Compte-rendu de la formation sur Chantons sous la pluie, de

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Compte-rendu de la formation sur Chantons sous la pluie, de
Compte-rendu de la formation sur Chantons sous la pluie, de Stanley Donen
Intervention de Catherine Pennarun, enseignante de cinéma
Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 2 février 2011
1. Histoire du cinéma et de la comédie musicale
A sa sortie en 1952, le film n’a pas beaucoup de succès. Le public ne suit pas vraiment
mais les critiques sont élogieuses.
Chantons sous la pluie parle du cinéma et de la période du passage du muet au parlant. En
1927, le cinéma est en perte de vitesse. Pour relancer l’intérêt du public, on apporte quelque
chose de nouveau : le son (le même principe sera adopté dans des circonstances similaires
avec la couleur).
Le passage au parlant est une période difficile : les acteurs pour beaucoup immigrés se
voient écartés en raison de leur accent trop prononcé, parfois à cause de leur voix (ce qui est
le cas du personnage de Lina dans le film, même si cette difficulté est traitée sur le mode de la
comédie).
En tout cas, le passage au parlant crée la panique dans les studios qui se mettent tous à
faire des talkies, d’abord en introduisant des chansons puis des dialogues. Jusqu’alors les
films muets étaient compris de tous, ce qui faisait du cinéma un art populaire. Même les
intertitres étaient parfois lus en direct et l’accompagnement musical dans la salle pendant la
projection attirait les foules en plus d’atténuer le bruit du projecteur. Pour fédérer le public,
les studios créent donc de nombreux films musicaux. Les prises de son sont assez laborieuses
et se font par étape. Ainsi, les scènes de claquettes dans les films de Fred Astaire sont d’abord
tournées en playback sans enregistrer les pas de claquettes. Une autre prise vient enregistrer
les pas. Enfin, une dernière prise enregistre les sons ambiants.
Les acteurs changent à l’image de Maurice Chevalier. On fait appel à des chanteurs qui
savent aussi danser et jouer la comédie. Tout devient chantant, même les westerns. Mais ce
phénomène va très vite lasser le public et l’on fera moins de comédies musicales.
La mise en place d’une comédie musicale prend pour prétexte la fabrication d’un
spectacle, ce qui fait que toutes les chorégraphies ont une justification dans l’histoire.
Berkeley à l’époque a l’idée de créer des ballets géométriques, souvent mis en valeur par des
vues en plongée. Mais cette mode va passer. Le renouveau de la comédie musicale vient avec
Fred Astaire, danseur à claquettes, et le couple qu’il forme avec Ginger Rogers. Puis vient
Gene Kelly qui donne une image différente, plus en force alors qu’Astaire montrait plus de
légèreté. Plus tard, sont tournés des films comme West Side Story, My Fair Lady, ew-York,
ew-York, Chorus Line…. La comédie musicale se fait alors plus rare.
2. L’équipe du film
A. Les acteurs
- Debbie Reynolds: c’est son premier grand rôle. Elle n’a que 19 ans. Elle connaîtra le
succès pendant quelques années. Alors que son personnage double la voix de celui de
Lina dans le film, c’est l’inverse dans la réalité : Jean Hagen, qui interprète le rôle de
Lina, double certaines des répliques. Pendant le tournage, Debbie Reynolds
bénéficiera de l’aide de Fred Astaire alors en tournage non loin de là et qui lui fera
répéter ses pas de danse.
- Donald O’Connor : il interprète le rôle de Cosmo. Il n’aura pas autant de succès que
Gene Kelly.
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Gene Kelly : après des débuts à Broadway, il se présente à Mayer qui l’écarte. Il signe
alors à la RKO qui le prête à la MGM pour ses comédies musicales. Plus tard, il signe
avec la MGM.
B. Le réalisateur et les scénaristes
Stanley Donen qui a noué une amitié avec Gene Kelly fera avec lui deux autres films : Un
jour à ew-York et Beau fixe à ew-York.
L’idée de départ était de reprendre des standards, chansons écrites par Arthur Freed dans
les années 20-30, pour en faire une comédie musicale. Les scénaristes ont eu l’idée de
replonger les chansons à l’époque où elles avaient été écrites, d’où l’idée de traiter du
passage du muet au parlant.
Le film fait donc largement référence à l’histoire du cinéma à cette époque. On assiste
ainsi à l’avant-première du film du couple Lockwood-Lamont. Aux Etats-Unis, c’est
l’usage : les gens sont invités à venir voir la première mouture du film. Quelquefois,
plusieurs fins sont proposées. Un questionnaire est ensuite distribué et on passe au vote :
le producteur a le dernier mot (en France, c’est le réalisateur qui a le final cut). Il reste
alors quelques semaines pour retravailler le film. Chantons sous la pluie montre cette
scène qui se révèle être une catastrophe pour le film de Don et de Lina.
3. Singing in the rain
A. Les parties dialoguées et les parties chantées
On remarque un petit moment de flottement entre les parties dialoguées et chantées.
Cela se fait par un fondu en musique : la musique arrive discrètement pendant que les
personnages continuent à parler puis la chanson démarre.
On note également une différence de mise en scène entre les parties dialoguées et les
parties chantées : la mise en scène se fait plus plate dans les parties dialoguées alors qu’elle
est plus élaborée dans les parties chantées : effets spéciaux, mouvements de caméra,
profondeur de champ… De plus, la mise en scène des numéros musicaux était facilitée par la
compétence des acteurs qui savaient tout faire (chanter et danser). Ainsi, le passage de
« Singing in the rain » ne nécessite que 9 plans. Inutile donc de surdécouper la scène, d’autant
plus que Gene Kelly était lui-même l’auteur de la chorégraphie.
Les moments dansés ou chantés se font par le biais de la représentation du music-hall
(les débuts de Don par exemple qui sont l’évocation d’un souvenir), d’une déclaration
d’amour ou d’un délire collectif. La chanson « Good Morning » constitue le passage central :
à ce moment, le film bascule.
B. Les personnages
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Lina Lamont : femme stupide et capricieuse qui croit tout ce qui est dit sur elle dans
les journaux, elle représente le star-system. Elle est l’un des deux piliers du ressort
comique : on rit à ses dépens.
Cathy : discrète, intelligente et talentueuse. Elle représente la femme du réel.
Don : séducteur romantique, il sait se remettre en question. Il est fidèle en amitié.
Cosmo : c’est un personnage comique qui fait avancer l’histoire. Il trouve les bonnes
idées mais il n’en est jamais remercié.
Cyd Charisse : elle incarne l’image de la femme fatale et arbore une coiffure à la
Louise Brooks dans un premier rôle. Dans un deuxième temps, on la voit vêtue de
blanc dans un décor épuré, elle représente alors la pureté : cette scène de danse vaut
pour elle-même et représente l’art en lui-même.
C. Des références filmiques
Chantons sous la pluie fait référence à des acteurs et à des films de genre : la femme fatale,
Scarface (le truand qui lance sa pièce de monnaie), Douglas Fairbanks (Don Lockwood y fait
penser). En plus d’être un film sur le cinéma, Chantons sous la pluie fait aussi référence au
film noir.
D. Le parallèle avec le conte de fées
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L’histoire d’amour entre le prince (Don) et la bergère (Cathy, la Chorus girl). On
retrouve aussi les personnages de la méchante (Lina) et de l’écuyer (Cosmo).
La progression initiatique : Don n’assume pas ses débuts laborieux (cf la première
scène). Cathy, qui prétend être une actrice de théâtre tout en négligeant le cinéma, a
elle aussi du mal à assumer ce qu’elle est. Toutefois, elle finira par l’assumer, mais
plus vite que Don. Les deux personnages ont la même histoire, et c’est pour cette
raison qu’ils peuvent tomber amoureux. A la fin du film, Don parvient à assumer son
passé (cf le numéro musical sur Broadway). L’évolution de Don est à l’image de celle
du cinéma auquel les Lumière ne croyaient pas. Après un incendie qui a causé la mort
de plusieurs personnes, le cinéma a perdu ses lettres de noblesse et est allé dans les
foires, devenant un spectacle bas de gamme.
Le happy end, signifié par l’affiche.
4. Quelques séquences de Chantons sous la pluie
A. « Make them laugh »
Cette scène repose sur un jeu sur les décors. Tout est en back-stage et il est difficile de
dissocier le vrai du faux (panneaux peints, fausses portes…). La scène montre l’essence même
du cinéma : tout est faux. Elle se termine ainsi sur une pirouette sur un faux mur, à travers
lequel le personnage passe. Au cinéma, tout est illusion.
B. « Singing in the rain »
La scène n’a demandé qu’une journée et demie de tournage et 10 plans. Pour la raccrocher au
réel, on y a inséré des passants et un policier. La pluie est un mélange d’eau et de lait pour la
rendre bien visible. L’ensemble de la scène est fondé sur le motif circulaire : le parapluie
qu’on fait tourner, les formes rondes sur les portes, les mouvements circulaires du personnage
autour du lampadaire lui-même surmonté d’un cercle et le mouvement circulaire de la caméra.
Une vision théâtrale est adoptée en plan moyen de manière à voir les claquettes. Le
personnage de Don réagit comme un enfant : il saute dans les flaques et s’arrête brusquement
comme pris en faute. Les travellings avants sur Gene Kelly sont comme un accent rythmique.
C. La scène de la déclaration d’amour
En parlant de cinéma et de sa fabrication, la scène met en place l’idée de manipulation. Ici,
tout est faux par l’installation d’un décor qui met en scène des artifices : le coucher de soleil,
la brume… Rien n’est fait pour faire croire que c’est vrai. Le phénomène d’identification est
alors difficile car tout est faux. Le réalisateur montre que le cinéma n’est que manipulation et
que l’identification n’est pas naturelle. L’échelle sur laquelle Cathy monte rappelle le balcon
de Juliette.
D. La première séquence
Elle installe les personnages et montre tous les artifices d’Hollywood, comme de véritables
clichés : l’arrivée des stars, le haut-parleur, les projecteurs, les lumières vives, la caméra. On
remarque la place importante du micro, ce qui sera justement le propos et le problème du film.
D’autres clichés sont au rendez-vous : les fans, les hurlements, les couples mal assortis (le
mari riche destiné à entretenir l’actrice). Le magazine permet de présenter les deux
personnages principaux comme un couple de cinéma. Don et Lina sont inaccessibles.
Un fondu enchaîné nous transporte dans le passé de Don. Mais l’image ne correspond pas au
discours de l’acteur. Le spectateur est privilégié : il a accès à la vérité que le public ne connaît
pas. Ce retour en arrière permet également de montrer un numéro de claquettes. Grâce à
l’image, le spectateur est dans le démenti de ce que Don dit. Le passage revient sur le passé de
cascadeur de l’acteur (dans la réalité, Gene Kelly était lui-même doublé pour ces scènes. Un
œil averti remarquera ainsi les gros plans suivis de la coupure avant la cascade). Pendant cette
scène, on note que Lina ne parle jamais : le problème n’est pas encore révélé.