawking, avec qui il signe plusieurs articles. Surtout, il fait parler de lui avec un nouveau modèle d’Univers, dit ekpyrotique, qui serait comme sans fin : avant notre Univers il y en aurait eu un qui se serait effondré avant de rebondir. Ce nouveau cycle débutant au Big Bang. Pour cette œuvre scientifique, ainsi que pour son engagement en Afrique et en faveur de la jeunesse, l’Institut américain de physique lui a décerné début mars la médaille Tate. Désormais, ce passionné s’engage dans un autre combat, lui aussi très ambitieux : sortir la physique de l’impasse actuelle. Un chiffre résume notre ignorance : 95 % du contenu de l’Univers nous est inconnu. Une matière invisible, dite noire, semble assurer la stabilité de l’édifice cosmique, tandis qu’une énergie mystérieuse, dite noire elle aussi, accélère l’expansion de l’Univers. La situation est irritante. « Il faut en finir avec la séparation entre la théorie et l’expérience et avec la spécialisation à outrance, clame Neil Turok. La physique a besoin de se réorganiser. On doit sortir des guerres de chapelles, et voir grand. » D’ailleurs, il aime à rappeler qu’il est plus difficile d’obtenir 50 000 dollars que 50 millions ! En juillet 2015, pour commencer à mettre son plan de réorganisation à exécution, il a réuni une conférence intitulée « Convergence », rassemblant des physiciens d’horizons variés en cosmologie, mécanique quantique, physique de la matière, mathématiques… Bien sûr, trois jours n’ont pas permis de trouver l’énergie noire, la matière noire, ou d’unifier la relativité générale et la physique quantique. Mais une fois encore, Neil Turok est content de son effet. « C’était une réunion originale. Chacun a essayé d’être efficace et d’apporter aux autres des choses », constatet-il, prévoyant une nouvelle édition en 2017. Surtout, il met lui-même la main à la pâte. « Je veux me consacrer à 100 % à ces questions fondamentales », confie le physicien, qui envisage de quitter son poste de directeur de Périmètre en 2018, après dix ans de service à ce poste, pour se consacrer exclusivement à la recherche. En fait, il a déjà commencé, explorant, dit-il, une voie « que personne n’avait encore vue ». Pour un nouveau big bang ? p vec notre langage, nous sommes capables de composer une infinie succession de sons pour former des idées, et les scientifiques ont longtemps pensé que cette capacité à construire des phrases à l’aide de la syntaxe était le propre de l’homme. Mais pour la première fois, des chercheurs ont prouvé que ce niveau linguistique n’était pas propre à notre langage. Dans une étude publiée le 8 mars dans la revue Nature Communications, une équipe de l’université suédoise d’Uppsala révèle que la communication de la mésange de Chine (Parus minor) pourrait être, elle aussi, complexe. En linguistique, la phonologie permet de combiner des sons pour former des mots qui ont un sens, tandis que la syntaxe associe des mots en expressions complètes. Pour mieux comprendre le niveau de langage des oiseaux, les chercheurs ont divisé la syntaxe en deux parties : la syntaxe phonologique, qui assemble un mot avec un préfixe ou un suffixe (comme « refaire ») et la syntaxe compositionnelle, qui assemble deux mots pour former une phrase. « La syntaxe phonologique a déjà été observée plusieurs fois chez des animaux comme les singes ou les oiseaux, mais jamais la syntaxe compositionnelle », explique David Wheatcroft, coauteur de l’étude. Une étude précédente avait démontré que le singe mone de Campbell ajoutait le suffixe « oo » au cri d’alerte « hok », qui désigne la présence d’un aigle, pour prévenir d’un danger aérien moins grave que l’aigle, « hok-oo ». Dans le cas de la mésange de Chine, les chercheurs se sont intéressés à deux groupes de notes : ABC et D. Lorsque les oiseaux entendent ABC, ils scrutent les environs pour repérer un éventuel prédateur. Les chercheurs ont donc traduit cette séquence par « Attention, il y a un danger ». En réponse à D, les oiseaux se rapprochent de l’individu émetteur. Traduction : « Viens ici. » Les scientifiques ont donc reproduit artificiellement ces notes et ont observé que lorsqu’une mésange entend Pour communiquer, la mésange de Chine utilise des règles liées à l’ordre des mots. UNIVERSITY OF ZURICH la phrase ABC-D, elle vérifie les alentours avant de voler vers l’émetteur. Traduction : « Attention, il y a un danger, viens ici. » Mais lorsqu’ils jouent D-ABC, les oiseaux ne réagissent pas. En langage mésange, cette phrase n’est pas correcte. Ce qui signifie que le signal « Attention, il y a un danger, viens ici » a une signification uniquement lorsqu’il est énoncé dans un ordre précis. « Nous pensons que cela vient du fait que les oiseaux utilisent des règles liées à l’ordre des mots. Un peu comme les règles de grammaire chez les humains », révèle Toshitaka Suzuki, coauteur de l’étude. Tout comme nous comprenons la phrase « Viens à la maison », mais pas « maison la à viens », alors que tous les mots sont corrects. « La complexité du langage humain est bien plus importante que ce que l’on peut observer chez les animaux, précise David Wheatcroft, mais ces résultats vont nous permettre d’arriver à une compréhension plus générale de la communication et du comportement des oiseaux. » « Les travaux sur les langages des animaux sont relativement récents. Les futures recherches analyseront de plus en plus précisément les systèmes de communication animale », explique le linguiste Philippe Schlenker, directeur de recherche au CNRS. D’autres animaux utilisent-ils un langage syntaxique ? « Je serais très surpris que la syntaxe soit présente uniquement chez les mésanges de Chine », répond David Wheatcroft. Dans le monde animal, il se pourrait que d’autres espèces caquettent, glougloutent ou grognent en formant des phrases syntaxiques. Reste à pouvoir traduire. p 8| 0123 Mercredi 30 mars 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | La recette génétique de la « vie minimale » Enfin ! Après près de vingt ans d’efforts, l’équipe du généticien américain Craig Venter vient de présenter dans la revue Science un génome synthétique constituant un programme minimal pour permettre à une cellule vivante de se reproduire. Ce génome, baptisé JCVI-syn3.0, représente la quintessence des instructions moléculaires nécessaires à une bactérie pour se diviser à l’infini dans un milieu nutritif adéquat. En 2010, Craig Venter avait déjà créé JCVI-syn1.0, un génome inspiré de celui de la bactérie Mycoplasma mycoides, l’avait introduit dans une autre espèce, M. capricolum, dont le propre génome avait été extirpé, et avait montré que le génome artificiel prenait le relais et permettait à cette forme de vie hybride de se reproduire. JCVI-syn3.0 en est une version réduite à l’essentiel : avec ses 473 gènes, c’est la forme de vie la plus simple connue, qui peut se diviser toutes les 180 minutes. Les gènes « dispensables » ont été supprimés, au terme de trois cycles de conception-fabricationtest. « C’est une approximation fonctionnelle d’un génome cellulaire minimal, écrivent Venter et ses collègues. Un compromis entre une petite taille de génome et un taux de croissance acceptable pour un organisme expérimental. » Une future « plateforme » pour étudier les fonctions fondamentales de la vie. p hervé morin JCVI-syn1.0 Code d’origine Code sélectionné 1 8 2 7 Ecriture et réécriture de séquences génétiques 3 6 4 5 Mise en culture et étude du comportement A 1 G C Nouveau génome reconstitué JCVI-syn3.0 Simplifier le génome L’équipe de l’Américain Craig Venter avait déjà synthétisé en 2010 JCVI-syn1.0, un génome qui avait pris les commandes d’un « châssis » cellulaire – une cellule dépourvue de son propre programme génétique. Elle a simplifié ce génome, enlevant tour à tour les gènes jugés non indispensables sur des portions de un huitième de la séquence, vérifiant que ces découpes n’empêchaient pas le programme génétique de fonctionner, pour aboutir à JCVI-syn3.0. T Correction 7 2 Le cycle de la vie artificielle 6 Synthèse à partir des « lettres » de base de l’ADN 3 Test Une bactérie semi-artificielle prolifique Le génome simplifié JCVI-syn3.0 est plein de vitalité : il permet à la cellule dont il gouverne le fonctionnement de se reproduire toutes les 180 minutes. Mais les cellules filles résultantes montrent un profil irrégulier : certaines sont minuscules, d’autres énormes, en comparaison avec les bactéries de type Mycoplasma dont leur conception s’inspire. Construction 473 gènes pour quoi faire ? Transplantation dans une cellule dont le génome, ici en vert, a été extrait Assemblage du génome 4 5 Expression du code génétique Fonction inconnue 17% 41% Clonage dans une levure Métabolisme 17% cellulaire Séparation du génome Membrane 18% INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER SOURCES : HUTCHINSON ET AL. ; SCIENCE ; J. CRAIG VENTER INSTITUTE 7% Préservation du code génétique Le physicien et philosophe Aurélien Barrau interroge la notion de vérité scientifique, après la détection récente d’ondes gravitationnelles, ces tressaillements de l’espace-temps La science, révolutionnaire par essence, exige l’humilité | I l y a quelques semaines, l’expérience LIGO annonçait la magnifique détection d’ondes gravitationnelles – c’est-à-dire des tressaillements de l’espace – par ses deux « antennes » américaines. A-t-on donc, à cette occasion, et comme certains le prétendirent, prouvé la relativité générale ? D’aucune manière ! Et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, aucune théorie n’est jamais prouvée en sciences de la nature. Il faudrait pour cela mener l’infinité des expériences qui la mettent à l’épreuve et réaliser chacune d’elles avec une précision infinie. Ce qui est donc doublement impossible. En sciences, les modèles sont mortels. Chacun, un jour, sera remplacé par une meilleure description. Deuxièmement, les ondes gravitationnelles sont une prédiction, certes importante, de la relativité générale, mais pas plus centrale que de nombreuses autres déjà testées. Troisièmement, les ondes gravitationnelles avaient déjà été détectées depuis quarante ans et un prix Nobel a été décerné pour cela il y a près de vingt-cinq ans. Certains arguent qu’il s’agit d’une première détection directe. Mais c’est une distinction qui n’a pas grand sens au niveau épistémologique : on ne mesure jamais un être physique en lui-même, mais toujours son interaction avec un système dont on peut évaluer les transformations. Entre l’évolution de la période de rotation d’un système d’astres (la détection historique ayant conduit au Nobel) et le changement d’intensité de la frange noire d’un interféromètre géant (la mesure récente), il n’est pas simple de savoir quelle détection est la plus directe ! Cela signifie-t-il que cet événement était sans importance ? Loin de là ! Tout au contraire, il est remarquable, et même exceptionnel, parce qu’il contribue à ouvrir une nouvelle astronomie. Il va permettre d’observer différemment le ciel et, sans aucun doute, de découvrir des objets nouveaux. De voir aussi, pour la première fois, le cosmos avec des yeux de géomètre. Une complexité imprévue, très certainement, va se dévoiler. Mais, déjà, le ballet intime de ces deux trous noirs fusionnant, scruté lors de la première mesure, est aussi fascinant que magnifique. La science – faisons comme si nous savions ce qui est désigné par ce mot – est souvent associée à l’idée de preuve, de certitude, voire de Vérité ou d’unicité. A mon sens, rien n’est plus loin de ses méthodes et de ses desseins. Ce qu’elle exige avant tout, c’est humilité, doute et capacité de remise en cause. Elle n’est pas rassurante. Elle n’est pas apaisante. Elle n’assène aucune posture dogmatique et éternelle. Elle impose un exercice perpétuel de réassignation des significations et de déconstruction tribune | des évidences. Elle est meuble dans ses énoncés comme dans ses méthodes. La science fonctionne par révolutions. Chaque révolution redessine les linéaments du réel et invente une grammaire radicalement différente. Chez Newton, la Terre tourne autour du Soleil parce qu’une force lui impose sa trajectoire elliptique. Chez Einstein, il n’y a plus de force, la Terre avance en ligne « aussi droite que possible » dans l’espace courbé par la présence du Soleil. Du point de vue technique, la seconde description n’est qu’une petite amélioration de la première. Pour ce qui est de la capacité à prévoir, il s’agit d’un progrès. Mais du point de vue ontologique, c’est-à-dire quant à la nature fondamentale des êtres décrits, il s’agit d’un changement radical, d’un renouveau du paradigme, d’une révolution donnant lieu à un cadre incommensurable avec le précédent. « Sa beauté vient précisément de ce qu’elle révèle quelque chose du réel qui excède – ou tente d’excéder – nos seuls fantasmes ou désirs » A supposer, ce qui est loin d’être évident, qu’une vérité existe, nous en serions donc toujours infiniment éloignés puisque chaque nouvelle théoriecadre est comme infiniment distante de celle qu’elle remplace comme de celle qui lui succédera. Est-ce à dire, là encore, que tout cela n’a donc aucun sens ? Evidemment pas ! Mais je pense qu’il ne faut pas se tromper de raison pour souscrire à la « méthode scientifique », si indéfinissable celle-ci soit-elle. Il y a une vingtaine d’années eurent lieu les science wars (guerres des sciences), qui opposèrent les partisans d’une objectivité forte au sein des sciences dures aux tenants d’une vision plus relativiste de leur signification. Récemment, un colloque organisé en Allemagne pronostiquait une new science war (nouvelle guerre des sciences) autour de l’idée que certains modèles pourraient être considérés comme « validés » sans recourir à l’expérience, ainsi que le suggèrent certains spécialis- tes de la théorie des cordes. Je crois que le monde connaît assez de guerres. Il est temps de sortir de ces oppositions binaires, stériles et caricaturales. Il me semble évident que la science n’est pas uniquement une construction sociale, en ceci qu’elle entend mettre en rapport avec une altérité radicale. Sa beauté vient précisément de ce qu’elle révèle quelque chose du réel qui excède – ou tente d’excéder – nos seuls fantasmes ou désirs. Elle nous place en possibilité d’être surpris. A contrario, il est tout aussi évident que la science ne révèle pas l’en-soi du monde, qu’elle est mouvante et dépendante de l’environnement culturel et intellectuel qui la produit. Qu’elle est une « coupe » dans le réel parmi tant d’autres possibles. Il serait certainement inquiétant que toute la science se pratique suivant les schèmes inhabituels et quelque peu subversifs de la théorie des cordes. Mais il serait sans doute plus dangereux encore que cette voie soit interdite a priori. C’est précisément l’exploration patiente et non dogmatique de tous les chemins qui confère à l’édifice son élégance et sa robustesse. Dans les temps troubles que nous traversons, où chacun campe souvent sur ses positions avec la certitude quasi hystérique de détenir la vérité, je pense que si la science peut nous apporter quelque chose de plus que la mise en lumière des inévidences du réel, c’est certainement une profonde invitation à l’humilité. Face à la terrifiante intolérance qui semble aujourd’hui émerger et pousse dangereusement chaque peuple ou chaque culture à penser ses valeurs, ses pratiques, ses codes éthiques, ses êtres-au-monde comme les seuls possibles ou dignes d’estime, je crois que, si la science a à jouer un rôle politique – n’ayons plus peur de ce mot, qu’il faut réinvestir de son sens si malmené par les trahisons multiples de nos élites –, c’est bien celui d’une exhortation à un peu de recul et de perspectivisme. Nos convictions, évidemment, doivent être défendues, mais leur contingence se doit d’être également interrogée. Non pas au nom d’un laxisme intellectuel mais, tout au contraire, au nom d’une précision et d’une audace renouvelées. La prescription de la vérité n’est pas performative. Il ne suffit pas de s’en réclamer sans relâche ou de l’exhiber à la boutonnière à la manière d’un fétiche. Il faut l’interroger, la mettre en situation, la travailler, la déconstruire. S’y plier, évidemment, mais après avoir compris que les cadres qui la définissent sont évidemment en partie construits, choisis et, naturellement, réfutables en doute. p ¶ Aurélien Barrau est professeur à l’université GrenobleAlpes, chercheur au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie du CNRS. Il a notamment écrit « De la vérité dans les sciences » (Dunod, 96 p., 11,90 €). Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]